7
Étude prospective sur la reprise d'activités physiques de 20 militaires après ligamentoplastie du genou par prélèvement au niveau de la patte d'oie Prospective study of resumption of physical activity in 20 servicemen after knee ligamentoplasty by hamstring graft a Hôpital d'instruction des armées Robert Picque, 351, route de Toulouse, 33882 Villenave d'Ornon, France b Kinésithérapeute libéral, 33000 Bordeaux, France Reçu le 13 février 2012 ; reçu sous la forme révisée le 22 juin 2012 ; accepté le 30 septembre 2012 Martial Cazenave a Florence Deloge b Mots clés Appréhension Aptitude militaire Étude prospective Ligamentoplastie Ligament croisé antérieur Keywords Apprehension Military aptitude Prospective study Ligamentoplasty Anterior cruciate ligament Auteur correspondant : M Cazenave, Hôpital d'instruction des armées Robert Picque, 351, route de Toulouse, 33882 Villenave d'Ornon, France. Adresse e-mail : martial.cazenave@santarm. fr RÉSUMÉ Objectif. Nous avons entrepris une étude pour savoir si des militaires, dans les suites d'une ligamentoplastie prélevée au niveau de la patte d'oie, recouvraient leur aptitude et reprenaient leur activité sportive spécique à sept mois postopératoire. Méthode. Le rapport isocinétique IJ excentrique/Q concentrique, le score de COFRAS et un questionnaire identiant la reprise d'activités sportives nous ont permis d'objectiver nos résultats sur une cohorte de 20 patients. Résultats. La différence de ratio calculé par rapport au côté sain n'excède pas 15 % pour 85 % des patients et le score de COFRAS est de 28,1/30. Les facteurs d'âge, de sexe, de technique opératoire ou d'opérateur différent sont sans inuence sur ces résultats. Discussion. L'étude montre une stabilité retrouvée du genou en CCO et CCF permettant aux militaires de recouvrer leur aptitude. Cependant, 75 % d'entre eux décrivent l'appréhension pour justier l'arrêt de leur activité sportive personnelle antérieure ou comme limite de leur retour au même niveau. Niveau de preuve. Niveau 2. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. SUMMARY Objective. To determine whether, after knee ligamentoplasty by hamstring graft, servicemen recovered military aptitude and specic sports activity within 7 months postoperatively. Method. Results in a cohort of 20 patients were assessed by the isokinetic excentric IJ (308/s)/ concentric Q ratio (2408/s), COFRAS score and a questionnaire on resumption of sports activity. Results. The difference in ratio as compared to the healthy side did not exceed 15% in 85% of patients, and the COFRAS score was 28.1/30. Results were independent of age, gender, surgical technique and individual surgeon. Discussion. Recovery of open and closed kinetic chain stability enabled recovery of military aptitude. However, 75% of patients, reported apprehension as preventing or limiting return to previous personal sports activity. Level of evidence. Level 2. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Kinesither Rev 2013;13(137):1319 Pratique / Geste pratique © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2012.09.017 13

Étude prospective sur la reprise d’activités physiques de 20 militaires après ligamentoplastie du genou par prélèvement au niveau de la patte d’oie

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Kinesither Rev 2013;13(137):13–19 Pratique / Geste pratique

Étude prospective sur la reprised'activités physiques de 20 militairesaprès ligamentoplastie du genou parprélèvement au niveau de la patted'oie

Prospective study of resumption of physical activity in20 servicemen after knee ligamentoplasty byhamstring graft

Martial Cazenave a

Florence Deloge b

aHôpital d'instruction des armées Robert Picque, 351, route de Toulouse, 33882Villenave d'Ornon, FrancebKinésithérapeute libéral, 33000 Bordeaux, France

Reçu le 13 février 2012 ; reçu sous la forme révisée le 22 juin 2012 ; accepté le 30 septembre2012

Mots clésAppréhensionAptitude militaireÉtude prospectiveLigamentoplastieLigament croisé antérieur

KeywordsApprehensionMilitary aptitudeProspective studyLigamentoplastyAnterior cruciate ligament

Auteur correspondant :M Cazenave,Hôpital d'instruction desarmées Robert Picque, 351,route de Toulouse, 33882Villenave d'Ornon, France.Adresse e-mail :[email protected]

