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Éthique et dermatologie esthétiqueC Grognard

Résumé. – Le médecin, dans l’exercice de son art, s’engage à respecter les règles de probité et d’éthiquemédicale.Le développement de la partie esthétique de sa spécialité impose au médecin dermatologue une réflexiontoute particulière sur l’éthique en la matière.Les techniques actuelles, particulièrement en dermatologie esthétique où il est souvent question deremodelage de l’apparence physique, sont des moyens de transformation de soi, parfois non sans risque etsans réversibilité. Elles nécessitent une formation technologique supplémentaire au cursus habituel.L’individu risque de ne plus être un sujet libre de son choix, puisqu’il est aussi l’objet de l’action médicale etsouvent le jouet de l’image idéale portée par les médias.En matière d’esthétique, où la santé n’est pas en jeu, mais où la demande est une amélioration du bien-être etde la beauté, le patient doit pouvoir faire son choix des avantages promis comparés aux risques de la méthodethérapeutique. L’information est alors primordiale : elle doit être honnête et raisonnable pour être raisonnée.L’obligation du médecin tend à glisser de la simple obligation de moyens vers une obligation de résultat. Ceciimpose au médecin de s’entourer de toutes les garanties nécessaires (devis, fiches d’information), afin de nepas prêter le flanc à la critique, et d’assurer au patient les meilleures chances d’amélioration.Il reste cependant au médecin le pouvoir de dire non si la demande de son patient lui paraît déraisonnable etcela pour le bien de celui-ci, même si la distinction entre le normal et le pathologique n’est pas toujours facileà faire, tant sont importants le retentissement psychologique d’une imperfection et le poids social du normatifet du beau.© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : éthique médicale, dermatologie esthétique, traitement de l’apparence, information du patient,primum non nocere.

Introduction

Les philosophes, d’Aristote à Spinoza, définissent l’éthique commela science de la morale.Cependant, au-delà de la simple réflexion sur la morale, elleconcerne l’ensemble des règles professionnelles permettant de seconformer à la loi du devoir. Elle est une règle de vie, de bonnesmœurs, de conduite, conforme à l’idéal collectif.La notion d’éthique en dermatologie esthétique n’est ni une réflexionsur les fondements de la morale (sens classique), ni une forme dedéontologie (éthique propre à la profession), car elle est aucroisement entre les impératifs sociaux, la conscience individuelle etles règles professionnelles.Elle est une réflexion permettant à terme de poser les limites del’action, et cela individuellement (en son âme et conscience),professionnellement (suivant le code de déontologie médicale) etsocialement (au regard de l’ensemble de la communauté et de sesvaleurs). La réflexion se déroule donc seule et en concertation afind’articuler ces trois niveaux, le dermatologue restant au final le seuljuge de ses actes et de ses choix [1].

Catherine Grognard : Dermatologue, 15, rue de Bruxelles,75009 Paris, France.

La dermatologie esthétique, en effet, pose des problèmes particuliersliés à sa fonction non obligatoire et à son développementexponentiel. Les dermatologues voient la part esthétique de leurspécialité grandir et faire appel à une technologie de plus en pluspointue et scientifique, notamment dans le traitement de certainesaltérations acquises vasculaires ou pigmentaires diverses, et desstigmates du vieillissement cutané.

Le culte de la jeunesse et de la beauté stéréotypées et la demandeesthétique des patients qui en découle est un phénomène récentcontemporain du développement des médias (journaux, télévision)et du développement des techniques chirurgicales, particulièrementen matière de laser, dont les techniques explosent depuis les 10dernières années.

L’éthique est alors comprise comme une adaptation des principesmoraux à des situations nouvelles, notamment en raison dudéveloppement des techniques applicables à l’être humain.

Elle doit être entendue dans son sens contemporain comme uneréflexion visant à adapter les principes issus de la morale classiqueaux nouvelles situations résultant des modifications de la technique.Par exemple, la possibilité de changer d’apparence physique s’estconsidérablement accrue grâce aux progrès de la chirurgie plastique,des lasers de surfaçage, des possibilités de comblement… Cettepossibilité induit alors corrélativement de nouvelles difficultés,

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Toute référence à cet article doit porter la mention : Grognard C. Éthique et dermatologie esthétique. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Cosmétologie et Dermatologieesthétique, 50-270-F-10, 2002, 3 p.

