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NOTRE-DAME DE PARIS GOBINEAU DE MONTLUISANT 1/64 EXPLICATION TRÈS CURIEUSE DES ÉNIGMES ET FIGURES HIÉROGLYPHIQUES, PHYSIQUES, QUI SONT AU GRAND PORTAIL DE L'ÉGLISE CATHÉDRALE ET MÉTROPOLITAINE DE NOTRE-DAME DE PARIS Par LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT GENTILHOMME CHARTRAIN, AMI DE LA PHILOSOPHIE NATURELLE ET ALCHIMIQUE ET D'AUTRES PHILOSOPHES TRÈS-ANCIENS portail central de Notre-Dame de Paris, Jugement dernier, façade occidentale [Eugène Atget, 1905, Gallica ] Précédées d'une introduction à Notre-Dame de Paris et d'une interprétation personnelle des bas-reliefs du grand pilier central de Notre-Dame Plan : introduction - Quatre bas-reliefs du grand portail de Notre-Dame [M. Aubert] - Les Vices et les Vertus qui sont au grand portail de Notre-Dame de Paris [sur le miroir de la science : {1. la grammaire - 2. la dialectique - 3. la rhétorique - 4. l' arithmétique - 5. la géométrie - 6. l' astronomie - 7. la musique } - sur le miroir moral : {1. la prudence - 2. la folie - 3. la foi - 4. l'idolâtrie - 5. la charité - 6. l' avarice - 7. la patience - 8. la colère - 9. la persévérance - 10. l'inconstance - 11. la chasteté - 12. la luxure - 13. la concorde - 14. la discorde - 15. la force - 16. la lâcheté - 17. l' espérance - 18. le désespoir - 19. l'humilité - 20. l' orgueil - 21. l' obéissance - 22. la désobéissance - 23. la douceur - 24. la dureté }] - l'Art Religieux du XIIIe siècle en France [E. Lefèvre-Pontalis] - l'Art Religieux du XIIe siècle en France [P. Deschamps] - Les Premières Représentations des Saints dans l'Art du Moyen Âge [E. Mâle] - Traité d'Esprit Gobineau de Montluisant -

EXPLICATION TRÈS CURIEUSE - Tradgloss

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NOTRE-DAME DE PARIS GOBINEAU DE MONTLUISANT

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EXPLICATION TREgraveS CURIEUSE

DES

EacuteNIGMES ET FIGURES HIEacuteROGLYPHIQUES PHYSIQUES

QUI SONT AU GRAND PORTAIL DE LEacuteGLISE CATHEacuteDRALE ET MEacuteTROPOLITAINE

DE NOTRE-DAME DE PARIS

Par

LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT

GENTILHOMME CHARTRAIN AMI DE LA PHILOSOPHIE NATURELLE ET ALCHIMIQUE

ET DAUTRES PHILOSOPHES TREgraveS-ANCIENS

portail central de Notre-Dame de Paris

Jugement dernier faccedilade occidentale

[Eugegravene Atget 1905 Gallica]

Preacuteceacutedeacutees dune introduction agrave Notre-Dame de Paris et dune interpreacutetation personnelle

des bas-reliefs du grand pilier central de Notre-Dame

Plan introduction - Quatre bas-reliefs du grand portail de Notre-Dame [M Aubert] - Les

Vices et les Vertus qui sont au grand portail de Notre-Dame de Paris [sur le miroir de la

science 1 la grammaire - 2 la dialectique - 3 la rheacutetorique - 4 larithmeacutetique - 5 la

geacuteomeacutetrie - 6 lastronomie - 7 la musique - sur le miroir moral 1 la prudence - 2 la folie

- 3 la foi - 4 lidolacirctrie - 5 la chariteacute - 6 lavarice - 7 la patience - 8 la colegravere - 9 la

perseacuteveacuterance - 10 linconstance - 11 la chasteteacute - 12 la luxure - 13 la concorde - 14 la

discorde - 15 la force - 16 la lacirccheteacute - 17 lespeacuterance - 18 le deacutesespoir - 19 lhumiliteacute - 20

lorgueil - 21 lobeacuteissance - 22 la deacutesobeacuteissance - 23 la douceur - 24 la dureteacute] - lArt

Religieux du XIIIe siegravecle en France [E Lefegravevre-Pontalis] - lArt Religieux du XIIe siegravecle en

France [P Deschamps] - Les Premiegraveres Repreacutesentations des Saints dans lArt du Moyen Acircge

[E Macircle] - Traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant -

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Introduction

Il ne fait aucun doute que ce texte soit en partie agrave la base du Mystegravere des Catheacutedrales que Fulcanelli nous a laisseacute avec les deux tomes des Demeures philosophales Au Moyen Acircge il eacutetait naturel dutiliser limage pour enseigner la foule actes de foi les catheacutedrales gothiques furent aussi des livres de pierre On lira avec profit sur ce sujet Le Croire et le Voir lart des catheacutedrales (XII

e-

XVe siegravecle) de Roland Recht [Gallimard 1999] Lideacutee quun symbolisme sy cache est ancienne En

1640 un gentilhomme de Chartres Esprit Gobineau de Montluisant fit imprimer le texte que nous preacutesentons [reacuteeacutediteacute par Cl dYgeacute in Nouvelle Assembleacutee des Philosophes Paris 1954] Ses thegravemes semblent avoir eacuteteacute repris par Fulcanelli et E Canseliet Citons agrave ce sujet L Girardin [lAlchimie Culture Art Loisir Paris 1972]

FIGURE I

(faccedilade)

Le soubassement du pilier central du portail principal de Notre-Dame de Paris offre une seacuterie de meacutedaillons ougrave lon reconnaicirct les sciences meacutedieacutevales qui composaient le Trivium et le Quadrivium (les deux cycles des eacutetudes de leacutepoque) A la place dhonneur une femme la tecircte couronneacutee de nueacutees preacutesente un livre ouvert qui masque en partie un livre fermeacute Devant elle une eacutechelle agrave neuf barreaux Fulcanelli preacutecise que cette curieuse figure repreacutesente lAlchimie Voire Limage correspond trait pour trait agrave la description symbolique de la philosophie donneacutee par le patrice romain Boegravece au VI

e siegravecle de

notre egravere Les neuf barreaux de cette eacutechelle des Sages sont les neuf degreacutes quil faut gravir dans deacutetude pour arriver agrave la connaissance totale On peut tout concilier en remarquant que lalchimie est une philosophie geacuteneacuterale de la nature mais prenons garde ne laissons pas limagination trop galoper

On reacuteussit pourtant agrave inteacutegrer ce symbolisme geacuteneacuteral agrave lalchimie agrave partir du moment ougrave lon a compris que ces tableaux de pierre ne constituent que des preacutetextes nous ne faisons pas autrement dans la section des blasons alchimiques il est eacutevident que les blasons que nous preacutesentons nont -au sens propre du terme- rien agrave voir avec lalchimie au sens figureacute et donc hermeacutetique il en va autrement et cest agrave lartiste quil convient dorienter le sens geacuteneacuteral agrave donner agrave ces hieacuteroglyphes spirituels Girardin eacutecrit encore

Le Mystegravere des Catheacutedrales commente savamment la seacuterie de vingt quatre meacutedaillons situeacutes sur les soubassements du mecircme portail central agrave droite et agrave gauche de lentreacutee monumentale On se doit dadmirer ces consideacuterations eacuterudites tout en remarquant que ces meacutedaillons repreacutesentent les Vertus agrave la rangeacutee supeacuterieure et les Vices agrave la rangeacutee infeacuterieure On reconnaicirct entre autres la Force un

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chevalier armeacute de pied en cap preacutesentant un lion sur son eacutecu et la Lacirccheteacute un homme darme jetant son eacutepeacutee et fuyant devant un liegravevre LHumiliteacute est une femme dont leacutecu est timbreacute dune colombe [Fulcanelli y voit un corbeau] et lOrgueil un homme qui tombe de cheval Ces derniegraveres interpreacutetations se justifient en feuilletant le carnet de notes dun maicirctre doeuvre du XIII

e siegravecle Villard

de Honnecourt [ici Girardin se reacutefegravere agrave une note qui napparaicirct pas sur la page aussi allons-nous donner quelques renseignements sur ce maicirctre-imagier] Parmi les nombreux croquis jeteacutes pecircle-mecircle on retrouve le cavalier mis agrave bas de sa monture avec la leacutegende Orgueil cy comme im treacutebuche et la femme agrave la colombe deacutesigneacutee par le mot Humiliteacute [] [op cit]

Sur Villard de Honnecourt nous ne saurions mieux conseiller au lecteur quun lien vers la BNF qui consacre agrave limagier un dossier complegravete agrave ladresse suivante

httpclassesbnffrvillardpresindexhtm

Pour en revenir au texte dEsprit Gobineau de Montluisant - qui va nous servir de laquo preacutetexte pour eacutevoquer les meacutedaillons du Mystegravere de Catheacutedrales - il parle dalchimie speacuteculative et leacutetudiant doit deacutejagrave avoir eacutetudieacute les textes avant de pouvoir sorienter dans ce deacutedale Signalons-lui limportance que revecirctent les signes du zodiaque tout particuliegraverement ceux du Beacutelier ougrave se manifeste le bourgeonnement du Taureau ougrave les plantes fleurissent et ougrave la vie prend possession de la matiegravere et des Geacutemeaux ougrave la feacutecondation est la manifestation de la tendance agrave lexpansion de la matiegravere Cest ensuite le calice ou coupe qui doit retenir lattention de leacutetudiant Pour deacutetourner la difficulteacute nous donnons cette image qui permettra de mieux saisir limportance du symbole et le texte qui suit tireacute de notre section sur les blasons alchimiques

Ainsi nous comprenons peu agrave peu que le sujet des Sages qui nest autre que de la Terre fait lobjet de multiples alleacutegories certaines sont voulues et ont une fonction hermeacutetique qui les deacutemarquent nettement des mythes et des leacutegendes dautres ne sont manifestement pas deacutesigneacutees en clair comme relevant dune signifiance hermeacutetique ou alchimique mais peuvent renvoyer agrave des archeacutetypes Ces archeacutetypes peuvent faire lobjet dune interpreacutetation cest agrave lartiste de deacutecider que tel ou tel sujet revecirct des laquo couleursraquo hermeacutetiques Il ne faut donc pas seacutetonner des jugements hacirctifs eacutemis par ceux qui nont pas su lire les ouvrages de Fulcanelli ou dE Canseliet Nos auteurs nont pris les livres ou les tableaux de pierre ou de bois sculpteacute que comme preacutetextes agrave leur propos limagination une volonteacute de partage de la connaissance un deacutesir de rigueur estheacutetique et scientifique le respect ducirc au silence imposeacute voila les qualiteacutes quentre toutes ils manifestegraverent agrave la perfection Ils surent en un mot faire lœuvre par le seul Mercure

Cest lAnnonciation qui constitue lalleacutegorie classique de lattaque de la prima materia par le 1er

agent Nous trouvons neacuteanmoins un vitrail de Saint-Ouen de Rouen qui deacuteroge agrave la regravegle traditionnelle et qui va nous permettre de poursuivre [] notre eacutetude Les quatre-feuilles sont tregraves reacutepandus dans les catheacutedrales gothiques et romanes et selon Fulcanelli lhieacuteroglyphe de la premiegravere matiegravere est circonscrit par lun dentre eux Voici ce quen dit E Canseliet

Ce diable jaune quun chevalier semble prier est de porteacutee plus eacutetendue gracircce aux vives couleurs du verre qui est ducirc agrave la prudence de Guillaume de Paris Au demeurant plutocirct que Baphomet cest maicirctre Pierre du Coignet qui est repreacutesenteacute et de qui il est parleacute dans Le Mystegravere des Catheacutedrales en relation avec le vaisseau argotique et somptueux

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FIGURE II

(deacutetail des vitraux que sertissent agrave louest

les nervures de la rosace de Notre-Dame de Paris le premier sujet)

Nous trouvons dans le quatre-feuille un cercle contenant une coupe que surmonte une croix cest une variation sur le thegraveme du cercle crucifegravere Le reacutesultat de la seacuteparation initiale est repreacutesenteacute par ce diable jaune et la priegravere du chevalier eacutevoque quelque filtration ou tamisage neacutecessaire pour seacuteparer radicalement la Terre de leau ce que nous avons deacutetailleacute plus haut en abordant les mystegraveres de lagriculture ceacuteleste Quant au quatre-feuille la couleur verte atteste de sa parenteacute mercurielle et la coupe crucifegravere symbolise les travaux du 2

egraveme œuvre par lesquels on preacutepare le Mercure La coupe

est deacutecrite par Fulcanelli aux DM I p381 quand il parle des

chercheurs qui ont avec succegraves surmonteacute les premiers obstacles et puiseacute leau vive de lantique Fontaine [et qui] possegravedent une clef capable douvrir les portes du laboratoire hermeacutetique

Avec en annexe la note 1

Cette clef eacutetait donneacutee aux neacuteophytes par la ceacutereacutemonie du Crategravere qui consacrait la premiegravere

initiation dans les mystegraveres du culte dionysiaque

Esprit Gobineau de Montluisant deacutecrit lun des trois portails de la faccedilade principale Ouest qui

offre au regard le portail central encore appeleacute portail des Jugements

httpndparisfreefrnotredamedeparisdossiers_photos httparchitecturereligfreefr]

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FIGURE III

(portail central)

Le portail central est relatif au Jugement dernier Au linteau on assiste agrave la reacutesurrection des morts au son de lolifant Ceux-ci rois soldats ou autres sortent vecirctus de leur tombeau et restent vecirctus mecircme lorsquils se dirigent vers lenfer (alors que les damneacutes sont tregraves souvent nus comme agrave Autun Bourges) Au registre infeacuterieur larchange St Michel pegravese les acircmes au centre tandis que le diable triche de faccedilon eacutehonteacutee A gauche les eacutelus legravevent le visage vers le Christ qui trocircne au-dessus deux A droite un diable pousse les damneacutes enserreacutes dans une corde vers une gueule denfer Au registre supeacuterieur un Christ en majesteacute est entoureacute danges portant les instruments de la Passion et des intercesseurs habituels la Vierge et Saint Jean Au trumeau on trouve un Beau Dieu Sur les socles on peut voir 6 des sept arts et la philosophie (cf Lart religieux du XIIIe siegravecle selon Emile Macircle) Ci-dessous la philosophie

FIGURE IV

(la Philosophie deacutetail)

Il saute aux yeux de leacutetudiant mecircme peu averti de lalchimie quil sagit lagrave dun des emblegravemes majeurs de lArt sacreacute sur lequel se sont longuement appesantis Fulcanelli et son disciple E Canseliet Lapparition donne agrave voir les deux cocircteacutes de la science dHermegraves le cocircteacute exoteacuterique cest le livre ouvert le cocircteacute eacutesoteacuterique cest le livre fermeacute Ou si lon preacutefegravere pour employer un langage qui ressortit plus directement agrave la cabale hermeacutetique respectivement le laboratoire et loratoire Nous avons eu loccasion deacutecrire ailleurs quune gravure reprenait agrave tregraves peu pregraves le symbolisme de cette alleacutegorie majeure [De Hans Vredemann de Vries in Amphitheatrum sapientiae aeternae Henri

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Kunrath 1609] Nous navons rien agrave ajouter aux commentaires lumineux des deux alchimistes du XXe

siegravecle Nous signalerons neacuteanmoins au lecteur linteacuterecirct que preacutesentent les nueacutees au-dessus de la tecircte de la deacuteesse qui voilent la roseacutee de mai chegravere agrave Altus auteur preacutesumeacute du Mutus Liber Leacutechelle de sapience dont le symbolisme se trouve deacutetailleacute dans les fragments commenteacutes des Douze Clefs de Philoosphie attribueacutees agrave Basile Valentin Le sceptre ou bourdon du pegravelerin jamais eacuteloigneacute de la meacuterelle de Compostelle [sur lexplication geacuteneacuterale de son symbolisme cf Meacutemoire sur le Meacutetamorphisme des roches dAchille Delesse] Des bas-reliefs de ce fameux portail central avaient fait lobjet dun commentaire ducirc agrave Marcel Aubert [Bulletin monumental publ par la Socieacuteteacute franccedilaise darcheacuteologie pour la conservation et la description des monuments historiques 1913 1 Vol 77 - T 77 ] Les voici

QUATRE BAS-RELIEFS DU GRAND PORTAIL DE NOTRE-DAME DE PARIS

Les contreforts de Ia porte du Jugement dernier agrave Notre-Dame de Paris sont orneacutes de quatre bas-reliefs incrusteacutes dans la pierre agrave la suite des meacutedaillons des Vertus et des Vices auxquels ils ne se rattachent ni par leur composition ni par leur facture