RÉSUMÉObjectif. – Nous avons entrepris une étude pour savoir si des militaires, dans les suites d'uneligamentoplastie prélevée au niveau de la patte d'oie, recouvraient leur aptitude et reprenaientleur activité sportive spécifique à sept mois postopératoire.Méthode. – Le rapport isocinétique IJ excentrique/Q concentrique, le score de COFRAS et unquestionnaire identifiant la reprise d'activités sportives nous ont permis d'objectiver nos résultatssur une cohorte de 20 patients.Résultats. – La différence de ratio calculé par rapport au côté sain n'excède pas 15 % pour 85 %des patients et le score de COFRAS est de 28,1/30. Les facteurs d'âge, de sexe, de techniqueopératoire ou d'opérateur différent sont sans influence sur ces résultats.Discussion. – L'étude montre une stabilité retrouvée du genou en CCO et CCF permettant auxmilitaires de recouvrer leur aptitude. Cependant, 75 % d'entre eux décrivent l'appréhension pourjustifier l'arrêt de leur activité sportive personnelle antérieure ou comme limite de leur retour aumême niveau.Niveau de preuve. – Niveau 2.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

SUMMARYObjective. – To determine whether, after knee ligamentoplasty by hamstring graft, servicemenrecovered military aptitude and specific sports activity within 7 months postoperatively.Method. – Results in a cohort of 20 patients were assessed by the isokinetic excentric IJ (308/s)/concentric Q ratio (2408/s), COFRAS score and a questionnaire on resumption of sports activity.Results. – The difference in ratio as compared to the healthy side did not exceed 15% in 85% ofpatients, and the COFRAS score was 28.1/30. Results were independent of age, gender,surgical technique and individual surgeon.Discussion. – Recovery of open and closed kinetic chain stability enabled recovery of militaryaptitude. However, 75% of patients, reported apprehension as preventing or limiting return toprevious personal sports activity.Level of evidence. – Level 2.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2012.09.017 13

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M. Cazenave, F. DelogePratique / Geste pratique

es contraintes physiques imposées par le maintien en

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12

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18

20

Sport decombat

Football rugby tennis Volley

Activité spo rtive ind ividu ell e en plus de l 'ac tivité spo rtive de régiment

Activité sportive militaire Activité sportive individuelle

Figure 1. Activité sportive.

Lcondition opérationnelle ne sont pas sans conséquencesur le développement de pathologie ligamentaire,

notamment la rupture du ligament croisé antérieur (LCA).Cette rupture entraîne une anomalie de stabilité lors desmouvements de glissement/roulement des condyles fémorauxet tibiaux qui ne sont plus retenus par les structures ligamen-taires lésées. Cette instabilité entraîne donc des mouvementsanormaux de trop grande amplitude majorant le travail desstructures restantes [1].Chez ce profil de patients, un geste chirurgical telle la ligamento-plastie du genou paraît incontournable pour y pallier [2,3] ; ils'effectue sous arthroscopie. À l'hôpital d'Instruction desArmées Robert Picque, le site du transplant majoritairementutilisé est la patte d'oie (95 % des opérations), soit par la tech-nique droit interne/demi-tendineux (DIDT) appelée techniqueà quatre brins ou par une nouvelle technique chirurgicale, inno-vante par la préparation de la greffe ainsi que par son procédé defixation, la technique Tape Locking Screw (TLS) [4,5].Dans le cadre du métier de militaire, les activités sportives trèscontraignantes pour le genou demandent au patient opéré unerécupération musculaire la plus optimale possible ainsi qu'uncontrôle adéquat du genou dans tous les plans, notammentrotatoire [6].Nous avons donc réalisé une étude prospective sur un an etdemi (janvier 2010–juillet 2011), avec un suivi de 20 patientsopérés par trois chirurgiens différents possédant tous le mêmemode opératoire selon les deux techniques chirurgicales évo-quées (82 % pour la TLS, 18 % pour le DIDT). Le protocole derééducation est identique pour chaque patient, réalisé par desrééducateurs différents. Ce protocole a été établi en équipe surles six premiers mois, alternant phases de rééducation enhospitalisation complète et fenêtres thérapeutiques [7,8].

L'objectif de cet article est de déterminer si, à septmois postopératoire, la population étudiée est apteà l'état de militaire et si elle a repris ses activitéssportives en dehors de l'exercice professionnel au

même niveau.