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notamment liées à la définition de la pathologie et à la question dulibre choix. Jamais ce problème ne s’était posé auparavant, fauted’une puissance d’action suffisante.À l’inverse de l’action dermatologique thérapeutique (curative etpréventive), à effet direct sur le corps, voire indirecte (en soignant lecorps, on soigne le psychisme) qui n’apporte aucune contestationdu corps médical, la partie esthétique de la dermatologie alongtemps eu une connotation superflue et futile, voire vénale. Il y aune dizaine d’années, les universitaires ne voulaient pas entendreparler de dermatologie esthétique. Elle est encore considérée commeune simple médecine de confort, la recherche d’un mieux-être, voireune extension du pouvoir de séduction qui sort la discipline d’unréel acte médical…

Où commence l’esthétiqueet où finit la pathologie ? [3, 4]

Les dermatologues admettent que les nævus, les angiomes, levitiligo, l’acné, le psoriasis, l’eczéma, sont des maladies qui fontpartie de l’enseignement de la dermatologie et répondent à destraitements reconnus et standardisés. Pourtant, aucune de cespathologies n’entame réellement le pronostic vital de l’individu.Elles sont des maladies de l’apparence qui peuvent néanmoinslourdement entraver la qualité de vie. Leur préjudice esthétique estévident et la société en rembourse les soins (du moins en partie, carles produits topiques sont de moins en moins remboursés).En revanche, le vieillissement cutané est considéré comme unphénomène physiologique et sa correction du pur domaine del’esthétique. Pourtant, l’héliodermie ou vieillissement photo-induitconstitue un facteur de risque pour la survenue de cancers cutanéset certaines professions sont particulièrement touchées (marins,agriculteurs). L’héliodermie ne se résume pas toujours à un abusvolontaire de soleil chez des femmes oisives qui s’exposent àlongueur d’année, à dessein de paraître bronzées. Il est ainsi parfoisdifficile de séparer ce qui revient à l’esthétique et à la pathologie.Personne ne meurt d’acné ni de vitiligo. Un mélanome, pour lequelon connaît le rôle inducteur du soleil, peut être mortel… Tout estdonc question de terminologie. Si le vieillissement cutané estphysiologique, on peut néanmoins considérer que l’héliodermie peutêtre pathologique (kératoses préépithéliomateuses, mélanomes,épithéliomas…) [4].

Esthétique et pression sociale

Par ailleurs, l’esthétique touche à l’image de soi et donc aupsychisme. Notre société occidentale est une société basée sur laconsommation et sur le normatif. La beauté et la santé sontreprésentées par la jeunesse, garante de la productivité. La personnea une valeur marchande et l’image de l’actif décideur est celle d’unjeune cadre dynamique. Rester jeune, ou du moins paraître jeune,est un impératif pour rester concurrentiel… Le vieillissement estvécu dans notre société comme une dégradation à retarder le pluspossible, la mort elle-même devenant inacceptable avecl’allongement constant de la durée de vie. De même, la personnequi porte une tache n’entre pas dans le cadre du normatif. Elle estregardée comme « anormale » et donc extraordinaire. La demandede réintégration dans les normes est souvent pressante en cas dedyschromie (nævus, vitiligo, angiome, mélasma). Ce culte de lajeunesse et de la beauté stéréotypées et la demande esthétique despatients qui en découle sont des phénomènes récents contemporainsdu développement des médias (journaux, télévision) et dudéveloppement des techniques chirurgicales, particulièrement enmatière de laser dont les techniques ont évolué considérablementdans les 10 dernières années. [6]

La question est enfin de savoir s’il est plus socialement normal decorriger des cicatrices vermoulantes d’acné que des paupièrestombantes ; s’il est plus normal d’enlever un angiome sur un

membre qu’un tatouage à connotation marginale (geste qui s’inscritalors dans le cadre d’une réinsertion sociale).