[Ces quatre bas-reliefs ont la mecircme hauteur que ceux de la seacuterie des Vertus et des Vices mais ils sont plus eacutetroits Peut-ecirctre avaient-ils eacuteteacute destineacutes primitivement agrave orner les pieacutedroits de la porte ou mecircme les faces des contreforts suivant un systegraveme qui deviendra freacutequent dans la seconde moitieacute du XIII

e siegravecle et au XIV

e siegravecle]

ils paraissent anteacuterieurs de quelques anneacutees et ont du ecirctre exeacutecuteacutes au deacutebut du XIIIe

siegravecle Ils sont dun tregraves beau style et rappellent par la noblesse des attitudes la grandeur des traits malheureusement sauvagement bucirccheacutes lharmonie du costume les plus beaux bas-reliefs antiques Ces quatre bas-reliefs ont depuis longtemps exciteacute la sagaciteacute des iconographes et le sens de lun dentre eux ne nous apparaicirct pas encore tregraves nettement Au XVI

e siegravecle les hermeacutetistes les

interpreacutetaient agrave leur faccedilon

Job que lon voit sur lun deux serait la pierre philosophale qui passe par les eacutepreuves les plus diverses avant dacqueacuterir les vertus finales

Abraham figureacute sur un autre serait lartisan Isaac la matiegravere dans le creuset et lange linstrument de la transformation Un corbeau de pierre aurait lœil fixeacute sur le lieu ougrave sont enterreacutes trois rayons de soleil qui deviendront or au bout de mille ans et diamant au bout de trois mille ans Pendant la Reacutevolution lastronome Dupuis deacutefendit et sauva ces bas-reliefs en expliquant quils faisaient partie de tout un systegraveme astronomique quil deacutechiffrait sur les sculptures du grand portail La scegravene que repreacutesente le bas-relief supeacuterieur de droite est facile agrave expliquer cest leacutepisode du Sacrifice dAbraham Abraham debout devant lautel legraveve le bras pour sacrifier son fils Le petit Isaac qui eacutetait agenouilleacute sur lautel nest plus visible aujourdrsquohui Un ange descendant du ciel arrecircte le bras du patriarche En bas agrave gauche apparaicirct entre un arbuste et les fagots destineacutes au sacrifice le beacutelier qui servira dholocauste Sur le bas-relief situeacute au-dessous figure un guerrier armeacute de pied en cap couvert dune longue cotte eacuteperonneacute casqueacute dun heaume conique et portant leacutecu triangulaire du deacutebut du XIII

e siegravecle Il se dresse au sommet dune tour creacuteneleacutee et lance contre

le soleil dont on voit les rayons en haut agrave gauche un javelot derriegravere lui est une petite tourelle

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surmonteacutee dun docircme sans doute couronnement de lescalier de la tour Ce personnage est Nemrod

son nom mecircme signifie laquo reacutevolte raquo et la Bible (Gen X 9) dit de lui laquo Il fut un violent chasseur contre le Seigneur

[Labbeacute Fillion dans son commentaire de la Sainte Bible t I p52 montre quil faut traduire laquo lifne Elohim raquo par laquo contre le Seigneur raquo et non laquo devant le Seigneur raquo]

Strabon dans sa Glose ordinaire est encore plus explicite [laquo Nemrod qui ultra naturam cœlum penetrare voluit Significat diabolum qui ait Ascundam super astra cœli raquo Nemrod secundum josephum fuit auctor aedificandae turris quae taugeret cœlum raquo Saint Isidore de Seacuteville (Sancti Isidori allegoriae quaedam sacrae scripturae dans Migne t 83 col 103) dit aussi laquo Nemrod gigas diaboli typum expressit qui superbo appetitu culmen divinae celsitudinis appetivit diceus ascendam super altitudinem nubium et ero similis altissimo raquo V de Guilhermy qui a montreacute le premier dans son Itineacuteraire archeacuteologique de Paris (1855 p 46-48) quil fallait voir dans le guerrier ici repreacutesente Nemrod attribuait daccord avec Didron agrave linfluence du Coran le choix fait par lartiste de Nemrod comme symbole de lorgueil et de limpieacuteteacute Le Coran ninsiste pas particuliegraverement sur le caractegravere de Nemrod et nous pensons que les commentateurs de la Bible font assez ressortir son type dimpie et datheacutee]

Nemrod dans un accegraves dorgueil et dimpieacuteteacute lance du haut de la tour quil avait voulu faire eacutelever jusquau ciel un javelot contre lastre de Dieu En pendant de lautre cocircteacute de la porte sont deux autres bas-reliefs disposeacutes comme les premiers celui du haut dans un cadre rectangulaire celui du bas sous une arcade agrave plein cintre La scegravene du haut dun tregraves beau style repreacutesente la Deacuterision de Job Suivant le reacutecit de la Bible Job est assis sur un fumier il est presque nu un lambeau deacutetoffe tombe de ses eacutepaules et ceint ses reins il legraveve les yeux vers le ciel et croise les bras sur la poitrine en signe de soumission des vers repreacutesenteacutes avec un reacutealisme qui eacutetonne presque agrave leacutepoque ougrave a eacuteteacute sculpteacute ce bas-relief rongent son corps (Job II 7-8) Devant lui sa femme conseillegravere de reacutevolte laquo Vous demeurez dans votre simpliciteacute lui crie-t-elle Maudissez Dieu et mourez raquo (Job II 9)

Le saint homme Job reacutepond par un acte de soumission agrave la volonteacute du Seigneur laquo Ses trois amis qui avaient appris les maux qui lui eacutetaient arriveacutes eacutetaient venus chacun de leur pays Eliphaz de Theacuteman Baldad de Suba et Sophar de Naamath Car ils seacutetaient concerteacutes pour venir le voir ensemble et le consoler Et ayant leveacute

les yeux ils ne le reconnurent pas et ils pleuregraverent a haute voix deacutechiregraverent leurs vecirctements et jetegraverent de la poussiegravere en lair au-dessus de leur tecircte raquo (Job II11-12)

Le bas-relief de Notre-Dame est lillustration litteacuterale du texte de la Bible Cette scegravene a dailleurs eacuteteacute tregraves souvent repreacutesenteacutee au moyen acircge aussi bien au portail des catheacutedrales que dans les vitraux et les miniatures des manuscrits

Parfois mecircme comme au portail de la Calende agrave Rouen lhistoire de la Deacuterision de Job occupe plusieurs bas-reliefs on le voit un sur un tas de fumier puis vecirctu injurieacute par sa femme et dans un troisiegraveme bas-relief visiteacute par ses amis

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La scegravene sculpteacutee sous le bas-relief de Job est beaucoup plus difficile agrave identifier Cest un homme debout les jambes nues - elles sont tregraves deacuteteacuterioreacutees mais il semble quelles eacutetaient croiseacutees - vecirctu dune tunique largement fendue et dun manteau drapeacute sur leacutepaule gauche Il incline la tecircte en avant et legraveve le bras droit la main droite briseacutee eacutetait sans doute ouverte de la gauche il sappuie sur un grand bacircton qui est peut-ecirctre une lance A terre pregraves de lui sont un arc et deux flegraveches devant lui coule un ruisseau qui descend dun petit monticule couronneacute par deux arbres sur les branches du plus haut est un oiseau Telle est aussi preacutecise que le permet le mauvais eacutetat de conservation la description de cette scegravene encore tregraves eacutenigmatique

Les auteurs anciens comme Gueffier dans sa Description historique des curiositeacutes de leacuteglise de Paris (Paris 1763 p 211) ne mentionnent pas ce bas-relief

Didron le premier a chercheacute a lidentifier ou du moins agrave en donner le sens [Histoire de lart en France par les monuments La statuaire au XIIIe siegravecle dans la Revue de Paris 1836 t XXXI p 339]

Il voit dans nos quatre bas-reliefs des repreacutesentations historiques des Vices et des Vertus agrave cocircteacute des repreacutesentations alleacutegoriques

Sous Abraham symbolisant lobeacuteissance est un reacutevolteacute qui lance un javelot contre Dieu

Sous Job symbole de la patience et de la confiance en Dieu est la repreacutesentation de la deacutefiance un homme fort et armeacute tremble au bruit dun ruisseau et au croassement dun corbeau

De Guilhermy [op citeacute p 46-48] deacutecrit le bas-relief et avoue que toute explication lui eacutechappe il se fait leacutecho dune hypothegravese qui a eacuteteacute souvent reacutepeacuteteacutee depuis mais qui est inacceptable il faudrait voir ici Job contemplant les ravages des torrents deacutebordeacutes sur ses terres Plus reacutecemment M Enlart a

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donneacute de cette scegravene une explication tregraves inteacuteressante mais qui ne ma paraicirct pas pouvoir ecirctre accepteacutee Deacutecrivant les bas-reliefs des portails de la catheacutedrale dAuxerre du deacutebut du XIV

e siegravecle

[congregraves dAvallon 1907 p 614-616 - le bas-relief dAuxerre est plus endommageacute peut-ecirctre que celui de Paris il nous montre le mecircme personnage tourneacute en sens inverse sappuyant dans une pose pleine de noblesse sur une lance dont on distingue tregraves nettement le fer Son long manteau vole au vent ses jambes sont croiseacutees il paraicirct consideacuterer vers la gauche un monticule couronneacute dun arbuste Nous avons chercheacute mais en vain dans dautres ensembles relatifs agrave lHistoire de lEnfant prodigue la figuration du mecircme personnage ]

M Enlart trouve au milieu des scegravenes de lHistoire de lEnfant prodigue trois meacutedaillons ougrave sont figureacutes la femme aux serpents qui est la concupiscence

Job qui comme lEnfant prodigue a recouvreacute sa condition premiegravere apregraves de grandes tribulations enfin un personnage preacutesentant avec celui qui nous occupe ici les plus grandes ressemblances et que M Enlart identifie avec David David sappuyant sur sa houlette et vecirctu du costume de berger dans lequel il eacutetait arriveacute au camp de Sauumll choisit cinq pierres polies dans le torrent et savance vers Goliath La Bible deacutecrit en effet ainsi la scegravene (Reg XVII 30-40) David vient de refuser leacutepeacutee que Sauumll lui avait donneacutee

laquo il prend le bacircton quil avait toujours agrave la main choisit dans le torrent cinq pierres tregraves polies et les

met dans sa pannetiegravere de berger et tenant agrave la main sa fronde il marche contre le Philistin raquo

Ce qui rend cette hypothegravese impensable cest la preacutesence aux pieds de notre personnage non dune fronde mais dun arc que lon distingue tregraves nettement et de deux flegraveches dont on voit les extreacutemiteacutes empenneacutees et les encoches Malgreacute de longues recherches dans la Bible et dans ses Commentaires du moyen Age dans les manuscrits illustreacutes et dans les repreacutesentations peintes et sculpteacutees je nai pu retrouver lexplication de cette scegravene La preacutesence de larc et des flegraveches qui ne sexplique pas dans lhypothegravese de David allant combattre Goliath fait eacutecarter dautres hypothegraveses auxquelles on pourrait songer comme celle de Moiumlse devant le buisson tenant le bacircton qui sur son ordre se changera en serpent sur le bord du torrent dont leau deviendra du sang ou celle du prophegravete Elie se nourrissant de leau du torrent de Carish et du pain que lui apporte un corbeau Si ces bas-reliefs au lieu decirctre visiblement reacuteemployeacutes se trouvaient en place nous admettrions volontiers la thegravese de Didron qui voyait au-dessous de la repreacutesentation biblique dune vertu la repreacutesentation historique ou simplement en action du vice correspondant Mais rien ne nous

prouve que le bas-relief qui se trouve sous la scegravene de la Deacuterision de Job soit bien celui qui dans la penseacutee du clerc qui a ordonneacute ce portail devait ecirctre agrave cette place

Dans le Breacuteviaire de Charles ler [Bibl nat ms lat 1052 fol 217mdash M Macircle dans son beau livre sur lart religieux de la fin du moyen acircge en France a montreacute tout linteacuterecirct de ce manuscrit] ougrave nous trouvons les repreacutesentations bibliques et historiques des Vertus et des Vices cest Judas symbole du deacutesespoir qui figure en face de Job symbole de lespeacuterance Il nous a paru inteacuteressant de publier ces quatre bas-reliefs encore assez peu connus curieux par les problegravemes iconographiques quils soulegravevent Ce sont un des rares essais au XIII

e siegravecle de figuration des vertus laquo en action raquo

suivant lexpression de M Macircle Tandis que partout agrave cette eacutepoque aux portails de nos catheacutedrales les vertus sont repreacutesenteacutees sous la figure alleacutegorique dune femme portant un eacutecu timbreacute dun attribut nous voyons ici des repreacutesentations veacutecues des vertus

Marcel AUBERT

Commentaires il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant lecteur du Mystegravere des Catheacutedrales du non moins mysteacuterieux Fulcanelli que deux de ces bas-reliefs ont eacuteteacute commenteacutes par le plus grand alchimiste du XX

e siegravecle sur la figure V il sagit des deux bas-reliefs du bas Les deux bas-reliefs du

haut nont point eacuteteacute analyseacutes par Fulcanelli Si lon adopte un point de vue purement historique en se reacutefeacuterant agrave la Bible il est hors de doute que linterpreacutetation laquo exoteacuterique raquo de M Aubert est exacte Le mot exoteacuterique est mis entre guillemets agrave escient Il est bien clair que se rapportant agrave un haut fait de religion on ne saurait gloser de maniegravere rationnelle lagrave-dessus Cela eacutetant entendu nous pouvons

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neacuteanmoins infeacuterer quune interpreacutetation alternative est possible si lon adopte les preacuteceptes de la doctrine hermeacutetique

Aussi peut-on voir dans le bas-relief de gauche Cadmos deacutevoilant la fontaine de jouvence apregraves quil ait triompheacute du dragon [ou du serpent Python] en sorte davoir accegraves agrave leau vive qui est de toute neacutecessiteacute pour lArtiste Il est assez extraordinaire - mais ocirc combien significatif dans le sens dune interpreacutetation hermeacutetique laquo coulant de source raquo pour ainsi dire - que le corbeau soit nommeacute agrave cet endroit Tant il est vrai que cette eau vive est le signe pour lArtiste de lanimation de son Mercure et partant de la fin de la phase de putreacutefaction laquo lœuvre au noir raquo pour citer le roman de Marguerite Yourcenar Nous convenons quune telle interpreacutetation est pour ainsi dire contre nature Mais nous avons toujours dit - suivant en cela les preacuteceptes de Fulcanelli - que toute demeure toute sculpture etc preacutesentant des traits conduisant agrave une possible interpreacutetation hermeacutetique pouvait constituer un preacutetexte ce qui bien sucircr est le cas des deux bas-reliefs qui nous occupent Quant au bas-relief de droite nous avons eu loccasion de lanalyser dans la section du reacutebus de saint Greacutegoire-en-Viegravevre Quant agrave celui de la Deacuterision de Job [bas-relief du haut agrave gauche] il se preacutesente comme une parodie des Rois Mages allant au chevet du Christ deacuteposeacute dans sa litiegravere de paille pratiquement dans le fumier Les Rois Mages sont ici repreacutesenteacutes par Eliphaz Baldad et Sophar la figure christique eacutetant incarneacutee en Job Quant au bas-relief en haut et agrave droite M Aubert nous dit quil repreacutesente le sacrifice dAbraham Comment inteacutegrer le patriarche biblique dans le symbolisme du grand œuvre Nous retiendrons ici ces paroles de saint Paul laquo contra spem in spem credidit raquo que lon peut traduire par laquo pour une aventure sans espoir il puisa lespoir dans sa foi raquo ou bien laquo quand il ny avait plus despeacuterance sa foi lui donna lespoir raquo dougrave cette conclusion lapidaire laquo contre tout espoir il crut agrave lespeacuterance raquo A quoi nous pouvons rajouter cette maxime tireacutee de lIcircle Mysteacuterieuse roman geacutenial de Jules Verne - mais maxime qui serait attribueacutee agrave Ockam - laquo il ne sert agrave rien despeacuterer pour entreprendre ni de reacuteussir pour perseacuteveacuterer raquo En somme en lisiegravere ou en bordure pourrait-on dire du symbolisme propre agrave lalchimie avons-nous lagrave un message qui sadresse agrave lArtisteLes deux autres bas-reliefs ne posent pas de problegraveme celui du bas agrave gauche

FIGURE VI on peut en trouver une repreacutesentation semblable sur lun des caissons de la galerie hermeacutetique du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne le soleil darde ses rayons sur lœuf des philosophes agrave Paris cest lArtiste qui protegravege lathanor des ardeurs des rayons Sagit-il de lavertissement classique des alchimistes qui conseillent de modeacuterer le feu faute de quoi on courrait le risque de brucircler les fleurs Sagit-il dune alleacutegorie sur le feu sacreacute quil faut savoir maicirctriser Ou encore sur la maniegravere de capter le rayon igneacute qui constitue le Soufre rouge sublimeacute dans le Mercure Nous nen saurons pas plus Le bas-relief de gauche est superposable agrave lalleacutegorie de Cadmus qui apregraves avoir tueacute le serpent Python [ou le dragon] fonde la ville de Thegravebes lagrave ougrave le sabot de son cheval laisse jaillir une source deau pure cest cette repreacutesentation que nous voyons ici leau pure jaillissant du checircne que lon aperccediloit agrave

droite du bas-relief reacuteplique semblable agrave lune des figures du Livre dAbraham Juif

