Etablir l'état de droit au Kosovo. Succès et échecs des Nations unies

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  • 8/3/2019 Etablir l'tat de droit au Kosovo. Succs et checs des Nations unies.

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    ______________________________________________________________________

    Etablir ltat de droit au KosovoSuccs et checs des Nations unies

    ______________________________________________________________________

    Jean-Christian CADY

    Novembre 2011

    .

    FFooccuuss ssttrraattggiiqquuee nn 3344

    Centredes tudes de scurit

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.

    LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce texte nengagent que la responsabilit de lauteur.

    ISBN : 978-2-86592-965-8 Ifri 2010 Tous droits rservs

    Toute demande dinformation, de reproduction ou de diffusion peut tre adresse [email protected]

    Site Internet : www.ifri.org

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    Focus stratgique

    Les questions de scurit exigent dsormais une approcheintgre, qui prenne en compte la fois les aspects rgionaux et globaux,les dynamiques technologiques et militaires mais aussi mdiatiques ethumaines, ou encore la dimension nouvelle acquise par le terrorisme ou lastabilisation post-conflit. Dans cette perspective, le Centre des tudes descurit se propose, par la collection Focus stratgique , dclairer par

    des perspectives renouveles toutes les problmatiques actuelles de lascurit.

    Associant les chercheurs du Centre des tudes de scurit de lIfriet des experts extrieurs, Focus stratgique fait alterner travauxgnralistes et analyses plus spcialises, ralises en particulier parlquipe du Laboratoire de Recherche sur la Dfense (LRD).

    Lauteur

    Diplm de lInstitut dEtudes politiques de Paris, Jean-Christian Cady est

    ancien lve de lENA. Aprs une carrire dans le corps prfectoral, il at, de dcembre 1999 juin 2001, reprsentant spcial adjoint duSecrtaire gnral de lONU au Timor Oriental, charg de la gouvernanceet de ladministration publique, avec le grade de sous-secrtaire gnral delONU. Daot 2001 dcembre 2004, toujours avec le mme gradeonusien, il a t chef du pilier police et justice au sein de la MissionIntrimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK).Il a termin sa carrirecomme chef du service de coopration internationale de police au ministrede lintrieur de 2005 2008.

    Le comit de rdaction

    Rdacteur en chef : Etienne de DurandRdacteur en chef adjoint : Elie Tenenbaum

    Assistante ddition : Alexandra Vickery

    Comment citer cet article

    Jean-Christian Cady, Etablir ltat de droit au Kosovo. Succs et checs

    des Nations unies , Focus stratgique, n 34, novembre 2011.

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    Sommaire

    Acronymes ______________________________________________ 5

    Introduction _____________________________________________ 7

    Assurer la scurit des personnes et des biens _______________ 13

    Le monopole de la KFOR _______________________ 13

    La monte en puissance de la police internationale _ 17

    Le transfert progressif mais limit la police locale 18

    Les insuffisances du KPS ______________________ 21

    Leons des meutes de 2004 ___________________ 23

    Les personnes disparues ______________________ 25

    La lutte contre le crime organis et la corruption ___ 26

    Crer un systme judiciaire neutre _________________________ 29

    Le vide judiciaire et juridique ___________________ 29

    Le recours des juges internationaux ____________ 31

    Lorganisation de la justice pnale _______________ 33

    Les faiblesses du systme judiciaire _____________ 34

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    Transitions inacheves ___________________________________ 39

    Le transfert aux autorits locales ________________ 39

    Une indpendance sous protectorat _____________ 41

    Conclusion _____________________________________________ 45

    Rfrences _____________________________________________ 47

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    Rsum

    Cre le 10 juin 1999 par la Rsolution 1244 du Conseil de scurit, laMINUK avait pour objectif de refonder les institutions dun pays dvast parla guerre et dtablir une gouvernance dmocratique. Dans le cadre de ceprocessus de state-building, la scurit des personnes et des biens etlexistence dun systme judiciaire dans lequel la population a confiancetaient des critres essentiels. La communaut internationale nest

    parvenue quimparfaitement raliser ces objectifs. Des difficults locales,lies la haine interethnique et linscurit qui en dcoule, mais aussides faiblesses inhrentes aux institutions internationales, ont reprsentdes obstacles majeurs limplantation dune police locale et dun systme judiciaire respectueux des normes des Nations unies. Aujourdhui, lesoutien dacteurs internationaux demeure ncessaire au fonctionnement duKosovo, attestant de la fragilit de lindpendance. Ce bilan de laction dela MINUK dmontre que les oprations de maintien de la paix peuventattnuer les conflits sans pour autant en supprimer les causes.

    * * *

    Created on the 10th July 1999 by Security Council Resolution 1244, UNMIKwas responsible for restructuring the institutions of a country devastated bywar and establishing democratic governance. The security of people andgoods and the existence of a legal system trusted by the population weretwo crucial prerequisites to the state-building process. The internationalcommunity, however, only partially achieved these aims. Local difficulties,related to the hatred between ethnic communities and the resultinginsecurity, as well as the international institutions inherent weaknesses,have represented major obstacles to the implementation of a local policeand a legal system abiding to the United Nations norms. Today,international actors support remains essential to the functioning of Kosovo,thereby confirming the fragility of its independence. This assessment ofUNMIKs activities demonstrates that peacekeeping operations candiminish the intensity of conflicts without necessarily eliminating its causes.

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    Acronymes

    ATNUTO Administration Transitoire des Nations Unies au TimorOriental

    CICR Comit International de la Croix-Rouge

    CIU Central Intelligence Unit

    CIVPOL Civilian Police

    DDR Dsarmer, Dmobiliser et Rintgrer

    DOMP Dpartement des Oprations de Maintien de la Paix

    EULEX European Rule of Law Mission in Kosovo

    ICMP International Commission on Missing Persons

    INPROL International Network to Promote the Rule of Law

    KCS Kosovo Correctional Service

    KFOR NATO-led Kosovo Force

    KJI Kosovo Judicial Institute

    KJC Kosovo Judicial Council

    KJPC Kosovo Judicial and Prosecutorial Council

    KOCB Kosovo Organized Crime Bureau

    KPC Kosovo Protection Corps

    KPS Kosovo Police Service

    LDK Ligue Dmocratique du Kosovo

    MDU Mouvement Dmocratique Uni

    MINUAD Mission Hybride des Nations Unies et de lUnion Africaine auDarfour

    MINUCI Mission des Nations Unies en Cte dIvoire

    MINUK Mission dAdministration Intrimaire des Nations Unies auKosovo

    MINUS Mission des Nations Unies au Soudan

    MINUSTAH Mission des Nations Unies de Stabilisation en Hati

    MONUSCO Mission des Nations Unies pour la Stabilisation enRpublique Dmocratique du Congo

    MSU Multinational Specialized Units

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    MUP Ministarstvo Unustrahnju Poslova (Ministre de lIntrieurserbe qui dirige laction de la Police)

    OMP Oprations de Maintien de la Paix

    ONU Organisation des Nations Unies

    ONUCI Oprations des Nations Unies en Cte dIvoire

    OSCE Organisation pour la Scurit et la Coopration en Europe

    OTAN Organisation du Trait de lAtlantique Nord

    TPIY Tribunal Pnal International pour lex-Yougoslavie

    UNDP United Nations Development Program

    UNPOL United Nations Police

    PDK Parti Dmocratique du Kosovo

    PNUD Programme des Nations Unies pour le Dveloppement

    RSSG Reprsentant Spcial du Secrtaire Gnral

    SPU Special Police Units

    UK Ushtria lirimtare Kosovs (Arme de Libration duKosovo)

    USAID United States Agency for International Development

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    Introduction

    lus de douze annes aprs son lancement en juin 1999, la mission demaintien de la paix de lONU au Kosovo (MINUK) est toujours en place,

    mme si lengagement international a pris une forme diffrente depuis ladclaration dindpendance du Kosovo en 2008. Nul ne voit la fin de cettemission, ni comment le Kosovo, nouvel Etat dont lexistence reste prcaireet les ressources limites, pourrait se passer de laide de la communaut

    internationale. De toutes les missions de maintien de la paix mises enplace depuis 1948, la MINUK et lATNUTO 1

    Pour atteindre ces objectifs ambitieux, jamais, dans lhistoire delONU, les reprsentants spciaux du Secrtaire gnral de lONU (RSSG)

    (Administration Transitoire desNations Unies au Timor Oriental) ont t les plus ambitieuses. A ladiffrence de celles qui les ont prcdes, ces missions nont pas euseulement pour but de maintenir une paix chancelante entre deux ennemis,mais de btir les institutions dun nouveau pays afin que celui-ci soitrsolument engag sur la voie de la dmocratie et dispose dunenvironnement sr et stable pour ses habitants.

    2

    Au Timor comme au Kosovo, les missions de lONU avaient uneambition commune : tablir une gouvernance dmocratique. Pour yparvenir, encore fallait-il que la paix et la scurit de ces territoires soienttablies et que ltat de droit y soit fermement install, conditions leur tourdpendantes du cadre politique originel de lintervention internationale. Or,de ce point de vue, limplication onusienne au Kosovo a demble souffertdes ambiguts de son mandat comme de la prsence sur place dautresacteurs internationaux.

    nont t dots de pouvoirs aussi vastes, tant dans le domaine excutif etlgislatif que judiciaire, lensemble reprsentant un cadre qui aurait sansdoute horrifi Montesquieu et na pas dquivalent dans les dmocraties,mais que lurgence de la tche accomplir comme le peu de temps impartijustifiaient.

    Une mission de maintien de la paix consiste dabord en la mise enuvre, sur le terrain, dun mandat donn au Secrtaire gnral de lONUpar le Conseil de scurit. La clart du mandat est donc un facteuressentiel de russite. Or, ce mandat est souvent difficile tablir, car il y a

    1 Dominique Lecompte, LONU, Pygmalion malhabile. La fragilit du nationbuildingau Timor , Focus stratgique, n26, novembre 2010.2

    RSSG (Reprsentant spcial du Secrtaire gnral). Cest le titre que portenttous les chefs de mission de maintien de la paix de lONU.

    P

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    rarement concidence de vues entre les diffrents membres du Conseil descurit. Si un consensus sest tabli pour amener le Timor oriental lindpendance, il nen a pas t de mme pour le Kosovo. La rsolution1244 du Conseil de scurit du 10 juin 1999 crant la MINUK est le fruitdun laborieux compromis : le statut futur du Kosovo ny est pas prcis, etle mot indpendance jamais mentionn. La rsolution parle seulementdune autonomie et dune auto-administration substantielles, termes dont leflou volontaire permettait dviter le vto de la Russie. Cette absence debut final clairement dfini a handicap la mission des Nations unies auKosovo (MINUK) tout au long de son existence.

