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Etat civil et démocratie Projet de rapport
Présenté par
Mme Michèle André, sénatrice (France)
Rapporteure
ABIDJAN (Côte d’Ivoire) | 10-1 1 juillet 2013
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L’un des objectifs de notre Assemblée est de « promouvoir la démocratie, l’Etat de
droit et les droits de la personne, plus particulièrement au sein de la communauté
francophone ».
C’est en l’ayant en tête que la commission des Affaires parlementaires, lors de sa
réunion de printemps à Vancouver en mars 2012, a retenu comme thème de réflexion la
question du lien entre état civil et démocratie, sur ma proposition.
Pour quelles raisons ? Tout d’abord, une raison conjoncturelle, liée au séminaire
d’échanges parlementaires de l’APF qui s’est tenu à Bamako en novembre 2011 sur le Code
des droits de la personne et de la famille, et auquel j’ai participé.
En quelques mots, le Gouvernement du Mali s’était engagé depuis 1996, en
concertation avec les institutions de la République, la société civile et les communautés
religieuses, dans un processus de réforme du droit de la famille.
Or, le texte adopté par l’Assemblée nationale du Mali, le 3 août 2009, a provoqué une
très forte contestation dans le pays.
Les populations et autorités religieuses ont, en effet, protesté contre des éléments de la
réforme (promotion de l’égalité du genre, non légalisation du mariage religieux,
reconnaissance des enfants nés hors mariages par exemple) qu’ils considéraient comme une
rupture nette et inconsidérée avec la tradition et la religion.
Une large campagne d’information a été engagée, en vue de l’appropriation, par les
citoyens maliens, de cette réforme du droit des personnes et de la famille. Ce séminaire
d’échanges parlementaire dans les locaux de l’Assemblée nationale du Mali, en faisait partie.
Trois thèmes ont successivement été abordés : la prise en compte des mutations
sociales dans le code des personnes et de la famille, le statut de la femme dans les sociétés
contemporaines et la filiation et la succession.
Un aspect transversal essentiel est apparu au cours des débats : l’importance d’un état
civil fiable et pérenne, condition indispensable pour la bonne mise en application de
nombreuses dispositions contenues dans le projet de réforme.
Ce débat a également révélé le lien consubstantiel qui unit l’état civil avec l’état d’une
société, le gouvernement d’un pays, l’histoire d’un peuple puisque cette nouvelle loi sur la
famille tendait à essayer de corriger les contraintes nés du droit coutumier et à donner un état
civil à des personnes qui n’y auraient pas droit, notamment les enfants naturels.
L’état civil reflète « l’état » d’un individu, c’est-à-dire sa situation personnelle dans
sa famille et au sein de la société. Par l’état civil, il s’agit d’officialiser aussi, dès la
naissance, une identité permanente : une identité en tant que personne, une identité en tant
que citoyen appartenant à une nation, et, pourquoi pas, puisque nous examinons cette question
dans une assemblée parlementaire internationale, une identité en tant que citoyen du monde.
Par là-même, il est d’ordre public.
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Résultat d’une procédure écrite d’identification administrative, qui dresse les actes
constatant les faits relatif à l’état de la personne (notamment les actes de naissance, de
mariage/partenariat et de décès), l’enregistrement civil donne à la personne une identité et des
droits. Etre inscrit à l’état civil, d’une part, pouvoir se référer à un registre d’état civil protégé
et tenu à jour, d’autre part, c’est donc une des toutes premières garanties des droits
fondamentaux.
Acte civique, puisqu’il y a un lien logique entre le constat des naissances, mariages,
décès, d’une part, et les critères (de résidence, de filiation, d’âge, de statut, etc…) qu’il faut
remplir pour être citoyen, c’est donc aussi un acte éminemment politique. C’est, en
particulier, essentiel en matière électorale, qui intéresse au premier chef notre assemblée,
puisque la crédibilité de la liste électorale est elle-même liée à la manière dont est tenu le
fichier d’état des personnes, y compris dans les cas où semble privilégié, pour des raisons
diverses, un registre des populations.
Enfin, c’est souvent sous l’influence ou les effets des progrès scientifiques et
techniques que les institutions ou les impératifs sociaux évoluent. L’état civil n’échappe pas à
ce mouvement. Permet-il encore d’identifier un individu par quelques éléments (la naissance,
le décès) ou quelques liens sociaux (le mariage, la filiation) quand existe la possibilité de
recourir à des procédures d’identification biométriques ? Quelle part faire aux divers moyens
de repérage des individus dans une multitude de personnes pour qu’ils servent à protéger
l’exercice d’une liberté fondamentale, la liberté de vote, sans sacrifier la portion irréductible,
la liberté de chacun, le droit de chacun à son intimité ? Dans notre espace, le recours à la
biométrie pour sécuriser cette identité permanente se généralise. Se pose donc en corollaire la
question de la protection des données personnelles et des libertés publiques.
Je remercie les sections de Belgique (Parlement de la Fédération Wallonie -
Bruxelles), du Canada, du Jura, du Québec, de la Macédoine, du Maroc, du canton du Valais,
de la Roumanie, du Sénégal, de la Grèce, d’Andorre, du Luxembourg, et de la principauté de
Monaco, dont les réponses au questionnaire que je leur avais adressé m’ont permis d’enrichir
d’exemples précis les trois axes de réflexion soumis à la discussion au sein de la commission
des Affaires parlementaires lors de nos réunions de Bruxelles et de Pointe-aux-Piments.
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I.- Si l’on n’est pas « né », l’on n’existe pas, on ne peut pas faire valoir ses droits.