Cet article de M Aubert nous a permis dobserver le fait suivant au demeurant bien connu quun tableau lapidaire peut aiseacutement voir son sens deacutetourneacute de mille maniegraveres selon lobservateur mais quil existe des bornes au-delagrave desquelles le sens tombe pour ainsi dire de lui-mecircme nous venons de le voir pour le bas-relief repreacutesentant le sacrifice dAbraham ougrave il nest pratiquement pas possible de deacutefinir une approche hermeacutetique Tel nest plus le cas dautres bas-reliefs du grand pilier de Notre-Dame de Paris qui ont fait lobjet dune eacutetude approfondie de Fulcanelli dans le premier tome de sa trilogie il sagit bien sucircr du Mystegravere des Catheacutedrales Loin de nous le besoin de revenir sur les planches de louvrage pour les reacuteinterpreacuteter Non Nous en avons donneacute quelques-unes dans les sections du site pour servir le propos Mais il est eacutevident que Fulcanelli a ducirc sinspirer du traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant et degraves lors il paraicirct inteacuteressant de chercher en quoi les meacutedaillons des Vices et des Vertus ont pu deacuteterminer chez Fulcanelli lapproche qui fut sienne dans le Mystegravere des Catheacutedrales Nous ne pourrons ici que renvoyer le lecteur agrave un site remarquable sur lart religieux au XIIIe siegravecle reacutesumeacute simplifieacute du livre dEmile Macircle Lart religieux au XIIIe siegravecle Etude

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sur les origines de liconographie du Moyen Age et sur ses sources dinspiration (Armand Colin 1948)

Voici quoi quil en soit quelques reacuteflexions sur cet ouvrage Et aussi dun autre ouvrage consacreacute agrave lart religieux au XIIe siegravecle Ces deux recensions forment une introduction agrave lœuvre dEmile Macircle dont il faut regretter que lon ne trouve pas encore sur le serveur Gallica de la BNF la premiegravere eacutedition de lArt religieux au XIIIe siegravecle Cette introduction est preacutecieuse pour leacutetudiant en hermeacutetisme et alchimie et permet de reacutealiser la liaison entre les vieux sculpteurs bacirctisseurs de catheacutedrales dune part et les alchimistes du XX

e siegravecle qui par delagrave lœuvre dEsprit Gobineau de Montluisant

semployegraverent agrave trouver dans ces tableaux et ces livres muets lapidaires linspiration de leurs singuliegraveres reacuteflexions Nous voici agrave preacutesent en mesure de donner quelques preacutecisions sur la signification exoteacuterique des Vices et des Vertus repreacutesenteacutes sur les meacutedaillons du portail central de Notre-Dame

Les Vices et les Vertus de Notre-Dame de Paris

Nous ne saurions mieux faire que suivre lenseignement du Speculum majus de Vincent de Beauvais pour deacutebuter leacutetude des meacutedaillons de Notre-Dame de Paris Vincent de Beauvais que nous avons rencontreacute agrave de multiples reprises dans nos sections

[Donum Dei Ideacutee alchimique I II Char Triomphal de lAntimoine Chevreul critique de Hoefer I Chimie des Anciens I II Miroir dalchimie prima materia Atalanta fugiens XLII Nouvelle Lumiegravere Chymique Mercure]

FIGURE VII Quatriegraveme tome du Speculum majus de Vincent de Beauvais

eacuted de 1624 Bibliothegraveque nationale de France

Le Speculum majus ouvrage de Vincent de Beauvais est un condenseacute des savoirs de leacutepoque Lœuvre est diviseacutee en quatre parties appeleacutees miroirs

- le miroir de la nature les chapitres de cette partie suivent lordre des jours de la creacuteation Ils comprennent leacutenumeacuteration et la description de tous les eacuteleacutements de la nature en terminant par lhomme - le miroir de la science il raconte lhistoire de la Chute et preacutesente la science comme une des voies de reacutedemption Les sept arts sont consideacutereacutes comme autant de dons du Saint Esprit Toutes les connaissances scientifiques sont passeacutees en revue - le miroir moral il preacutesente une classification des vices et des vertus (dapregraves Saint Thomas dAquin)

- le miroir historique il preacutesente lhistoire de lEglise le reste neacutetant eacutevoqueacute queacutepisodiquement

Cest selon cette reacutepartition en quatre chapitres que les auteurs du site consacreacute agrave lArt religieux au XIIIe siegravecle se sont donneacute pour tacircche deacutetudier liconographie du Moyen Acircge Sans reprendre exactement leurs propos nous ajouterons surtout plusieurs remarques

- sur le miroir de la nature les animaux se voient attribuer une valeur symbolique forte Cest leacutevidence le bestiaire hermeacutetique est dune grande importance [cf par exemple la voliegravere alchimique analyseacutee dans la page du Poegraveme du Pheacutenix] Mais la nature peut ecirctre envisageacutee de faccedilon encore plus large en particulier la geacuteologie appliqueacutee agrave lhermeacutetisme que le lecteur se rapporte au Bergbuumlchlein [commenteacute par Daubreacutee] agrave la Reacuteveacutelation de la teinture des meacutetaux [Bernard Le Treacutevisan] au Traiteacute des Choses naturelles et surnaturelles [attribueacute agrave Basile Valentin] agrave la Philosophie Naturelle restitueacutee [Jean dEspagnet] On peut encore y annexer le Typus Mundi

- sur le miroir de la science laquo Lhomme peut se relever de sa chute par la science raquo (Vincent de Beauvais)

Tout comme le travail manuel affranchit des neacutecessiteacutes du corps la science affranchit de lignorance qui empoisonne lesprit Le travail est tregraves preacutesent dans les vitraux ougrave sont repreacutesenteacutes tous les

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meacutetiers artisanaux et eacutegalement dans les voussures et les soubassements de portail ougrave les travaux agricoles sont souvent mecircleacutes aux signes du zodiaque La science quant agrave elle est incarneacutee par les sept arts qui se composent dun trivium (grammaire rheacutetorique dialectique) et dun quadrivium (arithmeacutetique geacuteomeacutetrie astronomie et musique) La philosophie est consideacutereacutee comme la megravere de tous les arts Les diffeacuterents arts sont souvent repreacutesenteacutes sous forme de jeunes femmes doteacutees dinstruments symboliques On les trouve par exemple aux portails de Chartres et de Laon

Note les photographies des meacutedaillons sont tireacutes du site httparchitecturereligfreefr nous tenons agrave remercier les auteurs [Elisabeth et Vincent Trouveacute] de leur permission dinseacuterer sur cette page ces images des bas-reliefs qui donnent une nouvelle jeunesse au Mystegravere des Catheacutedrales sil est possible

FIGURE VIII la grammaire Limage montre une femme

avec une feacuterule (petite palette avec laquelle on frappait les eacutecoliers au sens figureacute autoriteacute seacutevegravere) et deux enfants agrave ses pieds nous y trouvons leacutequivalent de la sapience agrave laquelle lArtiste doit parvenir afin de preacuteparer ses matiegraveres sous ce rapport les deux enfants pourraient figurer Apollon et Arteacutemis Il sagit agrave tout le moins dapprendre agrave manier le Verbe ce qui en terme de cabale se traduit par un mot lhumour Qui ne sait pas ce quest lhumour bien tempeacutereacute ne sera jamais au fait de lArt Sacreacute Cest-agrave-dire qui ne connaicirct la vertu essentielle et roborative (fortifiante) du mot ESPRIT De lagrave agrave jouer sur les mots il ny a quun pas que lon ne peut franchir si lon na pas compris la SUBTILITE des textes alchimiques Subtiliteacute qui permet den comprendre le VERBE Et comme chacun sait le VERBE sest fait TERRE Nous ne saurions mieux reacutesumer la penseacutee veacutehiculeacutee par lArt dHermegraves

FIGURE IX - la dialectique Repreacutesenteacutee comme une

femme avec un serpent (parfois remplaceacutes par un scorpion) on ne saurait mieux concevoir les eacutechanges deacutenergie qui se produisent au sein du Mercure et quen termes de chimie moderne on qualifie doxydo-reacuteduction lagrave ougrave les Anciens semployaient agrave faire des magistegraveres Newton lui-mecircme sexprimait ainsi laquo Le 18 mai jai perfectionneacute la solution ideacuteale Cest-agrave-dire que deux sels eacutegaux portent Saturne Ensuite il porte la pierre et joint le malleacuteable Jupiter donne eacutegalement [sel ammoniac sophique] et ce dans de telles proportions que Jupiter sempare du sceptre ensuite laigle eacutelegraveve Jupiterraquo (Keynes MS 3975 p122 - citeacute dans Dobbs)

A leacutevidence nous assistons agrave des pheacutenomegravenes de meacutediation ce que Hermegraves ne deacutesavoue point dans sa Table dEmeraude [ougrave il faut lire dans le texte mediatione et non pas meditatione Notez que seuls Fulcanelli et F Hoefer donnent la version correcte du texte] Et lagent de la meacutediation par excellence est le serpent manifestation de lesprit corrompu par lacircme [dougrave le scorpion]

FIGURE X la rheacutetorique (Chartres catheacutedrale)

Il nexiste point de bas-relief repreacutesentant cet art agrave Notre-Dame de Paris La Rheacutetorique embleacutematiseacutee par Ciceacuteron est parfois doteacutee dun faisceau de lances et dun bouclier parfois simplement dun stylet et dune tablette de cire On voit dhabitude une femme faisant un geste oratoire Seul peut-ecirctre Heinrich Schuumltz paraicirct secirctre approprieacute ce quon pourrait nommer la Rheacutetorique des Dieux Ainsi dans les Psalmen Davids (1619) il affirme quil a eacutecrit ces psaumes en stylo recitativo auparavant presque inconnu en Allemagne Schuumltz fait allusion au strict principe rheacutetorique qui gouverne son style choral Sappuyant avec grande imagination sur le rythme de la parole il parvient agrave un rythme musical discontinu freacutequemment interrompu par des cadences et des effets deacutecho reacutealisant ainsi ce que seul Haydn oserait plus tard introduire une asymeacutetrie et une instabiliteacute radicales dans le tissu musical Cela est

dautant plus remarquable sagissant de la monodie Il nest point besoin de beaucoup dimagination

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pour faire voir lanalogie avec le principe formel qui doit guider lArtiste dans le magistegravere qualifieacute par tant de maicirctre dart de la musique mais nous y reviendrons en abordant directement cet art par un exemple des plus reacuteveacutelateurs Par la rheacutetorique nous compleacutetons le trivium ougrave sexprime le ternaire alchimique

FIGURE XI - larithmeacutetique (Chartres catheacutedrale)

Lagrave encore point de bas-relief la repreacutesentant agrave Paris LArithmeacutetique telle quelle est repreacutesenteacutee dans les manuscrits carolingiens deacutevide entre ses doigts une corde agrave boules eacutevocation de la bouillonnante dexteacuteriteacute des doigts computateurs de larithmeacutetique

FIGURE XII- la geacuteomeacutetrie La Geacuteomeacutetrie tient souvent agrave la fois le compas et la sphegravere car elle est la sœur de lAstronomie Elle peut ecirctre munie dun bacircton rappelant sans doute le roseau dor avec lequel dans lApocalypse Jean mesure le temple et lange la Nouvelle Jeacuterusalem Celle que lon voit agrave Paris tient une tablette Point nest besoin dinsister sur limportance de la geacuteomeacutetrie dans le magistegravere A cet eacutegard le lecteur naura quagrave consulter lAtalanta fugiens cap XXI ougrave toutes preacutecisions sont donneacutees Quant au compas un chapitre speacutecial lui est consacreacute dans notre page sur Fontenay-Le-Comte

FIGURE XIII - lastronomie (Chartres catheacutedrale)

LAstronomie ou lAstrologie dont le modegravele est Ptoleacutemeacutee rappelle limportance des horoscopes et eacutevoque lascendant des astres sur la formation de lamour et de la haine Elle peut tenir un cadran solaire un astrolabe ou une sphegravere armillaire et contempler la giration des astres autour de la planegravete Terre Voici ce quen termes exoteacuteriques lon dit dhabitude de lastronomie mais limportance hermeacutetique de lastronomie est consideacuterable pour leacutetudiant en alchimie le lecteur consultera ici notre humide radical meacutetallique notre zodiaque alchimique et les nombreux renvois aux constellations et aux deacutecans qui parsegravement le commentaire de lAtalanta fugiens Sur lastrologie voyez la partie du site qui lui est consacreacutee

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FIGURE XIV - la musique

La Musique illustreacutee par Pythagore inventeur du nombre dor est eacutevidemment le plus souvent munie dun instrument de musique (harpe lyre ou cythare) et saffaire agrave monter la gamme en frappant des clochettes avec un marteau On se souviendra aussi dun grand vieillard que nous preacutesente Fulcanelli dans le Mystegravere des Catheacutedrales qui nest autre que le Mercure Voyez ce que nous avons dit supra des rapports entre la musique et la rheacutetorique qui lui est congeacutenegravere Comme musicien alchimique on pourrait encore eacutevoquer les figures de Monteverdi et de Varegravese Sur Monteverdi cet extrait

laquo Curieusement Monteverdi esprit lucide sil en fut va prendre goucirct [] aux expeacuteriences alchimiques Pour samuser concegravede-t-il et tout en affichant (pour la forme) un certain scepticisme Et

cependant les faits sont lagrave jusque dans les anneacutees heureuses de la peacuteriode veacutenitienne le musicien se livrera au patient travail de ladepte faisant chauffer en les mecirclant les principes du soufre du

mercure et du sel dans lathanor sans en espeacuterer autre chose que le plaisir du jeu avec linsolite [] raquo [Monteverdi Roger Tellart Fayard 1997]

et sur Varegravese

Cette aura magique a pris son origine dans les termes quil emploie volontiers et dans la citation de Paracelse quil inscrivit en exergue de sa partition dArcana Une eacutetoile existe plus haut que tout le reste Celle-ci est leacutetoile de lApocalypse La deuxiegraveme est celle de lascendant La troisiegraveme est celle des eacuteleacutements qui sont quatre il y a donc six eacutetoiles eacutetablies Outre celles-ci il y a encore une autre eacutetoile limagination qui donne naissance agrave une nouvelle eacutetoile et agrave un nouveau ciel Varegravese sest pourtant expliqueacute sur la porteacutee de cette eacutepigraphe Cette phrase eacutequivaut agrave une deacutedicace elle fait de mon poegraveme symphonique un certain hommage agrave celui qui la eacutecrite mais elle ne la pas inspireacute et lœuvre nen est pas le commentaire Il exposa sa penseacutee au New Mexical Sentinel Lart ne prend pas naissance dans la raison Cest le treacutesor enfoui dans linconscient cet inconscient qui a plus de compreacutehension que nen a notre luciditeacute Dans lart un excegraves de raison est mortel La beauteacute ne provient pas dune formule Cest limagination qui donne la forme aux recircves Attireacute par les alchimistes de la Renaissance il reconnut jai surtout lu Paracelse Il eacutetudia les principes de lastronomie hermeacutetique en tira des applications musicales qui stimulaient son imagination Il meacutedita sur les preacuteceptes de la meacutedecine de Paracelse sur lassociation la dissociation et la coagulation agrave propos de laquelle il me cita lAcoustical Terminology La coagulation des ultrasons est le deacutepart de petites particules dans de plus larges agreacutegats par laction des ondes dultrasons Ce fut surtout la transmutation des eacuteleacutements qui le retint il soumit une cellule ou un agglomeacuterat agrave diffeacuterentes tensions agrave des deacutecalages de rythmes agrave diffeacuterentes fonctions de gravitation (attirance et lourdeur) agrave diffeacuterentes dynamiques Il ne chercha ni a deacutevelopper ni a les informer il voulut transmuer Varegravese fut degraves sa jeunesse un fervent de Leacuteonard de Vinci et Kepler le passionnait il pressent tout comme Leacuteonard de Vinci Il reacutefleacutechissait sur les marges derreurs que Kepler essayait dinteacutegrer dans une seacutecuriteacute matheacutematique et quil tentait dexpliquer sans savoir prouver pourquoi elles existaient Varegravese cultivait ces marges derreur de liberteacute plus exactement qui empecircchent la contrainte et donnent la vie II reacutepeacutetait que pour lui la musique eacutetait un art-science comme dans le Quadrivium du Moyen Age ou elle figurait parmi les arts de raison avec larithmeacutetique la geacuteomeacutetrie et lastronomie [Varegravese Odile Vivier Solfegraveges Seuil 1973]

Nous teacutemoignons ici de la justesse absolue des vues de Varegravese Comme Beethoven laffirmait la musique est plus haute que toute sagesse et que toute philosophie elle les comprend toutes et permet agrave lesprit dacceacuteder en conscience au cosmos

La repreacutesentation de la philosophie est plus complexe A Laon on la trouve repreacutesenteacutee assise la tecircte dans les nuages une eacutechelle appuyeacutee contre la poitrine Cette image correspond agrave la description quen fait Boegravece dans la Consolation philosophique Leacutechelle est ce qui permet daller des eacuteleacutements infeacuterieurs vers les eacuteleacutements supeacuterieurs A Sens la philosophie est tout aussi grave mais leacutechelle est remplaceacutee par un simple sceptre Nous avons vu limage de la philosophie de Notre-Dame de Paris supra

- sur le miroir moral cest lagrave quinterviennent les meacutedaillons des Vices et des Vertus

