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Editions La Decouverte Le mouvement ouvrier limousin de 1870 à1939 Author(s): P. Cousteix Source: L'Actualité de l'histoire, No. 20/21, Études régionales (Dec., 1957), pp. 27-96 Published by: Editions La Decouverte on behalf of Association Le Mouvement Social Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3776824 . Accessed: 12/06/2014 19:10 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Association Le Mouvement Social and Editions La Decouverte are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to L'Actualité de l'histoire. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.248.187 on Thu, 12 Jun 2014 19:10:25 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Études régionales || Le mouvement ouvrier limousin de 1870 à 1939

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Editions La Decouverte

Le mouvement ouvrier limousin de 1870 à1939Author(s): P. CousteixSource: L'Actualité de l'histoire, No. 20/21, Études régionales (Dec., 1957), pp. 27-96Published by: Editions La Decouverte on behalf of Association Le Mouvement SocialStable URL: http://www.jstor.org/stable/3776824 .

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Le mouvement ouvrier

limousin de 1870 a 1939

Monsieur Pierre Cousteix, docteur es lettres, a bien voulu nous remettre - et nous l'en remercions vivement - cette etude sur le mouvement ouvrier limousin de 1870 a 1939. Elle fait partie d'un ensemble sur la vie ouvriere limousine de 1815 a 1939 dont certains elements sont parus dans les revues : L'Actualite de 1'Histoire, L'Information historique, Horizons de la Haute-Vienne.

J. M.

LE MOUVEMENT OUVRIER LIMOUSIN

1) 1870-1885

a) Conditions industrielles.

Lorsqu'on etudie l'evolution industrielle en Haute-Vienne, sous la TroisiOme Republique, l'on constate que l'essor industriel mani- feste une courbe ascendante suivie d'un declin pour l'une et l'autre des industries principales : la porcelaine, le cuir. Ces apogees de la production se situent vers 1907-1913 pour la porcelaine, vers 1924-1927 pour la chaussure. Elles furent accompagn6es d'apres revendications ouvri6res dont les principales regurent satisfaction. 11 semble qu'a partir de 1929 un etat d'equilibre soit atteint. Il s'effectue meme dans la production un veritable d6clin, provisoire- ment masque par la crise economique mondiale. Cette crise fut beaucoup plus fortement ressentie en Haute-Vienne, et notamment a Limoges, qu'ailleurs, car aucune initiative patronale ne vint ra- nimer. vivifier l'industrie. Une tentative faite par les pouvoirs publics pour faire glisser la main-d'oeuvre vers une industrie de relais, la m6tallurgie de l'armement, n'eut qu'un mediocre succOs.

En somme. les tentatives hardies faites par les fabricants de porcelaine pour faire de cette industrie une industrie t rendement echou6rent. Elles se heurterent aux habitudes de tra- vail de la population ouvriere, restee individualiste, difficilement capable de se plier a une discipline sev0re. Des firmes creees par la dynastie des Haviland, il ne reste a Limoges que de hautes et tristes batisses. La porcelaine redevint un artisanat plutot qu'une industrie, son succOs etant fait, non pas d'une production en serie. mais d'un element artistique que l'on s'efforgait de donner, soit aux formes, soit aux d6cors des ustensiles. Dans d'autres indus- tries des aspects archaisants sont 6galement a noter.

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L'industrie du fer avait laiss6 subsister, apres la decadence des forges au bois consecutive au trait6 Cobden-Chevalier de 1860, une clouterie et une tr6filerie A Champagnac-la-Riviere. Cet etablissement se maintint, contre toute prevision economique. I1 fut rachete par la maison de Wendel qui lui conserva quelque activite. II faisait partie des positions de repli des grands eta- blissements de l'Est, poss6des par cette famille, et a partir de 1940, il connut une certaine recrudescence d'activite.

Dans la ganterie, le centre de Saint-Junien se developpa re- marquablement. II occupait deja 1.300 personnes, dont les deux tiers de femmes, en 1872. L'emploi des machines pour le dolage (regularisation de l'Fpaisseur du derme de la peau d'agneau), le depecage, l'assemblage et le montage des pieces qui constituent le gant, permit d'augmenter la production. Or, cette industrie, au lieu de se concentrer, tendit au contraire a 1'eparpillement. Au lieu des quatre patrons-gantiers importants, contre l'autorite et le prestige desquels s'acharnaient les ouvriers anarcho-syndi- calistes, vers 1910, on en compte de plus en plus dans les annees qui suivirent. A partir de 1927 et jusqu'en 1930, un prodigieux essor porta la ganterie a un haut degre de prosperite. La crise de 1929-1936 6tant passee, ia ganterie fit un nouveau bond en avant, et de nombreux ouvriers habiles acced&rent au patronat. Si bien qu'en 1950, plus de 100 patrons gantiers employaient pres de 2.000 travailleurs. Cette industrie etait d'ailleurs une industrie A domicile ; elle apportait un salaire d'appoint aux families rurales des cantons avoisinants, et m~me elle debordait en Charente, du cote de Chabanais. On pouvait constater, d'ailleurs. l'interven- tion d'un intermrrdiaire parasite entre le patron et l'ouvri6re le distributeur du travail dans les villages.

M6me impossibilite de concentration dans l'industrie de la porcelaine. Au lendemain de 1870, celle-ci fit preuve d'une vigou- reuse expansion : 1.568 fournees en 1870-1871, 2.716 fourn6es, dont 572 au bois, en 1871-72, 2.561 fournees en 1874-1875, 3.183 four- nees en 1882, dont 505 fourn6es au bois. En 1884, une premiere crise iclata : 12 fours furent mis en ch6mage dans cinq fabriques; 74 fours dans trente fabriques restaient en activite, mais par- tielle. La production baissait de 50 %. Vers 1882, la porcelaine occupait 5.000 ouvriers pour le blanc et pros de 2.000 pour le decor. La production reprit sa marche ascendante, favorisee, en 1894, par l'abaissement des droits de douane des Etats-Unis qui, vers 1884, s'elevaient a 60 % sur la porcelaine d6coree. Apr6s la crise de 1896, les gr6ves de 1905, la production parvint a son apogee en 1907, avec 300.000 metres cubes : 35 usines employaient plus de 9.000 ouvriers. La production se maintint a un haut niveau jusqu'en 1913 : 300.000 metres cubes. Elle tomba a 70.000 metres cubes en 1917, se releva a 240.000 m6tres cubes en 1924-25. puis elle fut durement atteinte par la crise.

Les tarifs douaniers am6ricains Hawley-Smoot de 1930 lui porterent un coup fatal : les exportations aux Etats-Unis, qui se

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montaient a 7 millions de francs en 1912, 23 millions de francs en 1927 (franc papier), tomberent a 1.200.000 francs en 1933. Depuis, la porcelaine de Limoges ne s'est pas relevee.

Or, il est singulier de constater que la fabrication, si elle a accompli des progres en ce qui concerne le decor, est restee la m~me en ce qui concerne la cuisson. Les fours a porcelaine sont des fours intermittents, de meme forme que ceux qui furent cons- truits sous la Restauration. Malgre de tres nombreux essais, les industriels ne sont pas parvenus, dans les fabriques, a generaliser l'emploi du four-tunnel cuisant au gaz ou a l'electricite. Depuis l'apogee de 1907, l'industrie de la porcelaine semble une industrie declinante, fibre de sa tradition, et mettant l'accent sur la beaute de ses produits renommes, plutot que sur la recherche d'un ren- dement capable de faire piece a la concurrence allemande, japo- naise et tch6coslovaque. Le paradoxe industriel est tel que des fabriques de porcelaine, celle de Brigueil-la-Fabrique et celle de Sauviat, parvenaient a se maintenir par l'archaique procede de la cuisson au bois, onereux, mais qui donnait des produits de haute qualite. Les ouvriers etaient accessoirement bficherons, et leur activite continuait a avoir un aspect saisonnier.

Par ailleurs, l'enorme usine a multiples fours de la Maison Haviland a ete fermee en 1931. Ce qui subsiste, ce sont les fabriques telles qu'elles s'etaient constitutes sous la Monarchie de Juillet: en 1932, 24 fabriques emploient 3.300 ouvriers, ce qui fait par fabrique un personnel moyen d'une centaine d'ouvriers.

La decoration est demeuree un travail minutieux en atelier_ un veritable travail d'art. En 1882, il existait 53 maisons de peintres decorateurs. Ces maisons occupaient des fileurs, fleuristes- figuristes. Ces derniers sont toujours payes aux pieces et travail- laient generalement a domicile. Les < chambrelans > formaient une categorie ouvriere independante et d'esprit pointilleux et anarchique. Le nombre d'ateliers de decor s'accrut : en 1947, 84 entreprises occupaient 400 decorateurs. Et la encore on peut remarquer une progression de l'esprit individualiste.

Nous pouvons faire la meme remarque pour l'industrie du cuir. En 1872, l'enquete sur les conditions du travail en France fait ressortir un personnel de 400 tanneurs et de 2.000 ouvriers en chaussure (1.300 hommes, 700 femmes). L'essor de l'industrie de la chaussure fut assez lent. En 1893, il existait a Limoges cinq fabriques de galoches occupant 325 ouvriers. Les ouvriers en chaus- sures, au nombre de 1.200 environ, non compris les travailleurs a domicile, etaient partages entre quatorze fabriques. La plus impor- tante, la maison Monteux, avait un personnel de 700 ouvriers et ouvrieres, parmi lesquelles 300 personnes, ouvrieres surtout, tra- vaillaient en chambre. Ce travail a facon s'effectuait en petits ateliers, sous la direction de maitresses ouvrieres. Ce travail don- nait souvent lieu a des contestations sur les tarifs. D'autre part. il arrivait qu'un ouvrier fit attache a plusieurs usines.

En 1912, l'on recensait en Haute-Vienne 23 fabriques, dont 19 a

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Limoges : les autres etaient installees a Saint-Leonard, Roche- chouart, Bellac.

C'est autour de 1900 que se situe l'arrivee en France des pre- mieres machines americaines pour le procde << Goodyear >> louees, et non vendues, par << l'United Shoe >.

La guerre de 1914-18 provoqua l'essor de l'industrie de la chaussure. Des 1916, il existait 35 usines. En 1920, 46 usines occu- paient 7.914 ouvriers et ouvrieres. La chaussure fut pour Limoges un element indeniable de prosperite durant l'entre deux guerres. Mais la encore, on peut constater que la concurrence de centres comme Paris, Romans, Foug6re, Nancy, Pont-de-Larche, rtussit a reduire, peu a peu, la part de Limoges dans le marche national. En 1939, neanmoins, la production annuelle de Limoges s'elevait a environ deux millions et demi de paires de chaussures.

Dans ce domaine encore, il est interessant de noter et le grand nombre de fabriques, 32 fabriques en 1938, et l'activite des travailleurs isoles, operant dans des petits ateliers, echappant aux rigueurs fiscales ainsi qu'aux lois sur le travail. D'autre part, on peut signaler la dependance economique dans laquelle les fabri- cants continuent a se trouver par rapport a 1' << United Shoe ?. fournisseur des machines-outils. Les fabricants n'ont pu s'affran- chir de cette servitude : les machines sont mises en location par les firmes americaines qui pergoivent une location, remuneration par paire fabriquee. La plupart des fabriques etait des societes en commandite, dont la raison sociale n'6tait que le nom du bailleur de fonds. En 1938, six fabriques etaient constituees en societes par actions, dont les deux principales de Limoges etaient: Heyraud et Monteux.

Si nous considerons maintenant l'ensemble de la classe ou- vri&re, nous pouvons constater qu'elle evolua sensiblement sous la Troisieme Republique. Les ouvriers etaient a l'origine recrutes dans les milieux ruraux, et ils conservaient leurs habitudes de sobriete et d'economie. I1 s'effectuait, dans les families, une sorte de promotion ouvri&re. Les arrivants prenaient naturelle- ment les emplois de manceuvres : hommes de four et batteurs de pate dans la porcelaine, ou bien ils s'engageaient dans les travaux du batiment n'exigeant point de qualification. Ces ouvriers continuaient a parler le patois de leur village d'origine et leur nourriture n'etait pas differente de celle des paysans. Au-dessus d'eux se creait une sorte d'elite ouvriere, constituee surtout par les ouvriers du decor sur porcelaine, ainsi que par les monteurs en chaussures. Ces ouvriers travaillaient moins durement et ils chercherent a s'instruire, soit dans les cours du soir, soit a l1'cole primaire, soit dans les universites populaires, ou meme par des lectures solitaires. Ce sont eux, les Goujaud, les Noel, les Presse- mane, les Chauly, les Broussillon qui constituerent les cadres du mouvement ouvrier, les guides auxquels la masse accorda, a partir de 1906 surtout, une confiance de plus en plus grande, que les consultations electorales raffermissaient constamment.

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b) Action ouvridre.

De 1870 a 1885, le mouvement ouvrier prend son essor, dans le d0partement de la Haute-Vienne, cherche les moyens et les instruments de son action. Tout d'abord, et avant m6me la chute de 1'Empire, il s'engagea dans le mouvement corporatif. Puis le mouvement d'insurrection communaliste qui s'6tait 6bauche6 Limoges, a l'image de la Commune de Paris, provoqua la m6- fiance et l'hostilite de la bourgeoisie. La repression qui suivit s'accompagna, comme dans toute la France, d'une lente prise de conscience de l'idee de classe. Puis, vers 1880, les velleites r6vo- lutionnaires reapparurent et les militants ouvriers se tournerent vers les comites electoraux pour s'efforcer de faire entendre les revendications ouvrieres.

La date de 1885 peut sembler arbitraire pour marquer le terme de ce mouvement. Neanmoins, cette date qui marque, dans le mouvement syndical, une d6saffection assez prononcee dont la cause est a rechercher dans les echecs corporatifs qui ont accom- pagn6 la crise economique de 1882, est le signal, par contre, d'une agitation ouvrieriste suscit6e et entretenue par le boulangisme. Le boulangisme passionna et divisa les ouvriers de Limoges. Beau- coup d'entre eux s'y 6garerent. Dans les annees qui suivirent, l'action ouvriere s'orienta nettement, peu a peu domin6e par les trois concepts d'unite ouvriere, de lutte des classes, de gr~ve g6ne- rale r6volutionnaire.

La resistance a l'Empire, qui avait pris la forme politique en 1869, devint corporative, dts le printemps 1870. Et, tandis qu'un Comite plebiscitaire, forme surtout des notable manufacturiers de Limoges, preparait le vote du 5 mai qui fut favorable a l'Empire liberal et parlementaire, les ouvriers, le corps d'etat des porce- lainiers en tete, aussitot suivis par les ouvriers du batiment, ainsi que par les tanneurs et corroyeurs, constituerent des chambres syndicales:

- 30 janvier 1870 : chambre syndicale des peintres sur por- celaine de Limoges;

- ler mars 1870: chambre syndicale des peintres sur porce- laine et moufletiers

- 19 mars 1870: chambre syndicale des useurs de grains, polisseurs et gargons de magasin;

- L'initiative des ouvriers menuisiers - Chambre syndicale des ouvriers 6ebnistes et tapissiers

-La prosprite : corroyeurs et tanneurs. Comment expliquer cette soudaine expansion syndicale ? Les

ouvriers de Limoges etaient en rapport avec l'Internationale ouvriere. En septembre 1869, au 4e congres de l'Internationale tenu a Bale, les ouvriers deciderent l'organisation des travail- leurs dans les societes de resistance. En mars 1870, deux ouvriers de la manufacture de Sevres, Minet et Benoit, mandates par les syndicats parisiens, firent des conferences aux ouvriers de Limoges.

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Une nouvelle generation de militants ouvriers semblait devoir surpasser celle de 1848. Cette generation, . l'encontre des disciples de Pierre Leroux, semble plus decid6e et combative. En effet, si l'on examine les differents statuts des chambres syndicales, dont la plupart semblent etre copies sur des statuts-types, l'on cons- tate que ces chambres sont essentiellement des societes de resis- tance. Car, A c6te du but qui consiste ~ soutenir << les membres sans travail par suite de differends avec le patron ,>, certaines, comme iInitiative des porcelainiers, se proposaient d'intervenir

A l'amiable. autant que possible, entre les patrons et les ou- vriers. des que des questions generales viendront a se presenter ~. Cette formule semble exprimer une volonte d'action collective, en vue d'une organisation d'ensemble des rapports entre patrons et salaries. L'Initiative reconnaissait, neanmoins, la valeur des con- ventions individuelles de salaires, et elle affirmait, dans son ar- ticle 6. ne vouloir porter aucune atteinte a la liberte du travail.

La Chambre syndicale, l'Initiative des ouvriers menuisiers, qui avait choisi pour devise < justice >>. exprimait dans le preambule de ses statuts. des considerants d'un ton nettement revolution- naire : < ...La coalition des capitalistes rend necessaire la coali- tion des travailleurs... une part active doit etre prise a la lutte cconomique engagee entre le proletariat et le systeme des mono- poles >.

L'Initiative des menuisiers. dans son article IV, decidait d'6ta- blir la < mutualite de services entre ses membres > et d'orga- niser < l'echange de produits avec les autres professions... elle aidera A la formation d'ateliers cooperatifs entre ses societaires D.

L'on reconnait ici le mutuellisme proudhonien, et il est remar- quable de constater que, a peu pres seuls, les ouvriers menuisiers parviendront a creer et A maintenir prosperes des cooperatives ouvrieres de production. Cet ideal de 1' < Atelier social > nous le retrouvons dans plusieurs des chambres syndicales qui se fon- derent dans les annees qui suivirent. notamment chez les ouvriers tonneliers qui creerent. en 1879. << l'Avenir >>. ainsi que chez les cordonniers.

Dans ces < balbutiements proudhoniens > s'affirme nettement la solidarite ouvriere. Dans ses premiers statuts, 1' < Initiative > des porcelainiers se declarait prete a < apporter son concours a toutes les societes ouvrieres, a charge de reciprocite i.

Le 2 avril 1870, les syndicats de Limoges, au nombre de quinze, jeterent les bases d'une chambre federale des societes ouvrieres qui visait a < reformer le mode de repartition des produits, A faire disparaitre toutes les formes centralisatrices qui n'ont servi qu'a maintenir les travailleurs dans un etat de sujetion absolue >.

La chambre federale se proposait d'entretenir des rapports avec tous les autres groupements federatifs du territoire.

Echangisme, federalisme, telle semble etre l'ideologie des pro- moteurs des premieres chambres syndicales. Cette ideologie prou- dhonienne etait celle de l'Internationale ouvriere en ses d6buts.

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C'etait aussi celle des proscrits limousins de Londres ; tout au moins de Talandier. A l'influence de Proudhon semble s'ajouter celle de Bakounine qui, dans ses < Lettres a une Francaise sur la crise actuelle >>, souhaitait briser l'administration bonapartiste... et << rendre la liberte d'initiative a toutes les provinces, a toutes les communes de France >>.

Le 28 avril, les chambres syndicales de Limoges s'installerent dans un local, au 3 de la rue Palvezy. Et, des le 4 septembre 1870, elles constituerent une soci6et populaire qui reconstituait le club de 1848.

C'est par les syndicats et par la Soci6te populaire que va se former l'idee d'une commune economique qui devait absorber la commune administrative. Les proscrits de retour de l'exil, tels que Lorgue et Lebloys, militerent au sein des associations ouvrieres. Cependant, a cote de la Societe populaire se crea bient6t une soci6et qui groupait surtout les membres de la bourgeoisie libe- rale : la < Defense republicaine >. Cette societe tint ses reunions chez le vieux republicain Derignac, rue du Canard. Ces deux socites ne parvinrent pas a former un comite d'entente qui eft pu associer la force ouvriere a l'esprit politique des bourgeois repu- blicains instruits.

Chaque societe. au cours de cet hiver tragique, menait son action propre. La Societe de defense republicaine soutenait la resistance, encourageait la formation des compagnie de francs- tireurs qui allerent combattre dans l'armee de la Loire. Talandier, de retour a Limoges, y reclamait la r6vocation et l'indignite natio- nale pour les fonctionnaires de l'Empire. De son cote, la Societe populaire suscita un plan de defense departementale, appuye par le general Trochu et poussa au recrutement des volontaires armes.

Le 26 decembre, les elections municipales de Limoges se termi- nerent par un scrutin blanc : sur 11.421 electeurs inscrits, il n'y eut que 2.381 votants, moins du quart des electeurs inscrits. Le 3 janvier 1871, un nouveau scrutin permit aux candidats unis de la Societe republicaine et de la Societe populaire d'etre elus.

En janvier, une grove eclata parmi les ouvriers de la maison Gibus, toujours a propos de l'irritante question de la < fente ?. En effet, apres la fermeture de ses ateliers, sous pretexte d'inven- taire, la maison Gibus avait prevenu les ouvriers qu'ils auraient a payer toute la fente, en violation de l'arrangement de 1864. Les protestations ouvri&res lui firent renoncer a cette pretention. Toutefois, la maison voulant imposer a ses ouvriers l'entree a l'atelier et la sortie au son de la cloche, la greve fut decidee. C'est alors que la Chambre syndicale decida la mise a l'index de la fabrique. Cette mise a l'index, faute d'une discipline ou- vriere, ne fut pas observee.

Le 18 mars, la Commune de Paris s'etait instauree. Quelle allait etre l'attitude des bourgeois et des ouvriers republicains en cette occurrence ? Talandier se declara, le 2 avril, dans le journal la

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Dtfense rtpublicaine, contre l'instauration d'une Commune a Li- moges. L'inertie des masses qui, en 1870, ne faisaient qu'encombrer les chantiers communaux, ne lui semblait pas de bon augure: < Vingt ans de soumission abjecte a une honteuse tyronnie, ecri- vait-il, ne peuvent etre tout a coup suivis d'une resurrection bril- lante et spontanee >. La Republique, vue de l'exil,. lui avait sem- ble belle. De retour en France, il constatait amerement que les fonctionnaires qui avaient prete serment a l'Empire restaient en place et, d'autre part, il craignait que le revolutionnarisme anar- chiste des ouvriers ne les conduisit a une emeute. II depiorait aussi le manque de dignite des ouvriers qui travaiilaient aux chantiers communaux. et qui ne mettaient aucun empres- sement a rechercher un travail normal.

Or, le comite directeur de la Societe populaire avait envoye un delegue au comite central de la Commune de Paris, parti dans la nuit du 21 au 22 mars. Il prit connaissance du rapport de ce delegue et la soci6te vota un ordre du jour au peuple de Paris pour sa conduite du 18 mars.

Le 4 avril 1871 eut lieu, sous l'impulsion des membres les plus exaltes de la Societe populaire, une tentative d'insurrection com- munaliste. Ce jour-la, un d6tachement du 9 de ligne qui partait de Limoges pour Versailles fut desarme par la foule. Les soldats se rendirent a la mairie et ensuite au siege de la Societe popu- laire, rue Palvezy. Le soir, la Garde nationale qui avait requ, les 26 et 27 mars, 3.000 fusils a pistons sur la reclamation instante du Conseil municipal dans sa seance du 21 mars, se rassembla. A la mairie, la Commune fut proclamee. L'horloger Rebeyrolle demanda que la Garde nationale se portat sur Paris, puis que les trains de troupe qui etaient diriges sur Versailles soient arretes. Puis la Garde nationale, escortant les conseillers muni- cipaux, marcha vers la prefecture, afin de savoir si les sympathies du pr6fet etaient pour Paris ou pour Versailles. La prefecture envahie, la troupe reguliere intervint. Des coups de feu eclaterent. au moment ou une patrouille de cuirassiers, commandee par le general Billiet, debouchait par la rue des Prisons, sur ia place de la Prefecture. Le colonel fut tue. Les barricades s'eleverent sur la rue des Prisons et rue Pennevayre. Une Commune federaliste avait ete proclamee en meme temps que celle de Limoges a Soli- gnac, sous l'impulsion des ouvriers porcelainiers de cette petite localite. Elle fut dissoute en meme temps que celle de Limoges.

L'etat d'esprit insurrectionnel de la population de Limoges s'expliquait, et par le iicenciement des ouvriers employes aux chantiers communaux, et par les elections du 8 fevrier des repre- sentants a l'Assemblee Nationale : la liste conservatrice, sous l'influence des ruraux encore une fois. l'avait emporte de 30.000 suffrages sur la liste republicaine, et les notables legitimistes naturellement soutenaient l'action repressive de Thiers, contre la Commune.

Le 9 avril 1871, Limoges et ses environs furent mis en etat

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de siege, la Garde nationale et la Societe populaire dissoutes. Le club de la rue Palvezy fut ferme. Le 12 avril, le conseil municipal de Limoges fut lui-meme dissous. Tous les corps constitues, en grande tenue, assisterent aux funsrailles du colonel Billiet. Un conseil de guerre condamna a la peine de mort par contumace les ouvriers Dubois et Rebeyrolle.

Encore une fois, l'action precipitee, irreflechie des militants ouvriers avait-provoque, dans la population, un facheux effet. Les mesures d'autorite prises par le gouvernement de Versailles temoi- gnerent d'ailleurs de l'esprit de defiance qui l'animait a l'egard des franchises communales : en effet, la loi municipale confe- rait au pouvoir executif le droit de nommer les maires et les adjoints dans les villes au-dessus de 20.000 ames.

En avril 1871, de nouvelles elections municipales eurent lieu. La liste republicaine populaire qui affrontait, en plein etat de sifge, la liste liberale independante, eut 17 elus, en face de 16 liberaux. Talandier invalide, les deux partis furent a egalite de nomb-e. Le maire choisi parmi les liberaux, les conseillers republicains demissionn6rent. Dans le d6partement de la Haute- Vienne, les republicains l'emportaient seulement dans les petits centres industriels, tels qu'Ambazac, Saint-Leonard. Les campa- gnes demeuraient conservatrices.

L'echec des tentatives communalistes et des tentatives fede- ralistes provoqua, chez les ouvriers de Limoges, un retour sur soi-meme. Jusqu'en 1879, l'action ouvriere resta sur un plan strictement corporatif. Neanmoins, les chambres syndicales com- mencerent a se reunir dans les premiers mois de l'annee 1872, parfois clandestinement. La situation 6conomique demeura pros- pere jusqu'en 1884. De nouveaux syndicats se formaient : la Solidarite des ouvriers et ouvri&res de la cordonnerie de Limoges en 1877, le syndicat des ouvriers charpentiers de Limoges en 1878, les syndicats des ouvriers du fer et carrossiers, des tonne- liers, des magons et ouvriers de pierre, les useurs de grains en 1879, des ouvriers gazetiers en 1881, des peintres ceramistes, typo- graphes, polisseurs de porcelaine, manceuvres des fabriques de porcelaine, peintres en batiment, en 1882, des sabotiers, cordon- niers, limonadiers en 1883, des platriers, gantiers de Saint-Junien, ouvriers en chaussures en 1884, des chapeliers en 1885.

