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EXAMEN DE JURISPRUDENCE (1955 à 1957) JURIDICTION ET COMPÉTENCE EN MATIÈRE ·CIVILE PAR ANDRÉ LE PAIGE, PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE BRUXELLES. l. - JURIDICTION. 1. - Ainsi nous le soulignions dans notre chronique de jurisprudence de 1955 (Rev. crit., 1955, 53), l'institution du Conseil d'Etat a favorisé l'éclos!on d'une abondante jurispru- dence précisant la notion de juridiction,: pouvoir de dire le droit confié à l'ensemble· des tribunaux judiciaires. Nombreux sont les justiciables qui, lorsque leurs droits civils sont lésés et qu'ils disposent d'un recours devant les tribunaux judiciaires, n'en tentent moins un recours devant le Conseil d'Etat .. Ils agissent ainsi, soit parce que l'acte qui les lèse leur paraît avoir un caractère administratif ou à tout le moins hybride, soit parce que, devant la multiplicité des recours qui leur parais- sent ouverts, ils désirent n'en ·négliger aucun, soit enfin parce que, par suite de prescription ou pour toute autre cause, le recours aux tribunaux ordinaires ·leur est interdit. 2. - Aux tentatives de ces plaideurs abusifs, le Conseil d'Etat a opposé un barrage efficace : il se déclare incompétent chaque fois que le demandeur dispose d.'un recours judiciaire (ou, cas étranger à notre chronique, d'un autre recours administratif).

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EXAMEN DE JURISPRUDENCE

(1955 à 1957)

JURIDICTION ET COMPÉTENCE EN MATIÈRE ·CIVILE

PAR

ANDRÉ LE PAIGE,

PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE BRUXELLES.

l. - JURIDICTION.

1. - Ainsi qu~ nous le soulignions dans notre chronique de jurisprudence de 1955 (Rev. crit., 1955, 53), l'institution du Conseil d'Etat a favorisé l'éclos!on d'une abondante jurispru­dence précisant la notion de juridiction,: pouvoir de dire le droit confié à l'ensemble· des tribunaux judiciaires.

Nombreux sont les justiciables qui, lorsque leurs droits civils sont lésés et qu'ils disposent d'un recours devant les tribunaux judiciaires, n'en tentent p~s moins un recours devant le Conseil d'Etat ..

Ils agissent ainsi, soit parce que l'acte qui les lèse leur paraît avoir un caractère administratif ou à tout le moins hybride, soit parce que, devant la multiplicité des recours qui leur parais­sent ouverts, ils désirent n'en ·négliger aucun, soit enfin parce que, par suite de prescription ou pour toute autre cause, le recours aux tribunaux ordinaires ·leur est interdit.

2. - Aux tentatives de ces plaideurs abusifs, le Conseil d'Etat a opposé un barrage efficace : il se déclare incompétent chaque fois que le demandeur dispose d.'un recours judiciaire (ou, cas étranger à notre chronique, d'un autre recours administratif).

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C'est pour ce motif que le Conseil se déclare incompétent pour le recours :

. . . de l'officier sous le coup de poursuites pénales auquel le Ministre de la défense nationale a fait savoir qu'en attendant la décision judiciaire finale, il ne lui serait payé que la moitié de son traitement (Cons. d'Etat, 3e ch., 19 octobre 1956, Arrêts et avis Cons. d'Etat, 1956, p. 670);

... de l'agent licencié de la Société nationale des chemins de fer belges qui poursuit l'annulation du refus de la Société de le réintégrer, alors qu'il avait simultanément formulé devant le conseil de prud'hommes une ~emande· identique encore suscep­tible d'appel (Cons. d'Etat, 6e ch.;_ 27 juillet 1956, Arrêts et avis Cons. d'Etat, 1956, p. 617);

.. . du sinistré titulaire d'une créance du chef d'indemnité pour dommages de guerre, qui po~l,'suit l'annulation de la décision par laquelle l'Administration lui r:efuse le payement des sommes inscrites au crédit de son compte (Cons. d'Etat, 6e ch., 26 avril 1956, Pas., 1956, IV, 77);

... de l'agent de l'Etat qui poursuit l'annulation de l'arrêté qui fixe son traitement (Cons. d'Etat, 4e ch., 25 juin 1957, Arrêts et avis Cons. d'Etat, 1957~ p. 400) ou sa pension (4e ch., 25 juin 1957, 2e arrêt, ibid., 1957, p. 399).

3.- Si ces premiers cas - que nous ne citons parmi tant d'autres qu'à titre d'exemple - paraissent causés par l'erreur ou l'excès de prudence du plaideur, il en est d'autres qui, lorsque les recours ordinaires sont interdits, sont plutôt dus à son ingéniosité.

Lorsqu'un contribuable, après le rejet de sa réclamation par le directeur des contributions directes, poursuit l'annulation de ce prétendu« acte administratif» plutôt que d'exercer devant la cour d'appelle recours ouvert par la loi du 6 septembre 1895, le Conseil d'Etat, sans· hésitation, se déclarera incompétent (4e ch., 3 mai 1956, Arrêts .et avis Cons. d'Etat, 1956, p. 315, Tijdschr. voor Bestuurswetenschappen, 1956,1 p. 210).

Plus délicate évidemment était la question qui se posait lorsque le directeur, après: l'expiration du délai ordinaire de réclamation, par application de l'article 2 de la loi du 30 mai 1949, refuse d'accorder dégrèvement des surtaxes d'erreurs matérielles ou d'un double emploi.

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Ici aussi le Conseil d'Etat décida qu'il n'avait pas été dérogé aux règles générales de compétence fixées par les lois coordonnées relatives aux impôts sur les revenus et se déclara incompétent (6e ch., 24 mars 1955 [deux arrêts], Pas., 1956, IV, 72 et 74, Rev. adm., 1956, p. 39; 4e ch., 24 mai 1955, Pas., 1956, IV, 204; 14 juillet 1955, Pas., 1956, IV, 133, Rec. jur. dr. adm. et Cons. d'Etat, 1956, p. 43; 4e ch., 16 avril 1957, Arrêts et avis Cons. d'Etat, 1957, p. 252, et 6e ch., 20 juin 1957, ibid., 1957, p. 390).

Cette jurisprudence fut approuvée par 1 'arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation du 27 février 1957 (Pas., 1957, I, 768, Journ. prat. dr. fisc., 1957, p. 65 et les conclusions de M. R. HAYOIT DE TERMICOURT; voy. aussi les observations MARC BALTUS, au R. W., 1957-1958, col. 412).

4.- Le problème fondamental est toutefois celui de la déter­mination des droits dont l'appréciation, en cas de litige, doit être réservée aux tribunaux ordinaires par application de l'arti­cle 92 de la Constitution, et de ceux dont, s'ils sont contestés, le législateur peut déférer la connaissance à d'autres juridictions.

En cette matière, la Cour suprême a rendu le 21 décembre 1956, sur les conclusions de l'avocat général Ganshof van der Meersch, un arrêt important qui a suscité une abondante littérature juridique (Pas., 1957, I, 430 et avis du ministère public; J. T., 1957, p. 62 et observations; Rev. crit., 1957, p. 163 et observa­tions ANDRÉ-J. MAST; Rec. jur. dr. adm. et Cons. d'Etat, 1957, p. 70; P. WIGNY, «Droits administratifs subjectifs : A propos de l'arrêt de la Cour de cassation du 21 décembre 1956 », J. T., 1957, p. 361 ; voy. aussi LENAERTS, De burgerlijke, politieke en administratieve rechten in de bevoegdheidsregeling naar Belgisch recht, p. 195).

Par application de l'article 7 de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944, l'arrêté du Régent du 26 mai 1945, organique de l'Office national du placement et du chômage, avait créé des commis­sions de réclamation et une commission de recours chargées de statuer sur le droit aux allocations de chômage.

Par ses arrêts des 12 novembre 1954 (3e ch., Pas., 1956, IV, 15) et 14 juillet 1955 (4e ch., ibid., 1956, IV, 127), le Conseil d'Etat avait décidé que cette création était conforme à la volonté du législateur (rapport au Régent précédant l'arrêté-loi du 28 dé­cembre 1944) et que celui-ci avait au surplus implicitement

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admis la portée donnée par le gouvernement à l'arrêté-loi du 28 décembre 1944, puisque depuis 1945 il avait, chaque année, voté les crédits nécessaires au fonctionnement des commissions.

Par son arrêt du 21 décembre 1956 la Cour suprême érige d'abord très exactement en principe que les contestatim:is qui ont pour objet des droits subjectifs relèvent, non de l'adminis­tration, mais de la juridiction.

Puis elle fait une distinction entre les contestations qui ont pour objet des droits civils et qui sont exclusivement du ressort des tribunaux et celles qui ont pour objet des droits politiques, qui sont en principe aussi du. ressort des tribunaux, mais dont la connaiss.ance peut être déférée à d'autres juridictions par le législateur. i

La Cour range ensuite - solution qim d'aucuns combattront (voir P. WIGNY, J. T., 1957, p. 362)- le droit aux allocations de chômage parmi les droits qualifiés de politiques par l'article 93 de la Constitution~ Dès lors, seul le législateur pouvait valable­ment créer les commissions de réclamation et de recours.

Le vote du budget annuel approuvant les dépenses de fonction­nement des commissions créées par l'arrêté du Régent du 26 mai 1945 n'impliquait pas l'établissement ou la confirmation d'un pouvoir juridictiomiel dans le chef de celles-ci.