    Outre le mandat, un autre facteur entre galement en jeu : lunicitou la multiplicit des parties prenantes, ce qui au Kosovo renvoie dabordaux deux organisations initialement en prsence, lONU et lOTAN. Aprsavoir lanc la campagne de frappes ariennes la demande de sesmembres, sans bnficier dun mandat du Conseil de scurit de lONU et

    donc avec une lgitimit au mieux partielle, lOTAN sest vue confier lemaintien de la paix et de la scurit sur le territoire. Pour autant, lONU napas coiff lOTAN dans la mission au Kosovo, puisque la rsolution 1244,qui confrait a posteriorisa lgitimit internationale laction de lOTAN et la prsence de la KFOR (Kosovo Force), ne donnait aucunement autoritau RSSG, chef de la MINUK, sur le commandant de la KFOR. A ces deuxacteurs initiaux se sont ajouts lUnion europenne, charge dudveloppement conomique, et lOrganisation pour la Scurit et laCoopration en Europe (OSCE), responsable de la formation des policiers,des magistrats et des fonctionnaires, ainsi que de lorganisation deslections. Leurs reprsentants taient sous lautorit du RSSG.

    En dpit de ce cadre insatisfaisant et contraint, le state-buildingauKosovo doit, comme toute mission visant administrer et construire unEtat, tre valu en fonction de sa capacit atteindre les quatre objectifsgnraux qui suivent : assurer la scurit des personnes et des biens ;crer un systme judiciaire neutre, comptent, efficace auquel la populationfait confiance ; promouvoir le dveloppement du territoire aussi bien enmatire conomique que sur le plan de lemploi et de la formation ; tablirune gouvernance dmocratique, responsable et non corrompue.

    Les deux premires missions sont essentielles et constituent mmeune condition ncessaire la russite ventuelle des deux dernires. Si lascurit des personnes et des biens et lexistence dun systme judiciairegnrateur de confiance ne sont pas garanties, il est illusoire de songer audveloppement du territoire. Cest pourquoi cette tude se focalise sur cesdeux critres fondamentaux de la scurit et de la justice, autrement dit surla mise en place des structures et mcanismes permettant dassurer ltatde droit.

    A cet gard, lambition de la Rsolution 1244 tait proprementimmense : si toutes ses attentes avaient t remplies, le Kosovo seraitdevenu un territoire modle dans les Balkans, fonctionnant selon desnormes bien suprieures celles de ses voisins immdiats. Pour atteindre

    cet objectif ambitieux, la communaut internationale sest dote de moyens

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    considrables. Tandis que lOTAN a mis la disposition de la KFOR42 000 soldats, lONU, quant elle, a dploy les effectifs les plusnombreux de toute son histoire, avec les 15 000 personnes du Pilier I(Police et Justice) de la MINUK3

    . Et pourtant, malgr dimportants moyenshumains et financiers, malgr la taille rduite du Kosovo et sonappartenance au continent europen, la communaut internationale nestparvenue qu raliser imparfaitement ses objectifs. Plus dune dcennieaprs, il faut dsormais sinterroger sur les raisons de ce bilan en demi-teinte, et revenir sur les attentes peut-tre excessives de la communautinternationale et de la population du Kosovo, comme sur les maladressesventuelles de la MINUK mais pouvait-on procder autrement dans lecontexte trs particulier des Balkans ? sans oublier les effets, sans doutedltres pour la mission, de la longue attente dune dcision politiquequant au sort final du Kosovo. Cest pour rpondre ces questions quelanalyse sattache aux tapes successives de ltablissement de ltat dedroit au Kosovo, dans les domaines de la police et de la justice, en partant

    des conditions initiales et de la mise en place de la MINUK jusquautransfert progressif de responsabilit aux autorits locales, inachev cejour.

    3 En juillet 2003, le Pilier 1 (Police et Justice) rassemblait 15 076 personnesrparties comme suit : 9 263 employs locaux y compris 5 373 KPS et 375 juges etprocureurs locaux rmunrs par le budget consolid du Kosovo dont lesressources provenaient de droits de douane, 1 533 employs locaux de lONU,4 018 policiers internationaux, et 262 personnels internationaux. MINUK, Pillar 1,Police and Justice: Presentation Paper, juillet 2003, p. 14, accessible ladresse :

    http://www.unmikonline.org/justice/documents/PillarI_Report_Jul03.pdf

    http://www.unmikonline.org/justice/documents/PillarI_Report_Jul03.pdfhttp://www.unmikonline.org/justice/documents/PillarI_Report_Jul03.pdfhttp://www.unmikonline.org/justice/documents/PillarI_Report_Jul03.pdf
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    Assurer la scuritdes personnes et des biens

    orsque la communaut internationale intervient au Kosovo en 1999,cest pour mettre un terme au nettoyage ethnique , tablir la scurit

    sur tout le territoire et permettre toutes les communauts de cohabiter enpaix. Le processus se droule en trois tapes. Dans un premier temps, la

    KFOR tablit son monopole sur la scurit. Cette comptence est ensuitepartage avec la MINUK, la part de cette dernire saccroissant avec letemps. Enfin, la MINUK transfre progressivement vers la police locale lesmissions de scurit, ce transfert demeurant, ce jour encore, incomplet.

    Le monopole de la KFOR

    La KFOR arrive en premier, dploye la suite de laccord militairetechnique sign Kumanovo (Macdoine) le 9 juin 1999 entre lOTAN etles gouvernements des rpubliques yougoslave et serbe 4. Au moment deleur dpart, les forces serbes ouvrent les prisons et emmnent avec ellesles dtenus certains de droit commun, mais pour la majorit dentre eux

    des prisonniers politiques5

    En septembre 1999, la KFOR atteint son effectif maximum de48 000 soldats, issus de 39 pays, les 19 membres de lOTAN fournissantenviron 80% des effectifs. Sur le plan militaire, le Kosovo est partag encinq brigades multinationales. Chaque brigade dispose dune nation cadre

    fournissant plus de la moiti des troupes et de quatre ou cinq autres paysfournissant le reste, le contingent russe tant rparti dans chaque brigade

    . Le dpart des forces militaires et de police, desfonctionnaires et des juges serbes engendre alors un vide scuritaire et judiciaire sans prcdent. Le Kosovo est livr laction de bandes armesincontrles qui multiplient les atrocits. Cest ce vide que, dans un premiertemps, la KFOR a pour mission de combler, au fur et mesure du retraitdes forces serbes.

    6

    4 Larticle 1 de cet accord prcise quen aucun cas les forces de la Rpubliquefdrale de Yougoslavie ne doivent entrer, revenir ou rester au Kosovo. Larticle 2,paragraphe 2 prvoit le retrait des forces yougoslaves et serbes par phasessuccessives, la dernire phase sachevant 11 jours aprs la signature de laccord.Le mme article indique que la campagne de bombardement de la Yougoslavie neprend fin quaprs le retrait des troupes yougoslaves et serbes.

    .

    5 Lune des tches de la MINUK en 2000 et 2001 fut de ngocier, avec legouvernement serbe, le retour des prisonniers kosovars dtenus en Serbie pourdes raisons politiques.6

    Le 12 juin 1999, au matin, une unit de 200 parachutistes russes venus deBosnie, sest dploye de manire inopine sur laroport de Pristina. Ulcre que

    L

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    La France est ainsi dsigne nation cadre pour la brigade nord, en contactdirect avec la Serbie et incluant la ville de Mitrovica ; les Etats-Unisreoivent pour leur part le commandement de la brigade est, autour deGnjilane ; lAllemagne prend en charge la brigade sud, autour de Prizren ;lItalie est nomme dans la zone ouest autour de Pe7

    Les moyens logistiques importants de la KFOR lui permettentdaider les organisations humanitaires acheminer de la nourriture, desmdicaments et de fournir des escortes pour la protection de mouvementsde rfugis ou de personnes dplaces. Au cours du mois de juillet 1999,plus de 58 000 Serbes installs depuis des gnrations au Kosovo, fuienten effet devant la vague dattentats, denlvements et de meurtres dont leurcommunaut est victime. Face cet exode, la Serbie entreprend deregrouper ceux qui nont pas de famille, de ressources ou demploi dans

    des camps de rfugis

    la frontire aveclAlbanie ; enfin la Grande-Bretagne se saisit de la zone centre comprenantPritina, la capitale du Kosovo.

    8

    Dans les mois qui suivent, la situation scuritaire du Kosovo resteprcaire. Alors que lONU procde la mise en place de ses effectifs depoliciers internationaux, dadministrateurs, de techniciens et de magistrats,il apparat clairement que, dans le duumvirat que forment le gnral

    commandant la KFOR et le RSSG de lONU, le centre de gravit de lamission se trouve du ct de la KFOR qui, arrive avec armes et bagages,dispose de moyens matriels et humains importants. Dans cette phaseinitiale, cest donc la KFOR et au gnral qui la commande dassurer lascurit intrieure et extrieure du Kosovo.

    plusieurs milliers dentre eux sont ainsi restsdes annes dans ces camps, sans pouvoir sintgrer. Quelques mois plustt, plusieurs centaines de milliers de Kosovars albanais se sont rfugisen Albanie, en Macdoine ou au Montngro. Dans un trange chass-crois migratoire, ils reviennent en juin et juillet 1999, aprs larrive de laKFOR.

    A ce titre, et en labsence dinstitutions policires et judiciairesciviles, le commandant de la KFOR reoit le pouvoir tout fait exorbitant

    lOTAN entame une action militaire sans laccord du Conseil de scurit, la Russievoulait, par ce coup de force, se positionner au Kosovo, nayant pas pu obtenir un

    secteur au nord du Kosovo contigu avec la Serbie, secteur qui aurait chapp aucommandement de lOTAN. Surpris par cette manuvre et dsireux dviter uneconfrontation, le gnral britannique Mike Jackson, commandant la KFOR, ne sestpas oppos larrive des troupes russes, contrairement aux instructions dugnral Wesley Clark, commandant des forces de lOTAN en Europe. Desngociations permirent une prsence russe dans les brigades, les troupes russesntant pas places sous le commandement de la KFOR. Voir ce sujet larticle dugnral Mike Jackson, My Clash with NATO Chief , The Telegraph, 4septembre 2007. Les troupes russes ont quitt le Kosovo mi-2003.7 Les noms serbes, dun usage international plus courant, ont t retenus ici.8 Les camps de rfugis ont constitu un abcs de fixation du ressentiment desSerbes lgard de la communaut internationale. Le gouvernement serbe, qui surle plan de la politique intrieure trouvait un avantage cette situation, a t accus

    de ne pas mettre suffisamment de moyens en uvre pour rsoudre le problme.