Le nombre des syndicats s'elevait donc, il passait de 5 syndi- cats en 1878, avec 483 adherents, a 16 syndicats et 989 adhe- rents en 1884. Dans les annees qul suivirent, et jusqu'en 1893, le mouvement syndical subit une crise de recrutement.

Durant ces quinze annees, des conflits du travail, mais peu nombreux, eclaterent. Les greves furent pour la plupart motivees par des reajustements de tarifs, elles n'interessaient qu'une cate- gorie limitee d'ouvriers et non point 1'ensemble des fabriques. L'unification des tarifs etait loin d'etre realisee dans la porce- laine, et le travail s'effectuait toujours a facon.

En mai 1871, la Chambre syndicale l'Initiative soutint une

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greve des tourneurs de bols qui reclamaient 20 %0 d'augmentation, qui se poursuivit jusque dans la seconde quinzaine de juin- Reus- site partielle.

En aoft 1873, les tourneurs d'assiettes d'une fabrique deman- derent une augmentation de salaire de 10 %. Le fabricant refusa et congedia une vingtaine d'ouvriers que les autres fabricants mirent a l'index. L'agitation ouvriere augmentait, les patrons envisagerent la fermeture des fabriques. L'attitude resolue des patrons semble avoir incite les ouvriers a renoncer a l'ameliora- tion de salaire.

Ces echecs inciterent les ouvriers a plus de circonspection. Valiere, l'un des d6elgues des ouvriers de Limoges au Congres ouvrier de Paris en 1876, s'exprimait ainsi dans son compte rendu de mandat : < ia greve ne peut rien resoudre ?.

En 1880, les sabotiers revendiqu6rent par la gr6ve une aug- mentation des salaires. Ils furent soutenus par des verse- ments effectues par les syndicats voisins.

En mai 1882, eclata une greve des tourneurs de soucoupes. Ceux-ci r6clamaient l'unification des tarifs des fabriques. La moitie des fabricants accepta le tarif presente, ceux qui refu- serent furent abandonnes par leurs tourneurs de soucoupes, mais ils se fournirent chez leurs confreres. En novembre, le syndicat patronal presenta a son tour aux ouvriers des diff6rentes fabri- ques un tarif des soucoupes inf6rieur a celui que certains fabri- cants avaient auparavant accepte. Le ler decembre, les ouvriers, apres une reunion a la Chambre syndicale, refuserent le tarif patronal. Le lendemain, ils regurent leur huitaine, II s'agit 1a d'un lock-out portant sur une certaine categorie d'ouvriers.

En janvier 1883, le nombre des grevistes s'elevait a 163. Le comite de greve regut, le 6 janvier, un secours de 600 francs de la Chambre syndicale de Nevers. Les grevistes envoyerent un delegu6 a Paris, lequel, quelques jours plus tard, se rendit en Angleterre pour demander des secours aux Trade-Unions : il obtint 625 francs des m6caniciens, 175 francs des emballeurs et 155 francs des peintres et d6corateurs. Le Syndicat parisien de la ceramique fit parvenir, de son c6t6, 1.300 francs.

La greve des tourneurs de soucoupes entrainait le chomage d'un nombre croissant d'ouvriers. Le 17 janvier, 2.400 ouvriers etaient sans travail. Le 19 janvier, une entrevue eut lieu entre le maire et les principaux fabricants en vue d'une conciliation. Le 27 janvier, dans les 31 manufactures de la ville occupant nor- malement 3.900 ouvriers, l'on comptait 205 grevistes et 1.893 ch6- meurs. Chez Haviland, 500 ouvriers etaient mis sur le pave. Le 31 janvier, apres une entrevue entre le prefet et le maire, d'une part, et le comite de greve, d'autre part, la Chambre syndicale annonga, dans une lettre au prefet, que les ouvriers, 6cartant la question du tarif gen6ral, s'en remettaient a des accords individuels en prenant la conciliation pour base.

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Le d6fieit dans la, production avalt dtd de 62 fourn6es en lartvier 1883.

Le 6 f6vrier 1883, le conflit prit fin par un arbitrage du pr6sident Cu Conseil des prud'hommes qui fit dtat Ce l'augmen- tatlon do io a 12 (/l accord6e aux ouvriors tourneurs par la Chambre syndicale des patrons.

Les ouvriers contest6rent cette augmentation, en pr6tendant qu'eile se limitait aL la facon des soucoupes orditnaires, qul avait dtd portdo ak 2 fIr. 50 le cent.

tine fois encore, la gr&ve se termina par un compromis, sans quo les ouvriers pussent obtenir un maximum de satisfaction. 11 en sera souvent ainsi, et ii apparut, au bout de nomnbreuses ann6es, quo la grbve dtalt souvent une armie aL double tranchant, frappant los gr6vistes parfois plus duroment quo les fabricants.

Entre 1871 et 1875, 1'action ouvriere -avai't -subi en France une sorto Ce repli consdcutlf ak l'Cchec Ce la Commune. La volont6 Ce lutte s'6talt amoindrie. Le congres Ce Paris Co 1876, par Vlim- portance Ce ses Cdbats, peut ietre ~considdr6 comnie marquant une renaissance Cu mouvement ouvrier. L'un des del6gue6s Ce ULimnoges A ce congr6s, l'ouvrior formier Gerald Malinvaud, rddigea en cette occasion un tr6s, int6erssant rapport, qui pout eatre consi- dCrd comme un t6moignago Ce la p~ns6e ouvriere Ce cette 6poque. Malinvaud ?falt partie Ce l'Ciite ouvriltre, i1 gagnait 10 fra-ncs par jour. II dtait fler de sa femme 6conome, Co sa fille Labile, Ce son fills appre-nti lithographe, et gagnant 1 franc par jour. IL a lu les bons auteurs, 11 cite Montaigne, Sismondi. Tout imprdgnd Ce 1'humanisme optmmiste do Proudhon, il fait 1'd1oge Ce la famille, Ce la mere 6ducatrice. Li so mdfie do la culture llvresque, abstraite que l'on donne Cans los deoles secondaires, et au jeune bourgeois paLli par les veilles, il pr6f6re l'ouvrier rempli Ce bon sons, aux moeurs rangdos, form6 par l'enseignenient gdntral et profession- nel :sciences, dessin ordinairo, Cessin lin6aire, modelage. Ii s'Cl6ve contre certaines lectu-res d'atellor, caract6ristiques do la vie ou- vrie%re de Lirnoges, et qul accordalent trop aux rocambolesques av-entures d'Eug6ne SUie. Au sujet Ce l'association, il souhaite Ilabrogation des articles restrictifs Cu Code pdnal. Mais, affirme-t- 11, los Chambres syndicales ne sont qu'une institution transitoire, car los classes soclales doivent disparaltre, grace a. une permu- tation permanente des richesses. En ce qui concerne la production industrielle, il fait la critique des socidtds ouvri&ros Ce produc- tion, qui toutes ont hiquidd6 avec perte et, qui ont trop souvent f alt naitre, chez les associds, Ilesprit chimd6rique Ce la richosse. II prdconise, au contrairo, l'dchangisme Ce la mani6Nro de Proudhon, et Cans le crddit, ot Cans la, consommation. Toutefols, son sons de la famille et Ce la responsabilit personnolle mlu fait repousser le sysieme phalanstdrien. II semble plus mutualisto que coopd- ratour.

L'attentat a l'ordre quo constitue le chOrnago lul somblo mons- truoux. Et, pour dliminer cette plaie sociale, il souhaite une con-

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sommation accrue, favorls6e, selon lui, par Pe~changis~ne souple et maobile pr6conis6 par Proudhon.

Enfin, 11 prend parti pour la repr6sentation directe des ouvriers au parlement.

Son humanisrme est un scientisme, un positivismne, un corpo- ratisme non point coup6. do ses bases naturelles, mais au contraire nourri d'616ments Ivivants lbert6 et responsabiltt personnelles, autortt du p6re do famille, sentiment de l'autonomie ouvri6re.

Malinvaud croyait A la science politique, non pas celle du lb6ralisme doonomique qut faisait du travail manuel une valour puroment lconomique, valour ob~issant a, la loi do l'offre et de'la demande, mnais a) la science positive do l'humanltt, bas6e sur le syst~me do la r6ciproctt6.

Malinvaud cxpriminat un humanisme ouvrier qui devalt 8tre colut des ouvriers limousin~s avant quo no so d6veloppe le collec- tivisme guesdisto. Cortos, i1 roprend, dans son 6crit, los id6es exprim6os par Tolain dans son rapport de 186'7 a~ l'Irntornationale ouvrt6re, mats avec un accent personnel, une conscience do classe puisito, non pas dans une analyse fconomico-polittique, mais dans l'ltuo1e des v6ritts morales qu'un ouvrier 6duqu6 d6couvre par la pr~atique journali6re du travail.

Son coll6guo Vali6re, ouvrter en porcolaine, fut, la mi~me annCae, l'un des d6l6gu6s ouvriers A 1'exposition universolle do Phi- ladelphie, Co clut frappa soni imagination, co fut. l'organisation sous une formne en quelque sorte magonnique dos soc16t6s do, secours mutuels amfticaines,.ainsi quo le d6veloppornent do lPins- truction, laquello 6tait obligatoire dans l'Etat do Now-York. Lut aussi ~tait mutuolliste et, en marge do son rapport, il r6clama P'abrogatlon do la lot Le Chapelter ot do I'article 291 du Code p6nal. Il croyatt a~ l'assoctatlon piouvant permottre, grace aux caisses d'&conornie, la cr6ation do coop6rativos do production. Ii no somble pas 6tranger aux tentativos de tronsformatlon do la cha-inbre syndicale dos porcelalniers, Pl'nitititve, en une coope- rattve do production, la C6ramique do Limoges, quM s'effectua en 1874. 11 avait Wt le corrospondant do la premibre Intornationale ~L Llinogos. Synidicaliste commne Varlin, il voyatt dans le syndicat uno sorte do sociWt ouvri6ro do production on puissance plut6t qu'uno association- do re~sistance.

Vors 1882, los chambres syndicales do Limogos so tourni~rent vers los comitt6s 6lectoraux, an nombre do trots 10l Cercle do lUnion Convorvatrice, form6 des 16gitlmistes, le Corcle catholique, lo Cercle do lTUnion dos Travatilleurs. Ce dernior cercle, A tendance radicale, comptait 200 membres. 1I prolongeatt la Soclt6t do d6fense syndicalisto r6publicalne do 1870.

Or, vers cette dpoque, to sentiment do classo so r6pandai't en France, grace a Guesde ot a son journal t'Egalit~. En 1880, Alle- mane, ancien communard, rentra en France. 11 s'efforga do cons- tttuer un groupoment ouvrter r6voluttonnaire. Le 16 mat 1883, il donna une conf6rence aL Limoges, pr6std6e par G6rald Malinvaud

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ayant comme assesseurs Boudaud et Thabar, conseilleurs munici- paux. C'6tait au lendemain de l'echec de la greve des tourneurs de soucoupes. Allemane insista sur la n6cessite d'organiser le parti socialiste. Cet ouvrier typographe reclamait, a un moment ou le probleme scolaire retenait l'attention, la totale gratuite universitaire. Son action fut, a coup sur, f6conde, car elle pro- voqua la creation du Cercle de l'Avant-Garde, qui fut dirig6 par Tabaton-Thuili6re. Ce cercle ne prit jamais une tres grande extension, mais il etait forme d'ouvriers possdant un vif sentiment de classe, qui s'oppos6rent au < possibilisme > broussiste. Le cercle, chaque annee, honorait le souvenir de la Commune par un banquet qui se terminait par les chants de l'lnsurge, de la Carmagnole.

En 1885, n6anmoins, l'education sociale des ouvriers de Li- moges n'en etait qu'a ses debuts. Cependant, le retablissement du scrutin de liste par d6partement permit, aux elections legislatives d'octobre, d'enregistrer un net succ6s democratique. La liste radi- cale, oui figurait l'avocat Planteau, qui se disait socialiste, l'em- porta, avec un nombre de voix s'elevant a plus du double de la liste conservatrice, oiu figuraient des legitimistes comme de Leo- bardy, des bonapartistes comme Nouailhier. Et cela, grace a l'appoint appreciable des voix ouvrieres.

2) 1885-1914

a) Mouvement politique.

Le mouvement ouvrier, dans le domaine de la politique, regut son impulsion des syndicats corporatifs qui susciterent peu a peu dans les masses ouvrieres et paysannes un sens social que les militants socialistes eduquerent. Ces masses, d'abord sous la depen- dance des families legitimistes clericales, puis des familles repu- blicaines radicales et anticlericales formerent peu a peu des cel- lules politiques organisees.

La lecture des journaux ouvriers qui, a partir de 1896, expri- merent tour a tour les interets des travailleurs, contribua a l'unite du proletariat.

De 1885 a 1914, le parti ouvrier se forma, s'organisa, assura sa doctrine. L'unite realisee en 1905, il fit en quelques annees la conquete electorale du departement. Des 1914, cette conquete etait realisee dans le domaine de la representation a la Chambre des deputes et plusieurs municipalites, notamment celle de Limoges, adheraient au socialisme.

L'esprit de classe et la tradition revolutionnaire, persisterent d'abord, nous l'avons vu, dans le < Cercle de l'Avant-Garde socialiste >, qui conservait fidelement le souvenir et l'esprit de la Commune et, par-dela le Second Empire, celui de l'insurrection de juin 1848. Durant toute son existence, l'Avant-Garde apparut comme une chapelle revolutionnaire fermee, anti-autoritaire, se

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mefiant des pouvoirs, jalouse de son independance. II n'y eut pas en elle la puissance d'expansion qui sera contenue plus tard dans les cercles guesdistes, mais elle exprime une purete revolution- naire sans compromission.

L'Avant-Garde soutint en 1889, au moment du mouvement boulangiste, la candidature ouvriere de Boudaud ; celui-ci, un couleur de moules, avait une grande influence sur les ouvriers, surtout sur les porcelainiers. La campagne electorale opposait les candidats boulangistes, dont le chef 6tait Le Veille, candidat a Limoges, et le bloc des republicains. Le Comite departemental boulangiste, affilie au Comite republicain national, fut extreme- ment remuant ; il comprenait des ouvriers, trompes par la dema- gogie plebiscitaire, et meme de rares dissidents de l'Avant-Garde, lesquels, entre le ferrysme et le boulangisme, optaient pour le boulangisme. Les agents electoraux du mouvement se recruterent chez des hommes du peuple, abuses par la demagogie et l'ouvrie- risme des candidats boulangistes. Au cours d'une reunion organi- see par le Cercle socialiste de l'Avant-Garde, 400 ouvriers etudie- rent l'opportunite d'une candidature ouvriere dans la premiere circonscription de Limoges, Boudaud fut designe. Sa campagne electorale se reduisit a quelques reunions publiques au cours desquelles fut developpe le programme ouvrier : suppression du Senat, mandat imperatif. Boudaud, au cours d'une reunion orga- nisee par le depute Perin, prit la parole, devant 800 electeurs pour defendre son programme. Les listes de souscription que l'on fit circuler en sa taveur rapporterent peu. Dans les ateliers de peinture, l'on soutenait ouvertement la candidature de Perin, qui avait ete prefet republicain en 1870. Boudaud obtint 1.737 voix ouvrieres au premier tour. Perin s'6tant desiste en faveur de Le Play, sur lequel s'operait la concentration republicaine, l'on assista a ce compromis paradoxal : le catholique et conservateur Le Play, qui avait neanmoins adhere explicitement a la republique, fut soutenu par le Cercle democratique des travailleurs, radical et ferryste. Malgre cette alliance, Le Veille passa, grace a l'appoint des voix ouvrieres. Dans les autres circonscriptions, les moderes l'emportaient, sauf a Rochechouart ; le boulangisme turbulent avait trouve des adeptes a Saint-Junien.

L'echec electoral de Boudaud s'explique par l'impreparation politique de la classe ouvriere. Le prestige de la classe bourgeoise restait intact, et les mythes sociaux, les idees-forces favorables a la classe ouvriere n'avaient encore que peu d'efficacite, en face des ideaux d'ordre et de progres qui animaient la petite bour- geoisie.

Le seul cercle revolutionnaire, l'Avant-Garde, disposait de peu de moyens de propagande, de peu de fonds, si ce n'est les collectes faites dans les ateliers a l'occasion d'une election.

Aux elections de 1893, l'on assista aux derniers soubresauts de l'ouvrierisme demagogique des avocats anciens boulangistes. Ces elections furent dominees, a la campagne qui restait inorga-

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nisee, par le parti modere, sauf a Saint-Junien ofu le radical opportuniste Codet en pipant des voix ouvrieres, l'emporta ; a. Limoges, par l'influence croissante des syndicalistes ouvriers. En effet, deux candidats accepterent le programme economique et social emanant de la Federation des syndicats ouvriers, et exprime dans les conclusions du Congres des Chambres syndicales de Paris : le radical-socialiste Labussiere, qui avait l'appui des Loges, et l'allemaniste Boudaud; candidat de la < concentration ouvriere >. Dans sa profession de foi, imprimee en petit placard, Boudaud se plaga}t cranement sur le terrain de la lutte des classes, tout en acceptant le reformisme, sur un programme minimum. Boudaud obtint 1.157 voix au premier tour, qui se porterent au second tour sur Labussiere, lequel fut brillamment elu par 9.189 voix contre 6.841 a son concurrent. Le deput6 de Limoges, carac- tere faible et ondoyant, s'efforga dans les annees qui suivirent de donner des gages a la classe ouvriere, tout en menageant ses amis radicaux. Constamment reelu jusqu'en 1902, il finira par etre entraine, en 1905, par le torrent impetueux du socialisme.

Dans les annees qui suivirent, le mouvement ouvrier est carac- terise par une pouss6e corporative, elle-meme dominee par le concept de greve generale. Puis, la Bourse du travail, cr6ee 6 Limoges en 1896, tendit a devenir un organisme d'education ouvriere. Or, tandis que le secretaire de la Bourse, Treich, orien- tait l'action syndicale dans le sens opportuniste et reformiste, le socialisme revolutionnaire se developpait. A son retour du congr6s de Paris, Treich cr6a, sous le patronage de la Federation des syndicats ouvriers, un < cercle d'etudes sociales > oii s'inscrivirent une centaine d'ouvriers. Mais ce cercle ne vecut point, car en meme temps, un cercle rival se creait : < l'Emancipation du parti limousin >, prepare par une conference que Jules Guesde fit a Limoges, le 13 mai 1894. Le but de l'Emancipation, qui adh6rait au parti ouvrier, etait de << propager par tous les moyens... * les doctrines du socialisme scientifique ayant pour base le fait historique de la lutte des classes et pour aboutissant logique la socialisation des moyens de production par le proletariat organise en parti de classe, ayant conquis les pouvoirs publics.

I1 est interessant de noter que parmi les 37 membres de l'Emancipation du parti ouvrier limousin figurent 15 peintres sur porcelaine ainsi que six imprimeurs et lithographes. Les peintres sur porcelaine constituaient une corporation ouvriere bien remu- neree, s'interessant aux questions sociales. Les ouvriers se coti- saient pour payer un lecteur qui lisait dans les ateliers. Par contre, les ouvriers en chaussures, travaillant souvent a domicile, etaient davantage isoles. L'Emancipation fut une creation des syndicats des peintres et des lithographes. Elle ne vecut pas.

En 1895, eut lieu une nouvelle tentative. Le 20 avril 1895, apres une conference du citoyen Mourier, ancien cordonnier, originaire de Limoges, et sous les auspices de la Federation des Syndicats, fut cree, aux cris meles et divergents de ? Vive la

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Commune > et < Vive la Republique sociale >, le Cercle des repu- blicains socialistes, adherent au parti ouvrier frangais. L'occasion de cette reunion fut la longue et meurtriere greve des galochiers. qui affectait 150 ouvriers.

Ce nouveau cercle se developpa, en face du Cercle democra- tique des travailleurs, radical-socialiste, et de l'Avant-Garde, qui preservait jalousement sa tendance communarde et anarchisante.

En 1898, aux elections legislatives, Labussiere fut 6lu dans la premiere circonscription de Limoges, par 12.390 voix contre son concurrent le docteur Chenieux, lequel ne recueillait que 8.123 voix. Le programme de Labussiere, sans avoir. le caractere col- lectiviste et r6visionniste qui caracterisait celui du Parti ouvrier frangais, presentait un contenu social : impot sur le revenu, retraites pour la vieillesse, abolition du marchandage, institution d'un salaire minimum. Mais Labussiere manquait de caractere. Et d'autre part, entrain .par son Comite, a tendance radicale, vers l'anticlericalisme, il semblait n'adherer aux aspirations populaires que du bout des levres : sa prudence et sa tiedeur commengaient a exasperer les collectivistes.

Dans la deuxieme circonscription de Limoges se presenta Treich, secretaire de la Bourse du travail. Cette circonscription qui ceinturait la ville de Limoges, comprenait certes les petits centres industriels de la vallee de la Vienne, mais l'61ement rural dominait, ot se faisaient une guerre d'influence acharnee les notables conservateurs, tels que le comte de Villelume a Aixe, Tandeau de Marsac a Saint-Leonard, de Lermite a Eymoutiers, et les notables radicaux, tel que l'impetueux Tarrade. Le pro- gramme de Treich : abolition du S6nat et de la presidence de la Republique, suppression du budget des cultes, service militaire ramene a deux ans, nationalisation des moyens de production mines, chemins de fer, imp&t sur le revenu remplagant l'ancienne fiscalite onereuse aux petites gens, ne suscita pas d'interet chez les travailleurs de la glebe dont l'education politique etait a faire. Les collectivistes apparaissaient aux petits proprietaires comme des < partageux > et d'autre part, la coutume du colonage par- tiaire sous la forme d'une < baillette > d'une annee plagait le colon sous la dependance. < sous la main > du maitre.

Treich ne recueillit que 2.350 voix seulement, et il se desista en faveur du radical et tres anticlerical Tourgnol, qui fut elu au second tour par 11.236 voix contre 6.270 au depute sortant, le modere Gotteron. Les circonscriptions rurales devaient, l'une apres l'autre, passer par l'etape radicale avant d'etre conquises.

Cependant, le journal La Bataille sociale, fonde en 1898, pour les besoins electoraux, subsista, sous l'impulsion de Teissonniere, dissident du Cercle democratique des travailleurs, adherent au Parti ouvrier frangais, qui avait contribue a fonder le Cercle des republicains socialistes, de tendance guesdiste. C'est lui qui, avec Noel, donna au socialisme limousin son souffle revolutionnaire.

En effet, tandis que Treich orientait les adherents a la Bourse

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du Travail vers le reformisme et le ministerialisme, Teissonniere s'efforca, en propageant la doctrine de la lutte des classes, de faire penetrer les idees socialistes dans les milieux ruraux. Pour cela, il participait aux banquets politiques radicaux et socialistes, organises dans les localites deja evoluees en politique, et il tenait sa place dans les discours de fin de banquet. Ou bien, il chantait la Carmagnole et l'Insurge. Il s'inspirait a travers Guesde et Lafargue, de Marx et d'Engels. Il avait reconnu la necessite d'une action sociale en faveur du proletariat agricole. Toutefois, il n'avait pas decouvert le levier de cette propagande, les idees qui auraient pu marier la doctrine collectiviste a l'attachement instinctif a la terre des petits proprietaires.

Il s'efforqa de cr6er et de federer sous < la rouge banniere 9 du Parti ouvrier francais des Comites socialistes ruraux. Il reussit dans quelques localites a en fonder. A Saint-Sylvestre d'abord, village des collines marchoises, gagne depuis longtemps aux idees avancees par l'influence des migrants saisonniers, des macons de Paris. Ensuite, a Sauviat, oiu existait une fabrique de porce- laine.

En meme temps, il attaquait Millerand avec vigueur, tout en s'efforgant de perdre son ennemi Treich.

En 1899, sous son impulsion, fut cree, a l'intrieur du Cercle de l'Union des republicains socialistes, un cercle d'etudes sociales destine surtout a faire piece aux universites populaires. Dans ce cercle, les jeunes gens devaient recevoir les premieres donnees du socialisme scientifique. En mai 1899, le cercle guesdiste de Limoges federait quelques groupes revolutionnaires de la Haute- Vienne et de la Creuse : Saint-Sylvestre, Azerables, Bourganeuf, Saint-Dizier, et aussi Perigueux.

Le journal La Bataille sociale faisait chorus avec les journaux anticlericaux, s'elevant contre < l'immoralite et la lubricite de la < bande noire >. Le Cercle des republicains socialistes participait aussi a l'action politique intense soulevee par l'affaire Dreyfus, car, ainsi que l'exprimait le depute Renou au cours d'une confe- rence faite a Limoges, < l'idee de justice devait passer au service des petits >>. Le peuple se devait de defendre cette idee.

L'annee 1899 fut, dans l'evolution du socialisme limousin, une annee extremement confuse oi s'affronterent violemment des ten- dances contradictoires. Au cours des reunions qui attiraient dans de grandes salles un nombre croissant d'auditeurs, le millerandiste Treich etait pris a parti, avec violence, par un groupe d'anarchistes turbulents et audacieux, et le meme groupe, antimarxiste et anti- guesdiste, sabotait les conferences organisees par le Cercle de l'Union socialiste de Teissonniere.

En 1900, radicaux et fractions socialistes s'unirent en vue des elections municipales, sur un programme commun: affran- chissement communal, construction d'habitations a bon marche, imp6t sur le revenu, retribution des fonctions electives, gratuite des fournitures scolaires, separation des Eglises et de l'Etat. Le

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Cercle du Parti ouvrier frangais fit passer sept conseillers et l'Avant-Garde quatre conseillers.

En septembre 1900, une conference de Marcel Sembat, patron- nee par l'Avant-Garde et le Cercle de l'Union socialiste, reunit 1.500 personnes. Au cours du lunch qui suivit, Teissonniere chanta, seul, I'Insurg6, et cela fit une profonde impression.

A la fin de l'annee 1900, 'antagonisme entre les collectivistes antiministerialistes et les possibilistes etait port6 a son comble. Treich. accuse de concussion, quitta le Cercle des republicains socialistes et crea un quatrime cercle, le Cercle d'Unite socialiste, repr6sentant la tendance des ouvriers syndicalistes. Ce cercle parvint a federer sept groupements : il fetait, lui aussi, par des chants revolutionnaires, l'anniversaire de la Commune, le 18 mars 1901.

En 1901, l'esprit r6volutionnaire survivait dans le Cercle de l'Union des r6publicains socialistes. L'Union crea un nouveau journal, L'Avenir, requt l'affiliation du groupe socialiste de Saint- Dizier dans la Creuse. Au conseil municipal de Limoges il s'efforga de cr6er, souvent avec mauvaise foi, des difficultes au maire Labussiere, soutenu par Treich. Il concurrengait egalement la Bourse du Travail, en ouvrant a son siege un bureau de placement gratuit, esperant par la se creer une clientele ouvriere. I1 pour- chassait l'esprit opportuniste, attaquait le ministere de Waldeck- Rousseau.

