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ETUDE Illustration de la couverture : Vue d’ensemble du site restauré du Bois du Cazier (© Serge Verheylewegen). La destruction des hauts-fourneaux des anciennes usines Boël Un peu de La Louvière qui disparaît... 1 Un fleuron industriel En 1853, Ernest Boucquéau est autorisé à construire à La Lou- vière une usine afin d’y éla- borer la fonte et d’y fabriquer du fer. L’usine s’installe au milieu d’une région charbon- nière, en bordure de l’embran- chement du canal de Charleroi à Bruxelles et à proximité immédiate du chemin de fer de Mons à Manage. L’usine prend le nom de Fonderies et Lami- noirs Ernest Boucquéau. En vue d’assurer un débouché à son entreprise, le propriétaire du laminoir crée en 1862 la Société du Chemin de Fer de Braine-le-Comte à Gand. Ce projet nécessite plus de fonds que prévu. A ce moment appa- raît Gustave Boël. Né dans une famille nombreuse originaire du Tournaisis, celui-ci débute sa carrière comme comptable au sein des établissements Boucquéau. Selon la tradition, alors que son projet ferroviaire mène Ernest Boucquéau au bord de la faillite, Gustave Boël, devenu directeur de l’éta- blissement, lui apporte l’aide financière indispensable pour sortir de ce mauvais pas. Boucquéau lui en sera recon- naissant et lui léguera ses avoirs à son décès, le 16 juillet 1880. L’entreprise ne cesse de pros- pérer et compte 1200 ouvriers en 1897. Dans le même temps, Boël renforce sa présence dans plusieurs entreprises régionales et embrasse une carrière poli- tique au sein du parti libéral. Conseiller communal puis échevin de La Louvière en 1880, il en devient le bourg- mestre entre 1881 et 1884 et est également sénateur de l’arron- dissement de Soignies en 1883 et de 1892 à sa mort en 1912. Les usines poursuivent leur développement. En 1913, l’en- treprise comptait deux hauts- fourneaux, deux batteries de quarante et un fours à coke, une aciérie Thomas (à partir de 1903) à trois convertisseurs, des laminoirs, une aciérie Martin, des forges, une fon- derie d’acier avec ateliers, une division boulonnerie, etc... Démantelée et démolie au cours du premier conflit mon- dial, l’usine connaît des travaux de reconstruction dès 1919 2 Fig. 1. - Le site des hauts-fourneaux, années 1930 (© Collection Archives de la Ville de La Louvière). 1 Nous remercions vivement pour leur collaboration Duferco La Louvière ainsi que Messieurs P. Chevalier, A. Gozzi, E. Henrard, P. Kalek, A. Lembourg et F. Moreau.

ETUDE - Patrimoine Industriel

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Page 1: ETUDE - Patrimoine Industriel

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ETUDE

Illustration de la couverture : Vue d’ensemble du site restauré du Bois du Cazier (© Serge Verheylewegen).

La destruction deshauts-fourneaux des

anciennes usines BoëlUn peu de La Louvière

qui disparaît...1

Un fleuron industriel

En 1853, Ernest Boucquéau estautorisé à construire à La Lou-vière une usine afin d’y éla-borer la fonte et d’y fabriquerdu fer. L’usine s’installe aumilieu d’une région charbon-nière, en bordure de l’embran-chement du canal de Charleroià Bruxelles et à proximitéimmédiate du chemin de fer deMons à Manage. L’usine prendle nom de Fonderies et Lami-noirs Ernest Boucquéau.

En vue d’assurer un débouchéà son entreprise, le propriétaire

du laminoir crée en 1862 laSociété du Chemin de Fer deBraine-le-Comte à Gand. Ceprojet nécessite plus de fondsque prévu. A ce moment appa-raît Gustave Boël. Né dans unefamille nombreuse originairedu Tournaisis, celui-ci débutesa carrière comme comptableau sein des établissementsBoucquéau. Selon la tradition,alors que son projet ferroviairemène Ernest Boucquéau aubord de la faillite, GustaveBoël, devenu directeur de l’éta-blissement, lui apporte l’aidefinancière indispensable poursortir de ce mauvais pas.

