Eternité Bla Blaaa

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  • 8/12/2019 Eternit Bla Blaaa

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    Poke : Huda Amal :D

    COMMENTAIRE

    Chanson spirituelle ou romance paenne ?

    "Je disais adieu au monde dans d'espces de romances ...

    Je m'offrais au soleil, dieu de feu ..." (Alchimie du verbe)

    On connat trois versions de "L'ternit" dont chacune pourrait lgitimement tre prfre aux

    deux autres :

    La premire est celle que l'on trouve gnralement reproduite dans les ditions courantes. C'est laseule pour laquelle nous possdions un fac-simil du manuscrit. On la considre parfois plussduisante, sur le plan littraire, que celle insre par Rimbaud dans Une saison en enfer (notre"troisime").

    La seconde est, d'aprs Steve Murphy, une correction de la premire, due Rimbaud lui-mme. Eneffet, l'inversion des strophes 4 et 5 qu'on y observe se retrouve dans la version 3, dont l'ultrioritest incontestable ; son titre sans article est confirm par une table des matires autographe ajouteaprs coup dans le dossier Richepin des "Ftes de la Patience" (cf. Steve Murphy, O.C. Champion, I,p.777-780 et IV, p.562 et sqq.). Cette seconde version devrait donc logiquement tre prfre ...Mais nous n'en avons pas le manuscrit, ce qui rend l'dition un peu hasardeuse.

    La troisime, celle insre dans le chapitre "Alchimie du verbe" d'Une saison en enfer, est la seule avoir t publie par l'auteur... Mais elle prsente certaines modifications un peu droutantes.

    Voici les textes (je place des accents sur les majuscules, leur absence dans les manuscritsrimbaldiens s'expliquant exclusivement, selon moi, par les variations contingentes de nos pratiquestypographiques) :

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    Version 1 Autographe. Reproduitd'aprs le fac-simil

    publi par Messein(1919). L'ternit

    Elle est retrouve.Quoi ? L'ternit.C'est la mer alleAvec le soleil

    me sentinelle,Murmurons l'aveuDe la nuit si nulleEt du jour en feu.

    Des humains suffrages,Des communs lansL tu te dgagesEt voles selon.

    Puisque de vous seules,Braises de satin,Le Devoir s'exhaleSans qu'on dise : enfin.

    L pas d'esprance,Nul orietur.Science avec patience,Le supplice est sr.

    Elle est retrouve.Quoi ? L'ternit.C'est la mer alleAvec le soleil.

    Mai 1872

    Version 2 Autographe. Reproduitd'aprs la versionimprimede La Vogue (1886).

    ternit Elle est retrouve.Quoi ? L'ternit.C'est la mer alleAvec le soleil.

    me sentinelle,Murmurons l'aveuDe la nuit si nulleEt du jour en feu.

    Des humains suffrages,Des communs lans,Donc tu te dgages :Tu voles selon...

    Jamais l'esprance,Pas d' orietur ,Science avec patience...Le supplice est sr.

    De votre ardeur seuleBraises de satin,Le Devoir s'exhaleSans qu'on dise : enfin.

    Elle est retrouve.Quoi ? L'ternit.C'est la mer alleAvec le soleil.

    Version 3 Manuscrit inconnu.Reproduit d'aprs l'ditionoriginale dela Saison (1873).

    Elle est retrouve !Quoi ? l'ternit.C'est la mer mle

    Au soleil.

    Mon me ternelle,Observe ton vu Malgr la nuit seuleEt le jour en feu.

    Donc tu te dgagesDes humains suffrages,Des communs lans !Tu voles selon...

    Jamais l'esprance.Pas d' orietur .

    Science et patience,Le supplice est sr.

    Plus de lendemain,Braises de satin,

    Votre ardeurEst le devoir.

    Elle est retrouve ! Quoi ? l'ternit.C'est la mer mle

    Au soleil.

    Chacune de ces versions permettant d'affiner la lecture des autres, je choisis donc de suivre lapremire (celle qui est plus frquemment dite et commente), mais en la confrontantsystmatiquement aux deux versions suivantes (ce que font d'ailleurs la plupart des commentateurs).

    Je signale par ailleurs que ce pome nigmatique prsente quand mme pour le malheureuxexgte cet avantage d'tre insr dans deux ensembles qui permettent de l'clairer et auxquels jeme rfrerai aussi de faon rcurrente :

    1) L'ensemble constitu par ce qu'on a appel les "chansons" du printemps 1872. "Ftes de lapatience", "Comdie de la soif" et "Ftes de la faim", notamment, offrent des convergencessignificatives : mtres brefs (pentasyllabes, octosyllabes) ; effets de refrains ; versification laxiste ;

    tours populaires ; thmes du vouloir-mourir et du vouloir-devenir-bte pour s'anantir et se fondredans la nature, la nourrir et se nourrir d'elle, s'pandre dans son infinit, participer son ternit, serassembler dans son unit (le thme rappelle le Baudelaire de De profundis clamavi : "Je jalouse le

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    sort des plus vils animaux / Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide, / Tant lcheveau dutemps lentement se dvide !").