Au point de vue social, la section de Limoges du Parti ouvrier frangais s'elevait vivement contre le salariat, et notamment contre le travail aux pieces, regime alors dominant dans la porcelaine et la cordonnerie, qu'on accusait,,en excitant la productivite des ouvriers, d'engendrer le chOmage.

D'autre part, les ouvriers guesdistes subordonnaient le mou- vement economique au mouvement politique : << a l'avant-garde des syndicats ouvriers se trouve le mouvement socialiste >, pre- tenderent-ils.

Les guesdistes se consideraient comme les militants, les soldats de la Sociale. Ils luttaient contre le Cercle de l'Unite fonde par les deux elus Treich et Frugier. Le 16 juin 1901, le Cercle des republicains socialistes se fe6dra avec l'Avant-Garde, depositaire de la tradition communaliste. A la veille des elections au Conseil gen6ral, les membres du Parti ouvrier frangais s'efforcerent de mettre au point un programme agricole comportant l'institution d'une caisse de retraites agricoles, de prud'hommes agricoles, la suppression de l'imp6t foncier, l'assurance d'un minimum de salaire, la conservation des petits patrimoines par la creation d'une reserve insaisissable, l'achat par les communes de machines agricoles, la liberte de chasse et de peche. A la legende calom- nieuse du partage des terres, les socialistes opposaient un pro- gramme precis de reformes sociales. A ce moment, rompant avec le Cercle democratique radical-socialiste, ils pr6senterent quatre

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candidats au Conseil general, dans les quatre cantons de Limoges, qui furent battus.

Le Conseil general prit une nuance plus nettement radicale, et les membres du Parti ouvrier partirent en guerre contre le maire de Limoges et la franc-magonnerie.

A la fin de 1901, a l'occasion de la greve des boulangers de la cooperative de l'Union qui mit aux prises syndicalistes et cooperateurs, le cercle de Teissonnire prit parti en exprimant la formule : < La cooperation est un moyen ; le socialisme, c'est le but >>.

Cette date marque la primaut6 acquise en Limousin par la politique socialiste sur le syndicalisme et le mouvement cooperatif.

En 1902, a l'approche des elections, les militants socialistes firent un effort correspondant a leurs ressources et a, leurs moyens, de propagande dans les campagnes. Mais, plut6t que de presenter aux masses rurales des formules poitiques qui risquaient de ne pas etre comprises, ils s'efforcerent de cr6er des noyaux actifs, des organisations, sous la forme de syndicats agricoles proleta- riens. Pour cela, ils se rendirent d'abord dans les petites localites avoisinant Limoges, a Aureil, Feytiat, Condat, Couzeix, parlant dans des cafes ou des auberges, s'efforgant d'endoctriner les pay- sans. En janvier 1892, l'imprimeur lithographe Noel parlait a Chateauneuf de la fraternite des campagnes et des villes, puis s'en allait a pied, pelerin du socialisme, jusqu'a Bujaleuf, afin de preconiser la formation de syndicats agricoles. Il tentait de faire l'education politique des masses rurales. En mars 1903, il parvint a creer, avec l'aide des ouvriers feuillardiers, d'origine rurale et restes tout proches du milieu agricole, mais dont l'experience syndicaliste etait toute recente, un syndicat agricole, au cours d'une reunion a laquelle asSistaient 300 fermiers et metayers de la region. Presque toujours, et ce fut le cas notam- ment a Eymoutiers et a Saint-Junien, c'est le syndicalisme ouvrier qui ouvrit les habitants des campagnes a la vie politique.

Les ouvriers socialistes de la ville firent comprendre aux proletaires des champs ce qu'avait de precaire leur condition sociale. En particulier, le m6tayer, qui signait une baillette - contrat d'un an - acceptait souvent dans les stipulations du bail, le partage de la totalite des produits : poulets, beurre, aeufs, lait, fruits, agneaux, paille. I1 s'ensuivait, chez les maitres rapaces, une surveillance continuelle des metayers qui avait quelque chose d'humiliant pour eux. Le syndicat agricole fut donc congu a l'origine comme un instrument d'6mancipation des humbles.

Aux elections de 1902, le Parti ouvrier frangais presenta des candidats dans les cinq circonscriptions electorales du departe- ment: Chauly a Limoges-1re, Noel a Limoges-2e, Parvy a Roche- chouart, Gondouin a Bellac, Robert, cuultivateur, a Saint-Yrieix. Il y a lieu de remarquer qu'a la pointe de l'action sociale se trouvaient toujours les deux corporations des peintres sur por- celaine et des imprimeurs. Le programme socialiste etait revolu-

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tionnaire, il s'elevait contre la participation au pouvoir et pr6co- nisait la lutte a outrance contre l'Etat bourgeois. A Limoges, au cours d'une reunion contradictoire contre Labussiere, le 13 avril, le candidat Chauly affronta un auditoire hostile ; les membres du Cercle democratique des travailleurs, portant l'insigne rouge a la boutonniere, formaient une masse electorale s'opposant au petit groupe de membres du Parti ouvrier. Au cours de la reunion, Chauly demanda a Labussi~re: '< Etes-vous partisans de la lutte des classes ? >, Labussiere repondit : < Je m'en tiens au pro- gramme de Saint-Mande ?.

Les r6sultats des elections donnerent : 923 voix a Noel, 753 voix a Chauly, 32 voix a Gondoin, 79 voix a Robert, 25 voix a Parvy. Remarque curieuse : Nol obtint le plus grand nombre de ses voix dans les cantons d'Eymoutiers et de SaintSulpice-Lau- riere, sous l'influence sans doute des migrants saisonniers.

A cette date, les allemanistes du Parti ouvrier syndicaliste revolutionnaire ayant quitt6 le Comite general socialiste. apres les guesdistes et les blanquistes, les membres de l'Avant-Garde avaient fait alliance avec le Cerele guesdiste, durant la campagne elec- torale. Cette alliance pr6para la fusion des deux cercles qui cons- tituerent la section limousine du Parti socialiste de France. Ce pre- mier pas vers l'unite fut favorise par la creation, en juin 1902, a Limoges, d'un groupe r6volutionnaire d'etudes sociales, qui, d'em- blee, adhera au Parti socialiste de France. Ce cercle avait pour but l'etude, par les ouvriers manuels et intellectuels, des moyens propres a instaurer une societe bas6e sur la possession collective des ins- truments de travail. Ce groupe fit venir des conferenciers bour- geois comme Myrens, May6ras, qui expliquaient aux ouvriers la formation du capital, << travail vole et cristallis6 en des mains de moins en moins nombreuses >, ainsi que l'histoire du prole- tariat. Les membres du Parti socialiste de France appliquaient la formule : < Classe contre classe >. Is soutenaient les groves, et dans le domaine de l'6ducation poussaient a la laicisation de l'enseignement, tout en condamnant les universites populaires, < don inutile de la bourgeoisie >, < car ce qu'il faut apprendre au proletaire d'abord, c'est la science du socialisme ?.

Le journal l'Avenir disparut en avril 1903 et il fut remplace par le Socialiste de la Haute-Vienne, organe du Parti socialiste de France, Paul Lafargue salua la naissance du journal par une declaration de guerre i Jaur6s et a Millerand.

Le Parti socialiste de France se d6veloppa solidement, non seulement a Limoges, mais fgalement dans les centres ouvriers. Generalement, un groupe d'etudes sociales precedait la constitu- tion d'une section locale guesdiste.

A cette date apparait sur le champ politique une nouvelle generation ouvri6re, qui va former une equipe unie et enthousiaste. II s'agit d'ouvriers form6s a l'ecole primaire et dans les cours du soir, par une premiere generation d'instituteurs laiques, pen6tres de l'importance et de la gravite de leur mission. Goujaud, Betoulle,

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Fevre, Rougerie, plus tard Pressemane ont requ une formation primaire, perfectionnee dans les cours post-scolaires. Goujaud, qui habitait Ies quartiers des ponts de la Vienne, dans la vieille ville, fils ain6 d'une famille de six enfants ,apprenti a 11 ans, avait appris les rudiments de l'instruction a l'ecole de gargons des Feuillants. Dans sa vie d'ouvrier, il appliqua la morale du << refus de parvenir >, en refusant la situation de chef d'atelier qu'on lui offrait. Pressemane s'est forme au cours d'un long et difficile travail solitaire. Peintre en porcelaine, il avait appris le socia- lisme, d'abord sur des brochures ouvrieres, qui, a partir de 1900, se repandent en Haute-Vienne, et dans lesquelles les penseurs du socialisme exposent clairement les points essentiels de la doc- trine, avant de l'apprendre dans les faits. II avait lu Zola. Son socialisme est d'une inspiration elevee, quoique toujours en con- tact avec les aspirations de la masse. II a ete l'un des rares theo- riciens du socialisme qui, tout en vivant la condition ouvriere, 6taient capables de la transcender. Les membres de sa famille appartenaient au monde du travail, et lui-meme avait, depuis son enfance, partage comme apprenti, puis comme decorateur sur porcelaine, la vie des travailleurs.

La generation ouvriere qui apparait en 1900, avait requ des maitres primaires, des habitudes de pensee caracteristiques. Les socialistes limousins ont cru au progres intellectuel, moral, mate- riel. et a l'affranchissement de la classe ouvriere, non pas par une sorte de catastrophe liberatrice, mais par un long effort qui vise, non seulement a la lutte contre la bourgeoisie, mais aussi au perfectionnement interieur. L'ouvrier ne doit pas recevoir le socialisme comme une aubaine, mais le meriter par son travail et la dignite de sa vie. II existe, chez les ouvriers militants de Limoges, une sorte d'austerite, un sentiment du devoir qui trouve assurement son origine dans l'enseignement requ a l'ecole pri- maire. Sentiment du devoir chez l'electeur, de voter et de bien choisir l'lu ; sentiment du devoir chez l'elu de rendre compte de son mandat, de ne pas se laisser corrompre, de bien user des pouvoirs que l'election lui a donn6s.

Ainsi, les socialistes limousins ne sont pas les hommes du desordre, des agitateurs, mais ils se sentent comme les construc- teurs d'un monde nouveau. Et il y a dans leur action une convic- tion profonde, un element de serieux et de duree qui en a assure le succes.

Ces militants se sont aussi consideres comme des educateurs du peuple. Pour eux, une reunion publique est essentiellement une reunion educative. < On ne nait pas socialiste, on le devient ?. A chaque instant, Pressemane mettait en garde ses auditeurs contre une action prematuree, un optimisme trop prompt. n pensait que la prise du pouvoir par le proletariat ne pouvait etre realisee que dans un mom,,ent de grandiose maturite.

De 1903 a 1905, le Parti socialiste de France, en face du Cercle d6mocratique des travailleurs dont le journal avait pour

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titre le Rdveil du Centre, engagea une action pers6verante pour l'unite. Au conseil municipal de Limoges, 10 socialistes frangais, unis a 5 socialistes de France, s'efforgaient de promouvoir des reformes, dans le cadre d'un socialisme municipal.

En meme temps, les militants ouvriers se tenaient en contact 6troit avec la classe ouvri6re, dont ils epousaient les aspirations. ls s'efforcaient de ne pas d6vier dans leur propagande revolu-

tionnaire, de ne pas se laisser aller aux tentations polemistes, suscitees par l'affaire Dreyfus. Dans cette lutte, ils preconis6rent l'abstention ouvriere : < Ne lachons pas la proie pour l'ombre, continuons notre propagande socialiste, anticlericale, antimilita- riste ou revolutionnaire ?>. Ils denoncerent aussi le caractere ambi- gu du Sillon, que propageait a Limoges l'abb6 Desgranges. ils s'ele- vaient egalement contre les fleaux sociaux, la tuberculose ou l'al- coolisme, avec la meme v6hemence que les anarchistes.

Peu A peu, ils cr6erent des groupes d'etudes sociales dans les petits centres industriels, comme Saint-Leonard, Saint-Priest- Taurion, Bujaleuf. En meme temps, ils tendaient la main aux socialistes de la Creuse qui, en 1904, sous l'influence des emigrants creusois & Paris, avaient fonde une federation de 150 membres. comportant 7 groupes.

A la fin d'octobre 1904 eut lieu le premier congres de la F6deration du Parti socialiste de France, qui groupait les sections de Limoges, Saint-Leonard, Saint-Priest-sous-Aixe, Saint-Priest- Taurion, Bujaleuf, Rempnat, Saint-Yrieix. Le parti, a la fin de l'ann6e 1904, etalt fort de 266 adherents.

Le militant Pressemane fut delegu6 au congr6s socialiste de l'Unite, realisee en Haute-Vienne au cours d'un congr6s depar- temental, lequel provoqua, en presence de Guesde et de Renaudel, la fusion des socialistes de France et des autonomes.

A partir de 1905, l'action socialiste ob6it a des directives prEcises. Elle tint compte desormais des evenements du moment, d'une tactique electorale en rapport avec les aspirations les plus legitimes de la masse ouvriWre. Surtout, elle s'efforga de conqu6rir les milieux ruraux, jusqu'alors apolitiques et refractaires au socia- lisme.

D%s 1906, le Parti socialiste unifie remporta un important succ6s. Aux elections lEgislatives de mai, Betoulle, designe comme candidat du parti apr6s que Labussi6re se fut retire de la poli- tique, fit campagne dans la premiere circonscription de Limoges, contre Lamy de la Chapelle. Betoulle, dans sa profession de foi. prit tr6s habilement parti, au nom du proletariat de la ville et de la campagne, pour la petite propriete, contre l'usine et le fisc. Sa formule electorale : < le partageux >, c'est le gros proprietaire qui partage le produit du travail accompli par son colon > etait ironique et heureuse. Ce candidat prenait parti contre les periodes militaires - les 28 et les 13 jours - qui g6naient les paysans, pour l'imp6t sur le revenu, pour la liberte syndicale des fonc- tionnaires. Il defendait en somme, comme il le fera toujours,

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les interets des petites gens. II fut 6lu par 11.844 voix contre 10.668 voix a Lamy, le << bon ap6tre des humbles >. Dans la nuit qui suivit l'election, les blanchisseuses du pont Saint-Etienne mon- terent vers le centre de la ville en chantant l'Internationale. Les autres candidats socialistes obtinrent peu de voix ; Pressemane: 1.876 voix a Limoges-2 ; Chateau: 233 voix a Bellac ; Parvy : 568 voix a Rochechouart; Chauly: 433 voix a Bellac. Le total des voix ouvrieres s'elevait a 14.954 voix ; les voix radicales : 43.404; les voix moderees : 25.648.

L'etape radicale n'etait pas encore parcourue dans les cir- conscriptions rurales. Toutefois, en 1907, dans la seconde circons- cription de Limoges, ou le prestige personnel de Pressemane allait grandissant, une election complementaire, en remplacement de l'anticlerical Tourgnol, apporta a Pressemane 7.181 voix au second tour, soit un gain enorme de 5.307 voix en sa faveur, par rapport aux elections de 1906. Les voix socialistes les plus nombreuses se situaient dans les cantons limitrophes de Limoges : 34 % des inscrits a Nieul, 28 c% a Saint-Leonard.

Aux 6lections de 1910, nouveau progres du parti socialiste. Le programme socialiste, toujours oriente vers la satisfaction des besoins des petites gens, comportait : la justice gratuite pour tous, l'imp6t progressif et global sur les revenus et successions qui devait amener la suppression de l'imp6t foncier sur les terres appartenant aux laboureurs qui les cultivent eux-memes, le retour a la nation des monopoles. Betoulle accentuait l'aspect reformiste de son programme, tout en semblant rester fiddle a son ideal revolutionnaire. Adjoint au maire de Limoges, il avait a son actif des mesures municipales en faveur des humbles, no- tamment dans le domaine scolaire. Il l'emporta par 15.414 voix contre 9.118 a son rival, l'avocat Delombre.

Il semble qu'aux voix ouvrieres se soient ajoutees en faveur de Betoulle des voix clericales. Son rival, en effet, etait excom- munie pour avoir vote la loi de separation des Eglises et de l'Etat. Cependant, son action parlementaire avait ete favorable aux petites gens. I avait fait obtenir un conge paye de maternite aux institutrices laiques, reclame la liberation anticipee des classes 1903 et 1904, fait des demarches pour que l'embargo de la douane americaine sur les porcelaines de Limoges ffit leve.

Dans la deuxieme circonscription de Limoges, le radical Tar- rade l'emporta de justesse sur Pressemane qui, avec 8.701 voix, gagnait 1.200 voix en une annee. Pressemane exerqait une grande action sur les masses populaires par sa mystique socialiste, et l'on reprochait a Tarrade de trop amples distributions de palmes academiques et de croix du m6rite agricole ! Pressemane avait fini par conquerir les colons et ouvriers de la terre. Il arrivait largement en tete dans le canton de Saint-Leonard dont il etait depuis 1909 le conseiller general, et oti il avait fait campagne pour l'amelioration de la loi sur les retraites ouvrieres.

Les trois autres arrondissements demeuraient acquis aux radi-

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caux, mais les candidats socialistes progressaient. Le vote des electeurs avait ete souvent d6termine par la question de l'indem- nite parlementaire, qu'un scrutin de la Chambre avait porte de 9.000 a 15.000 francs.

A cette date, la Haute-Vienne se trouvait plac6e au huitieme rang des departements pour le nombre des suffrages acquis aux socialistes. Le nombre d'adherents au parti s'elevait, cette annee-la, a 805 membres.

Les succes electoraux des socialistes s'accentuerent dans les annees qui suivirent. Aux elections municipales de 1912, le Parti socialiste unifie fit passer l'ensemble de sa iiste, qui obtint 9.800 voix contre 7.200 a la liste de la municipalite sortante. De meme, aux elections au Conseil gen6ral de 1913, les socialistes ajouterent a leurs autres sieges ceux de Nantiat, Chalus, Rochechouart.

Les elections de 1914 furent un triomphe pour le Parti socia- liste limousin. Les socialistes menaient campagne pour la repre- sentation proportionnelle qui, dans leur esprit, devait faire dispa- raitre les comites politiques cantonaux, tuer le favoritisme dans les administrations publiques et donner au parti socialiste une representation proportionnelle au nombre de ses suffrages. Effec- tivement, le parti socialiste gagnait des adeptes, et le departement de la Haute-Vienne arrivait au sixieme rang en 1913, avec 2.050 cotisants, representant un pourcentage de 5,3 adherents par mil- lier d'habitants. En ce qui concerne ce pourcentage des adherents par rapport a la population totale, la Haute-Vienne arrivait immediatement apres le Nord et le Gard.

Au congres socialiste d'Amiens, une motion de Pressemane sur la tactique electorale, preconisant une libert6 d'action anti- bloquiste, antibriandiste, contre les trois ans et pour le rappro- chement franco-allemand l'avait emporte. Effectivement, la cam- pagne electorale eut pour theme essentiel la loi des trois ans, a laquelle les candidats socialistes s'opposerent aprement.

D'autre part, les socialistes mirent l'accent sur l'importance de la dette hypothecaire, qui frappait les paysans, et ils appa- rurent a ces derniers comme leurs d6fenseurs, comme le parti republicain le plus avance. : En appelant les paysans a leur independance politique, nous les entrainerons a leur independance morale >, pouvait-on lire dans le Populaire du Centre du 19 fe- vrier 1914.

Enfin, les socialistes mirent l'accent sur l'ind6pendance de la femme, sur le droit au travail de la < camarade >>.

La campagne electorale fut acharnee. Les candidats socia- listes visiterent les electeurs jusque dans les hameaux. En mars 1914, Betoulle intervenait a la Chambre en faveur du repos des femmes salariees en couches, pour le rapprochement des recrues encasernees loin de leur province, et son action incessante en faveur des petites gens lui attirait la sympathie des masses labo- rieuses. Des groupes socialistes naissaient dans les milieux ruraux, a Javerdat, Saint-Mathieu, Saint-Paul-d'Eyjeaux. Le collecti-

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visme n'apparaissait plus que comme l'exploitation, sous la forme cooperative, des proprietes privees.

Le resultat repondit a l'effort des socialistes. Au premier tour, Betoulle recueillit 16.274 voix, sur 21.270 votants (40 % des ins- crits), et Pressemane l'emporta par 10.387 voix contre 6.758 voix a son concurrent, Tarrade, Les cantons oh il obtenait le pour- centage le plus eleve des voix etaient ceux qui entouraient Limo- ges : Saint-Leonard, Nieul (63 % des inscrits) et aussi celui d'Eymoutiers. Au second tour, Valiere fut elu a Bellac par 1.700 voix de majorite, et Parvy a Rochechouart, avec 500 voix de majorite. A Saint-Yrieix, le radical Nouhaud, conserva son siege.

Les causes de ce succes etaient dues a l'effacement presque absolu des families conservatrices : les Teisserenc de Bort, de Leobardy, Lavertujon, etc., qui desertaient desormais les luttes electorales, aux divisions profondes du parti radical, a l'espece d'enthousiasme qui avait pousse de l'avant le parti socialiste qui, des 1910, avait acquis les deux cinquiemes des voix.des electeurs, et accentue ses progres par la suite.

Le socialisme agraire constituait en Haute-Vienne un fait ca- racteristique. Il s'expliquait, et par la structure terrienne ouf le metayage etait mal supporte, et par les progres du syndicalisme dans les petits centres industriels, et par l'influence electorale des emigrants marchois ou des cantons confinant la montagne correzienne, enfin et surtout par la propagande habile des candi- dats socialistes qui pretendaient apporter aux habitants des cam- pagnes : la suppression de l'impot sur les proprietes, reinplace par l'impot sur le revenu, la diminution de la duree du service militaire, l'abolition de la dette hypothecaire, et, pour les me- tayers, la prise de propriete des terres qu'ils exploitent.

2) 1885-1914

b) Mouvement syndical.

Avec la creation du cercle de 1'Avant-Garde, forme de militants d6cides a poursuivre la lutte des classes, commence un mouvement politique authentiquement ouvrier qui va peu a peu intensifier son action et s'emparer des postes electifs du departement. Paral- llement, le mouvement syndical, stimule par le concept de la greve generale, va prendre une ampleur croissante.

Ces deux mouvement s'efforcerent d'atteindre des buts dif- ferents. Toutefois, ils se sont toujours pretes un mutuel appui, quoique le mouvement syndical ait reagi contre le mouvement politique par une tendance anarchisante qui exprimait une volonte d'autonomie ouvriere en face du parti socialiste.

Jusqu'en 1893, le syndicalisme chercha sa voie. Avant de deve- nir un instrument de combat de classe, il lui arriva de souhaiter la conciliation, l'arbitrage prud'homme, et meme la collaboration avec le patronat. Ce fut le cas des peintres ceramistes qui, le

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ler septembre 1882, formerent une chambre syndicale dont les statuts, adoptes le 26 septembre, etaient precedes de la declara- tion suivante:

<< Les peintres sur porcelaine de Limoges, desireux d'eviter les greves, et voulant par le moyen de l'entente amicale entre les patrons et les ouvriers, maintenir et meme elever leur pro- fession au niveau qu'elle merite en empechant une concurrence avilissante et souvent d6loyale, forment une chambre syndicale et invitent les patrons a en faire autant, afin que, le cas echeant, les arbitres puissent etre choisis de part et d'autre. >

I1 faut remarquer que les peintres ceramistes constituaient une aristocratie bien mieux r6muneree que les patiers et les ma- noeuvres. A cette epoque, ils sont encore penetres du prejuge << artiste > et les peintres ceramistes pretendent former une cor- poration, non point d'ouvriers manuels, mais d'hommes de gofit. Ce n'est que plus tard qu'ils donneront au mouvement politique ses meilleurs militants. Quant au mouvement syndicaliste, il recut son elan des ouvriers << patiers >, groupes dans la chambre syn- dicale l'Initiative, moins bien payes que les peintres, mais mieux instruits que les journaliers : hommes de fours ou batteurs de pate.

Le mouvement syndical limousin recut, a partir de 1879, annee du congres de Marseille, son impulsion des congres nationaux. Neanmoins, il prit une tournure propre que nous essaierons de decrire.

De 1880 a 1914, il se developpa dans les directions suivantes 1) Il s'6tendit, a partir de la porcelaine, vers les metiers du

batiment, des cuirs et peaux, et dans les branches d'activite ou les gains ouvriers etaient les plus modiques.

2) II se concentra rapidement. C'est ainsi que les syndicats 6parpilles de la porcelaine formerent, a partir de 1902, la Fede- ration de la Ceramique. De meme, cordonniers, palissonneurs, cor- royeurs, gantiers s'integrerent dans celle des cuirs et peaux. Auparavant, en 1905, cinq syndicats avaient deja fusionne.

3) II se produisit une extension territoriale, d'abord vers les petits centres industriels, le long de la vallee de la Vienne, ensuite vers une large zone rurale du Sud-Ouest of vivait,isolee, une population tres proletarisee d'ouvriers des carrieres de kaolin et surtout de bficherons feuillardiers.

Examinons cette expansion. Jusqu'en 1895, apres la poussee de 1883, creations et dissolutions de syndicats alternent. Bien souvent, un syndicat ne vit que la duree d'une greve. L'effectif departemental en Haute-Vienne tombe de 1.114 membres en 1883 a 351 en 1891. Parmi les syndicats dissous, figurent celui des gantiers de Saint-Junien, ainsi que la Conciliation, chambre syn- dicale des sabotiers, formee en cooperative de production.

Un' reveil se produit en 1892 : trois syndicats sont formes ceux des lithographes, des cordonniers et des porcelainiers << useurs de grains >. En 1895, le nombre des syndicats passa brus-

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quement a 23, et un mouvement social revendicatif a peu pres general, mit aux prises patrons et ouvriers.

C'est qu'il s'etait produit un evenement capital dans l'histoire du mouvement ouvrier local, la creation de la Federation des syn- dicats de Limoges.

Une premiere tentative avait eu lieu en 1883, sous l'action des allemanistes Boudaud et Thabar: une brochure tiree a 1.000 exemplaires contenant les statuts de l'Union federative des Cham- bres syndicales ouvrieres de Limoges avait et6 imprimee, par les soins d'un peintre sur porcelaine. A cette epoque, les ouvriers confondaient encore l'action politique par le bulletin de vote avec l'action corporative.

L'Union federative ne vecut pas, et il fallut attendre dix annees pour voir se realiser, en fevrier 1893, la Federation des syndicats ouvriers de Limoges. Ce fut l'ceuvre de Treich, tourneur sur porcelaine, bon ouvrier, qui fut d'abord allemaniste puis qui devint, peu a peu, possibiliste, millerandiste, avant de finir... dans un bureau de tabac !

