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18 L’Encéphale, 2005 ; 31 : 18-23, cahier 1 MÉMOIRE ORIGINAL Évaluation des troubles du métabolisme induits par les antipsychotiques atypiques chez les patients schizophrènes M. GAUTHÉ (1) , C. GOLDBERGER (1) , J.-P. OLIÉ (1) , H. LÔO (1) , C. GURY (2) , M.-F. POIRIER (1) (1) Service Hospitalo-Universitaire, CH Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris. (2) Pharmacie, CH Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris. Travail reçu le 29 mars 2004 et accepté le 25 juin 2004. Tirés à part : M.-F. Poirier (à l’adresse ci-dessus). Résumé. Les antipsychotiques, conventionnels et atypi- ques, sont connus pour induire chez les patients souffrant de schizophrénie une prise de poids et des troubles du métabo- lisme du glucose et des lipides. Ces modifications métaboli- ques s’ajoutent aux facteurs de risque intrinsèques à la patho- logie psychiatrique (sédentarité, tabagisme, diabète) pour multiplier le nombre de complications cardio-vasculaires. Nous proposons d’étudier les modifications pondérales et la présence d’anomalies métaboliques, en fonction du traite- ment reçu, dans une population de patients schizophrènes traités, en condition naturelle, par des antipsychotiques con- ventionnels et atypiques ; 32 patients, dont le diagnostic de schizophrénie avait été posé au préalable, ont été inclus de façon consécutive sur une période de 4 mois. Ils ont été répartis en 3 groupes : patients traités par antipsychotiques conventionnels (n = 6), par antipsychotiques atypiques (n = 16) ou par association des deux (n = 10) ; 6 patients (18 %) présentent une surcharge pondérale, 4 patients (12,5 %) une hypertriglycéridémie et 4 autres patients (12,5 %) une hypercholestérolémie. Aucune molécule en particulier n’a pu être incriminée directement, en partie du fait de notre effectif restreint, mais les patients présentant une anomalie du métabolisme lipidique étaient traités par des antipsychotiques atypiques. Les constatations de ces ano- malies fréquentes, qui correspondent aux données de la lit- térature, amènent à quelques règles de surveillance des trai- tements antipsychotiques. Mots clés : Antipsychotiques ; Diabète ; Prise de poids ; Schizo- phrénie ; Troubles métaboliques. Assessement of metabolic impairments inducted by atypical antipsychotics among schizophrenic patients Summary. Conventional and atypical antipsychotics are known to induce weight gain, cause glucose and lipid impair- ments among schizophrenic patients. These impairments contribute to the intrinsic risk factors linked to the psychiatric pathology (sedentary state, nicotin addiction, diabetes) increasing numbers of cardiovascular complications. We pro- pose to study ponderal modifications and presence of meta- bolic abnormalities in a population of schizophrenic patients treated by conventional or atypical antipsychotics, depending on the received treatment ; 32 patients, whose schizophrenia diagnosis had been previously made, were consecutively included over a 4 months period.They were divided into three groups : patients treated by conventional antipsychotics (n = 6), by atypical antipsychotics (n = 16) or by a combina- tion of both (n = 10) ; 6 patients (18 %) display overweight problems, 4 patients (12.5 %) got hypertriglyceridemia and 4 other patients (12.5 %) have hypercholesterolemia. No par- ticular drug could be directly targeted, partly because of the restricted size of our sample, but the patients presenting metabolism impairment were treated by atypical antipsy- chotic. The observance of these abnormalities is reflected in publications and lead to some antipsychotic treatments mon- itoring rules. Key words : Antipsychotics ; Diabetes ; Metabolic impairments ; Weight gain. INTRODUCTION Les schizophrènes, dont le mode de vie associe sou- vent sédentarité, mauvaise hygiène alimentaire, obésité et diabète ont un taux de mortalité par maladies cardio- vasculaires très élevé, avec un risque relatif d’environ 3 fois celui de la population générale (8). Les troubles du métabolisme rapportés chez eux avant l’usage des neuroleptiques ont été récemment confirmés par des études complémentaires évaluant la prévalence du diabète dans cette population à 15,8 % et montrant que

Évaluation des troubles du métabolisme induits par les antipsychotiques atypiques chez les patients schizophrènes

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18 L’Encéphale, 2005 ; 31 : 18-23, cahier 1

MÉMOIRE ORIGINAL

Évaluation des troubles du métabolisme induits par les antipsychotiques atypiques chez les patients schizophrènes

M. GAUTHÉ (1), C. GOLDBERGER (1), J.-P. OLIÉ (1), H. LÔO (1), C. GURY (2), M.-F. POIRIER (1)

(1) Service Hospitalo-Universitaire, CH Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris.(2) Pharmacie, CH Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris.