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    darrter et demprisonner sans jugement pour une dure de trois moisrenouvelables indfiniment, tout individu susceptible de menacer la paix auKosovo. Les personnes arrtes par les militaires sont dtenues dans uneenceinte militaire, le Camp Bondsteel, construit par larme amricaine en1999 dans lest du Kosovo. Bondsteel, qui hberge alors 7 000 soldats,comprend une prison dont la capacit maximale dune centaine de dtenusna jamais t atteinte. Vtus de survtements de couleur orange etsouponns dactes terroristes ou criminels commis au Kosovo, lesdtenus nont jamais vu un avocat et ne sont jamais passs devant unjuge9

    Rtrospectivement, et en dpit des critiques de certaines ONG qui yont vu le retour aux lettres de cachet de lAncien Rgime, ces prrogatives

    dexception ont t le seul moyen dviter une anarchie totale. Ce pouvoirdarrestation et de dtention sans jugement de la KFOR ne suffit pourtantpas faire du Kosovo un territoire sr. Les six premiers mois de laprsence internationale sont marqus par une vague denlvements etdassassinats dont les Serbes sont les premires victimes. Les lmentsles plus extrmistes de la communaut albanaise, et en particulier lesmembres de lUK (Arme de Libration du Kosovo)

    . Ds que la MINUK a mis en place ses structures pnitentiaires et judiciaires, les effectifs de dtenus ont t transfrs des centres dedtention de la KFOR vers des prisons civiles dpendant du dpartementde la justice de la MINUK.

    10

    9 Le gnral Valentin, commandant de la KFOR du 3 octobre 2001 au 4 octobre2002 affirme ainsi : Au Kosovo, comme chef de la KFOR en situationdexception, javais des pouvoirs exorbitants, je pouvais enfermer qui je voulais,quand je voulais, pour une dure indtermine [] Ma volont ds que je suisarriv l-bas, a t de purger le camp de prisonniers appartenant la KFOR : jetrouvais quil tait un peu trop plein et pas toujours pour des motifs trs srieux []Jai laiss le camp de prisonniers vide mon successeur pour ne pas lui faireassumer la responsabilit de mes dcisions dans ce domaine. EmmanuelleDancourt et Marcel Valentin, De Sarajevo aux banlieues, mes combats pour lapaix, Chambray-ls-Tours, CLD Editions, 2006, p. 231. Voir galement Hans-

    Jrgen Schlamp Everyone knew what was going on in Bondsteel , interview deM. Alvaro Gil Robles, commissaire aux droits de lhomme du Conseil de lEurope,Spiegel on Line, 12 mai 2005, accessible ladresse :

    , ressentent lebesoin de se venger des annes dexactions qui ont prcd. Unrecensement de la MINUK montre que durant les six premiers mois de lamission, c'est--dire entre juin et dcembre 1999, quelques 500 personnesont t assassines, en majorit pour des raisons ethniques. Dans lerapport au Conseil de scurit sur lactivit de la MINUK en date du 16

    http://www.spiegel.de/international/0,1518,388556,00.html.10 Constitue en 1996, l'UK (Ushtria Clirimtare Kosovs) a men une gurillacontre les forces de police et larme serbes et avait pour base la rgion deDrenica dans louest du Kosovo. Dabord inscrite sur la liste des organisationsterroristes par les Etats-Unis, elle a t ensuite, partir de 1998, considrecomme un mouvement de libration nationale. Le chef militaire de lUK, Agimeku, est devenu premier ministre du Kosovo entre mars 2006 et janvier 2008,succd par son chef politique, Hashim Thai, devenu chef du parti dmocratiquedu Kosovo (PDK) qui a dclar lindpendance en fvrier 2008. Lun et lautre fontlobjet de mandats darrt internationaux, la demande de la Serbie, pour crimes

    de guerre. Hashim Thai est, de plus, accus par le Conseil de lEurope dtre unefigure majeure du crime organis au Kosovo.

    http://www.spiegel.de/international/0,1518,388556,00.htmlhttp://www.spiegel.de/international/0,1518,388556,00.htmlhttp://www.spiegel.de/international/0,1518,388556,00.html
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    septembre 1999, le Secrtaire gnral de lONU dclare : Selon leComit international de la Croix Rouge, 3746 cas de disparition nonttoujours pas t rsolus. Environ 600 de ces affaires concernent desSerbes et des Roms, dont la plupart ont disparu aprs le 4 juin 1999. 11De son ct, Bernard Kouchner, premier RSSG de la MINUK dclaredevoir faire face une augmentation de la criminalit alors que notresystme judiciaire nest pas en place .12

    Les Serbes, ainsi que les Roms, les Gorani et les Ashkalis

    13

    Malgr ce bilan intrieur mitig, force est de constater que la KFORrussit incontestablement assurer la scurit extrieure du Kosovo. Parsa prsence massive, son armement puissant, elle favorise le retrait desforces serbes et dcourage toute vellit de reprise des hostilits de la partdes Serbes comme de lUK. La limite administrative entre la Serbie et leKosovo puisque tel est alors le nom officiel de ce qui est en fait devenuune frontire reste globalement tanche. Le contrle des frontires auxpoints de passage avec lAlbanie, le Montngro et la Macdoine exercpar les brigades multinationales a certainement frein le trafic darmes etdquipements militaires, sans toutefois larrter totalement, car latopographie montagneuse de cette partie des Balkans a, de tout temps,

    favoris la contrebande.

    ne sontcertes pas les seules victimes. Des Kosovars albanais membres de laLigue Dmocratique du Kosovo (LDK) dIbrahim Rugova sont aussiassassins lors de rglements de compte avec des combattants de lUK,qui assimilent la position de non-violence dfendue par la LDK une formede collaboration. Face de tels dbordements, les hommes de la KFORrestent pour la plupart larme au pied.

    Un autre point relativement positif de laction de la KFOR est laprotection des sites patrimoniaux serbes. Quil sagisse des monastres deGracanica prs de Pritina ou de Deani dans louest du Kosovo, appelMetohija par les Serbes, ou du monument, construit par les Serbes et honnipar les Albanais, clbrant la bataille de Kosovo Poljie 14

    11 Conseil de scurit des Nations unies, S/1999/987 Rapport du SecrtaireGnral sur la MINUK, 16 Septembre 1999, accessible ladresse :

    , la prsence

    http://www.unmikonline.org/SGReports/S-1999-987.pdf.12

    Franois Didier, Priorit scurit pour Kouchner. Criminalit en hausse.Premier bilan mitig pour ladministrateur de lONU , Libration, 14 dcembre1999. Dans le mme article, le journaliste ajoute deux chiffres parlent deux-mmes : 400 meurtres en six mois et seulement 4 procs pour homicide. 13 Les Roms sont des Tziganes qui parlent la langue rom. Les Ashkalis sont aussides Tziganes qui parlent albanais. Les Gorani appels aussi Bosniaques sontdes Slaves islamiss qui parlent le serbe. Les autres minorits sont les Turcs, quine sont pas partis quand le Kosovo a cess de faire partie de lempire ottoman en1912 et qui vivent surtout dans le sud, et les catholiques albanais qui vivent surtoutdans louest du Kosovo. Tous sont lobjet de discriminations de la part desAlbanais.14 La bataille de Kosovo Polje ou du Champ des Merles, le 15 juin 1389, qui fut unedfaite des Serbes par les Turcs. Elle est cependant vue par la Serbie comme un

    des actes fondateurs de cette nation. Devant un monument difi en 1953 sur lechamp de bataille, Milosevic pronona, en 1989, pour le 600me anniversaire de cet

    http://www.unmikonline.org/SGReports/S-1999-987.pdfhttp://www.unmikonline.org/SGReports/S-1999-987.pdfhttp://www.unmikonline.org/SGReports/S-1999-987.pdf
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    initiale de la KFOR empche que ces difices soient saccags ouincendis. Toutefois, les gardes statiques devant ces monuments sont trsconsommatrices en hommes, sans doute au dtriment dune prsence surle reste du territoire. Et pour cause, partir de 2002, les effectifs de laKFOR commencent diminuer du fait de lengagement de certains pays enIrak et en Afghanistan. Contrainte de rpartir ses troupes de manirediffrente, la KFOR supprime nombre de gardes statiques devant certainssites. Plusieurs dizaines dglises et de monuments serbes devenusinsuffisamment protgs sont ainsi saccags ou incendis lors desmeutes de mars 2004. Cest aussi partir de 2002 que la KFORcommence transfrer la police la protection des enclaves serbes,demeures jusqualors de vritables camps retranchs.

    Comptente et efficace pour assurer la scurit du Kosovo vis--visde lextrieur, la KFOR lest beaucoup moins sur le plan de la scuritintrieure. Malgr des patrouilles frquentes pied et en vhicules blinds,

    ainsi que des nombreux check pointsmis en place, elle savre incapablede lutter contre une dlinquance grandissante et de mettre un terme auxexactions, aux pillages et aux crimes politiques, ethniques ou crapuleux quise multiplient dans le pays.

    Le manque de formation et dexprience des soldats dans laconduite dinvestigations sur une scne de crime, ainsi que leur manque deprcaution dans la collecte des indices, interdisent presquesystmatiquement aux enqutes de progresser. Pour cette raison, lescrimes, les violences et les enlvements durant les six premiers mois de lamission ne donnent lieu qu un nombre limit de procdures judiciaires.

    LONG Amnesty International sen est indigne en citant en exemple lemeurtre de Madame Piljevic, dethnicit serbe, et enleve le 28 juin 1999 Pristina par trois hommes vtus duniformes de lUK15

    La monte en puissance de la police internationale

    . Il est nanmoinsdifficile aujourdhui de reprocher la KFOR son manque defficacit enmatire denqutes policires. La police est un mtier spcifique auquel,bien entendu, ses soldats navaient pas t forms.