A la fin de 1893, la Federation passa de 10 a 16 syndicats, et elle comprenait 1.049 ouvriers adherents. En septembre 1893, Treich assista au congres ouvrier de Paris, au cours duquel la greve generale fut discutee. Des son retour, le 29 juillet, il donna lecture, au cours d'une reunion a laquelle assistaient 150 syndi- ques, des resolutions prises a Paris. Un vote repoussa la greve generale immediate, celle-ci n'etant retenue qu'au cas oti le gou- vernement porterait atteinte a la liberte des associations ouvrieres. Puis, le 9 decembre 1893, Treich, au cours d'une reunion de 350 citoyens, parmi lesquels se trouvaient les anarchistes Tenne- vin et Bardet, annonga la creation d'un journal ouvrier, I'Express du Limousin, finance par le < sou de l'emancipation sociale ?. En meme temps, il preconisait la creation d'un cercle d'etudes sociales. Ce cercle s'ajoutant a l'Avant-Garde allemaniste et au Cercle democratique des travailleurs, oii des bourgeois radicaux- socialistes voisinaient avec des ouvriers en blouse, devait avoir pour role d'eduquer la classe ouvriere, en vue de preparer la revolution. Le cercle d'etudes sociales s'installa au cabaret que tenait la femme de Treich, rue de la Fonderie.

Parallelement a cette action, d'origine corporative, les ouvriers de tendance guesdiste tenterent de creer une section limousine du Parti ouvrier, formee surtout de peintres sur porcelaine et d'ouvriers imprimeurs et lithographes. Le Ministere de l'Interieur refusa son autorisation et cette association ne vecut pas.

En juillet 1894, Treich assista au congres ouvrier de Nantes. Deja la federation de Limoges comptait comme force politique, et le depute radical-socialiste de Limoges, Labussiere, assistait le 22 juillet a un punch, suivi de bal, qu'elle organisa ! Les avances de sa part se multiplierent dans les annees qui suivirent.

En 1894, les syndicats de Saint-Junien avaient ete reorganises, ainsi que ceux du batiment. Les salaires dans la megisserie et

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la ganterie etaient particuli&rement bas, la volonte de resistance du milieu ouvrier de la ville grandissait. II y avait la une volonte revolutionnaire proletarienne que Treich s'efforea d'organiser. Et de meme a Limoges, l'organisation cette annee-la porta sur les corps de metier du batiment : couvreurs, peintres, magons ,ter- rassiers, plombiers-zingueurs, ainsi que sur deux corporations de la porcelaine : journaliers et moufletiers.

Des 1893, des cahiers de revendications ouvri6res avaient ete presentes a la mairie et a la prefecture, dans lesquels les ouvriers syndiques reclamaient : la journee de huit heures, l'institutlon d'un minimum de salaire, les retraites ouvrieres. Les elections de 1893, qui virent la deroute du boulangisme, accaparerent l'atten- tion vers la politique. Mais, en 1895, le moment sembla venu de passer a l'action. Le 26 janvier 1895, une circulaire fut envoyee de Paris par le comite de la greve generale, allemaniste, aux divers syndicats ouvriers de Limoges, circulaire signee notamment par Pelloutier, et contenant une protestation contre un projet de loi depose au Senat et tendant a interdire la greve des ouvriers des etablissements de 1'Etat. Ce comite, nomme par le congres corporatif de Nantes, preconisait la greve generale, qui devait mener le proletariat, par la revolution sociale, a son emancipation complete !

Treich n'avait pas attendu cette circulaire pour experimenter l'arme de la greve. Celle de 1888 des manceuvres des chantiers de construction du chemin de fer de Limoges a Brive avait ete causee par les salaires de famine : 0 fr. 25 a 0 fr. 27 de l'heure pour 10 heures de travail par jour, soit une paye moyenne de 45 francs par mois. Ces salaires tres bas furent a peine releves, portes de 0 fr. 26 a 0 fr. 28 de l'heure. D'autre part, les ouvriers boulangers, au nombre de 180. avaient obtenu une legere elevation de salaires : de 5 fr. a 5 fr. 75 pour les enfourneurs. de 4 fr. 50 L 5 francs pour les petrisseurs. D'autres greves, int6ressant des

maisons isolees avaient eclate, pour des questions de salaires. Celle des ouvriers monteurs de la fabrique de chaussures Monteux de Limoges, soutenue en sous-main par le depute boulangiste Le Veille qui s'efforgait de redorer son blason, fut un echec. Les monteurs demandaient un relevement des prix de facon qu'ils n'obtinrent pas. Le syndicat qu'ils avaient fonde le 12 aofit 1891, le jour meme de la cessation du travail, avait ete surtout destine a soutenir leur greve.

A partir de 1893. les choses changerent, sous l'influence de la Federation qui prt en mains les interets ouvriers et s'efforga de substituer aux negociations directes entre ouvriers et patrons. des negociations par son intermediaire : elle prenait a charge la defense des interets de ses membres.

En 1894 eut lieu la premiere epreuve de force a Saint-Junien. Il existait dans ce centre de la ganterie et de la megisserie une population ouvriere particulierement exploitee, toute proche de ses origines rurales. credule en face des patrons qui consideraient

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la main-d'ceuvre sous l'aspect d'une marchandise. Deux syndicats groupaient les ouvriers du cuir: celui des palissonneurs et tein- turiers cr6e en 1892, celui des ouvriers gantiers ,fonde en 1884. En 1893, il fut reconstitue par Amedee Dussoubs, 35 ans, gantier, epicier, et pere de quatre filles, homme doux et inoffensif.

Le 30 mai 1894, au cours d'une reunion tenue par Treich, secr6taire de lVUnion des syndicats de Limoges, le syndicat des palissonniers se transforma en une association des cuirs et peaux, qui englobait megissiers et gantiers. Le meme jour se constitua le syndicat du batiment, dont 1'effectif passa, en juillet, de 50 a 250 ouvriers.

Le 12 aofit 1894, une reunion publique se tint a la Halle de Saint-Junien, avec le concours de deux delegues ouvriers de Limoges, Rougerie et Hummel. Le premier fit le proces du machi- nisme et s'eleva contre les campagnards qui avilissent les salaires. IHummel s'6cria : < Je suis revolutionnaire... dans six mois vous serez les maitres du gouvernement. n ne faut rien craindre, pas meme les balles de lebel. > Le concept de la greve generale excitait son imagination. Et ces propos qui 6taient sinceres, sont un temoi- gnage des illusions que des ouvriers de province, meconnaissant l'ensemble de la vie economique francaise, de la puissance du capitalisme, pouvaient entretenir. La generation ouvriere qui sui- vra fera preuve de plus de discernement.

Le 19 aoft 1894, a l'issue d'une reunion politique au cours de laquelle le plus gros patron gantier de Saint-Jnien, Desselas, fut pris a partie et meme injurie par un groupe de ses ouvriers, les ouvriers du cuir tinrent une reunion privee, au cours de laquelle fut divulguee la formule : < L'Union des syndicats vain- cra la bourgeoisie >>

Le lendemain, le renvoi de trois ouvriers par le megissier Desselas suscita une grande emotion a Saint-Junien. Les delegues syndicaux ne purent obtenir la r6integration de leurs camarades. Le 26 aofut 1894, Treich et Fabreguette, de Millau, secretaire de la Federation des cuirs et peaux, pr6coniserent le calme a Saint- Junien. Puis, le 30 aout, au cours d'une reunion ouvriere, le deput6 radical Codet precha la r6cispiscence, la collaboration des classes. Les reponses ouvrieres a son discours temqignent d'une grande humilite. Malgre cet esprit de concorde, les patrons renvoyerent des ouvriers, encore une fois. Desselas ajourna, le 4 septembre, 15 syndicalistes, Dumas opera un licenciement massif de 100 ou- vriers. Le 8 septembre, 200 ch6meurs battaient le pave de la ville. Au cours des reunions ouvrieres des 8, 22 et 29 septembre, le secretaire de Saint-Junien du syndicat des cuirs et peaux, Rebeyrolle, fit amende honorable au nom de ses camarades. nI revenait a un syndicalisme timore, apres avoir exalte l'union, la greve, la violence.

La tentative de resistance des ouvriers megissiers de Saint- Junien echoua lamentablement. Neanmoins, la solidarite ouvriere joua en cette occasion : les syndicats de France envoyerent

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1.420 francs, les megissiers d'Anvers 500 francs. Faute d'argent et de hardiesse, la grove avait avorte.

En 1895, les 9, 10 et 11 aodt, le congr~s ouvrier des megissiers de France se tint a Saint-Junien. A l'issue des travaux, Fabre- guette, secretaire de la Federation des cuirs et peaux, opposa la situation a Millau - salaire de 4 francs par jour, pour 9 heures 30 de travail - a celle de Saint-Junien ot le salaire n'etait que de 2 fr. 50 par jour pour 10 heures de travail. Treich exalta l'internationalisme.

L'echec de 1894 exacerba la volonte de lutte des ouvriers de Saint-Junien, chez lesquels le ferment anarchiste devint tr&s virulent. A Limoges, Treich avait eu plus de succes avec les ouvriers platriers et plafonneurs. Le 30 mars, devant un audi- toire de 73 ouvriers, il avait donne un compte rendu du congres de Paris en expliquant la tactique a suivre: c Il faut que le mouvement soit brusque... votre gr6ve ne durera pas plus de 48 heures >. Les ouvriers signerent, avec une declaration de solidarite, un engagement de soutenir la demande de nouveaux tarifs. Le nouveau tarif des salaires, repousse par les patrons le 31 mars, fut accepte le 2 avril par 14 patrons sur 18.

Les escarmouches de 1894 prepar&rent le mouvement social de 1895, qui affecta la plupart des corporations et rappela la pous- see ouvriere de 1864. Le sentiment ouvrier etait entretenu par la commemoration de la Revolution de 1848 et de la Commune. Le banquet organise par ( l'Avant-Garde > allemaniste, le 18 mars 1895 reunissait, avec d'anciens communards comme Boudaud et Tabaton, un veteran de l'action ouvri6re, le porcelainier Vincent, ainsi que la jeune generation syndicaliste repr6sentee par Hummel et Treich.

L'action ouvri6re se fit plus intense a partir d'avril 1895. L'approche du congres corporatif ouvrier, qui devait se tenir a Limoges en septembre, exaltait l'6nergie ouvri6re. En cette annee decisive, la federation de la Haute-Vienne comptait 23 syndicats groupant 1.408 membres. Le congr6s de Limoges vit naitre la ConfedEration G6n6rale du Travail, dans une atmosphere assez trouble. En effet, les syndicalistes revolutionnaires s'efforcerent de faire triompher l'id0e de la gr6ve g6enrale, contre laquelle Treich, le secretaire des syndicats limousins s'elevait. C'est qu'il se rendait compte que la classe ouvri6re n'avait pas atteint un degre d'organisation suffisant. Les greves, nombreuses, se derou- laient avec des alternatives de revers et de succ6s.

Le ler avril se declencha la gr6ve des peintres en batiment. Ils present6rent leurs revendications : salaire de 0 fr. 50 de l'heure, journee de 10 heures, retenues sur les accidents A la charge des patrons. Les patrons offraient 0 fr. 45 et 0 fr. 40 de l'heure et la retenue pour les accidents partag6e entre les patrons et les ouvriers. Apres l'6chec d'une tentative de conciliation, et meme d'arbitrage suscit6e par le juge de paix en vertu de la loi du 12 decembre 1892, la grove poursuivit son cours, jusqu'au 16 avril,

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et le travail reprit aux conditions patronales : salaire de 0 fr. 45 de l'heure, journee de 11 heures, retenue pour l'assurance-acci- dents supportee par moitie.

La greve des sabotiers de Limoges n'eut pas plus de succes. Elle prit un caractere d'acharnement. Les ouvriers demandaient : l'unification des tarifs sur la base de la maison la mieux favo- ris6e, la suppression des < banquettes > des apprentis, la journee de 10 heures. Leur tactique consista a soumettre, l'une apres l'autre, chacune des cinq fabriques qui occupaient au total 325 ou- vriers, en la menagant et d'une mise a l'index ,et de la creation fermer leurs entreprises et ils prirent pour base de l'unification d'une cooperative de production. Les fabricants menacerent de des tarifs, les tarifs moyens en vigueur dans l'une des cinq mai- sons, la maison Fougeras. Le 17 mai, apres bien des souffrances ouvri&res, la situation se d6noua par un compromis : tarif unique de la maison Ribiere, journee de 10 heures, reduction a 6 % du personnel du nombre d'apprentis form6s.

D'autres greves, interessant des fabriques isolees, et motiv6es par des questions de tarifs, eclaterent dans la porcelaine et dans la chaussure, avec des alternatives d'echec et de succes. Celle des ouvriers patiers de la maison Barjaud de Lafond qui revendi- quarent un relevement des tarifs des fagons pour les mettre au niveau des autres maisons, commenca le 24 juillet 1895, se pro- longea au 17 aofit, date a laquelle la maison ferma ses portes. En juillet 1895, les menuisiers, a l'instar des.platriers, presenterent leurs revendications : salaires de 0 fr. 40, 0 fr. 45, 0 fr. 50 de l'heure, selon les categories, pale a la quinzaine, suppression de la retenue pour l'assurance-accidents. Les patrons refuserent ces conditions.

L'agitation revendicative continua durant toute l'ann6e 1896. A la fin de l'ann6e 1895, la Federation des syndicats de Limoges et du Centre avait cr6e, pour soutenir les gr6ves, une caisse de resistance. En janvier, les ouvrieres decalqueuses de la maison Th&odore Haviland, qui se plaignaient de ne gagner que 1 fr. 25 par jour, soutenues par les peintres sur porcelaine, obtinrent une augmentation sur quelques genres. En mars, les monteurs de chaussures de la maison Vautour obtinrent une augmentation qui fit passer leurs salaires de 4 fr. 50 a 5 francs.

En juin, les journaliers des fabriques de porcelaine, enfour- neurs et hommes de feu, au, nombre d'un millier environ, recla- m&rent une augmentation de 0 fr. 25 par jour. Dix-huit maisons furent affectees par une greve qui se poursuivit durant tout le mois de juin, et qui ne se termina que sur la menace de la Chambre syndicale patronale de fermer les fabriques.

En octobre, ce fut au tour des calibreurs des maisons Desli- nieres et Redon-Demartial de se mettre en greve, pour protester contre les reglements d'atelier que les fabricants imposaient a leur personnel.

A la fin de 1896, l'agitation s'apaisa. La gr6ve, en effet, avait

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ete une arme souvent meurtriere pour les ouvriers. Certes, les efforts que les militants avaient faits avaient tendu a grouper les forces ouvrieres. C'est ainsi que les ouvriers du batiment avaient forme une federation a laquelle adheraient : terrassiers et manceuvres : 324 ouvriers ; magons : 150 ; tailleurs de pierre 60 ; charpentiers : 75; platriers et plafonniers : 63 ; zingueurs 14. Cette f6edration, administree par un comite local, et dont le secretaire etait un platrier du nom de Menu, etait en rapport avec la Fed6ration nationale du batiment.

La F6deration des syndicats dont les liens avec Paris etaient trop fragiles fut bientot supplantee par la Bourse du Travail. La Bourse du Travail de Limoges fut fondee le ler mars 1896 et elle recut d'emblee une subvention municipale de 6.000 francs. Des le debut, elle s'orienta vers la r6alisation de taches positives de placement, d'instruction ouvri6re et d'apprentissage.

Or, a la lente formation de syndicats ouvriers avait repondu celle des syndicats patronaux : maitres imprimeurs groupant 9 adherents en 1884, fabricants de porcelaine, entrepreneurs du batiment, fabricants de sabots, carossiers, etc. En 1898, il existait 13 syndicats patronaux, organisations de resistance patronale aux exigences ouvrieres qui imposaient, en temps de greve, une action unique a leurs adh6rents. Cette unite avait existe sous le Second Empire, en 1864, lorsque les fabricants de porcelaine s'6taient mis d'accord et coalises pour obtenir la rentree en masse des ouvriers en greve. Elle fut efficace a plusieurs reprises en 1895 et en 1896, et c'est, par exemple, la menace d'un lock-out patronal qui fit echec a la greve des journaliers de la porcelaine.

L'etude de ces greves permet de faire le point des revendica- tions ouvrieres. Les greves de 1895, 1896, furent presque exclusi- vement corporatives. Le seul element extra-corporatif, nous le rencontrons dans la greve des corsetieres de la maison Clement, qui constituerent le premier syndicat de femmes, lequel avait pour but le refus collectif de suivre les pratiques religieuses aux- quelles le patron astreignait ses ouvrieres : messe dominicaie, deux a trois communions par an obligatoires. Les ouvriers, par la gr6ve, s'efforcerent d'atteindre les buts suivants : 6elvation des salaires jusqu'a un plafond qu'on peut situer a 0 fr. 50 de l'heure ou 5 francs par jour, paye par quinzaine, reduction de la journee de travail, unification des tarifs dans le travail a facon. Certes, tous les ouvriers s'accordaient pour reclamer la journee de 10 heu- res avec maintien du salaire journalier. Pour ce qui est de l'uni- fication des tarifs, l'on se heurtait aux usages locaux. C'est ainsi que les ouvriers patiers de la porcelaine subissaient une retenue de 10 % destinee a faire face au salaire du batteur de pate, frais de lumiere et depenses d'entretien des machines. Les ouvriers engagerent une action pour la suppression de cette retenue.

Les ouvriers lutterent egalement contre les reglements d'ate- liers qui devenaient de plus en plus stricts. Et cela nous renseigne

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suir certalnes habitudes du travail. Les ouvriers n' acceptaient pas de ne pouvoir sortir librement au cours de la journ6e de travail. Et tin curieuix incident 6clata, sur ce sujet, le 4 d6cembre 1895, ak la mnaison Lanternier oii les ouvriers demand6rent de sortir en. bloc pour assister au tribunal a un excitant proc6s do 'violation do sepulture. I1 fallut que le fabricant menagAt les ouvrlers de la fermeture d6finitive de sa fabrique pour que la cess-ation du travail n'ait pas lieu.

Enfin, un certain nombre de refus de travail s'expllque par lPhostllit6 de Ilouvrier ak 1'6gard do tout ce qul peut etre pour lui uin 6l16ment de concurrence stir le marchM du travail :la machine, la femme, Ilapprentl. La machine rivale ? (< L'ogre do for >> est vou6 aux g6monies par les ouvrlers syndicalistes. Et, a, chaque progrbs du machinisme correspond tine protestation ouvri6re. Ainsi, en avril. 1895, los ouvriers sabotiers r6c1amont la suppression do la machine a. parer, introduite clans cetto fabrication.

La fernme rivale ? En mars 1893, les imprimeurs de la maisoni Plalnemaison ~e mettent en gr6ve lorsque le patron met une compositrico a. 2 fr. 50 par jour a4 la composition do l'hebdoma- dlaire Petites aff iches limousines. En 1896, los monteurs do la fabrique de chaussures Lecointo demanclent aui patron l'engage- ment c6crit do ne plus occuper d'ouvri6res aui montage et lo syn- dicat do la chaussure tente d'obtenir le renvoi des fenmmos do toutes les fabriques.

L'apprenti. rival ? Los ouvriers sabotiers de Limoges obtien- nient la r6ductlon du nombre des apprentis aL 6 %l du nombre total d'ouvriers.

L'on sent chez los ouvriers, dans toutes los corporations, tine farouche volont6 de restreindre le march6 du travail, d'emp6cher 1'ompi6tetment croissant do l-a machine stir l'outil.

La nouvelle 6tape du mouvemnent ouvrier qlui aboutira aux 6meutes de 1905, est s6par6e du mouvement de 1895 par tine p6riode d'apparente stablit6, marqui6e, en 1898, par tine crise Cclonorniclue due A tin conflit o ntre los maisons de porcelaine exportatrices aux Etats-Unis et I-a douiano am6ricaine. La crois- sance syndicale, pendant ces dix ann6es, fut cependant r6guli~re, continue :37 syndicats en 1898, 39 syndicats en 1900 avec 3.706 adh6rents, 46 synadicats en 1903; 48 syndica-ts cn 1904, 53 syndlcats en 1905, adh6rents A la Bourse dti Travail, avee 6.485 memnbres.

A Limoges, des corps do m6tiers nouveaux cuisiniers, boui- chers, employ6s de l'octroi ,et de la voirie, s'cltaient group6s. La caract6ristlque c'6tait tin 6parpil1ement corporatif tr6s pouss6, au- quel devait rem6dier tin effort do cr6ation de f6~d6rations de mcltiers. Chaque sp6cialit6 do l-a porcelaine avait son sy-ndicat useurs do grains, choisisseurs et emballeurs, gazetiers, englobeurs ot enfourneurs. Do m~me, aL c6tA des ouvriers monteurs et finis- sours do chaussures, s'6tait cr66, en 1900, le syndicat des talon- neurs et parties similaires. Los conductours typographes voisi- .nalent avec los imprimeurs. L'effort do regroupement porta ses

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fruits en 1901, fut cr66e la F6d6ration de la c&r.amiclue, grou- pant 27 syndicats. Celle des sabotiers qlui s'int6grera plus tard dans les cuirs et peaux, existait d6jik avec huit syndilcats.

Le deuxi~me centre ouvrier du dl6partement, de Saint-Junien, manifestait d6ja une turbulence an-archique. L'6chec de la gra~ve de 1894 avait provoqu6- des dissenssions syn-dicales et, en 1896, il s'6tait constitu6 un syndicat des corroyeurs et tanneurs qiul sp6cifiait, dans son article 23, que ,~ le cas de gr6ve g6nc6rale ne serait valable que par une d6cision prise par P'assembl6e g6n6ra1e aux deux tiers plus 1 des membres presents >>x De ninme, le syn- dicat des ouvriers gantiers se reconstituait en 1898, sous l'limpul- sion de Verheart, secr6taire g&6rjal de la FidUration nationiale des ouvriers gantiers. L'influence sp6cifiquement corporative 1'em~- portait, sur le concept pr6matur6 d'agitation soclale et de lutte des classes. Le 22 novembre 1895, le sujet beige Grange, secr6tal1te de la F6d6ration internationale des gantiers, apporta aux caMna- rades de Saint-Junien le salut fraternel des gantiers belges, alle- mands, autrichiens, italiens, << le travail n'ayant p)as de patrie- x. Mais, dans les ann6es qui suivirent, Saint- Junien devint le th~Mtre de luttes sociales acharn6es, qlui atteignirent leur point; culmi- nant en d6cembre 1902. 300 coupeurs gantiers, d6pendant de 25 patrons, se mirent en gr6ve le 16 d6cembre 1902 pour r6clamer une augmentation de 0 fr. 25 par douzaine de gants. La griVev des coupeurs, qul dura deux mois, r6dulsit au ch6mage 1.143 cou- seuses et brodeuses de gants. Des manifestations bruyantes se d6rouli~rent dans la yulle ganti6re, Finalement, le travail ftn repris sur les bases d'une augmentation de 0 fr. 25 sur certaines calAgorles de gants d'homnfies, et d'une unificatio'n des tarifs. Et le sal-aire journalier des ouvriers gantiers fut port6 de 5 francs aL 5 fr. 40 pour dix heures de travail. Les chefs. de parti ouvrier de Limoges prirent parti pour les gantlers de Saint-Junieni, eux- m8mcs sous lilnfluence d'un fort noyau anarchis-te.

De 1902 ak 1904, les mouvement ouvrier atteignit son paroxysme ak Saint-Junien, juscqu'au moment oti, les syndicats reconnus, les ,onditions de travail furent plac6es sur des bases plus stables.

lirtant l'lntransigeance patronale restait grande da-ns la n6gis- occupant 650 ouvriers. En f6vrler 1896, avait kclat6, dams des principales maisons, une gr6ve de cincq palissonneu'rs rent brutalement cong6di6s. De nombreux conflits eurent ais les ann6es clul suivirent. De m6me, les ouvriers des Palle- le paille, concentr6s dans la Soci6t6 des papeteries du

i, ainsi que les sachetl~res des petites fabriques de sacs recevaient des salaires tr~s f-aibles. UTne longue gr~ve, bre 1904 au 31 d6cembre 1904, mit aux prises les ouivriers

le conseil d'administration de cette soci6t&. Les ou- ndaient un salaire mninimum de 2 fr. 50 pour unec lix heures. La gr6ve donna, lieu A des rassemblements .m6s cde fourches qui se port6rent aux usines que la, ~dait dans la val16e de la Vienne en amont de Saint-

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Junien et qui reussirent a debaucher les ouvriers d'Aixe et du Val d'Enraud. La greve prit fin sur une transaction. Dans les annees qui suivirent, l'organisation syndicale, associee a la greve, se propagea en remontant la vallee de la Vienne : usine de Saint- Martin-Terressus en janvier 1907, du Moulin Neuf de Chateau- neuf-la-Foret en mai 1907. Les ouvriers de cette derniere usine obtinrent un relevement des salaires de 1 fr. 90 a 2 fr. 50.

Une troisierne zone syndicalement organisee fut celle de Saint- Yrieix, oui l'on trouvait des ouvriers travaillant dans les carrieres de kaolin de Marcognac et Coussac-Bonneval, ainsi que huit cents fendeurs de bois, ou feuillardiers diss6mines dans les feuillards des chataigneraies des cantons de Chalus, Saint-Yrieix, Nexon. Ces feuillardiers, d'origine rurale, isoles, inorganises, sans instruc- tion, travaillaient quinze heures par jour pour un salaire de 1 fr. 25. En 1899, 60 feuillardiers de Saint-Yrieix se mirent en gr6ve pour reclamer une augmentation de salaire. Les patrons, pris au depourvu, acceptbrent. Dans les jours qui suivirent, la grove s'6tendit en chapelet vers Bussiere-Galant, Nexon, Chalus. Une tentative de conciliation, sur l'initiative du juge de paix de Chalus, echoua. Le 21 decembre, le travail fut repris aux anciennes conditions. Ce soulevement de la misere provoqua la formation d'un syndicat, a Saint-Yrieix, puis a Bussiere-Galant. Ce dernier syndicat groupait des 1901, 861 feuillardiers.

Dans l'hiver de 1900 a 1901, l'agitation reprit, dans le canton de Saint-Yrieix ofu les patrons refusaient de respecter les tarifs de l'annee precedente : 52 ouvriers abandonnerent un patron. Celui-ci c6da, mais la cessation du travail s'etendit, par mouve- ments dissemines, non coordonnes, a travers les multiples chan- tiers des cantons de Nexon et de Chalus. Les feuillardiers, gens frustes, 6taient toujours soumis a l'exploitation patronale 1 fr. 25 par jour pour quinze heures de travail. Une nouvelle tentative de conciliation faite par le juge de paix de Chalus ne reussit pas : des fils de colons, des domestiques de ferme remplagaient les grevistes. Neanmoins, ces derniers obtinrent une augmentation des prix des fagons qui porta leur journee de I fr. 25 a 1 fr. 50. Cette augmentation renforca le syndicat des feuillardiers, il donna aux 800 feuillardiers de la region, en face des 34 marchands de feuillards et d'echalas, une force que consa- crait le nouveau contrat relevant les tarifs.