Travail reçu le 29 mars 2004 et accepté le 25 juin 2004.Tirés à part : M.-F. Poirier (à l’adresse ci-dessus).

Résumé. Les antipsychotiques, conventionnels et atypi-ques, sont connus pour induire chez les patients souffrant deschizophrénie une prise de poids et des troubles du métabo-lisme du glucose et des lipides. Ces modifications métaboli-ques s’ajoutent aux facteurs de risque intrinsèques à la patho-logie psychiatrique (sédentarité, tabagisme, diabète) pourmultiplier le nombre de complications cardio-vasculaires.Nous proposons d’étudier les modifications pondérales et laprésence d’anomalies métaboliques, en fonction du traite-ment reçu, dans une population de patients schizophrènestraités, en condition naturelle, par des antipsychotiques con-ventionnels et atypiques ; 32 patients, dont le diagnostic deschizophrénie avait été posé au préalable, ont été inclus defaçon consécutive sur une période de 4 mois. Ils ont étérépartis en 3 groupes : patients traités par antipsychotiquesconventionnels (n = 6), par antipsychotiques atypiques(n = 16) ou par association des deux (n = 10) ; 6 patients(18 %) présentent une surcharge pondérale, 4 patients(12,5 %) une hypertriglycéridémie et 4 autres patients(12,5 %) une hypercholestérolémie. Aucune molécule enparticulier n’a pu être incriminée directement, en partie du faitde notre effectif restreint, mais les patients présentant uneanomalie du métabolisme lipidique étaient traités par desantipsychotiques atypiques. Les constatations de ces ano-malies fréquentes, qui correspondent aux données de la lit-térature, amènent à quelques règles de surveillance des trai-tements antipsychotiques.

Mots clés : Antipsychotiques ; Diabète ; Prise de poids ; Schizo-phrénie ; Troubles métaboliques.

Assessement of metabolic impairments inducted by atypical antipsychotics among schizophrenic patients

Summary. Conventional and atypical antipsychotics areknown to induce weight gain, cause glucose and lipid impair-

ments among schizophrenic patients. These impairmentscontribute to the intrinsic risk factors linked to the psychiatricpathology (sedentary state, nicotin addiction, diabetes)increasing numbers of cardiovascular complications. We pro-pose to study ponderal modifications and presence of meta-bolic abnormalities in a population of schizophrenic patientstreated by conventional or atypical antipsychotics, dependingon the received treatment ; 32 patients, whose schizophreniadiagnosis had been previously made, were consecutivelyincluded over a 4 months period.They were divided into threegroups : patients treated by conventional antipsychotics(n = 6), by atypical antipsychotics (n = 16) or by a combina-tion of both (n = 10) ; 6 patients (18 %) display overweightproblems, 4 patients (12.5 %) got hypertriglyceridemia and4 other patients (12.5 %) have hypercholesterolemia. No par-ticular drug could be directly targeted, partly because of therestricted size of our sample, but the patients presentingmetabolism impairment were treated by atypical antipsy-chotic. The observance of these abnormalities is reflected inpublications and lead to some antipsychotic treatments mon-itoring rules.

Key words : Antipsychotics ; Diabetes ; Metabolic impairments ;Weight gain.

INTRODUCTION

Les schizophrènes, dont le mode de vie associe sou-vent sédentarité, mauvaise hygiène alimentaire, obésitéet diabète ont un taux de mortalité par maladies cardio-vasculaires très élevé, avec un risque relatif d’environ3 fois celui de la population générale (8).

Les troubles du métabolisme rapportés chez eux avantl’usage des neuroleptiques ont été récemment confirméspar des études complémentaires évaluant la prévalencedu diabète dans cette population à 15,8 % et montrant que

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ces taux étaient significativement plus élevés que ceux dela population générale, et ceci indépendamment du sexedu patient, de son âge, de l’âge de son premier traitementpar antipsychotique, des durées et du cumul des hospita-lisations ou des différents traitements par antipsychoti-ques qu’il avait reçus (2, 15).