    Larrive progressive de policiers internationaux dpendant de lONUamliore la situation mais ne suffit pas elle seule changer la donne.Pour la quasi-totalit dentre eux, ils ne connaissent pas le Kosovo, ne

    parlent aucune langue locale. Dans ces conditions il nest donc passurprenant que leur interaction avec la population, passant par letruchement dinterprtes, soit rduite au strict minimum. Pour ajouterencore ces lacunes, de nombreux policiers nont quune matrise

    vnement, un discours qui marqua le dbut de la serbification du Kosovo,prlude lpuration ethnique qui devait suivre.15 La Croix Rouge a identifi son corps en aot 2001 parmi ceux exhums decharniers par le Tribunal Pnal International pour lex-Yougoslavie. En 2003,Amnesty International a lanc une campagne qui a runi plus de 1 300 lettres etcourriels adresss au chef du Pilier 1 de la MINUK (Police et Justice) pourprotester contre le fait que les assassins navaient pas t retrouvs ; cette

    campagne se poursuit aujourdhui auprs dEULEX. Laffaire Piljevic estmalheureusement identique plusieurs centaines dautres cas.

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    insuffisante de langlais, langue de travail de la mission, et de ce faitcommuniquent mal entre eux.

    Dans lensemble, la police internationale manque de cohsion et

    dhomognit. Les policiers internationaux, issus de 49 pays diffrents,ont tous une manire de procder nationale, avec ce que cela suppose derfrences juridiques, professionnelles et culturelles. Le rle du policecommissioner, qui exerce son autorit sur tous les policiers, consiste faireen sorte que laction de la police internationale soit cohrente et peruecomme telle par la population.

    Rtrospectivement, on aurait certainement pu imaginer, et cestsans doute lune des leons de cette mission, que lONU fasse appel moins dEtats-membres pour fournir les policiers internationaux. Un nombreplus restreint de pays, choisis en raison de lhomognit de leurs

    pratiques policires, aurait confr CIVPOL

    16

    Demble, la lenteur du dploiement des policiers internationauxapparat comme un srieux handicap. Sur les 4 718 policiers internationauxprvus pour la MINUK, 723 policiers sont initialement dploys, et seuls1 817sont effectivement dploys au 13 dcembre 1999, soit 6 mois aprsle dbut de la mission en juin 2000, ils ne sont toujours que 3 626

    davantage defficacitcomme de crdibilit aux yeux des Kosovars.

    17. A ladiffrence des militaires et des units de maintien de lordre arrivant encorps constitus, les policiers internationaux sont en effet recrutsdirectement par le sige de lONU New York titre individuel, ce quiralentit considrablement leur mise disposition18

    Le transfert progressif mais limit la police locale

    . De plus, certains pays

    industrialiss sont rticents se sparer temporairement de policiers quileur feraient ensuite dfaut sur leur territoire national. En nombre insuffisantdans les premiers mois, la police internationale est accuse dinefficacit. Ilfaut finalement attendre la mise en place de policiers locaux recruts etforms par lOSCE pour voir la situation voluer.

    Lorsquarrive la mission de lONU, la police na pas bonne rputation auKosovo. La majorit albanaise de la population est encore marque par le

    16 La civilian police (CIVPOL), la police internationale a t rebaptise UNPOL(United Nations police) en 2005.17 Conseil de scurit des Nations unies, S/1999/1250, Rapport du Secrtairegnral sur la MINUK, 23 dcembre 1999, accessible ladresse :http://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/kos%20S1999%201250.pdf18 Les critres de recrutement des policiers internationaux fixs par le dpartementdes oprations de maintien de la paix de lONU, sont les suivants : tre propospar son gouvernement, avoir 8 ans dexprience professionnelle et au moins 5 anscomme officier asserment, avoir un registre disciplinaire vierge, savoir conduire

    un vhicule 4x4, avoir subi avec succs lexamen mdical et les testspsychologiques, avoir la capacit de communiquer en anglais.

    http://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/kos%20S1999%201250.pdfhttp://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/kos%20S1999%201250.pdfhttp://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/kos%20S1999%201250.pdfhttp://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/kos%20S1999%201250.pdfhttp://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/kos%20S1999%201250.pdf
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    douloureux souvenir de la police yougoslave (MUP19

    Le recrutement de la nouvelle police, le Kosovo Police Service(KPS) est donc men sur une base interethnique, les effectifs de la policetant censs reflter la composition ethnique de la population. A partir dunrecensement de 1981 majorant les effectifs de la population serbe, il estdcid que le KPS doit imprativement comprendre 10% de Serbes et 5%dautres minorits. De plus, pour assurer une participation fminine, le KPSse voit imposer 15% de femmes

    ), unanimement peruecomme linstrument de loppression serbe. Il faut donc crer de toutespices une institution qui apparaisse aux yeux de tous commerespectueuse des droits de lhomme et au service de la population, et nonpas comme linstrument de la domination dun groupe ethnique.

    20

    Tous les habitants du Kosovo, hommes et femmes entre 21 et 55ans, en bonne sant, et sans antcdents criminels, peuvent alors seporter candidats pour servir dans la police. Dans un premier temps,pensant trouver ainsi un moyen commode de dmobiliser et de dsarmerles membres de lUK, la MINUK cherche intgrer dans la police les ex-combattants de la gurilla albanaise. Un accord pass entre la MINUK et laKFOR en septembre 1999 prvoit ainsi que 50% des effectifs de lUKsoient engags dans la police. Cette dcision se rvle tre une graveerreur qui dcrdibilise le KPS vis--vis des minorits et notamment desSerbes. Dautre part, la plupart des membres de lUK, trop engags danslaction et parfois englus dans des trafics multiples, ne prsentent pas lesqualits requises pour faire un policier acceptable et accept. De ce fait,

    dans les mois qui suivent leur recrutement, de nombreux policiers issusdes rangs de lUK sont renvoys. En revanche, ils peuvent tre intgrsdans le Kosovo Protection Corps (KPC), unit de protection civile crepour la dmobilisation des milices

    , un dfi non ngligeable dans unesocit traditionnelle comme le Kosovo.

    21

    19 Le ministre de lintrieur serbe (Ministarstvo Unustrahnji Poslovaou MUP) quidirige laction de la police est connu sous cette abrviation, de mme que lesunits de police stationnes sur le territoire.

    .

    20 Conformment une politique dfinie par la Rsolution du Conseil de scurit

    1325 du 31 octobre 2000 demandant daccrotre le rle et la contribution desfemmes dans les oprations des Nations Unies. Une loi 2004/2 du 19 fvrier 2004vote par lAssemble du Kosovo et promulgue par le RSSG, donne un cadrejuridique lgalit entre hommes et femmes dans divers domaines de la socitkosovare. Il faut noter que sur lensemble des missions de maintien de la paix, fin2010, lONU dployait 14 000 UNPOL (ex-CIVPOL), dont 10% de femmes.21 Prvue par la Rsolution 1244, la dmobilisation et le dsarmement de larmede libration du Kosovo tait un impratif pour assurer la scurit de ce territoire.Forts de la reconnaissance de la population albanaise qui voyait en eux descombattants de la libert et des hros, les gurilleros souhaitaient devenir unearme permanente. La communaut internationale excluait cette hypothse et aintgr les combattants de lUK dans un corps de protection civile, le KosovoProtection Corps (KPC), avec pour mission daider la population dans les

    catastrophes et de participer au dminage. Le KPC na jamais bien fonctionn,faute de motivation de ses membres, et a t dissous en juin 2009.

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    En raison du chmage lev, les candidatures sont trsnombreuses, rendant vite le concours dadmission trs slectif. Lors de laformation, les lves policiers de toutes les ethnicits sont regroups,pendant 19 semaines, dans un internat lcole de police de Vushtrri, 30 km de Pritina. Tous reoivent la mme formation, donne par desinstructeurs internationaux, le plus souvent en anglais et traduite enalbanais et en serbe. Une part importante de lenseignement est consacreau respect des droits de lhomme, pour bien diffrencier cette nouvellepolice de celle qui lavait prcde et qui uvrait jusqualors selon lesmthodes des dmocraties populaires davant 1989. Cette formation estsuivie dun stage sur le terrain22

    La monte en puissance du KPS se fait progressivement.Commence en septembre 1999 avec une premire promotion de 176lves, la formation des policiers locaux stend et, au 5 mai 2006, ils sont6 826 fonctionnaires avoir t forms puis dploys dans lensemble du

    Kosovo

    .

    23

    La formation de ces fonctionnaires permet galement la KFOR detransfrer aux autorits civiles (CIVPOL et KPS), ds la fin de 2002, lecontrle des frontires et celui de laroport de Pritina. En parallle, laMINUK procde une rduction du nombre de policiers internationaux. Surles 4 450 prsents au dbut de lanne 2003, on nen compte plus que

    2 200 en mars 2006

    . La prsence de policiers locaux, issus des diffrentescomposantes de la population, parlant les langues locales et bnficiant dece fait de la confiance publique, porte peu peu ses fruits. Le niveau dedlinquance baisse, les trafics rgressent, le nombre de crimes diminue etle taux dlucidation augmente.

    24

    De lavis des diplomates occidentaux et des ONG, la cration duKPS est donc une russite et ce dautant plus quil a la confiance de lapopulation

    . Dans le mme mouvement, la MINUK opre untransfert de responsabilits et de contrle oprationnel dans lescommissariats de police. Commence en 2004, cette transition sachve en2005. Les 33 commissariats et les 5 commandements rgionaux de laKFOR sont transfrs au KPS.

    25

    22

    Lactuelle prsidente de la Rpublique du Kosovo, Atifete Jahjaga, lue le 7 avril2011, est une ancienne policire du KPS ge de 36 ans et issue, comme tous lespoliciers locaux, de lcole de Vushtrri.

    . Linstitution fonctionne bien et sa multiethnicit nest passeulement de faade. Dans la pratique, Albanais et Serbes y travaillent en

    23 Dont 86% dhommes et 14% de femmes. Lethnicit albanaise reprsentait84,5% des effectifs, les Serbes 9,6% et les autres minorits 5,9%, chiffres cits parle Conseil de scurit des Nations unies, S/2006/361, Rapport du Secrtairegnral au Conseil de scurit sur la MINUK, 5 juin 2006, accessible ladresse :http://www.unmikonline.org/SGReports/S-2006-361.pdf24 Ce nombre se dcompose de la manire suivante : 1718 Civpol, 2 dansladministration pnitentiaire et 500 dans les units de maintien de lordre (SpecialPolice Units ou SPU).25 Arta Ante, State Building and Development. Two sides of the Same Coin?Exploring the case of Kosovo, Hamburg, Disserta Verlag, 2010, p. 227. Voir aussi

    Jrme Mellon, Preparing for a Security Sector Reform. Lessons from Kosovo,UNDP Bureau for Crisis Prevention and Recovery, Publication III, 2006, p. 2.

    http://www.unmikonline.org/SGReports/S-2006-361.pdfhttp://www.unmikonline.org/SGReports/S-2006-361.pdfhttp://www.unmikonline.org/SGReports/S-2006-361.pdf
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    bonne intelligence. Si le KPS peut tre considr comme la seule institutionmultiethnique du Kosovo ayant rpondu aux espoirs de la communautinternationale, il est cependant important de nuancer son bilan.