Facteurs associés

0

2

4

6

8

10

12

Atteinteméniscale

Contusionosseuse

Distension Reprise derupture

Fracture de Ostéotomie

sans gestechirurgical

ou cartilagineuse

ligamentaire itérative typeKJ

Segond de valgisation

Nombre de pa tien ts

Figure 2. Nombre de lésions associées.

MÉTHODE

Le but de cette étude est de réaliser une synthèse des carac-téristiques physiques et sportives de la population étudiée auseptième mois postopératoire et de la compléter par un ques-tionnaire sur leurs capacités sportives.Les paramètres étudiés au sein de notre plateau technique derééducation à l'HIA Robert Picqué (33) sont :� le rapport isocinétique IJ excentrique (308/sec)/Q concen-trique (2408/sec) sur l'appareil CON-TREX [9,10] ;

� le score de Codification Fonctionnelle de Reprise d'ActivitésSportives (COFRAS).

En plus de ces deux paramètres réalisés lors d'une évaluationplanifiée avec notre équipe de rééducateurs, les patients ontrépondu à un questionnaire, créé, constitué de trois partiesprincipales, réparties en 18 items : reprise de la course,reprise de l'activité sportive antérieure et troubles trophiqueset douloureux éventuels à l'arrêt de l'activité. Il est purementsubjectif mais il s'appuie sur le ressenti du militaire par rapportà ses capacités physiques actuelles. Tous les patients volon-taires ont répondu à cette autoévaluation.

14

Population

Vingt patients (20 de sexe masculin) avec une moyenne d'âgede 27,5 ans (le plus jeune a 21 ans et le plus âgé a 43 ans aumoment de l'étude).

Activité sportive spécifique

Parmi les militaires, ils ont tous une activité sportive liée à leurétat de militaire (course à pied principalement) et 12 ont uneactivité sportive spécifique : trois le football, un le rugby, un levolley, un le tennis et six les sports de combat (Fig. 1).

Lésions associées

Sur les 20 patients, la majorité présente des lésions asso-ciées, constatées lors de l'arthroscopie et inscrites sur lecompte rendu opératoire. Il est à noter que deux patientsont bénéficié d'une reprise de Kenneth-Jones (KJ) suiteà une rupture itérative du néoligament par technique TLS etun patient a bénéficié d'une ostéotomie de valgisation en

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0%

5%

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15%

20%

25%

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40%

45%

50%

Ratio isocinétique Ratio isocinétique Ratio isocinétique

= [0,8-1] < [0,8-1] > [0,8-1]

Eva luation du ratio I J Exc 30 °/ Q Con c 240 °

Figure 3. Moyenne du rapport isocinétique.

0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%

100%

Course avec Repriseidentique

Repriseidentique

Reprise àniveau moindre

Abandon

changementsde direction

de l'activitémilitaire

de l'activitéantérieure

personnelle

de l'activitéantérieure

personnelle

de l'activitéantérieure

personnelle

Questionnaire d'auto-évaluation de la reprise d'activité sportive

Résultats Cohorte de l'étude

Figure 5. Item no 6 du score de Codification Fonctionnelle de

Kinesither Rev 2013;13(137):13–19 Pratique / Geste pratique

même temps qu'une plastie DIDT n'altérant pas ses résultatsà sept mois postopératoire (Fig. 2).

Reprise d'Activités Sportives (COFRAS).

RÉSULTATS

Ratio IJ exc/Q conc

D'après Croisier et al. [11], l'évaluation isocinétique doit faireapparaître une évaluation des IJ en excentrique à la vitesselente de 308/s et une du quadriceps en concentrique à lavitesse rapide de 2408/s [10]. Le ratio calculé (IJ Exc 308/Qcon 2408) doit être compris entre 0,8 et 1 [12,13]. La moyennedu rapport isocinétique de notre cohorte est de 0,87 avec unécart-type à 0,18 (l'écart-type du groupe témoin est de 0,11).Cependant, cette moyenne ne reflète pas les grandes dispa-rités retrouvées (Fig. 3).Sur les 20 patients ayant effectué l'évaluation, 50 % ont unratio compris dans cette fourchette définie (0,8–1). Cependant,certains patients ont un ratio pouvant être très inférieur à cette

0%

5%

10%

15%

20%

25%

30%

35%

40%

45%

Ratio isocinétique Ratio isocinétique Ratio isocinétiqueidentique au côté sain déficitaire ≤ 15% déficitaire > 15%

Diff érence de ratio i socinétiqu e avec l e côté sa in

Figure 4. Différence de ratio isocinétique.

valeur théorique (0,62 pour un patient) mais être identique aucôté sain (Fig. 4).En synthèse, la différence de ratio calculé par rapport au côtésain n'excède pas 15 % pour 85 % des patients, ce qui signifieune bonne récupération musculaire en chaîne cinétiqueouverte de notre cohorte. Nous n'avons pas mis en évidenceun déficit plus important à récupérer sur un groupe musculaireparticulier.En revanche, il est intéressant de souligner que les facteursd'âge, de sexe, de technique opératoire ou d'opérateur diffé-rent n'ont pas eu d'influence sur les résultats.