Parce que c’est la reconnaissance de leur situation par le droit, l’état civil est en tout
premier lieu le serviteur de l’intérêt des personnes. C’est l’état d’une personne qui la fait
exister juridiquement et qui conditionne sa vie juridique.
Ce qui était vrai autrefois l’est plus encore aujourd’hui : il n’est plus possible, dans
notre monde, d’accéder à ses droits sans état civil. Droit d’aller et venir, droit de propriété et
de commerce (ainsi, la capacité de contracter se détermine notamment par l’âge de
l’individu), droit d’ester en justice (ainsi, l’acte de mariage établit la qualité du demandeur
pour agir dans une action en contribution aux charges du mariages en cas de défaillance d’un
époux), droit à l’éducation, droit à la santé, etc. : si l’on n’existe pas, on ne peut pas exercer
ces droits et faire valoir ses droits.
Ce droit à faire valoir sa personnalité individuelle devant les autres et la société est un
des éléments structurels de l’Etat de droit.
Bien que les statistiques de l’Unicef retracent avec un temps de retard le phénomène
de non déclaration, elles sont éclairantes, et inquiétantes. En effet, dans son rapport 2006,
l’Unicef indiquait qu’en 2003, 48 millions d’enfants, soit 36 % des naissances cette année-là,
n’ont pas été déclarés. L’organisation estimait en outre qu’en Afrique subsaharienne plus de
la moitié des enfants de moins de cinq ans ne sont pas enregistrés, et plus de 60 % en Asie du
Sud. Dans son « Progrès pour les enfants, un monde digne des enfants, bilan statistique »
publié en décembre 2007, elle constate une aggravation de ce phénomène, puisque ce serait
51 millions d’enfants qui n’auraient pas été enregistrés en 2006. Dans certains pays d’Afrique
subsaharienne, les taux d’enregistrement ont baissé entre 2001 et 2006.
Or le manque d’identification crée une sorte d’invisibilité de l’enfant. Cette invisibilité
peut le priver de l’accès à l’école par exemple, mais elle peut aussi faciliter son adoption
illégale, son mariage avant l’âge légal, voire être une source de risque vital, je pense en
particulier aux trafics de personnes et aux recrutements d’enfants soldats.
Sans que je puisse ici l’évaluer globalement, de nombreuses personnes aujourd’hui
n’ont pas d’état civil :
– parce que leur naissance n’a jamais été déclarée,
– parce que les registres ont été partiellement ou totalement détruits, parfois
volontairement,
– parce qu’il leur est impossible d’y accéder, les structures administratives étant
totalement désorganisées,
– ou bien tout simplement parce que la notion d’état civil est étrangère à leurs
habitudes. L’identification des personnes est alors régie principalement par la
« reconnaissance interpersonnelle », fondée sur la perception des visages. Les relations de
connaissance personnelle suffisent, aux yeux des administrés, à pourvoir à l’identification, et
toute autre procédure peut paraitre superflue. Une telle procédure orale n’est, toutefois,
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permise que dans des sociétés de petite échelle, relativement figées et marquées par un taux
endogamique élevé. Elle n’offre pas le même degré de garanties, pour l’individu comme pour
la société. Et, une fois encore, elle n’est plus possible aujourd’hui sauf à restreindre
drastiquement l’espace vital et juridique des individus.
Un système de l’état civil bien organisé contribue donc à rendre effectifs les droits
fondamentaux des individus, et à leur en faciliter l’exercice. Quelle photographie peut-on en
faire dans notre espace francophone ?
Vous trouverez à l’annexe 1 un exemple dont j’ai eu à connaître personnellement, à
Mayotte, où je me suis rendue en novembre 2008 dans le cadre d’une mission d’information
sénatoriale.
Chaque Etat a sa propre conception de l’état civil. Elle est liée à son histoire, à sa
géographie, son niveau de développement économique et son organisation politique.
Certains Etats confient tout ou partie des fonctions liées à l’état civil à des autorités
religieuses. Ainsi, en Andorre, tous les actes antérieurs à l’année 1996 étaient enregistrés au
Registre ecclésiastique, car seules les autorités religieuses étaient détentrices des registres
avant l’entrée en vigueur de la Loi du Registre Civil du 11 juillet 1996. D’autres Etat ont des
services publics chargés de l’état civil mais accordent également des effets civils à certains
actes religieux. Les mariages religieux grecs produisent des effets civils avant même que
l’acte religieux ne soit transcrit sur les registres de l’état civil nationaux. Dans les Etats
africains, la création des services d’état civil est quelque fois très récente, ou bien, pour ceux
qui possèdent des services d’état civil plus anciens, les actes ont parfois été détruits lors des
indépendances. Par exemple, près de 90 % des registres comoriens ont été brûlés lors du
retrait de la France en 19761.
La France possède depuis longtemps un état civil, et un retour sur la mise en place de
l’état civil français me permettra d’illustrer les enjeux liés à l’identification civile des
personnes.
D’abord fondée sur un impératif religieux, la tenue de « registres des baptêmes et des
sépultures » a été rendue obligatoire par l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539.
Progressivement, les mentions portées à l’état civil ont été élargies au mariage, transformant
ainsi les registres paroissiaux en véritables registres d’état civil.
Il est intéressant de constater que cette transformation s’est faite en parallèle à un
phénomène de rationalisation du droit : la preuve écrite a pris le pas définitivement sur la
preuve par témoignage oral, d’où l’importance accordée à des documents qui permettaient aux
individus de prouver leur identité, leur âge, leur ascendance, leur mariage, etc. Je fais le
rapprochement avec d’autres transformations juridiques en cours dans notre espace, sur
lesquels je reviendrai ultérieurement.