    2) L'environnement qui est celui du pome dans Alchimie du verbe. Cet environnement constituepar bien des aspects une sorte d'introduction au texte, il apporte un double clairage biographique

    et thmatique.

    Le lecteur trouvera aisment ces textes, s'il ne les connat dj par cur, dans la rubrique ad hocde ce site.

    On a parfois utilis, pour dfinir les "chansons" de l'anne 1872, l'pithte de "chansonsspirituelles" utilise par Rimbaud dans Bannires de mai :

    Aux branches claires des tilleuls

    Meurt un maladif hallali.

    Mais des chansons spirituelles

    Voltigent parmi les groseilles.

    Yves Bonnefoy, dans son Rimbaud par lui-mme (ditions du Seuil, 1961), se montre convaincu de ceque le pote, "en mai ou juin 1872, [...] se tourne nouveau, dans son dsarroi, vers la religion deson enfance. Cela n'est pas douteux" (p.82). Jean-Luc Steinmetz (Reconnaissances, Ccile Defaut,2007) n'en doute pas davantage, "L'ternit" est un pome d'inspiration spiritualiste : "Lternit sedonne dabord comme une certitude, et je ne vois pas de lecteurs assez obtus pour remettre encause pareille affirmation." Ces butors, ces mauvais lecteurs, seraient videmment, pour JLS, ceuxqui saviseraient de proposer une interprtation athe et matrialiste du pome, comme jadistiemble, par exemple : "L'ternit, c'est la joie de l'instant, pour celui qui retrouve l'esprit paen, lamer, le soleil, la nature" (Rimbaud, Pages choisies, Classiques Larousse, 1957, p.70). Alors : chansonspirituelle ou romance paenne ? Bernard Meyer, seul critique, ma connaissance, avoir publi surce pome une analyse dtaille, semble pencher en faveur de la seconde de ces lectures mais, parprudence sans doute, reste souvent fort hsitant. Il est vrai que la syntaxe elliptique du texte, qui est

    un peu le propre du genre "chanson" mais qui s'explique surtout par la volont de Rimbaud dedonner sa pense une tournure fantasque gnre par endroits des difficults d'interprtationpresque insurmontables. En consquence de quoi l'on ne saurait trop recommander au lecteur laplus extrme circonspection l'gard de ce qu'il va lire ci-dessous.

    Elle est retrouve.

    Quoi ? L'ternit.

    C'est la mer alle

    Avec le soleil

    Strophe 1 (refrain)

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    Paraphrase

    Le texte s'ouvre sur un cri de joie, une sorte d'"Eurka!". Puis, le pote s'interroge sur le sens de

    l'illumination qui vient de le visiter : il a retrouv (se dit-il), dans un spectacle de la nature ("la meralle / Avec le soleil" : "la mer mle / Au soleil" dira Rimbaud, plus simplement, dans "Alchimie duverbe"), l'ternit perdue en mme temps que la foi chrtienne.

    Scolies

    1 - On reconnat dans le pome les codes linguistiques du lyrisme la premire personne et dudialogue de soi soi. Dans la strophe 1, on note un jeu de questions-rponses et un tiret (vers 2)destin marquer le changement d'nonciateur. Cette typographie est abandonne dans lesversions suivantes, sans doute parce que Rimbaud a trouv un peu incohrent cet unique tiret, dslors qu'il ngligeait de placer les autres tirets thoriquement ncessaires au dbut des vers 1, 2, 3(parce que cette prsentation tait juge trop lourde, probablement.) La strophe 2 introduit un verbe la premire personne (un impratif de premire personne du pluriel : "murmurons") et nouspermet d'identifier les deux interlocuteurs en prsence : le pote et son me (dsigne parl'apostrophe : "me sentinelle"). la strophe 3, nous rencontrons le pronom sujet de deuximepersonne : "tu" (dsignant l'me). Strophe 4, c'est une deuxime personne du pluriel qui apparatcomme destinataire du discours du pote. Comme nous le verrons ultrieurement, c'est maintenantaux "braises de satin", c'est dire probablement au soleil, que le pote s'adresse. On notera quedans la version 3, au dbut de cette quatrime strophe, apparat un tiret qui ne saurait tre un tiretde dialogue puisqu'il n'y a pas cet endroit de changement d'nonciateur. Rimbaud a peut-tre

    voulu matrialiser par une ponctuation plus forte ce changement de destinataire dont nous venonsde parler : la substitution du soleil l'me comme destinataire du discours du pote. Nous yreviendrons.