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FIGURE XV - la prudence ( le Mercure philosophique)

Nous voici placeacutes au seuil de la sapience alchimique avec ces meacutedaillons qui ont constitueacute la matiegravere mecircme et le preacutetexte de Fulcanelli dans le premier tome [le Mystegravere des Catheacutedrales Pauvert 1924] de sa trilogie Combien de fois les alchimistes ne nous ont-ils pas avertis que sans prudence lArtiste narriverait agrave rien Ne souhaitant pas ici faire des redites inutiles nous conseillerons au lecteur de visiter la section des Gardes du Corps ougrave les Vertus se trouvent analyseacutees Il est certain que limage du fixe et du volatil sont lindice clair du Mercure preacutepareacute et sublimeacute Ce bas-relief forme la planche VII des Mystegraveres et repreacutesente le Mercure philosophique Nous en sommes bien daccord Nous ajouterons que limage la plus fidegravele de ce Mercure philosophique est formeacutee par le signe zodiacal des Geacutemeaux identique dailleurs - au plan spirituel - avec la figure I du Livre dAbraham Juif dont Fulcanelli a montreacute quil eacutetait mythique Fulcanelli eacutecrit

laquo Cest lagrave ce ver empoisonneacute qui infecte tout par son venin

dont parle lAncienne Guerre des Chevaliers raquo [Mystegravere

p 104]

Ajoutons que ce laquo ver empoisonneacute raquo deacutesigne dhabitude le premier eacutetat du Mercure et quArtephius le nomme dans son Livre Secret le laquo vinaigre tregraves aigre raquo Voilagrave la transition toute trouveacutee avec limage de la folie

FIGURE XVI - la folie ( origine et reacutesultat de la pierre)

Au lieu quici comme nous venons de le dire cest la folie qui se trouve repreacutesenteacutee il sagit de limage du premier Mercure celui dont Fulcanelli nous dit quil est le laquo fou de lœuvre raquo On le repreacutesente souvent torsadeacute et contourneacute un peu comme dans les Ripleys scrowls cf les Douze Portes Nous en avons surtout parleacute agrave la section sur Fontenay quand on la compareacute au pyrophore de Homberg ou de Gay-Lussac Voilagrave quelques notes de Fulcanelli sur la planche XIX

laquo Au second meacutedaillon lInitiateur nous preacutesente dune main un miroir tandis que de lautre il eacutelegraveve la corne dAmaltheacutee agrave ses cocircteacutes se voit lArbre de Vie Le miroir symbolise le deacutebut de louvrage lArbre de Vie en marque la fin et la

corne dabondance le reacutesultat raquo [Mystegraveres p 124]

Bien lapidaire dans son explication le maicirctre de Paris se montrera plus geacuteneacutereux dans la description de ce miroir en citant Moras de Respour voici un extrait que na pas donneacute Fulcanelli pourtant bien plus explicite sinon exoteacuterique que celui quil donne

Cette cendre mineacuterale a en soi tout ce qui est neacutecessaire aux Curieux ceux qui lrsquoont connue ont eu la matiegravere dont on la tire en grande recommandation et de crainte qursquoon sut qui elle eacutetait ils lui ont imposeacute plusieurs noms comme de Lunaire drsquoherbe Saturnienne et autres Quelques uns lrsquoont compareacutee agrave la Salamandre agrave cause qursquoelle vit dans le feu Ils ne lrsquoont jamais mieux deacutepeinte que parlant du Phœnix qui renaicirct de ses cendres drsquoautres lrsquoont nommeacutee Lucifer ou Porte lumiegravere Veacutenus engendreacutee de lrsquoeacutecume de la Mer parce qursquoon la tire en eacutecumant On lrsquoa nomme Dragon agrave cause qursquoelle brucircle comme Salpecirctre Aigle parce que lrsquoon en tire lrsquoArmoniac mercuriel ils ont dit que crsquoest le Roi drsquoautant qursquoil est le plus consideacutereacute entre eux et le Lion agrave cause de sa grande force Ils disent que crsquoest lrsquoacircme meacutetallique agrave cause qursquoelle vivifie tous les Meacutetaux et qursquoelle est corps parce qursquoelle corporifie les esprits Mais communeacutement entre les Philosophes elle est entendue par Miroir de lrsquoart agrave cause que crsquoest principalement par elle que lrsquoon a appris la composition des Meacutetaux dans les veines de la Terre []

Rares Expeacuteriences sur lEsprit mineacuteral Paris Langlois et Barbin 1668

Plusieurs arcanes se trouvent entrelaceacutees dans ce texte mais en fin il y est question en somme dun sel infusible La pratique de lœuvre montre quil nexiste que trois sels infusibles dont lun est geacuteneacuterique et reacutesulte dune transformation au lieu que les deux autres sont speacutecifiques le sel infusible proteacuteiforme est ce que les

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anciens chimistes appelaient la chaux meacutetallique et il y a autant de chaux que de meacutetaux [sept pour rester dans la pure tradition hermeacutetique cf lhumide radical meacutetallique] Le second sel - la Salamandre - est celui que De Respour nomme la Lunaire et qui est confondue dans presque tous les textes avec le premier Mercure aussi la nomme-t-on plus justement le laquo suc de la Lunaire raquo Cest elle que lon appelle encore laquo pierre et non pierre raquo et que certains ont identifieacute au nostoc [Mystegraveres p 171 cf Atalanta XXXVII] Il se trouve que cette substance deacutecrite par Pline possegravede des traits communs avec une autre pierre que lon nomme la pierre de Jeacutesus ou pierre speacuteculaire leur racine est semblable et peut tregraves facilement ecirctre preacutepareacutee en laboratoire il suffit dun vitriol preacutepareacute dun sel que lon trouve chez les riches aussi bien que chez les pauvres [surtout agrave la campagne ne dit-on pas du fou que laquo son esprit bat la campagne raquo Cest lagrave un petit trait dhumour ougrave se signale un important point de science] eacutegalement preacutepareacute et dun feu meacutediocre Quant au pheacutenix ultime eacutetat du Rebis revivifieacute il reacutesulte de la reacuteincrudation de ces substances salines La reacutesurrection du pheacutenix est sous la deacutependance de ce Lucifer ou porte lumiegravere comme leacutecrit si justement De Respour Fulcanelli le nommant christophore [Mystegraveres p

186] et ayant emprunteacute agrave Offerus ses traits pour deacutesigner le Quant agrave lArmoniac mercuriel il ne correspond point agrave notre chlorhydrate mais - comme la vu Berthelot dans la Chimie des Anciens - agrave une sorte de sel fossile Il est appeleacute lagrave encore de bien des maniegraveres selon les Adeptes les uns le nommant le sel ammoniac dautres le sel harmoniac etc Sa principale qualiteacute semble ecirctre de donner un peu de liant agrave la Salamandre pour lempecirccher de seacutechapper du feu au 4

egraveme degreacute de feu cest-agrave-dire vers 1300degC la

salamandre au dire de Marc-Antoine Gaudin devient dun coup fluide comme de leau et se vaporise instantaneacutement Quant agrave lacircme meacutetallique il faut y voir le facteur qui rend compte de la viscositeacute des meacutetaux lorsquon leur impose le calorique et le mecircme quand au bout dun certain temps [cest la peacuteriode ougrave lœuvre est compareacutee agrave un travail de femme - quenouille - ou agrave un jeu denfant - yo-yo bilboquet -] de va-et-vient la cristallisation finit par sopeacuterer dans la masse saline Ce facteur - comburant - est en raison directe de la preacutesence dun agent carburant que les Sages ont nommeacute le Lait de Vierge et sans lequel laccroissement de la Pierre ne serait pas possible cest la corne dAmaltheacutee [cf Atalanta XLVII pour une description et des notes compleacutementaires] LArbre de Vie est lArbori Solare dont nous parlons agrave la section Fontenay

FIGURE XVII - la foi ( les quatre eacuteleacutements et les deux

natures)

Lalchimiste errant ne trouvera son chemin dans le labyrinthe de Salomon que muni du fil dAriane cest ce qui constitue sa foi agrave proprement parler Sur la foi consultez la Chrysopeacutee du Seigneur un apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Sachez que lArtiste en quecircte de son Mercure sera guideacute par une eacutetoile celle qui apparaicirct sur le meacutedaillon de Notre-Dame et que cet astre agrave linstar de celui qui guida les Mages dOrient le conduira dans une eacutetable ougrave il verra un enfant emmailloteacute de langes qui aura la

forme de notre Certains lont compareacute au sel de Pierre dautres au sel gemme Dans ce dernier cas ils lont nommeacute le sel harmoniac dont le rapport avec notre chlorhydrate est du mecircme genre que celui qui existe entre le vif-argent vulgaire et lhydrargyre philosophique Ce bas-relief est la planche XI du Mystegravere Fulcanelli se trompe en la nommant la Philosophie [nous avons vu supra quil sagit de la figure IV ougrave limagier a inscrit leacutechelle de la sapience et deux livres] ou bien alors cest par cabale quil veut ainsi deacutesigner la Foi eacuterigeacutee en forme de

doctrine hermeacutetique Fulcanelli deacutecrit le meacutedaillon comme une monade la croix y deacutesigne le quaternaire des eacuteleacutements mais il faut avoir des yeux de lynceacutee pour distinguer le disque lunaire dont il nous dit quil est marteleacute On croirait un astre quelconque et rien ne vient affirmer la conjecture du grand Adepte Le lecteur verra avec profit lagrave-dessus les dessins de la Monade Hieacuteroglyphique de John Dee car lAdepte parisien seacutetend peu sur la Foi alors que la croix forme lun des symboles les plus fascinants de lœuvre

FIGURE XVIII )- lidolacirctrie ( le sujet des Sages)

Aussi voilagrave qui peut expliquer - du mecircme rapport que la folie qui lui fait pendant - la fausse foi du souffleur qui naura pas su trouver le fil dAriane que nous eacutevoquons plus haut Il croira agrave des miroirs trompeurs au reflet de Narcisse et se complaira dans laquo mille brouilleries raquo pour reprendre lheureuse expression de Nicolas Flamel [Fig Hieacuter] Il croira au rapport de lArt sacreacute avec les cultes infernaux les ceacutereacutemonies dinitiation ougrave lesprit se dissout plus quil nest sublimeacute il succombera aux mystegraveres orphiques dans ce quils ont de plus vulgaire et ce sont les plus viles meacutetamorphoses quil accomplira dans son creuset Il est eacutetrange de voir Fulcanelli comparant lIdolacirctrie au meacutedaillon repreacutesentant la Folie mais cette eacutetrangeteacute est du mecircme rapport

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en musique que celui qui existe entre laccord consonnant et laccord dissonnant ils sont compleacutementaires Ainsi

laquo LAdepte sy retrouve mains jointes dans lattitude de la priegravere et semble adresser des actions de gracircces agrave la Nature figureacutee sous les raits dun buste feacuteminin que reflegravete un miroir Nous reconnaissons

lagrave lhieacuteroglyphe du sujet des Sages miroir dans lequel on voit toute la nature agrave deacutecouvert raquo [Mystegravere p 128]

La priegravere est une indication sur le Soufre [soufre cest-agrave-dire sulfure ou sulfate] agrave cause de

lassonance [soufre - Dieu] Combien de fois les alchimistes nous ont-ils dit quil fallait implorer Dieu pour reacutealiser lœuvre en affirmant - cest une constante dans les texte - que celui-ci eacutetait un laquo don de Dieu raquo Mais si le Christ a souffert la Passion Fulcanelli demande agrave limpeacutetrant une autre action de gracircce qui est celui de laquo potasser pour lXraquo Que lon voit dans cet X une croix anseacutee ou la croix du Christ apregraves tout peu importe car nul na dit que lalchimie eacutetait reacuteserveacutee aux Chreacutetiens quand bien mecircme il est eacutevident que lœuvre agrave partir du Moyen Acircge sest pour ainsi dire nourri de la figure christique en mecircme temps quelle nourrissait dailleurs la musique [cf le Visage du Christ dans la musique baroque Jean-Franccedilois Labie Fayard 1992]

FIGURE XIX - la chariteacute (preacuteparation du dissolvant universel)

Fulcanelli eacutecrit laquo un homme expose limage du Beacutelier et tient de la dextre un objet quil est malheureusement impossible de deacuteterminer aujourdhui Est-ce un mineacuteral un

fragment dattribut raquo

Il est bien difficile de reacutepondre agrave cette question On sait que le Beacutelier comme bien des signes zodiacaux a une nature double il reacutepond agrave Ariegraves et agrave Aregraves Le premier nous signale le signe du Printemps eacutepoque canonique ougrave il convient de deacutebuter les travaux mais qui doit sentendre au figureacute Car les deux premiers signes du zodiaque qui sont respectivement les lieux dexaltation du Soleil et de la Lune reacutepondent aux deux principaux composeacutes du Mercure un vitriol et un sel contenant sous une forme quelconque de lalkali fixe Si lon applique maintenant les regravegles de la

cabale voici ce quon peut dire du laquo fragment dattribut raquo en grec un attribut seacutenonce ou

Remarquons que Fulcanelli fait reacutefeacuterence agrave un fragment Or dans les deux cas le mot se

termine par cest-agrave-dire la fleur la violette Violette noire ou dun bleu sombre Il nest pas besoin den dire plus puisque nous avons deacutejagrave en maintes pages de ce site fait voir toute limportance que prenait dans le magistegravere la sphegravere de la violette chegravere agrave E Canseliet Voyons maintenant la racine

elle se reacutefegravere agrave un objet qui habite ou qui demeure dans sa maison on peut y voir la materia prima qui tient sa reacutesidence ou son gicircte laquo es cavernes de la terre raquo pour reprendre une expression quasi idiomatique dalchimie Et nous pouvons y voir la laquo maison de lor raquo cest-agrave-dire le christophore par lequel sexprime la Toyson dor de Salomon Trismosin Cest aussi la Toyson des Argonautes leur histoire est dune grande proximiteacute par rapport agrave lœuvre ainsi que la bien montreacute Dom Pernety dans ses Fables Egyptiennes et Grecques Ainsi voyons-nous que par laquo fragment dattribut raquo

Fulcanelli entend nous parler du Soufre dissous dans le Mercure [] et du Corps de la Pierre [] La chariteacute enseigne ainsi pour lalchimiste comment le Soufre tend la main au Sel Voilagrave le message que lalchimiste tenait ici agrave faire valoir Ce bas-relief correspond agrave la planche IX du Mystegravere On peut rajouter cette note de Pernety

laquo les Adeptes disent quils tirent leur acier du ventre dAriegraves et ils appellent aussi cet acier leur aimant

raquo [Dictionnaire Mytho-hermeacutetique]

Sur un commentaire de ce reacutebus voyez la section Matiegravere

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1864

FIGURE XX - lavarice( le reacutegime de Saturne)

Limage montre un personnage exteacutenueacute qui sappuie sans doute pour se reposer dune marche trop longue dans le deacutesert Cest lalleacutegorie de lArtiste qui a perdu son fil dAriane mais quel rapport avec lavarice En grec

amour de largent litteacuteralement Saisit-on le rapport Lattention est attireacutee par le cousinage hermeacutetique entre la Lune et largent on sait que la Lune a nulle autre pareille peut-ecirctre est versatile et plurielle dans ses rapports au grand-œuvre Est-elle prise dans son premier quartier on sait quil est question du Mercure Est-elle prise en son dernier quartier alors il sagit du Sel ou du suc de la Lunaire pour ecirctre plus preacutecis Cest donc dun rapport au Mercure agrave lEsprit quil sagit ici Et quel est ce rapport De nous faire valoir que lEau permanente des Sages ne saurait ecirctre eacuteternelle et quil vient un moment ougrave

elle doit commencer agrave se sublimer faute de quoi lArtiste œuvrera dans le deacutesert et finira par desseacutecher sa Pierre agrave force de labreuver Ou si lon preacutefegravere lEsprit doit libeacuterer lAcircme pour quelle descende dans le Corps opeacuteration qui fait lobjet du sens hermeacutetique des signes du Sagittaire et du Scorpion Mais Fulcanelli ne semble pas de cet avis puisquil intule la planche XXII du Mystegravere le Reacutegime de Saturne avec ce commentaire

laquo Un vieillard transi de froid et courbeacute sous larc du meacutedaillon suivant sappuie las et deacutefaillant sur

un bloc de pierre une sorte emanchon enveloppe sa main gauche raquo [Mystegravere p 128]

Le commentaire qui suit ne laisse pas deacutetonner et de se demander si Fulcanelli eacutetait envieux et charitable lorsquil preacutecise

laquo Il est facile de reconnaicirctre ici la premiegravere phase du second œuvre alors que le Rebis hermeacutetique enfermeacute au centre de lAthanor souffre la dislocation de ses parties et tend agrave se mortifier [] Cest le

regravegne de Saturne qui va paraicirctre emblegraveme de la dissolution radicale raquo [idem]