Score de Codification Fonctionnelle de Reprised'Activités Sportives (COFRAS) [14,15]

À cette période, la moyenne générale obtenue est de28,1/30 avec une médiane à 28,5 et un écart-type égalà 2,07 (Annexe 1). Cette codification fonctionnelle de reprised'activités sportives, recommandée par l'HAS, montre labonne stabilité retrouvée du genou en chaîne cinétiquefermée.Dans le détail, nous nous sommes intéressés à deux items, laréception monopodale et la descente d'escalier pour interrogerle facteur d'appréhension et le mettre en lien avec notrequestionnaire d'autoévaluation (Fig. 5).

Item 6 : réception monopodale (cotation sur 4)

Les deux tiers des patients ont retrouvé une qualité équi-valente dans le saut monopodal depuis deux marchesd'escalier et 22 % sont capables de réaliser l'exercice maisavec de l'appréhension. Le reste de la cohorte n'a passuffisamment « confiance » : la réception se fait seulementdepuis une marche de qualité équivalente au côté sain(Fig. 6).

15

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0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

Réceptionmonopodale

Réceptionmonopodale

Réceptionmonopodale

depuis 2 marches de 2 marches depuis 1 marche

équivalente côtésain

non équivalentecôté sain

équivalente côtésain

Réception monopodale : item n°6 du score de COFRAS

Figure 7. Descente des escalier, item no 7 du score de CodificationFonctionnelle de Reprise d'Activités Sportives (COFRAS).

0%

10%

20%

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40%

50%

60%

Descente 2 par 2 Descente 2 par 2

aucune gêne avec douleur ou appréhension

Descente des escaliers : item n°7 du score de COFRAS

Figure 6. Questionnaire d'autoévaluation de la reprise d'activitésportive.

M. Cazenave, F. DelogePratique / Geste pratique

Descente en courant des marches d'escalier(cotation sur 4)

100 % des patients descendent en courant dans les escaliers,60 % sans gêne (Fig. 7).L'item 6 du score révèle une appréhension dans la réceptionmonopodale pour un tiers des patients. L'item 7 révèle unedouleur ou une appréhension pour 40 % des patients même sil'ensemble de la cohorte réussit à descendre en courant dansl'escalier.Nous avons donc construit un questionnaire d'autoévaluationpour approfondir ce paramètre de l'appréhension peu exploitédans les grilles d'évaluation référencées.

Analyse des réponses principales del'autoévaluation par questionnaire

Trophicité du genou et reprise de la course

À sept mois, les patients ont pu reprendre sans problème lacourse pendant plus de 30 minutes sans qu'aucune douleur nigêne ne les obligent à cesser leur activité ; seul le patient leplus âgé de l'étude ayant subi une ostéotomie de valgisationpendant l'opération de reconstruction de la plastie est limitéà 20 min de footing (malgré un score de COFRAS de 29/30)(Annexe 2). Par ailleurs, tous les patients sont capables deréaliser des changements de direction, des sauts monopo-daux sur la jambe opérée, des accélérations rapides et desarrêts nets ce qui corrobore les très bons résultats obtenus auscore de COFRAS.

Reprise de l'activité antérieure

Au vu des résultats (Fig. 5), la totalité des sujets a pu reprendrel'activité sportive antérieure liée à leur exercice professionnelde militaire. Ils ont tous récupéré leur aptitude physique(Annexe 3) nécessaire à la pratique de l'activité profession-nelle lors de la visite de contrôle du septième mois avec lemédecin référent ou le chirurgien en fonction de nosévaluations :� dix militaires ont repris leur activité antérieure spécifiqueà un niveau moindre ;

16

� cinq autres ont abandonné leur activité sportive personnelleantérieure (football, rugby ou sport de combat). Ils pour-suivent malgré tout d'autres activités sportives telles lacourse à pied, le surf, la natation, le vélo.