Les ouvriers du batiment de Saint-Yrieix se mirent eux- mimes en greve, en mai, exigeant 0 fr. 50 de l'heure, puis 0 fr. 55. Seuls, les charpentiers obtinrent satisfaction, et leur salaire jour- nalier se releva tr6s sensiblement de 2 fr. 75 a 4 fr. 20. Cette victoire favorisa egalement le developpement syndical.

Quels furent les caracteres de l'action syndicale, de 1895 a 1905 ? Elle fut soumise, dans une grande mesure, a l'influence du secretaire de la Bourse du Travail. Celui-ci, des 1896, avait r6pudie la greve generale. I1 devint rapidement r6formiste, et meme millerandiste militant. Il s'ensuivit que l'action politique

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r6volutionnaire se separa de l'action corporative et prit son essor. en opposition violente avec l'esprit de la Bourse du Travail, qui semblait s'orienter de plus en plus vers la collaboration des classes.

La Bourse du Travail de Limoges tendit a devenir un orga- nisme regulateur du travail. Elle etait d'abord une 6cole d'ap- prentissage, de formation professionnelle, avec des cours de cou- peurs de chaussures, d'ebenistes, de charpentiers, tailleurs de pierre, tailleurs et coupeurs d'habits, peintres ceramistes, et meme de solf6ge, suivis par 250 6leves en 1900. Elle ne put d'ailleurs realiser toutes ses ambitions sur ce point, car les meilleurs ouvriers n'etaient pas toujours d'excellents pedagogues. Mais elle allait de l'avant, et, au congres corporatif de 1900, Treich fit un rapports sur les cours professionnels dans les syndicats ouvriers et les Bourses du Travail. Dans ce domaine, son influence fut utile, et l'on peut dire que l'enseignement technique qui passa ensuite a l'Ecole nationale professionnelle, eut son origine & la Bourse du Travail.

D'autre part, la Bourse devint un bureau de placement qui se substitua aux bureaux de placement payants. En 1900, 610 ou- vriers places par son intermediaire eurent du travail

L'apogee de la Bourse du Travail de Limoge se place en 1901. Transferee du cabaret de Treich dans des locaux spacieux de la rue Manigne. elle possedait une caisse de chomage, une fanfare. Elle avait distribue en 1901 552 francs de secours aux grevistes et 197 francs pour le ( viatique D aux ouvriers de passage.

Treich, son secretaire, orientait son ambition vers la politique ministerialiste, le radical-socialisme. Le 6 octobre 1899, recevant A la Bourse du Travail le ministre Millerand, il s'ecria : < Depuis votre entree au ministere, nous sommes devenus des ouvriers libres ! >. Et il demanda au ministre la mise 6 l'6tude de l'arbi- trage obligatoire.

A cette epoque, les ouvriers du cercle de < l'Avant-Garde 2 oui survivait l'esprit insurrectionnel de la Commune, ainsi que le Cercle des republicains socialistes, anime d'un esprit guesdiste, adherant au Parti ouvrier frangais, attaquerent avec violence les ministerialistes qui, comme Treich, passaient a l'ennemi de classe. La nouvelle genEration ouvriere se penetrait de la doctrine de la lutte de classes. sous l'influence de brochures marxistes et reagissait contre l'esprit des Bourses. Le militant Noel affirmait. le 14 avril 1901, que les Bourses du Travail ne devaient pas eclipser les federations de syndicats. En janvier 1900, Treich, tres attaque pour son opportunisme, puis accuse de concussion. c6da la place de secretaire de la Bourse du Travail a Frugier. Il s'efforga de cr6er un cercle d'unite socialiste modere, rival des deux cercles ouvriers revolutionnaires, mais, deconsidcr%, il echoua dans son entreprise.

D'autre part, l'esprit revolutionnaire revivait dans les syn- dicats, a la base. C'est ainsi que la greve generale fut a nouveau

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preconisee au congres de la Ceramique, qui se tint a Limoges en juin 1902. Sur ce sujet, le secretaire de la Federation de la Cframique de Limoges, Tillet, fit la critique des graves partielles : energie d6pensee en vain, militants mis a l'index. Et il rappela l'action de resistance du syndicat patronal des porcelainiers de Limoges qui, en 1896, au moment oiu les journaliers de la porce- laine, enfourneurs et hommes de feu, reclamaient par la greve une augmentation de salaire de 0 fr. 25 par jour, avaient decide la fermeture des fabriques. Il preconisa la greve generale, seul moyen capable de transformer l'etat social, de preparer la societe future et d'accomplir la suppression du salariat. Sa proposition fut adoptee par 16 syndicats contre 5 abstentions. Et, dans les ann6es qui suivirent, une reprise de conscience de l'esprit de classe ramena la Federation des syndicats de Limoges et du Centre, qui eclipsait desormais la Bourse du Travail, vers un esprit plus aprement revendicatif. La Federation crea un sous-comite de la grove generale, sous l'impulsion de l'ouvrier Noel. Les tendances guesdiste et allemaniste se manifestaient a nouveau avec vigueur. A cette epoque, l'anticlericalisme et l'antimilitarisme suscites par l'affaire Dreyfus, passionnaient l'opinion, meme ouvriere, et, a l'action purement corporative de la classe ouvriere, s'ajouterent alors des elements d'ordre politique, exploites par les militants socialistes contre la bourgeoisie. Et l'emeute revolutionnaire de Limoges de 1905 est caracteristique a cet egard : son sens est moins revendicatif que politique.

De 1897 a 1905, la lutte par la greve s'efforca, neanmoins, d'atteindre les objectifs bien definis et muirement etudies.

Tout d'abord, les greves tendirent a l'augmentation des sa- laires. Certes, si les salaires des patiers et d6corateurs de la porcelaine, ceux des monteurs en chaussures demeuraient rela- tivement eleves, environ 4 fr. 50 par jour, ainsi que ceux des gantiers de Saint-Junien : 4 fr. 50 par jour, certaines categories demeuraient defavorisees, les ruraux surtout. Les feuillardiers qui atteignaient a peine 2 francs, obtinrent, en 1901, en meme temps que les charpentiers de Saint-Yrieix, une leg6re augmentation. Les ouvriers porcelainiers des petites fabriques qui subsistaient. comme Saint-Brice, Sauviat, a proximite, la premiere de la foret de Brigueil, la seconde des bois de la vallee du Taurion, et qui n'avaient pas abandonne la cuisson au bois, recevaient. en 1902, des salaires moitie moindres de ceux des ouvriers de Limoges: tourneurs : 2 fr. 25 par jour ; enfourneurs : 2 fr. 50 ; Amail- leurs : 2 fr. 35. Les manceuvres-hommes gagnaient de 1 fr. 20 a 2 fr. 20 par jour pour 11 heures 30 de travail, les femmes 1 franc pour 6 a 8 heures de travail. Ils obtinrent une augmentation de 0 fr. 25 par jour, en janvier 1902. Mais ce sont surtout les femmes qui etaient le plus exploitees : les ouvrieres gantieres de Saint- Junien avaient un salaire journalier de 0 fr. 75 a 1 fr. 50 pour 10 heures de travail ; les chemisieres de la fabrique Ch6teau, de Limoges, 1 fr. 50 ; les decalqueuses des fabriques de ceramique,

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de 1 fr. 50 & 2 francs. DMs 1898, le principe ? a travail egal, salaire 6gal r fut soutenu, et l'action en faveur de l'ouvriere, desormais accept6e a l'atelier, comme 6gale de l'ouvrier, fut entreprise. Les salaires feminins lentement se releverent. En aott 1904, 6clata une greve des gantieres de Saint-Junien ; il y eut une emeute. des ballots de gants furent incendies. Les ouvrieres en sac de papier de Saint-Junien obtinrent, elles aussi. une augmentation en 1904, apres 29 jours de greve.

D'autre part, les ouvriers continuerent a lutter pour l'unifi- cation des tarifs. Cette unification sembla acquise dans la typo- graphie. lorsque, en fevrier 1900, 150 ouvriers typographes presen- terent leurs revendications au president de la Chambre syndicale des maitres-imprimeurs. Les ouvriers reclamerent et obtinrent un salaire journalier de 5francs pour les typographes, travaillant < a, la conscience '. ainsi qu'un relevement d'une serie de tarifs pour le travail I la tache. Neanmoins, la non-observation de ces tarifs par l'imprimeur de La Croix, Dumont, d6clencha de la part de ses ouvriers, du 22 mai au 19 juin 1900. une greve tumultueuse avec charivaris devant la maison de cet imprimeur. defiles gro- tesques. jets de pierres. Dumont se refusait obstinement a recon- nattre le syndicat des typographes et a traiter avec lui.

Les ouvriers obtinrent aussi des diminutions de la journ6e de travail. L'on s'acheminait vers la journee de 10 heures, a travers bien des difficultes. Ainsi. en 1903, les linotypistes obtinrent une reduction d'une heure de la duree journaliMre du travail. En 1902, les megissiers de l'entreprise Dumas et Raymond a Saint-Junien passerent de 11 heures a 10 heures 30. De meme, en 1904, les megissiers de l'entreprise Leveque, a Saint-Junien: de 11 heures a 10 heures. Le 29 octobre 1904. les ouvriers de la ceramique r6cla- merent et obtinrent l'application aux hommes de four de la loi de 1848 sur la dur6e maxima de 12 heures cons6cutives du travail. ns etaient astreints a suivre durant de longues heures. et sans relive, la cuisson de la porcelaine.

En decembre, les serruriers obtinrent la journee de 10 heures. sans diminution de salaire. En novembre 1905, les ouvriers d'Etat de la manufacture des tabacs exigeaient la journee de 9 heures.

Les ouvriers lutterent 6galement pour le repos hebdomadaire, accorde en 1906. Les democrates chretiens s'efforcerent de pro- mouvoir cette reforme sociale, en soutenant les syndicats d'em- ployes de commerce qui r6clamaient le repos du dimanche. Pour obtenir ce resultat. qui heurtait les habitudes de vie, des demons- trations dans la rue eurent lieu, les employes de commerce obli- geaient les commergants a fermer boutique. De m6me, le 11 juin 1900, les apprentis et gargons coiffeurs parcoururent les rues de Limoges pour obtenir des patrons la fermeture des boutiques, le dimanche a partir de 5 heures du soir.

De leur c6te, les ouvriers boulangers protestaient contre le travail de nuit.

Enfin, une action de longue haleine commenca contre le

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travail aux pieces, regime quasi general de la remuneration ou- vriere a Limoges. Les ouvriers se rendaient compte que le travail a fagon, en creant entre les ouvriers une concurrence meurtri6re, avait pour resultat de miner la sante de i'ouvrier et d'etre la cause de sa mort prematuree. Chose curieuse: l'abolition du tra- vail aux pieces fut d'abord demande dans la porcelaine par les peintres sur porcelaine de la maison Haviland. Or, les differences de travail, en fonction des talents individuels, etaient tres grandes dans cette corporation et pouvaient justifier des echelles variables de salaires. Les peintres ceramistes firent taire leurs interets individuels et, apres une greve qui dura du 2 fevrier au 15 fevrier 1905, ils obtinrent la substitution du travail aux pieces par le travail a i'heure. Neanmoins, il fallut de longues annees pour que le travail a l'heure l'emportat : celui-ci ne fut definitif que vers 1930. Enfin, la lutte contre l'introduction des machines persistait : greves des 90 porcelainiers de la fabrique de Saint- Brice pour empecher l'introduction des machines a mouler les assiettes, tasses, soucoupes greve des megissiers de la maison Dumas et Raymond a Saint-Junien, contre des machines ; ordre du jour de la Federation nationale des cuirs et peaux reunie $ Limoges, en 1907, protestant contre l'emploi des machines dans la cordonnerie.

Ainsi, vers 1905, les syndicats demeuraient agissants et consti- tuaient les veritables << coles primaires du socialisme >. Cepen- dant, les syndicalistes avaient en face d'eux, non point la bour- geoisie en soi, le capitalisme anonyme, mais des patrons chefs d'entreprises, qui defendaient pied a pied leurs positions. Ces patrons, pour compenser la diminution du nombre d'heures jour- nalieres de travail, s'efforqaient d'obtenir un travail plus suivi, plus intense, en introduisant dans leurs fabriques des reglements d'ateliers rigoureux. Ils se heurterent, encore une fois, a l'esprit d'ind6pendance de la population ouvriWre. Il en resulta des conflits, par exemple une gr6ve generale des porcelainiers, du 2 avril 1902 jusqu'au 23 mai, pour protester contre un reglement d'atelier qu'ils estimaient draconien : les ouvriers obtinrent de pouvoir prendre leur casse-croite dans l'atelier.

Parfois les patrons riposterent a la greve par le lock-out : ce fut le cas en octobre 1904, au cours d'une greve des papetiers de Saint-Junien qui reclamaient une augmentation de salaires. A l'unite d'action patronale correspondait l'unite croissante de la classe ouvriWre. C'est ainsi que la greve de la fabrique de chaus- sures de la maison Fougeras hata le mouvement de fusion des six syndicats de la chaussure en une federation qui comptait, en mars 1905, 1.450 syndiques, groupes en six sections. Le premier acte de ce mouvement d'unit6, fut la fusion, le ler mars, du syndi- cat des coupeurs de chaussures avec celui des cordonniers et machinistes de la cordonnerie.

Au printemps de 1905, Limoges et Saint-Junien se trouvaient dans une position permanente de greve : greve des chaussures

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Lecointe le 3 mars, occasionnee par la demande de renvoi d'un contremaitre d6test6 ; greve de la maison Th. Haviland le 29 mars, greve des coupeurs de poil de chevre de la maison Beaulieu; greve des carriers ; greve de la maison Monteux sur la restriction du nombre des apprentis de la chaussure. Une greve succedait a l'autre. II s'ensuivait un etat de surexcitation dans la classe ouvriere, exacerbee par les negociations sur l'unite du parti socia- liste, qui se poursuivaient activement. Le syndicalisme etait a la tete de l'action revolutionnaire.

En avril, la situation s'aggrava par une grove des typographes, qui dura du 8 au 11 avril et affecta 800 ouvriers.

Le 2 avril 1905, une manifestation ouvriere eut lieu devant l'usine de Theodore Haviland. Le 10 avril, le syndicat patronal de la porcelaine annonca la fermeture de toutes les fabriques si les ouvriers de la fabrique Haviland, qui comptait 1.200 ouvriers. persistaient dans leurs revendications. La ville prit alors un aspect houleux. Une manifestation eut lieu a 13 heures devant l'H6tel du corps d'armee dirigee contre le general Tournier, recemment nomme. Le 12 avril 1905, malgre de nombreux pourparlers qui avaient lieu a la prefecture de Limoges, le lock-out patronal entraina la fermeture de 19 fabriques sur 32. Le 14 avril, apres une reunion a la Bourse du Travail, des manifestations tumul- tueuses se produisirent devant les principales fabriques : 9.500 ouvriers, jetes a la rue, revendiquaient. Le 15 avril, les mani- festations continuerent, avec envahissement des usines. Le 17 avril, une manifestation conduite par deux adjoints socia- listes, Betoulle et Fevre, reclama en vain a la prefecture l'61ar- gissement de grevistes arretes, puis se porta vers la prison pour l'assaillir. La troupe tira, pour se degager, un ouvrier fut tue.

Le 22 avril, un arrangement intervint devant le juge de paix du canton Nord: la d6elgation ouvriere reconnut la libert6 du patron quant a la direction du travail et au choix de son prepose, mais obtint le renvoi du contremaitre qui avait ete la cause de la cessation du travail a la fabrique Theodore Haviland. La de- mande de modification des tarifs fut diff6ere.

Le travail reprit le 23 avril dans les fabriques. Neanmoins, les greves partielles continuaient: engazeteurs de la maison Charles Haviland, le 28 avril ; decalqueuses de la maison Ahren- feldt, du 30 avril au 3 mai greve de megissiers a Saint-Junlen. le 9 juin. Le 29 juillet 1905, a l'occasion du premier congres de la Federation socialiste du Limousin, a Limoges, Jules Guesde enfievra la classe ouvriere en preconisant, une fois encore, et devant 2.000 personnes, la lutte des classes.

Les evenements d'avril 1905 eurent un effet notable sur la population. Ils mirent en relief les elus municipaux socialistes qui avaient fait cause commune avec les manifestants. Ils encoura- gerent les habitants des campagnes, proletaires ruraux. a s'orga- niser, soit syndicalement, soit politiquement.

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b) Mouvement syndical (suite) : 1905-1914

De 1905 a 1914, en effet, l'organisation syndicale d6borda les trois centres de Limoges, Saint-Junien et Saint-Yrieix et s'6ten- dit aux petits 6tablissements dissemines dans le departement. L'annee 1907 est caracteristique, elle vit naitre des syndicats d'artisans ou proletaires ruraux : merandiers et feuillardiers de Saint-Yrieix, de Saint-Leonard, ouvriers en batiment de ChM- teauneuf, usine d'extraits tannants de Saint-Denis-des-Murs, car- riers de Droux, ouvriers et ouvrieres de l'industrie lainiere de Saint-Junien, ouvriers en chaussure de Saint-Leonard. En 1909, apparurent le syndicat des mines de wolfram de Saint-Leonard, celui des feuillardiers d'Oradour-sur-Vayres.

D'ores et deja, le syndicalisme avait cause gagnee aupres des pouvoirs, ainsi qu'en temoigne une lettre de Renoult, ministre du Travail, aux prefets : < Les syndicats, quand ils groupent une partie notable des ouvriers de la profession, peuvent etre legiti- mement consideres comme aptes a representer les ouvriers aupres des employeurs >.

Cette aptitude, la F6edration des syndicats de la Haute- Vienne, naturellement, la revendiquait. En effet, le double effort d'extension et de concentration donnait ses fruits. En 1914, a la veille de la guerre, 28 syndicats comptaient 6.750 membres. Deux grandes federations departementales, celle de la ceramique et celle des cuirs et peaux, contenaient d'importantes masses ou- vribres. La Federation des travailleurs du papier de la Haute- Vienne, creee en 1910, s'efforgait de grouper les travailleurs des papeteries 6chelonnees dans la vallee de la Vienne. Dans la region de Saint-Yrieix, deux groupes : les feuillardiers et fen- deurs du Limousin (1901) et ]es terrassiers du Centre (magons, terrassiers et ouvriers des carrieres de kaolin), constituaient deux syndicats actifs. Ce dernier syndicat avait et6 cr6ee l'instigation des feuillardiers du Centre, qui ne travaillaient que i'hiver dans les taillis, et qui, l'ete, s'embauchaient dans les carrieres de kaolin. L'action reussie dans les chantiers des feuillards les inci- tait A agir contre les riches propri6taires des carribres, pour un relivement des salaires. Les buts du syndicat des terrassiers du Centre etaient nettement revolutionnaires, puisqu'ils visaient a poursuivre < l'entente des travailleurs du monde entier et la sup- pression du proletariat >.

L'expansion syndicale dans les milieux ruraux contribua a la politisation des campagnes, qui sortirent de leur isolement. jusqu'alors propice a l'action tutelaire des families aristocratiques et legitimistes ou bien bourgeoises republicaines.

Les congres corporatifs stimulerent par ailleurs le zele et l'enthousiasme des militants syndicalistes. En 1907, au congrbs des cuirs et peaux, qui se tint a Limoges, de longues discussions permirent aux ouvriers de protester contre les travailleurs en chambre, le travail aux pieces, l'inegalite de salaire entre l'ouvrier

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et l'ouvriere. Les reflexes de classe se manifesterent par un blame adresse a l'institution du Conseil superieur du travail, considere comme une institution bourgeoise. La propagande antimilitariste s'intensifiait, et une controverse assez caracteristique des ten- dances s'institua entre le secretaire de la Bourse du Travail, Rougerie, qui estimait, au cours de ce congres, que l'action contre le militarisme n'6tait pas besogne syndicale, et Grifhueles, qui pensait au contraire que l'action antimilitariste entrait dans le cadre syndical. Une motion herveiste : < plut6t l'insurrection que la guerre >. fut votee, mais ce defaitisme radical n'etait pas dans la pensee de Rougerie, influence par Pressemane et le Parti socialiste unifie. En 1913, au congres de la ceramique, les ouvriers pr6coniserent la semaine anglaise, protesterent contre la loi de trois ans, et traiterent du neo-malthusianisme. La question de la semaine anglaise fut egalement evoquee au congr~s du textile de 1913.

La propagande syndicale s'orienta, durant cette periode, vers des problemes nouveaux, moins corporatifs que politiques. La question de la greve generale continuait a preoccuper les mili- tants, qui accordaient une audience croissante aux conceptions anarchistes, en prenant pour base la charte d'Amiens. C'est ainsi que, le 11 octobre 1907, Cachin, au cours d'une reunion ou il fut contredit par les anarchistes, se declara contre la greve insur- rectionnelle en cas de guerre, qu'il considerait comme une trahison, comme un coup de poignard dans le dos.

Effectivement, l'antimilitarisme actif des ouvriers concernait essentiellement l'action de l'armee en cas de gr6ve. Lorsqu'on de- mandait au soldat de lever la crosse en l'air, c'etait parce que ses chefs pouvaient, pour reprimer une manifestation, lui donner l'ordre de tirer contre ses freres de classe. L'antimilitarisme se definissait comme la non-participation des soldats a la repression des greves. De 1905 a 1914, des groves corporatives pour le rele- vement des salaires eclaterent dans de nombreux petits centres ruraux. La disproportion entre les salaires de Limoges et de Saint-Junien et ces centres eparpilles etait caracteristique. Et cette lutte corporative est en correlation dans une certaine mesure, avec les progres du parti socialiste. Les ouvriers des campagnes sortaient de leur isolement, s'ouvraient a la vie sociale.

C'est ainsi que 3.000 feuillardiers de la region de Saint-Yrieix, apres une gr~ve d'automne en 1906, une greve dans l'hiver de 1907 a 1908, obtinrent un nouveau relevement des salaires, mon- tant de 2 fr. 50 a 2 fr. 75.

Des cessations de travail eurent lieu chez les ouvriers du batiment du Dorat et de Bellac en avril 1907, avec relevement des salaires de 2 fr. 80 a 3 fr. 50, chez les terrassiers des mines de wolfram de Saint-Leonard, en mai et juin 1907 ; chez les carriers du kaolin de Saint-Yrieix, en aoft 1907 avec relivement des salaires de 1 fr. 75 a 2 francs, chez les ouvriers tuiliers de

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Meilhac en 1908, chez les mineurs des mines de Laurieres, Cheni, Nouzilleras, pres de Saint-Yrieix, en 1914.

La condition ouvriere avait singuli&rement change de 1905 a 1914. Les conditions de la vie materielle s'etaient certes amelio- rees. Les annees 1906 et 1907 furent extremement prosperes, et elles marquerent, pour la ceramique, l'apogee de Limoges. Ces annees de prosperite furent suivies par une crise economique, en rapport avec la crise am6ricaine, qui provoqua de nombreux licenciements et des reductions de salaires. A Saint-Junien aussi, les megissiers furent reduits a un travail partiel, et le salaire de 4 francs par jour, qu'ils avaient atteint, fut ramene a 2 fr. 50. Dans les teintureries, la ganterie, les affaires demeuraient tres lentes.

La crise de surproduction dont on accusait, et l'exces du machinisme, et le travail a la tache, dura pendant les annees de 1908 et 1909. Dans les annees qui suivirent, l'on peut constater une sorte de perte d'elan de l'action proprement corporative. Cette perte d'elan se traduisit, jusqu'en 1913, par une sorte de desaf- fection syndicale. Dans certaines corporations, les effectifs dimi- nuaient, par exemple chez les ebenistes : 83 syndiq6us en 1908, 12 en 1909, mais surtout les militants syndicaux deploraient un absenteisme aux reunions, une sorte d'indifference a l'egard des questions corporatives.

L'action ouvriere entre 1910 et 1912 eut pour objet l'amelio- ration de la loi sur les retraites ,votee en 1910. Les militants socia- listes, sous l'influence de Rougerie, secr6taire de la Federation des syndicats, et de Pressemane, conseillerent aux ouvriers de refuser la retenue, prevue par la loi, sur leurs salaires.

Au cours de reunions, nombreuses, l'on provoqua l'hostilite ouvriere contre cette loi. On lui reprochait en particulier d'avoir prevu la retraite a un age trop avance, a 65 ans, et les ouvriers demandaient 55 ans. Cette demande etait justifiee, notamment chez les porcelainiers qui mouraient prematurement, atteints par une maladie professionnelle dont un medecin de Limoges, le docteur de Leobardy, decrira plus tard les effets, sous le nom de la silicose.

Les affiches d'opposition a la loi, emanant de la C.G.T., furent tres lues dans les centres industriels. A Saint-Leonard eut lieu, le 14 mai 1911, un autodafe des bulletins individuels des retraites.

D'autre part, les ouvriers boulangers s'elevaient contre le tra- vail de nuit, soutenus par l'abbe democrate Marevery qui vantait les bienfaits du projet de loi reglementant le travail de nuit depose au bureau de la Chambre, par Justin Godard.

Les reunions syndicales, moins suivies, avaient pour but de protester contre la cherte des vivres et contre la guerre mena- Qante. Cependant, le 14 decembre 1912, au cours d'une reunion de 300 syndicalistes, une proposition de greve de 24 heures, pour protester contre la guerre, fut repoussee a la presque unanimite. Pourtant, une crise economique durable menagait la porcelaine,

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qui ne se relevait pas de la depression de 1908. En 1911, cette crise affectait les maisons Vogt et Haviland, et l'insuffisance des commandes provoquait la mise en ch6mage de 280 ouvriers et ouvrieres, en octobre. En 1914, la crise subsistait, entrainant, en mai. de nombreux congediements chez Haviland et Gerard. Les usines Haviland marquaient une nette decroissance : les effectifs constates passbrent de 2.300 ouvriers et ouvritres en decembre 1913. a 1.550 environ en mai 1914. Les elections de 1914 s'effec- tuerent donc dans une atmosphere de d6pression economique.

A partir de 1913, l'attention ouvri6re fut evidemment absor- bee par le probleme militaire. Et ce fut la campagne electorale des candidats socialistes aux elections legislatives de 1914 qui accapara le mouvement d'opposition contre la loi des trois ans.

PROGRES MATERIELS ET SOCIAUX DE LA CLASSE OUVRIERE EN HAUTE-VIENNE, DE 1870 A 1914

Au cours de la periode qui va de 1870 a 1914, la condition materielle et morale des ouvriers s'ameliora lentement, grace aux efforts collectifs de ces derniers.

Cette condition avait empire sous le Second Empire, ou la lente elevation des salaires, de 20 %c a partir de 1862, n'avalt pas suivi l'augmentation du prix de la vie de l'ordre de 25 %, laquelle avait surtout porte sur la viande et le vin.

Peu a peu, les salaires se hauss6rent, alors que le prix de la vie demeurait relativement stable.