Voilagrave qui laisse perplexe Comment le Rebis pourrait-il se disloquer alors mecircme quil na pas encore pris forme Car qui dit Rebis dit forceacutement union mecircme si elle nest pas radicale [cest alors le terme dAirain qui est employeacute] Et lon ne voit pas que le Rebis constitueacute doive agrave nouveau ecirctre deacutesuni car leacutevolution est continuelle Que par contre il soit question de la mort prochaine du Mercurius senex qui doit laisser place agrave plus jeune que soi certes aussi est-ce dans cette acception que nous ferons correspondre le texte manifestement et exceptionnellement envieux de Fulcanelli Quant au regravegne de Saturne il renvoie au Regravegne de Saturne transformeacute en siegravecle dor lautre titre de lapocryphe dHuginus agrave Barma un grand classique Cest la suite de la citation qui permet cette conjecture

laquo [] Je suis vieil deacutebile et malade lui fait dire Basile Valentin pour cette cause je suis enfermeacute

dans une fosse [] raquo [ibid]

Il sagit dune citation incomplegravete dun des chapitres de lAzoth

laquo Je suis le vieil homme deacutebile amp malade mon surnom est Dragon Pour cette cause je suis enfermeacute dans une fosse afin que je sois reacutecompenseacute de la Couronne Royale amp que jrsquoenrichisse ma famille eacutetant en particulier lieu serviteur fugitif Mais apregraves ces choses nous posseacutederons tous les treacutesors du Royaume le feu me tourmente grandement amp la mort rompt ma chair amp mes os jusqursquoagrave ce que six

semaines passent raquo [Azoth Opeacuteration du mystegravere philosophique]

Comment Fulcaneli a-t-il pu mettre les traits du Rebis sur ce vieil homme lorsque la citation compleacuteteacutee permet de montrer que son surnom est Dragon Et que de surcroicirct il vienne agrave dire quil est le laquo serviteur fugitif raquo La seule explication possible qui permettrait dinclure le Rebis serait de faire de ce vieil homme non pas le Rebis mais le Compost [mixte Rebis - Mercure] mais de toute faccedilon cela nirait pas dans le sens ougrave linterpregravete lAdepte puisquil sagit dune dissolution on peut en dernier recours ajouter que Le Breton a vu quatre dissolutions dans lœuvre [Les Clefs de la Philosophie spagyrique Paris Jombert 1722] et quil ne serait pas impossible de voir dans la dissipation finale du Mercure [qui doit mourir agrave la fin de lœuvre] lultime dissolution mais qui na rien agrave voir avec la putreacutefaction alors que Fulcanelli parle de laquo [] la deacutecomposition et de la couleur noire raquo

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dont le symbolisme sinscrit au deacutebut de la Grande Coction en sa phase humide au lieu quici nous sommes agrave la phase dassation

FIGURE XXI - la patience (- le Soufre philosophique)

Que navons-nous pas parleacute du laquo sel de patience raquo que lArtiste doit neacutecessairement connaicirctre avant de se livrer aux travaux de la Grande Coction Les textes disent que lArtiste doit user de prudence et de patience pour amadouer le vieux dragon dont le feu est cacheacute sous les cendres meacutetalliques cest-agrave-dire dont la ponticiteacute eacuteleacutementaire a eacuteteacute maicirctriseacutee lorsque lalchimiste y a joint les deux colombes qui volent sans ailes dans la forecirct de Diane [ Introiumltus ] Nous avons eu loccasion de montrer dans

dautres sections que le mot patience [] renvoyait agrave la force dacircme ce qui suffit agrave indiquer son sens hermeacutetique Fulcanelli voit dans ce bas-relief - correspondant agrave la planche XVII du Mystegravere - le Soufre philosophique on y distingue un taureau et voici ses commentaires

laquo Comme figure de pratique le taureau et le bœuf eacutetaient consacreacutes au soleil de mecircme que la vache lest agrave la lune il figure le Soufre principe macircle puisque le soleil est dit meacutetaphoriquement par Hermegraves le Pegravere de la pierre [] le soleil et la lune [] deacutesignent les natures primitives contraires

avant leur conjonction natures que lArt extrait de mixtes imparfaits raquo [Myst p 122]

Toutefois le taureau a toujours deacutesigneacute la Lune qui sy trouve exalteacute et ougrave Veacutenus possegravede lune de ses maicirctrises [cf lagrave-dessus le zodiaque alchimique et lhumide radical meacutetallique] Par ailleurs lune

des vaches les plus connues en mythologie deacutesigne agrave la fois le deacutebut du mot et du mot cest-agrave-dire la violette et le venin or ces deux mots sont relatifs au Soufre et non au Mercure stricto sensu [les appellations vulgaires sont la rouille et le vert-de-gris] Ce thegraveme se trouve entiegraverement deacuteveloppeacute dans lAtalanta XXXII

FIGURE XXII - la colegravere

Cest la marque dun Mercure dont la ponticiteacute est excessive Cet excegraves peut ecirctre ducirc soit agrave une quantiteacute de calorique trop important - les Artistes disent alors que lon laquo brucircle les fleurs raquo soit agrave des proportions mal deacutefinies dans la composition du dissolvant Ce meacutedaillon na pas eacuteteacute commenteacute par

Fulcanelli La colegravere [] cest lagitation inteacuterieure qui gonfle lacircme Voyez ici la Chrysopeacutee du Seigneur apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Il semble que lon observe dans ce bas-relief agrave gauche Zeus muni de son foudre et agrave droite un pegravelerin mais ce tableau lapidaire a subi linjure du temps On peut associer agrave la colegravere la tempecircte que lon observe comme blason de lun des deacutecans de la Vierge le 2

egraveme deacutecan Son symbolisme a eacuteteacute analyseacute dans lAtalanta

XLVII

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FIGURE XXIII - la perseacuteveacuterance ( lathanor et la pierre)

Nous navons cesseacute de leacutevoquer cest lun des plus grands arcanes de lœuvre savoir tenir son Mercure en forme

deau mineacuterale le Mercure doit donc sattacher au Soufre agrave la teinture en maniegravere de supplique pressante Cest pourquoi les textes exhortent limpeacutetrant agrave prier avec insistance Dautres textes insistent sur la graisse du vent

mercuriel [ avec de la graisse mais aussi avec teacutenaciteacute ou perseacuteveacuterance] notamment les Figures Hieacuteroglyphiques le Donum Dei et lAtalanta fugiens Fulcanelli voit dans la planche XII du Mystegravere

laquo [] une coupe longitudinale de lAthanor et lappareillage interne destineacute agrave supporter lœuf philosophique de la main

droite le personnage tient une pierre raquo [Myst p 115]

Lagrave encore lusure du temps ne laisse plus voir grandchose du subtil meacutecanisme que deacutecrit lAdepte Le lecteur verra au livre de la Clef du Secret des Secrets de Nicolas de Valois une fort belle coupe de lathanor Fulcanelli sen tient lagrave il aurait pu ajouter que cette pierre contractait peut-ecirctre quelque rapport avec la pierre noire de Pessinonte et que le personnage de la planche XXIII nest autre quune autre version de Cybegravele et que limage de lathanor et de son appareil nest autre que le reacutesumeacute le Mixte lapidaire pourrait-on dire des deux lions qui flanquent le char de la deacuteesse dAsie Mineure Le buis consacreacute agrave Cybegravele et agrave Hadegraves repreacutesente le symbole de la perseacuteveacuterance cf Aureum Seculum Redivivum de Mynsicht

FIGURE XXIV - linconstance (lEntreacutee du Sanctuaire )

Lexamen du septiegraveme meacutedaillon de Notre-Dame de Paris donne agrave Fulcanelli loccasion de nous deacutevoiler le sens preacutecis de la reacuteincrudation

laquo [Le vieillard]vient darracher le veacutelum qui en deacuterobait lentreacutee [au Palais Fermeacute du Roy] aux regards profanes Cest le premier pas accompli dans la pratique la deacutecouverte de lagent capable dopeacuterer la reacuteduction du corps fixe de le reacuteincruder selon lexpression reccedilue en

une forme analogue agrave celle de sa prime substance raquo

Cette citation se rapporte agrave lopeacuteration qui consiste agrave dissoudre les laquo meacutetaux morts raquo cest-agrave-dire les chaux meacutetalliques des anciens chimistes dans un fondant approprieacute cest lagent ou artifice secret queacutevoque

Fulcanelli quand il parle de conjoindre les extreacutemiteacutes du vaisseau de nature Or ce vaisseau il nous est preacutesenteacute agrave la figure XXIII dans le meacutedaillon central cest lathanor philosophique Mais le mystegravere - au sens propre du terme - reste entier qui a deacutetermineacute Fulcanelli agrave poser une identiteacute entre

linconstance et ce vieillard En voici la clef linconstance en grec se dit et a valeur dune chose non fixe mobile et par suite inconstante Cest donc le volatil qui est nommeacute ici et le proceacutedeacute secret dont parle lAdepte parisien va preacuteciseacutement ecirctre de transformer une chose non fixe en chose fixe Mais cela doit sentendre dune matiegravere qui est dans un eacutetat visqueux ou liquide Cest donc bien de la laquo reacuteduction du corps fixe raquo dont parle Fulcanelli et le vellum que lon voit choir au pied gauche du vieillard est semblable agrave une tecircte cest donc dun caput mortuum quil sagit Ce bas-relief est numeacuteroteacute comme la planche XXIV du Mystegravere On voit que Fulcanelli lui a donneacute un titre dont le rapport avec lEntreacutee du Sanctuaire est rien moins que certain Lun de ses commentaires pourra peut-ecirctre nous aider agrave mieux percevoir ce rapport qui se deacuterobe

laquo En effet le vieillard que les textes identifient agrave Saturne - lequel dit-on deacutevorait ses enfants - eacutetait

jadis peint en vert tandis que linteacuterieur du Palais offrait une coloration pourpre raquo [Myst p 129]

Voilagrave qui est deacutejagrave plus clair Mais alors ce meacutedaillon preacutesente des traits congeacutenegraveres agrave celui de lavarice [le reacutegime de Saturne - planche XXII du Mystegravere] linconstance se manifeste ici comme la dissolution deacutefinitive - par sublimation - du dissolvant Toutefois la note de Fulcanelli nous permet

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den deacuteduire que le Lion vert est bien le premier eacutetat du Mercure cest-agrave-dire le laquo vinaigre tregraves aigre raquo dArtephius Et que la coloration pourpre reacutesulte de ce que le Lion rouge [qui correspond alors au Compost] est pousseacutee agrave la couleur purpurine au 4

egraveme degreacute de feu Mais en quoi est-il question laquo

dentreacutee dans le sanctuaire raquo cest-agrave-dire de lEntreacutee deacutesormais ouverte au Palais fermeacute du Roi [Introiumltus Philalegravethe] Cest que lArtiste ruseacute a amalgameacute lagent de dissolution avec sa propre dissolution cest-agrave-dire la sublimation terminale Il est clair en effet que lEntreacutee fermeacutee au Palais du Roi ne peut ecirctre ouverte que par la clef qui donne accegraves au dissolvant cest lobjet du 2

egraveme œuvre en

entier Ce dissolvant dans son premier eacutetat sapparente agrave un char muni de deux taureaux ou de deux lions il neacutecessite un frein un mors permettant de tempeacuterer son acrimonie Celui-ci nous est procureacute par les deux colombes de Diane qui seules peuvent tempeacuterer lardeur du dragon eacutecailleux Ces colombes - les deux Soufres - le transforment en Mercure animeacute cest-agrave-dire dompteacute degraves lors nous sommes dans le Palais du Roi La sortie se trouve du cocircteacute ougrave le Mercure trouve son exitus cest-agrave-dire dans sa chambre mortuaire dans son gisant le lecteur trouvera dans les Gardes du Corps des explications agrave cet eacutegard

FIGURE XXV - la chasteteacute (la salamandre - Calcination)

Ce sont des substances deacutepureacutees que lArtiste doit manipuler qui ont eacuteteacute reacuteduites par le feu qui en a conserveacute la quintessence dougrave cette image de salamandre Cest un sel

fixe qui est eacutevoqueacute par la chasteteacute [] il peut sagir de lalkali fixe [lun des constituants du Mercure] soit de la terre de lalun [le Corps de la Pierre appeleacute Arsenic par Geber et principe Sel depuis Paracelse] Le sens de ce bas-relief est donc - pour une fois - dune pure clarteacute Il figure sur la planche VIII du Mystegravere Voyons le commentaire que Fulcanelli nous a concocteacute pour la circonstance

laquo Ce leacutezard fabuleux ne deacutesigne pas autre chose que le sel central [] que les Anciens ont nommeacute Semence meacutetallique

raquo [Myst p 105]

Sel central voilagrave qui ne pose guegravere de problegraveme Mais laquo semence meacutetallique raquo Diable Fulcanelli preacutevient leacutetudiant quil sagit lagrave dune expression spagyrique - il parle de la calcination et non de la semence meacutetallique - et assure que les vieux auteurs nont eu en vue que leur agent occulte deacutesigneacute expresseacutement comme le laquo feu secret raquo dont la forme geacuteneacuterale appelle la comparaison avec une mer plutocirct quavec un feu Cest sur deux pages que lAdepte seacutetend sur cette notion de feu igneacute quil nomme laquo eau ardente raquo et que daucuns ont cru traduire par laquo eau-de-vie raquo Il est certain que le Ciel philosophique de Freacutedeacuteric Ulstade contient des descriptions approfondies des distillations par lesquelles on preacutepare leau-de-vie mais on ne trouvera point de note touchant au dissolvant qui nen est pas moins une certaine eau-de-vie agrave sa maniegravere Cette substance proteacuteiforme a ceci deacutetonnant quelle procure la mort avant de redonner la vie et les alchimistes ont symboliseacute ces extrecircmes sous les dehors du corbeau [Atalanta XLIII] et du pheacutenix [De ave phoenice] Ces deux oiseaux occupent une part importante de la voliegravere hermeacutetique Mais revenons agrave notre semence meacutetallique Quelle est lideacutee qui occupe lesprit de lAdepte Dabord observons en premier lieu que lorigine de cette semence est le dragon eacutecailleux Car lArtiste nen dispose point il lui faut linfuser dune maniegravere quelconque dans le Mercure disposeacute en son eacutetat primitif Et que cette semence soit dabord pourrie [cf Basile Valentin Douze Clefs de Philosophie] Nous avons au deacutebut de notre quecircte postuleacute que cette semence eacutetait repreacutesenteacutee par la reacutesine de lor alchimique Cette conjecture est-elle probable En quoi se rapproche-t-elle de la reacutesine de lor cest-agrave-dire en un mot du christophore Reacutepondre agrave ces questions cest du mecircme coup toucher au plus haut mystegravere de lœuvre Car la semence meacutetallique est faite du grain dor dont les multiplications ulteacuterieures sont tributaires Or le principe de Raison est inconciliable avec cette ideacutee laquo baroque raquo de multiplication assimileacute au principe de la laquo multiplication des painsraquo lun des Miracles quont signaleacutes les Evangiles La seule hypothegravese conciliable avec cette ideacutee serait celle dune enzyme dont on sait quelle peut deacuteclencher une reacuteaction chimique ad libitum tout en eacutetant reacutegeacuteneacutereacutee Or rien ne permet - hormis quelques expeacuteriences de Sainte Claire Deville faites sur lesprit de sel - de fonder en hypothegravese raisonnable une telle conjecture Ajoutons que la majoriteacute des traiteacutes dalchimie font allusion - et ce assez directement - agrave

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cette multiplication Incapable de pouvoir reacutesoudre cette eacutenigme nous pouvons en revanche nous faire une ideacutee de la faccedilon dont cette semence sera capteacute par lAimant des Sages

FIGURE XXVI - la luxure ( la Connaissance des poids)

La luxure prend ici le sens de deacutemesure ce qui est indiqueacute

par la balance impudence insolence et plus geacuteneacuteralement de mœurs dissolues Tel est le sens eacutesoteacuterique deacutegageacute par cette figure Quant agrave la signification exoteacuterique elle est claire Les alchimistes bien avant Lavoisier avaient eu la notion intuitive du poids des eacuteleacutements quils devaient faire entrer dans leur Mixte cest-agrave-dire leur Airain eacutetat premier du Rebis Non seulement ils avaient eu cette prescience mais encore ils avaient eu lintuition que la combinaison de leurs eacuteleacutements ne pouvait intervenir quen de certains termes par lagrave ils faisaient le distinguo entre ce quils appelaient le laquo poids de lart et le poids de nature raquo Cette image de la balance est omnipreacutesente dans liconographie alchimique agrave commencer par la figure de Theacutemis ou celle de

larchange Gabriel vainqueur du dragon eacutecailleux Fulcanelli nomme ce meacutedaillon la Connaissance des poids [planche XX] On peut citer ce passage

laquo Lauteur des Aphorismes Basiliens ou Canons Hermeacutetiques de lEsprit et de lAcircme eacutecrit au Canon XVI Nous commenccedilons notre œuvre hermeacutetique par la conjonction des trois principes preacutepareacutes sous une certaine proportion laquelle consiste au poids du corps qui doit eacutegaler lesprit et lacircme

presque de sa moitieacute raquo [Myst p 125]

Ces Aphorismes Basiliens sont une oeuvre rare [imprimeacutes nous dit en note E Canseliet agrave la suite des Oeuvres tant Meacutedicinales que Chymiques du RP de Castaigne Paris de la Nove 1681] Comme convenu le poids de lAcircme est de beaucoup infeacuterieur au poids du Corps