Mais en étant confié à une autorité religieuse, l’état civil français se heurtait à deux
écueils : d’une part, une très large hétérogénéité des données inscrites faute de contrôle
1 Christine Bidaud-Garon, maître de conférences à l’Université Jean-moulin _Lyon 3, in La valeur probante des
actes d’état civil : atteinte à la souveraineté de l’Etat ou protection de l’Etat, colloque L’Etat civil au 21e siècle
: Déclin ou Renaissance ? organisé par la Commission Internationale de l’Etat Civil à Strasbourg en mars 2009.
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centralisé ; d’autre part, la privation d’identité civile pour les personnes qui n’appartenaient
pas à cette religion.
Pour régler les multiples problèmes juridiques et sociaux2 engendrés par cette
exclusion, les non-catholiques ont été autorisés en 1787 à faire constater leur état civil de
façon alternative par le juge.
Ainsi, dès avant la Révolution française, un état civil, d’une part, et sa sécularisation,
d’autre part, apparaissent comme une nécessité sociale. Puis, avec la Révolution française, est
franchie une étape extrêmement importante vers la création d’un système plus fiable de
l’enregistrement de l’identité des individus, avec l’introduction de registres de l’état civil,
système complet d’actes de naissance, de mariage et de décès, dont la gestion est confiée aux
communes.
Notre Commission des Affaires parlementaires a pour règle de conduite, de longue
date, de faire de la discussion de ses rapports le support à un échange de bonnes pratiques sur
les procédures et garanties à l’œuvre dans les Etats de notre espace francophone. La mise en
place de l’état civil français présente des caractéristiques qu’il peut être intéressant
d’examiner dans l’optique de la mise en place d’un état civil efficace et fiable dans tout notre
espace francophone.
Elle a en effet impliqué la mise en œuvre dans l’ensemble du pays de procédures
d’identification individuelle uniformes, devant toucher la totalité des individus dispersés sur
le territoire national, exigeant d’eux qu’ils se rendent dans un lieu nouveau, la mairie, pour
accomplir des formalités désormais complétement détachées du rituel religieux.
Elle supposait donc à la fois l’information et l’adhésion des administrés, la
collaboration de plusieurs dizaines de milliers d’officiers d’état civil à former, la mise sur
pied d’une organisation dédiée (locaux, procédures, formulaires, etc.), des techniques de
communication et de transport efficaces.
Les progrès ont été lents, pour plusieurs raisons :
– le clivage villes/campagnes, le monde rural se caractérisant par un illettrisme
plus répandu, des maires moins disponibles en raison de la nature de leurs
activités agricoles et pas ou peu formés, le maintien longtemps très ancré des
traditions religieuses, un univers où tout le monde se connaît et où par
conséquent les formalités prévues par la loi apparaissant comme superflues car
c’est le regard du groupe et la tradition qui servaient d’instrument
d’identification ;
– la confrontation brutale de milliers d’individus avec une logique de nomination
et d’identification très éloignée de leurs traditions ;
2 Par exemple, les mariages consacrés secrètement par des pasteurs protestants n’avaient aucune valeur au
regard de la loi, le protestantisme n’étant pas reconnu sauf entre l’édit de Nantes (1598) et l’édit de
Fontainebleau (1685). Les enfants nés de ces unions étaient considérés comme enfants illégitimes et ne
pouvaient en aucun cas succéder à leurs parents. Les autres membres de la famille bénéficiaient alors de
l’héritage des biens et titres, aussi bien du côté paternel que maternel.
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– des difficultés techniques : conditions matérielles (accès aux formulaires,
conditions de conservation, difficultés d’accès aux mairies pour les administrés
éloignés) et de transmission des informations, problématique de la langue
(beaucoup d’administrés ne parlant pas le français mais une langue ou dialecte
local) ;
– la fiabilité inégale des officiers d’état civil, dont certains falsifiaient plus ou
moins volontairement les registres.
Les préconisations de l’Unicef en matière d’enregistrement des naissances (mise en
place de systèmes d’enregistrement, des naissances, simplification et gratuité des
procédures, accessibilité des bureaux d’enregistrement, organisation de campagnes
d’information efficaces afin de cibler tous les secteurs de la société) auraient ainsi
parfaitement pu s’appliquer à la situation connue en France des décennies après la décision
d’instaurer un état civil tel que je l’ai précédemment décrit.
Puisque les enjeux de la modernisation de l’état civil sont donc considérables
(permettre à chacun d’être inscrit à l’état civil, permettre à chacun de pouvoir se référer à un
registre d’état civil protégé et tenu à jour.), il peut être à ce titre intéressant de regarder dans
notre espace francophone quel traitement est donné aux trois actes fondamentaux en matière
d’état civil, la naissance, le mariage, le décès.
Pour le premier point : si l’on considère que l’enfant doit pouvoir jouir dès sa
naissance du droit à « être né », et donc du droit à être enregistré, l’inscription de la
naissance dans les registres d’état civil doit alors être faite le plus vite possible.
On constate qu’en la matière, le délai de déclaration varie considérablement, de
quelques jours à un an : quelques jours (3 jours en France et dans le canton du Valais,
4 jours à Monaco, 5 jours au Luxembourg, 10 jours en Grèce, 15 jours en Belgique, en
Macédoine et en Roumanie), 1 mois (en Andorre, au Maroc, au Québec), et jusqu’à 1 an (au
Sénégal, pour les Marocains résidant à l’étranger).