Entre 1870 et 1895, les salaires dans la porcelaine allaient de 2 fr. 50 pour les manoeuvres, a 6 francs pour les tourneurs de soucoupes, et meme 10 francs pour les peintres, < bourgeois de la classe ouvritre >. Dans les autres corporations, ils etaient assez eleves chez les ouvriers qualifies : coupeurs de gants, cou- peurs et monteurs de chaussures - 4 fr. 50 a 6 francs - compo- siteurs d'imprimerie : 5 francs.

Dans les categories moyennes, les sabotiers de Limoges ga- gnaient 3 fr. 35 par jour. Les ouvriers du batiment : peintres, platriers, charpentiers, plombiers, 3 fr. 50.

Dans une categorie au-dessous, il faut situer les journaliers de la porcelaine : hommes de feu, englobeurs, gazetiers, gagnant de 2 fr. 50 a 3 francs, ainsi que les ouvriers des papeteries, gagnant 2 francs, les megissiers de Saint-Junien de 2 francs a 3 fr. 50.

Les categories les plus defavorisees etaient celles des ouvriers ruraux qui, a metier egal, n'avaient pas un salaire egal. Ainsi, les mouleurs et tourneurs de la fabrique de porcelaine de Saint- Brice ne gagnaient que 2 fr. 50 par jour en 1900, alors que les ouvriers similaires de Limoges gagnaient de 4 fr. 50 a 5 francs a la meme epoque. II en etait de meme des ouvriers en cordonnerie

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de Saint-Leonard, dont les salaires variaient de 1 fr. 50 a 2 fr. 50 par jour, alors que les ouvriers en chaussure de Limoges attei- gnaient 4 francs.

Les ouvriers ruraux, isoles, inorganises, etaient les plus mise- rables. Ainsi, les ouvriers des carri6res de kaolin de Saint-Yrieix, de la Jonchere, gagnaient de 1 fr. 50 a 2 francs par jour, vers 1895, pour le travail d'une journ6e allant de la pointe du jour a la nuit. Avec 36 francs par mois environ, ils devaient faire vivre leur famille. De m6me, les feuillardiers, isoles dans les taillis des communes de Saint-Yrieix, Bussi~re-Galant, Chalus, gagnaient 1 fr. 25 pour d'interminables journees de travail. Les ouvriers des chantiers de construction des chemins de fer etaient aussi mise- rables. Leur salaire de 0 fr. 25 a 0 fr. 27 par heure, soit 2 fr. 80 par jour, 45 francs par mois, couvraient a peine les besoins indi- viduels, de 39 a 40 francs par mois, nourriture sans vin. Ces hommes etaient exploites par des tenanciers de cantines et de cambuses.

Les salaires des femmes etaient plus bas encore. Il est vrai que leur journee de travail, bien souvent, n'avait qu'une duree de huit heures. Certes, une compositrice en imprimerie parvenait a un gain journalier de 2 fr. 50 en 1893 ; et les ouvri6res en chaus- sures arrivaient a gagner 2 francs pour 9 h. 30 de travail. En 1896, une mecanicienne en chaussures atteignalt 3 francs, une colleuse 4 francs, une prepareuse 2 francs. Par contre, dans la porcelaine, le salaire d'une d6calqueuse n'atteignait que 1 fr. 25 a 1 fr. 50. Dans les papeteries de Saint-Junien, les trieuses de chiffon gagnaient 1 fr. 50, les sachetieres a peine 1 franc, pour des journees extenuantes de 10 heures de travail. Les ouvri&res a domicile etaient les plus mal payees : couseuse en gants de Saint-Junien a 1 fr. 05 par jour, chemisieres de Limoges a 1 fr. 25.

L'action ouvriere qui atteignit son paroxysme entre 1902 et 1905, permit, malgre la defense acharnee des patrons, de 16gers mais constants relevements de salaires.

Les imprimeurs et linotypistes arrivaient en tete. De 1892 a 1903, leur salaire passa de 5 francs pour une journee de 10 heures a 6 fr. 50 pour une journee de 9 heures. Les coupeurs en chaus- sures les mieux payes atteignirent 6 francs en 1904, les peintres sur porcelaine 10 francs, les gantiers 5 fr. 40 en 1903.

De 1905 a 1914, les salaires se releverent r6gulierement surtout chez les < hommes de feu > de la porcelaine, les papetiers, les ouvriers du batiment dans les campagnes, les ouvriers des carribres de kaolin, les ouvrieres tisseuses.

Les corporations venant en t6te etaient celles de la porce- laine. Un tourneur anglais pouvait atteindre 10 francs par jour a la veille de la guerre, un useur de grains 6 fr. 50, un gazetier de 8 a 9 francs; venaient ensuite les ouvriers de l'imprimerie. En 1908. ils obtinrent la signature patronale d'un nouveau tarif, avec les salaires journaliers suivants : linotypiste, 6 fr. 80 ; typo- graphe. 5 fr. 85 ; imprimeur, 5 fr. 50.

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Les ouvriers macons atteignaient A Limoges 0 fr. 50 de l'heure. Dans l'industrie du cuir, les gantiers s'acheminaient vers un

salaire de 4 fr. 50 A 5 francs, ainsi que les coupeurs de chaussures. Les salaires des femmes : une couseuse gantiere, une sache-

tiere, une tisseuse, une couseuse sur tiges, avaient etW egalement un peu releves.

Au regard des salaires, le prix de la vie etait demeur6 relati- vement stable, quoique avec une tendance A la hausse perceptible en 1910-1914. Le prix du kilo de viande atteignait 1 fr. 50 vers 1900, et le pain valait la m6me annee, a la boulangerie coop6ra- tive de Limoges, 0 fr. 30 le kilo de pain de froment, 0 fr. 25 le pain mele, 0 fr. 20 le pain de seigle. En 1903, le prix du pain ordi- naire s'elevait a 0 fr. 21 le kilo. C'etait le prix moyen de la Res- tauration. Or, les salaires avaient double entre le premier quart du XIXe siecle et la fin du si6cle. Exprime en quantite de pain, un salaire moyen de quatre francs par jour permettait d'acheter 15 kilos de pain bis par jour. Mais si le prix du pain s'6tait main- tenu stable, celui de la viande avait double.

Il semble donc que le pouvoir d'achat des ouvriers ait leg6- rement augmente. Comme, d'autre part, la main-d'oeuvre f6mi- nine apportait de plus en plus un salaire d'appoint, et que le malthusianisme diminuait deja le nombre moyen d'enfants par famille, A partir de 1890 surtout, il s'ensuivit chez l'ouvrier un mieux-etre.

Ce qui manquait le plus, c'est un logement decent. Les families ouvrieres, tant a Limoges qu'a Saint-Junien, continuaient & s'en- tasser dans des immeubles v6tustes. Souvent, les families occu- paient une chambre unique de 8 metres sur 6 metres avec trois lits pour huit personnes, dans des appartements dont les latrines etaient dans la cour. A Saint-Junien, la location d'une chambre se montait A 100 francs par an ; celle de deux chambres, de 120 a 160 francs ; celle de trois chambres, de 220 A 260 francs. L'6clai- rage demeurait primitif. II s'agissait de bougies. couleur de pain d'epice, appelees roussines.

A Limoges, les quartiers r6cemment batis de la Soci6te Im- mobilibre des Ar6nes etaient insuffisants pour loger une popula- tion ouvriWre grandissante.

Certes, la loi du 10 avril 1908 avait permis de constituer deux societes de credit immobilier. Et, d'autre part, deux associations cooperatives de construction d'immeubles avaient ete cr6ees l' Iune, le Foyer limousin, en 1902 ; l'autre, l'Etoile de Limoges, en 1910. Toutefois, le rythme de construction ne correspondait pas a l'afflux des travailleurs qui, venus des campagnes, se contentaient de logements malsains. La demolition des quartiers insalubres de la cite medievale du < Chateau ~ fut l'oeuvre du socialisme municipal. En 1914, le conseil municipal decida de raser le quar- tier du Verdurier, et fit proceder aux expropriations indispen- sables.

L'action ouvrire obtint, non seulement une amelioration des

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salaires, mais 6galement une diminution de la duree du travail, qui g6neralement passa de 12 heures par jour au debut de la IIe RIpublique, a 10 heures par jour vers 1900. Toutefois, la journ6e de 10 heures n'6tait appliqu6e que dans les fabriques, et les travailleurs ruraux du batiment et de la for6t s'efforcerent de l'obtenir. Le tableau suivant, indiquant pour un certain nombre de corps de metier, la duree journaliere du travail , diff6rentes dates, donne une idle de l'acheminement progressif vers la journ6e de 10 heures.

1880 polissonneurs de Saint-Junien, 12 heures. 1892 compositeurs de l'imprimerie Lavauzelle, 10 heures. 1893 monteurs en chaussures de la maison Blanchard, 11 heures. 1894 ouvriers en chaussures, 11 heures. 1895 peintres en batiment, 11 heures. 1895 les ouvriers sabotiers obtiennent la journme de 10 heures. 1895 carrossiers, 11 heures. Juin 1895 : les monteurs en chaussures de la maison Dublanchet

obtiennent la journ6e de 10 heures. Juillet 1895 : les monteurs de la maison Monteux obtiennent la

journee de 10 heures. 1896: ouvriers en chaussures de la maison Vautour, 10 h. 30. 1896: ouvriers en porcelaine, maison Gu6rin, 10 heures. 1901: megissiers, maison Desselas, 12 heures ; mggissiers, maison

Leveque-Pouret, 11 h. 30. 1901: papetiers de Saint-Brice, 12 heures. 1902: ouvriers en porcelaine de Brigueil, 11 h. 30. 1902: coupeurs-brocheurs de Limoges, 63 heures par semaine. 1903: gantiers de Saint-Junien, 10 heures. 1903: linotypistes de la maison Lavauzelle, 9 heures. 1904: coupeurs en chaussures, 10 heures. 1906: feuillardiers, 10 heures. 1905: journme de 10 heures general dans la porcelaine. 1907 :les magons et tailleurs de pierre du Dorat et de Bellac

obtiennent la journee de 10 heures.

Comme on le voit d'apres ce tableau, le centre industriel de Saint-Junien marque un retard caract6ristique par rapport a celui de Limoges l'amelioration generale des conditions du travail, nous l'avons vu, y fut plus tardive. Et la loi de 1900 r6duisant a 10 heures la duree journaliere du travail, n'y fut pas, d'embl6e, employeurs et ouvriers, nous pouvons remarquer que les ganterie, payes aux pieces et qui fournissaient de tr6s longues heures de travail.

Si nous examinons maintenant l'evolution des relations entre employeurs et ouvriers, nous pouvons remarquer que les relations collectives tendirent, a partir de 1895 surtout, a se super- poser aux relations individuelles. Certains patrons se refu- serent parfois obstinement a reconnaitre l'existenoe d'un orga-

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nisme syndical, qui, pretendaient-ils, n'avait pas a s'immiscer dans leurs affaires. Ce fut le cas, en 1900, pour l'imprimeur Dumont qui, pour ce fait, fut charivaris6e outrance. Toutefois, dans les conflits du travail, des membres choisis dans l'organisation syndi- cale, se substitubrent peu a peu, du c6ot ouvrier, au comite de greve primitif.

D'autre part, les efforts des juges de paix qui, en application de la loi de 1892 sur la conciliation et l'arbitrage convoquaient les parties en litige pour une discussion devant amener la solution du conflit, mirent en presence ouvriers et patrons. La greve ne payant pas, ni d'un cote ni de l'autre, l'on en vint a preferer les concessions reciproques A la cessation du travail qui poussait l'ouvrier a des actes de violence et incitait le patron a persister dans sa position. C'est dans ces conditions que furent elaborees des conventions du travail d'une duree definie, que l'on s'enga- geait a respecter de part et d'autre.

L'exemple le plus caracteristique du passage d'une position de violence a une politique plus assagie est manifesto par les ouvriers gantiers. En 1903, 300 coupeurs gantiers, d6pendant de 25 patrons, firent une greve d'une dur6e de deux mois, du 16 de- cembre 1903 au 16 f6vrier 1904, en pleine saison de vente. ls obtinrent une augmentation de 0 fr. 25 par douzaine de gants et leurs gains passbrent de 5 francs a 5 fr. 40 par jour. Il y eut des manifestations, des troubles. Les patrons gantiers subirent un prejudice, ne pouvant honorer leurs commandes. Les acheteurs s'adressbrent aux autres gantiers rivaux de Saint-Junien, ceux de Millau et de Grenoble.

En 1904, a Saint-Junien, au cours d'une tres longue discussion, les delegues syndicaux des patrons et des ouvriers mirent au point un arrangement qui porte la double marque du contrat collectif de travail et du malthusianisme economique. L'effort ouvrier porta, en effet, sur la limitation de la concurrence, sur la restriction du mar- che du travail. C'est ainsi que les ouvriers obtinrent qu'il ne serait plus donne de travail a de nouveaux ouvriers hors ville. D'autre part, il 6tait interdit aux 19 ouvriers demeurant hors ville de former des apprentis. Et non seulement les ouvriers gantiers s'ef- forgaient d'eteindre la concurrence des ouvriers des campagnes travaillant a domicile, mais aussi ils obtinrent la suppression tem- poraire - pendant trois ans - de l'apprentissage, sauf pour les fils ou frbres d'ouvriers gantiers. En m6me temps, ils renurent une augmentation de 0 fr. 25 par douzaine sur certaines categories de gants de femmes. Le contrat collectif de travail fut renouvele periodiquement. En 1910, une nouvelle augmentation de 0 fr. 25 par douzaine de gants fut approuvee par l'organisation ouvribre par 134 voix contre 90. L'esprit de negociation l'emportait sur la violence.

Un contrat liait egalement le syndicat des imprimeurs et la Chambre syndicale des maitres-imprimeurs, reglementant le tra-

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vail, remunere soit a l'heure et au rendement combines, soit a la conscience >.

Dans la porcelaine, par contre, les arrangements collectifs furent tres difficiles a etablir, du fait de la persistance des vieilles traditions artisanales. Nous avons vu que l'une de ces traditions, la retenue sur les salaires pour la < fente ?, c'est-a-dire la det6- rioration a la cuisson de pieces faconnees, etait a l'origine des graves ouvrieres de 1837, 1864, 1870. Elle s'appuyait sur l'idee de la responsabilite ouvriere.

D'autre part, dans la plupart des fabriques, l'ouvrier calibreur, tourneur ou mouleur subissait une retenue, generalement de 10 %, pour faire face au salaire des batteurs de pate ou < crofiteurs T, aux frais de lumiere et d'eponge. Cette coutume desuete disparut tardivement, apres des greves, jusqu'au moment ou l'ouvrier patier recut un salaire franc, les frais annexes de fabrication passant a la charge de l'employeur.

Mais cette retenue de 10 % ne disparut que par etapes. Et, en 1896. si les ouvriers purent faire admettre l'inscription sur les tables de salaires patronaux, les frais de batteurs de pate, les frais d'eclairage resterent longtemps a la charge des calibreurs. mouleurs et tourneurs.

I1 faut noter aussi que la remuneration du travail s'effectuait encore, en 1914, selon le regime initial du travail a facon.

Les ouvriers etaient pay6s aux pieces, selon un tarif qui, a l'origine, fut l'objet d'un contrat individuel, mais qui peu a peu devint collectif. Mais que de discussions et de conflits l'applica- tion des tarifs entraina-t-elle ! L'unification des tarifs n'etait pas realisee en 1913, elle figurait parmi les revendications du syndicat des calibreurs en porcelaine. En effet, les tarifs faisant l'objet de contrats individuels ou de contrats de fabrique etaient varia- bles, du fait de la diversite des objets fabriques, qui repondaient aux goits individuels, aux necessites du luxe. Aussi, la conception du travail a l'heure fut-elle tardive : les gazetiers de la maison Haviland ne passerent du travail aux pieces au travail a l'heure qu'en 1909. De singulieres pratiques subsistaient a cette epoque: ainsi a la fabrique Guerin, les useurs de grains etaient, en 1909, sous la dependance d'un tacheron general, qui prenait des ouvriers a la journee. Cet intermediaire dft se retirer a la suite d'une greve.

Le travail a l'heure fut soutenu par des ouvriers clairvoyants qui se rendaient compte que le travail a la tache, en exacerbant la concurrence ouvriere, avait pour effet de faire travailler l'ou- vrier au-dessus de ses forces. Le travail a la tache fut abandonne, mais parfois avec des retours en arriere. Ce fut le cas, en 1918, chez les useurs de grains, qui obtinrent la faculte de travailler aux pie- ces, sur la base de 2 francs les 100 pieces pour les polisseurs, 1 franc les 100 pieces pour les useurs de grains.

Meme remarque en ce qui concerne l'industrie de la chaus- sure. Les tarifs etaient variables selon la forme de la chaussure. Et, dans cette branche, la situation se compliqua du fait de l':ntro-

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duction de machines qui accroissaient le rendement. Cet accrois- sement provoquait de la part cu patron une adaptation des salai- res aux pieces dans le sens d'une diminution. Pour donner un exemple, en mars 1907, l'introduction d'une machine a vernir dans la fabrique de Fougeras, provoqua l'arret du travail de 8 finis- seurs qui consentirent finalement a etre payes a raison de 10 francs le cent au lieu de 14 francs.

D'autre part, le travail de la chaussure etait favorable a l'ou- vriere, car il exigeait plus d'habilee que de force manuelle. Aussi, la concurrence feminine fut-elle le souci permanent des ouvriers en chaussure, qui s'efforcerent d'empecher aux femmes l'acces de la profession, notamment dans les specialites de coupeurs, mon- teurs. En 1896, le syndicat de la chaussure demandait le renvoi des femmes de toutes les fabriques. La guerre de 1914-1918 provo- quant une p6nurie de main-d'oeuvre, permit a la femme l'acces de la sp6cialite de coupeuse, alors que son activit6e tait rest6e confinee dans les specialites de colleuse et de mecanicienne.

Enfin, pendant tres longtemps, les ouvriers furent hostiles aux reglements d'atelier, trop etroits. Apres le vote de la loi de 10 heures, l'Union des fabricants de porcelaine, soucieuse d'assurer le rendement de son personnel, fit afficher dans les fabriques un reglement int6rieur qui prevoyait la fermeture stricte des portes des usines, l'interdiction du casse-croiute dans l'etbalissement.

Les ouvriers s'insurgerent et il fallut que ce reglement fitt assoupli, avec une tolerance au sujet de la fermeture des portes et du casse-crofite.

Aussi, les conditions du travail etaient-elles impregnees, a la veille de la guerre, d'esprit artisanal. Dans les petites entreprises, le patron restait pres de ses ouvriers et entretenait avec eux des rapports directs, souvent cordiaux. C'etait le cas, notamment, dans la porcelaine de Limoges et la ganterie de Saint-Junien. La, l'ou- vrier travaillait souvent par intermittences. Les < coups de col- lier ' lui rapportaient parfois des gains eleves qu'il d6pensait sans souci. Souvent, apres la paye de la quinzaine, les ouvriers ne ren- traient a l'atelier que le mardi, apres avoir depense, dans les regals du dimanche et du lundi, une partie de leur salaire.

Le ch6mage volontaire du lundi etait frequent dans la Cera- mique, a la veille de la Grande Guerre. Aussi, les dirigeants de l'union des syndicats ouvriers de cette corporation, firent-ils cam- pagne, des 1913, pour la < semaine anglaise ? : < le repos du samedi, peut-on lire dans < l'Ouvrier ceramiste > de juillet 1913, permettra a certains travailleurs de renoncer au chomage du lundi, ce lundi d'oisivete dont ils prennent la funeste habitude et qui pese lourdement sur le foyer >. La semaine anglaise apparaissait surtout indispensable a l'ouvriere, comme un repos reparateur et indispensable, et aussi comme devant lui permettre de mettre son menage en ordre, faire les lavages,'les achats indispensables.

Grace au salaire aux pieces, l'ouvrier particulierement habile,

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ou sobre, ou acharne a son travail, pouvait gagner un salaire assez elevC. Cependant, une brhche 6tait faite a ce mode de remunera- tion. La productivite excessive creait une menace permanente de surproduction, qui justifiait l'attitude de prudence de ceux qui souhaitaient organiser la production dans le sens d'une limitation. L'id6e de convention du travail chez un patronat 6volue et une classe ouvriere qui avait fait a plusieurs reprises l'experience d6ce- vante de la greve, entrait dans les mceurs.

3) 1914 - 1918

La declaration de la guerre entre la France et l'Allemagne fut accueillie a Limoges, comme dans le reste du pays, avec une som- bre determination. C'est ainsi que le 3 aoflt 1914, a l'annonce de la mobilisation g6n6rale, le conseil municipal fit placarder un appel a la population destine a fixer, dans l'esprit trouble et flottant de la masse, les directives d'action : < Qu'ils partent ! C'est le devoir de l'heure pr6sente !... Une seule chose importe maintenant: d6fendre le sol national, sauvegarder la republique ! >

Ce manifeste est conforme au r6flexe patriotique de la masse ouvrilre, et ii s'explique, et par l'arriere-pens6e virile de revanche, et par l'education civique recue a l'6cole primaire, et aussi par un reflexe de defense. L'Allemagne, qui avait d6clar6 la guerre A la France, 6tait consideree comme l'agresseur. Or, les socialistes n'etaient point antimilitaristes dans le cas d'une guerre defensive ils en admettaient l'eventualite.

Les socialistes se battaient donc pour la republique. Le deput6- maire B6toulle, dispense de s'enroler, organisa d'embl6e, avec le conseil municipal de Limoges, un service de secours a l'usage des familles 6prouv6es. La ville fut partagee en 23 secteurs. L'ouver- ture de chantiers pour les chbmeurs fut annoncee, mais les com- mandes de fournitures pour l'arm6e donnerent une impulsion au travail. D'autre part, l'allocation aux familles des mobilises: 1 fr. 25 pour la femme et 0 fr. 50 par enfant soulagea les familles ouvrires.

Les socialistes limousins, persuades de la culpabilite allemande dans l'origine de la guerre, participerent donc a l'union sacr6e. Neanmoins, le patriotisme d'un socialiste n'etait pas un instinct belliqueux aveugle, mais un sentiment r6flhchi. Aussi, les socialistes participaient-ils avec une conscience droite a la guerre du droit. Il s'agissait d'abord de convaincre l'adversaire de son erreur et de sa faute. Aussi pouvait-on lire dans le ? Populaire du Centre : < Que nous rallions, sous la poussee des 6venements, les proletaires allemands enfin eclaires a notre point de vue, et notre triomphe ne fera plus de doute. ?

Le socialiste en uniforme, comme le chretien, demeurait fiddle a son parti, a son ideal. Il existait une fraternite socialiste, issue d'une mystique semblable a la fraternite chretienne. Aussi le Popu- laire publiait-il des listes de tubs et de blesses socialistes, pour bien

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montrer aux populations et aux pouvoirs publics que les socialistes etaient a la pointe du combat, et qu'ils etaient capables, comme n'importe quels autres Frangais patriotes, de faire le sacrifice de leur vie.

Toutefois, c'est a la F6edration socialiste de la Haute-Vienne qu'il appartint d'envoyer le premier message pacifiste, en 1915. Au congres socialiste de Paris, deja, trois f6edrations : les Ardennes, I'Ain, la Haute-Vienne, s'etaient prononc6es en faveur d'initiatives qui, sans porter atteinte au moral des populations en guerre, pour- raient preparer le rapprochement des deux peuples. Le 9 mai 1915, au cours d'une reunion pleni6re des groupes de la f6edration -de la Haute-Vienne, un rapport fut soumis a ces groupes. I1 avait Wte redig6 en commun par les personnalites suivantes : Paul Faure, qui tenait la plume et avait prepare une ebauche de texte, mais qui, etant mobilise, ne signa pas, Berland, Pressemane, Parvy.

Dans ce rapport, la federation de la Haute-Vienne critiquait les inspirations et les attitudes de la commission permanente du parti. Elle lui reprochait un bellicisme sourd aux appels des sec- tions des pays neutres de l'Internationale, et ne s'efforgant plus d'appliquer les resolutions pacifistes des congres internationaux, notamment de celui de Bale, tenu en 1912. D'autre part, il passait au crible de la critique les formules contestables de l'union sacr6e, telles que celle qui subordonnait la paix A l'ecrasement du milita- risme allemand : formule inexace, car ce militarisme ne pouvait disparaitre que par l'action des classes ouvri6res s'exergant dans le cadre national. Enfin, les socialistes de la Haute-Vienne preco- nisaient des attitudes precises : ne pas emboiter le pas aux journa- listes fanfarons, ne decourager aucune des tentatives faites par les socialistes d'autres pays pour faire cesser la guerre, et enfin, ? ten- dre une oreille attentive a toute proposition de paix d'of qu'elle vienne, etant bien entendu que l'integrite territoriale de la Belgi- que et de la France ne saurait etre contestee dans les bases de discussion. >

Cette dernitre proposition etait a la fois raisonnable et ambi- gue, car elle laissait dans l'ombre, apparemment, le problbme de l'Alsace-Lorraine.

Le rapport de la federation de la Haute-Vienne aux federa- tions departementales, a la commission administrative permanente du parti socialiste, fut beaucoup commente. Ce document, d'une clairvoyance et d'un bon sens cart6siens, porta un coup au chau- vinisme exalte, exacerbe des socialistes irreflechis. II provoqua le retour sur soi-meme, prepara quelques esprits a l'adhesion a l'id6e d'une paix blanche, a l'esprit de Kienthal et de Zimmerwald.

Toutefois, pacifisme n'est pas defaitisme. Et une nouvelle epreuve attendait les socialistes limousins, qui, en 1919, a propos du problWme russe, furent amenes a d6finir l'essence meme de leur patriotisme.

De 1914 a 1918, les militants socialistes de la Haute-Vienne luttirent done pour le maintien de l'esprit de l'Internationale, pour

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l'unte ouvrilre par dela les frontieres. Ils appartinrent a la gau- che minoritaire du parti, celle qui refusait l'union a tout prix. En decembre 1915, au congres national du parti socialiste, les mandats de la Haute-Vienne s'inscrivirent dans les 800 mandats en faveur des negociations de paix, repoussees par les 3.000 mandats des < jus- qu'au-boutistes >.

Durant les annees de guerre, la vie ouvriOre subit des modifi- cations que nous allons essayer de d6crire.

Tout d'abord, les besoins de la defense nationale stimulerent l'activite industrielle et lui imposerent certaines directions. D'autre part, l'afflux des refugies du Nord et meme de Belgique opera un brassage de la masse ouvriere. L'esprit de reformisme actif qui caracterisait l'action de la Bourse du travail de Limoges devait etre battu en breche, a partir de 1919, par l'intrusion d'elements appartenant, non pas a la partie qualifiee de la classe ouvri&re, mais a la categorie des employes et des manoeuvres. L'esprit de revolte suscite par la guerre chez les combattants a qui on impo- salt une discipline de fer se transposa dans la vie civile et donna A l'action r6volutionnaire non pas un aspect constructif, mais negatif et destructeur.