Esthétique et psychisme

La limite entre le normal et le pathologique est parfois difficile àestimer lorsque ni le pronostic vital, ni le pronostic fonctionnel nesont en jeu, mais simplement l’image de soi. Tout ce qui touche àl’apparence, la moindre « tache cutanée », peut entraver la relationavec autrui ; parce que cela se voit et que toute relation avec autruipasse d’abord par le regard et donc inévitablement le jugementd’autrui. La peau est le premier organe de relation, notre interfaceavec l’extérieur. Toute altération esthétique peut altérer l’image desoi et donc retentir sur la qualité de vie, la répercussionpsychologique d’une disgrâce n’étant pas forcément en proportionavec celle-ci.Un observateur extérieur ne peut faire facilement la distinction entreune demande et une plainte (qui implique une souffrance réelle).L’éthique rejoint ici une compétence en psychologie clinique,permettant au patient de formuler une plainte qui peut investir undéfaut physique mais venir d’un mal-être plus profond : quelquespapules d’acné chez une jeune fille peuvent lui paraître tragiques,alors que le porteur d’un angiome peut être bien dans sa peau, car ila parfaitement intégré son défaut dans son schéma corporel et danssa relation aux autres [4].Les conséquences psychologiques de l’imperfection dermatologiquesont ainsi difficiles à évaluer, la part subjective et culturelle del’appréciation du défaut étant à considérer. En effet, les demandesdépendent des techniques existantes, des possibilités qu’on les pensecapables d’offrir (notamment à cause de l’idée qu’en donnent lesmédias) et ces demandes sont conditionnées par l’image de soinormative qu’impose une société de l’image et de la communication.Une réflexion sur l’image du corps idéal, des techniques et de leurspossibilités nouvelles véhiculées par la société s’impose alors(réflexion impliquant une compétence en psychologie sociale). Lepraticien se doit de comprendre ces représentations courantes, afinde pouvoir faire œuvre de pédagogie lors de l’entretien et du rappeldes risques.

Dermatologie esthétique

L’évaluation de la qualité des soins implique la référence à l’usage,mais la science avance à grands pas et les règles évoluent enparallèle. Elle permet d’établir une échelle de valeur des principesmoraux, en s’appuyant sur des travaux scientifiques accrédités parles différentes sociétés savantes de la spécialité.Il paraît alors évident que la dermatologie esthétique nécessite uneformation supplémentaire au cursus habituel, souvent hautementtechnologique. Le dermatologue doit par ailleurs s’entourer detoutes les garanties nécessaires (devis-fiches d’information) afin dene pas prêter le flanc à la critique, et assurer au patient les meilleureschances d’amélioration, son maître-mot devant rester : « primumnon nocere » [2].Les mentalités changent car « les dermatologues se sont renducompte que l’étude de la peau normale, qui est le domaine de lacosmétologie, est très importante pour comprendre la peau malade.Ils ont également compris l’importance des cosmétiques poursoigner et prévenir les rechutes de nombreuses maladies cutanéescomme les ichtyoses, le psoriasis et l’eczéma atopique. Lescosmétologues ont fait d’énormes efforts de recherche… : ilsobjectivent bien mieux qu’auparavant les qualités de leurs produitset commencent à réfléchir au renouvellement de leur discoursmarketing. De plus, en matière de prévention, la cosmétologie rejointdes objectifs majeurs de santé publique en protégeant la peau enparticulier des dommages provoqués par le soleil et les agressionsde la vie moderne. » La demande des patients pour desmicroanomalies cutanées, relevant plus du domaine de la

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dermatologie esthétique que de la dermatologie classique estcroissante. « Elle souligne à quel point la peau est vécue commel’organe de la qualité de la vie, et il serait paradoxal que lesmédecins ne s’intéressent pas à cet aspect des choses à une époqueoù l’évolution des traitements tient de plus en plus compte, nonseulement de l’efficacité, mais aussi de la qualité de vie. » Ladermatologie esthétique concerne l’organe « peau », elle concernedonc à l’évidence la dermatologie. Le médecin dermatologue est àmême de répondre à la demande des patients. Il possède souventun plateau technique de pointe, mais il ne doit pas pour autantinduire la demande. Son rôle est un rôle de conseil avant tout,lorsque la demande est là. Exerçant dans un contexte social, il doitrespecter certaines règles dictées par la société : règles d’économiede santé dans le contexte actuel, et règles liées au « pouvoirmédical ». La société exige en effet de nouvelles obligations, liées àl’exercice du pouvoir. Le pouvoir expose celui qui l’exerce, au lieude lui donner une immunité comme jadis. La technologie de plus enplus poussée, l’exigence accrue des patients et la puissance desmédias en sont la cause.En effet, la relation médicale a changé : la relation médecin-patientimplique l’existence d’une douleur et/ou d’une souffrance (morale)donc d’une plainte (plus ou moins explicite). Il n’y a pas d’obligationde résultat ; les soins sont gratuits (prise en charge par l’Assurancemaladie) ou les coûts allégés. À terme, il y a soin du patient.La relation spécialiste-client implique, quant à elle, l’existence d’unedemande (qui n’est pas liée à une souffrance, mais à uneinsatisfaction ou un désagrément, plus exactement à un besoin ouun désir), avec une obligation de résultat, l’absence de gratuité etdonc à terme l’amélioration du client.Rappelons toutefois qu’aucune publicité « ouverte » n’est admise endehors de celle du « bouche à oreille », qui confirme la satisfactiondu patient et traduit la renommée du praticien.Ce glissement vers une obligation de résultat est déjà à l’œuvre (lajudiciarisation de la médecine en témoigne) et elle ne peut qu’êtrerenforcée par les activités de confort pratiquées sans réflexionpréalable. Le médecin doit se positionner, individuellement etcollégialement, par rapport à ce type d’activité, et cette question aune acuité particulière pour le dermatologue (à la différence d’unespécialité comme la réanimation, par exemple).