Deux méthodes sont retenues pour lutter contre le défaut d’enregistrement. La
première, contraignante, applique une sanction au non-respect du délai, de degrés divers :
d’une simple amende, au montant variable (Québec, 52 Can$ ou 104 Can$, Grèce, 13 €,
Suisse, 500 CHF, France, 3 750 €, Maroc) à l’infraction pénale (France, Jura), et implique
une procédure judiciaire lourde et longue pour rectifier la non- inscription. La deuxième,
pragmatique, prévoit d’une manière aussi large que possible les personnes qui peuvent
procéder à la déclaration (comme au Sénégal, au Maroc ou au Luxembourg), ou bien encore
met en place un système déclaratif directement dans les hôpitaux ou maternités (comme au
Québec, en Belgique ou en France). Les deux ne sont d’ailleurs pas exclusives l’une de
l’autre.
On constate aussi que certains de nos pays ont fait le choix de la non sanction :
Luxembourg, Andorre ou Sénégal, par exemple.
Pour l’acte de mariage, il est dressé immédiatement après la célébration civile, puisque
les époux doivent en prendre connaissance et qu’il doit être authentifié. On constate parmi les
réponses, trois exceptions, celles de la Grèce, du Maroc et du Sénégal, qui prévoit, pour la
première, un délai d’inscription de 40 jours, pour le deuxième, un délai de 3 mois, et pour le
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dernier, un délai d’un an. Cette particularité en recoupe une autre, celle de la validité civile
donnée au mariage religieux, dans chacun de ces trois pays.
Quant à l’acte de décès, partout la déclaration du décès doit être effectuée dans les plus
brefs délais (2-3 jours, voire moins dans le cas d’enfants mort-nés), l’officier de l’état civil
étant tenu de dresser l’acte de décès dès lors qu’il est encore possible de procéder à
l’examen du corps, à l’exception notable du Maroc où le délai est de 30 jours.
Quant au second point, celui de la tenue des registres, s’il est vrai que l’état civil est le
socle de l’exercice de leurs droits fondamentaux par les femmes et les hommes, il faut alors
permettre à nos citoyens de faire facilement la preuve de leur état civil et donc à la fois
sécuriser et rendre accessible les registres. La diversité des choix retenus par nos pays est
grande.
Traditionnellement, les registres d’état civil sont de gros registres de papier, tenus en
deux exemplaires. C’est encore ainsi que certaines de nos sections le conçoivent (par
exemple, Luxembourg, Andorre, Sénégal, Roumanie, avec la précision d’importance que les
registres sont conservées pour une durée de 50 ans seulement pour ce pays), souvent avec,
grâce au traitement de texte, des canevas d’actes pré-rédigés qu’il suffit de compléter avant
de les éditer (Monaco par exemple, où les actes sont dressés selon des procédés manuels ou
automatisés, la signature de l’officier d’état civil devant être dans tous les cas manuscrite).
Les technologies de l’information et de la communication permettent aujourd’hui de
franchir un nouveau pas, celui de la dématérialisation complète des actes d’état civil : il n’y
a plus de registre papier, c’est un acte purement électronique, stocké sur un disque ou dans
une carte mémoire. Les sections du Jura et du Valais ont franchi ce pas, avec le système
Infostar, une banque de données qui a remplacé en 2003-2005 les registres papier3,
centralisée au niveau de la Confédération Suisse, et qui peut être consultée et modifiée à
distance.
L’idée initiale était d’améliorer les procédures du registre des familles, en enregistrant
chaque évènement une seule fois et en permettant la mise à jour automatique et automatisée
de tous les autres registres en dépendant. Cela avait aussi pour avantage – immense à mes
yeux !– d’instaurer l’égalité entre les les hommes et les femmes puisque ces dernières, à
l’exception de celles qui avaient un enfant sans époux suisse, n’avaient pas de feuillet dans
ces registres.
Plutôt que de retenir un système d’échanges automatisé entre des systèmes d’état civil
décentralisés (par exemple au niveau des 26 cantons), c’est un système central qui a été
finalement choisi, créé et exploité par la Confédération Suisse.
D’autres pays, comme le Gabon, vont plus loin, doublement :
- d’abord en souhaitant introduire un élément biométrique (empreintes digitales
dans le cas du Gabon, mais cela peut aussi être l’empreinte de l’iris de l’œil
voire une empreinte génétique) au sein de l’état civil dématérialisé ;
3 Avant le développement d’Infostar, chacun des arrondissements de l’état civil détenait 4 registres d’évènements
mais aussi- particularité suisse – un registre des familles dans lequel on ouvrait un feuillet pour chaque homme
adulte, où l’on mentionnait tous les évènements de sa vie, à savoir naissance, mariage, enfants, décès, les
femmes n’ayant droit à ce feuillet que si elles étaient mères sans conjoint ou avec un conjoint étranger.
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- ensuite, en imaginant un seul service d’enregistrement central, qui centralisera
toutes les données personnelles : le Gabon prévoit ainsi que la base de données
biométriques servira de registre maître pour la délivrance des certificats de
naissance, des documents d’identité des citoyens (cartes d’identité nationales,
passeports et permis de conduire) mais aussi pour l’établissement d’une liste
électorale incontestable et infalsifiable.
A cet égard, il serait très enrichissant pour la commission des Affaires parlementaires
si les représentants du Gabon et de la Mauritanie pouvaient nous présenter les expériences
nationales en cours dans leurs pays respectifs. Quel retour d’expérience peut-on faire, en
termes de résultats quantitatifs, de processus administratifs (difficultés rencontrées, solutions
apportées), d’information des populations concernées, d’appropriation par ces dernières du
processus, etc. ?