Partant leurs décisions étaient dépourvues de valeur légale et n'avaient pas l'autorité de· chose jugée .

II. - CoMPÉTENCE RESPECTIVE DES DIVERS TRIBUNAUX JUDICIAIRES.

A.- Tribunal de première instance.

5.- La Cour de cassation se voit obligée de rappeler à des plaideurs obstinés que depuis la loi du 15 mars 1932 le tribunal de première instance ne· peut se déclarer incompétent pour un litige relevant de la compétence d'une autre juridiction que· si la partie défenderesse le demande (cass., 18 janvier 1957, Pas., 1957, I, 577 et obs.; voy. aussi cass., 15 octobre 1953, ibid., 1954, I, 103 et nos observations, Rev. crit., 1955, Examen de jurisprudence, nos 14 et 44) ..

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6.- Cela veut-il dire, ainsi que les auteurs l'enseignent communément, que le tribunal de première instance a réelle..: ment «plénitude de juridiction»? (voy. BRAAS, Précis de procé­dure civile, t. Jer, n° 407; PIERSON, dans Les Novelles, Procédure civile, t. Jer, nos 379 à 382; FREDERIOQ, Traité de droit commercial belge, t. Jer, no 311; notre Examen de jurisprudence 1952-1954, Rev. crit., 1955, no 14).

La formule paraît, d'un point de vue didactique, commode parce qu'elle est évocatrice, mais n'évoque-t-elle pas plutôt un principe souhaité par les auteurs que le système réellement instauré par le législateur de 1932 ?

Déjà, dans son rapport, le comité permanent du Conseil de législation avait écrit que la notion de plénitude de juridiction « se réduisait» à ceci : le tribunal de première instance, étant la juridiction ordinaire, doit respecter la renonciation faite par les parties au droit d'invoquer son incompétence et de faire renvoyer le litige devant les juridictions d'exception, et ce, que cette renonciation soit expresse ou seulement impliquée dans les errements de la procédure (voy. Doc. parl., Sénat, session 1925-1926, no 236, p. 961, Pasinomie, 1932, p. 42).

7.- Mais cela. implique-t-il que. les pa:r;ties ont le droit de déroger à l'avance à la compétence des juridictions d'exception en concluant, avant la naissance du litige, une convention attri­butive de compétence au tribunal de première instance ?

Si un justiciable, qui aurait eu le droit, une fois assigné devant le tribunal de première instance, d'invoquer l'incompétence et de demander son renvoi devant une juridiction d'exception, peut, depuis la loi de 1932, renoncer à ce droit et ainsi obliger le tribunal de première instance à trancher un litige qui normale­ment était de la compétence d'une juridiction d'exception, pour­quoi ne pourrait-il pas, à l'avance, accepter la compétence de cette juridiction ?

Aussi, le conseil de prud'hommes de Liège, par une décision du 22 janvier 1954 (Jur. Liège, 1953-1954, p. 255, et obs. RESPEN­TINO ), et le conseil de prud'hommes d'appel de Bruxelles, par décision du 11 août 1956 (Rev. dr. soc., 1956, p. 82 et obs.; voy. aussi M. RESPENTINO, « Nullité des clauses conventionnelles dérogatoires à la compétence des conseils de prud'hommes », Jur. Liège, 1955-1956, p. 81), avaient-ils déclaré valable une

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clause attribuant compétence exclusive au tribunal de première instance pour des litiges relevant normalement de la compétence des juridictions du travail.

Malheureusement, par son arrêt du 14 avril 1955, la Cour de cassation a donné à l'article 1er de la loi du 15 mars 1932 une interprétation littérale et restrictive suivant laquelle, si le tribunal de première instance ne peut se dessaisir d'un litige réservé au conseil de prud'hommes lorsque le défendeur ne le demande pas, le conseil de prud'hommes, d'autre part, peut valablement connaître d'un litige relevant de sa compétence, malgré le déclinatoire proposé par la partie défenderesse et fondé sur une convention attributive de compétence au tribunal de première instance antérieurement conclue par les parties (voy. Pas., 1955, I, 886; J. T., 1955, p. 494, et les observa­tions d'ÉTIENNE GuTT, Jur. comm. Brux., 1955, p. 317, et de R. D. B., Rev. dr. soc., 1955, p. 135 et suiv.).

Il est désormais, et sauf réforme législative, certes erroné de soutenir encore sans nuances que le tribunal de première instance a plénitude de juridiction ...

B. - Président du tribunal de première instance • 1 t If 1 1 stegean en re ere.

8.- Dans notre chronique de 1955, nous avons rappelé la controverse existant en jurisprudence relativement à l'étendue de la compétence du président (Rev. crit., 1955, p. 62-63, n°8 21 à 23).

Certes, l'on peut - sous les réserves exprimées ci-dessus (no 6)- enseigner avec Braas que, depuis la loi du 15 mars 1932, le président a, lui aussi, plénitude de juridiction (BRAAS, t. Jer, no 603).

C'est ce que rappelle le juge de paix de Schaerbeek (26 cant., 13 juillet 1956, J. J. P., 1956, p. 358), qui, ajoutant une précision utile, souligne que ce ne sera le cas que pour les instanceF en référé introduites par assignation; sinon, en effet, la p~rtie­

défenderesse n'aurait pas l'occasion d'exercer son droit de décli­ner la compétence du président.

· 9. - Mais le président siégeant en référé a-t-il de plus compé-

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tence en toutes matières civiles, telles par exemple celles relevant, quant au fond, de la compétence du juge de paix ~

Se ralliant à la majorité de la jurisprudence (notre chronique précédente, no 22), la Cour d'appel de Bruxelles, en matière d'accidents du travail, et le Président du tribunal de Malines, en matière de baux, consacrent la thèse de l'incompétence (Bruxelles, 7e ch. bis, 24 juin 1953, Rev. dr. min., 1955, p. 93; réf. Malines, ·22 mai 1958, J. T., 1958, p. 623).

10.- Le domaine classique donnant lieu à l'exercice de la juridiction des référés est celui des mesures d'instruction urgentes, ne portant pas préjudice à l'une ou l'autre des parties quant au fond du droit. Nous croyons inutile de relever les innombrables décisions qui tentent de définir l'urgence, - notion de pur fait dépendant de l'appréciation du juge du fond (voy., à titre d'exemple, civ. Liège [réf.], 1er juillet 1955, Jur. Liège, 1955-1956, p. 72).

11.- Soulignons plutôt combien la jurisprudence sait bien souvent -ici comme ailleurs -, par son interprétation préto­rienne, adapter nos vieux textes aux exigences de la pratique contemporaine.

Il y a belle lurette que de nombreux présidents ont rejeté la distinction d'école que d'aucuns proposaient, en matière d'expertises ordonnées en référé, entre celles qui comportaient et celles qui ne comportaient pas la recherche des causes d'un

• dommage (Bruxelles, 27 novembre 1935, Pas., 1936, II, 94).

Seules les secondes ne porteraient pas préjudice au fond et auraient pu être ordonnées en référé (voy. par exemple Anvers, 17 septembre 1907, Pas., 1908, III, 45; Liège, 1er avril 1908, ibid., 1908, II, 350; Bruxelles, 28 juillet 1909, ibid., 1909, II, 390). Se ralliant à la pratique dominante - qui évite une

, double expertise ordonnée, l'une en référé, l'autre au fond -, la Cour de Gand, dans un arrêt excellemment motivé, décide qu'en cas d'urgence la recherche des causes peut faire partie de la mission de l'expert désigné en référé. Une telle expertise ne lie pas le tribunal et ne peut dès lors causer aucun préjudice (2e ch., 25 avril 1955, R. W., 1955-1956, col. 539).

12.- Pour le même motif- l'expertise se faisant periculo petentis et ne liant pas le juge - le président, en matière de vices

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cachés, refusera d'examiner en référé les moyens tirés de la tardiveté de la citation au fond (Code civ., art. 1648) ou de l'existence d'une clause excluant la garantie des vices cachés (Bruxelles, 3e ch., 6 janvier 1954, J. P. A., 1955, p. 122).

13.- Enfin, toujours en matière de mesures d'instruction, deux solutions hardies :

-Le juge des référés se déclare .compétent pour contraindre un expert à surseoir au dépôt de son rapport afin de laisser aux parties le temps de répondre aux préliminaires (Termonde {réf.], 25 septembre 1957, J. T., 1957, p. 719 et obs., Res et jura imm., 1957, p. 595);

-Le président peut même- pour autant qu'elle n'entraîne pas de conséquences dommageables ---'- ordonner une enquête en cas d'urgence, par exemple en cas de départ imminent d'un témoin pour un pays lointain (Etats-Unis d'Amérique) (Bruxelles, 1re ch., 15 février 1956, J. T., 1956, p. 327, obs.).

14.- Nous avons déjà signalé (Examen de jurisprudence 1952-1954, Rev. crit., 1955, n°8 29 à 33, P·. 65) que si le président i:l.e peut pas porter préjudice au fond de l'affaire, il se reconnaît toutefois compétence pour mettre fin à des voies de fait ou des situations de fait « manifestement » contraires au droit.

Et nous n'avions pas manqué de souligner la contradiction à tout le moins apparente entre le principe et son application.

Le présidc;}nt refuse de dire le droit, mais quand celui-ci lui paraît « certain, manifeste, évident », il met fin, sans attendre l'appréciation du juge de fond, à la situation contraire au droit.