Ces 15 militaires décrivent l'appréhension pour justifier l'arrêtde leur activité antérieure ou comme limite de leur retour aumême niveau [16].

DISCUSSION

Nos résultats ne sont pas comparables avec ceux de la litté-rature car la plupart des études concerne la reprise à huit ouneuf mois postopératoire chez les sportifs de haut niveau [17].Dans ces études, environ 60 % des sportifs ont repris leuractivité antérieure, mais seulement 40 % au même niveauqu'avant l'opération. Les sports pivot-contact sont repris dansdes délais plus longs que les sports de glisse (environ 1 moisplus tard) [18,19].Cependant, à sept mois postopératoire, nous possédons desrésultats meilleurs en terme de reprise des activités puisque75 % de notre population a recouvré son activité antérieure(activité sportive militaire et personnelle). En revanche, seu-lement 25 % a récupéré ses capacités antérieures selon lesmêmes modalités qu'avant l'opération.En outre, 75 % de notre cohorte présentaient une contusionosseuse ou une lésion du ménisque associée. Or, noussavons que ces structures sont importantes dans la stabilitédu genou pour le contrôle des rotations notamment. Nouspouvons donc penser que ces lésions ont un lien avec unediminution des capacités antérieures.

Un facteur limitant : l'appréhension

La sensation d'appréhension est décrite par 75 % des patientsdu groupe d'étude et constitue le premier frein à leur retoursportif. Pourtant, elle n'apparaît pas ou peu dans les échellesvalidées telles le score International Knee DocumentationCommittee (IKDC), le score de Lysholm ou l'Arpège [20].

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Malgré de bons résultats en termes de récupération muscu-laire et l'intensification de la rééducation neuromusculaire etproprioceptive entre le troisième et le quatrième mois, cemanque de confiance en leur genou reste très présent. Nosrésultats sont bien plus faibles que ceux de Puig [18], quirapporte que 83 % des sportifs, à sept mois de l'opération,n'ont aucune ou peu d'appréhension par rapport à leur genoudans les activités sportives.Cette sensation d'appréhension est définie comme unecrainte, une inquiétude, une anxiété. Dans notre question-naire, les patients expriment un manque de confiance en leurgenou plutôt qu'une réelle sensation d'instabilité évoquée parseulement un patient. Or, les résultats aux tests isocinétiquesconfirment que leur force musculaire est globalement satisfai-sante. Nous pouvons donc nous interroger sur plusieurs para-mètres : cette force musculaire est présente mais est-ellequalitative ? Autrement dit, est-ce que les muscles du genousont capables d'assurer la stabilité de l'articulation, en régulantleur raideur active ? Quelle place occupe la rééducation neu-romusculaire dans la réathlétisation du sportif militaire [21] ?

Reprise de l'activité professionnelle

Les résultats de notre étude sont à nuancer par rapport à ceuxde la littérature : en effet, notre population est principalementcomposée de sujets sportifs amateurs pour qui la reprise desactivités sportives spécifiques de chacun ne constitue pasforcément une priorité.Cependant, cet état de militaire nécessite une aptitude phy-sique et sportive sans faille. Il est donc intéressant de noterque pour cette catégorie socioprofessionnelle, la reprise del'aptitude professionnelle a pu se faire à sept mois aprèsl'évaluation isocinétique. Les capacités fonctionnelles deman-dées font intervenir des déplacements importants, contrai-gnants pour le genou et nécessitant un bon état physiquegénéral (8 km en treillis-rangers avec sac à dos, parcoursdu combattant, parachutisme en club). De plus, aucun sujetn'a suivi de réathlétisation à proprement parler, accompagnépar un préparateur physique et/ou un masseur-kinésithéra-peute spécialisé, comme cela peut être préconisé pour lesathlètes de haut niveau.Pour les patients de notre étude, le but principal est de repren-dre une activité professionnelle sans douleur, sans instabilité,et ensuite une activité sportive de loisir ou de compétition maissans dépasser le niveau départemental. On peut donc penserque la majorité d'entre eux ne met pas en jeu toutes lesressources psychologiques et motivationnelles dont elle estcapable pour assurer la rééducation.Certains ont relaté la pénibilité de la rééducation parce qu'ils latrouvent répétitive, difficile et peu variée. Ils expliquent leurmanque de motivation principalement pour ces raisons. Mal-gré leur condition physique irréprochable, ils ne peuvent êtrecomparés à des sportifs de haut niveau. De plus, ils repartentdans leurs unités au quatrième mois postopératoire sans cesuivi spécifique.Une phase de réathlétisation complémentaire au sixième moispostopératoire doit être envisagée pour améliorer la sensibilitéproprioceptive du militaire [22] et insister sur son réentraîne-ment cardiovasculaire [23], sa récupération des appuis, soncontrôle proprioceptif ainsi que la confiance en ses capacités[24] ; l'objectif étant assurément de diminuer le facteurd'appréhension.