Jusqu'en 1916, des transferts de main-d'oeuvre s'opererent dans la production. L'industrie de la porcelaine ne connut qu'une me- diocre activite. Par contre, l'essor de la chaussure, la r6surrection du textile, la mise en place d'une industrie metallurgique de guerre caract6risent les changements qui s'oper6rent, sous 1'action des services de l'Intendance et de l'Armement.

C'est ainsi que, la porcelaine etant des 1915 au tiers de sa fa- brication normale, un atelier de coupe d'effets militaires fut ins- talle dans la fabrique de porcelaine du Mas Loubier. Les metiers A tisser reprirent une activite dans six fabriques de drap de troupe, qui, en 1918, occupaient 400 ouvrieres. D'autre part, la demande des fabrications de guerre donna naissance a la societe metallur- gique de l'Aurence, qui organisa deux ateliers d'obus, avec un per- sonnel de 225 ouvriers. A la fin de la guerre, dans la m6tallurgie, 14 patrons occupaient 596 personnes.

Mais, c'est surtout l'industrie de la chaussure qui absorba la plus grande partie de la main-d'oeuvre disponible. Elle occupait, dans 3 5fabriques, 5.000 ouvriers en 1917, et ce chiffre monta a pros de 6.000 en janvier 1919. Cette branche fut favoris6e par l'extension des tanneries. Limoges constituait un centre de tan- nage tr~s florissant en 1914, avec Bellac et Saint-Leonard. Le nombre des tanneries passa a Limoges de trois a six, et plus de 400 tanneurs etaient occup6s en 1919.

En l'absence d'une partie du personnel masculin mobilis~ une arm6e de travailleuses entra dans les usines, et l'extension de la main-d'oeuvre feminine devint irresistible. Les fabriques de sacs a papier eurent un personnel feminin. Dans la chaussure, les femmes acc6d6rent a des specialites jusque l1 r6servees aux hommes. Elles devinrent coupeuses et finisseuses. Dans les tissages, a c6t6 des

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specialites d'ourdisseuse et de bobineuse, qui leur etaient tradltion- nellement reservees, elles devinrent tisseuses.

L'accession des femmes a des professions jusqu'alors exclusl- vement masculines constitue le grand fait de la vie ouvrifre pro- voque par la guerre. Et il y a lieu de constater que, dans l'indus- trie limousine ot la qualite ouvriere dominante 6tait l'habilet6 plutot que la force, le travail des femmes ne rencontra que tres peu d'obstacles.

n s'ensuivit que le mouvement revendicatif, lequel, suspendu en 1914, reprit A partir de 1915 avec une ampleur croissante, eut pour but, outre un rel&vement des salaires justifie par la cherte croissante de la vie, l'application du principe souvent d6velopp6 au cours des reunions corporatives : e A travail egal, salaire 6gal >>.

Du fait de la mobilisation des hommes, les femmes passerent A l'avant-garde de l'action ouvriWre. Peu 3 peu, elles parvinrent A faire hausser leurs salaires et l'ecart entre les salaires masculins et feminins tendit a s'attenuer dans les centres de Limoges et de Saint-Junien surtout, alors qu'il demeurait encore sensible dans les centres de moindre importance.

En octobre 1915, apres une greve de 14 jours, les ouvrieres gan- tieres de Saint-Junien obtinrent un avantage appreciable : le sa- laire des piqueuses passa a 3 fr. 90, celui des couturieres et des noircisseuses A 2 fr. 75, pour huit heures de travail. D'autre part, le tarif de piqftre 6tait unifi6 dans les quinze maisons de ganterie, et la signature d'un contrat de travail unifie constitua pour elles une victoire incontestable. Au meme moment, les sachetieres ne gagnaient que 1 fr. 40 i 1 fr. 60 par jour.

En 1916, ce fut au tour des coupeurs ghntiers d'obtenir, apres une greve qui dura de mars a novembre, l'application du tarif de coupe de Millau, ce qui fit passer leur salaire journalier de 4 francs , 5 fr. 75. Les divisions qui existaient au sein du syndicat patronal

leur permirent d'obtenir ce resultat. Dans la chaussure, les salaires se hausserent lentement et pas-

serent, pour les coupeuses de semelles, de 4 francs a 5 francs, et pour les coupeuses de talons a 3 francs. n y a lieu de remarquer, lI encore, des retours singuliers au travail aux pieces. C'est ainsi qu'en octobre 1916, les ouvrieres de la plus grande usine de chaus- sures de Limoges reclamerent et obtinrent la substitution du tra- vail aux pieces au travail a la journ6e, si bien que le salaire des m6caniciennes et colleuses passa de 2 fr. 75-3 fr. 25 i 3 fr. 50- 4 fr. 50.

De mcme, en 1916, a l'automne, les tisseuses obtinrent un rel6- vement des salaires de 10 % par jour pour les ouvriWres aux pieces et de 0 fr. 25 par jour pour les ouvriWres a la journe : leur salaire passa de 5 francs a 5 fr. 50 et celui des ourdisseuses et des bobi- neuses de 2 fr. 75 a 3 francs.

En 1917, les teinturiers en peaux et palissonneurs de Saint- Junien, corporation en tate du mouvement social dans la cite gantiere, obtinrent une augmentation de 0 fr. 20 a 0 fr. 25 par

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douzaine de peaux appretees, et leur salaire fut porte de 5 a 6 francs chez les teinturiers, de 6 a 7 francs chez les palissonneurs.

En juin 1917, l'agitation sociale prit brusquement un aspect inqui6tant, qui rappelle les annees de 1864, 1895, 1905. Deux reven- dications concertees furent alors presentees aux employeurs : une indemnite de vie chere d'au moins un franc par jour, la semaine anglaise. Les greves s'etendirent : imprimeries, fabrique de feutres, fabrique d'obus de Limoges, tannerie Mallebay, fabriques de por- celaine de Limoges et de Saint-Leonard. La r6sistance patronale fut faible et de courte duree. Dans presque tous les cas, les ou- vriers et ouvrieres regurent des satisfactions partielles : indemnite journaliere de vie chere de 1 franc. Dans la porcelaine, un accord general accorda une augmentation progressive de 5 a 25 %. Les finisseuses de l'atelier de coupe du mas Loubier virent leur salaire passer de 3 fr. 40 A 4 fr. 05. La pr'emiere corporation qui fit la conquete de la semaine anglaise fut celle de la chaussure, ofu le travail des femmes predominait : elle fut accordee par le syndicat des fabricants le 3 juin 1917.

Outre leur aspect revendicatif, les greves de 1917 furent, sem- ble-t-il, l'expression d'un mecontentement, d'une lassitude pro- voques par une guerre dont on n'entrevoyait pas la fin. Elles allaient de pair avec le mouvement social qui affectait l'industrie parisienne a cette date.

Les greves reprirent en septembre 1917, motivees par la cherte croissante de la vie. Du 23 aofit au 3 septembre, l'ensemble des ouvriers et des ouvrieres en chaussure cessa le travail. La chambre syndicale patronale accorda une augmentation de 10 % pour les ouvriers aux pieces recevant un salaire inferieur a 60 francs par semaine et elle assura un salaire minimum de 5 francs par jour au personnel travaillant a la journee. Les salaires, aux pieces, pas- serent pour les monteurs, de 50-60 francs par semaine a 60-70 francs.

En 1918 et 1919, la course aux hauts salaires se poursuivit, et, tout naturellement, les corporations les mieux favorisees furent celles dont l'organisation syndicale etait la plus forte, ainsi que celles qui fourrissaient aux besoins militaires. Le 6 aoft 1918, apres six jours de greve, l'indemnite de cherte de vie des ouvrieres en tissage fut portee de 1 a 2 francs. Puis, en mai 1919, les salaires des ouvriers typographes passerent de 7 fr. 85 A 10 fr. 85 et ceux des linotypistes de 9 fr. 25 a 12 francs. De leur cote, les ouvriers et les ouvrieres de la ceramique obtenaient une majoration allant de 10 a 38 %. En novembre, l'indemnite de vie chere, dans cette corporation, fut portee a 2 francs par jour. Les galochiers, de leur cote, obtenaient, en aofit 1919, avec l'application de la loi de huit heures, un salaire journalier se montant A 13-17 francs pour les pareurs et a 13-15 francs pour les monteurs.

En 1919, la legislation sociale fit un pas de plus avec la loi de huit heures. Lors de la discussion de cette loi A la Chambre des deputes, le depute socialiste de la Haute-Vienne Parvy defendit le

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paragraphe 8, stipulant que la diminution de la duree du travail ne devait pas aboutir A une diminution des salaires. La loi, votee le 23 avril 1919, fut interpretee par Pressemane, dans un discours de meeting prononce le ler mai, comme une concession faite par la bourgeoisie au proletariat. Mais, cette loi, victoire ouvriere, allait dans le sens d'une politique a la fois revolutionnaire et hardiment reformiste qui etait celle que preconisait la federation socialiste de la Haute-Vienne. En cette occasion, Pressemane fit appel au sentiment du devoir ouvrier, et la encore, on peut remarquer qu'il associait etroitement a la revolution economique une reforme inte- rieure, un perfectionnement moral que deux heures journalieres de loisirs devaient favoriser. L'humanisme ouvrier de Pressemane s'exprime dans ces paroles : < Ces deux heures, vous les passerez a 1'etude, vous combattrez l'ignorance, vous accroitrez la vie fami- liale, vous developperez les sports hygieniques, vous creerez aes associations pour des promenades instructives... La classe ouvriere est arrivee a la maturite politique si elle n'a pas la maturite eco- nomique. >

Le milieu patronal accepta la loi de huit heures et la semaine anglaise. Un travail plus concentre avait 1'avantage de diminuer les frais generaux, en particulier les frals eleves du chauffage des ateliers en hiver. Et la semaine anglaise, en accordant a l'ouvrier une detente assez prolongee, finit par faire disparaitre le ch6mage du < saint lundi >.

Le mouvement de greve suscite a Paris au printemps de 1919 par les extremistes de la metallurgie n'eut pas de repercussion dans la region limousine. Les conflits du travail naissaient de l'applica- tion de la loi de huit heures. Les salaires montaient toujours et ils atteignaient, entre juin et octobre 1919 : 15 francs chez les echaneurs et lisseurs de la megisserie, 16 fr. 20 chez les ouvriers du textile, 14 fr. 40 chez les ouvriers typographes, tandis que les ouvriers des petits centres industriels, dont le retard dans l'evolu- tion des salaires etait parfois considerable, arrachaient par la greve quelques avantages : augmentation de 20 % chez les porcelainiers de l'usine Grammont de Saint-Leonard, de 1 franc par jour chez les ouvriers papetiers du val d'Enraud, pres d'Isle.

Enfin, les 21 et 22 juillet 1919, une greve generale eclata a Saint-Junien, affectant 1.527 personnes sur un total de 2.500 ou- vriers et ouvrieres. Les causes de cette gr6ve ne sont pas corpo- ratives. II s'agit d'une des premieres greves politiques, provoquee pour protester contre la vie chere, contre l'action militaire de la France en Russie, contre les lenteurs de la demobilisation, et pour l'application de la loi de huit heures. Ce dernier motif est le seul d'ordre corporatif, et nous pouvons remarquer que, des cette date, le probleme de la revolution russe va dominer 1'ensemble de la vie syndicale et politique des ouvriers limousins. En juillet 1919, les ouvriers de Saint-Jnien recevaient des salaires relativement eleves: megissiers, 9 francs ; teinturiers, 12 fr.; gantiers, 13 fr. ; ganti6res, 5 fr. ; papetiers, 8 fr. 30 ; sachetieres, 4 fr. 30 ; ouvriers du bati-

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ment, de 10 a 12 francs. Le stimulant psychologique de l'esp6rance r6volutionnaire explique une cessation du travail dans tous les corps de metier

A partir de 1920, le mouvement syndical est a nouveau domine par les concepts de la grove generale et de la r6volution violente, dont la Russie a donne l'exemple a tous les pays du monde.

Les divisions du monde ouvrier en partisans et adversaires des soviets vont jeter un trouble permanent, creer une scission profonde dans la classe ouvriere. Cette division se manifesta en septembre 1919 au congr~s de la Ceramique qui se tint a Paris. Le d6legu6 de Limoges, Bonnet, sans s'elever contre l'attitude majoritaire de la C.G.T., s'efforga de preserver l'unite ouvriere en protestant contre l'antagonisme que certains militants suscitaient entre majoritaires et minoritaires. Son action 6tait parallele a celle de Pressemane, qui cherchait a preserver le socialisme d'un debordement de gau- che. Mais, dans d'autres corporations, notamment les cheminots, la tendance extremiste devait l'emporter a partir de 1920 et impo- ser au mouvement ouvrier une direction nouvelle.

4) 1920-1939 - a) MOUVEMENT POLITIQUE

Nous avons vu que la section limousine du parti socialiste avait fait entendre, pendant la guerre, d6s 1915, la voix de la raison, de l'esprit pacifiste. La longueur de la legislation d'exception, qui empechait la pensee politique de s'exprimer, ainsi que les transfor- mations morales qui s'effectuaient dans le peuple eussent pu se- parer la masse electorale de ses elus. Il n'en fut rien, et le parti socialiste, aux elections de 1919, ne fit qu'accentuer ses positions.

Quelles furent les raisons de ses progr6s ? Tout d'abord, les parlementaires, non mobilises, se pr6occuperent activement du sort des humbles : des soldats a l'avant, des petites gens a l'interieur. C'est ainsi que le depute-maire de Limoges, Betoulle, r6clamait la cl6mence aux conseils de guerre, et il fit une demarche person- nelle aupres de Poincar6 pour lui demander de ne pas abdiquer son droit de grace. II organisa dans la ville qu'il administrait un Office departemental des charbons. Puis, en 1919, au moment du vote de la loi sur les pensions, il revendlqua en faveur des enfants naturels. D'autre part, Pressemane d6fendait a la tribune l'idee d'une prime de demobilisation progressive, et il protestait contre les lenteurs de la liquidation des pensions. II proposait aussi, comme remade a la vie ch6re, un pr616vement sur le capital. Va- litre, de son c6t6, avait travaille au relevement du taux des allo- cations.

D'autre part, les elus s'etaient efforces de garder le contact avec < le mouvement silencieux de la masse >. Et leur position de K minoritaires > et de Kienthaliens leur assura, la paix retrouvee, un prestige dfi a leur pacifisme courageux et clairvoyant. Aussi, les elections de 1919 marquerent-elles, en Haute-Vienne, au mo-

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ment ou pourtant le corps electoral franqais glissait vers la droite, par crainte du bolchevisme, un veritable triomphe.

Des que les conditions d'un retour a la vie politique furent pro- pices, les elus de la Haute-Vienne d6noncerent les fautes commises par les gouvernants durant la guerre: l'offensive meurtriere de Champagne, les propositions de paix de 1'Autriche non ecou- tees, ainsi que les tentatives faites contre la revolution russe. Les meetings organises contre l'intervention francaise en Russie eurent de l'ampleur. Les masses ouvrieres, enfievrees par l'exemple des soviets, etaient anim6es d'une volonte revolutionnaire.

Le doctrinaire du socialisme, Pressemane, qui n'acceptait pas les 21 points de Moscou relatifs a l'adhesion a la IIIe Internationale, s'efforqa de resister aux mouvements tumultueux qui, selon lui, ne pouvaient conduire qu'a des emeutes sanglantes. Il n'acceptait ni l'antiparlementarisme, ni le defaitisme, ni l'anticolonialisme, ni la subordination au comite central du groupe parlementaire des syndicats, ni les epurations periodiques, ni le changement de titre du parti. Son socialisme continuait a exprimer l'ideal ouvrier fran- gais d'avant 1914. Il est profondement democratique, respectueux de l'opinion de la base, hardiment r6formiste, appuye non pas sur le comite d'usine, mais sur le bulletin de vote. D'autre part, le parti socialiste limousin avait une large clientele rurale, et la ques- tion agraire, que les communistes tendaient a resoudre par une collectivisation radicale du sol, pouvait effrayer les petits pro- prietaires et les detacher du parti. Enfin, Pressemane estimait que les consciences socialistes n'6taient pas encore formees, que l'6du- cation ouvri6re, indispensable a une prise effective du pouvoir, etait loin d'etre achevee.

Au congres de Tours, Pressemane se trouva, une fois de plus, avec les elus de la Haute-Vienne, parmi les minoritaires, mais la situation etait renversee : J apparaissait non plus a la gauche, mais au centre du parti. Apres ie vote de l'adhesion du parti socia- liste a la IIIe Internationale, il presida une reunion des socialistes constructeurs et resistants, qui formerent un nouveau groupe dont le secretaire fut Paul Faure.

La scission operee, le parti socialiste conserva en Haute-Vienne l'essentiel de sa force : le dynamisme des masses ouvrieres qui lui restaient fideles, les postes tenus par ses elus, son journal, le Po- pulaire du Centre. Dans les ann6es qui suivirent de nouvelles adhe- sions le renforcerent. C'est ainsi qu'en 1924, l'influente famille radicale des Tarrade passa au socialisme, entrainant l'adhesion de sa clientele electorale paysanne du canton de Chateauneuf-la-ForCt.

Le parti socialiste demeurait en Haute-Vienne un parti ou- vrier, ainsi qu'en temoigne la composition de sa commission admi- nistrative, ofi les ouvriers l'emportaient de beaucoup sur les intel- lectuels. Les reunions publiques, au cours desquelles les militants, dans un but d'education politique, expliquaient aux gens du peuple les grands probl6mes politiques et sociaux du moment : le probl~me financier et diplomatique a propos de l'occupation de la Rhur, le

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probleme du fascisme a propos de l'assassinat de Matteotti, etaient toujours tres suivies. Les maitres en socialisme des militants limou- sins etaient toujours Jaures, Vaillant, Guesde.

En 1924, lors les elections legislatives, les positions du parti socialiste s'affermirent, malgre qu'il dft subir la double attaque de la droite catholique conservatrice et de l'extreme gauche commu- niste, sans compter l'hostilite des radicaux qui conservaient de tres fortes positions dans les postes electifs : 3 senateurs, 48 maires et conseillers generaux et d'arrondissement soutenant la liste radicale.

Les communistes, qui se flattaient de faire de la propagande revolutionnaire et non electorale, reprocherent aux socialistes de n'avoir pas entendu l'appel de Frossard, c'est-a-dire de Moscou. De meme qu'en 1914 les socialistes avaient exploite le mecontente- ment populaire au sujet de la loi des trois ans, de meme en 1924 ils s'eleverent contre le poincarisme et l'occupation de la Rhur. Deja, deux zones d'influence communiste se formaient en Haute- Vienne, qui deviendront impermeables au socialisme : le canton rural d'Eymoutiers, le centre ouvrier de Saint-Junien.

Les socialistes sortirent grands vainqueurs de la consultation electorale, avec une moyenne de suffrages de 49.000 voix. Le pre- mier candidat communiste obtint 1.900 voix seulement, dans la premiere circonscription de Limoges.

Entre 1924 et 1928, le parti socialiste conserva en Haute-Vienne son caractere revolutionnaire. En effet, les elus de ce departement, condamnant les alliances avec les partis bourgeois, constamment anti-cartellistes, constituaient t la Chambre le noyau de la gauche parlementaire du parti soclaliste.

En 1927, les senateurs radicaux cederent la place a des sena- teurs socialistes. Le parti socialiste dominait au Conseil general. Toutefois, en 1928, les deputes sortants subirent un echec cuisant en perdant 19.700 voix. Il s'agit plutot d'un accident electoral, da au fait que les adversaires de droite des socialistes avaient pris l'etiquette de republicains-socialistes, et que l'un d'eux, le docteur Basset, faisait preuve d'un remarquable mordant electoral dans les reunions publiques. Les communistes. qui progressaient dans l'est du departement, firent entrer un d6pute au parlement. Le recul des socialistes fut sensible, non seulement dans l'est du depar- tement, mais egalement dans la partie sud et ouest, oi existait une population de feuillardiers, carriers, gantiers et gantieres, papetiers, syndicalement organisee. Par contre, le nord du depar- tement, si laborieusement et tardivement conquis, restait fidele au socialisme.

Malgre cet echec electoral, le parti socialiste sut, dans les annees qui suivirent, faire un travail de propagande qui porta ses fruits. En 1932, ce fut au tour du parti communiste de subir un 6chec, passant de 17.900 voix en 1928 a 9.800 voix. Par contre, les socialistes atteignaient 40.000 voix, et gagnaient quatre sieges, le siege de Bellac demeurant la droite. Les socialistes avaient pro- gresse, et vers le nord du departement, et vers le sud-ouest. A ce

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moment, l'industrie limousine subissait une crise tres grave, et l'agriculture elle-meme etait touchee gravement par la mevente des produits du sol.

Les communistes, afin de gagner des voix chez les petits pro- prietaires ou metayers mecontents, firent aux candidats socialistes le reproche d'avoir soutenu une politique protectionniste qui avait provoque, de la part de l'Allemagne notamment, une hausse des tarifs douaniers sur les produits agricoles, en particulier sur la pomme de terre, produit que le departement de la Haute-Vienne, gros producteur, ne pouvait plus ecouler. Ils faisaient fleche de tout bois.

Les elections de 1936, sous la formule du Front Populaire, mar- querent une nouvelle poussee socialiste, et vers l'extreme nord et vers l'extreme sud du departement. Ces franges, de Magnac-Laval et de Rochechouart, jusqu'alors r6fractaires au socialisme, finirent par l'accepter, mais sous une forme a coup sur attenuee, et plut6t comme l'expression d'un sourd mecontentement que comme l'ac- ceptation d'une clairvoyante volont6 revolutionnaire.

Dans l'ensemble du departement, dont seize cantons donnaient un pourcentage de plus de 40 % des voix des electeurs inscrits au parti socialiste, l'on peut delimiter les zones de force de la droite et de l'extreme-gauche. La droite conservait ses positions dans les cantons de riche elevage ot dominalt encore ia grosse propriet : Bellac. le Dorat, Chateauponsac, Aixe-sur-Vienne, Saint-Laurent- sur-Gorre. Ces positions conservatrices coincident, dans la partie nord du departement, avec la region marchoise, situee au-dela des monts de Blond et d'Ambazac, qui marque le passage de la langue d'oil a la langue d'Oc. La limite linguistique semble etre en meme temps une limite politique. Apparemment, la region bellachone, ofi plus de 30 % d'electeurs votaient pour le parti socialiste, en 1936, semblait s'orienter vers 1'extreme-gauche. En realite, il faut tenir compte du lent glissement du socialisme vers les couches bourgeoises, aisement perceptible a cette date ofu le parti socialiste s'appretait a prendre le pouvoir. Une autre zone conservatrice coin- cide egalement, au sud de Limoges, avec le berceau de l'elevage limousin, region de riches paturages, limitee par un arc de cercle passant par Saint-Leonard, Pierre-Buffiere, la Barre de Vayrac. Dans cette zone, la grosse propri6et subsistait, orientee vers les pro- duits de l'elevage et le perfectionnement de la race bovine limou- sine.

Ces zones conservatrices etaient masquees par l'importance des voix socialistes, auxquelles s'ajouterent, au second tour, les voix communistes, car les candidats de ce groupe, appliquant la disci- pline du parti, s'etaient desistes en faveur des socialistes.

L'examen des resultats du vote du premier tour donne une indication precise sur le glissement de la masse electorale non pro- letarienne vers le parti socialiste. En effet, les communistes passent de 9.800 voix a 15.793, soit un gain de 6.000 voix environ, acquis aux depens des socialistes. II est bien evident que les socialistes. qui

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gagnaient 3.000 voix par rapport aux elections de 1932, avaient acquis au detriment des moderes 9.000 voix environ : ils perdaient en effet les voix proletariennes acquises par les communistes, ils gagnaient par contre des voix moder6es. Effectivement, les mode- res - des republicains de gauche aux socialistes independants - qui passaient de 39.700 voix en 1932 A 32.600 voix en 1936, etaient les grands vaincus de la consultation electorale. Le socialisme, qui atteignait en Haute-Vienne des couches sociales nouvelles, ne de- meurait plus un parti revolutionnaire et de classe, mais devenait un parti de r6publicains, un parti de mouvement, mais reformiste.

Quant au parti communiste, il insinuait son influence tout au long des vallees de la Vienne et du Taurion, rues industrielles oti la population ouvri6re dominait. Cette influence politique de la vall6e de la Vienne, des cantons de Saint-Leonard, Limoges, Saint- Junien, Eymoutiers constitue une donn6e permanente de la vie politique en Haute-Vienne. Certes, le parti communiste n'avait pas pu s'enfoncer profond6ment dans la masse, parce que son ain6 demeurait une incontestable force de transformation sociale. Tou- tefois, il demeurait comme une force latente, dans la partie dU departement la plus industrialisee, Seul son peu d'importance A Limoges peut surprendre. Mais cela s'explique par la persistance dans cette ville d'une forme d6mocratique de l'action ouvriere, en contradiction avec la tactique de violence et de noyautage preco- nis6e par le parti communiste.

A partir de 1938, la vie politique fut dominie par le probleme franco-allemand. Li encore, l'on peut remarquer que les reflexes propres en quelque sorte au socialisme limousin ont une fois de plus joue. Les parlementaires socialistes, au courant des perils qui s'amoncelaient sur la France, s'efforcerent de faire appel, dans la masse, aux sentiments et reflexes patriotiques. Us furent contre- carr6s par des militants, comme Le Bail, qui pr6conisaient la d6- nonciation des pactes de s6curitM que la France avait contracts avec les nations slaves. Or, il se trouvait que le pacifisme, que Paul Faure avait preconise en 1915, en redigeant la motion pacifiste dont nous avons parle, avait l'appui des masses.

4) 1920-1939 - b) MOUVEMENT SYNDICALISTE

Nous avons vu que la periode de guerre avait provoque une suspension de l'activite politique, mais que l'action corporative suscitee par l'accroissement du prix de la vie, avait persiste, avec pour but l'elevation des salaires.

En 1919, les elections legislatives furent un triomphe pour le parti socialiste qui achevait la conquete electorale du departement. Et de meme, les elections municipales et cantonales furent autant de victoires socialistes.

En mars 1920 furent connues les conditions d'adhesion a l'In- ternationale de Moscou, que les elus de la Haute-Vienne repousse-

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rent. Entre autres conditions Pressemane repoussait, et la tactique de la greve revolutionnaire a tout prix, consideree comme une gymnastique de l'emeute, et la mainmise du parti revolutionnaire sur les syndicats, et l'abus du centralisme. II suivait l'opinion de Guesde, son maitre en socialisme.