FIGURE XXVII 13)- la concorde

( les mateacuteriaux neacutecessaires agrave leacutelaboration du dissolvant)

Pour Fulcanelli voilagrave une figure qui reacutesume la liste des mateacuteriaux du dissolvant Nous savons que cette planche tenue par la deacuteesse ne peut ecirctre que du bois dont eacutetait fait le vaisseau des argonautes les fameux checircnes parlants de loracle de Dodonne [voyez en recherche] Ce bas-relief fait lobjet de la planche XIV du Mystegravere p 80 Cest pour Fulcanelli loccasion de citer la Clef du Cabinet Hermeacutetique dun auteur anonyme

laquo Leau dont nous nous servons [] est une eau qui renferme

toutes les vertus du ciel et de la terre [] raquo [Myst p 118]

Il sagit agrave leacutevidence de leau mineacuterale et meacutetallique qui constitue la fontaine de jouvence bain des astres de la Fontaine du Treacutevisan fontaine du Rosaire des Philosophes Fulcanelli ajoute des reacuteflexions qui ont trait

davantage au Soufre dissous quau Mercure

laquo La racine de nos corps est en lair disent les Sages et leurs chefs en terre raquo [idem]

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FIGURE XXVIII 14)- la discorde ( la Dissolution Combat

des deux Natures)

Et voici ce qui repreacutesente peut-ecirctre le sommet de linterpreacutetation eacutesoteacuterique des bas-reliefs de Notre-Dame par lalchimiste parisien tout de mecircme quun chef dœuvre de lart lapidaire des imagiers du Moyen Acircge Lagrave encore ce bas-relief a eacuteteacute preacutesenteacute plusieurs fois il nous suffira donc de dire que nous tenons lagrave les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature irreacuteductibles ennemis quil suffira dunir par le truchement de deux substances preacutesentes en puissance dans le pot de terre que lon voit entre les pieds du personnage de gauche et dans la pierre que lon voit tomber entre les deux personnages Comme leacutecrit Fulcanelli - cf Atalanta fugiens XXXV -

laquo Il nest guegravere possible deacutecrire avec plus de clarteacute ni de simpliciteacute laction de leau pontique sur la matiegravere grave et

ce meacutedaillon fait grand honneur au maicirctre qui la conccedilu raquo [Myst p 131]

La matiegravere du pot de largile est de celle dont on extrait le Corps de la Pierre quoiquil se preacutesente un autre mineacuteral dans la nature dougrave lon peut lextraire plus aiseacutement Et la pierre est de celle dont on extrait le sel qui formera notre eau mineacuterale comme laffirme avec veacuteheacutemence Alexandre Sethon

laquo Notre matiegravere paraicirct aux yeux de tout le monde et elle nest pas connue Ocirc notre Ciel Ocirc notre Eau Ocirc notre Mercure Ocirc notre Sel nitre qui ecirctes dans la mer du monde Ocirc notre Veacutegeacutetable Ocirc notre Soufre fixe et volatil Ocirc tecircte morte ou fegraveces de notre mer Eau qui ne mouille point sans laquelle

personne au monde ne peut vivre et sans laquelle il ne naicirct et ne sengendre rien en toute la Terre raquo [Nouvelle Lumiegravere Chymique Chapitre XI De la pratique et composition de la Pierre ou Teinture

Physique selon lArt]

Et lon ne saurait ecirctre plus clair sauf agrave passer des bornes que Fulcanelli tenu par le secret na pas cru bon de transgresser Ce bas-relief est disposeacute sur la planche XXV du Mystegravere

FIGURE XXIX - la force (- le Corps fixe)

Cest le lion qui se trouve deacutesigneacute Emblegraveme majeur de lœuvre cest agrave de multiples reprises que nous avons parleacute du lion vert et du lion rouge [recherche] Voyez lAtalanta fugiens et le zodiaque alchimique Que lon comprenne bien ici que leacutepeacutee et le casque sont les attributs de lhomme armeacute La chanson profane LrsquoHomme armeacute dont on attribue la paterniteacute agrave Busnois [preacutecepteur du futur Charles le Teacutemeacuteraire dernier duc de Bourgogne] compte parmi les plus ceacutelegravebres de la fin du Moyen Acircge au point que plus de quarante messes srsquoen inspiregraverent Cet engouement provient-il de sa possible origine bourguignonne en liaison avec lrsquoordre de la Toison drsquoor drsquoune reacuteminiscence des Croisades ou encore drsquoune eacutevocation cacheacutee de Longin le soldat romain qui transperccedila le flanc du Christ Aucune de ces hypothegraveses nrsquoapporte drsquoeacuteclairage satisfaisant sur les

destineacutees drsquoune piegravece dont le texte mecircme reste eacutenigmatique laquo Lrsquohomme armeacute doit on doubter - On a fait partout crier - Que chacun se viegne armer - drsquoun haubregon de fer raquo La coiumlncidence est assez extraordinaire de ce que tant la toison de lor [notre christophore] que la couleur qui sourd de la poitrine du Christ soit de la mecircme couleur blanche Sur la Force voyez les Gardes du Corps Le bas-relief occupe la planche XV du Mystegravere Voici une citation que donne Fulcanelli sur ce lion

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laquo [] Cest ce qui a engageacute Basile Valentin agrave donner ce conseil Dissous et nourris le vray Lion du sang du Lion vert car le sang fixe du Lion rouge est fait du sang volatil du vert parquoy ils sont tous

deux dune mesme nature raquo [Myst p 121]

Lattention est attireacutee par leacutevolution dun processus ougrave la mecircme matiegravere est manifestement ameneacutee agrave un degreacute supeacuterieur de deacutepuration nous sommes ici au reacutegime de Veacutenus ou de Mars

FIGURE XXX- la lacirccheteacute

Ce bas-relief na pas eacuteteacute interpreacuteteacute par Fulcanelli et cest bien dommage Comment en effet expliquer quun simple lapin [lepus] mette en fuite un chevalier [on voit leacutepeacutee tomber derriegravere lui] Et que signifie cet oiseau qui ressemble agrave un rapace percheacute sur larbre Il naura pas eacutechappeacute au cabaliste que le mot lepus puisse ecirctre rapprocheacute de lupus cest-agrave-dire le loup voilagrave deacutejagrave qui se rapproche de lArt sacreacute En quoi Nous laisserons au lecteur le soin de chercher lui-mecircme le rapport dans la section des Principes agrave propos du commentaire dE Canseliet sur le jardin de la villa Palombara agrave Rome [Deux Logis Alchimiques Pauvert 1978] Cest dune fuite quil est question ici cest-agrave-dire dune dissolution ou dune volatilisation or un mot suffit agrave lier ces deux opeacuterations sublimation Notez que Fulcanelli reviendra sur cette laquo gueule de

loup raquo lors de lexamen de la chemineacutee alchimique du chacircteau de Fontenay-Le-Comte

FIGURE XXXI lespeacuterance ( lEvolution - Couleurs et

Reacutegimes du Grand œuvre)

Cest une allusion agrave lun des deux aspects que prend la planegravete Veacutenus lors du creacutepuscule vespeacuteral ougrave les Anciens la nommaient Hesperus Elle signale agrave lArtiste que lœuvre progresse bien et que la Grande Coction

est deacutejagrave bien entameacutee lEspeacuterance [Spes] On sait que ce fut le seul don des dieux qui ne seacutechappa point de la boicircte de Pandore le seul qui fut fixe Aussi les alchimistes lui ont-ils consacreacutes une maxime laquo Spes mea in agno raquo qui fait partie du titre de la Philosophie Naturelle Restitueacutee de Jean dEspagnet [il sagit de lanagramme de son nom] dont on ne dira jamais assez toute limportance tant au plan de la science hermeacutetique quau plan de lhistoire puisque Philalegravethe lui doit beaucoup [cf Oeuvre Secret dHermegraves] On voit ainsi que lEspeacuterance est en fait un

clin dœil agrave lagneau ou si lon preacutefegravere au Beacutelier Il sagit de la planche X du Mystegravere Avec ces remarques du maicirctre

laquo LEvolution succegravede et montre loriflamme aux trois pennons tripliciteacute des Couleurs de lŒuvre que

lon retrouve deacutecrites dans tous les ouvrages classiques raquo [Myst p 107]

Fulcanelli seacutetend ensuite sur 7 pages dans la description et linterpreacutetation des couleurs Il suffira de donner cet extrait qui montre comment relier lhermeacutetisme et lhistoire la plus reculeacutee du genre humain

laquo En Chaldeacutee les Ziguras qui furent ordinairement des tours agrave trois eacutetages et agrave la cateacutegorie desquelles appartenait la fameuse Tour de Babel sont revecirctues de trois couleurs noir blanche et

rouge-pourpre raquo [Myst p 111]

Les couleurs de lœuvre sont lune des eacutenigmes les plus eacutepuisantes dans la quecircte que limpeacutetrant aura agrave mener dans son parcours hermeacutetique Mais enfin il est possible dy voir des correspondances

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relativement simples Ainsi peut-on poser que le noir est la couleur de la TERRE cest-agrave-dire de la cendre notamment celle des meacutetaux et celle de lalkali fixe Cest pourquoi la premiegravere couleur qui se

reacutevegravele agrave lArtiste au deacutebut de lœuvre est celle de la putreacutefaction [mais bien sucircr il ne sagit pas du

deacutebut cest-agrave-dire de la reconnaissance des matiegraveres premiegraveres mais bien du deacutebut de la Grande

Coction au 3egraveme

œuvre] Vient ensuite le blanc cest par tradition la couleur de ce qui est pur il

sagit donc dune couleur qui apparaicirct - en esprit - apregraves quun certain travail aura eacuteteacute meneacute agrave bien avec nos cendres mineacuterales et meacutetalliques Cette couleur blanche est celle de lAIR et indique que les subtances sont dans un eacutetat sublimeacute [ce qui ne veut pas dire aeacuterien] Enfin le rouge-rubis cest la couleur de la conseacutecration de la royauteacute celle par laquelle lArtiste parvient agrave lAdeptat

FIGURE XXXII le deacutesespoir

La logique - qui nest nullement incompatible avec la cabale hermeacutetique bien tempeacutereacutee - voudrait que lon voit dans ce bas-relief le premier eacutetat de la planegravete Veacutenus au creacutepuscule du matin Lucifer Du coup nous voici au deacutebut de lœuvre [nous voulons parler bien sucircr du 3

egraveme œuvre cest-agrave-dire de la Grande Coction]

et en une eacutepoque ougrave la matiegravere prend cet aspect visqueux particulier qui nous a valu les Ripleys Scrowles ou le FOU du

tarot absence de raison emportement Ce bas-relief est eacutevidemment congeacutenegravere de celui consacreacute agrave la FOLIE Voilagrave une indication sur le premier eacutetat du Mercure Observez le double caractegravere de ce premier Mercure il est agrave la fois incontrocircleacute et

indolent [] Cest-agrave-dire quil est mou au lieu que le Mercure animeacute doit ecirctre en forme deau mineacuterale et au vrai fluide comme de leau agrave linstar dun bon

fondant Cest-agrave-dire quil est amorphe le but de la Grande coction eacutetant den faire apparaicirctre []

le eacutetoileacute et cristallin Cette figure na pas eacuteteacute interpreacuteteacutee par Fulcanelli

FIGURE XXXIII - lhumiliteacute ( le Corbeau - Putreacutefaction)

La Patience est lrsquoeacutechelle des Philosophes et lrsquoHumiliteacute est la porte de leur Jardin [ paroles rapporteacutees dans les Douze Clefs de Basile Valentin cest lune des phrases les plus empruntes de poeacutesie de la litteacuterature alchimique ] Le bas-relief montre un corbeau Sait-on que lameacutethyste - que les Evecircques portent - est le symbole de lhumiliteacute parce quelle est de la couleur de la violette Revoyez ce que nous avons dit plus haut au sujet du laquo fragment dattribut raquo Compleacutetez par tous les passages ougrave nous parlons de la violette de la rouille et de la grenade la transition du corbeau au coq naura plus de secret pour vous et de plus vous comprendrez en quoi la noix de galle associeacutee au checircne se rapproche de cet objet curieux quexaminait Fulcanelli en nous disant que de forme lenticulaire il est blanc sur une face noire sur lautre et violet dans sa cassure Voilagrave nommeacute le Soufre rouge

ou teinture de la Pierre Mais il sagit lagrave dun raccourci trop rapide Revenons agrave ce que nous dit Fulcanelli sur ce corbeau qui orne la planche VI du Mystegravere

laquo Selon Le Breton il y a quatre putreacutefactions dans lŒuvre philosophique La premiegravere dans la premiegravere seacuteparation la seconde dans la premiegravere conjonction la troisiegraveme dans la seconde conjonction qui se fait de leau peusante avec son sel la quatriegraveme enfin dans la fixation du

soulphre Dans chacune de ces putreacutefactions la noirceur arrive raquo [Myst p 101]

Nous avons deacutejagrave plusieurs fois citeacute Le Breton qui semble un auteur important On voit que la premiegravere putreacutefaction correspond agrave la preacuteparation de lArcanum duplicatum la terre noire tombe au fond de la cornue cependant que laqua sicca se sublime dans le reacutecipient elle se situe donc au 2

egraveme œuvre [ougrave

la voie humide est exclusive] La seconde survient au tout deacutebut du 3egraveme

œuvre et repreacutesente la noirceur laquo classique raquo celle que deacutecrivent tous les traiteacutes La troisiegraveme pose davantage de problegraveme laquo qui se fait de leau pesante avec son sel raquo Limage qui nous vient immeacutediatement agrave lesprit cest Latone accouchant agrave Deacutelos dArteacutemis dune certaine faccedilon il sagit bien dune seacuteparation qui procegravede dune parturition Encore est-elle incomplegravete elle sera acheveacutee par la quatriegraveme putreacutefaction qui consiste en la fixation du Soufre au Sel Latone accouche dApollon et Arteacutemis lui sert de paregravedre On

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devine que la laquo noirceur raquo est purement une image eideacutetique De combien de souffleurs a-t-elle donc abuseacute A tout cela nous ajouterons que larcane repreacutesenteacute dans leacutecu que nous preacutesente lHumiliteacute garde une partie de son mystegravere en effet nous avons vu que Villard de Hennecourt [XIIIe siegravecle] y voyait une colombe et Fulcanelli un corbeauComment arriver agrave concilier les deux visions lune laquo positive raquo eacutemanant dun maicirctre imagier lautre laquo speacuteculative raquo eacutemanant dun maicirctre hermeacutetiste Voici ce quon peut en dire le voyage des Argonautes est tregraves lieacute on le sait aux mystegraveres orphiques et agrave lalchimie ce nest certes pas une leacutegende alchimique mais les hermeacutetistes Dom Pernety y a beaucoup travailleacute dans ses Fables Egyptiennes et Grecques ont su y deacuteceler des intentions en direction de lArt sacreacute Dans cette leacutegende on sait quagrave un moment Eurysteacutee au passage des roches cyaneacutees ou Symplegades va deacuteclencher louverture du barrage formeacute par ces roches gracircce au lacher de deux colombes notez que cette scegravene intervient agrave la sortie du Pont-Euxin [la Mer Noire] le deacutecors est poseacute le Pont-Euxin nest autre que le symbole de la dissolution des matiegraveres et le lacirccher de colombes la sortie de cette phase Si lon en revient agrave lalchimie on sait que lhieacuteroglyphe du corbeau deacutefinit la phase de putreacutefaction la noirceur cette laquo noirceur raquo est le fait de laction du dissolvant des Sages Mais sur quoi Il ne saurait sagir dune laquo auto-dissolution raquo qui naurait aucun sensPhilalegravethe exceptionnellement va venir agrave notre secours il nous indique en effet [Introiumltus VI] que deux colombes que lon a trouveacutees dans la foret de la vierge Diane suffisent agrave calmer lacrimonie et la ponticiteacute du dissolvant et il ne peut faire de doute que ces deux colombes ne sont autres que les deux Soufres Soufre rouge ou teinture de la Pierre Soufre blanc cest-agrave-dire son Corps

FIGURE XXXIV - lorgueil ( la Cohobation)

Ce bas-relief est ceacutelegravebre pour ceux qui sinteacuteressent agrave lalchimie car Fulcanelli le deacutecrit comme repreacutesentant lun des plus grands mystegraveres de lœuvre la cohobation Cest peut-ecirctre Tripied dans son Vitriol Philosophique qui sest le plus approcheacute de la solution du problegraveme mais alors il faut voir cette opeacuteration au 1

er œuvre cest-agrave-dire lors de la phase de preacuteparation

des matiegraveres chapitre sur lequel les alchimistes sont presque tous muets

laquo un cavalier deacutesarccedilonneacute se cramponnant agrave la criniegravere dun cheval fougueux Cette alleacutegorie a trait agrave lextraction des parties fixes centrales et pures par les volatiles ou

eacutetheacutereacutees dans la dissolution philosophique raquo

Voilagrave ce que nous en dit Fulcanelli p 123 du Mystegravere des Catheacutedrales Il peut sagir aussi dopeacuterations agrave type

de convectionSi nous devions rapprocher ce bas-relief dune leacutegende mythologique cest au char de Phaeacuteton que nous penserions immeacutediatement Voyez cette fable dans notre humide radical meacutetallique Formant la planche XVIII du Mystegravere larcane ne se laisse pas facilement domestiquer agrave linstar du cheval fougueux qui manque de faire choir son cavalier Nous devons renoncer agrave limage dune cohobation classique en cornue pour ne plus penser quau principe de cette opeacuteration la concentration dune substance Cest ce quenseigne le maicirctre

laquo Labsorption du fixe par le volatil seffectue lentement et avec peine Pour y reacuteussir il faut employer beaucoup de patience et de perseacuteveacuterance et reacuteiteacuterer souvent laffusion de leau sur la terre de lesprit

sur le corps raquo [Myst p 123]