    Les insuffisances du KPSPremire insuffisance, lexercice de la police dans la partie nord deMitrovia et au nord de la rivire Ibar. Dans ce territoire adjacent laSerbie, la participation des Serbes au KPS est loin dtre acquise. Desgroupes serbes dautodfense appels les gardiens du pont seconstituent pour empcher lentre dAlbanais dans la partie nord duKosovo. Soutenus et rmunrs au dpart par Belgrade, ils stablissentrapidement en corps francs, ne relevant en fait daucune autorit, et selivrent des trafics divers, tenant davantage de lextorsion de fonds que dupatriotisme. Ces gardiens du pont et dautres militants nationalistesserbes font pression pour que les Serbes du Kosovo ne sengagent pas

    dans le KPS, quils veulent voir comme linstrument dune future oppressionalbanaise.

    La MINUK poursuit donc des ngociations avec Belgrade pour quecessent ces pressions sur les Serbes du nord du Kosovo, faisant valoir queseule la multiethnicit de la police peut garantir sa neutralit et assurer demanire durable la scurit des Serbes du Kosovo. Ce raisonnement nesttoutefois ni compris, ni entendu. La volont des Serbes du Kosovo est bienvidemment de rester rattachs Belgrade et dempcher tout prix leurintgration dans un Kosovo dont limmense majorit est albanaise. Ils neparlent pas la mme langue, nont pas la mme criture, ne pratiquent pasla mme religion et nont pas les mmes coutumes. De plus en plusvieillissante et pauprise, de moins en moins nombreuse, la populationserbe du Kosovo, dont 60% vit dans des enclaves disperses surlensemble du territoire du Kosovo et situes au sud de la rivire Ibar, napas confiance dans le KPS jug pro-albanais. Si la prsence du KPS ausein des enclaves serbes au sud de lIbar a finalement pu tre tablie avecbeaucoup de peine et dalas, tel na jamais t le cas au nord du Kosovo.

    La deuxime faiblesse du KPS concerne le maintien de lordrepublic. Il apparat vite impossible de mettre en place dans limmdiat, ausein du KPS, des units de maintien de lordre. Les troubles de lordrepublic susceptibles de se produire au Kosovo ont ncessairement une

    dimension ethnique. Le KPS, dont la multiethnicit est relle mais fragile,ne peut se permettre dintervenir dans des conflits de cette nature sansprendre le risque de se dsagrger. Il revient donc la composanteinternationale dassumer cette mission tablie juste titre au cur de sonmandat. Au sein de la KFOR existent des multinational specialized units(MSU) qui regroupent des forces de statut militaire mais ayant unecomptence en matire de police comme les carabinieri italiens, lesofficiers de la guardia civilespagnole ou les gendarmes franais, lessentieldes effectifs tant fourni par les Italiens. En thorie, les MSU jouent le rlede force de maintien de lordre. Elles sont directement rattaches aucommandant de la KFOR car elles ont une comptence sur tout le territoiredu Kosovo. Bien que devant travailler avec la police internationale, ellestablissent leur propre agenda, leurs propres priorits, ce qui occasionne

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    des problmes de coordination avec la MINUK. Cest pourquoi les NationsUnies dcident la mise en place des special police units (SPU), units demaintien de lordre, arrives en corps constitu et avec leur quipement.

    Cette faiblesse dans le maintien de lordre public est moins le fait duKPS, auquel cette comptence ne peut tre confie dans limmdiat, quede lensemble KFOR-MINUK. Une telle dficience se rvle dsastreuselors des meutes des 17 et 18 mars 2004. Ces dernires sont dclenchespar deux vnements : tout dabord le meurtre dun adolescent serbe aglavica, dans une enclave serbe prs de Pritina, qui fait suite denombreux autres attribus des Albanais, et conduit les Serbes organiser des manifestations de protestation et bloquer la route entrePritina et Skopje. Dautre part, la noyade accidentelle de deux enfantsdorigine albanaise dans la rivire Ibar provoque la fureur des Albanais, quitiennent les Serbes pour responsables, sans que lenqute mene par unmagistrat en apporte jamais la preuve. En 48 heures, ces meutes,

    encourages au dpart par certains leaders politiques, se propagent danslensemble du territoire du Kosovo26

    Elles font 19 morts (8 Serbes et 11 Albanais), et 700 blesss. LesKosovars albanais dtruisent ou incendient plusieurs dizaines dglises etde monastres orthodoxes et mettent le feu 800 maisons appartenant des Serbes, des Roms ou des Ashkalis, minorits souponnes par lesAlbanais de complaisance avec les Serbes.

    .

    Les insuffisances rvles par ces troubles sont doubles. Dunepart, la MINUK na pas, elle seule, la capacit de faire face des troubles

    de lordre public se droulant simultanment sur lensemble du territoire duKosovo. Le KPS tant hors-jeu dans cette affaire pour les raisonsindiques plus haut, la MINUK ne peut compter que sur ses propres unitsde maintien de lordre (SPU) qui sont en nombre insuffisant pour sopposer des violences qui clatent simultanment dans de nombreuses villes.

    Dautre part, lorsque la MINUK fait appel la KFOR pour laiderdans cette tche qui dpasse de loin ses moyens, elle se heurte lextrme lenteur de la raction des militaires, due au fait que lescomposantes nationales de la KFOR ne disposent pas de rglesdengagement homognes et que laction des contingents de certains pays

    est limite par des caveats rendant indispensable lautorisationpralable de leurs autorits nationales. Enfin, lorsque les troupes de laKFOR finissent par intervenir, elles ne font pas preuve duprofessionnalisme des spcialistes de lordre public. Manquantdexprience et souvent apeurs devant des manifestations de grandeampleur auxquelles ils sont confronts pour la premire fois, certains

    26 Conseil de scurit des Nations unies, S/2004/348, Rapport du Secrtairegnral de lONU sur la MINUK, 30 avril 2004, accessible ladresse :http://www.unmikonline.org/SGReports/S-2004-348.pdf. Voir galement les articles

    de Jean-Arnault Derens, Lexplosion que lONU na pas vu venir , RFI, 23 mars2004 et Des meutes concertes au Kosovo , La Libre Belgique, 24 mars 2004.

    http://www.unmikonline.org/SGReports/S-2004-348.pdfhttp://www.unmikonline.org/SGReports/S-2004-348.pdfhttp://www.unmikonline.org/SGReports/S-2004-348.pdf
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    soldats ont parfois des ractions excessives : en rsulte alors un bilanhumain inutilement lourd.

    Leons des meutes de 2004

    Il est vident que chacun a t surpris par ces meutes, les autoritspolitiques kosovar albanaises comme les responsables de lONU et de laKFOR. Malgr des effectifs nombreux ddis au renseignement, riennavait t anticip27

    Tout dabord, dans une opration de maintien de la paix, lunit decommandement entre les composantes civiles et militaires est prfrable.La dyarchie entre le commandant de la KFOR et le RSSG a t nfaste carelle a ralenti la rponse aux meutes

    . Plusieurs leons peuvent tre tires de cessoulvements.

    28

    En second lieu, il est indispensable que les rgles dengagementdes militaires soient bien dfinies et harmonises entre les composantes

    nationales, de sorte que, lorsquon sort de la routine des patrouillesordinaires de scurit et quun vnement inattendu se produit, lecommandement militaire international local ait une plus grande margedaction. Il est frappant de constater que le gnral commandant la KFORnest, au mieux, quun coordinateur et que son autorit sur les brigadesnationales est faible, voire inexistante.

    . Si elle avait t prise temps, cettesituation insurrectionnelle naurait pas dgnr de cette manire. Certains

    pays, notamment les Etats-Unis, ne souhaitent pas placer des troupes sousle commandement de lONU. Lexprience malheureuse de la Somalie taitencore trs prsente dans lesprit des Amricains. Lorsque, pour desraisons politiques, il nest pas possible davoir un commandement militaireintgr la mission, il faut alors dfinir de manire prcise qui aura leleadership en cas de troubles graves de lordre public et les conditionsdans lesquelles le transfert peut tre accompli entre lautorit civile etlautorit militaire. Rien de tel ntait prvu dans la Rsolution 1244.

    27 La KFOR disposait dune unit ddie au renseignement qui travaillait beaucouppar linterception de communications tlphoniques. Le rseau tlphonique duKosovo restant reli au rseau tlphonique serbe, les services serbes derenseignement procdaient aussi des coutes. De plus, le Quint (France,Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Etats-Unis) avait financ et tabli, en dehors de

    lONU, une unit de renseignement, la CIU (Central Intelligence Unit) hbergedans le cantonnement du quartier gnral de la KFOR et travaillant en liaison aveccelle-ci et avec le chef de la police internationale (police commissioner). Lun desbuts de la CIU tait de lutter contre la criminalit organise. Dans un territoire oles tmoins possibles savaient quils risquaient leur vie si leur tmoignage taitconnu, les coutes tlphoniques taient la source principale de linformationpolicire. Il convient de noter aussi quen dehors de toute coordination de lONU oude lOTAN, un certain nombre de pays avaient leur propre unit de renseignementau Kosovo.28 Il y avait certes une runion hebdomadaire entre le commandant de la KFOR etle chef de la MINUK, accompagns de leurs tats-majors respectifs. cette runiondevenait quotidienne en cas de crise, sans compter les contacts frquents entre lechef de la police internationale et le chef dtat-major de la KFOR. Toutefois, celui-

    ci, contrairement celui-l, voyait son action entrave par les multiples caveatsdes composantes nationales.

