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Comprendre comment le texte de la Bible hébraïque a évolué. La critique textuelle. Le texte original de la Bible n'existe pas ! Ou plutôt faudrait-il dire que nous ne disposons d'aucun manuscrit original de la Bible. En effet, la Bible hébraïque nous est parvenue au travers de plusieurs centaines de manuscrits (les témoins textuels) tous des copies de copies, souvent aussi des traductions en d'autres langues que l’hébreu. Bien que les plus anciens fragments de manuscrits bibliques datent du troisième siècle avant J-C c'est un manuscrit du Moyen Âge qui sert de base aux éditeurs modernes de la Bible hébraïque. En effet, le codex B19a Firkovisch se trouvant aujourd'hui au musée de St Petersbourg est le plus ancien manuscrit connu contenant l’intégralité de la Bible hébraïque. Entre les plus anciens manuscrits connus, a fortiori entre le texte tel qu'il fut rédigé, et le texte choisi par les imprimeurs, une quinzaine de siècles se sont écoulés. Or, on estime qu'un manuscrit ne peut guère être utilisé plus de deux siècles avant d'être trop altéré et de devoir donc être copié sur un nouveau support. Or, en dépit du soin considérable que chaque scribe-copiste a mis à la réalisation de son travail, chaque manuscrit est différent de sa source. A chaque étape de la copie le texte évolue donc, des fautes sont introduites, des commentaires ajoutés, des mots sautés etc... Bref le texte évolue tant et si bien que pour le texte de la Torah (les 5 premiers livres de la Bible hébraïque) l'édition scientifique de la Bible mentionne plus de 4000 «lieux variants» dont une partie importante affectent de manière significative le sens du texte. Comment remonter le fil de l'évolution du texte ? La science qui vise à identifier l'état le plus ancien d'un texte s'appelle la critique textuelle. Cette science se base sur plusieurs critères L'âge des manuscrits Différents critères permettent de dater un manuscrit comme le lieu où les archéologues l’ont trouvé, la façon dont les lettres sont écrites, l'âge et le type de support. Ces critères ne sont cependant pas 100% fiables dans la mesure où la provenance de nombreux manuscrits est incertaine, la façon dont la graphie évolue n'est pas facile à déterminer. Quant à la date de fabrication du support, elle n'est guère facile à déterminer, problème auquel s'ajoute le fait que les vieux manuscrits étaient souvent grattés pour permettre de réutiliser le support. On pourrait penser que plus le manuscrit est ancien plus il préserve un texte proche de l'original. Or, cela n’est pas toujours exact car un copiste récent peut très bien avoir recopié soigneusement un manuscrit très ancien et bien préservé alors qu'un copiste plus ancien a pu se baser sur un mauvais manuscrit qu'il aurait, en outre, mal recopié. Le nombre et le type de manuscrits On l'imagine facilement, plus une variante est attestée par un grand nombre de manuscrits et meilleurs ces manuscrits sont, plus elle a de chance d'être originale. Dès lors, les spécialistes de critique textuelle groupent les manuscrits par type et par famille, cherchent à tracer l'arbre généalogique de ces familles et classifient les manuscrits en fonction de leurs qualités. Dans le cas de la Bible hébraïque, la famille la plus connue est celle du texte massorétique (abrégé TM) celui que l'on trouve dans les grands codex du Moyen Âge et dont certains ancêtres sont connus à Qoumran. Parmi les autres familles de témoins on peut mentionner le Pentateuque préservé par les Samaritains – un groupe schismatique du judaïsme – dont le texte est souvent écrit dans un hébreu plus «facile à lire». Par ailleurs, les traductions en grec jouent un rôle considérable en critique textuelle. En effet, même si le fait d'avoir traduit le texte de l’hébreu en grec l’a forcément «altéré», il est souvent possible de reconstituer le texte hébraïque qui a été traduit. Or, il arrive souvent que ce texte soit le plus ancien auquel il soit possible de remonter. Comprendre ce qui a pu se produire : La critique textuelle cherche à comprendre comment les variantes se produisent afin de reconstituer le texte original. Les accidents de copie. L'oeil trompe le scribe. Il arrive qu'il inverse deux lettres, qu'il confonde deux lettres proches («d» = d / «r» = r), qu'il copie une seule fois une séquence de lettres identiques ou qu'il saute un passage situé entre deux mêmes fins mots... Exemple : dans le Cantique des cantiques 7,7 un amoureux s'adresse à sa belle. Que lui dit-il ? 