Sans se laisser impressionner par la contradiction, poussés par les nécessités de la pratique, les présidents continuent à se reconnaître le droit de mettre fin aux ·voies de fait.·

15.- Voici un débiteur qui, en cas d'exécution forcée par voie parée, refuse le libre accès aux biens grevés.

Le président, estimant à juste titre que la clause de voie parée contient raisonnablement autorisatipn d'accès et de visite, se déclare compétent pour assurer l'accès i au notaire, à ses aides et aux amateurs, au besoin avec l'assistance d'un huissier et de la force publique (Louvain [réf.], 6 miti 1954, Rec. gén. enreg. et not., 1954, p. 28, obs.).

Il ne semble pas qu'ici la validité et l'applicabilité de la clause

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de voie parée aient été contestées; de plus, un texte particulier accorde compétence au président en cas de contestations sur le cahier de charges (loi du 15 août 1954, art. 91).

Mais supposons qu'au cours d'une saisie immobilière le débi­teur, ou, en cas de licitation, l'indivisaire possesseur du bien, pour entraver l'action du notaire-vendeur, élève une contesta­tion de pure chicane, -le président ne sera-t-il pas, en bonne justice, tenté de mettre fin à cette voie de fait~

16. - Les présidents se montrent toutefois circonspects dans la détection de la voie de fait.

N'en est pas une, le refus du conseil d'administration de la Caisse générale d'Epargne et de Retraite de saisir le conseil général de la contestation émise par un membre du personnel, quand le droit à l'exercice de ce recours est « sérieusement » contesté (civ. Bruxelles [réf.], 25 juin 1957, J. T., 1957, p. 625).

17. - Par son ordonnance du 18 juin 1955, le président du tribunal d'AnverA (R. W., 1955-1956, col. 805), tout en admettant très largement la compétence du juge des référés en cas de voie de fait, apporte toutefois à la notion une limitation, qui exclura parfois le recours au président.

Il commence par admettre le recours chaque fois qu'il y a une situation de fait, non protégée juridiquement, par laquelle une partie est entravée dans l'exercice d'un droit incontestable : par exemple en cas d'une opposition à payement signifiée par huissier, d'une apposition de scellés illégale, d'un refus injustifié de remettre des objets à leur propriétaire, d'une opposition injustifiée à mariage. Mais il décide ensuite qu'une lettre recom­mandée écrite par un notaire, étant sans valeur en tant que moyen de pression judiciaire, n'est pas suffisante pour justifier l'intervention du juge des référés. En d'autres termes, il ne suffit pas que la voie de fait soit « manifestement contraire au droit » (condition classique), il faut qu'elle soit suffisamment sérieuse pour que la partie qui s'en plaint ne puisse y faire échec sans l'aide du juge. Appréciation parfois délicate.

Car, l'opposition de l'huissier étant parfois aussi nulle que celle du notaire, l'on pourrait aussi bien décider dans les deux cas que c'est aux parties à prendre leurs responsabilités sans qu'elles ne puissent obtenir du juge des référés une «consulta-

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tion » qu'il ne peut d'ailleurs leur donner que lorsqu'elle est évidente ...

Mais ne serait-ce pas là une « vue » de théoricien 1 Le président, journellement en contact avec les réalités de la vie juridique, nous paraît avoir exactement discerné qu'à côté des voies de fait fantaisistes auxquelles un plaideur, même timoré, ne peut accorder de valeur, il en est d'autres qui ont une apparence de régularité.

Le recours au juge des référés serait donc limité aux seuls cas où il y aurait intérêt à briser d'urgence une résistance, appa­remment régulière mais manifestement c:q.icanière, à l'exercice de droits certains. 1

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C.- Juridictions d'exception.

18.- D'excellents esprits regrettent que l'existence de juri­dictions d'exception oblige si fréquemment les tribunaux et les plaideurs à gaspiller leur énergie, leur temps et leur ingéniosité à rechercher le tribunal compétent, alors qu'il serait préférable qu'ils réservent leurs forces à l'étude du fond du litige. Ils rêvent d'un système qui ne connaîtrait qu'une seule juridiction, -peut­être subdivisée en chambres spécialisées d'une composition légère­ment différenciée, mais organisée en tout cas en manière telle que le juge lui-même renverrait le litige là où il doit être tranché (CH. VAN REEPINGHEN, «L'œuvre d'Henry Vizioz et le 150e anni­versaire du Code de procédure civile», J. T., 1956, p. 594).

Cette vue n'est-elle pas quelque peu utopique (1) 1· Malgré la préférence que les praticiens du droit accordent

en connaissance de cause à la juridiction ordinaire, il semble que pour le justiciable, peut-être mal éclairé, il en aille autre­ment.

Chaque fois qu'un groupe social ou économique intéressé à la solution d'une catégorie déterminée de litiges est assez fort, il exige du législateur la création d'un tribunal d'exception, prétendument plus spécialisé, d'ordinaire fondé sur une repré­sentation paritaire des intérêts en présence (voy. en France,

{1) Cette étude était écrite lors de la parution de l'arrêté royal du 17 octobre 1958, nommant M. Charles Van Reepingen, ancien Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Bruxelles, professeur à l'Université de Louvain, en qualité de Commissaire royal à la réforme judiciaire.

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RoGER NERSON, «Le développement des juridictions civiles d'exception et ses dangers», Dalloz, 1947, Chronique, p. 121; ·en Belgique, PAUL BRASSEUR, « Les tribunaux du travail et la proposition de M. Major», Rev. dr. soc., 1956, p. 41; E. J. DE WEERDT, «Ret probleem der arbeidsgerechten », R. W., 1956-1957, col. 321; K. VAN BAARLE, « Beschouwingen rond de huidige wetsvoorstellen op de Arbeidsgerechten », R. W., 1955-1956, col. 1753; «Une enquête sur la création de juridictions du travail», J. T., 1956, p. 436; A. RoEVENS, «Ret Arbeids­gerecht », R. W., 1957-1958, col. 257).

19. ___.__ Peut-être, en éclairant l'opinion publique, pourra-t-on faire échec à la création de trop nombreuses juridictions nouvelles, mais peut-on raisonnablement escompter la disparition de celles qui existent 1

L'existence de diverses juridictions une fois admise, il faut reconnaître que, quelle que soit la perfection des textes législa­tifs, il y aura toujours des « cas-limites » donnant lieu à des conflits de compétence.

Bornons-nous dès lors à souhaiter que la jurisprudence réduise les inconvénients de ce mal nécessaire :

1 o En accordant la préférence aux tribunaux ordinaires sur les juridictions d'exception, chaque fois que l'interprétation raisonnable des textes le permet;

20 En maintenant fermement les solutions jurisprudentielles acquises, - rien n'étant pire en la matière que l'insécurité naissant des variations de jurisprudence;

3o En réduisant, dans tcmte la mesure compatible avec les textes, les inconvénients résultant des renvois pour incompé­tence.

20.- Aussi approuverons-nous, sous réserve des exigences de l'ordre public, la tendance manifestée par le conseil de prud'hommes d'Anvers lorsque, le Il octobre 1955 (Rev. dr. soc., 1955, p. 23, obs.), il décide qu'un plaideur qui s'était heurté à un jugement d'incompétence chez le juge de paix, pouvait sans autre formalité introduire la même action devant le conseil de prud'hommes. •

Certes, l'exception de litispendance est,- en théorie, opposable,

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l'instance devant le juge de paix pouvant se prolonger par un appel.

Mais l'acquiescement peut être tacite et le plaideur qui réintro­duit son procès devant une autre juridiction ne démontre-t-il pas par là qu'il accepte le jugement d'incompétence 1

Solution à coup sûr valable chaque fois que l'acquiescement n'intéresse pas l'ordre public.

D.- Compétence des juges de paix.

21. - Est-il besoin de dire que les critiques dirigées contre les juridictions d'exception ne visent pas le juge de paix 1 Si ce magistrat est «techniquement», par rapport au tribunal de première instance, un juge d'exception, il est, en fait, un des rouages essentiels de notre organisation judiciaire.

Si les partisans des juridictions paritaires connaissaient réelle­ment l'interprétation jurisprudentielle créée par nos juges de paix en matière de baux ou d'accidents du travail, pourraient-ils soutenir que le résultat eût été meilleur si la justice avait été rendue par les représentants des intérêts en présence 1

Que, loin de poursuivre leur suppression, le législateur leur confie sans cesse de nouvelles attributions, voilà qui prouve la nécessité du maintien de certaines règles de compétence et, hélas, celle de la survie de certains conflits de compétence.

22.- Les articles 2 et 3 de la loi sur la compétence sont heureusement rédigés avec précision, en manière telle qu'ils ne donnent pas lieu à trop de controverses et que de nombreuses décisions publiées dans les recueils se bornent à donner aux textes une interprétation si évidente que nous croyons inutile de les rappeler dans cette chronique.

23.- Une controverse restée classique malgré la clarté appa­rente du texte : le juge de paix est-il toujours compétent pour les litiges relatifs aux lieux occupés sans droit ni titre, et plus spécialement pour les expulsions 1

Dans notre précédente chronique (Rev. crit., 1955, p. 61, li0 17) nous avions commenté les décisions nombreuses et inté­ressantes qui avaient été rendues durant la période faisant l'objet de notre étude (1952-1954). i

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Le « triennat » étudié aujourd'hui est moins riche : une seule décision, relative d'ailleurs au payement d'une indemnité, paraît se rallier à la théorie suivant laquelle le juge de paix est compé­tent pour des occupations assimilables à celles créées par un bail. Le tribunal de Gand (2e ch., 20 avril 1955, R. W., 1955-1956, col. 201) admet, en effet, la compétence du juge de paix pour une action tendant au payement d'une somme de plus de 10.000 francs du chef de dommage causé à un bien par celui qui l'a occupé sans droit ni titre.