Les antipsychotiques atypiques constituent le traite-ment médicamenteux moderne de la schizophrénie. Cesnouveaux antipsychotiques sont responsables de prisesde poids, de diabète ou d’augmentation du taux sanguinde lipides, aggravant ainsi les facteurs de risque cardio-vasculaire d’une population déjà sensible.

Diabète et troubles lipidiques étant associés à un risqueaccru de maladies circulatoires, leur présence pourraitdonc contribuer à raccourcir l’espérance de vie de cespatients (15).

PRISE DE POIDS SOUS ANTIPSYCHOTIQUES ATYPIQUES

Jusqu’alors éclipsés par les syndromes extrapyrami-daux, les problèmes de prise de poids induite par les anti-psychotiques ont été amplifiés par l’arrivée sur le marchédes composés atypiques.

Tous les antipsychotiques induisent une prise de poidsà des degrés différents (11, 17), mais certaines étudeslaissent à penser que la prise de poids induite par les anti-psychotiques atypiques serait significativement plus éle-vée que celle induite par les antipsychotiques convention-nels (20).

La clozapine [27 à 70 % des patients traités dévelop-pant une prise de poids significative (> 10 % du poids ini-tial) allant de 2,3 à 16,2 kg (17)] et l’olanzapine [41 à 94 %des patients traités développant une prise de poids signi-ficative (> 7 % du poids initial) d’en moyenne 5,4 kg (17)]seraient les molécules les plus en cause dans ce risquede prise de poids.

La rispéridone pourrait entraîner une prise de poidssignificative (> 10 % du poids initial) chez 11 % despatients, avec des variations de poids allant en généralde – 0,91 à 3,4 kg, une prise de poids moyenne de 1,7 kgaprès 3 mois et de 3,3 kg après un an de traitement (17).

Les changements de poids sous amisulpride semblentêtre minimes, ils vont de 0,2 à 1,4 kg en fonction de ladurée du traitement et ne semblent pas significativementplus élevés que ceux induits par les antipsychotiques con-ventionnels (17).

Les caractéristiques potentielles qui placeraient lespatients à haut risque pour la prise de poids sont un Indicede masse corporelle (IMC) faible avant le traitement, unâge jeune, être un patient naïf, être de sexe féminin, pré-senter certains troubles psychiatriques (dont la schizo-phrénie) et une association avec d’autres médicamentspsychotropes comme les thymorégulateurs ou certainsantidépresseurs (17).

En plus d’être facteurs de risque de diabète de type 2et de maladies cardio-vasculaires (3), la prise de poids et

l’obésité sont des facteurs de non-observance, non-observance responsable d’un taux de rechute de 20 à30 % dans les deux premières années (9).

DIABÈTE ET ANTIPSYCHOTIQUES ATYPIQUES

Aujourd’hui, le diabète est défini par une glycémie àjeun supérieure ou égale à 7,0 mmol/L, et/ou une hyper-glycémie provoquée par voie orale supérieure ou égale à11,1 mmol/L, confirmées 2 fois (16).

Les études classiques qui associent les antipsychoti-ques conventionnels à des troubles de la glycémie chezles schizophrènes (19) présentent des limites, autant dansles critères diagnostiques de la schizophrénie et du dia-bète que dans l’attention portée aux différents facteurs derisque associés.

De nombreuses publications récentes indiquent la pré-sence de nouveaux cas d’intolérance au glucose, de dia-bète ou d’exacerbation d’un diabète existant chez lessujets traités par les antipsychotiques atypiques.

Ces données indiquent que non seulement ce risqued’intolérance au glucose/diabète est plus grand chez lespatients traités comparés aux patients non traités, maisqu’il pourrait être au moins 2 fois supérieur à celui rapportéchez les patients traités par les neuroleptiques conven-tionnels (4, 6).

SYNTHÈSE DE LA LITTÉRATURE POUR LES PRINCIPAUX AA EN FRANCE

Amisulpride

Il n’existe à ce jour aucune étude ni aucun cas cliniquepubliés impliquant l’amisulpride dans l’induction d’un dia-bète. On remarquera toutefois que la majorité des étudessur le sujet sont américaines et que l’amisulpride n’est pascommercialisé aux États-Unis, d’où le manque de don-nées disponibles.