1) Que tu es belle et que tu es plaisante, amour dans les délices. ou alors 2) Que tu es belle et que tu es plaisante, amour fille délicieuse. La première solution est celle qui nous est parvenue par le texte hébreu massorétique (TM), mais grâce aux manuscrits grecs qui traduisent la deuxième solution, les exégètes pensent que le TM résulte d’un accident de copie. En effet, deux t consécutifs qui étaient probablement présents dans le texte original n'ont été copiés qu'une seule fois. Texte original probable traduit en grec : Texte hébreu tel qu'il nous est parvenu : fille délicieuse = Mygwn(t tb dans les délices = Mygwn(tb NB: les plus anciens manuscrits n'avaient pas de coupure entre les mots. Les corrections volontaires Dans de nombreux cas, les scribes ont cherché à «améliorer» le manuscrit qu'ils copiaient pensant à tort ou à raison que celui-ci était fautif. D'où une des règles classiques en critique textuelle qui veut que pour les corrections volontaires la variante la plus difficile est la plus probable. Exemple : en Deutéronome 1,6-8 alors que le peuple s’apprête à entrer en terre promise, Moïse s'adresse à lui et rapporte les promesses de Dieu (appelé aussi le Seigneur) lequel parle donc en «je». Que dit-il ? 1) A l'Horeb le Seigneur notre Dieu nous a parlé ainsi: « (…) Voyez ! j'ai placé devant vous le pays. Allez et prenez possession du pays que le Seigneur a juré de donner à vos pères Abraham, Isaac et Jacob, et à leur descendance après eux». 2) A l'Horeb le Seigneur notre Dieu nous a parlé ainsi: « (…) Voyez ! j'ai placé devant vous le pays. Allez et prenez possession du pays que j'ai juré de donner à vos pères Abraham, Isaac et Jacob, et à leur descendance après eux». La première solution est celle qui nous est parvenue par le texte hébreu massorétique (TM). Ce texte est assez surprenant car alors que le Seigneur parlait en «je» (j'ai placé devant vous...) la fin du verset parle du Seigneur à la troisième personne (le Seigneur a juré...). La plupart des traductions en grec du Pentateuque ainsi que le texte samaritain ont une variante plus facile (j'ai juré). Ici la variante la plus difficile est la plus probable car on comprend plus facilement qu’un scribe qui aurait eu «le Seigneur a juré» sous les yeux ait décidé de corriger cette bizarrerie en écrivant à la place «j’ai juré», plutôt que l’inverse. Dès lors, bien que dans le TM ce passage soit étrange, il faut admettre qu’il présente la variante la plus ancienne. Biblia Hebraica Stuttgartensia. 1983. L’édition critique de la Bible hébraïque la plus couramment utilisée 20 ème siècle Codex B19a. Premier manuscrit complet de la Bible hébraïque (1008 ap. J-C) 11 ème siècle Considérés comme trop sacrés pour être brûlés, les manuscrits bibliques étaient déposés dans des geniza. Ces cimetières de manuscrits, ont permis aux archéologiques de retrouver de nombreux fragments de textes. La geniza de la synagogue du Caire a fourni de nombreux textes datant du 7ème siècle. Parmi les plus anciens manuscrits de la Bible hébraïque figurent ceux retrouvés à Qoumran dans des grottes au bord de la Mer Morte. Ces manuscrits ont probablement été cachés dans ces grottes pour éviter qu'ils ne soient détruit durant la guerre que menaient les romains en Palestine aux environ de 70 ap. J-C. Comment copiait-on ? La copie des manuscrits de la Bible hébraïque semble s'être principalement faite par des scribes qui recopiaient un manuscrit qu'ils avaient sous les yeux. Cependant on ne peut exclure que parfois, un lecteur lisait le texte à un groupe de scribes qui produisait ainsi simultanément plusieurs copies. 1er siècle 16 ème siècle Grâce à l’invention, par Gutenberg, de l’imprimerie, le texte n’a plus besoin d’être copié à la main. Libéré des erreurs de copie le texte est désormais stabilisé. 7 ème siècle Nuit de la science 2006