    2 - Si l'ternit est ici "retrouve" par celui qui dit "je" dans le pome, c'est qu'elle a tpralablement "perdue" : dans quel sens ? Certains ont avanc la possibilit d'une significationmythique, voire thologique : c'est toute l'humanit qui a perdu l'ternit, lorsqu'elle a t chassedu paradis terrestre aux termes de la Bible, ou la fin de l'ge d'or dans certaines mythologiesantiques (cf. Bernard Meyer, op. cit. p.150). Personnellement, j'opterais plutt pour uneinterprtation de type autobiographique, avec la valeur largie que Rimbaud confre souvent son

    exprience personnelle : c'est en perdant la foi que le sujet lyrique (plus gnralement l'hommemoderne) a perdu "l'ternit", c'est--dire lorsqu'il a cess de croire la Promesse chrtienne, ausalut, l'ternit de l'me. Or, il retrouve cette ternit dans le spectacle de la nature.

    3 - En quoi le spectacle de "la mer alle / avec le soleil" est-il porteur d'une ide d'ternit ? Sansdoute parce que nous associons communment l'image de la mer et celle du ciel, cause de leurimmensit, une ide d'infini (infini spatial). Peut-tre aussi une ide de permanence : l'ternel retourdu jour et de la nuit, la vie cyclique de la nature (infini temporel). Mais comment interprter ce :"alle avec" ? La variante de la version 3 : "C'est la mer mle / Au soleil", permet apparemment demieux comprendre le sens de ces vers : il s'agit de clbrer la faon dont la nature, dans le spectacle

    qu'elle offre parfois l'homme, dans l'exprience potique que celui-ci peut faire du monde, permet l'me d'accder une sensation d'harmonie et de plnitude, dans laquelle il peut trouver unquivalent de ce bonheur parfait que les religions promettent l'homme ... aprs la mort. Victor

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    Hugo exprime souvent dans ses textes (je pense "claircie", par exemple, dans les Contemplations)cette ide que la nature, dans ses moments privilgis, adresse l'homme un message decommunion gnralise et d'amour universel. Dans "Bannires de mai", Rimbaud exploitait de faontrs voisine cette ide de fusion des contraires dans l'unit du cosmos : "l'azur et l'ondecommunient". Souvenons-nous aussi de "Sensation", o Rimbaud rotisait explicitement son rapport la nature : " Par la Nature, heureux comme avec une femme". En permettant au sujet d'accder une intense satisfaction sensuelle, l'extase matrielle, l'exprience lyrique offrent au pote uneforme profane de l'exprience mystique, un quivalent profane de l'ternit promise par lesreligions.

    4 - On s'interroge malgr tout sur les raisons qui ont pouss Rimbaud corriger son texte dans"Alchimie du verbe" et sur le sens prcis qu'il convient de donner la formulation de 1872. Jean-Pierre Richard, dans Posie et Profondeur (Seuil, 1955, p.217), estime que la variante d'"Alchimie duverbe" ("C'est la mer mle / Au soleil") est infrieure la rdaction antrieure o "l'union des deuxextrmes sensibles, eau et feu, ne se spare pas du mouvement qui les attire l'un vers l'autre, et quiles pousse en mme temps, l'un avec l'autre vers un autre espace et vers un autre temps, vers uneautre substance, une et ambigu, une eau de feu". La plupart des commentateurs se rangent sousson autorit. Ren tiemble, toutefois, donne de la formulation de 1872 une interprtation plusprosaque : "Que l'on dise 'alle avec le soleil' ou 'mle au soleil', la connotation sexuelle est chaquefois vidente. Une fille qui va avec un garon, cela signifie, en franais, qu'elle a des relationscharnelles avec lui ; dans le langage familier ou vulgaire, se mler , se mlanger avec comportentaussi une signification sexuelle" (Sur les "Chansons spirituelles", Revue de l'Universit de Bruxelles,Lectures de Rimbaud, 1/2, 1982).

    Personnellement, je me suis toujours demand s'il ne fallait pas donner la formulation de 1872(version 1) une signification en partie diffrente de celle qui ressort de la version d' "Alchimie duverbe" (version 3). Ne pourrait-on pas entendre derrire cette "mer alle avec le soleil" une mer enalle avec le soleil, c'est--dire disparaissant avec lui lors qu'il se couche, un crpuscule... ? Il y auraitdj dans la strophe 1 du pome, selon cette hypothse, une premire allusion au cycle solaire, idequi sera au centre de la strophe 2 : l'ternel retour de la nuit et du jour, l'ternit retrouve dans lapermanence de la nature en quelque sorte, forme matrialiste du sentiment d'ternit. Verlaineparat l'avoir compris ainsi comme le montre cette variation infime mais significative laquelle ilsoumet le texte dans Les Potes maudits :

    Elle est retrouve

    Quoi ? L'ternit.

    C'est la mer alle

    Avec les soleils.

    Si telle tait l'intention de Rimbaud dans sa premire rdaction du pome, il faut bien constater quela variante d'"Alchimie du verbe" en supprime toute trace. Cette troisime version, en tous cas,simplifie le texte et laisse intacte la question de savoir ce que le Rimbaud de 1872 avait exactementen tte en rdigeant son clbre refrain.

