ETUDE BIBLIQUE _

LA SUR-PRIÈRE DE L'ESPRIT

par Henri BLOCHER

La Parole de Dieu nous arrache notre dernière illusion! Nous imaginionsencore savoir assez nos besoins pour les exprimer et formuler nosdemandes... Nous ne savons pas! Mais la connaissance de ,?otre manqueest douce à cause de Celui qui le comble. L'Esprit vient a"u secours etremplit sa grande mission de Réalisateur des conditions subjectives denotre participation au salut.

Le huitième chapitre de l'apôtrePaul aux Romains, chapitre de lagrâce souveraine, chapitre de la foitriomphante, mériterait de s'appelerle chapitre de l'Esprit. Il célèbre la loilibératrice de l'Esprit de vie, qui nousaffranchit de la tyrannie de la mort(v.2). /1 définit l'orientation de l'Espritqui habite le chrétien, qui le meut etle guide en sa marche, faisant échecaux tendances morbides de la proprenature (w.4-1 0). Il promet la vivifica­tion de notre corps par l'Esprit, Espritde résurrection (v. 11). Il souligneque l'Esprit, Esprit de filiation, rendtémoignage à notre esprit du statutfilial qui nous est accordé, et nousdonne l'incroyable audace de nousadresser à Dieu comme Jésus: Abbà,Père (w.13-16). Il compare l'Esprit auxprémices de la Plénitude qui vient(v.23), grâce auxquelles l'espérancepossède la certitude -au contraire

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des pauvres espoirs humains- etnotre expérience connaît l'avant-goûtde la gloire.

Le plus étonnant, pourtant, c'estpeut-être le dernier des rôles qu'ilmentionne de l'Esprit: son assis­tance dans la prière (w.26-27). Ilvaut la peine de s'arrêter sur lesversets qui la décrivent, d'autantplus qu'on les lit souvent très vite oude travers.

NOUS NE SAVONS PAS...

Si nous voulons suivre la penséede l'apôtre, rangeons-nous d'abord àson diagnostic. Discernons et avou­ons notre impuissance, ignorance,infirmité quant à la prière. Noussommes incapables de prier commeil faut.

Même dans ses prières, lechrétien ne vit que par lajustification divine despécheurs.

La Parole de Dieu nous arrachenotre dernière illusion! Nous imagi­nions encore savoir assez nos be­soins pour les exprimer et formulernos demandes... Nous ne savonspas! Comme le font remarquer deuxgrammairiens rigoureux, l'original duverset 26 (avec le to initial) nesignifie pas seulement «nous nesavons pas que demander comme ilfaut» mais, plus amplement, «le pro­blème de ce qu'il faut demander etcomment, nous ne savons pas (lerésoudre ou le traiter)>>.(1) Laissés ànos propres sentiments et avis, ànos rêves et à nos cauchemars, à nosraisonnements et intuitions, noustâtonnons en vain. Notre prière n'estpas recevable. Comme l'excellentcommentateur anglais C. E. B. CRAN­FI ELD l'écrit, Paul est plus radicalque beaucoup ne l'ont perçu:«... toute la prière des chrétiens, dansla mesure où c'est leur prière, de­meure sous le signe de ce non­savoir, de l'ignorance effective, dela faiblesse et de la pauvreté; mêmedans leurs prières ils ne vivent quepar la justification divine des pé­cheurs.»(2)

La vérité de notre incapacité noushumilie. Mais nous devons honnê-

tement en convenir: qui mesure laconséquence de ses choix? Quidémêle les motifs de ses projets? Etdans le même temps où elle sedépouille de nos prétentions si nousposons aux «hommes de prière»,cette vérité nous soulage. Elle nousallège d'un pénible fardeau. Nousn'avons pas à rivaliser avec les autreschrétiens sur le terrain de la prière,comme rivalisent des experts ou deschampions. L'apôtre lui-même élvoue :«Nous ne savons pas». Nous n'.3vonspas à craindre que le Père célesten'exauce qu'en fonction de la qualitéde nos prières. Il sait de quoi noussommes faits, que nous sommespoussière; il sait de quoi sont faitesnos prières, qu'elles sont, venant denous, poussière.

L'Esprit vient au secours:car nous avOns aussi besoinde Dieu .pOur faire notrepart nous avons aussi be­soin de JI, grlce pourrépondre il la grlce. "

LE SECOURS DE L'ESPRIT

La connaissance de notre manqueest douce à cause de Celui qui lecomble. L'Esprit vient au secours.Quant à la prière, l'Esprit remplit sagrande mission de «Paracl et»,(3) deRéalisateur des conditions subjec­tives de notre participation au salut:

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car nous avons aussi besoin de Dieupour faire notre part, nous avonsaussi besoin de la grâce pour répon­dre à la grâce.

Comment l'Esprit nous assiste-t-ildans notre faiblesse? Sans nul dou­te, en produisant en nous «le vouloiret le faire» de la juste prière (cf. Ph2,13), en suscitant l'élan, en diri­geant la visée, en affermissant la foi.L'Esprit nous donne de dire vraiment«Père» (v.15). Ainsi prions-nous«dans» ou «par» l'Esprit (cf. Ep 6,18).

L'Espr,t,ne se contente pasde faire' prier, il prie <luiaussi.

Pourtant, ce n'est pas ce rôle quel'apôtre met en valeur au verset 26. Ilencourage les chrétiens par unerévélation renversante: l'Esprit ne secontente pas de faire prier, il prie luiaussi. Si nous soupirons en nous­mêmes (v.23), l'Esprit soupire pareil­lement. Si nous présentons nos re­quêtes infirmes, l'Esprit intercède ouplus littéralement, sur-intercède.Paul forge un verbe composé inéditpour rendre cette pensée que la sur­prière de l'Esprit enveloppe, englobe,assume, nos prières et, dans cemouvement même, remédie à leurscarences et corrige leurs écarts.