Clozapine

La prévalence du diabète chez les patients traités parla clozapine est de 18 % (17).

Plusieurs cas cliniques récents ont permis d’établir unlien entre la clozapine, des accidents acidocétosiques etune hyperglycémie (6).

En se basant sur un traitement de 12 mois, les patientssous clozapine semblent avoir un risque significativementsupérieur de développer un diabète que les patients nontraités ou traités par un antipsychotique conventionnel,ceci indépendamment de la sévérité de l’adiposité et del’âge (4, 16).

Olanzapine

La prévalence du diabète chez les patients traités parl’olanzapine est de 11 % (17).

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Là aussi, des cas cliniques récents ont associé l’olan-zapine au diabète, à l’exacerbation d’un diabète existant,à une hyperglycémie et à des accidents acidocétosiques(16, 22).

Comme chez les patients traités par la clozapine, ense basant sur un traitement de 12 mois, les patients sousolanzapine semblent avoir un risque supérieur de déve-lopper un diabète que les patients non traités ou traitéspar un antipsychotique conventionnel, indépendammentde la sévérité de l’adiposité et de l’âge (4, 10, 16).

Rispéridone

D’après presque toutes les études, la rispéridone sem-blerait présenter moins de problèmes que les autres anti-psychotiques atypiques, à l’exception toutefois de l’ami-sulpride.

Comparés aux patients non traités ou traités par desantipsychotiques conventionnels, les patients sous rispé-ridone ne présenteraient pas de risque significativementplus élevé de développer un diabète (4, 10).

Un seul cas d’accident acidocétosique pendant un trai-tement a été rapporté, et très peu de cas de diabète ontété décrits (21).

Limitation des études

Toutes les informations publiées à ce jour sont des cascliniques ou des études rétrospectives et aucune d’entreelles ne prend en compte tous les facteurs de risque poten-tiellement impliqués dans l’émergence d’un diabète detype 2 chez les patients schizophrènes traités par les anti-psychotiques atypiques (ethnicité, IMC, antécédents fami-liaux de diabète).

Il est possible que ces problèmes d’intolérance au glu-cose soient antérieurs au traitement et que celui-ci n’aitfait qu’exacerber une pathologie préexistante.

Enfin, aucune de ces études ne prend en compte la fai-ble observance des patients.

Facteurs de risque

Les facteurs de risques de développer un diabète lorsd’un traitement par antipsychotique sont les mêmes quechez les patients non traités (rappelons toutefois que lesimple fait d’être atteint de schizophrénie serait un facteurde risque de diabète).

Sont considérés comme des facteurs majeurs de risquede développement d’un diabète : être âgé d’environ40 ans (4), présenter des antécédents familiaux de dia-bète (un tiers des schizophrènes), appartenir à une ethnieà risque (il est connu que certaines populations présententun risque plus élevé de développer un diabète de type 2)(11) et présenter une surcharge pondérale ou une obésitéde type abdominale (même si cette association entre prisede poids et développement d’une hyperglycémie n’a pas

encore été démontrée et si des études récentes suggèrentque les traitements par les atypiques pourraient être asso-ciés à des effets secondaires sur le métabolisme du glu-cose, indépendamment de la prise de poids) (6, 22).

De plus, la fréquente association des antipsychotiquesavec d’autres psychotropes comme certains normothymi-ques ou antidépresseurs imipraminiques, eux aussi sus-pectés d’induire une prise de poids et des troubles de régu-lation du glucose (5), pourrait contribuer à augmenter lesrisques de développement d’une hyperglycémie ou d’undiabète.

Mécanismes

En l’état actuel de la recherche sur le sujet, il sembleraitque ces effets des antipsychotiques seraient plus dus àune insulinorésistance qu’à un déficit primaire d’insulino-sécrétion (18).

Cette insulinorésistance, déjà imputée à la clozapine età l’olanzapine (12, 13), peut aussi être induite par desmécanismes directs et/ou indirects des antipsychotiquessur la glycémie.

L’antagonisme dopaminergique direct des antipsycho-tiques au niveau de l’hypothalamus et l’action de certainsantipsychotiques atypiques sur les récepteurs sérotoni-nergiques 5HT1A, 5HT2C et les récepteurs histaminergi-ques H1 (22) pourraient conduire à une dérégulation dela glycémie dans le sang (l’hypothèse impliquant lesrécepteurs sérotoninergiques n’a toutefois pas encore étéconfirmée par des données in vivo) (7).