La loi ne prévoit in terminis la compétence du juge de paix que pour les actions en payement d'indemnité du chef d'occupa­tion sans droit ni titre, c'est-à-dire pour l'indemnité qui dédom­mage le propriétaire à raison de ce qu'il a été privé de son bien, indemnité assimilable à un loyer (en ce sens que le juge de paix est rendu compétent à raison de la similitude de deux situations en fait et malgré leur totale dissemblance en droit).

Point n'est donc besoin, pour justifier la compétence du juge de paix, de tirer argument de ce que l'indemnité du chef d'occu­pation irrégulièrement prolongée d'un bien par le fermier est née durant ou à l'occasion du bail (J. de P. Wolvertem, 15 septem­bre 1954, R. W., 19.54-1955, col. 1526).

Le tribunal de Gand étend la compétence du juge de paix à l'action tendant à la réparation du dommage causé à l'immeu­ble, c'est-à-dire à ce que, s'il y avait bail, nous appellerions les «dégâts locatifs». Interprétation conforme, d'après nous., à l'esprit de la loi et à l'intention du législateur (cf. notre Chro­nique, Rev. crit., 1955, p. 61, no 17).

24. - A l'expiration d'un bail les parties concluent une transaction relativement aux obligations de remise en état de l'immeuble incombant aux locataires.

Cette transaction étant inexécutée, devant quel tribunal l'ex­bailleur devra-t-il assigner ?

Réformant un jugement du tribunal de Mons, la Cour de Bruxelles reconnaît, par son arrêt du 14 octobre 1955, compé­tence au tribunal de première instance (J. T., 1955, p. 700).

Cette solution paraissait en l'espèce s'imposer, et à raison du caractère transactionnel reconnu par les deux parties à leur convention, et à raison de ce que celle-ci semblait contenir des obligations étrangères au bail initial.

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De plus, elle nous paraît conforme à la préférence qu'en cas de doute il y a lieu d'accorder au tribunal ordinaire (cf. supra, no 19).

25.- Le juge de paix est le juge ordinaire pour les baux à loyer, à ferme, à cheptel, à colonat partiaire. Mais il ne l'est pas pour les litiges qui sont relatifs à des contrats qui ne sont des baux que nominalement ou en apparence ; par exemple :

... les contrats sui generis relatifs à l'exploitation de carrières. C'est ce qu'avaient décidé le juge de paix et le tribunal de

première instance de Neufchâteau (20 janvier 1950 et 5 juillet 1951, Rev. prat. not., 1955, p. 207 et obs. f. LAINÉ).

C'est ce que confirme avec plus d'autorité la Cour de cassation par son arrêt du 14 avril 1955 (Pas., 1955, I, 882, obs. R. H.; Rev. prat. not., 1955, p. 214, obs. F. L.; Rev. dr. min., 1955, 158);

... les contrats en vertu desquels une parcelle du domaine public est mise à la disposition d'un particulier moyennant une redevance (Marche-en-Famenne, 14 juillet 1957, J. T., 1957, p. 627).

26.- Rappelons enfin que les procès relatifs au droit au bail accessoire à la cession ou à la location d'un fonds de commerce sont de la compétence du tribunal de commerce (pour la cession : Arlon, 31 janvier 1956, Jur. Liège, 1956-1957, p. 68; pour la location : Gand, 2e ch., 6 juillet 1955, R. W., 1956-1957, col. 292 et avis du ministère public).

27.- Depuis la loi du 10 février 1953, le juge de paix a compétence pour l'allocation de toutes pensions alimentaires (Code civ., art. 205 et 212), sauf pour les demandes qui se rattachent à une action en divorce ou en séparation de corps.

Confirmant la jurisprudence antérieure (voy. notre Chronique, Rev. crit., 1955, p. 68, no 40), les tribunaux continuent à recon­naître compétence au juge de paix après séparation de corps (civ. Bruxelles, 22 novembre 1955, Bull. féd. avoués, 1955, p. 24, no 2; Liège, 26 juin 1957, Jur. Liège, 1957-1958, p. 25). Hypo­thèse la moins sujette à controverse, puisque l'obligation alimen­taire entre époux subsiste et que l'action en séparation a pris fin.

28. - Le juge de paix se déclarera aussi compétent lorsque, après divorce, l'époux à qui les enfants ont été confiés réclame

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de son ex-conjoint participation aux frais d'entretien des enfants (Gand, 2 avril 1957, R. W., 1957-1958, col. 288 et avis du ministère public).

Solution déjà consacrée par la Cour de cassation par son arrêt du 29 mars 1957 (Pas., 1957, I, 929, R. W., 1957-1958, col. 713), et admise par le tribunal de Mons (5 mai 1955, Pas., 1955, III, 31) pour la demande en modification d'une pension alimen­taire après divorce par consentement mutuel et justifiée cette fois par la considération additionnelle qu'au cours de pareil divorce la pension alimentaire initiale n'a pas été « arrêtée judiciairement ».

29.- En est-il de même pour la pension que demanderait après divorce le conjoint divorcé 1

La Cour de Liège, dans son arrêt déjà cité du 26 juin 1957 (voy. supra, no 27), semble l'admettre.

Mais le caractère indemnitaire de cette pension nous paraît devoir faire rejeter cette solution.

30.- La jurisprudence a enfin été amenée à préciser dans quelles limites le juge de paix est compétent pour les conflits du travail, dans les lieux où il n'y a pas de conseils de prud'­hommes.

31.- Elle paraît décider qu'en ce cas il n'y a pas transfert à son profit de la compétence des juridictions du travail et qu'au contraire il ne connaît des litiges que dans les limites de sa compétence générale (J. de P. Messancy, 24 octobre 1953, Jur. Liège, 1954-1955, p. 158; Huy, 3 juin 1953, Rev. dr. soc., 1956, p. 136, obs. R. G.).

Ainsi, il ne sera pas compétent pour les conflits entre employeurs et employés (J. de P. Aerschot, 27 février 1954, Rev. dr. soc., 1956, p. 207, obs.; J. de P. Waremme, 1er décem­bre 1956, J. T., 1956, p. 734, obs. MARCEL TAQUET).

E.- Compétence des tribunaux de commerce.

32.- C'est l'existence des tribunaux de commerce qui crée les conflits de compétence les plus fréquents, les plus délicats, les plus irritants.

Les causes en sont nombreuses : la notion de l'acte de

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commerce a des contours imprécis ou à tout le moins parfois controversés ; une présomption d'ailleurs non irréfragable de commercialité s'attache en principe aux actes du commerçant, c'est-à-dire de celui qui fait habituellement des actes de commerce. Voilà déjà de quoi jeter un doute sérieux sur le caractère d'une série d'actes alors que le demandeur en justice, parfois incom­plètement informé au moment de l'intentement de son action, aurait un intérêt légitime à pouvoir déterminer au moyen de critères simples et sûrs la compétence du tribunal à saisir.

33.- Ajoutez-y qu'une disposition légale excellente en son principe (loi du 27 mars 1891) réserve aux tribunaux de première instance les actions tendant à la réparation de dommages causés par décès ou lésions corporelles, mais ce sans trop bien préciser quelle doit être l'étroitesse des rapports entre le décès ou les lésions, d'une part, et l'action, de l'autre.

Nouvelle source d'incertitudes à une époque où sont nom­breuses les lésions causées par des commerçants ou leurs préposés et où leur réparation donne lieu à l'exécution de conventions d'assurances, - souvent de nature commerciale dans le chef d'une des parties.

34.- N'est-il pas légitime de souhaiter la fin de ce chaos, - même par la suppression ou la totale refonte des juridictions consulaires~ Peut-on ériger en principe la nécessité de ces juridictions, alors qu'en de nombreux arrondissements les tribu­naux civils siègent consulairement et qu'en degré d'appel les litige~ dits commerciaux ne sont pas tranchés par des commer­çants~

Un tribunal de commerce distinct se justifie-t-il encore à une époque où la notion même de l'acte de commerce est à juste titre attaquée et où naît plutôt un droit de l'entreprise. (voyez VAN RYN, Principes de droit commercial, t. Jer, nos 8 et suiv.) ~

En attendant une réforme qui n'est peut-être plus si utopique (voy. supra, n° 18 et la note), voyons si la jurisprudence parvient à atténuer les inconvénients du mal.

1. Acte de commerce.

35.- La location de chambres meublées est un contrat civil: compétence du juge de paix.

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Mais si le bailleur fournit «pension complète» à ses hôtes, il y a contrat d'hôtel et le tenancier est commerçant : compé­tence du tribunal de commerce (Anvers, Jre ch. bis, 2 mai 1957, R. W., 1957-1958, col. 570, obs. D. B.).

Mais quid si le logeur ne fournit à ses hôtes qu'un repas 1 A partir de quand l'exploitation devient-elle commerciale?

36.- La femme qui exerce le commerce avec l'autorisation de son mari engage la communauté. Mais l'action dirigée contre le mari est civile, même si l'engagement de la communauté étÇtit commercial (Anvers, 13 août 1957, J. T., 1957, p. 446; voy. aussi notre Chronique, Rev. crit., 1955, no 46).