Les controverses au sujet des 21 conditions de Moscou s'ef- fectuaient dans une atmosphere sociale extremement troublee. En mai 1920, un meeting de soutien de la greve des cheminots reunit 30.000 manifestants, l'enorme majorite des ouvriers de Limoges. Puis, des greves de solidarite declanchees par la C.G.T., eclate- rent a Limoges et a Saint-Junien, dans le batiment, la metallurgie, les tramways, le gaz d'eclairage, la fabrique de chaussures de Ro- chechouart, etc.

En juin. apres l'echec de la tentative de la greve generale, 300 cheminots furent revoques a Limoges. La solidarite ouvriere une fois de plus joua en cette occasion : 17.000 francs furent collect6s, rien que dans la Ceramique, en faveur des cheminots rivoques.

En dehors des greves de mai, dont le ressort etait plus politique que corporatif et qui constituerent dans tout le pays une tentative revolutionnaire, l'annee 1920 vit 6clater de nombreuses greves pour le reajustement des salaires. L'indice du cofut de la vie etait passe de 100 a 584, et la taxation du pain fixait le prix de cette denr6e a 1 fr. 30 le kilo a Limoges, soit une augmentation de plus de quatre fois le prix d'avant-guerre.

Au printemps. les gantiers de Saint-Junien avaient obtenu un salaire de 13 fr. 20 par jour, les ouvrieres en chaussures de Limoges atteignaient 12 fr. 50, les tisseurs de Saint-Junien 12 francs.

L'effort ouvrier portait, et sur l'adaptation de la journee de huit heures, notamment dans le batiment ofi la duree annuelle du travail fut fixee, par un accord du 10 avril 1920, a 2.496 heures par an, et sur le remplacement du travail aux pieces par le salaire a l'heure. Les ouvriers de la C6ramique, depuis longtemps, esti- maient condamnable le systeme du travail aux pieces qui, base sur l'Fgoisme individuel, provoquait le surmenage et l'usure prematuree de l'ouvrier. En fevrier 1920, un premier pas fut fait par l'unifi- cation des tarifs des diverses fabriques. longtemps reclamee avant la guerre. Ces tarifs unifies resulterent d'un accord de convention entre le syndicat patronal et le syndicat general des ouvriers de la Ceramique.

Cette convention temoignait d'un effort de rapprochement, au lendemain de la guerre, entre la classe patronale et la classe ou- vriere. Toutefois, cet esprit de comprehension mutuelle fut de courte duree. En octobre, un conflit, motive par une demande ouvriere d'augmentation des salaires de 3 fr. 50 par jour, a laquelle le patro- nat repondit par une proposition de prime a la production et de sursalaire familial, provoqua une greve qui reduisit au chomage 6.000 ouvriers.

Toutefois. dans d'autres corporations, des relevements de sa- laires avaient ete consentis par les patrons, notamment chez les

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feuillardiers de la region de Saint-Yrieix, les tisseurs de Saint- Junien, les gantiers et les megissiers de Saint-Junien, les metal- lurgistes. Ces derniers obtenaient l'institution d'une commission paritaire chargee d'examiner periodiquement les conditions de vie en vue de l'attribution, le cas 6cheant, d'une indemnit6 supple- mentaire.

Ce rapprochement entre le capital et le travail fut rompu par les graves de 1920. Des le 24 mai 1920 en effet, et a la suite de l'echec des greves revolutionnaires de mai, les deux bourses du travail de Limoges et de Saint-Junien passerent sous le controle des elements extremistes, et cela surtout sous l'influence des che- minots r6voques.

Cette predominance des elements minoritaires fut rendue ma- nifeste a Saint-Junien, en juillet 1920, lorsque le syndicat des me- gissiers, apres s'etre retire de la C.G.T. pour protester contre l'ac- tion de Jouhaux, revint sur ses premferes decisions en votant l'af- filiation a la C.G.T., A condition d'etre compris dans les minori- taires. A Limoges, ofi la Bourse du travail comprenait des elements plus moderes et ofu Bonnet, secretaire adjoint, avait vote contre la grove generale, Bert poussait a l'adhesion a la IIIe Internationale. a Dans cinq ans, affirmait-il, au cours d'une reunion tenue le 29 aofit 1920 a Saint-Junien, le monde entier sera sovietis6 ! >>

Au congres socialiste de Tours, la section limousine resta fidele, contre toute attente, a l'esprit de la IIP Internationale. Elle etait assurge de sa force, du devouement de ses militants. A cette date, l'action politique et l'action syndicaliste, etroitement unies dans les annees qui avaient precede la guerre, se separent une fois de plus. Et il y a lieu de noter que, tandis que, vers 1895, l'action politique du parti socialiste naissant reprochait aux milieux ou- vriers de la Bourse du Travail leur acceptation de la collaboration des. classes, la situation 6tait inversee en 1920, annee ofu le r6for- misme 6tait impute au parti politique, tandis qu'un esprit revolu- tionnaire animait les militants syndicaux.

L'action communiste, qui travaillait surtout le centre ouvrier de Saint-Junien, s'efforga, pendant l'hiver de 1920-21, de noyauter les differents syndicats, en organisant en leur sein des Comites syndicalistes revolutionnaires. En fevrier 1921, le syndicat des feuillardiers du Centre, rompant avec la C.G.T., devint autonome. L'agitation ouvriere, entretenue par les anarchistes du Comite de Defense sociale, par les communistes recrutes parmi les cheminots r6voques, ne se propageait que lentement dans la classe ouvriere. Toutefois, au sein meme des organisations, l'esprit de classe l'em- portait, avec la volonte de rompre avec l'organisation centrale. En septembre 1922, 33 syndicats limousins, dont les deux plus impor- tants : la ceramique et la chaussure, se prononcrent contre l'ac- tion du bureau confederal, pour le retrait de l'Internationale d'Amsterdam et pour l'adhesion a celle de Moscou. Neuf syndicats demeurarent fideles a la C.G.T. et constituarent lUnion locale des syndicats confederes : imprimeurs. papetiers, relieurs, tanneurs et

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corroyeurs, P.T.T., tabacs, gaziers, preparateurs en pharmacie, ou- vriers municipaux.

La scission inevitable s'etant operee, le mouvement syndicaliste devint un mouvement pluraliste. L'eclatement de l'organisation syndicale. sous la poussee des extremistes, va provoquer des divi- sions, des luttes de tendances qui affaiblirent la position de la classe ouvriere aupres du patronat limousin. Quatre tendances vont se marquer : la tendance confederale, fidele a la charte d'Amiens, mais qui met l'accent sur le reformisme, sur l'amelioration progres- sive de la condition ouvriere, la tendance chretienne, dont l'objectif est surtout le salaire familial, la tendance communiste, qui subor- donne le syndicat au parti, la tendance anarchiste enfin d'affir- mation de l'autonomie profonde du mouvement ouvrier.

Il y a lieu de remarquer que cette dernitre tendance se mani- festa avec le plus de force, car c'etait elle qui repondait le mieux aux aspirations ouvrieres.

En effet, apres le premier congres departemental des syndi- cats unitaires, le secretaire de l'Union departementale des syndi- cats ouvriers de la Haute-Vienne, Beaubelicout, s'efforca de relier l'action proprement corporaticve au mouvement politique. L'apo- logie du bolchevisme, de l'armee rouge, des soviets, autant de the- mes de propagande, par lesquels les adherents a l'Internationale rouge s'efforcaient de passionner l'ouvrier afin de lui infuser une volonte revolutionnaire. Cette propagande affecta surtout les che- minots : sur les 2.300 cheminots, beaucoup abandonnerent le syn- dicat dit << Bidegarray >, ou confedere, pour s'inscrire au syndicat << Smard >, ou syndicat rouge.

Toutefois, les formules vehementes des propagandistes trou- vaient peu d'echo dans la classe ouvriere. La prediction d'une re- volution a court terme etait dementie par les evenements, et les outrances memes de langage par lesquelles les cheminots s'effor- caient de faire le proces de la C.G.T., accentuant la division ou- vriere. finirent par lasser. En 1923, les reunions syndicales n'etaient plus suivies. Li'ndifference etait grande. Les seules reunions qui pouvaient passionner l'opinion etaient les reunions communes de confederes et d'unitaires, soit pour protester contre les atteintes portees aux salaires ou a la loi de huit heures, soit pour tenter, par des discussions a la base. de trouver les conditions d'un retour a l'uniti ouvriere.

A la federation unitaire, d'ailleurs, deux tendances s'affron- taient : celle du parti communiste, qui s'efforcait de noyauter les syndidats afin de leur donner une impulsion favorable a la re- volution sovietique, celle de l'union anarchiste, dont le comite de defense syndicaliste protestait, apres le congres de Saint-Etienne, contre l'ingerence du parti communiste, auquel il reprochait son centralisme etatique, dans l'activite de l'organisation economique des travailleurs. Le Comite de defense, attaque dans la publication l'Internationale syndicale rouge, opposait le federalisme au centra. lisme des communistes. II se pretendait fidele a la charte d'Amiens.

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Et il constituait une fraction qui, dans le mouvement syndical, se trouvait en etat de dissidence latente.

Cette tendance l'emporta en Haute-Vienne. En effet, tandis que, dans le centre secondaire de Saint-Junien, le parti communiste l'emportait sur le -ieil esprit d'anarchie - le secretaire de la Bourse du travail avait fait en 1922 le voyage de Moscou -. a Li- moges, les principaux syndicats : ceux de la chaussure, de la ce- ramique, des sabotiers, passerent, a la fin de l'annee 1924, a l'au- tonomie. Les militants de ces corporations, Thuillier dans la c6ra- mique, Brissaut et Masbatin dans la chaussure, sous l'influence d'un mouvement ouvrier deja ancien, demeuraient fiddles au syn- dicalisme apolitique, et leur rupture avec la centrale syndicale rouge s'explique aussi par une certaine hostilit6 a l'egard du parti communiste, dont les initiatives electorales, celles de 1928 notam- ment, semblMrent deconcertantes.

Cette position d'autonomie des syndicats ouvriers de Limoges, qui refuserent d'adherer a l'une des deux centrales : C.G.T., C.G.T.U., etait une position d'expectative toute provisoire. C'est ainsi que Brissaut ecrivait, dans l'organe corporatif L'Ouvrier en chaussure limousin, en mai 1926 : < Nous ne sommes pas autono- mistes par ideal, mais par necessite... Il faudra en revenir a ce vieux syndicalisme d'avant-guerre... >

Effectivement, les syndicats autonomes de la chaussure et de la ceramique protestaient contre le syndicalisme < de secte ?. Pour eux, le syndicat devait etre une organisation corporative, ouverte a toutes les opinions politiques et philosophiques. Ils s'elevaient contre l'enseigne communiste de la C.G.T.U. Lorsque, en 1926, 1'esprit centralisateur qui animait les dirigeants de cette Centrale ouvriere imposa la fusion de l'Union departementale dans un ca- dre regional calque sur celui du parti communiste, les vieux syn- dicats libertaires eurent beau jeu pour d6noncer ce resserrement abusif. A cette date, la 25" Union regionale de la C.G.T.U. comptait 58 syndicats, dont les plus agissants se situaient dans la Creuse. A Limoges, quelques rares syndicats d'obedience communiste : les metaux, la viande, conservaient la suprematie sur les conf6deres. Mais dans l'ensemble, i'action unitaire n'avait que peu de portee.

L'action des syndicats autonomes de la Ceramique et de la Chaussure, apres que l'illusion unitaire eut et6 dissipee, fut une action revendicative en faveur des salaries, mais surtout d'edu- cation de la solidarite ouvriere. Les dirigeants s'efforcerent surtout a partir de 1930, d'empecher le travail clandestin, et ils denon- cerent impitoyablement les ouvriers et ouvri6res qui faisaient a l'atelier des heures supplementaires, soit le samedi, soit le diman- che. D'autre part, le syndicat de la Chaussure crea une biblio- theque ofi figuraient surtout les defenseurs des d6sherites, des humbles : Barbusse, Anatole France, Victor Hugo, Gorki, Dorge- les, etc... Les militants, a l'epoque ou se faconnaient les m6thodes cruelles des dictatures etatiques, d6veloppaient les principes du communisme libertaire et federaliste. Le federalisme, pour eux,

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c'etait une liaison organique et spontanee, non appuyee sur la force d'une police et d'une administration, de groupes economiques. Cet esprit mutuelliste animait Brissaut, secretaire du syndicat de la Chaussure : il crea, en aoft 1929, une societe corporative de secours mutuels des ouvriers en chaussure, qui devait etre habili- tee, pensait-il, comme caisse primaire des assurances sociales.

Sur le plan moral, les syndicalistes de la chaussure et de la porcelaine developpaient les theses de l'antimilitarisme, du malthu- sianisme, et ils combattaient en faveur de tous ceux qui, de par le monde, avaient souffert d'un deni de justice.

A c6t6 des syndicats autonomes, les conf6eders, - qui avaient notamment reconquis les feuillardiers en 1927 -, et les unitaires extremistes et turbulents, constituaient des minorites actives. Toutefois, chaque fois qu'ils le purent, et dans le but de diviser la classe ouvriere, les patrons s'efforcerent de ne negocier les ques- tions de salaires qu'avec le syndicat le moins exigeant et le moins combattif, qui etait g6neralement le syndicat confedere. Ce fut le cas, par exemple, en mars 1923 : a la periode d'expiration de leur contrat de travail, les ouvriers du Livre, au nombre de 450, et dont la plupart appartenaient au syndicat confedere, obtinrent, en traitant avec le syndicat des maitres-imprimeurs, et sans que les unitaires eussent ete consultes, une augmentation de salaire de 1 fr. 50 par jour.

De 1921 a 1930, la prospirite generale de la France entraina un accroissement de la production. Porcelaine et chaussure attei- gnirent simultanement, vers 1924, une pointe de prosperite.

Pendant ces neufs annees, la lutte pour le relevement des salaires, conditionnee par une inflation monetaire beaucoup plus lente que durant les annees de guerre, mais inexorable, se pour- suivit, avec des alternatives de succes et de revers.

En 1921, une tentative deflationniste d'assainissement finan- cier avait provoquc des diminutions de salaires, imposees par les fabricants aux ouvriers qui resisterent par la greve. En juin, les galochiers durent accepter une reduction allant de 12.5 % pour les monteurs a 16,6 % pour les creuseurs et les pareurs. Dans le Livre, la m6tallurgie, il y eut aussi de legeres baisses de salaires. Et de m6me, durant l'hiver de 1921 a 1922, les feuillardiers durent accep- ter une baisse de 20 %, leurs salaires passant de 12 francs k 9 fr. 50 par jour.

Mais en 1922, le cofit de la vie augmentant, les syndicats ou- vriers firent campagne contre la vie chere. En cette ann6e-la, les salaires dans la chaussure et la ceramique atteignaient 20 francs par jour.

En 1923, les hausses des salaires reprirent. En janvier, les mar- chands de bois de Saint-Yrieix accorderent une augmentation aux feuillardiers de 10 % sur les tarifs. A Saint-Junien, une greve gene- raliste et meurtriere eclata dans les ganteries et les papeteries. Les patrons gantiers accepterent l'application a Saint-Junien des

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tarifs de Millau, avec un salaire minimum de 11 francs par jour pour les ouvrieres et de 22 francs pour les ouvriers.

Puis, en 1924, les porcelainiers de Saint-Brice obtinrent une augmentation qui porta leur salaire hebdomadaire a 99 francs.

La hausse s'accentua en 1925. Dans la chaussure, les salaires passerent a 26 francs chez les hommes et a 14 fr. 50 chez les femmes.

L'action ouvri6re, qui avait obtenu l'unification des tarifs dans les usines, s'efforga, dans les annees qui suivirent, d'abolir le tra- vail aux pieces pour lui substituer le travail a la journee dans le cadre d'une production journaliere moyenne determinee par une entente entre les organisations syndicales.

A cette epoque aussi apparaissent les premieres victoires ouvrieres au sujet des conges payes : en novembre 1925, les gan- tiers de Saint-Junien, aussit6t suivis par les palissonneurs et les teinturiers, obtinrent une majoration de 4 % des salaires represen- tant un conge paye de 12 jours par an s'ajoutant a une augmen- tation de salaire de 10 a 20 %.

Dans la Ceramique, les ouvriers qualifies : couleurs de moules, devoileurs, atteignaient 30 francs par jour en 1926, tandis que les ouvrieres : brunisseuses et plieuses, depassaient 15 francs. Les fileurs atteignaient 33 francs, les useurs de grains 37 francs, les calibreurs 2 6francs, apr6s une greve qui entraina le lock-out de 19 fabriques et la mise en chomage de 4.000 ouvriers.

Des 1927, la production marqua un ralentissement, une hesita- tion qui debuta en juillet dans la chaussure. L'annee 1928 fut meil- leure. Puis, a partir de 1929, le contre-coup de la crise americaine se fit sentir, d'abord dans la chaussure, ensuite dans la porcelaine. Le centre industriel de Limoges entra alors dans une longue pe- riode de depression economique accentuee, qui se marqua par un ch6mage total ou partiel dans de nombreuses fabriques. En novem- bre 1930, le ch6mage partiel regnait dans douze usines de porce- laine ; une vaste usine avait meme ferme ses portes. En fevrier 1931, la ville comptait 1.059 ch6meurs secourus, et parmi les indus- tries atteintes figuraient la ceramique, la bonneterie, la confection. En novembre 1931, le nombre des ch6meurs passa a 2.570. Puis, en avril 1932, a 6.230 ch6meurs secourus et, en mai, a 5.934 cho- meurs, dont 2.678 hommes et 3.256 femmes.

Entre 1930 et 1938, les perspectives de l'industrie limousine se firent de plus en plus sombres. L'etat de ch6mage endemique affectait la population ouvri~re, et l'inqui6tude de l'avenir pro- voquait une baisse marquee du nombre des naissances, qui passa, L Limoges, au taux tres bas de 1.065 naissances en 1937 et de 1.182

en 1938. Pour tenter de lutter efficacement contre la concurrence des centres ceramiques du Berry et de l'etranger, les fabricants de porcelaine s'efforcerent de provoquer une baisse des salaires. Il s'ensuivit, a partir de juin 1934, un conflit de cinq mois. L'union des fabricants denonga, a partir du 9 juin, les contrats de travail existants, et fit connaitre, par un preavis, son intention de reduire

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de 10 % l'ensemble des salaires. Le 1 8juin, les ouvriers de 17 fabriques, sur 25, se mirent en greve, soit 2.271 personnes sur un personnel de 3.376 ouvriers. A ce moment, la ville de Limoges comptait 8.000 chomeurs, et les exportations aux Etats-Unis etaient pratiquement arretees. Le travail fut repris, apres de difficiles pourparlers, sur les bases suivantes:

- pas de diminution pour les salaires egaux ou inferieurs, pour huit heures de travail, a 28 francs pour les hommes, a 20 francs pour les femmes;

- rajustement uniforme de 5 % pour tous les autres salaires. Les interets ouvriers avaient ete efficacement soutenus par le

syndicat autonome. A partir de 1936, les ouvriers limousins participerent a l'accord

general conclu entre la C.G.T. et la Confederation generale du pa- tronat franqais, le 7 juin 1936. Le retour a l'unite du syndicalisme ouvrier, a l'issue du congres de Toulouse, avait suscite un enthou- siasme createur qui se traduisit par une poussee syndicale d'une grande ampleur. En janvier 1936, il existait dans le departement 68 syndicats, comptant 11.000 adherents. En janvier 1937, 117 syn- dicats groupaient 30.000 adherents. L'action syndicale, qui s'etait assoupie dans les centres industriels de moindre importance que ceux de Limoges et de Saint-Junien, connut une recrudescence marquee. Une union locale se constitua a Saint-Leonard, comptant six syndicats. Et, des que les accords Matignon furent connus, de nombreux syndicats naquirent, et dans la plupart des usines, des cahiers de revendications furent deposes. A Saint-Junien, il se forma en juillet un syndicat du textile. fort de 300 membres, et le syndicat du papier-carton passa de 40 a 400 membres. L'union locale de cette ville de 8.000 habitants comptait plus de 3.000 adhe- rents. A Aixe-sur-Vienne, les ouvriers en chaussures, les balan- ciers se syndiquaient. A Eymoutiers, les ouvriers du batiment dis- cutaient un contrat collectif avec les entrepreneurs.

En cette annee capitale dans l'histoire du mouvement ouvrier, il y eut peu de gr6ves sur le tas : greve de la fabrique de talons Hetier en juillet, greve des tanneurs et megissiers de Limoges. Des le 6 juillet 1936, fut conclue la convention collective du Livre. Pour les deux industries principales de Limoges, la chaussure et la porcelaine, les negociations d'une convention collective furent plus longues : elles aboutirent, le 10 decembre 1936, pour la premiere, le 31 decembre pour la seconde. Les militants, qui s'adressaient ai une classe ouvriere dont l'education etait deja ancienne, obtinrent de celle-ci qu'elle refrenat son impatience. La vieille morale syn- dicaliste creait un esprit de discipline et de cohesion. Peut-etre le marasme economique persistant incitait-il, tant du cote patronal que du cote ouvrier, a la prudence. L'action ouvriere fut rarement mal engagee. Mais ce fut le cas chez les tanneurs et les megissiers de Limoges, au moment meme oiu la loi sur l'arbitrage obliga- toire etait votee au parlement. En decembre 1936, ils reclamerent un reajustement des salaires et une majoration de'10 % sur les

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salaires r6ajustes. L'echec d'une tentative de conciliation devant les federations nationales - patronale et ouvriere - de l'industrie du cuir, provoqua chez les ouvriers tanneurs une gr6ve prematuree que les patrons proclamerent illegale et qu'ils considererent comme une rupture du contrat collectif. Ils congedierent leur personnel. Mais les ouvriers, reconnaissant qu'ils avaient sans raison rompu le contrat de travail, sans qu'ait ete mise en ceuvre la procedure de conciliation et d'arbitrage prevue par la loi du 31 decembre, demanderent a reprendre le travail aux anciennes conditions.

L'ann6e 1937 fut assez calme, quoique le marasme 6conomique tendit a s'accentuer. Dans la plupart des cas, les patrons defen- dirent pied a pied leurs positions, mais ils accepterent les conven- tions collectives presentees par les organisations ouvrieres. Les ouvriers obtinrent des augmentations substantielles de salaires 30 % par exemple, aux usines de chaussures de Saint-Leonard. A l'usine de papier-carton du Penitent, pr6s de Saint-Junien, la prime au rendement fut supprimee et incorporee dans les salaires horai- res, qui passerent a 3 fr. 55 et 4 fr. 10.

En general, les conventions collectives donnerent aux ouvriers les assurances suivantes : reembauchage par priorite des ouvriers ch6meurs dans les entreprises ofu le manque de travail avait oblige de licencier une partie du personnel, r6emploi obligatoire des ou- vriers de retour du service militaire. Dans la Ceramique, le syn- dicat obtint que le travail serait execut6 par roulement par le per- sonnel des fabriques, de fagon a limiter les effets du chomage.

En 1938, lors des discussions sur le renouvellement des conven- tions collectives de la chaussure. l'union patronale pretendit re- duire l'indemnite horaire de compensation du coit de la vie. L'ac- tion ouvriere prit, comme en 1936, la forme d'un r6flexe de resis- tance et se traduisit par des occupations d'usines : 1.800 grevistes, sur les 3.200 ouvriers et ouvrieres des fabriques, firent la greve sur le tas. Les patrons poserent comme condition prealable d'une dis- cussion des salaires l'6vacuation des usines. Les ouvriers en recla- maient la << neutralisation >. Le 26 mars 1938, les usines furent evacuees, et ies tractations entre patrons et ouvriers aboutirent a une convention accordant aux ouvriers une indemnite horaire de compensation du coit de la vie fixee a 1 fr. 50 pour les hommes, 1 fr. 15 pour les femmes, 0 fr. 75 pour les adolescents. Les salaires moyens subirent une legere diminution et passerent, pour les hom- mes, de 55-61 francs a 53-58 francs, et pour les femmes de 53-57 francs a 51-55 francs. A cette date, les salaires des fabriques de Limoges l'emportaient sur ceux des autres centres de fabrication de la chaussure : Rouen, Nancy, Fougere, Tours, Amiens, Cholet.

Entre 1920 et 1938, le regime des salaires subit une modifica- tion importante : le travail a l'heure l'emporta sur le travail aux pieces. Certes, le tarif des facons de 1920, dans la Ceramique, avait marque un progres sensible dans l'unification des salaires. Il restait un pas a franchir, c'etait le passage au travail a l'heure, et meme a la journee. En 1930, ce passage etait realise en grande

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partie dans la porcelaine. Jusqu'a cette date, 80 % du personnel, homme et femmes, travaillaient aux pieces, et 20 % a l'heure. A partir de 1930, la proportion fut inversee. Certaines categories etaient encore payees aux pieces : calibreurs, decalqueuses, fileurs. Par contre, les useurs de grains et polisseurs etaient passes au tarif horaire. Ce passage fut rendu possible par l'effort de disci- lpine auquel s'astreignit l'ouvrier en porcelaine, II etait impossible de lui imposer un rythme de travail, une cadence, car la pro- duction dependait de facteurs difficilement appreciables. comme l'6tat de la pate che les calibreurs. Neanmoins, le travail en atelier comportait une bien plus grande regularite que par le passe.

L'application de la loi sur l'arbitrage obligatoire empecha des conflits desastreux, semblables a ceux de 1905 et de 1934, de se declencher. Des series d'arbitrage assurerent, par des reajuste- ments de salaires. la paix sociale : 21 mai 1937, indemnite horaire de vie chore de 0 fr. 75; 7 fevrier 1938, majoration de salaire de 4 % ; 1939. reajustement du salaire minimum horaire qui passa a 5 fr. 56.

Il y a lieu de remarquer aussi, dans l'dvolution des salaires, que l'ecart entre le salaire masculin et le salaire feminin s'ame- nuisait. C'est ainsi que, dans la chaussure, cet ecart se reduisait en 1938 a 4 francs environ pour un salaire ddpassant cinquante francs par jour, soit moins de 10 %.

Enfin, l'ecart entre les salaires ruraux et ceux de la ville demeurait assez considerable. C'est ainsi qu'une papetiere de la vallee de la Vienne gagnait 19 fr. 50 par jour en 1936, tandis qu'une ouvriere en chaussure approchait de 50 francs.

D'une maniere generale, le pouvoir d'achat de la classe ou- vriere avait augmente. Les tentatives de diminution des salaires de 1921 et de 1934 s'dtaient heurtees a une volonte de resistance de la part des salarids. La vie materielle etait certes mieux assuree. Mais, a Limoges, le chomage persistant, qui reduisait l'industrie de la porcelaine ainsi que la chaussure a un effectif de 3.000 ouvriers et ouvri&res pour chaque catdgorie, alors qu'il avait atteint 7.000 de part et d'autre, constituait un element d'inquietude en ce qui concerne l'avenir d'une agglomeration de 100.000 habitants.

P. COUSTEIX.

Imprimerie < E. P. ), 232, rue de Charenton - Paris-12e

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