    5 - Bernard Meyer pense que cette premire strophe peut donner lieu tout aussi lgitimement "deux interprtations contraires : euphorique et dysphorique" (op. cit. p.150). Le texte contredit

  • 8/12/2019 Eternit Bla Blaaa

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    absolument la seconde hypothse, selon moi. Certes, l'ternit dont le sujet lyrique vient d'avoir larvlation n'est que "la mer alle / Avec le soleil", elle n'est qu'une version matrielle, voirematrialiste, du concept d'ternit, elle n'a rien voir avec la notion thologique du mme nom.Mais tout montre, en ce dbut de texte, que sa dcouverte plonge le pote dans un tat deravissement. Le vers 1 a l'allure d'un "Eurka !", un cri de joie donc. Le point d'exclamation queRimbaud ajoute dans la version 3 confirme cette interprtation. La phrase qui introduit le pomedans "Alchimie du verbe" indique aussi l'enthousiasme de la faon la plus nette (je souligne) :

    Enfin, bonheur, raison, j'cartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vcus, tincelle d'or de lalumire nature. De joie, je prenais une expression bouffonne et gare au possible [...].

    L'impression initiale, tout au moins, est donc celle d'une joie intense. C'est l 'exprience immdiated'un sentiment d'ternit dans un moment d'abandon de soi, dans l'extase d'un instant (face unpaysage, peut-tre). Je me range l-dessus entirement sous la bannire d'tiemble : "L'ternit,c'est la joie de l'instant, pour celui qui retrouve l'esprit paen, la mer, le soleil, la nature" (Classiques

    Larousse, 1957, p.70).

    me sentinelle,

    Murmurons l'aveu

    De la nuit si nulle

    Et du jour en feu.

    Strophe 2

    Paraphrase

    son me inquite du salut, le pote demande de reconnatre qu'il n'y a rien d'autre attendre,dans ce bas monde, en guise d'ternit, que le renouvellement sans fin du cycle du temps : lasuccession des jours, crass de soleil, et des nuits vides o l'homme se sent solitaire et abandonn[...].

    Scolies

    1 - La locution "me sentinelle" est sans mystre : l'homme occidental, le chrtien, est en attente decette ternit de dlices que la religion promet au juste aprs sa mort. Le mot-cl du quatrain estpour moi le mot "aveu". Avouer, c'est reconnatre une action blmable ou une erreur. L'emploi

  • 8/12/2019 Eternit Bla Blaaa

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    contigu du verbe "murmurer" renforce ce sens. On "murmure" ce qui ne doit pas tre entendu, ceque l'on prfrerait taire. Mais que veut dire : "l'aveu / De la nuit si nulle / Et du jour en feu" ?

    L encore, me semble-t-il, la modification apporte par Rimbaud dans la version d'"Alchimie duverbe" nous est d'un grand secours :

    Mon me ternelle,

    Observe ton vu

    Malgr la nuit seule

    Et le jour en feu.

    Les vers 1-2 confirment notre comprhension du syntagme "me sentinelle". En qualifiant l'med'"ternelle", Rimbaud la dfinit en stricte doctrine chrtienne. L'me est, par dfinition, par

    vocation, en attente d'ternit. Le p ote conjure donc son me d'"observer" son "vu", c'est --direde se conduire conformment ce qu'elle espre. Mais pour cela, elle doit vaincre un obstacle,comme l'indique bien le sens d'opposition introduit par la conjonction de coordination : "malgr".Cet obstacle, c'est sans doute l'attachement au monde, que le pote rsume par ce symbole de la viehumaine qu'est le Temps, la succession du jour et de la nuit, l'un et l'autre galement hostiles lacrature humaine. La "nuit seule" ne peut signifier que la "nuit o l'on est seul", la nuit solitaire. Le"jour en feu" soumet l'homme un soleil de plomb, dont nous savons par une lettre presqueexactement contemporaine de ce pome, que Rimbaud l'avait en horreur : "et l't accablant [...] jehais l't, qui me tue quand il se manifeste un peu [...] Et merde aux saisons" (Lettre Delahaye de jumphe 72).

    Si nous revenons maintenant la rdaction de 1872, nous comprenons qu'il s'agit pour l'med'avouer, de s'avouer elle-mme, qu'il n'y a rien attendre de ces nuits "nulles", c'est--dire videset de ces jours harassants qui constituent une vie d'homme, qu'il convient de se dgager de toutcela. Et c'est prcisment cette ide que va dvelopper la strophe suivante.