37.- Lorsque des époux s'engagent ensemble, l'obligation peut être commerciale dans le chef du mari, civile dans celui de la femme (par exemple quand celle-ci cautionne une dette de son mari-commerçant ou s'engage avec lui).

Le tribunal de commerce sera incompétent (Bruxelles, 5e ch., 20 août 1957, J. T., 1957, p. 100, obs. GEORGES LERMUSIAUX).

38.- L'« idée fausse maintenue par la force de la tradition» (voy. RIPERT, nos 146 et 293; VAN RYN, t. Jer, n° 78; notre Chronique 1955, n° 48, Rev. crit., 1955, p. 70), suivant laquelle les opérations immobilières auraient toujours une cause étran­gère au commerce, a continué à causer des ravages (dans le sens de l'incompétence des tribunaux de commerce: comm. Anvers, 4 juin 1954, R. W., 1955-1956, col. 1540, obs.; Nivelles, 14 juil­let 1956, Rec. jur. trib. Nivelles, 1956, p. 83; en sens opposé : Gand, 5 avril 1956, R. W., 1956-1957, col. 1069, obs.; Bruxelles, 20 mars 1956, ibid., 1955-1956, col. 1520, réformant Anvers, 4 juin 1954, cité supra).

Après plus de 150 ans, le législateur tente d'y mettre fin : la loi du 3 juillet 1956, modifiant l'article 2 du Code de commerce, édicte qu'est considéré comme acte de commerce toute obliga­tion des commerçants, qu'il s'agisse d'une obligation concernant des biens meubles ou des immeubles, à moins qu'il ne soit établi que la cause de l'obligation est étrangère au commerce (1).

Ce n'est donc que par le truchement de la présomption de

(1) Un jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 10 juin 1958 (Jur. comm. Brux., 1958, p. 266) a décidé que cette loi n'avait pas d'effet rétroactif.

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commercialité de l'activité du commerçant - moyen, nous le verrons, toujours fragile - que le mal est attaqué.

39. - Mais aussitôt nouvelle controverse :

Un commerçant conclut un bail commercial qui ne tombe pas sous l'application de la loi du 30 avril 1951.

Ne faut-il pas en conclure que, pour cette obligation relative à un immeuble mais commerciale et dont la connaissance n'est attribuée au juge de paix ni par l'article 2, 2°, de la loi sur la compétence, ni par une «disposition particulière» (voy. art. 12 de la loi sur la compétence modifié par l'article 4 de la loi du 3 juillet 1956), le tribunal de commerce était compétent 1

Non, a décidé, à juste titre d'après nous, le tribunal de com­merce de Courtrai (2 février 1957, R. W., 1957-1958, col. 428). Certes, l'on ne pouvait invoquer la « dispo~ition particulière» de la loi du 30 avril 1951. '

Mais rien dans les travaux préparatoires de la loi nouvelle ne permet de décider que le législateur a voulu déroger à la compétence du juge de paix, « juge ordinaire des contestations locatives ».

L'article 4 de la loi du 3 juillet 1956 eût assurément gagné en clarté s'il avait également cité l'article 3 de la loi sur la compétence, d'autant plus que cet article, à côté du cas des contestations locatives, vise aussi d'autres hypothèses dans les­quelles les compétences du juge de paix et du tribunal de com­merce peuvent chevaucher (voy. notamment les paragraphes 6° à 9°).

2. Présomption de commercialité.

40.- L'engagement contractuel pris par une société com­merciale, de payer une pension à un ancien employé, est pré­sumé commercial (Liège, 7 juin 1955, Jur. Liège, 1955-1956, p. 98).

41.- Un commerçant conclut, pour assurer sa responsabilité civile à raison de l'emploi d'un véhicule automobile, la police d'assurances usuelle. Il y signale qu'il utilise le véhicule pour «affaires et promenade>>.

Il ne paye pas la prime. Devant quel tribunal l'assigner 1 La juridiction consulaire, décident les tribunaux de commerce

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d'Anvers (1er mars 1956, Bull. ass., 1956, p. 760 et obs.) et de Bruxelles (16 avril 1956, Jur. comm. Brux., 1956, p. 203), parce que la circonstance que le véhicule assuré ne sert pas uniquement aux affaires ne renverse pas la présomption de commercialité qui s'attache aux actes accomplis par un commerçant. Mais le tribunal de commerce de Bruxelles, dans un jugement cité dans notre précédente chronique (8 juin 1950, Jur. comm. Brux., 1952, p. 19; Rev. crit., 1955, p. 70) et ensuite le 18 juin 1952 Jur. comm. Brux., 1955, p. 11, obs.), s'était au contraire déclaré incompétent.

Approuvons plutôt cette dernière solution, puisqu'en cas de doute elle reconnaît compétence au tribunal ordinaire, et espé­rons surtout que la jurisprudence se fixe et assure aux plaideurs, pour un« cas» qui se présente très souvent, la sécurité juridique à laquelle ils ont droit (voy. aussi note R. DEB. sous comm. Bruxelles, 19 novembre 1954, qui ne résout pas la question, Jur. comm. Brux., 1955, p. 6).

42.- Hypothèse voisine: un contrat d'assurance couvre indivisiblement un ensemble d'éléments qui ne concernent pas tous le négoce.

Par son jugement du 14 juin 1954 (Jur. comm. Brux., 1955, p. 3) le tribunal de commerce de Bruxelles admet d'abord une solution qui depuis la loi du 3 juillet 1956 ne fait plus de doute : la présence d'immeubles assurés ne fait pas obstacle à la com­mercialité.

Il décide ensuite qu'il faut déterminer la nature du contrat en fonction de l'importance respective des éléments relatifs au commerce et de ceux qui y sont étrangers ..

43.- Le même tribunal persiste dans cette jurisprudence, par un jugement encore plus explicite, le Il janvier 1957 (Jur. comm. Brux., 1957, p. 4 et-obs.).

Après avoir décidé que l'exploitant d'un garage collectif, qui limiterait son activité à l'exécution des contrats de garage, ne serait pas un commerçant, malgré l'esprit de lucre qui l'anime, il dit pour droit que si cet exploitant, même à titre de profession secondaire, vend de l'essence, il y a là deux activités juxtaposées et la présomption de commercialité s'étend à l'ensemble parce

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que les contrats de garage tendent à favoriser les ventes d'essence.

44. - N'est-il pas plus conforme à la loi, aux principes et à la sécurité juridique d'admettre la compétence du tribunal civil dès que le contrat a un caractère mixte, même si les éléments civils sont de «minime importance»~

45.- Telle semble être la jurisprudence dominantè de la Cour et des tribunaux de Liègè.

Relativement à un acte accompli par un commerçant et se rapportant à un immeuble ~ hypothèse qui n'est plus en controverse depuis la loi du 3 juillet 1956 ...._..; le tribunal civil de Liège avait déjà rappelé le prîncipe que, ,quand l'acte est complexe et a partiellement, même dans litne << proportion minime », une cause étrangère au commerce,' la présomption de l'alinéa final de l'article 2 du Code de commerce disparaît (civ. Liège, 27 août 1956, Jur. Liège, 1956-1957, p. 67).

46.- Et la Cour de Liège, par son arrêt du 22 février 1956 (Jur. Liège, 1955-1956, p. 201), avait admis la compétence du tribunal civil pour les travaux qu'un négociant avait fait effectuer à un trottoir en exécution d'une mesure administrative ordonnée par' une commune: ils ont une cause étrangère au commerce, même si le commerçant y trouve un certain intérêt pour son négoce.

47.- En termes encore plus clairs, le tribunal de commerce de Liège décide le 4 février 1956 (Jur. Liège, 1955-1956, p. 175, J. T., 1956, p. 461) qu'il y a incompétence de la juridiction consulaire dès qu'un acte a une cause, si minime soit-elle, étrangère au commerce. Ainsi le marchand de véhicules sur pneumatiques qui achète une moto en vue de participer à une course, accomplit un acte étranger à son négoce, donc civil, même si cette participation peut être favorable à son commerce.

Malheureusement toutefois, le même tribunal décidera le 28 mai 1957 (Jur. Liège, 1957-1958, p. 14, obs. M. H.) que le marchand et réparateur de motos qui se livre à une activité sportive relative à son négoce, par exemple en participant à un « motocross» (sic), poursuit un but publicitaire et fait acte de commerce ...

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48.- En réalité le problème est double : à côté de celui qui se pose lorsque l'acte a un caractère mixte, ou peut avoir plusieurs causes dont certaines étrangères au négoce (problème pour lequel nous proposons la compétence du juge ordinaire), il y a celui de la preuve de la cause, étrangère ou non au com­merce, de l'acte ou de l'engagement du commerçant.

Ici le droit positif nous oblige à reconnaître qu'il y a pré­somption de commercialité, c'est-à-dire compétence du tribunal de commerce, à moins que ne soit apportée la preuve de la cause étrangère au commerce.

Mais -nouvelle source d'hésitations, de chicanes, de renvois -cette preuve peut être apportée par simples présomptions.

Et voilà la jurisprudence lancée à la quête d'un nouveau graal : la recherche de l'intention du commerçant au moment où il exerce l'activité litigieuse.

Voyons à quels déboires elle nous mène.

49.- Nous avons déjà rencontré un exemple à l'occasion duquel nos deux problèmes chevauchaient: le vendeur de moto­cycles qui participe à une course agit peut-être dans un but mi-sportif, mi-commercial, mais il est possible aussi que son activité n'ait qu'une de ces deux causes. Le tribunal de Liège, èn optant pour chacune des deux solutions, nous prouve combien la recherche est délicate et aléatoire le résultat.