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    Troisime leon, enfin : dans une opration de maintien de la paixde cette nature, lONU doit se doter de moyens civils 29 de maintien delordre en effectifs suffisants, pour viter que ce rle ne soit rempli parlarme, avec tous les risques que cela entrane. Les tches de police et demaintien de lordre ntaient pas dans la culture de lONU cette poque etsa rflexion navait pas mri ce sujet30

    Malgr ces meutes et toutes les insuffisances quelles ontrvles, laction de lONU dans le domaine de la scurit a t positive. Lacriminalit a rgress, comme latteste le passage de 500 homicides durantles six premiers mois de la mission, 245 meurtres en 2000, puis 68 en2002. Les enlvements se sont arrts. Le taux de criminalit constat auKosovo en 2004, se rapprochait de celui des pays dEurope occidentale

    .

    31

    Par ailleurs, la libert de circulation nexiste pas pour tous auKosovo. Les Serbes du Kosovo qui dans leur majorit ne parlent pasalbanais et sont, de ce fait, immdiatement identifiables ne peuvent pasquitter leurs enclaves. Pour assister aux runions de lAssemble duKosovo, Pritina, les membres serbes doivent tre transports dans desvhicules blinds, fournis par la MINUK et bnficiant dune protectionmilitaire ou policire. De la mme manire, les juges internationaux qui serendent dans les tribunaux en dehors de Pritina, doivent tre flanqus

    .Corrlativement, le nombre de criminels incarcrs dans les prisons civilesa augment. Ce bilan a pu tre considr comme positif pour le plus grandnombre de Kosovars, c'est--dire les Albanais. Il la beaucoup moins t

    pour les minorits, notamment les Serbes replis dans leurs enclaves quicontinuent vivre dans la crainte.

    29 Il faut comprendre, par moyens civils, des forces de police places sous uneautorit civile. Les gendarmes, qui ont un statut militaire, sont considrs parlONU comme des moyens civils lorsquils sont intgrs la police internationale.La contribution franaise CIVPOL au Kosovo est compose uniquement degendarmes.30 La division de police civile a t cre en octobre 2000 au sein du dpartementdes oprations de maintien de la paix de lONU (DOMP). Pnalise par un effectifinsuffisant et sous quipe, elle essayait de parer au plus press, rpondant, tantbien que mal, aux demandes oprationnelles. A la suite du Rapport Brahimi, unerforme du DOMP a t mise en place en 2007, intgrant la division de policecivile au sein du bureau des institutions de scurit et de ltat de droit qui

    rassemble la division de police, le service de conseil judiciaire et de lgislationcriminelle, la section de DDR et enfin lunit de rforme du secteur de scurit.Cette nouvelle organisation permet llaboration dune doctrine qui est le fruit duneapproche plus intgre et qui tire les leons du Kosovo et du Timor. Conseil descurit des Nations unies, A/55/305- S/2000/809, Rapport du groupe dtudes surles oprations de paix de lOrganisation des Nations unies (Rapport Brahimi), 20aot 2000, accessible ladresse :http://www.un.org/fr/peacekeeping/sites/peace_operations/31 Contrairement sa rputation sulfureuse, le Kosovo est loin dtre lun des paysdont le taux de criminalit est le plus lev. Le taux dhomicides, qui tait de 11,8pour 100 000 habitants en 2000, a baiss 2,9 en 2005. Il est en 2009 de 3,2.Cest plus lev que la moyenne de lUnion Europenne, mais trs infrieur auxEtats-Unis (5,6 en 2005). Cf. UN Office on Drugs and Crime, Crime and its

    Impact on the Balkans and Affected Countries, mars 2008, accessible :http://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Balkan_study.pdf

    http://www.un.org/fr/peacekeeping/sites/peace_operations/http://www.un.org/fr/peacekeeping/sites/peace_operations/http://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Balkan_study.pdfhttp://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Balkan_study.pdfhttp://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/Balkan_study.pdfhttp://www.un.org/fr/peacekeeping/sites/peace_operations/
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    dun garde du corps. Lorsque les Serbes de Serbie se rendent unplerinage Pques ou Nol, dans un monastre du Kosovo, leurvoyage est forcment scuris par un dploiement important de forcesinternationales.

    Mme si la libert de circulation est plus grande pour les Kosovarsalbanais lintrieur du Kosovo, il leur a t difficile de se rendre dans despays trangers. Refusant de se servir de leur passeport yougoslave, perucomme le signe dune allgeance, les Kosovars albanais ont bnfici delaisser-passer tablis par la MINUK. Par-del leur apparence, cesdocuments ntaient pas des passeports et ntaient donc pas reconnuspar les voisins du Kosovo. Lune des tches de la MINUK a t dengocier, avec les pays voisins, lacceptabilit des laisser-passer pourfaciliter les dplacements des Kosovars, notamment en Macdoine et enAlbanie o ils ont beaucoup de liens familiaux.

    Si globalement le niveau de scurit a donc t considrablementamlior au Kosovo, la haine entre les communauts, toute aussi vivaceque pendant la guerre, a rendu fragiles ces progrs.

    Les personnes disparues

    Cette haine a t avive par le problme des personnes disparues. Selonle dcompte fait par le Comit International de la Croix Rouge (CICR),3 528 personnes, appartenant toutes les communauts ethniques duKosovo, ont t portes disparues entre janvier 1998 et avril 200132

    La recherche de fosses communes a t entreprise ds la fin duconflit par le Tribunal International pour lex-Yougoslavie, cependant cedernier sest montr plus soucieux davoir des preuves de crimes de guerreque didentifier les corps qui taient exhums

    . Descrimes ont eu lieu des deux cts. Et pourtant, chaque communaut tend

    se considrer comme lunique victime, oubliant volontiers les exactionsdont certains de ses membres se sont rendus coupables. Environ deuxtiers des disparus sont albanais, lautre tiers tant serbe.

    33

    32 Comit International de la Croix-Rouge, ICRCProgress Report, 28 aot 2006,accessible ladresse :

    . La tche longue et difficiledidentification des corps a t galement lune des missions de la MINUK,aide en cela par la Croix Rouge et des ONG comme ICMP ( InternationalCommission on Missing Persons) qui procdaient des tests ADN. Tantque les corps ntaient pas formellement identifis, les familles gardaientlespoir que le disparu tait en vie quelque part. Des lgendes se sontpropages, notamment chez les Serbes, comme celle de centres dedtention secrets au Kosovo. Des escrocs ont exploit la douleur desfamilles, prtendant avoir reu des signes de vie du disparu et demandantde largent pour donner davantage dinformations. Au fil des annes des

    http://www.icrc.org/eng/resources/documents/publication/p0897.33 En 2000, dans sa recherche de preuves de massacres commis sur le territoiredu Kosovo, le Tribunal International fit procder des recherches de fosses

    communes et des exhumations. Faute de structure approprie pour les recevoiret les identifier, les corps furent inhums nouveau.

    http://www.icrc.org/eng/resources/documents/publication/p0897http://www.icrc.org/eng/resources/documents/publication/p0897http://www.icrc.org/eng/resources/documents/publication/p0897
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    progrs ont t enregistrs dans lidentification des victimes, notammentgrce lutilisation plus systmatique de tests ADN. De nouvelles fossescommunes ont t dcouvertes au Kosovo, mais aussi en Serbie ocertains corps avaient t transports. En dpit de ces progrs, il faudrasans doute encore de longues annes avant que la tche de lidentificationde toutes les victimes soit acheve et que le travail de deuil puissecommencer.

    La lutte contre le crime organis et la corruption

    Des efforts particuliers ont t faits par la police internationale en matirede lutte contre la criminalit organise. Dans les domaines du trafic dtreshumains, de stupfiants, darmes, le Kosovo nest quun maillon dunechane balkanique englobant tous ses voisins et au-del. Des moyensimportants ont t consacrs cette lutte. La cration en avril 2002 par laMINUK du KOCB (Kosovo Organized Crime Bureau) regroupant des

    policiers internationaux, en majorit allemands, spcialiss dans la luttecontre le grand banditisme et associant des policiers du KPS spcialementslectionns, a t un pas dans la bonne direction. Cette unit avait pourmission de lutter contre le trafic dtres humains, lextorsion de fonds, letrafic darmes et de vhicules vols, le trafic de drogue et la contrebande.Elle a t utile dans la mesure o, au-del de son action propre contre lescriminels, elle a permis de former des policiers KPS et a t lembryon dela police judiciaire qui existe aujourdhui. Toutefois, ce programmesupposait la mise disposition durable de personnels internationaux,systme qui naurait pas pu tre poursuivi sur le long terme sil navait past repris par la mission europenne EULEX34

    De mme, la lutte contre la corruption a t engage de maniredynamique, en 2003, par un dtachement dune quinzaine de policiers dela Guardia di Finanza, unit italienne spcialise dans la lutte contre lesfraudes, le blanchiment dargent, la criminalit financire et le contrle desmarchs publics. Le dtachement au Kosovo a men des inspections surles socits qui reoivent des crdits du budget du Kosovo. Des cas decorruption ont t mis jour et transmis la justice. Trop dpendant de lamise disposition de spcialistes trangers, ce programme de lutte contrela corruption pose le problme de sa viabilit terme.

    .

    Intervenues au Kosovo pour mettre fin au nettoyage ethnique,

    lOTAN comme lONU se sont retrouves rapidement confrontes auxdifficults du state building, au premier rang desquelles la cration ex nihilodun systme de scurit performant. Aprs un monopole militaire assurpar lOTAN, la MINUK a favoris une transition progressive vers des

    34 LAssemble du Kosovo a proclam lindpendance de ce territoire le 17 fvrier2008. La veille, le 16 fvrier 2008, dans le cadre de la Politique Europenne deScurit et de Dfense, lUnion europenne a dcid la cration de la missionEULEX pour prendre le relais des attributions de la MINUK dans le domaine deltablissement de ltat de droit. Suite de longues ngociations entre le Conseilde scurit et lUnion europenne, conclues par un accord le 26 novembre 2008,

    la mise en place de la mission EULEX ne sest faite qu partir de dcembre 2008.Cf. le site internet dEULEX :www.eulex-kosovo.eu

    http://www.eulex-kosovo.eu/http://www.eulex-kosovo.eu/http://www.eulex-kosovo.eu/http://www.eulex-kosovo.eu/
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    organes policiers interethniques et rforms comme le KPS. En dpit deses insuffisances en matire dordre public, le nouveau systme estparvenu assurer une sret lmentaire, essentielle au bonfonctionnement dune socit. Pour autant, ltablissement de ltat dedroit, objectif affich de la communaut internationale, ne se rsume pas linstauration dune scurit relative mais implique galement la crationdun systme judiciaire neutre, comptent et efficace.