Information du patient

L’information est primordiale et le dermatologue qui se spécialiseen dermatologie esthétique ne doit pas se transformer en« bonimenteur » de faux-semblants, en pseudo-Pygmalion sousprétexte de vouloir améliorer l’apparence de son patient.L’information doit être honnête et raisonnable pour être raisonnée,et laisser un réel libre choix au patient. La rédaction de fiches-conseils les plus complètes possible et l’établissement d’un devisprécis, détaillé et signé par les deux parties deviennentindispensables pour tout acte esthétique.

Le dermatologue est un médecin avant d’être un éventuel spécialisteen médecine esthétique. Il doit « éclairer » son patient mais aussisavoir dire non lorsque la demande lui paraît irraisonnable ou quele risque est démesuré par rapport au bénéfice escompté. Le patientdemande en effet que le médecin fasse ce qu’il y a de mieux dansson intérêt. Il veut bénéficier des nouvelles technologies et croitsouvent avoir droit au bien-être au même titre qu’à la santé. Unconflit d’intérêt peut donc se dessiner.

Notion de libre choix

Outre le risque d’un usage vénal pour le médecin de sesconnaissances et de ses outils, l’éthique peut être mise à mal si lechoix du praticien se trouve ne pas être libre, en raison de lapression sociale qu’il subit. Pour que le choix de soigner ou de nepas soigner puisse être fait, encore faut-il que la demande ne soitpas trop forte. Or, l’importance des espoirs liés à ces nouvellestechniques ont fait naître une demande sociale extrêmementvigoureuse. Les techniques nouvelles entraînent avec elles desreprésentations idéalisées de l’action du médecin, qu’il est difficilede décevoir. La démarche éthique signifie donc une prise deconscience de cette demande, qui risque de transformer l’activitémédicale en prestation de service. Une réflexion personnelle etcollégiale s’impose sur les moyens d’évaluer cette tendance et de s’yopposer (entretiens répétés avec les patients, temps de réflexion,groupes de discussion entre praticiens, etc), ainsi qu’une démarchepédagogique permettant de faire entendre ces positions au patient.Ce dernier aspect de la démarche éthique est souvent confondu avecune limitation du libre choix du patient. Mais celui-ci ne peut existeren réalité que si le médecin a la possibilité en retour d’accepter ounon sa demande, donc la possibilité d’expliquer les risques,autrement que de manière purement formelle. L’informationapparaît ainsi non comme une garantie contre le patient etd’éventuels recours, mais comme la conséquence d’une réflexionmenée par le praticien.

Références

[1] Anderson PC. Ethics in the medical profession. Arch Dermatol 1997 ; 133 : 1361-1362

[2] Drake LA, Yale KP, Lowery BJ, Dunbar AL, Gillies R. American academy of dermatology guide-lines of care. Development and process. Arch Dermatol 1997 ; 133 : 1369-1374

[3] Ertle JO. Quality of care and the quality assurance manual of the american academy of der-matology. Arch Dermatol 1997 ; 133 : 1377-1379

[4] Glogau RG. Cosmetic dermatology: no apologies, a few regrets. Arch Dermatol 1998 ; 134 :1204-1206

[5] Hans J. Le principe de responsabilité (1re partie). Paris : Flammarion, 2000

[6] Ryan TJ, Kaur V. Privacy and display - issues of good practice for dermatologists. Int J Dermatol1997 ; 36 : 2-9

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