Synthèse

Notre travail nous montre que la reprise des activités pivot-contact ou sport de combat à sept mois postopératoire aprèsligamentoplastie est difficile.

Le manque de confiance, de stabilité en toutecirconstance, le déficit de force musculaire, associésau phénomène de ligamentisation, rendent la reprise

de ces sports très contraignants pour le genou.

Cependant, nos résultats sont satisfaisants concernant larécupération musculaire au vu des publications [19,25,26]sur des populations plus importantes dont notre groupe serapproche (rapport isocinétique compris entre 0,8 et 1, scorede COFRAS supérieur à 26). En effet, de façon générale, cerapport témoigne de la bonne récupération du quadriceps et enparticulier des IJ dont la force de freinage doit être optimaleafin de permettre la restitution de la boucle de rétrocontrôleavec le LCA.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Nous avons pu mettre en évidence la récupération de l'apti-tude militaire à sept mois postopératoire de l'ensemble denotre cohorte et une reprise d'activités sportives personnellespour la majorité d'entre eux.Nous avons aussi relevé un facteur peu cité lors de la reprisedu sport mais pourtant bien présent : l'appréhension. Cettesensation est effectivement subjective et difficile à évaluermais elle est responsable de la diminution des capacitésfonctionnelles, alors que les capacités musculaires et proprio-ceptives semblent correctes. Même si cette population ne peutpas aspirer au même suivi que les athlètes de haut niveau, ellepourrait bénéficier d'une prise en charge optimale pour main-tenir les capacités antérieures à l'opération.

Ce type de ligamentoplastie sur site de la patte d'oie atoutefois permis à la population étudiée de reprendre

son activité professionnelle dans de bonnesconditions, sans douleur et sans instabilité, y compris

pour ceux ayant un métier contraignant en termed'aptitude physique (pompier de Paris, nageur de

combat, parachutiste).

Nos résultats, à sept mois postopératoire, ne sont pas siéloignés de ceux d'athlètes de haut niveau dont les capacitésont été évaluées à huit ou neuf mois après ligamentoplastie.Il serait donc intéressant d'ajouter une phase au protocole deprise en charge des patients opérés par les techniques TLS ouDIDT afin de permettre un retour aux activités sportives anté-rieures dans de meilleures conditions. Cette dernière phasepourrait s'appuyer sur des exercices de proprioception asso-ciant feed-back et feed-forward, du renforcement musculaireintensif et la lutte contre la peur du mécanisme lésionnel afind'éviter de se re-blesser [27,28].

Déclaration d'intérêtsLes auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relationavec cet article.

17

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M. Cazenave, F. DelogePratique / Geste pratique

ANNEXE 1. SCORE COFRAS

CODIFICATION FONCTIONELLE DELA REPRISE DES

ACTIVITÉS SPORTIVESDATE :

TOTAL GÉNÉRAL : /30

COURSE RÉCEPTION MONOPODALE0 : impossible1 : inférieure ou égale à 500 m2 : supérieure à 500 m3 : accélération possible4 : décélération possible

0 : impossible1 : réception depuis

une marche d'escalier2 : réception une

marche avec qualitééquivalente au côté sain

3 : réception depuisdeux marches d'escalier

4 : réception deuxmarches avecqualité équivalenteau côté sain

IMPULSION MONOPODALES ESCALIERS0 : impossible1 : sur place, moins de 102 : sur 10 m de longeur3 : montée 10 marches

d'escaliers4 : qualité équivalente

au côté sain

0 : montée par marche1 : montée deux par deux2 : montée en courante

deux par deux3 : descente deux par deux4 : aucune gêne

STABILISATION LATÉRALE ACROUPISSEMENTMOPODAL

0 : impossible1 : sauts laréraux D

et G pieds joints2 : saut monopodal D et

G espacement10 cm (3 D/G)