    2 - Cette strophe nigmatique a reu toutes sortes d'exgses. Pierre Brunel, par exemple, dans sondition Rimbaud de la Pochothque (1999, p.349, note 2), semble penser qu'elle prolonge et prcisela prcdente (le "refrain"), que le pote y poursuit la description, la clbration de son piphanie :"La nuit se trouve annule au profit de la lumire solaire retrouve dans toute sa puret, dans tout

    son clat. Cf. la phrase introductive du pome dans Alchimie du verbe : "j'cartai du ciel l'azur, quiest du noir"".

    Cette lecture n'est qu' moiti convaincante. La phrase qui introduit ternit dans Alchimie du verbe("j'cartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vcus, tincelle d'or de la lumire nature") estcertainement un bon rsum, livr par l'auteur lui-mme, de son pome. Sa premire partie peuttre considre comme une explication du syntagme : "la nuit si nulle". Reprenant, semble-t-il, unparadoxe hugolien (cf. "L'tat normal du ciel, c'est la nuit", Le Rhin, Voyages, Laffont, p.33) Rimbauddnonce l'azur du ciel comme une illusion rassurante masquant l'abme interstellaire o,contrairement l'auteur des Contemplations qui cherche y percer un mystre divin, il n'aperoit

    que du vide. La seconde partie de la phrase oppose implicitement cette qute inquite de latranscendance une sorte de culte du soleil, principe de la "nature" et source de cette nergie que lepote rve de s'incorporer, au risque de s'y consumer. Elle annonce les strophes 3 et 4 du pome,mais elle ne me parat pas bien rendre compte du quatrime vers de la strophe 2.

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    En effet, l'expression "jour en feu" peut difficilement passer pour une formule mliorative. La valeurd'opposition de "malgr" dans la version 3 contrarie aussi une telle lecture. Je prfre suivre iciBernard Meyer qui crit : "La nuit, qualifie ici de seule (qu'il faut sans doute comprendremtonymiquement : "o l'on est seul") et le jour en feu, sont prsents comme des opposants(malgr), susceptibles d'empcher l'me d'accomplir sa promesse." (op. cit. p.154).

    Je ne peux pourtant pas suivre ce mme critique lorsqu'il conclut : "Nous sommes en pleine structurechrtienne : en dpit des preuves d'ici-bas, "cette valle de larmes", l'me doit rester fidle Dieu."(op. cit. p.154). Rien ne dit dans le texte que ce soit 'en Dieu' que le sujet trouve accomplir son vud'ternit. Tout au contraire, comme on le verra dans la strophe 4 et comme l'indique explicitementle narrateur de la Saison dans les lignes qui introduisent ce pome, c'est en s'offrant, "les yeuxferms", "au soleil, dieu de feu" (divinit paenne s'il en est), c'est--dire ce mme soleilresponsable de notre "jour en feu". Mais rservons pour plus tard, lorsque nous commenterons lastrophe 4, l'explication de cet apparent paradoxe.

    Des humains suffrages,

    Des communs lans

    L tu te dgages

    Et voles selon.

    Strophe 3

    Paraphrase

    L'me du pote prend son essor pour accomplir son destin : elle s'envole, elle se libre, se dtachedu monde et des hommes, se dtourne des aspirations communes [...].

    Scolies

    1 - Les "suffrages" sont littralement les choix des humains (leurs options existentielles,idologiques). Les "lans" sont les aspirations communes. Vu le contexte, on peut penser que cesformules dsignent ce que j'ai appel dans le commentaire de la strophe prcdente : "l'attachement

    au monde", qui est le lot du commun des mortels.

    La conjonction "donc" qui remplace "l" dans la version version 2 et que Rimbaud a plac en tte destrophe dans la version 3 ("Donc tu te dgages / Des humains suffrages...") nous donne une

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    prcieuse indication. Malgr la contrainte du mtre court qui le pousse faire l'conomie des liensgrammaticaux, Rimbaud tient nous indiquer l'enchanement logique auquel obit son pome : lastrophe 3 est prsente comme la consquence logique de l'"aveu" prconis dans la prcdente :puisque la vie ne mrite pas d'tre vcue, abandonne ce monde.

    Le pote s'adresse encore son me mais le prsent de l'indicatif (mode de l'action relle, temps del'action en cours de droulement) qui prend le relais de l'impratif de la strophe prcdente indiqueun retour au moment initial du pome, celui de l'piphanie. Le pote, en quelque sorte, aprs s'treexhort se librer du monde, "des humains suffrages" et "des communs lans", pour accomplir son"vu" d'ternit (strophe 2), se flicite d'tre en passe d'y russir par la voie de l'extase matriellerelate dans le refrain du pome (strophe 3).

    C'est sans doute ce "dgagement rv" ("Gnie") en voie d'accomplissement que la version de 1872dsignait par un nigmatique adverbe de lieu : "L tu te dgages / Et voles selon." Un adverbe auquelil faut donner toute sa dimension de dictique. "L", prsentement, sous mes yeux ... c'est--dire

    dans ce paysage symbolique qui constitue l'objet de ma vision : "la mer mle / Au soleil". Enremplaant ce "l" par un "donc", dans les versions 2 et 3, Rimbaud semble avoir reconnu lecaractre quelque peu hermtique de sa rdaction antrieure.