Une interférence type relation structure-activité de cer-tains antipsychotiques atypiques (clozapine et olanza-pine) avec les protéines transporteuses du glucose seraitune autre possibilité d’interaction directe sur la régulationdu glucose (7).

L’augmentation de l’adiposité abdominale, pouvantêtre observée lors de traitements par la clozapine, l’olan-zapine et la rispéridone (plus faiblement), peut diminuerla sensibilité musculaire à l’insuline et contribuer ainsi àune hyperglycémie (12, 13).

DESCRIPTION DE L’ÉTUDE RÉALISÉE

Objectifs et méthode

Nous proposons d’étudier les modifications pondéraleset la présence d’anomalies métaboliques, en fonction dutraitement antipsychotique reçu, dans une population depatients schizophrènes traités, en condition naturelle, pardes antipsychotiques conventionnels et atypiques.

Les objectifs sont dans un premier temps de détecteren milieu naturel de prescription la présence d’anomaliesmétaboliques (diabète inclus) et les éventuelles prises depoids chez des patients schizophrènes ayant un traite-ment par antipsychotique, puis de les comparer en fonc-tion du type de composé reçu.

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Nous avons inclus des patients admis consécutivementau SHU durant 4 mois, présentant un diagnostic de schi-zophrénie et traités par un ou plusieurs antipsychotiques.

Nous avons exclu les patients recevant un traitementpar thymorégulateur (acide valproïque, carbamazépine etlithium) ou par antidépresseurs imipraminiques (amitrip-tyline, amoxapine, clomipramine, désipramine, dosulé-pine, doxépine, imipramine, maprotiline, trimipramine) enplus de leur traitement antipsychotique lors de leur admis-sion.

Les patients inclus ont été répartis dans 3 groupes dis-tincts en fonction de leur traitement.

Le premier groupe (groupe A) incluait les patients traitéspar un neuroleptique conventionnel, le second (groupe B)les patients traités par un antipsychotique atypique et letroisième (groupe C) les patients traités par une associa-tion de neuroleptiques conventionnels et atypiques ;32 patients au total ont été inclus, 13 hommes (40,6 %)et 19 (59,4 %) femmes. La moyenne d’âge était de 35 anset la durée moyenne d’hospitalisation était de 1 mois etdemi. La répartition dans les trois groupes s’est effectuéeselon le tableau I.

Relevé des données

Pour chaque patient inclus, la glycémie à jeun, la trigly-céridémie, le cholestérol plasmatique total et le cholestérolplasmatique HDL ont été dosés à l’entrée.

De plus, un suivi hebdomadaire de l’évolution du poidsdes patients inclus dans l’étude au cours de l’hospitalisa-tion a été réalisé.

Enfin, la taille, le sexe, l’âge, l’ethnicité, les éventuels anté-cédents de maladies métaboliques et les traitements asso-ciés de chaque patient inclus ont également été relevés.

Analyse statistique

Les comparaisons du poids et de l’IMC entre J0 et Jfinont été effectuées à l’aide du test non paramétrique de Wil-coxon pour données appariées.

Le test du

χ2 a été utilisé pour la comparaison de l’évo-lution du poids (en 2 catégories : stabilité ou diminutionversus augmentation) selon les trois types de traitement.

Les variables biologiques sont décrites à J0 enpourcentages de sujets ayant des valeurs au-delà desnormes.

RÉSULTATS

Évolution du poids des patients

À l’entrée, 4 (12,5 %) patients présentaient une sur-charge pondérale (25 < IMC < 30), 2 dans le groupe B et2 dans le groupe C, et 3 (9,4 %) patients présentaient uneobésité (IMC > 30), un dans chaque groupe.

Pour une durée moyenne d’hospitalisation de 1 mois etdemi, aucun des patients n’a présenté de modificationsignificative (+ 7 %) de son poids initial, mais 2 patientsayant pris 2 kg chacun sont entrés dans la zone cliniquede la surcharge pondérale.

Les modifications du poids des patients au cours de leurhospitalisation sont représentées dans le tableau II.