3 : saut monopodal D etG espacement50 cm (3 D/G)

4 : qualité équivalenteau côté sain

0 : impossible1 : moins de 10 à 4582 : supérieur ou égal à

10 de 458 de flexion3 : suite interrompue

de la série précédenteplus cinq à 908 de flexion

4 : qualité équivalenteau côté sain

STABILISATION ROTATAIRE(freins de la rotation interne)0 : impossible1 : saut vers l'extérieur

avec quart de tour (3)2 : saut vers l'extérieur

avec demi-tour (3)3 : qualité équivalente

au côté sain

STABILISATION ROTATAIRE(freins de la rotation externe)0 : impossible1 : saut vers l'intérieur

avec quart de tour (3)2 : saut vers l'intérieur

avec demi-tour (3)3 : qualité équivalente

au côté sain

1

8

ANNEXE 2.

Nous réalisons une étude sur le suivi de patientsopérés d'une rupture du LCA par prélèvement patted'oie. Nous souhaiterions savoir, à 7 mois postopéra-toire, quelles sont vos capacités en termes de niveau dereprise, de sensations de raideur, de douleurs, etc. . .Pour cela, nous vous demandons de répondre le plushonnêtement possible à ce questionnaire :.1. Au repos, votre genou est-il douloureux ?& OUI & NON! 1.1 Si oui, cette douleur est plutôt :& Antérieure & Postérieure& Latérale & Globale

2. Avez-vous repris la course en ligne droite ?& OUI & NON! 2.1 Quelle durée pouvez-vous courir sans aucune douleur nigêne ?& � 20 min & entre 20 et 30 min & � 30min

3. Pouvez-vous réaliser des accélérations/décélérations et vousarrêtez net (signal sonore) ?& OUI & NON

4. Pouvez-vous réaliser des changements de direction rapidement(course avant, arrière, latérale, menée par une personneextérieure) ?& OUI & NON

5. Pouvez-vous réaliser des sauts sur la jambe opérée dans toutesles directions (avant, arrière, latéralement, en diagonale. . . ) ?& OUI & NON

6. Avez-vous repris votre activité sportive antérieure ?& OUI & NON

7. Si oui, est-ce au même niveau qu'avant votre opération ?& OUI & NON

8. Avez-vous de l'appréhension par rapport à votre genou danscette activité sportive ?& OUI & NON

9. S'agit-il d'une activité pivot-contact (rugby, football, handball,basket) ?& OUI & NON! 9.1 Si oui, avez-vous repris le contact ? :& OUI & NON

10. Avez-vous la même gestuelle technique qu'avant (dribble,changements de direction. . . ) ?& OUI & NON

11. Votre genou est-il douloureux pendant l'effort ?& OUI & NON

12. Votre genou vous gêne-t-il pour pratiquer votre activité sportive ?& OUI & NON

13. Avez-vous l'impression que votre genou se dérobe ?& OUI & NON

14. Votre genou est-il douloureux après l'effort ?& OUI & NON

15. Avez-vous l'impression que votre genou soit gonflé aprèsl'effort ?& OUI & NON

Page 7: Étude prospective sur la reprise d’activités physiques de 20 militaires après ligamentoplastie du genou par prélèvement au niveau de la patte d’oie

Kinesither Rev 2013;13(137):13–19 Pratique / Geste pratique

16. Avez-vous la sensation que votre genou soit chaud etinflammatoire à l'arrêt de l'activité sportive ?& OUI & NON

17. Avez-vous l'impression que votre genou soit raide (difficileà fléchir ou à étendre complètement) après l'effort ?& OUI & NON

18. Avez-vous refait des séances de kiné depuis que vous avezquitté l'hôpital ?& OUI & NON

ANNEXE 3. TEST D'APTITUDE À L'ÉTAT DEMILITAIRE (5 CRITÈRES)

– Être capable de monter et descendre deux fois 6 mètres decorde lisse

– Parcourir 8 kilomètres en treillis et rangers en moins de40 minutes

– Réaliser le parcours du combattant (ramper, sauter, monterà l'échelle, courir. . .) en moins de 4 minutes 30 secondes

– Réussir le test de Cooper qui consiste à parcourir au moins2700 m en 12 minutes

– Réaliser 100 mètres en nage libre suivi de 10 mètresd'apnée

RÉFÉRENCES

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