    2 - Comme souvent chez Rimbaud l'expression de la libert passe par des mtaphoresascensionnelles. "On notera, crit Bernard Meyer, la prsence prgnante de l'isotopie /mouvement partir de/ (surtout vers le haut) : alle, tu te dgages, lans, tu voles, s'exhale, orietur" (op. cit.p.157). La hardiesse consistant employer la prposition "selon" sans groupe nominal associ,comme si elle tait un adverbe, hardiesse peut-tre suggre Rimbaud par la contrainte mtrique,est une vritable trouvaille. Malgr l'ellipse, le lecteur restitue sans peine le sens global : selon ton

    gr (ide de libert). Et prcisment, l'on ressent la libert prise par Rimbaud avec la grammairecomme un indice de plus du sens appel par le texte. Les critiques font assaut d'loquence pourexprimer l'merveillement qu'ils ressentent devant cette russite. Jean-Pierre Richard : "Cetteprposition prive de complment et comme suspendue dans le vide mme de son envol" (Posie etProfondeur, Seuil, 1955, p.217) ; Bernard Meyer : "Voler selon est la formule de l'accord absolu"(entre l'me et la nature, entre l'me et le cosmos - op. cit. p.156).

    Puisque de vous seules,

    Braises de satin,

    Le Devoir s'exhale

    Sans qu'on dise : enfin.

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    La mme texte ("Bannires de mai") reprend ailleurs la mme ide (l'abandon mortel du pote laNature) en reprsentant le sujet lyrique sous la forme animalise et vanescente d'un insecte qu'unrayon de soleil suffit dtruire :

    Le ciel est joli comme un ange

    L'azur et l'onde communient.

    Je sors. Si un rayon me blesse

    Je succomberai sur la mousse.

    La dizaine de lignes (pomes non compris) qui prcde "L'ternit" dans la Saison voque quatre oucinq reprises ce thme solaire. C'est d'abord la mention des "vergers brls" et du "dsert" o lenarrateur s'offrait "au soleil, dieu de feu". Puis vient la transformation du soleil en un gnral dont lesujet lyrique implore la mort, pour lui-mme et pour le monde :

    "Gnral, s'il reste un vieux canon sur tes remparts en ruines, bombarde-nous avec des blocs de terresche. Aux glaces des magasins splendides ! dans les salons ! Fais manger sa poussire la ville.Oxyde les gargouilles. Emplis les boudoirs de poudre de rubis brlante..."

    Le lecteur retrouve alors, presque l'identique, le motif du sujet rduit la condition d'un insecteminuscule et trivial, que le soleil anantit (version grotesque du mythe icarien) :

    Oh ! le moucheron enivr la pissotire de l'auberge, amoureux de la bourrache, et que dissout unrayon !

    Enfin, l'attraction solaire assimile compltement le pote sous l'aspect microscopique et quasidmatrialis d'un atome de lumire :

    Enfin, bonheur, raison, j'cartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vcus, tincelle d'or de lalumire nature.

    De mme que le chrtien voue son me Dieu, le paen ou l'athe livre donc la sienne au Soleil. Maisque peut bien signifier : "sans qu'on dise enfin", dans ce contexte ? Probablement, tout simplement :sans dlai, sans rpit. C'est dire que celui qui se rend la nature accepte une fin immdiate, unecombustion sans restes (on pense l'expression brler sa vie). Il se soustrait au temps, l'attente desa fin. "Puisque le temps est aboli et que "la mer alle / Avec le soleil", c'est l'ternit", glose PierreBrunel (Rimbaud, Pochothque, 1999, p.349, note 5).

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    Dans la logique du texte, peut-tre pourrait-on envisager un sens supplmentaire, plusphilosophique : celui qui se rend la nature accepte de ne jamais pouvoir dire "enfin, je suis sauv","enfin, voici la mort qui ouvre sur le salut de l'me", il accepte l'ide qu'il n'y a pas de vie aprs lamort, qu'il n'y a pas d'autre ternit que celle de "la mer alle / avec le soleil". Suivre cette loi de lanature, par contre, c'est ce soustraire ce faux Devoir dict par la religion d'avoir attendre la finpour connatre, ventuellement, la dlivrance du salut. C'est le sens du syntagme "de vous seules"dans le premier vers : il n'y a pas d'autre Devoir (familial, social, moral, religieux surtout) que celui de"rire [...]au soleil" (Bannires de mai). L'"ternit" de Rimbaud n'est videmment pas la vie ternelledu christianisme.

    2 - Les variantes des versions 2 et 3 ne remettent pas en cause la signification dgage ci-dessus, aucontraire. Elles semblent correspondre deux motivations : introduire dans le texte une finesse, unetrouvaille lexicale (le double sens du mot "ardeur") ; clarifier le sens de la strophe.