À la sortie, 6 (18,8 %) patients présentaient une sur-charge pondérale (25 < IMC < 30), 3 dans le groupe B et3 dans le groupe C, et 3 (9,4 %) patients présentaient uneobésité (IMC > 30), un dans chaque groupe.

Aucun antipsychotique en particulier, conventionnel ouatypique, ne semblait être en cause dans les problèmesde poids de ces 9 patients qui ont des traitements diffé-rents.

Évolution des données biologiques

Aucun des 32 patients ne présentait de glycémie anor-male (3,9 mmol/L < N < 5,3 mmol/L) à l’entrée et aucundes 4 patients ayant des données biologiques de sortiene présentait de modification de ce paramètre.

Pour la triglycéridémie, 4 patients (12,5 %) présen-taient à l’entrée une valeur supérieure à la normale(N < 1,85 mmol/L), 2 dans le groupe B et 2 dans legroupe C ; ces 2 derniers sont parmi ceux qui présen-taient une surcharge pondérale. Pour ces 4 patients, lesvaleurs de triglycérides à la sortie sont restées les mêmesqu’à l’entrée (supérieure à la normale mais sansévolution) ; 2 sont traités par l’olanzapine, 1 par la cloza-pine et 1 par la rispéridone.

En ce qui concerne le cholestérol plasmatique total, 4(12,5 %) patients présentaient à l’entrée une valeur supé-

TABLEAU I. — Caractéristiques des patients selon les groupes.

Groupe A Groupe B Groupe C

Nombre de patients 6 16 10

Nombre d’hommes 1 7 5

Nombre de femmes 5 9 5

Âge moyen 38 ans 33 ans 35 ans

TABLEAU II. — Modification du poids des patients au cours de l’hospitalisation.

Groupe A Groupe B Groupe C Total

DiminutionPerte de poids moyenne (kg)

0 (0 %)

0

4 (25 %)

– 1,7

3 (30 %)

– 1,6

7 (21,9 %)

Stabilité 5 (83,3 %) 5 (31,3 %) 4 (40 %) 14 (43,7 %)

AugmentationPrise de poids moyenne (kg)

1 (16,7 %)

+ 1

7 (43,7 %)

+ 1,7

3 (30 %)

+ 2,3

11 (34,4 %)

χ2 = 4,45 ; p = 0,25.

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rieure à la normale (N < 6,55 mmol/L), 1 dans le groupe Aet 1 dans le groupe B, et 2 dans le groupe C. Un seul deces patients (groupe C) présentait aussi une hypertrigly-céridémie, tous les quatre étaient en surcharge pondérale.Pour ces 4 patients, les valeurs du cholestérol total à lasortie sont restées les mêmes qu’à l’entrée (supérieuresà la normale mais sans évolution) Sur ces 4 patients, 2sont traités par l’olanzapine, 1 par la clozapine et 1 par lachlorpromazine.

Enfin, pour ce qui est du cholestérol plasmatique HDL,5 (15,6 %) patients présentaient à l’entrée une valeursupérieure à la normale (N > 0,9 mmol/L), 4 dans legroupe B et 1 dans le groupe C.

Deux de ces patients (du groupe B) sont parmi ceux pré-sentant une hypertriglycéridémie. Pour ces 5 patients, lesvaleurs du cholestérol HDL à la sortie sont restées lesmêmes qu’à l’entrée (inférieure à la normale mais sansévolution). Sur ces 5 patients, 2 sont traités par l’olanza-pine, 1 par la clozapine et l’amisulpride et 1 par la rispé-ridone.

Des 3 patients obèses, celui du groupe A présente unehypercholestérolémie, celui du groupe B ne présenteaucune anomalie biologique et celui du groupe C présenteune hypertriglycéridémie et une hypercholestérolémie.Aucune modification des paramètres biologiques de ces3 patients entre l’entrée et la sortie n’a été relevée.

DISCUSSION

Dans cette étude, aucun groupe en particulier n’a puêtre clairement identifié comme présentant de plus grandsproblèmes de prise de poids ou de troubles du métabo-lisme que les autres.

Toutefois, en comparant l’évolution du poids despatients au cours de leur hospitalisation, on remarque quela proportion de patients ayant pris du poids dans les deuxgroupes recevant des antipsychotiques atypiques (groupeB : 43,7 %, groupe C : 30 %) est plus importante que pourle groupe A (16,7 %, correspond à un patient ayant pris1 kg) recevant des neuroleptiques classiques. La prise depoids moyenne est de 1,7 kg pour le groupe B et 2,3 kgpour le groupe C.