Mesure-t-on le degreacute de cabale de ces quelques lignes La patience - si lon sen tient agrave la terminologie de Fulcanelli - correspond agrave la figure XXI cest le Soufre philosophique [ou planche XVII du Mystegravere] Quant agrave la perseacuteveacuterance selon le mecircme principe cest la figure XXIII ou lAthanor et la Pierre [planche XII du Mystegravere] Et nous avons vu que cette derniegravere figure eacutetait rigoureusement superposable au char de Cybegravele qui tient sa pierre noire et est flanqueacutee dAtalante et dHippomeacutenegraves [cf Atalanta fugiens] Nous tenons lagrave les eacuteleacutements du vase de nature et la cohobation correspond agrave la peacuteriode dinstabiliteacute dont nous avons deacutejagrave parleacute ougrave la cristalisation de la matiegravere commence dopeacuterer Quant agrave la peine elle peut par cabale phoneacutetique renvoyer agrave la teinture de la Pierre cest-agrave-dire au Soufre rouge en effet la peine se dit en latin poena [peine tourment souffrance] mais la peine a une autre acception distiller [sudo] elle renvoie ausi agrave aerugo [cupiditeacute qui ronge le coeur rouille de cuivre et par aerumna agrave peines misegravere eacutepreuve]

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FIGURE XXXV lobeacuteissance - Conjonction du Soufre et

du Mercure)

Fulcanelli eacutevoque - agrave la planche XIII du Mystegravere - le griffon incarnation si lon peut dire des Harpyes la leacutegende leur donna lapparence de monstres eacutepouvantables Leur corps de vautour leur bec et leurs ongles crochus lodeur infecte qui les accompagne sont autant de repreacutesentations de monstres impossibles agrave rassasier

laquo Le monstre mythologique dont la tecircte et la poitrine sont celles de laigle et qui emprunte au lion le reste du corps initie linvestigateur aux qualiteacutes contraires quil faut neacutecessairement assembler dans la matiegravere philosophale

raquo

Sur lart et la maniegravere de reacutealiser cette eacutetrange parturition voyez notre commentaire de lAtalanta fugiens Quoi quil en soit le griffon par lintermeacutediaire de ces pattes arriegravere

contracte eacutegalement des rapports avec le dragon Notez aussi que tant le lion que le coq ou le heacuteron

ainsi que le griffon expriment la vigilance Quant agrave la griffe elle peut renvoyer agrave lonyx pierre preacutecieuse ou agrave un coquillage roseacute [meacuterelle et soufre par cabale] Les Grecs en faisaient le gardien de treacutesors [toute la mythologie a employeacute ce symbolisme Wagner dans Siegfried emploie un dragon Fafner qui garde lor des Nibelungen et lanneau magique dAlberich] et la monture dApollon Autrement dit nous devons voir dans ce griffon leacutequivalent strict de Latone Aussi bien sommes-nous daccord avec Fulcanelli lorsquil eacutecrit

laquo Nous trouvons en cette image lhieacuteroglyphe de la premiegravere conjonction laquelle ne sopegravere que peu agrave peu au fur et agrave mesure de ce labeur peacutenible et fastidieux que les Philosophes ont appeleacute leurs

aigles raquo [Myst p 115]

On sest beaucoup pencheacute sur cette eacutenigme des Aigles de Philalegravethe en particulier dans la section Matiegravere Cette premiegravere conjonction en accord avec les vues de Le Breton correspond donc agrave la noirceur traditionnelle On comprend en quoi lObeacuteissance est de concert avec ce griffon auquel dailleurs Fulcanelli aurait pu donner son nom plus commun dAirain

FIGURE XXXVI - la deacutesobeacuteissance

Ce bas-relief na pas eacuteteacute examineacute par Fulcanelli mais on peut en deviner la raison quand on voit les ravages que sept siegravecles de rafale ont imposeacute sur cette partie du grand portail de Notre-Dame

Doit-on voir dans le personnage de droite le deacutepart de lenfant prodigue Il faudrait donc voir le pegravere agrave gauche Le sens hermeacutetique du meacutedaillon serait alors superposable aux gravures du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck on peut voir dans lune le Fils seacuteloigner du Pegravere accompagneacute au sommet dune montagne par le conducteur et dans lautre le Fils redescendu dans le Palais du Roi son Pegravere et pregraves agrave ecirctre deacutevoreacute par lui Cest une parabole sur le Mercure la sublimation du Soufre et la reacuteincrudation

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FIGURE XXXVII 23)- la douceur ( lunion du Fixe et du

Volatil)

Aussi bizarre que cela puisse paraicirctre Fulcanelli voit un laquo coq - renard raquo dans le meacutedaillon de la douceur [planche XVI du Mystegravere] Cest une chimegravere dans les deux sens du terme Voici comment lAdepte voit cette figure

laquo Cest ce superbe manteau avec le Sel des Astres dit [Basile] qui suit ce soulfre ceacuteleste gardeacute soigneusement de peur quil ne se gaste et les faict voller comme un oyseau tant quil sera besoin et le coq mangera le renard et se noyera et estouffera dans leau puis reprenant vie par le feu sera (afin de jouer chacun leur tour) deacutevoreacute par

le renard raquo [Myst p 122]

Fulcanelli donne une citation se rapportant agrave la Clef III des Douze clefs de Basile LAdepte attire lattention sur la

devise favorite des alchimistes laquo Solve et Coagula raquo qui exprime entiegraverement le moyen et le but de lœuvre Cest cette extraction du Soufre rouge que lAdepte compare agrave ce monstre hybride tenant agrave la fois du coq et du renard Notez que lalleacutegorie sera mieux conccedilue et analyseacutee lorsque Fulcanelli examinera le portail central de la catheacutedrale dAmiens [Mystegravere planche XXV]

FIGURE XXXVIII 24)- la dureteacute ( la Reine terrasse le

Mercure Servus Fugitivus)

La dureteacute se situe agrave la planche XXI de louvrage de Fulcanelli Cest lune des figures les plus eacutenigmatiques des Vices et des Vertus Le commentaire quen donne lAdepte est particuliegraverement subtil il eacutevoque la voie du laquo mercure commun raquo pris comme laquo vif-argent vulgaire raquo

laquo Une reine assise sur un trocircne renverse dun coup de pied le valet qui une coupe agrave la main vient lui offrir ses

services raquo [Myst p 126-127]

On ne pourra comprendre lalleacutegorie si lon na pas lu la Clavicule de Ramon Lull Car Fulcanelli joue ici sur une cabale spirituelle entre les expressions mercure vulgaire et mercure commun autrement dit il veut parler ici du premier

Mercure encore appeleacute Mercure des philosophes diffeacuterent du Mercure philosophique Degraves lors tout ce quil dit du laquo vif-argent vulgaire raquo doit ecirctre pris dans un sens charitable Cest agrave cette occasion quil cite un opuscule tregraves rare de Sabine Stuart de Chevalier Discours philosophique sur les Trois Principes ou la clef du Sanctuaire philosophique [Paris Quillau 1781] Et quil complegravete lextrait quil en donne par ce commentaire

laquo Le servus fugitivus dont nous avons besoin est une eau mineacuterale et meacutetallique solide cassante ayant laspect dune pierre et de liqueacutefaction tregraves aiseacutee Cest cette eau coaguleacutee sous forme de

masse pierreuse qui est lAlkaest et le Disssolvant universel [] raquo [Myst p 127]

Le lecteur trouvera dans les sections du Mercure de lArcanum duplicatum dans lhumide radical meacutetallique et dans la reacuteincrudation de quoi faire le tour du problegraveme

Nous avons termineacute leacutetude des meacutedaillons les plus importants de Notre-Dame de Paris en revisitant ce livre tant extraordinaire plein de poeacutesie et deacuterudition de lun des plus ceacutelegravebres alchimistes du XX

e

siegravecle Fulcanelli Dautres meacutedaillons appartenant agrave dautres demeures philosophales attendent decirctre deacutepoussieacutereacutes et revisiteacutes agrave leur tour Cette section eacutetant deacutejagrave deacutemesureacutee nous reacuteserverons donc peut-ecirctre un jour une section speacuteciale qui sattachera agrave leacutetude des derniers tableaux lapidaires de Notre-Dame de Paris qui est loin davoir livreacute tous ses secrets et agrave leacutetude de ceux de la catheacutedrale dAmiens suivant en cela le plan du Mystegravere des Catheacutedrales

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LART RELIGIEUX DU XIIIe SIEgraveCLE EN FRANCE ETUDE SUR LICONOGRAPHIE DU MOYEN

AGE ET SUR SES SOURCES DINSPIRATION par Emile Macircle Paris Armand Colin in-4deg 468 p et fig

FIGURE XXXIX

(portail de Notre-Dame Bourges - deacutetail clicheacute Alain Mauranne)

Il nest jamais trop tard pour rendre compte dun bon livre surtout quand une seconde eacutedition

en consacre toute la valeur M Macircle qui avait fait paraicirctre la premiegravere eacutedition de son

excellent ouvrage en 1808 sest attacheacute agrave le perfectionner en y ajoutant de nouvelles

remarques iconographiques mais il est regrettable que son eacutediteur ne se soit pas imposeacute les

sacrifices neacutecessaires pour lillustration quil eacutetait facile de puiser dans la preacutecieuse collection

de M Martin-Sabon Comme le sous-titre lindique beaucoup mieux que le titre le livre de M

Macircle est une eacutetude densemble sur liconographie des portails et des vitraux de nos grandes

catheacutedrales gothiques Il a donc eu raison de deacutebuter par lexposeacute des caractegraveres de

liconographie du moyen acircge et de la meacutethode agrave suivre pour linterpreacuteter On eacutetait trop porteacute agrave

chercher dans la Leacutegende doreacutee lunique explication dune foule de scegravenes sculpteacutees ou peintes

parles artistes M Macircle qui a mis en relief la valeur de la grande encyclopeacutedie de Vincent de

Beauvais connue sous le nom de Speculum majus et qui lui a emprunteacute les grandes divisions

de son ouvrage restitue agrave Martianus Capella grammairien du Ve siegravecle et agrave Honorius eacutevecircque

dAutun au XIIe siegravecle auteur du Speculum ecclesiae et de lElucidarium la place qui leur

revient dans les sources de linspiration iconographique Les premiers chapitres sont consacreacutes

agrave leacutetude des animaux symboliques des bestiaires des calendriers des sept arts libeacuteraux des

vertus et des vices Lauteur qui seacutelegraveve avec raison contre lexageacuteration du symbolisme

eacutetudie parallegravelement les sources et les repreacutesentations figureacutees en comparant les unes aux

autres les sculptures des grandes eacuteglises gothiques Si les artistes du moyen acircge avaient une

grande liberteacute dinterpreacutetation leurs œuvres deacuterivent cependant de la mecircme inspiration

Dailleurs linfluence du clergeacute sur le programme imposeacute aux sculpteurs et aux peintres

verriers les obligeait agrave rester fidegraveles aux traditions conserveacutees dans les ateliers

Linterpreacutetation symbolique de la Bible et ses origines a fourni agrave M Macircle loccasion

dexpliquer beaucoup de scegravenes peintes sur les vitraux de Bourges de Chartres et du Mans et

de donner la clef des scegravenes sculpteacutees dans les voussures du portail nord de la faccedilade de

Notre-Dame de Laon ougrave le sculpteur sest inspireacute dun sermon dHonorius Les figures et les

attributs des patriarches des prophegravetes et des rois de Juda que lauteur identifie avec les

personnages des galeries de Notre-Dame de Paris dAmiens de Reims et de Chartres sont

eacutetudieacutes avec le plus grand soin ainsi que les scegravenes de la vie du Christ et les paraboles

Abordant ensuite les traditions leacutegendaires sur lancien et le nouveau Testament et sur la

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Vierge qui ont leur source dans les Evangiles apocryphes lauteur commente lhistoire de

Theacuteophile et montre linfluence exerceacutee dans les ateliers par la Vitu Christi de Ludovic le

Chartreux et le De gloria martyrum de Greacutegoire de Tours ce qui lui permet dexpliquer les

scegravenes de plusieurs vitraux de la catheacutedrale du Mans Les caracteacuteristiques des saillis et la

Leacutegende doreacutee linfluence des pegravelerinages sur la populariteacute des saints linfluence des

donateurs et des corporations meacuteritaient un chapitre speacutecial ougrave M Macircle a fait dingeacutenieuses

observations sur linterpreacutetation artistique de lœuvre ceacutelegravebre de Jacques de Voragine Les

artistes du moyen acircge avaient un meacutediocre souci des grands hommes de lantiquiteacute mais ils

ont repreacutesenteacute parfois la belle Campaspe agrave cheval sur Aristote et Virgile dans la corbeille M

Macircle prouve que la seule sibylle reproduite au XIIIe siegravecle fut la sibylle Erythreacutee parce que

saint Augustin lui attribuait les fameux vers acrostiches sur le jugement dernier Il montre

ensuite les erreurs commises par Montfaucon et dautres archeacuteologues qui ont cru reconnaicirctre

des rois de France dans des statues qui repreacutesentent en reacutealiteacute des personnages bibliques ete

siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque nationale sur linspiration des artistes du moyen acircge qui

ont copieacute la bote agrave sept tecirctes la femme nimbeacutee deacutetoiles qui remet son enfant agrave un ange

lapparition divine qui porte une eacutepeacutee dans sa bouche Enfin dans une conclusion dont la

forme litteacuteraire est un veacuteritable modegravele il a montreacute la physionomie de nos grandes catheacutedrales

en prouvant que les artistes eacutetaient les interpregravetes dociles du clergeacute qui reacuteglait lordonnance

des sujets Cette theacuteorie est absolument conforme agrave la veacuteriteacute comme notre confregravere M Mortel

la prouveacute avec documents agrave lappui dans un article du Bulletin Monumental de 1902 De

mecircme M Macircle rectifie encore une fois la theacuteorie de Viollet-le-Duc sur lesprit de reacutevolte des

artistes laiumlques du XIIIe siegravecle contre lart theacuteocratique de leacutepoque romane et il ajoute de

nouveaux arguments agrave la savante reacutefutation de notre confregravere M Anthyme Saint-Paul Il

deacutefinit la catheacutedrale une œuvre de foi et damour et il deacutecouvre dans Notre-Dame de Chartres

la penseacutee mecircme du moyen acircge devenue visible On ne saurait mieux dire Eacutecrit dans un style

eacuteleacutegant et preacutecis louvrage de M Macircle sera le veacuteritable vade-mecum des archeacuteologues qui

veulent eacutetudier liconographie du XIIIe siegravecle en comprendre les sujets et en retrouver les

sources dans les monuments eacutecrits de la litteacuterature dans les livres saints dans les leacutegendaires

mais la grande valeur du texte forme un contraste trop frappant avec la rareteacute des illustrations

qui auraient ducirc ecirctre plus nombreuses et plus soigneacutees Il est impossible dexpliquer

liconographie du moyen acircge avec 127 figures mais chacun sait que les eacutediteurs nont pas sur

ce point les mecircmes ideacutees que les archeacuteologues E LEFEVRE-PONTALlS

LART RELIGIEUX DU XIIe SIECLE EN FRANCE ETUDE SUR LES ORIGINES DE

LICONOGRAPHIE DU MOYEN AGE par Emile Macircle mdash Paris A Colin 1922 in 4deg IV-