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  • Comprendre comment le texte de la Bible hbraque a volu.La critique textuelle.

    Le texte original de la Bible n 'existe pas !

    Ou plutt faudrait-il dire que nous ne disposons d'aucun manuscrit original de la Bible. En effet, la Biblehbraque nous est parvenue au travers de plusieurs centaines de manuscrits (les tmoins textuels) tous descopies de copies, souvent aussi des traductions en d'autres langues que lhbreu.Bien que les plus anciens fragments de manuscrits bibliques datent du troisime sicle avant J-C c'est unmanuscrit du Moyen ge qui sert de base aux diteurs modernes de la Bible hbraque. En effet, le codexB19a Firkovisch se trouvant aujourd'hui au muse de St Petersbourg est le plus ancien manuscrit connucontenant lintgralit de la Bible hbraque.Entre les plus anciens manuscrits connus, a fortiori entre le texte tel qu'il fut rdig, et le texte choisi par lesimprimeurs, une quinzaine de sicles se sont couls. Or, on estime qu'un manuscrit ne peut gure tre utilisplus de deux sicles avant d'tre trop altr et de devoir donc tre copi sur un nouveau support. Or, en dpitdu soin considrable que chaque scribe-copiste a mis la ralisation de son travail, chaque manuscrit estdiffrent de sa source. A chaque tape de la copie le texte volue donc, des fautes sont introduites, descommentaires ajouts, des mots sauts etc...Bref le texte volue tant et si bien que pour le texte de la Torah (les 5 premiers livres de la Bible hbraque)l'dition scientifique de la Bible mentionne plus de 4000 lieux variants dont une partie importante affectent demanire significative le sens du texte.

    Comment remonter le f il de l'volution du texte ?La science qui vise identifier l'tat le plus ancien d'un texte s'appelle la critique textuelle. Cette science se base sur plusieurs critres

    L'ge des manuscrits

    Diffrents critres permettent de dater un manuscrit comme le lieu o les archologues lont trouv, la faon dont les lettres sontcrites, l'ge et le type de support. Ces critres ne sont cependant pas 100% fiables dans la mesure o la provenance de nombreuxmanuscrits est incertaine, la faon dont la graphie volue n'est pas facile dterminer. Quant la date de fabrication du support, ellen'est gure facile dterminer, problme auquel s'ajoute le fait que les vieux manuscrits taient souvent gratts pour permettre derutiliser le support.

    On pourrait penser que plus le manuscrit est ancien plus il prserve un texte proche de l'original. Or, cela nest pas toujours exactcar un copiste rcent peut trs bien avoir recopi soigneusement un manuscrit trs ancien et bien prserv alors qu'un copiste plusancien a pu se baser sur un mauvais manuscrit qu'il aurait, en outre, mal recopi.

    Le nombre et le type de manuscrits

    On l'imagine facilement, plus une variante est atteste par un grand nombre de manuscrits et meilleurs ces manuscrits sont, pluselle a de chance d'tre originale. Ds lors, les spcialistes de critique textuelle groupent les manuscrits par type et par famille,cherchent tracer l'arbre gnalogique de ces familles et classifient les manuscrits en fonction de leurs qualits.

    Dans le cas de la Bible hbraque, la famille la plus connue est celle du texte massortique (abrg TM) celui que l'on trouvedans les grands codex du Moyen ge et dont certains anctres sont connus Qoumran.

    Parmi les autres familles de tmoins on peut mentionner le Pentateuque prserv par les Samaritains un groupe schismatiquedu judasme dont le texte est souvent crit dans un hbreu plus facile lire.

    Par ailleurs, les traductions en grec jouent un rle considrable en critique textuelle. En effet, mme si le fait d'avoir traduit letexte de lhbreu en grec la forcment altr, il est souvent possible de reconstituer le texte hbraque qui a t traduit. Or, ilarrive souvent que ce texte soit le plus ancien auquel il soit possible de remonter.

    Comprendre ce qui a pu se produire :

    La critique textuelle cherche comprendre comment les variantes se produisent afin de reconstituer le texte original.

    Les accidents de copie.

    L'oeil trompe le scribe. Il arrive qu'il inverse deux lettres, qu'il confonde deux lettres proches (d = d / r = r), qu'ilcopie une seule fois une squence de lettres identiques ou qu'il saute un passage situ entre deux mmes fins mots...