Mais voilà un cabaretier, président d'un club sportif (cycliste), qui organise une course cycliste dans la localité dans laquelle son club a son siège mais qui n'est pas celle où il exploite son commerce.

Ce spectacle a dès lors une cause étrangère au commerce du cabaretier, qui a agi, non en commerçant, mais en qualité de président du club (comm. Bruxelles, 27 octobre 1955, Jur. comm. B1·ux., 1956, p. 204).

Peut-être n'eût-il pas été vain de déterminer la distance séparant les deux localités ...

50.- En cas de prêt à un commerçant, comment le prêteur sait-il, dans le silence de l'acte, si le montant prêté a servi, comme il pouvait le présumer, à des fins commerciales ou, au contraire, civiles? Assigné devant la juridiction consulaire, l'emprunteur soutient que son engagement était civil. Dans

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l'état de nos textes législatifs, il peut, lui aussi, renverser la présomption de commercialité. lirais on comprend que le tribunal de commerce de Saint-Nicolas, très juridiquement, lui impose de prouver « que cet argent fut employé à d'autres fins que l'intérêt de son commerce». Et l'on souhaite que tous les tribu­naux se montrent sévères dans l'admission de cette preuve, lorsqu'elle est offerte par un défendeur qui semble n'avoir pas d'autre but que dilatoire et qui, mieux informé que son adver­saire quant à la destination des fonds, pourrait toujours critiquer l'option faite par cet adversaire quant à la compétence.

51.- Un commerçant emprunte à son réparateur une auto­mobile pendant la durée de l'immobilisation de son véhicule qui était à usage commercial.

Assigné par le garagiste devant la juridiction consulaire, ·le commerçant prouve que la voiture empruntée a été utilisée pour une visite rendue par lui et par sa famille à des amis au littoral.

Preuve insuffisante, car cette utilisation n'est pas exclusive de tout emploi à des fins commerciales (comm. Bruxelles, 10 février 1956, et Bruxelles, 8 mai 1957, Jur. comm. Brux., 1957, p. 261 et obs.).

Ici aussi le tribunal et la Cour se sont probablement méfiés de la preuve du caractère non commercial de son activité appor­tée par un défendeur dans le seul but, apparemment, d'obtenir un jugement d'incompétence, lui permettant de différer le

. moment de répondre de ses engagements.

52.- Nouveau problème: quand y a-t-il activité commer­ciale 1 Celle-ci est à son tour déterminée par la nature des actes - commerciaux ou non- du prétendu commerçant.

Et nous en arrivons ainsi aux «professions controversées».

53.- Quoique non dénué d'esprit de lucre, l'agriculteur a le visage franc :il vend les produits du sol; il n'est pas commerçant.

Le viticulteur «comme tel» (prudente réserve) n'a pas non plus la qualité de commerçant (comm. Bruxelles, 9e ch., 19 no­vembre 1954, J'ltr. comm. Brux., 1955, p. 6).

54.- Mais le cultivateur de champignons 1 S'il se bornait à travailler le sol en :bettant en œuvre des

procédés en vue d'en faciliter l'exploitatibn ou de la rendre pro­ductive, on lui reconnaîtrait la qualité d'agriculteur.

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Mais si le juge du fond a constaté que ses champignons « étaient le produit d'une terre préalablement travaillée à l'aide de pro­cédés industriels et étendue ensuite sur le sol>> :le voilà commer­çant (cass., 24 décembre 1953, Jur. comm. Brux., 1955, p. 1).

Après cette décision de la Cour suprême il se trouva cependant un juge du fond pour estimer, dans une motivation d'ailleurs surabondante, que « lorsque la spéculation porte moins sur la matière que sur le travail personnel, la transformation ou la mise en œuvre d'une matière préalablement achetée en vue de la revendre sous une autre forme, peut ne pas constituer une activité commerciale>>.

Dès lors le cultivateur de champignons ne sera plus un commer­çant! (Comm. Bruxelles, 7 juillet 1956, J. T., 1956, p. 720, Jur. comm. Brux., 1956, p. 328, obs.)

55.- Le pharmacien vend tant de spécialités pharmaceuti­ques que cette activité commerciale a p:ds le pas sur l'exercice d'une profession à caractère scientifique.

La jurisprudence lui reconnaissait la qualité de commerçant (Les Novelles, t. rer, Acte de commerce, n° 731).

Mais, au cours des travaux préparatoires de la loi du 19 mai 1949 instituant l'Ordre des pharmaciens, l'on avait fait observer que cette profession avait conservé son caractère de profession libérale.

Cette loi n'était-elle dès lors pas un motif pour revenir sur la jurisprudence antérieure ~

Non, décide le tribunal de commerce d'Anvers (9 novembre 1954, R. W., 1954-1955, col. 988); le législateur a simplement voulu prévenir la «commercialisation complète» de la pro­fession.

N'était-ce pas reconnaître son caractère mixte, - auquel cas il faudrait accorder prééminence à l'élément civil ~

56. - L'article 2 de la loi du 3 juillet 1956 a assimilé aux commerçants les artisans qui livrent au public à la fois matière première et produit de leur travail.

Mais si un travailleur façonne à domicile des objets de maro­quinerie pour des fabricants qui lui fournissent cuir, doublures, charnières, fermetures-éclairs, boutons, etc., en un mot toute la matière sauf le fil, ce n'est pas une fourniture aussi insigni-

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fiarite que celle du fil qui suffit à lui conférer la qualité de com­merçant (comm. Bruxelles, 6 juillet 1957, Jur. comm. Brux., 1957, p. 340).

3. Compétence réservée aux tribunaux de première instance en cas de lésions corporelles ou de décès.

57.- Dans notre précédent examen de jurisprudence (Rev. crit., 1955, nos 51 à 55, p. 71 à 73) nous avions déjà souligné combien le maintien par la jurisprudence de solutions disparates, voire contradictoires, avait déçu l'espoir du législateur qui avait, en réservant aux tribunaux de première instance des litiges qui n'avaient en réalité aucun caractère commercial, voulu précisé­ment éviter des conflits de juridiction.

58.- Une première solution est certaine, niais elle était évidente. Lorsque l'action tendant à la réparation de lésions corporelles est mue par la victime, même contre l'assureur de l'auteur, le tribunal de commerce est incompétent (Bruxelles, 21 octobre 1955, Pas., 1956, II, 80).

59.- Mais quand le fait culpeux commis par le commerçant a causé un dommage matériel et des lésions corporelles, soit à la même victime, soit à des victimes différentes, la vieille contro­verse subsiste au sujet de laquelle nous signalions, au cours de notre examen précédent, diverses décisions (voy. loc. cit., nos 52, 53, 54).

60. - Le tribunal de Nivelles, confirmant une solution qui paraît généralement admise, reconnaît la compétence consulaire, lorsque l'action est mue par une victime qui n'a subi qu'un dommage matériel, - même si une autre victime, qui n'agit pas, a encouru une lésion corporelle (5 janvier 1957, Pas., 1957, III, 93; Rec. jur. Nivelles, 1957, p. 7).

Très logiquement, le même tribunal admet la même solution lorsque, la fille mineure du demandeur en réparation de dom­mages matériels ayant été blessée, celui-ci agit uniquement pour lesdits dommages et sans faire valoir, comme administrateur légal, les droits de sa fille (corr. Nivelles [siég. cons.], 4 juin 1955, Rec. jur. Nivelles, 1956, p. 24).

61.- Quand, au contraire, c'est la même partie qui a subi dégâts matériels et lésions corporelles, la jurisprudence n'est

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pas encline à reconnaître la compétence consulaire, même lorsque le demandeur ne poursuit que la réparation des dégâts maté­riels (comm. Bruxelles, 18 novembre 1955, Jur. comm. Brux., 1956, p. 6, obs.; comm. Saint-Nicolas, 17 janvier 1956, R. W., 1956-1957, col. 302; comm. Bruxelles, 3 juin 1958, Jur. comm. Brux., 1958, p. 271).

62.- Que se passe-t-il enfin quand le demandeur a subi des dégâts matériels et le défendeur des lésions corporelles?

Le tribunal de commerce de Gand (6 mars 1951, R. W., 1952-1953, col. 1341), dans un jugement que nous avions critiqué (Rev. crit., 1955, p. 72, no 54), avait admis que la seule possi­bilité d'une demande reconventionnelle relative au dommage corporel obligeait le tribunal à se déclarer incompétent.

La Cour de Gand décide plus exactement (1re ch., 11 décembre 1954, R. A. R., n° 5595, R. W., 1954-1955, col. 1464) que le tribunal de commerce reste en ce cas compétent pour la demande principale, même si une demande reconventionnelle est formée. C'est pour cette dernière que le tribunal est incompétent et sa nature ne pouvait modifier celle de la demande principale.

63.- En ce qui concerne le recours vis-à-vis des assureurs, trois décisions sont à signaler :

Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, le tribunal de commerce de Bruxelles (4 fé~Tier 1955, Jur. comm. Brux., 1955, p. 63, R. A. R., n° 5528) décide que même pour un recours entre assureurs relatif à l'indemnisation déjà inté­gralement accordée à la victime, le tribunal de commerce est incompétent.

Le tribunal de première instance de Marche-en-Famenne (15 mars 1957, Jur. Liège, 1957, p. 252, obs. M. H.) rejette aussi la compétence consulaire, tant pour les recours de l'assuré contre l'assureur que pour les recours de celui-ci contre le tiers responsable ou entre assureurs, mais il paraît exiger que le dommage de la victime n'ait pas encore été définitivement appré­cié, - distinction que le tribunal de commerce de Bruxelles avait expressément rejetée.