Un tel système unifié peut être très intéressant pour les administrations, est sans aucun
doute très performant pour lutter contre la fraude, mais n’est - à mon sens - pas sans danger
pour les libertés individuelles. Avant d’aborder ce point, je voudrais toutefois approfondir la
question du lien entre état civil et liste électorale. Le lien entre le constat des naissances,
mariages, décès, d’une part, et les critères (de résidence, de filiation, d’âge, de statut, etc…)
qu’il faut remplir pour être citoyen font en effet, comme le montre l’exemple gabonais, de
l’acte d’état civil un acte éminemment politique en matière électorale.
II.- Etat civil, enjeu civique et politique
Dans notre espace francophone, parmi les principales recommandations émises par
l’OIF depuis l’adoption de la Déclaration de Bamako, la crédibilité des listes électorales
figure en bonne place.
C’est en effet une difficulté principale et récurrente identifiée par les diverses missions
électorales mises en place depuis 2000. Or sans listes électorales fiables, il n’est pas possible
d’organiser des élections crédibles et exemptes de toutes contestations.
Cette question a par conséquent été au centre des préoccupations des acteurs politiques
de notre espace francophone, ainsi que de la communauté internationale, qui a souvent pris en
charge, en tout ou partie, le coût financier de la mise à jour des listes électorales dans les pays
en sortie de crise.
Notre très estimée collègue, Mme Martine Bondo (Gabon), ayant consacré par le passé
un excellent rapport à la question de la « Conception du fichier électoral, enjeu pour
l’organisation des élections libres et transparentes », seul le lien entre la crédibilité de la liste
électorale et la manière dont est tenu le fichier d’état des personnes sera abordé dans le cadre
de ce rapport.
La liste électorale appartient à la catégorie des « registres de population », qui
répondent aux objectifs administratifs d’un Etat : la perception de l’impôt, les procédures
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relatives aux documents d’identité, le recensement des personnes appelées à faire leur service
militaire, etc.
A l’exception de la section du Sénégal, toutes les sections ayant répondu ont précisé
que leur liste électorale était permanente. Les nuances portent sur :
- d’une part, la périodicité de la révision de la liste (mise à jour annuelle –
France, Monaco, Grèce, Maroc par exemple, ou mise à jour en continu –
Luxembourg, Canada, Roumanie, Suisse) ;
- et, d’autre part, sur l’instance ou le service qui fournit de manière pertinente
certaines des informations nécessaires à la mise à jour du fichier électoral par
l’organe qui en est chargé (atteinte de l’âge pour être électeur en cas
d’inscription automatique, décès, pour les radiations automatiques, par
exemple). Dans la plupart des cas, il s’agit des services chargés de la tenue et
de la mise à jour de l’état civil. Le Canada a retenu une solution alternative
pour les élections fédérales : le Registre national des électeurs est mis à jour à
partir des informations fournies par les contribuables dans leur déclaration de
revenus annuels, et utilisées à cet effet avec leur consentement. Cette solution
originale n’est toutefois peut-être pas susceptible d’être généralisée à
l’ensemble des pays de notre espace, pour des raisons culturelles et matérielles.
Le Sénégal, comme d’autres pays de notre espace francophone, procède par révision
exceptionnelle des listes électorales décidée par décret du président de la République, avant
chaque élection générale. Les citoyens doivent s’inscrire, en présentant leur carte nationale
d’identité ou tout autre document admis par la loi et en cours de validité, auprès des
commissions administratives, sous la supervision et le contrôle de la Commission Electorale
Nationale Autonome.
L’association forte entre registres de l’état civil et registres de population m’apparaît
être l’un des meilleurs moyens permettant de documenter l’identité des individus, en
particulier en matière électorale.
Je reprendrai l’excellente image du Professeur René De Groot, professeur de droit
comparé et de droit international privé à l’Université de Maastricht, l’Université d’Aruba et
l’Université de Hasselt lors de sa communication au colloque L’Etat civil au 21e siècle :
Déclin ou Renaissance ?. Notant la relation étroite entre registres de la population et registres
de l’état civil, il a utilisé l’expression de « frères siamois » : ils ont en partie leur vie propre et
leur propre identité, mais ils ont aussi des organes en commun.
En effet, en cette matière, l’absence de lien est source d’erreurs, d’omissions ou de
doublons de nature à mettre en doute la qualité de la liste électorale et, partant, à nuire
considérablement à la crédibilité des opérations électorales, et donc à la légitimité des élus.
Le Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans
l’espace francophone 2012 de l’Organisation Internationale de la Francophonie (O IF) aboutit
à un constat identique au mien : « les missions électorales organisées par l’OIF montrent que
la plupart des pays, notamment ceux du Sud, éprouvent encore de sérieuses difficultés pour
identifier et enregistrer les électeurs en vue de la constitution des listes électorales. Les
constats relevés au cours de ces vingt dernières années montrent que ces difficultés sont
11
principalement liées à l’absence ou à une mauvaise tenue du registre d’état civil qui empêche
l’élaboration d’une liste électorale reflétant l’ensemble de la population en âge de voter ».
Dans ces conditions, les actions d’assistance et de soutien mises en œuvre à juste titre
en matière électorale verraient leur pertinence accrue si elles s’accompagnaient d’actions de
soutien et d’assistance et d’un effort financier portant sur la tenue, la protection et la mise à
jour des fichiers d’état civil.