Boucquéau lui en sera recon-naissant et lui léguera ses avoirsà son décès, le 16 juillet 1880.L’entreprise ne cesse de pros-pérer et compte 1200 ouvriersen 1897. Dans le même temps,Boël renforce sa présence dans

plusieurs entreprises régionaleset embrasse une carrière poli-tique au sein du parti libéral.Conseiller communal puiséchevin de La Louvière en1880, il en devient le bourg-mestre entre 1881 et 1884 et estégalement sénateur de l’arron-dissement de Soignies en 1883et de 1892 à sa mort en 1912.

Les usines poursuivent leurdéveloppement. En 1913, l’en-treprise comptait deux hauts-fourneaux, deux batteries dequarante et un fours à coke,une aciérie Thomas (à partir de1903) à trois convertisseurs,des laminoirs, une aciérieMartin, des forges, une fon-derie d’acier avec ateliers, unedivision boulonnerie, etc...Démantelée et démolie aucours du premier conflit mon-dial, l’usine connaît des travauxde reconstruction dès 1919

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Fig. 1. - Le site des hauts-fourneaux, années 1930 (© Collection Archives de la Ville de La Louvière).

1 Nous remercions vivement pour leur collaboration Duferco La Louvière ainsi que Messieurs P. Chevalier, A. Gozzi, E. Henrard, P. Kalek, A. Lembourg et F. Moreau.

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fourneaux (1930-1937), d’unenouvelle batterie de fours àcoke (1931), d’un four à arc de25 tonnes (1935), l’adjonctiond’un quatrième convertisseur etl’agrandissement des cornuesexistantes (1938), la modernisa-tion du moulin à scories, ledéveloppement de la centrale.La progression, freinée par laSeconde Guerre mondiale, vareprendre de plus belle après leconflit. Les modernisations et

transformations font que, de1947 à la fin du siècle, la pro-duction mensuelle d’acierpasse de 30 à 120 000 tonnes.A la fin des années 1940, l’en-treprise comptait près de 3 200ouvriers, parmi lesquels unimportant pourcentage demain-d’œuvre étrangère. Tou-jours prospères dans les années1970, les Usines Boël vontconnaître la crise et les suppres-sions d’emplois (on dénombre

3 500 ouvriers vers 1985, pourseulement 1 200 en 2002).Alliances et reprises se succè-dent : le groupe hollandaisHoogovens en 1997 avant letrader italo-suisse Duferco en19992.

Les hauts-fourneaux

Symbole par excellence ducaractère industriel de La Lou-vière, le site des hauts-four-

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avant une remise en marchecomplète en 1924. Le dévelop-pement est impressionnant.Les deux hauts-fourneaux, ali-mentés par deux batteries defours à coke, produisaient200 000 tonnes de fonte par anet l’aciérie Thomas, avec troisconvertisseurs de 15 tonnes,produisaient 200 000 tonnesd’acier ; ce dernier était laminé

par un blooming de 850 mmsuivi d’un train de 580, un trainà tôles fortes, un train universelà larges plats, un train de 305,un train à fil. Les divisionsForges et Fonderies, alimentéespar une aciérie Martin de troisfours de 12 tonnes, compre-naient un laminoir à bandageset essieux, une aciérie de mou-lage et un atelier de fabrication

de trains de roues. On comptaitaussi une boulonnerie compre-nant presses à boulons,machines à tire-fond et tarau-derie à écrous. De 1930 à 1940,l’intégration et l’augmentationde production furent pousséesactivement par la constructiond’une agglomération de mine-rais, d’un concassage de mine-rais, de deux nouveaux hauts-

2 On consultera notamment à ce sujet : A.-M. DUTRIEUE, « Boël Famille », in G. KURGAN, S. JAUMAIN, V. MONTENS, Diction-naire des patrons de Belgique, De Boeck, Bruxelles, 1996, pp. 60-64; M. HUWE, F. MENGAL, F. LIENAUX, Histoire et petite histoire de LaLouvière, La Louvière, 1984, t.I, pp. 426-442; Usines et industries, 1968, n°22-23; Usines Gustave Boël, La Louvière, s.d.; Journées « Portesouvertes » aux Usines Gustave Boël, La Louvière, 1984; Valise pédagogique Boël (Ecomusée régional du Centre); C. FAVRY, La cantinedes Italiens, Labor, Bruxelles, 1996.