Enfin, le tribunal de commerce d'Alost (26 mars 1957, R. W., 1957-1958, col. 525) rompt avec la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation et admet sa compétence pour le recours

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de l'auteur du dommage contre son assureur, - action ayant pour objet l'exécution de l'engagement commercial du défendeur.

Solution juridiquement exacte, à notre avis, mais qui présente le grand inconvénient, en faisant échec à la solution consacrée par la Cour suprême, de créer ou de maintenir une préjudiciable insécurité juridique.

64. - Signalons enfin que le tribunal de commerce de Saint­Nicolas (17 mai 1955, R. W., 1955-1956, col. 412; J. T., 1955,. p. 587) s'est déclaré compétent pour l'action intentée par le Fonds de prévoyance pour maladies professionnelles en remboursement des indemnités payées à une victime.

65.- Quant à la compétence exceptionnelle du tribunal de· commerce, l'article 12, 1°, de la loi du 25 mars 1876 la prévoit pour « · les actions dirigées par les tiers contre les facteurs ou commis de marchands à raison de leur trafic».

Le tribunal de première instance d'Anvers (2e ch. bis, 2 mars 1956, R. W., 1955-1956, col. 1493) interprète ce texte à propos d'actions tendant à la réparation de quasi-délits.

Si l'action est dirigée simultanément contre une société com­merciale et son organe, compétence du tribunal de commerce, même si l'organe n'est pas commerçant : ·il s'identifie avec la société.

Si l'action est dirigée contre un commerçant et son préposé, à nouveau compétence du tribunal de commerce lorsque l'acte a été accompli à l'occasion du commerce de l'employeur et résulte des actes, décisions ou instructions de celui-ci.

Dans le cas opposé, compétence du juge civil. Le tribunal consacre ainsi expressément la distinction autre­

fois proposée par BoNTEMPS (Compétence en matière civile, t. II, . no 143, p. 484 et suiv.), - distinction rejetée par une grande · partie de la jurisprudence récente, qui décide au contraire que

le préposé est justiciable du tribunal consulaire dès qu'il est «recherché en raison du trafic de son patron» (en ce sens comm. BruxeUes, 5 mars 1957, Jur. comm. Brux., 1958, p. 185 et la note DEB.).

66. - La compétence consulaire pour les conflits entre asso­ciés et administrateurs et associés ne peut être étendue aux actions contre les liquidateurs (comm. Liège, 23 septembre 1952,

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Rev. prat. soc., 1956, p. 246, obs. P. D.; comm. Bruxelles, 12 no­vembre 1953, Rev. prat. soc., 1956, p. 2~3, obs. P. D.), même si le liquidateur est actionnaire mais n'est assigné que comme liquidateur (comm. Courtrai, 16 avril 1955, R. W., 1955-1956, col. 1928).

(Voy. aussi les décisions citées dans notre examen précédent, Rev. crit., 1955, p. 7, no 49.)

67.- Concluons. Il n'y a pas lieu de se montrer severe pour la jurisprudence qui interprète de son mieux, et suivant leur esprit, des textes décevants.

Mais le fait que de vieilles controverses s'éternisent, que de nouvelles surgissent en manière telle que la jurisprudence ne peut en bien des domaines assurer aux justiciables la sécurité à laquelle ils ont droit, nous fait croire que le remède doit être cherché ailleurs : suppression des tribunaux de commerce, créa­tion dans les tribunaux de première instance d'une « section commerciale » (dont les chambres, présidées par un juriste, pourraient, si l'on veut sacrifier à la tradition, être pourvues d'assesseurs commerçants). En cas d'introduction devant la section «inadéquate», pas d'exception d'incompétence mais, sur objection à formuler par le défendeur endéans la quinzaine, renvoi de la cause devant le président du tribunal ou son délégué, qui, siégeant en juridiction spéciale et sans appel, renverrait sans frais l'affaire devant la chambre de la section jugée par lui compétente; en cas de renvoi de la section commerciale à la section civile, éventu~lle constitution d'avoué.

Réforme qui permettrait le maintien de tous les cadres exis­tants des tribunaux de commerce,- dont les membres seraient simplement absorbés par la section commerciale des tribunaux de première instance.

68. - En attendant la réalisation de ce « beau rêve », souhai­tons que les tribunaux minimisent les conséquences des « erreurs de compétence>>.

Nous déplorerons donc que le tribunal de Nivelles, siégeant consulairement, ait cru devoir se déclarer incompétent pour une action qu'il estimait de nature civile (14 juillet 1956, Rec. jur. Nivelles, 1956, p. 83).

Le tribunal de Dinant, par deux jugements des 8 novembre

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1947 et 7 janvier 1948 (Pas., 1948, III, 16 et 18), avait, dans un cas analogue, été mieux inspiré en décidant qu'il n'y avait pas incompétence mais question d'organisation judiciaire à la suite de laquelle la chambre saisie devait simplement renvoyer l'inci­dent â.evant le président. Solution qu'avait déjà consacrée la Cour de cassation lorsque, par son arrêt du 23 janvier 1930 (Pas., 1930, I, 70), elle avait cassé un jugement p~r lequel le tribunal de Charleroi s'était d'office déclaré incompétent pour un litige commercial.

F.- Compétence des conseils de prud'hommes.

69.- Une société commerciale met une voiture à la dispo­sition de son employé-vendeur, avec affectation exclusive à son service. Les actions en restitution de la voiture et des fonds affectés à la garantie de cette restitution sont de la compétence de la juridiction du travail (comm. Bruxelles, 12 juin 1956, Jur. comm. Brux., 1956, p. 273).

70.- Le bien-fondé de nos griefs contre les juridictions d'exception et les conflits de compétence que leur existence implique, est souligné par un conflit très fréquent entre les tribunaux de commerce et les juridictions du travail :

Un curateur de faillite conteste le privilège réclamé, pour sa créance, par un créancier qui prétend avoir été employé au service du failli.

D'une part, le privilège est un droit attaché à la créance, en manière telle que l'existence et la qualité de celle-ci se confon­dent (voy. DE PAGE, t. VIP, n° 21, et avis de l'avocat général Faider, Pas., 1884, I, 227).

Dès lors, il serait logique d'admettre quel~ tribunal compétent pour dire que la créance existe, est également compétent pour lui reconnaître un caractère privilégié.

Comme, d'autre part, les conseils. de prud'hommes sont com­pétents pour les litiges entre employeur et employé, ce devrait être en principe le conseil de prud'hommes qui déterminerait si la créance d'un employé vis-à-vis de son patron commer­çant est ou non privilégiée.

Toutefois, le conseil de prud'hommes n'est compétent que

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s'il existe un contrat de louage de services entre les personnes qui sont ses justiciables.

Or, la contestation relative au privilège peut précisément dépendre de la question de savoir si le créancier qui se prétend privilégié est réellement titulaire d'un contrat de louage de services ou -non.

Tel était le cas dans le litige tranché par le tribunal de corn­merce de Liège par son jugement du 10 juillet 1956 (Jur. Liège, 1956, p. Il). Un comptable travaillant en moyenne deux heures par jour était chargé de dresser toute la comptabilité du failli et s'occupait également de sa correspondance. Etait-il subordonné à son employeur, et devait-il être considéré comme titulaire d'un contrat d'emploi 1

Par son jugement du 10 juillet 1956 (Jur. Liège, 1956, p. Il) le tribunal de commerce de Liège s'est déclaré compétent pour trancher ce litige.

Après avoir rappelé les principes ci-dessus exposés, le tribunal décide « que la seule solution possible, bien qu'irrationnelle, consiste à admettre la compétence du tribunal de commerce ou du conseil de prud'hommes, suivant que la créance est contestée dans son montant et son bien-fondé, ou qu'elle est contestée dans la qualification qu'on lui donne en vertu du contrat qui lui sert de fondement ».

Dans le premier cas le conseil de prud'hommes sera compétent, dans le second, le tribunal de commerce ...

III.- DÉTERMINATION DE L'OBJET

ET DE LA VALEUR D'UNE DEMANDE.

71. ~ Au cours de notre précédent examen de jurisprudence (Rev. crit., 1955, p .. 75 et suiv., n°8 64 et suiv.), nous avions souligné les dangers que présentait le caractère arbitl'aire de notre réglementation en la matière.

Voyons si la jurisprudence est parvenue à en atténuer les inconvénients ou si au contraire, sourde aux appels du bon sens, elle se barricade dans une tour d'ivoire pour y jouer avec quelques initiés un jeu aux règles gratuites mais, semble-t-il, passionnantes.

Les deux tendances ont existé, mais les victoires du bon sens se font nombreuses.

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72.- Au cours de notre précédent examen, nous avions signalé deux récents arrêts de cours d'appel, qui, sous le prétexte de différences d'qbjet et de cause, décidaient que l'action en payement des frais de gésine et d'entretien de la mère pendant les semaines après l'accouchement, et celles en payement d'une pension alimentaire pour l'enfant, pouvaient, en cas d'appel, subir un sort différent quant à la recevabilité de ce recours.

Les deux mêmes cours ont modifié cette jurisprudence et décident au contraire que la valeur des deux actions doit être cumulée parce qu'elles dérivent de la même cause; la conception de l'enfant hors mariage.