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    Crer un systme judiciaire neutre

    Le vide judiciaire et juridique

    Dans une mission de maintien de la paix et de gouvernance, la crdibilitdu systme judiciaire est essentielle, puisquelle est le gage de la confianceque la population va accorder la mission et parce quelle est aussi lefondement de la stabilit des institutions futures. La tche a t immenseau Kosovo pour plusieurs raisons. La MINUK est partie dune situation detabula rasa o il ny avait ni juges, ni droit applicable, ni centres dedtention et o il tait ncessaire de faire appel des magistratsinternationaux.

    Vide judiciaire

    Entre 1989 et 1999, soit les dix annes de tentative de serbification duKosovo par Milosevic, la justice est devenue un monopole serbe. A partirde 1991, les juges dethnie albanaise sont licencis, tout comme lesprofesseurs duniversit ou les enseignants en gnral. Les juges serbes,qui sont les seuls faire fonctionner le systme judiciaire du Kosovo depuis

    1991, fuient le pays au moment de larrive de la KFOR en juin 1999. Parune fiction juridique, la Serbie tablit alors des tribunaux comptents pourle Kosovo et situs Ni, dans le sud de la Serbie. Dans lincapacit defaire appliquer au Kosovo la moindre dcision, ce systme de coursparallles vise uniquement dstabiliser laction des Nations unies enindiquant aux Serbes du Kosovo que seules les dcisions prises en Serbieont une valeur juridique. En parallle, la MINUK recherche et remet enactivit les juges albanais qui ont t en dehors des palais de justicedepuis prs de dix ans. Lexprience professionnelle de ces juges sestentirement droule lintrieur dun systme communiste, ce qui neprpare pas ncessairement bien rendre la justice dans une dmocratienaissante.

    Vide juridique

    Les Kosovars ne veulent pas entendre parler du droit yougoslave qui, poureux, est synonyme de rpression. Mais, de son ct, la MINUK narrive pasavec, dans ses bagages, un code pnal et un code de procdure pnaleimmdiatement applicables, ce qui aurait sans doute t souhaitable. Cetteide dun kit juridique fondamental, disponible pour les oprations demaintien de la paix, figure dans le Rapport Brahimi sur la rforme du

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    maintien de la paix35

    Cette dcision soulve un toll dans la population albanaise qui necomprend pas que les rgles juridiques valables sous Miloevi restent lesmmes alors que le contexte politique a radicalement chang. La MINUKdoit alors revoir sa position. Un nouveau rglement dict par le RSSG le12 dcembre 1999 annule la premire dcision et affirme que seraappliqu le droit en vigueur au 22 mars 1989, c'est--dire au moment o leKosovo bnficiait encore du statut dautonomie qui lui avait t confr

    par Tito en 1974. Cette nouvelle dcision ne calme que trs modrmentles protestations. La MINUK souhaite que, comme le reste des institutionsen voie de cration, la justice au Kosovo soit multiethnique. Aprs delongues ngociations, une Dclaration Conjointe sur le Recrutement desJuges et Procureurs dethnicit serbe dans le systme multiethnique dejustice au Kosovo est signe le 9 juillet 2002 entre le ministre serbe de lajustice Vlatan Batic et le reprsentant spcial adjoint du Secrtaire gnralde lONU charg de la police et de la justice. Ce document vise assurer lamultiethnicit du systme judiciaire du Kosovo et mettre un terme auxinstitutions parallles serbes, notamment aux cours de justice qui sedclarent comptentes pour le Kosovo en sigeant en Serbie proprementdite . Cet accord ne rpond quimparfaitement aux espoirs de la MINUK.Bien que le gouvernement serbe ait continu verser ses magistratsdtachs au Kosovo leur salaire serbe qui se cumule avec un traitement dela MINUK (cumul non prvu par la dclaration), les volontaires sont peunombreux, craignant pour leur scurit. Un rapport de la MINUK montrequen juillet 2003, sur les 317 juges et 45 procureurs locaux qui travaillentdans les 55 tribunaux et institutions judiciaires du Kosovo, figurentseulement 16 magistrats dethnicit serbe (quinze juges et un procureur) et20 reprsentants dautres minorits.

    . Pour viter un vide juridique total, la premiredcision du RSSG, ds son arrive le 25 juillet 1999, a t de dclarer quele droit yougoslave tel quil existait avant le 24 mars 1999 c'est--dire ladate de lintervention de lOTAN resterait applicable, sous rserve que lesdispositions de la loi yougoslave ne contreviennent pas aux normesinternationalement acceptes ou aux rglements de la MINUK. Aux textesapplicables sont ainsi ajoutes toutes les conventions relatives aux droitsde lhomme.

    36

    La MINUK labore aussi son droit en fonction des urgences. Lesrglements (regulations) dcids par la MINUK sont labors par des juristes dune autre culture, et donc greffs ce corpus juridiqueyougoslave sans grand souci de cohrence. Aussi, pour disposer dun outil

    Enfin, et par-del les problmes descurit, les quelques juges serbes qui reviennent au Kosovo ignorentcette nouvelle dcision et continuent appliquer le droit yougoslave de1999.

    35 Conseil de scurit des Nations unies, A/55/305- S/2000/809, Rapport dugroupe dtudes sur les oprations de paix de lOrganisation des Nations Unies(Rapport Brahimi), op. cit.36 MINUK, Pillar 1, Police and Justice: Presentation Paper, op. cit. Voir aussi cesujet : International Crisis Group, Finding the Balance : the Scales of Justice in

    Kosovo, rapport n 134, 12 septembre 2002, accessible ladresse :http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/europe/Kosovo%2032.pdf

    http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/europe/Kosovo%2032.pdfhttp://www.crisisgroup.org/~/media/Files/europe/Kosovo%2032.pdfhttp://www.crisisgroup.org/~/media/Files/europe/Kosovo%2032.pdf
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    juridique plus homogne, la mission commence-t-elle la prparation duncode pnal et dun code de procdure pnale. Ils sont achevs en avril2004, aprs un long processus de consultation des magistrats et desavocats. Linnovation apporte par ce code est la suppression du jugedinstruction. La perptuation de lexistence dun magistrat instruisant lesaffaires charge et dcharge ne semblait en effet pas trs raliste dansle contexte trs particulier et trs partisan du Kosovo. Ce nouveau code deprocdure pnale cre aussi le concept de police judiciaire, travaillant souslautorit des procureurs. La justice pnale au Kosovo peut enfin trerendue en utilisant des textes kosovars.

    En revanche, quelle puisse tre rendue par des juges kosovarsparat plus douteux. La quasi-totalit des juges volontaires pour siger auKosovo sont en effet dethnie albanaise : peut-on leur demander dtreneutres vis--vis dun crime commis par un Albanais contre un Serbe ?Lexprience montre en quelques mois que les cours de justice peuples

    de juges albanais acquittent assez systmatiquement les prvenusalbanais, mme pour des crimes graves. A linverse, et mme pour desoffenses mineures, les Serbes sont durement condamns.

    Dsert pnitentiaire

    Dans les oprations de maintien de la paix quelle mne depuis 1948,jamais lONU navait eu se proccuper de la gestion de lincarcration dedtenus. A cet gard galement, la MINUK, tout comme lATNUTO auTimor, doit dfricher un terrain nouveau pour elle. Les prisons yougoslavesdu Kosovo, qui ont t la cible de bombardements de lOTAN, doiventdabord tre remises en tat. Il faut dans un premier temps trouver des

    personnels internationaux pour les grer, ce qui na rien dais, puisrecruter des gardiens locaux, tout en veillant ce que les dtenus soientspars selon leur appartenance ethnique. Le Kosovo Correctional Service(KCS) est donc cr. Il sagit dune institution multiethnique, limage duKPS. Trs surveill par les ONG qui dfendent les droits de lhomme, etbnficiant de laide bilatrale de plusieurs pays, notamment le Canada, laSuisse et le Royaume-Uni, le KCS est aujourdhui unanimement considrcomme une russite de ladministration internationale comparable auxstandards europens37

    Le recours des juges internationaux

    .

    Faire venir des magistrats internationaux nest pas simple et prend dutemps mais savre indispensable ds quune affaire prend un tourinterethnique. A la diffrence des militaires dont la projection est le cur demtier, les magistrats ne sont pas immdiatement disponibles. Dans laplupart des pays, les affectations de magistrats sont soumises lavis dunorganisme consultatif, comme lest en France le Conseil suprieur de lamagistrature. Cette procdure prend plusieurs mois.

    37 ISSR Research Team, Kosovo Internal Security Sector Review, 2006,

    accessible ladresse :http://www.kosovo.undp.org/repository/docs/ISSR_report_eng_ver2.pdf

    http://www.kosovo.undp.org/repository/docs/ISSR_report_eng_ver2.pdfhttp://www.kosovo.undp.org/repository/docs/ISSR_report_eng_ver2.pdfhttp://www.kosovo.undp.org/repository/docs/ISSR_report_eng_ver2.pdf
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    Les juges internationaux affects la mission viennent de paysrgis par des systmes juridiques trs diffrents. Bien que ne connaissantpas le droit yougoslave, les juges en provenance de pays de droit critsadaptent rapidement ce nouveau droit, trs proche du droit allemand.Ladaptation est plus longue et plus difficile pour ceux qui viennent dunpays relevant de la tradition juridique du common law, linstar du droitanglo-saxon. Des notions comme le juge dinstruction sont trangres leur exprience professionnelle et ncessitent, pour certains, unelaborieuse adaptation. Conue lorigine comme une bquille temporaire, la participation des juges internationaux au fonctionnement dela justice du Kosovo sest poursuivie jusqu aujourdhui, alors que leKosovo est indpendant, et est devenue une composante durable delquilibre institutionnel.

    Ces difficults se retrouvent galement au niveau de lorganisationde ladministration centrale de la Justice que, faute de pouvoir appeler

    ministre, on baptise, dans un premier temps, dpartement des Affairesjudiciaires, puis partir de 2004, dpartement de la Justice, avant quil nesoit transfr au gouvernement du Kosovo et ne devienne en 2007ministre de la Justice.