Fig. 2. - Atelier Boël : assemblage de pièces coulées et usinées en atelier, années 1930 (© Collection Archives de la Ville de La Louvière).

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neaux date du début du20e siècle. La mise à feu du pre-mier haut-fourneau a en effetlieu le 8 février 1913. Unsecond est construit approxi-mativement au même momentet les quatre autres sontapparus respectivement en1930, 1939, 1958 et 1972. Unterme ayant définitivement étémis à leur activité entre 1996 et1997, les responsables deDuferco ont aujourd'hui décidéde les démolir. Différents argu-ments ont été avancés parmilesquels les aspects : de sécu-rité, d’esthétique, économiques(la démolition équivaudraselon les estimations à la récu-pération de 15 000 tonnes deferrailles qui serviront dematière première pour le fourélectrique) et stratégiques(récupération d'un plateau de5,2 hectares proche de l'aciérieet des voies de chemin de ferinternes).

Le chantier visera à ramenerl'ensemble à un niveau « zéro »en démontant les structures eten remblayant les excavations.On verra donc disparaître leshauts-fourneaux, les stations

de préparation des charges etles monte-charges, les plan-chers de coulées, les stationsd'épuration des gaz ainsi queles cowpers (production devent chaud). Couchées pardynamitage, les structuresseront ensuite découpées. Lesferrailles seront alors orientéesvers le four électrique. Lesréfractaires, les non-ferreux etcertaines parties de machinesseront récupérés et proposés àla vente. Le chantier sera super-visé et contrôlé par le ServicePublic Fédéral (Emploi et Tra-vail) ainsi que par le ComitéNational pour la Sécurité etl'Hygiène dans la Construc-tion.

Un travail de préserva-tion du patrimoine

En 2002, les Journées du Patri-moine étaient consacrées aumonde du travail. A cette occa-sion, les Archives de la Ville deLa Louvière s'étaient penchéessur la sidérurgie et, en particu-lier, sur les anciennes usinesBoël. Les contacts noués et lesrecherches menées depuis lorsont peu à peu permis la consti-tution d'un fonds spécifique

pour cette entreprise. Une cam-pagne d'interviews menéeauprès de quelques ouvriers3,des reproductions de docu-ments mais aussi une impor-tante collection iconogra-phique le composent aujour-d'hui. Cette dernière est consti-tuée de cartes postales et de cli-chés anciens mais aussi deprises de vues actuelles. En uneannée, nous avons en effetphotographié les structuresexistantes, les hommes et lesmachines ainsi que les sites dela Société anonyme de Fabrica-tion des Engrais Azotés (SAFEA) et de la boulonnerie. Unaccord de collaboration avecles responsables de Duferconous permet également desuivre au plus près la destruc-tion des hauts-fourneaux. Cefaisant, les Archives de la Villede La Louvière répondent àl'une des tâches qu'elles se sontfixées depuis 1998. Avecl'appui de leur Collège, ellesvisent en effet à préserver cequi fait ou a fait l'Histoire descommunes de l'actuelle entitélouviéroise.

Thierry DELPLANCQArchiviste de la Ville de La Louvière

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Archives de la Ville de La Louvière

125, rue de l’Hospice 7110 Houdeng-AimeriesAccès gratuit : du lundi au vendredi de 8h30 à 12h et de 12h30 à 16h☎ : 064/21.39.82Fax : 064/26.57.76E-mail : [email protected] internet : http://www.lalouviere.be/services/service_archives.htm

3 Th. DELPLANCQ, N. HERRYGERS, N. RICAILLE, Une usine, des vies..., 2002 (Interviews, VHS).

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Fig. 4 - Le dynamitage d’un haut-fourneau, 2 août 2003 (© Collection Archives de la Ville de La Louvière).

Fig. 3 - Le site des hauts-fourneaux, mai 2002 (© Collection Archives de la Ville de La Louvière).

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Fig. 5 - Le dynamitage d’un cowper, 28 mai 2003 (© Collection Archives de la Ville de La Louvière).

Fig. 6 - Deux cowpers abattus, juin 2003 (© Collection Archives de la Ville de La Louvière).

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Fig. 7 - Dynamitage d'une cheminée, 27 août 2003 (© Collection Archives de la Ville de La Louvière).