Qui aurait osé, quel homme, in-

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Sans devenir chair commele Fils, rEsprit habite à cepoint notre chair, qu'ils'humilie également, qu'ilse laisse compter, d'unecertaine façon, parmi lesquémandeurs!

venter pareille doctrine? Dieu prieDieu! Dieu le Saint-Esprit nous est siréellement donné qu"il se trouve denotre côté dans la prière! Sansdevenir chair comme le Fils, il habiteà ce point notre chair, qu'il s'humilieégalement, qu'il se laisse compter,d'une certaine façon, parmi les qué­mandeurs ! Le remède à notre inca­pacité est alors sa capacité!

SANS CONFUSION

Le Dieu de la Bible n'est pas unDieu de mélange indistinct. Il ne fautpas confondre l'Esprit de Dieu etnotre esprit (comme le v.1 6 le montrebien), ni la prière de l'Esprit et lanôtre. On dérape de ce côté quandon identifie les «soupirs inexprima­bles» de l'Esprit avec le parler enlangues (glossolalie). Divers com­mentateurs sont tombés dans cepiège (ORIGENE déjà et de nos joursOscar CULLMANN, Ernst KÂSE­MANN), mais CRAN FIELD, en parti­culier, enlève toute excuse à qui lessu ivra it.(4)

La glossolalie est prière du <<glos-

solale» - c'est lui qui parle à Dieu - etde son esprit humain (1 Co 14,2.14).Rien n'autorise à confondre avec lasur-intercession de l'Esprit divin.Jamais, non plus, dans l'Ecriture, laglossolalie n'est rapprochée des«soupirs» ou gémissements. L'apôtrequalifie les soupirs de l'Esprit d'«inex­primables» ou «inexprimés»; le motprocède de la racine «parler» avec unpréfixe privatif. C'est un comble, unparadoxe violent, si on identifie auparler (grec.: lalein) en langues ceque Paul définit comme non-parlé(a-Ialêtos)! Ceux qui se fourvoientde la sorte partent d'une certaineidée de la glossolalie comme effu­sion sonore sans vraie structure, denature plus émotive que langagière,ce qui est contraire à l'enseignementdu N.T.

Le croyant perçoit-il la sur-prièrenon parlée de l'Esprit? Le texte neprécise pas, ni dans un sens ni dansl'autre. Puisque Paul a besoin de direaux Romains que l'Esprit intercède,c'est qu'ils n'en avaient pas cons­cience, argumenterait quelqu'un.Oui, mais l'Esprit soupire sa prière envertu de son intime association avecnous, parce qu'il est devenu la vie denotre être intérieur (v.1 0): il estvraisemblable que nous en enten­dons quelque chose, si délicatequ'en soit l'interprétation, commenous faisons pour le témoignage(v.16). De toute façon, les gémis­sements ou soupirs de l'Esprit, s'ilsprennent en charge les nôtres, s'en

distinguent toujours. Si quelqu'unchauffe, gonfle, excite, ses propresémotions pour qu'ils se produisent,c'est une manipulation insensée, quidéfigure un mystère de sainteté, dedouce et secrète gloire.

VERS LE BUT

Savoir que Dieu prie lui-même denotre côté nous suffit. Or l'apôtreajoute encore un motif d'assurancesupplémentaire! Ou plutôt il explicitecelui qu'implique la sur-prière divine:si nous discernons mal les soupirsde l'Esprit, Dieu qui sonde notrecœur jusqu'au fond, sait, lui, parfai­tement l'intention de son propreEsprit (v.27). Même inexprimée. Elles'accorde forcément avec le granddessein conçu pour notre salut etdont l'achèvement exaucera notreprière en nous conformant à Jésus,infailliblement (w.28s).

L'accord parfait avec lui­même du Dieu uniquegarantit raccomplissementde ses vœux. La prière del'espérance possède la cer­titude du plein exaucement.

De même que la diversité despersonnes dans la Trinité rend pos­sible que Dieu le Saint-Esprit soupireet prie avec nous, l'accord parfait

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avec lui-même du Dieu unique ga­rantit l'accomplissement de ses vœux.Malgré notre infirmité, la prière del'espérance - c'est d'elle qu'il estquestion dans le contexte - possèdela certitude du plein exaucement.

N'est-ce pas aussi le témoignagede Jean, qui recoupe une fois de pluscelui de Paul? L'Esprit se plaçant auxcôtés de l'Eglise prie de la même

Notes:1. DANA H.E. et MANTEY Julius R., A ManualGrammar of the Greek New Testament (New­York: Mac Millan, 1955-21), §147/7,ii.2. A Critical and Exegetical Commentary onthe Epistle to the Romans (Edimbourg : T. & T.Clark, 1975), 1,422.

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prière qu'elle, prière de l'espérance.«L'Esprit et l'Epouse disent: Viens !»(Ap 22,17). L'espérance ne sera pasdéçue ni le soupir ignoré, car leTémoin fidèle l'atteste: «Oui, je viensbientôt !». Amen, viens, SeigneurJésus!

H.B.Doyen et professeur

de théologie systématiqueà la Faculté

3. «Paraclet» est la forme francisée du mot grecparaklètos utilisé en Jean 14,16, qui signifie«avocat» (<<appelé auprès de... ») et plus générale­ment «assistant», «soutien» (il n'est guère exact dele rendre par «consolateur» comme le font encoretrop de versions courantes).4. Ibid, pp.423s.