La Cour de Gand décide de plus, dans son arrêt de 1956, que lesdites actions, non susceptibles d'évaluation, sont toujours appelables (Liège, 24 mai 1956, Jur. Liège, 1955-1956, p. 298 ; Gand, 23 avril 1955, Pas., 1956, II, 53, R. W., 1955-1956, col. 350, obs. F. BAERT; 18 juin 1955, R. W., 1955-1956, col. 354, obs.; 11 juin 1956, ibid., 1956-1957, col. 192, obs. F. B.; Pas., 1957, II, 81, obs.; R. A. R., no 5857, obs. O. DALCQ).

1

73.- La Cour de cassation persiste à décider que l'action en payement d'indemnités du chef d'accidents du trav~il doit être évaluée par application de l'article 27 de la loi sur la compé­tence, en multipliant par 10 l'annuité de la rente réclamée (12 avril 1956, Pas., 1956, I, 852; R. A. R., no 5908, obs.).

Elle permet de rechercher, non seulement dans la citation, mais même dans les actes de procédure devant le premier juge ou dans la décision de celui-ci, tous les éléments de fait (salaire de base, taux de l'incapacité permanente) permettant l'appli­cation des bases légales d'évaluation.

Comme ces éléments s'y trouvent fréquemment, cette juris­prudence est très certainement souvent venue au secours de plaideurs désireux d'appeler et qui n'avaient pas évalué leur action.

Malheureusement, - effet de boomerang préjudiciant à d'autres plaideurs, - une fois que l'on admet qu'il y a base légale d'évaluation, l'évaluation faite par les parties devient ino­pérante (cass., 7 décembre 1956, Pas., 1957, I, 365, et 4 jan­vier 1957, ibid., 1957, I, 488).

Si donc, malgré leur bonne volonté, les juridictions supérieures ne trouvent pas les bases de l'évaluation légale dans le jugement

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ou dans les pièces auxquelles il se réfère, l'appel sera non rece­vable (cass., 22 novembre 1956, Pas., 1957, I, 302; civ. Bruxelles, 12 avril 1956, ibid., 1957, III, 70), même si un plaideur prudent avait fait une évaluation - malheureusement inopérante (Anvers, 10 avril 1957, R. W., 1957-1958, col. 771; Bull. ass., 1957, p. 529, obs.) (voy. aussi Examen de jurisprudence, Rev. crit., 1955, p. 79, no 73).

74.- Grande victoire du bon sens grâce à la Cour de Gand 1 Différentes personnes, ou une personne en différentes qualités,

réclament un montant global pour réparation d'un dommage causé par un quasi-délit sans pFéciser quelle somme reviendra à chacune d'elles ou en quelle qualité.

En ce cas, la Cour, s'inspirant peut-être de l'exemple donné par la Cour suprême en matière de recherche des éléments d'évaluation légale de l'action du chef d'accident du travail (voy. supra, n° 73), décide qu'elle doit examiner d'office la destination des différents montants et, si une ou plusieurs sommes dépassent le montant du dernier ressort, déclarer le litige appelable (Gand, 28 février 1956, R. W., 1955-1956, col. 1522, obs. F. B.).

Serait-il présomptueux d'espérer une jurisprudence analogue en matière d'évaluation globale de pareils litiges (voy. Examen, Rev. crit., 1955, p. 79, no 73bis) 1 Les textes et la jurisprudence nous le font craindre ...

75.- Une partie de la jurisprudence persiste à exiger l'éva­luation par les parties· des actions tendant au payement de sommes libellées en monnaies étrangères (Bruxelles, 25 avril1956, Pas., 1957, II, 68).

D'autres rejettent cette thèse et décident qu'il y a base d'éva­luation légale lorsque la monnaie étrangère constitue, au jour de la demande, une valeur cotée (Bruxelles, 8 janvier 1954, Pas., 1955, II, 95), tel par exemple le franc français dont la cote est officiellement publiée en vertu des arrêtés du 1er mai 1944 (Bruxelles, 1er février 1957, J. T., 1957, p. 484, obs. ALBERT FETTWEIS, et p. 227, obs. GEORGES LERMUSIAUX).

76.- Lorsque la contestation devant le premier juge n'a porté que sur une demande de termes et délais, l'action est-elle

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évaluée par le montant demandé et faut-il une évaluation par les parties pour que le litige soit appelable ~

Rompant avec la jurisprudence antérieure, un arrêt de la Cour de Bruxelles du 19 décembre 1956 avait décidé que l'appel n'était recevable en pareil cas que moyennant évaluation par les parties (voy. J. T., 1957, p. 297, et la note critique de CH. VAN REEPINGHEN).

Revenant sur cette jurisprudence, qui nous pa~aît erronée, la Cour de Bruxelles a au contraire, dans son arrêt du 7 juin 1958 (J. T., 1958, p. 620), décidé que l'éventualité pour le créancier de n'être payé qu'à terme, de même que l'éventualité pour un débiteur de payer sans délai ·une dette au sujet de laquelle un sursis de payement est sollicité, doivent faire considérer que le litige relatif aux termes et délais a la même valeur que celle du montant de la demande.

IV.- CoMPÉTENCE « RATIOJS'E LOCI>>.

77.- En cette matière aussi les tribunaux s'arrogent le droit de rechercher l'intention des parties.

Celles-ci n'ont pas le droit d'attribuer compétence à un tribunal de leur choix en détournant de leur finalité les règles de compé­tence ratione loci.

Ainsi, si le demandeur a le droit d'assigner tous les défendeurs devant le tribunal du domicile de l'un d'entre eux, il y a lieu toutefois de rechercher si la mise en cause de l'un des défendeurs n'est pas inspirée par le seul souci de soustraire un codéfendeur à son juge naturel (comm. Anvers, 13 septembre 1956, Jur. Port Anvers, 1956, p. 128).

78.- Le demandeur peut aussi faire assigner le défendeur devant le tribunal du lieu où l'obligation dont il poursuit l'exé­cution devait être exécutée.

Si le défendeur nie l'existence du contrat, le juge peut et doit, avant de statuer sur sa compétence, vérifier l'existence du contrat ou de l'obligation querellée (civ. Bruxelles, 12 mars 1956, J. T., 1956, p. 357).

79.- L'article 42 de la loi sur la compétence, attribuant compétence au juge du lieu où l'obligation est née et a été ou

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doit être exécutée, n'aurait toutefois, d'après certaine jurispru­dence, qu'un caractère supplétif par rapport à la règle générale de l'article 39.

La compétence de l'article 42, ne reposant que sur l'intention présumée des parties, ne peut être retenue lorsque celles-ci ont manifesté une volonté contraire, notamment en cas d'élection de domicile (comm. Mons, 15 novembre 1954, Pas., 1956, III, 15).

80.- Comme au cours des années antérieures, la jurispru­dence a eu très fréquemment à se prononcer sur la portée et la validité des clauses par lesquelles des contractants essayent de s'imposer l'un à l'autre la compétence territoriale d'un tribunal déterminé (voy. notre Examen de jurisprudence 1952-1954, Rev. crit., 1955, p. 82, no 81).

Si la clause attributive de compétence a été insérée dans le contrat, elle doit être respectée, même si le contrat n'a été signé que par l'épouse d'une des parties, à condition que le ~ontrat ait été conclu par cette épouse en vertu de son mandat domestique (Nivelles, 12 décembre 1953, Rec. jur. Nivelles, 1954, p. 19 et obs.).

Si la clause figure, non dans le contrat, mais sur des factuTes émanant du vendeur, la jurisprudence distingue :

Si l'acheteur a toujours accepté ces factures sans protester, la clause est valable (comm. Saint-Nicolas, 3 janvier 1956, R. W., 1956-1957, col. 540);

Si, au contraire, alors que le contrat ne prévoyait rien, les factures contiennent une clause attributive de compétence qui n'a été portée à la connaissance de la partie adverse qu'au moyen d'une facture envoyée après la conclusion du contrat, cette facture n'est pas de nature à donner force obligatoire à la clause attributive de compétence (J. de P. Bruxelles, 2e cant., 20 juin 1956, J. T., 1956, p. 132, et civ. Liège [réf.], 28 octobre 1955, Jur. Liège, 1955-1956, p. 84).

81. - L'article 43bis de la loi sur la compétence, disposant qu'en matière d'assurances l'action doit être portée devant la juridiction compétente dan~ le ressort de laquelle l'assuré a son domicile, s'applique aussi en cas d'assurances de responsabilité civile, la chose assurée étant en l'occurrence le patrimoine du preneur considéré dans son ensemble, c'est-à-dire, selon les

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articles 7 et 8 de la loi hypothécaire, comme gage des créanciers chirographaires (Courtrai, 16 mai 1957, Bull. ass., 1957, p. 564).

82. - Par son jugement du 5 juillet 1955 (Rev. dr. familial, 1955, p. 118) le tribunal de Charleroi se rallie à la jurisprudence suivant laquelle l'action introduite après divorce et tendant au payement d'une pension alimentaire en faveur des enfants doit être portée devant le juge du domicile du défendeur.

Nous approuverons cette décision dans la mesure où elle fait échec à la jurisprudence que nous avons déjà combattue et suivant laquelle les actions après divorce devaient forcément être portées devant le tribunal qui a prononcé le divorce (voyez notre Examen de jurisprudence 1952-1954, Rev. crit., 1955, no 89, et la jurisprudence citée).

Toutefois, en vertu de la loi du 10 février 1953 et de la juris­prudence citée ci-dessus, nos 28 et 29, l'action aurait également pu être portée devant le juge de paix du domicile du demandeur.