    La version 2 ne remplace que le premier vers, et encore en conservant l'ide contenue dans "de vous

    seules" (l'indice nonciatif et la valeur de l'adjectif) :

    De votre ardeur seule

    Braises de satin,

    Le Devoir s'exhale

    Sans qu'on dise : enfin.

    Rimbaud parvient en fait, en supprimant seulement un connecteur grammatical ("puisque"),

    ajouter dans le cadre mtrique impos un mot plein, un substantif, qui prsente l'intrt de fairesyllepse : "ardeur". Ce terme dsigne en effet tymologiquement l'action de brler, mais il appartientaussi, par mtaphore, au vocabulaire moral pour dsigner l'nergie avec laquelle on accomplit unebesogne ou un devoir. Cette double valeur convient donc parfaitement au sens du texte. Elleconstitue en outre une redondance. Elle rpte l'ide de combustion dj contenue dans "braises" etattire l'attention du lecteur sur son importance pour le sens.

    La version 3 change trois vers sur quatre :

    Plus de lendemain,

    Braises de satin,

    Votre ardeur

    Est le devoir.

    D'une part, en supprimant "s'exhale", jug sans doute un peu vague, et en le remplaant par le verbe"tre" (Votre ardeur EST le devoir), Rimbaud clarifie le sens de la mtaphore des "braises" : le devoir,c'est--dire la Loi qui s'impose aux hommes, EST la mme loi physique que celle de la combustionsolaire. D'autre part, en remplaant "Sans qu'on dise enfin" par "Plus de lendemain", le nouveautexte prcise aussi la signification de la formule : il s'agit de se soustraire au temps, de dire adieu aumonde sans dlai, de mourir tout de suite et compltement dans l'union avec la Nature.

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    3 - Pour cette strophe, c'est dans la premire version (et non dans la troisime, comme pour laprcdente) que nous observons la prsence d'un connecteur logique initial : "puisque", uneconjonction de subordination de cause. L'intention est sans doute la mme que celle qui prsidait au"donc" dans la strophe prcdente : marquer la continuit du raisonnement. Mais nous sommes iciface une dlicate difficult syntaxique : la strophe se termine par un point, la propositionsubordonne conjonctive de cause introduite par "puisque" est donc sans principale. Nous sommesdonc amens a nous interroger : faut-il chercher cette principale dans ce qui prcde ou dans ce quisuit ? La logique plaide en faveur de la premire solution : l'me se dgage et prend son envol ... versle soleil, puisque c'est de lui qu'mane toute loi, tout devoir, puisque c'est lui qui rgne en matre surl'univers, puisqu'il est la divinit aime du pote.

    Mais en inversant les strophes 4 et 5 dans la version 3, Rimbaud sacrifie cette relation logique.Pourquoi ? Sans doute parce qu'il a jug plus fort de conclure sur la puissante affirmation thique dela strophe 4, le devoir qu'il fixe au pote d'avoir brler sa vie dans sa qute du feu solaire, maximedont il renforce l'impact par le dcrochage mtrique des deux derniers vers (trois syllabes au lieu decinq) : "Votre ardeur / Est le devoir".

    L pas d'esprance,

    Nul orietur.

    Science avec patience,

    Le supplice est sr.

    Strophe 5

    Paraphrase

    Le pote affirme nouveau son rejet d'un monde o l'esprance est toujours due, o toute idede salut, toute ide d'une possible aurore ("orietur") est sans cesse renvoye un avenir incertain,son rejet d'une civilisation qui ne sait que prcher la patience et qui fait de la vie humaine unlanguissant supplice.

    Scolies

    1 - "L pas d'esprance, / Nul orietur." Les mots "esprance" et "orietur" disent la mme chose :l'espoir d'un salut. La forme verbale latine "orietur" (littralement: il se lvera) est souvent applique

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    au soleil dans les textes prophtiques. Suzanne Bernard, dans son dition critique des ClassiquesGarnier, cite Malachie, IV, 20 : "Et orietur vobis timentibus nomen meum sol justiciae" (Et se lverapour ceux qui craignent mon nom un soleil de justice).

    Mais comment faut-il comprendre cet adverbe de lieu : "l". O donc Rimbaud ne discerne-t-il

    aucune lueur d'espoir : dans la voie qu'il est en train de suivre, celle qui correspond l'exprienceimaginaire relate par le pome (l'envol vers le soleil, le dgagement rv ?) ou au contraire dansl'exprience courante du monde (les "humains suffrages", les communs lans") ? Les commentateursoptent gnralement pour la premire solution. Ainsi, Pierre Brunel glose dans son dition critique la Pochothque : "Tout terme, tout futur perd sa signification quand le temps est aboli." De mme,Bernard Meyer : "Rimbaud oppose ici le Soleil matriel et actuel de la Nature au soleil spirituel etfutur des religions ou des philosophies, son ternit immanente leur ternit transcendante." (op.cit. p.160). Soit ! Mais alors comment interprter la suite : "Science avec patience, / Le supplice estsr." ? La "science" et la "patience" peuvent-elles tre considres comme des attributs del'exprience potique dcrite par le texte, celle de l'ternit immanente et de l'abolition du Temps ?La jouissance de l'instant peut-elle tre caractrise comme un "supplice" ou comme une voie versun "supplice" ? Quelle est la logique d'une telle suite de propositions ? Quelle est l'unit de cettestrophe ?