    Initialement, dans le souci dassocier pleinement les Kosovars autravail de la mission et dviter le procs en nocolonialisme, lONU dcidedavoir deux ttes au sommet de chaque dpartement : un fonctionnaireinternational et un reprsentant kosovar. Au bout de quelques mois, il fautreconnatre que dans un tel systme lun paralyse lautre. Cest ainsi que,durant les premier mois de la MINUK, le dpartement des Affaires

    judiciaires est dirig la fois par un magistrat international (de nationalitfranaise) et une avocate kosovare albanaise extrmement respecte38

    Le systme du bicphalisme de ladministration est abandonn enavril 2001, date laquelle la MINUK se divise en piliers

    ,dont le mari et les deux fils ont t enlevs et tus par la police serbe enavril 1999. Il est videmment impossible cette personne dadopter unpoint de vue quilibr vis--vis des Serbes.

    39

    38 Nekibe Kelmendi devint ensuite ministre de la justice du Kosovo, lorsque cettefonction fut transfre aux autorits kosovares en 2006.

    dont le premierconcerne ltat de droit (rule of law) et unit la justice et la police souslautorit dun mme fonctionnaire international, en loccurrence un prfetfranais. Lassociation de la police et de la justice dans un mme ensemblesuscite quelques haussements de sourcils, notamment de la part dONGqui y voient la fois une atteinte au principe de la sparation des pouvoirset un mauvais exemple proposer au Kosovo pour lorganisation future deses institutions. Face ces reproches, il est ais de faire valoir que desEtats considrs comme des exemples de bon fonctionnement

    39 Le deuxime pilier concernait ladministration civile et tait appel se rduirepuis se dissoudre au fur et mesure de la cration de ladministration kosovare ;le troisime pilier, gr par lOSCE, tait consacr la dmocratisation, laformation des policiers et des magistrats, lorganisation des lections et la

    promotion de la libert des mdias ; enfin, lUnion europenne formait le quatrimepilier consacr la reconstruction et au dveloppement conomique.

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    dmocratique, comme la Suisse ou le Danemark, associent police et justicedans un mme ministre. De plus, lorganisation de la MINUK ne prjugepas de lorganisation future des institutions du Kosovo. De fait, dans leKosovo indpendant, les deux ministres sont dsormais spars.

    Lorganisation de la justice pnale

    La justice pnale repose depuis 1999 sur trois lments. Le premier dentreeux est le Tribunal Pnal International pour lex-Yougoslavie (TPIY) LaHaye, qui traite uniquement les affaires les plus importantes parmi lescrimes de guerre ou les crimes ethniques. Les critres selon lesquels leTPIY peut demander un tribunal national de se dessaisir restent flous. Uncertain nombre de chefs de guerre kosovar albanais ont fait lobjet depoursuites, parmi lesquels Ramush Haradinaj40

    La deuxime composante de la justice tait et est toujours forme par les juges et procureurs internationaux

    , brivement Premierministre du Kosovo. Le TPIY mne ses investigations avec ses propresenquteurs qui ne dpendent pas de la MINUK. Bien quayant un bureau

    de liaison Pritina, il est rest extrmement discret sur ltatdavancement de ses dossiers et soucieux dviter les fuites. La MINUK oula KFOR ne recevaient que de loin en loin lordre du procureur du TPIYdarrter un suspect de crimes de guerre pour le transfrer La Haye.

    41

    Si les juges internationaux au Kosovo ont trait de nombreusesaffaires ethniques ou de grand banditisme, leur contribution est enrevanche plus modeste en ce qui concerne les crimes de guerre. Enlabsence de preuves matrielles, les investigations nayant jamais pu trebien menes lorigine, toute la procdure repose sur des tmoignages.Or, ceux-ci sont trs difficiles obtenir, car les tmoins se sentent menacset doivent tre protgs.

    . Peu nombreux (unequinzaine), ils traitent les affaires lies la criminalit organise et auxcrimes interethniques, y compris les crimes de guerre que le TribunalInternational ne peut inscrire au rle, faute de temps et de disponibilit. Les juges internationaux peuvent se saisir de dossiers daffaires pnales, etdonc dpossder des juges locaux, lorsque laffaire est trop sensible pourtre gre localement.

    Enfin, la troisime composante du systme judiciaire est forme parles magistrats kosovars, de loin les plus nombreux. Fin 2007, on compte 89

    40 Ramush Haradinaj a t un des chefs de lUK et le chef dun parti politique,lAAK. Il a t Premier ministre de dcembre 2004 mars 2005, date laquelle il aquitt ses fonctions pour se constituer prisonnier, ayant fait lobjet dune inculpationpour crimes de guerre par le Tribunal International de La Haye. Acquitt en avril2008 et revenu au Kosovo, il a t remis en dtention La Haye en juillet 2010pour tre rejug, le procureur ayant fait appel car des pressions avaient texerces sur des tmoins qui ont refus de se rendre au procs.41 Voir Nicholas Booth et Jean-Christian Cady, Internationalized Courts inKosovo : an UNMIK Perspective in Cesare O.R. Romano, Andr Nolkaemper,

    and Jann K. Kleffner, Internationalized Criminal Courts : Sierra Leone, Kosovo andCambodia, Oxford, Oxford University Press, 2004.

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    procureurs et 308 juges locaux (dont 15 Serbes et 19 dautres minorits),ces statistiques ayant peu volu42

    Les magistrats locaux ont pris en charge la majorit des affaires.Malheureusement, ils nont t ni neutres, ni mme comptents ouefficaces. Leurs salaires sont rests faibles, de lordre de 600 euros parmois pour un juge chevronn. Ces traitements, infrieurs ce qui sepratique dans les pays voisins, sont rvlateurs du peu de prestige dont jouissent les magistrats dans la socit kosovare. De ce fait, les cas decorruption ne sont pas rares. Il faut ajouter quen raison de la maigreur des

    salaires, peu de personnes sont dsireuses dentrer dans la magistrature,au dernier rang desquels les avocats, pourtant les mieux forms en lamatire.

    . Les magistrats albanais, vincs en1991 lors de la tentative de serbification du Kosovo, ont tous t reprispar la MINUK. Les efforts de la mission internationale ont port sur lerecrutement de juges dethnicit serbe, afin que, dans les enclaves, lesSerbes puissent avoir une justice en laquelle ils aient confiance et ne soientpas obligs de se tourner vers les cours parallles situes en Serbieproprement dite et qui se dclarent comptentes pour le Kosovo.

    Les faiblesses du systme judiciaire

    Quil sagisse de dpendance, de recrutement ou de formation des juges, la justice au Kosovo fonctionne mal et ne suscite pas la confiance de lapopulation.

    Tout dabord, le systme judiciaire du Kosovo reste trs dpendant

    de laide internationale, la fois sur le plan financier et sur celui de laformation. Or, la communaut internationale ne propose pas un modlejudiciaire cohrent. Des crdits importants ont t consacrs au cours deces dix dernires annes, non seulement par les Nations Unies(notamment le PNUD), mais aussi par lOSCE et des bailleurs bilatrauxcomme USAID, pour mettre sur pied le systme judiciaire kosovar, sansque tous ces efforts convergent. Les pays donateurs rpugnent inscrireleur action individuelle dans un plan global qui serait aussi celui de lamission. Chacun joue sa partition comme il lentend. De ce fait, les paysanglo-saxons, influencs par la tradition du common law, ont eu tendance proposer des mthodes et des formations pas toujours adaptes ce quepouvait devenir le systme judiciaire du Kosovo, qui procde de la tradition

    de droit crit des pays europens.

    Le systme de recrutement des juges internationaux aurait pu treamlior. Ne disposant daucun crdit permettant de financer ledplacement du candidat, la Mission devait se contenter dun entretientlphonique pour valuer sa connaissance de la langue anglaise et de laterminologie juridique. Cette procdure peu satisfaisante aurait d trecomplte, avant la prise de fonction, par une formation au droityougoslave, la problmatique de la justice dans les oprations de

    42 Conseil de scurit des Nations unies, S/2007/768, Rapport du secrtaire

    gnral au Conseil de scurit, 3 janvier 2008, accessible ladresse :http://www.unmikonline.org/SGReports/S-2007-768.pdf

    http://www.unmikonline.org/SGReports/S-2007-768.pdfhttp://www.unmikonline.org/SGReports/S-2007-768.pdfhttp://www.unmikonline.org/SGReports/S-2007-768.pdf
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    maintien de la paix en gnral et au Kosovo en particulier. Lurgence de lasituation, la MINUK tant toujours en dficit de magistrats internationaux,ne la pas permis. Ont donc t recruts des magistrats parfois excellents,mais parfois aussi nettement en de des attentes de la Mission. Il fautnoter galement que certains pays, dont la France, ont t rticents envoyer des magistrats au Kosovo. Peu sensibles aux enjeuxinternationaux, certaines administrations nationales nencourageaient pasleurs fonctionnaires sexpatrier, en raison du manque de moyensfinanciers et humains.

    Le mauvais fonctionnement de la justice a galement procd delabsence de formation des juges locaux. Ce fut une erreur de recrutersystmatiquement les magistrats vincs en 1991, sans procder unemise jour de leurs connaissances. Sans doute aurait-il fallu procder pourles magistrats comme pour le KPS, c'est--dire ne les recruter quaprsune formation qualifiante. Toutefois, l encore faute de temps, la formation

    dun magistrat tant beaucoup plus longue que celle dun policier, laMINUK na pas pu agir de la mme manire.

    Ces magistrats locaux ont pourtant reu une formation permanente.Sur le modle de lEcole nationale de la magistrature franaise, lOSCE acr le Kosovo Judicial Institute (KJI) en 2000. Malheureusement, etcontrairement lcole de police, le KJI ne dispensait pas de formation debase systmatique, comme cela aurait d tre le cas. Des sminaires surtel ou tel sujet juridique y taient organiss intervalles irrguliers, mais laparticipation des magistrats tait facultative. De ce fait, le KJI a plus t uncentre de confrences quune vritable cole. LONU a dailleurs connu les

    mmes dconvenues dans ltablissement du systme judiciaire du Timororiental.

    La protection des tmoins est ncessaire mais difficile mettre enuvre dans ce territoire exigu de 10 000 km (la taille du dpartement de laGironde), o les liens claniques sont forts. Ces liens, et les reprsaillesmises en uvre sils sont rompus, demeurent rgis, dans la socittraditionnelle du Kosovo comme dans celle de lAlbanie, par un droitcoutumier mdival appel le Kanun, bien que nayant plus de valeurjuridique, celui-ci demeure une rfrence culturelle encore pratique, selonlaquelle un meurtre doit tre veng par la mort dun homme de la famille ducoupable, ce que lon appelle ailleurs une vendetta.

    Ladage selo