Par ailleurs, on constate une perte de poids chez unepartie des patients inclus dans les groupes B (25 %) et C(30 %), c’est-à-dire recevant au moins un antipsychotiqueatypique. Cette perte de poids est modérée : 1,7 kg et1,6 kg en moyenne respectivement pour les groupes B etC.

Bien que non significatifs (

χ2 = 4,45 ; p = 0,25), cesrésultats sont concordants avec les données de la littéra-ture, à savoir que les antipsychotiques atypiques indui-raient une prise de poids plus importante que les antipsy-chotiques conventionnels.

De plus, il est intéressant de noter que les patients pré-sentant une anomalie du métabolisme lipidique sont trai-tés par des antipsychotiques atypiques ou par une asso-ciation d’antipsychotiques (dont un atypique).

Sur les neuf patients ayant une surcharge pondérale,6 présentent des données biologiques anormales pour aumoins un des paramètres mesurés.

Sur les neuf patients présentant des données biologi-ques anormales pour au moins un des paramètres mesu-rés, 3 ne sont pas en surcharge pondérale.

On ne retrouve aucune corrélation clinique des diffé-rents paramètres biologiques anormaux entre eux chezaucun de ces patients.

Aucun antipsychotique en particulier, conventionnel ouatypique, ne semble être en rapport avec la modificationde ceux-ci.

Le sexe, l’âge, la taille, l’ethnicité, les éventuels anté-cédents de maladies métaboliques et les traitementsassociés ne semblent pas modifier les évaluations.

CONCLUSION

Ce travail représente une étude préliminaire de ce sujetd’actualité. L’effectif est trop réduit pour tirer des conclu-sions sur les observations, mais celles-ci méritent d’êtreconfirmées par une étude contrôlée prospective pluslarge. Cette étude a toutefois permis de mettre en placeune surveillance systématique et régulière de la glycémieet du taux sanguin de lipides des patients dans le service,permettant ainsi d’améliorer la qualité des soins.

Il semble nécessaire de contrôler certains paramètresavant la mise en place sous antipsychotiques, comme lepoids initial du patient, la mesure de son tour de taille, quis’avère un meilleur indicateur clinique que le BMI, son ori-gine ethnique, les possibles antécédents familiaux demaladies métaboliques et l’éventuelle associationd’autres médicaments psychotropes. Il est égalementindispensable d’informer le patient du risque de prise depoids induit par son traitement et il faut, dans la mesuredu possible, l’encourager à signaler toute variation inha-bituelle de son poids. Pendant le traitement, le poids dupatient devra être contrôlé une fois par semaine (au moinsdurant les deux premiers mois) et un suivi régulier de laglycémie et du taux sanguin de lipides devra aussi êtremis en place.

Une récente conférence de consensus regroupantl’American Diabetes Association, l’American PsychiatricAssociation, l’American Association of Clinical Endocrino-logists et la North American Association for the Study ofObesity sur les antipsychotiques et les problèmes d’obé-sité et de diabète recommande un protocole de sur-veillance précis, détaillé dans le tableau III (1). Parailleurs, une autre conférence de consensus a permis destatuer sur la définition du syndrome métabolique et serapubliée dans l’année qui vient.

Enfin, il est utile de rappeler que des études épidémio-logiques supplémentaires ajustant la relation des facteurscomorbides seront nécessaires pour déterminer si cesproblèmes métaboliques sont secondaires à la prise depoids, dus aux effets des médicaments et/ou dus auxeffets de la maladie schizophrénique elle-même.

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Références

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TABLEAU III. — Protocole de surveillance des caractéristiques cliniques et métaboliques au cours d’un traitement par antipsychotique* recommandé par la conférence de consensus nord-américaine (1).

Caractéristiquesà surveiller

Initiationdu traitement 4 semaines 8 semaines 12 semaines Trimestriel Annuel Tous les 5 ans

Antécédents personnels/familiaux

× ×Poids (IMC)

× × × × ×Tour de taille

× ×Pression sanguine

× × ×Glycémie à jeun

× × ×Bilan lipidique à jeun

× × ×

* Des évaluations plus fréquentes seront effectuées en fonction de la clinique du patient.