    La deuxime solution parat plus simple. Rimbaud pourrait dvelopper dans cette strophe les raisonsde son dgot, qui le poussent dire "adieu au monde". Il y dnoncerait nouveau ce qui fait de lavie un "supplice" : la "nuit seule" et le "jour en feu", c'est--dire notre monotone vie quotidienne quidcourage l'esprance et reporte toujours au lendemain l'avnement d'un orietur ; les "humainssuffrages" et les "communs lans", c'est--dire notre faon de penser traditionnelle qui projette dansun avenir incertain l'accs la lumire ("orietur") et la vrit (la "science"), qui exige de l'hommeune "patience", au double sens de persvrance et de souffrance que ce mot suggre, de par sontymologie. Car c'est bien au spectacle de son impatience que Rimbaud nous convie dans seschansons de 1872 : impatience "que le temps vienne / O les curs s'prennent" ("Chanson de laplus haute tour"), impatience d'une dissolution immdiate et complte dans la communion du GrandTout ("Bannires de mai"), impatience, enfin, d'accder sans attendre l'ternit. Et on retrouverace mme aveu d'impatience, mais avec une dimension autocritique cette fois, dans Une saison enenfer : "Mon esprit, prends garde. Pas de partis de salut violents. Exerce-toi ! Ah ! la science ne vapas assez vite pour nous !" ("L'impossible").

    2 - Ayant peut-tre senti ce qu'il y avait d'obscur dans l'adverbe de lieu introduisant sa strophe,Rimbaud le remplace par "jamais" dans les versions 2 et 3 : "Jamais l'esprance, / Pas d'orietur". Jene jurerais pas que ce "jamais" claire davantage le lecteur. Peut-tre faut-il comprendre,conformment la lecture expose ci-dessus : "jamais nos espoirs d'un salut, d'une aube nouvelle,ne se ralisent dans ce bas monde". On peut aussi s'interroger sur la fonction du tiret que Rimbaudplace au dbut de cette strophe (devenue strophe 4 aprs interversion) dans la variante d'"Alchimiedu verbe". Peut-tre a-t-il voulu placer une ponctuation plus forte pour empcher la lecture que jeconteste ci-dessus, consistant interprter la prsente strophe dans le prolongement de "Tu volesselon...", en y dcelant des caractristiques de l'ternit dcouverte par le pote. Dans cettehypothse, notre tiret soulignerait la division du dveloppement central du pome (dans sa version

    3) en deux couples de strophes de structures semblables, selon le schma :strophe 1 - Refrain / piphanie de l'ternit ("la mer mle au soleil")

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    strophe 2 - Dgot du monde

    strophe 3 - Clbration du dgagement et de l'envol (vers le soleil ?)

    tiret

    strophe 4 - Dgot du monde

    strophe 5 - Clbration du culte solaire

    strophe 6 - Refrain / piphanie de l'ternit ("la mer mle au soleil")

    Elle est retrouve.

    Quoi ? L'ternit.

    C'est la mer alle

    Avec le soleil

    Strophe 6 (refrain)

    Le retour final du "refrain" ramne le lecteur au paysage symbolique o s'origine le pome. Commebien d'autres textes de Rimbaud, celui-ci voque un processus imaginaire de libration (ou de"dgagement rv" selon la clbre formule de "Gnie" dans les Illuminations), une aventurehroque contre-courant des "communs suffrages", en qute d'un Graal qui est ici le soleil, et o lePote, "fils du soleil", "voleur de feu", joue sa vie. L'exprience potique du monde offre l'hommedans certains moments privilgis le pouvoir d'chapper au Temps : voil l'illumination qui vient l'auteur devant l'image de "la mer mle au soleil". Dans le spectacle d'une nature la beautsensuelle et fconde (qu'on se rappelle "Sensation", "Soleil et Chair", "Bannires de mai", etc.), dansl'impression d'infini temporel et spatial qui s'en dgage, le paen qu'est Rimbaud reconnat la seuleternit rellement existante. Non pas le bonheur illusoire que les religions promettent aprs lamort, mais un sentiment d'ternit, disponible ici et maintenant, dans ces moments de ravissementpotique o l'essentiel semble ouvrir une brche dans l'exprience contingente du monde. Dans cesens, il est bien vrai qu'...

    " Elle est retrouve / Quoi ? L'ternit ...". Etc.

    Novembre 2008