    Exemple : dans le Cantique des cantiques 7,7 un amoureux s'adresse sa belle. Que lui dit-il ?

    1) Que tu es belle et que tu es plaisante, amour dans les dlices.

    ou alors 2) Que tu es belle et que tu es plaisante, amour fille dlicieuse.

    La premire solution est celle qui nous est parvenue par le texte hbreu massortique (TM), mais grce aux manuscritsgrecs qui traduisent la deuxime solution, les exgtes pensent que le TM rsulte dun accident de copie. En effet, deux tconscutifs qui taient probablement prsents dans le texte original n'ont t copis qu'une seule fois.

    Texte original probable traduit en grec : Texte hbreu tel qu'il nous est parvenu :

    fille dlicieuse = Mygwn(t tb dans les dlices = Mygwn(tb

    NB: les plus anciens manuscrits n'avaient pas de coupure entre les mots.

    Les corrections volontaires

    Dans de nombreux cas, les scribes ont cherch amliorer le manuscrit qu'ils copiaient pensant tort ou raisonque celui-ci tait fautif. D'o une des rgles classiques en critique textuelle qui veut que pour les corrections volontairesla variante la plus difficile est la plus probable.

    Exemple : en Deutronome 1,6-8 alors que le peuple sapprte entrer en terre promise, Mose s'adresse lui et rapporteles promesses de Dieu (appel aussi le Seigneur) lequel parle donc en je. Que dit-i l ?

    1) A l'Horeb le Seigneur notre Dieu nous a parl ainsi: () Voyez ! j'ai plac devant vous le pays. Allez etprenez possession du pays que le Seigneur a jur de donner vos pres Abraham, Isaac et Jacob, et leurdescendance aprs eux.

    2) A l'Horeb le Seigneur notre Dieu nous a parl ainsi: () Voyez ! j'ai plac devant vous le pays. Allez etprenez possession du pays que j'ai jur de donner vos pres Abraham, Isaac et Jacob, et leurdescendance aprs eux.

    La premire solution est celle qui nous est parvenue par le texte hbreu massortique (TM). Ce texte est assez surprenantcar alors que le Seigneur parlait en je (j'ai plac devant vous...) la fin du verset parle du Seigneur la troisime personne(le Seigneur a jur...). La plupart des traductions en grec du Pentateuque ainsi que le texte samaritain ont une variante plusfacile (j'ai jur). Ici la variante la plus difficile est la plus probable car on comprend plus facilement quun scribe qui aurait eule Seigneur a jur sous les yeux ait dcid de corriger cette bizarrerie en crivant la place jai jur, plutt quelinverse. Ds lors, bien que dans le TM ce passage soit trange, i l faut admettre quil prsente la variante la plus ancienne.

    Biblia Hebraica Stuttgartensia. 1983. Lditioncritique de la Bible hbraque la plus courammentutilise

    20me sicle

    Codex B19a. Premier manuscrit complet de la Biblehbraque (1008 ap. J-C)

    11me sicle

    Considrs comme trop sacrs pour trebrls, les manuscrits bibliques taientdposs dans des geniza. Ces cimetiresde manuscrits, ont permis auxarchologiques de retrouver de nombreuxfragments de textes. La geniza de lasynagogue du Caire a fourni de nombreuxtextes datant du 7me sicle.

    Parmi les plus anciens manuscrits de laBible hbraque figurent ceux retrouvs Qoumran dans des grottes au bord de la MerMorte. Ces manuscrits ont probablement tcachs dans ces grottes pour viter qu'ils nesoient dtruit durant la guerre que menaientles romains en Palestine aux environ de 70ap. J-C.

    Comment copiait-on ?

    La copie des manuscrits de la Bible hbraquesemble s'tre principalement faite par des scribesqui recopiaient un manuscrit qu'ils avaient sous lesyeux. Cependant on ne peut exclure que parfois,un lecteur lisait le texte un groupe de scribes quiproduisait ainsi simultanment plusieurs copies.

    1er sicle

    16me sicle

    Grce linvention, par Gutenberg, delimprimerie, le texte na plus besoin dtrecopi la main. Libr des erreurs de copiele texte est dsormais stabilis.

    7me sicle

    Nuit de la science 2006