Le bénéfice en serait d’ailleurs large : toute la population – et non seulement les
électeurs – en tirerait profit, pour un large éventail d’activités (cf. supra). Nous en
bénéficierons nous aussi, les législateurs. En effet, la sous déclaration, en faussant les données
démographiques, en empêchant le calcul de statistiques nationales précises, empêche par
conséquent la mise au point de politiques et de programmes adaptés, notamment la
planification de services sociaux adéquats, la construction d’écoles, la formation
d’enseignants, d’infirmiers et de médecins, etc.
Par ailleurs, l’amélioration de la fiabilité des fichiers d’état civil ayant un effet positif
mécanique sur la crédibilité des listes électorales, on peut estimer que le besoin d’assistance
technique et financier ciblé sur ces dernières se trouverait réduit à terme. Il s’agit donc là plus
d’une allocation différenciée des ressources disponibles que d’un accroissement, ce qui est
important dans un contexte financier contraint.
Ce souci d’améliorer la fiabilité de l’identification de la « population qui vote » est
d’ailleurs largement partagé par les pays de notre espace francophone, comme le démontrent
les nombreux projets en cours visant à passer à un degré supérieur de sécurisation de l’identité
par l’utilisation des technologies biométriques.
III.- Etat civil, identité et biométrie
Par l’état civil, il s’agit, enfin, d’officialiser, dès la naissance, une identité permanente.
Or dans notre espace, le recours à la biométrie pour sécuriser cette identité permanente
se généralise. Se pose donc en corollaire la question de la protection des données personnelles
et des libertés publiques, qui concerne au premier chef la commission des Affaires
parlementaires.
La délivrance des titres d’identité, tout comme leur contrôle sur le territoire national et
à son entrée, correspondent à l’une des prérogatives d’un Etat régalien exerçant pleinement sa
souveraineté. Elle touche donc aux notions d’ordre et de sécurité.
Mais elle renvoie aussi à l’idée de simplification et de modernisation administrative, et
donc de « service rendu » au citoyen. En effet, la sécurisation apportée par l’existence du
composant électronique se double d’une meilleure sécurisation du support physique du titre
(garantie de longévité et de bonne conservation) mais aussi de la sécurisation de la production
et de l’acheminement du titre (source de traçabilité et de simplification administratives,
12
réduction des délais en particulier). Elle permet aussi l’émergence de nombreux projets
connexes (permis de conduire, certificats d’immatriculation de véhicules, visas, état civil, etc.
Les données biométriques prennent en compte les différences morphologiques et
biologiques qui distinguent un individu d’un autre et permettent de l’identifier parmi des
millions.
Elles permettent l’authentification d’un individu : on vérifie que l’identité alléguée
par une personne est exacte, en comparant les données biométriques de l’intéressé avec celles
que l’on associe à l’identité alléguée, inscrites sur un support dont ce dernier conserve la
maîtrise. L’image numérisée des empreintes digitales (deux en France) du détenteur sont
comparées avec celles contenues dans le composant électronique (« puce ») du passeport par
exemple.
C’est en effet d’abord par le biais des documents de voyage que les Etats ont décidé de
recourir aux technologies de reconnaissance physique ou biologique des individus.
L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale et les Etats-Unis exigent, avant 2015 pour
la première et depuis le 26 octobre 2006 pour les seconds, l’intégration d’au moins une
donnée biométrique dans les titres de voyage. Les réponses des sections montrent bien
l’impact que ces exigences ont eu sur les réglementations nationales.
A terme, nul Etat ne pourra s’y soustraire s’il souhaite que ses ressortissants puissent
sortir de ses propres frontières.
Le Canada va plus loin encore, en prévoyant qu’à compter du printemps 2013, tous les
passeports canadiens comporteront des éléments de sécurité qui permettront une identification
faciale assistée par ordinateur. Deux programmes sur inscription volontaire des voyageurs
considérés à faible risque et acceptation préalable par les autorités des services frontaliers
font, quant à eux, appel aux données biométriques (empreintes digitales et scan de l’iris) : les
programmes CANPASS-Air (canadien) et NEXUS (américano-canadien).
Une étape supplémentaire vise à l’identification d’un individu. Il s’agit ici de
déterminer l’identité d’une personne à partir de données biologiques. Elle requiert la
constitution d’un fichier central regroupant toutes les empreintes connues et les associant à
une identité donnée.
La lutte contre la fraude à l’identité (électorale ou générale) est ainsi mise en avant
pour étendre la biométrie aux cartes nationales d’identité, aux cartes d’électeur. Le premier
projet français en la matière, en 2005, prévoyait quatre fichiers centraux : un fichier d’état
civil, un fichier d’empreintes digitales, un fichier d’images faciales numérisées, un fichier des
titres avec l’identité et un fichier archivant les justificatifs scannés présentés lors du dépôt de
la demande du titre. Le Sénégal souhaite utiliser la biométrie pour sécuriser l’unicité de la
personne enregistrée et ainsi assurer la fiabilité du fichier électoral, mise en doute par des
partis d’opposition. La Gabon est pionnier en la matière, et a mené depuis 2011 une réflexion
nationale qui a abouti à un consensus pour établir un registre électoral sécurisé avant les
élections locales de 2013.
La biométrie offre incontestablement des solutions nouvelles pour mieux sécuriser les
titres d’identité, qu’il s’agisse de l’identité des voyageurs, des électeurs, ou des citoyens. Mais
les données biométriques ne sont pas des données à caractère personnel comme les autres.
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Elles permettent en effet à tout moment l’identification de la personne concernée sur la base
d’une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps et dont elle ne peut
s’affranchir. Elle n’est pas attribuée par un tiers ou choisie par la personne.
Confier ses données biométriques à un tiers, lui permettre de les enregistrer et de les
conserver n’est donc pas un acte anodin, une simple facilité de gestion. Car toute possibilité
de détournement ou de mauvais usage de cette donnée fait peser un risque majeur sur son
identité.
La constitution de fichiers centralisés de données biométriques pose alors trois
questions du point de vue de la protection des données et des libertés publiques.
La création de telles bases de données implique des sécurités techniques complexes et
nombreuses, dans la mesure où un fichier est d’autant plus vulnérable, « convoité » et
susceptible d’utilisations multiples qu’il est de grande dimension, qu’il est relié à des milliers
de points d’accès et de consultation, et qu’il contient des informations très sensibles comme
des données biométriques.
Etant susceptible d’être utilisée à d’autres fins que celles prévues initialement, il est
possible que la personne perde la maîtrise de sa donnée biométrique détenue par un tiers.
Mais surtout, une base centrale nationale correspondant aux données biométriques des
cartes nationales d’identité, voire du fichier d’état civil, permet de croiser à la fois l’identité
civile et légale et l’identité physique des individus, au risque d’atteintes graves aux libertés
publiques. Car qui dit fichier dit possibilité de tri à partir de ses données biométriques, mais
aussi d’autres éléments comme le nom, etc.
Le 22 mars 2012, le Conseil constitutionnel français a ainsi jugé, dans sa décision
2012-652 DC, que la création d’une base de données personnelles (état civil et domicile du
titulaire, taille, couleur de ses yeux, deux empreintes digitales et photographie) pour la
délivrance du passeport et de la carte nationale d’identité, concernant la quasi-totalité de la
population de nationalité française, permettant l’identification du demandeur d’un titre
d’identité ou de voyage en interrogeant ladite base au moyen de ces données particulièrement
sensibles car étant par elles-mêmes susceptibles d’être rapprochées de traces physiques
laissées involontairement par la personne ou collectées à son insu, sans que les
caractéristiques techniques de ce fichier permettent d’éviter son interrogation à d’autres fins
que la vérification de l’identité d’une personne, portait au droit au respect de la vie privée une
atteinte disproportionnée au but poursuivi.
Il a par conséquent censuré la création de cette base de données prévue par l’article 5
de la loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité.
La biométrie est donc complexe à mettre en œuvre et nécessite au préalable une
réflexion globale pour être performante.
Cette réflexion, notre espace francophone la mène, et la mène bien.
A Kinshasa en 2012, les chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage
ont à la fois souligné les défis électoraux, nombreux, à relever dans l’espace francophone et
« réaffirmé leur volonté de contribuer à l’édification d’une société de l’information ouverte,
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transparente et démocratique » et « à l’adoption de normes mondiales et de législations
nationales définissant les principes d’une protection effective des données personnelles. »
Notre espace dispose pour atteindre l’objectif fixé à Kinshasa de deux outils que je
crois performants : l’Association francophone des autorités de protection des données
personnelles (AFAPDP)4, qui a pour objet de valoriser et partager des bonnes pratiques en
matière de protection des données personnelles, d’une part, et le Réseau des compétences
électorales francophones (RECEF), d’autre part.
Tous les deux ont mis à leur ordre du jour à la fin de l’année dernière les enjeux
relatifs à la biométrie en matière électorale, ce qui nous montre bien l’importance que cette
question doit avoir pour notre Commission des Affaires Parlementaires, et le rôle que nous
tous pouvons et devons jouer pour sensibiliser et de mobiliser les parlementaires
francophones, lors de la constitution et/ou de la mise à jour des fichiers d’état civil et des
listes électorales, sur les questions de fiabilité et d’interopérabilité des fichiers, ainsi que sur
celle de la protection des données personnelles.
L’AFAPDP a consacré un atelier de son assemblée générale annuelle en novembre
2012 à cette question, et le RECEF a organisé un séminaire d’échanges d’expériences et de
pratiques utiles en décembre 2012, au Gabon, avec des études de cas pratiques (Guinée et
Côte d’Ivoire), et des ateliers sur les choix technologiques, sur le management des projets de
biométrisation, sur la formation adéquate des organes chargés des élections et sur la
protection des droits des électeurs et sur la question des coûts de financement, sans oublier la
question de la maitrise du coût.
Cette dernière question n’est pas négligeable. J’en veux pour preuve le coût qu’a
entrainé pour la Suisse la mise en place du système Infostar (10 millions de CHF, sa mise en
œuvre a duré deux ans de plus que prévu et couté plus de deux fois le montant estimé au
départ) ou pour Monaco la mise en place d’une carte d’identité biométrique (environ 900 000
€, somme à laquelle il convient d’ajouter de frais de maintenance s’élevant sur cinq années à
258 000 €). Au Luxembourg, le coût de l’introduction de nouvelles cartes d’identité
biométriques est estimé à plus de 2 millions €. Le Sénégal estime pour sa part que le coût de
son opération tourne autour de 30 milliards de francs CFA (soit 45,7 millions €).
* * *
4 L’AFAPDP est l’un des quinze réseaux institutionnels soutenus par l’OIF et elle rassemble les autorités de
protection des données personnelles des pays de la Francophonie (une trentaine d’autorités adhérentes), les
représentants et experts des Etats intéressés par l’adoption d’une législation sur la protection des données
personnelles et les organisations régionales et internationales concernés par le sujet, soit au total plus de
cinquante experts francophones du droit à la protection des données personnelles. Aujourd’hui, 40 pays membres
de l’OIF disposent d’une législation en ce domaine
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Je conclurai d’un mot en reprenant la leçon d’Alain Touraine dans sa communication
sur « Etat civil, identité et identification » au colloque L’Etat civil au 21e siècle : Déclin ou
Renaissance ? : l’état civil libère les hommes et les femmes en leur permettant d’exercer leurs
droits, il ne doit donc pas les asservir.
Il faut donc permettre à nos concitoyens d’accéder facilement aux services d’état civil,
pour s’y enregistrer et pour pouvoir avoir facilement accès à la preuve de leur état civil.
Proximité, accessibilité, sécurité doivent être les mots clés. Il faut lutter contre la fraude, bien
sûr, mais il ne faut pas oublier que l’état civil étranger porte aussi l’état de la personne qu’il
concerne, et il faut reconnaître cet état.
Dans ce cadre, l’informatisation de l’état civil est un outil précieux pour faciliter
l’information et la circulation réciproques. Mais il nous revient de veiller à ce que ce qui
libère n’opprime pas. Nous percevons bien l’utilité de la biométrie, en particulier en matière
électorale. Mais un principe essentiel doit guider chacune des phases successives de sa mise
en œuvre, celui du respect de la proportionnalité entre les objectifs poursuivis et les moyens
déployés, d’une part, et les atteintes éventuellement portées aux libertés individuelles, d’autre
part.
Enfin, parce que nous sommes, tous, parlementaires et, pour certains, élus locaux, je
veux aussi dire un mot des officiers d’état civil, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui
ont la – parfois lourde – tâche d’accomplir cette mission fondamentale, comme nous venons
de le voir.
Autrefois, c’était essentiellement un écrivain public. Aujourd’hui, il est nécessaire
qu’il ait des connaissances en droit de la famille, en droit international privé, en droit de la
nationalité et en droit des personnes. Ce sont des acteurs essentiels, il convient que leurs
soient donnés tous les moyens, notamment humains, pour qu’ils s’acquittent de leurs
fonctions au service de nos concitoyens.
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Annexe 1
L’état civil à Mayotte.- Choses vues dans le cadre de la mission d'information de M. Jean-Jacques
HYEST, Mme Michèle ANDRÉ, MM. Christian COINTAT et Yves DÉTRAIGNE,
au nom de la commission des lois, en 2008
Jusqu’en 2000, les Mahorais pouvaient avoir soit le statut civil de droit commun français, soit
être soumis au statut personnel. Cette dualité de statuts civils s’accompagnait d’un double système
d’état civil : soit de droit commun, soit de droit coranique, dépendant alors des cadis.
L’état civil des personnes ayant le statut de droit commun n’était parfois pas davantage fixé
que celui des personnes soumises au statut personnel en raison du très mauvais état des anciens
registres, mal tenus, abîmés, voire perdus.
L’ordonnance n° 2000-218 du 8 mars 2000 a créé un service d’état civil de droit commun dans
chaque mairie, une commission de révision de l’état civil (CREC) étant chargée de reconstituer les
actes antérieurs à cette date, soit :
– fixer les nom et prénoms des personnes de statut civil de droit local nées avant le
8 mars 2000 ;
– établir les actes d’état civil (naissance, mariage, décès) destinés à suppléer les actes
manquants, les actes perdus ou détruits ou ceux dont l’état de conservation ne permet pas
l’exploitation, les actes irréguliers, les actes devant être inscrits sur un registre d’état civil de droit
commun alors qu’ils l’ont été à tort sur un registre de droit local ou inversement.
Le travail de la CREC impliquait donc la mise à jour par radiation des anciens registres, la
constitution de nouveaux registres pour chaque année passée et, le cas échéant, la mention sur tous les
actes existants postérieurs à mars 2000 établis sur le fondement des anciens actes de naissance, des
modifications induites par les décisions de la commission.
Or les Mahorais de statut personnel sont désignés par une série de vocables, sans distinction
du nom et du prénom. Les notions de nom et de prénom n’avaient donc aucun sens pour les Mahorais
les plus âgés. De plus, le nom et le prénom des personnes relevant du droit commun n’étaient parfois
pas davantage fixés que ceux des personnes relevant du statut personnel. La situation était également
compliquée par le fait que de nombreux Mahorais ignoraient de quel statut civil ils relevaient et
établissaient un lien direct entre l’appartenance à la religion musulmane et le statut personnel.
Les exigences des administrations dans un contexte de fort soupçon de fraude documentaire,
combinées à l’extrême lenteur des travaux de la CREC, aboutissaient à rendre les Mahorais étrangers à
Mayotte. Un seul exemple des difficultés liées à l’absence d’état civil initial : une femme qui aurait eu
deux enfants, l’un avant de fixer son état civil et l’autre après, pourrait ne pas avoir la même identité
pour chacun des deux enfants, entrainant par ricochet des difficultés pour l’obtention des prestations
familiales ou la confection de passeports.
En décembre 2009, la CREC avait pris 69 100 décisions donnant lieu, suivant les cas, à
l’établissement de divers actes de naissance, de mariage ou de décès – en moyenne 3,5 actes par
décision. En août 2010, elle avait encore 11 858 dossiers en stock : 3 627 dossiers incomplets –
notamment détériorés par inondation ou submersion, et donc difficiles à déchiffrer – et 8 231 dossiers
complets, en état d’être instruits. En outre, 3 000 décisions étaient en attente.