459 p et 253 fig

Quand on cherche a se rendre compte des difficulteacutes que dut aborder M Macircle pour reacutesoudre les nombreux problegravemes qui se preacutesentent dans son livre on a limpression que ses deux premiers ouvrages sur le XIII

e siegravecle et sur la fin du moyen acircge eacutetaient tacircche facile agrave cocircteacute de celui-lagrave Cest

quici M Macircle a ducirc rechercher les sources lointaines auxquelles ont puiseacute nos artistes romans qui voulaient deacutecorer leurs eacuteglises de scegravenes religieuses Avec ce don de la clarteacute qursquoil possegravede au plus haut point il a mis en bonne lumiegravere celte question des origines de notre art roman Selon lui lantiquiteacute classique lart gallo romain lart des catacombes de la Rome chreacutetienne nont eu quune action tregraves restreinte sur lart chreacutetien de notre pays au XII

e siegravecle et il confirme dune maniegravere

deacutefinitive lopinion des archeacuteologues de notre temps suivant laquelle cest agrave lOrient chreacutetien que les artistes romans allegraverent demander presque tous leurs modegraveles Mais dans lart quon appelle oriental dun terme trop geacuteneacuteral il distingue avec beaucoup de finesse lart chreacutetien des villes grecques dOrient deacutesigne souvent par un abus de langage sous le nom dart helleacutenistique et lart chreacutetien syrien Ainsi lon trouve en mecircme temps lempreinte dune part des eacuteglises dAlexandrie dAntioche et dEphegravese dautre part celle de lart des eacuteglises de Jeacuterusalem et des eacuteglises de Syrie de Palestine et de Meacutesopotamie auquel M Macircle rattache les œuvres des monastegraveres coptes dEgypte et celles des eacuteglises de Cappadoce Cest donc dun art chreacutetien tregraves ancien des IV

e V

e et VI

e siegravecles que nos

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artistes firent des emprunts il en reacutesulte que la place consideacuterable que lon faisait jusquici agrave lart byzantin agrave lart de Constantinople des IX

e X

e et XI

e siegravecles eacutetait beaucoup trop importante Certes

nos artistes puisegraverent agrave cette source mais moins freacutequemment quon ne la cru Avant leacuteclosion de lart byzantin la Gaule meacuterovingienne et carolingienne avait deacutejagrave reccedilu de lOrient des manuscrits

enlumineacutes et cest lagrave que les artistes avaient chercheacute des inspirations leurs successeurs jusquau XIIe

siegravecle veacutecurent de ce vieux fonds Nous ne pourrons analyser tous les chapitres de louvrage de M Macircle dans lequel on retrouve cette langue harmonieuse sobre et preacutecise ougrave lon devine une note deacutemotion mecircleacutee parfois denthousiasme qui rend si captivante la lecture de ses livres Ceux qui suivent avec inteacuterecirct tout ce quil publie connaissaient deacutejagrave certaines des ideacutees eacutemises dans ce volume par plusieurs articles parus ces derniegraveres anneacutees dans la Revue de Paris la Revue de lart ancien et moderne et la Gazette des Beaux-Arts Lauteur apregraves avoir fait connaicirctre tout ce que lart meacutedieacuteval de nos pays devait agrave lart chreacutetien dOrient eacutetudie quelle part doriginaliteacute nos artistes romans ont pu apporter dans leurs compositions quelles inspirations leur sont venues quels sentiments les ont guideacutes pour leur faire creacuteer des œuvres nouvelles dont tantocirct la puissance et la graviteacute tantocirct la deacutelicatesse et la gracircce provoquent encore notre eacutetonnement et notre admiration Il nous montre successivement comment liconographie sest enrichie par la liturgie et par les drames liturgiques par les textes theacuteologiques par linfluence dhommes tels que Suger qui joignant leacuterudition au goucirct des arts fit pour orner magnifiquement sa basilique de Saint-Denis venir de tous les pays des artistes reacuteputeacutes deacutecida lui-mecircme quelles scegravenes alleacutegoriques seraient repreacutesenteacutees et composa les distiques destineacutes agrave expliquer ces scegravenes Ainsi cest apregraves Suger apregraves lexeacutecution des œuvres merveilleuses de Saint-Denis quun symbolisme savant se reacutepandit dans liconographie symbolisme dont les grands ateliers du nord de la Loire tels que Chartres et Le Mans firent leur profit Dans la suite ces ateliers exercegraverent sur dautres reacutegions notamment sur le midi de la France leur influence dont la trace persistera pendant tout le XIII

e siegravecle Le culte des saints contribua aussi agrave lenrichissement de

liconographie dont on constate que la varieacuteteacute saccroicirct davantage agrave mesure quon avance dans le XIIe siegravecle chaque province ayant ses deacutevotions particuliegraveres les artistes repreacutesentaient plus volontiers dans telle reacutegion les scegravenes de la vie des saints qui y eacutetaient plus speacutecialement veacuteneacutereacutes Les pegravelerinages les grandes routes de Rome de Compostelle et de Terre-Sainte amenegraverent de nombreux eacutechanges dinfluences artistiques entre des reacutegions tregraves eacuteloigneacutees tant en ce qui concerne larchitecture que les arts mineurs Enfin les Ordres monastiques Cluny surtout eurent une part consideacuterable dans le deacuteveloppement et lexpansion des arts Nous avons dit rapidement comment M Macircle avait reacutesolu le problegraveme des origines de liconographie a leacutepoque romane et comment il avait montreacute limportance de lapport personnel de nos artistes dans lenrichissement de cette iconographie M Macircle a encore abordeacute deux questions qui sont intimement lieacutees ensemble Lune delles consiste agrave rechercher dans quelle province de notre pays seacutelabora la renaissance de la sculpture romane et dans quelles reacutegions dans la suite elle se deacuteveloppa progressivement Lautre question a pour objet deacutetablir comment les sculpteurs de la fin du XI

e siegravecle retrouvegraverent un art disparu depuis plus de

quatre siegravecles dont la technique avait eacuteteacute complegravetement oublieacutee dans nos pays et quels furent les modegraveles dont ils sinspiregraverent Pour M Macircle la reacuteponse au premier problegraveme est la suivante cest agrave Toulouse et agrave Moissac quest reacuteapparu lart de la sculpture dans la pierre Une inscription nous apprend que le cloicirctre de Moissac fut construit en lan 1100 du temps de labbeacute Anquetil dans ce cloicirctre se trouvent de nombreux chapiteaux et certains de ses piliers sont deacutecoreacutes de grands panneaux au nombre de dix dont chacun est orneacute dun personnage en bas relief Une chronique de la fin du XIV

e siegravecle nous dit que le magnifique portail dont le tympan contient les figures du Christ en

majesteacute et des vingt quatre vieillards de lApocalypse fut eacuterigeacute par le mecircme abbeacute qui mourut en 1115 Ce tympan que lon voulait jusquici dater dune eacutepoque plus avanceacutee du XII

e siegravecle est le plus ancien

monument de sculpture monumentale que nous posseacutedions Le portail de Beaulieu (Corregraveze) a de grands traits de ressemblance avec celui de Moissac dont il fut inspireacute sans aucun doute Suger raconte lui-mecircme quil fit venir de tregraves loin pour la deacutecoration de sa basilique des artistes nombreux Voumlge avait eacutemis lopinion que parmi ces artistes se trouvaient des sculpteurs du Languedoc Une deacutecouverte de M Macircle vient fortifier cette hypothegravese Le tympan de Saint-Denis moins restaureacute quon ne la cru est orneacute dune scegravene du Jugement dernier qui preacutesente une ressemblance frappante avec le Jugement dernier du tympan de Beaulieu Ainsi trois phases se preacutecisent dans leacutevolution de la statuaire pendant la premiegravere moitieacute du XII

e siegravecle Toulouse et Moissac avant 1115 puis Beaulieu

puis Saint-Denis vers 1135 Suivant M Macircle lœuvre de Saint-Denis eut un retentissement consideacuterable Suger venait de creacuteer cette merveille que fut le portail gothique avec son tympan deacutecoreacute dune grande scegravene bien ordonneacutee ses voussures chargeacutees de personnages faisant cortegravege agrave cette scegravene ses pieacutedroits et ses colonnes ougrave sadossaient des statues qui semblaient accueillir le visiteur precirct a peacuteneacutetrer dans leacuteglise Le type eacutetait fixeacute deacutefinitivement et pendant longtemps on ne seacuteloigna guegravere de ce modegravele Les artistes dIle de France limitegraverent a lenvie puis ceux de reacutegions plus

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eacuteloigneacutees Le Comte de Lasteyrie dans un brillant exposeacute sur leacutevolution de la sculpture romane avait agrave grands traits dessineacute la courbe de cette eacutevolution qui partant du sud-ouest montait vers lIle-de-Franccedile et redescendait vers la Provence M Macircle na pas modifieacute ce traceacute il en a au contraire confirmeacute lexactitude en donnant des preacutecisions nouvelles en montrant les principales eacutetapes suivies par les artistes languedociens en exposant comment un nouveau centre dinfluence seacutetait formeacute ensuite dans le nord gracircce au merveilleux monument eacuteleveacute par Suger En suivant lexposeacute de M Macircle ses deacutemonstrations qui paraissent si satisfaisantes pour lesprit on a limpression que tout seacuteclaire que tout se simplifie et que les deacuteductions senchaicircnent agrave merveille Mais agrave la reacuteflexion on se demande si les arguments preacutesenteacutes sont aussi probants que le pense lauteur sil napporte pas quelquefois dune maniegravere trop absolue des affirmations dans des questions ougrave les teacutemoignages sont si rares ougrave tant de monuments font deacutefaut qui seraient indispensables pour emporter la conviction Toutefois il nous paraicirct que la thegravese si seacuteduisante de M Macircle doit ecirctre retenue dans ses grandes lignes Nous ne ferons que deux observations qui nont dailleurs nullement pour but dinfirmer lensemble de sa theacuteorie Tout dabord nous ne croyons pas que le portail de Moissac appartienne agrave la date que M Macircle lui assigne Dans un meacutemoire eacutecrit avant la publication du livre de M Macircle et qui doit paraicirctre dans le Bulletin archeacuteologique nous exposions les raisons qui nous faisaient consideacuterer que les grands bas-reliefs du cloicirctre et sans doute une partie de ses chapiteaux dataient de labbatiat dAnquetil (1085-1115) Linscription graveacutee en 1100 sur un des piliers atteste quon travaillait alors dans le cloicirctre Une preuve aussi formelle nexiste pas pour le portail dont les sculptures sont dailleurs dun art infiniment plus avanceacute que les bas-reliefs du cloicirctre Le seul teacutemoignage que nous posseacutedions est celui dAimery de Peyrac abbeacute de Moissac de 1377 agrave 1406 qui reacutedigea la chronique de labbaye

FIGURE XL

(portail de Moissac XIe siegravecle)

Les anciennes œuvres dart conserveacutees agrave Moissac et dans ses prieureacutes inteacuteressaient vivement labbeacute Aimery qui en parle comme en parlerait un archeacuteologue de nos jours mais avec moins de prudence et sans aucun discernement Il simprovise successivement critique dart eacutepigraphiste et philologue et il se montre aussi ignorant dans lune ou lautre de ces matiegraveres Ses observations lui font attribuer agrave telle eacutepoque tel monument en sappuyant sur les comparaisons tout agrave fait sans valeur parlant de linscription du cloicirctre graveacutee du temps de labbeacute Anquetil il nous dit quune autre inscription se trouve dans leacuteglise qui rappelle une conseacutecration faite en 1063 et trouvant les caractegraveres eacutepigraphiques semblables il suppose que labbeacute Anquetil fit aussi graver cette inscription Mais nous avons observeacute sur place que les deux inscriptions preacutesentent des diffeacuterences de caractegraveres notables et ne peuvent appartenir agrave la mecircme eacutepoque Cest une comparaison aussi deacutenueacutee de fondement qui fit attribuer par Aimery de Peyrac la deacutecoration du portail agrave labbeacute Anquetil Il avait remarqueacute que des imbrications ornaient certaines faces les piliers du cloicirctre non deacutecoreacutees de bas-reliefs et que ces imbrications se retrouvaient sur le trumeau du portail puis faisant un rapprochement entre le nom dAnsquitilius quil

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appelle Asquilinus et le mot latin squilla qui deacutesigne une espegravece de poisson il deacuteclare que cest Anquetil qui fit graver ces imbrications semblables agrave des eacutecailles de poisson pour rappeler son nom Or lon sait que ce deacutecor Histoire de lArt M Andreacute Michel qui attribue le merveilleux tympan de Moissac au successeur dAnquetil labbeacute Roger (1115-1131) dont la statue fut placeacutee en haut de ce portail sans doute pour commeacutemorer son œuvre Notre seconde observation sera la suivante Suger aurait au portail de Saint-Denis groupeacute trois eacuteleacutements essentiels dont la reacuteunion devait faire le portail gothique un tympan orneacute dune grande scegravene religieuse telle que celle du Jugement dernier dont le modegravele venait du Languedoc des voussures chargeacutees de personnages en union avec cette scegravene semblables aux sculptures dont les artistes du Poitou et de la Saintonge chargeaient les voussures de leurs portails Enfin le troisiegraveme eacuteleacutement les statues-colonnes serait une creacuteation de Suger Or rien ne prouve que les statues-colonnes de Saint-Denis datent du temps de Suger et il nest pas absolument deacutemontreacute non plus quelles aient eacuteteacute les premiegraveres agrave orner un portail Il serait surprenant quon eucirct composeacute du premier coup un ensemble de cette importance Suger qui parle des portes de bronze placeacutees agrave lentreacutee de sa basilique et des scegravenes qui y eacutetaient repreacutesenteacutees ne dit rien de ces statues du portail Il semble que sil avait entiegraverement creacuteeacute cet eacutetrange deacutecor il en aurait fait mention A notre sentiment lideacutee de placer des statues devant les colonnes dun portail de les allonger de les eacutetirer pour quelles fassent corps avec ces colonnes sans en deacutepasser leacutepaisseur est venue progressivement insensiblement Ces statues ont leur origine dans des bas-reliefs de petite dimension superposeacutes sur les montants des portails comme ceux des eacuteglises lombardes dans les figurines placeacutees les unes au-dessus des autres et graveacutees plutocirct que sculpteacutees qui ornent les colonnettes du portail des Orfegravevres agrave Saint-Jacques de Compostelle enfin dans des statuettes fixeacutees contre des colonnes comme les statuettes de Saint-Ouentin-legraves-Beauvais (Museacutee de Beauvais) Le bas-relief sest accentueacute pour devenr une statue la statuette sest allongeacutee pour avoir la taille de la colonne Une autre question poseacutee par M Macircle avait pour but deacutetablir comment les premiers sculpteurs romans avaient retrouveacute leur technique agrave quel art en honneur alors ils avaient demandeacute des modegraveles La reacuteponse de M Macircle nous paraicirct trop absolue et trop exclusive Cest selon lui la miniature qui a joueacute presque uniquement le rocircle dinitiatrice pour les premiers sculpteurs romans Il le dit dune faccedilon tregraves preacutecise

laquo La miniature a joueacute un rocircle deacutecisif Elle explique agrave la fois laspect tourmenteacute de notre sculpture naissante et le caractegravere profondeacutement traditionnel de notre iconographie raquo

Et plus loin

laquoCet art (de la statuaire) comment les artistes lont-ils retrouveacute Tel est le problegraveme quon a sans grand succegraves jusquagrave preacutesent essayeacute de reacutesoudre On a rappeleacute que le culte des reliques avait pris degraves le X

e siegravecle dans la France meacuteridionale une forme singuliegravere on les placcedilait agrave linteacuterieur dune

statue de bois revecirctue dor Lapparition de ces statues agrave la fin de lacircge carolingien est un fait inteacuteressant Mais je nen suis pas moins convaincu que ces effigies hieacuteratiques nont eu aucune influence sur la naissance du grand art monumental Car ce nest pas sous la forme de la statue que la sculpture a reparu mais sous la forme du bas-relief Il se passera bien des anneacutees avant que lon rencontre en France une image deacutetacheacutee du mur Sil en est ainsi il est clair quil ne faut pas aller demander aux statues reliquaires du plateau central le secret des origines de la sculpture Ce secret est ailleurs Je voudrais montrer ici quagrave Moissac aussi bien quen Auvergne en Bourgogne ou en Provence le bas-relief na guegravere eacuteteacute agrave lorigine quune transposition de la miniature raquo

laquo Plusieurs singulariteacutes de notre sculpture primitive les eacutetoffes colleacutees au corps les plis concentriques sur la poitrine et les genoux ne peuvent sexpliquer que par limitation de la miniature qui a donneacute agrave la sculpture du XIIe siegravecle quelque chose de tourmenteacute de calligraphique La miniature ne fut pourtant pas le modegravele unique Nous verrons que les dessins des eacutetoffes persanes byzantines arabes furent eacutegalement imiteacutes Nous devinons dautres modegraveles encore Il se peut que les ivoires qui donnaient le relief aient eacuteteacute parfois consulteacutes Il semble dautre part que les petits bas-reliefs tailleacutes agrave plat sur les dalles encastreacutees dans les murs perpeacutetuent une ancienne tradition Tous ces modegraveles nen doivent pas moins rester au second plan pour nos sculpteurs la vraie source dinspiration fut la miniature raquo

Si les sculpteurs cherchaient dans les manuscrits le secret de la forme humaine il est bien eacutevident quils leur empruntaient aussi les types sacreacutes et les dispositions des scegravenes religieuses Ainsi selon M Macircle cest presque exclusivement dans les miniatures tant pour les scegravenes agrave repreacutesenter que pour lexeacutecution mecircme des figures dans la pierre que les sculpteurs romans cherchegraverent des modegraveles Nous ne partageons pas cette opinion les sculpteurs romans firent dans des proportions tregraves diffeacuterentes il est vrai des emprunts agrave tous les arts IIs sinspiregraverent non seulement des manuscrits et

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des tissus orientaux comme M Macircle la tregraves bien observeacute mais aussi des peintures murales et des mosaiumlques Quelques-uns mecircme copiegraverent des bijoux barbares telle cette pierre de Glanfeuil orneacutee dun oiseau ou ce chapiteau de la crypte de Saint-Beacutenigne de Dijon ougrave lon voit un perroquet semblable agrave ceux des fibules meacuterovingiennes telles ces tecirctes de taureau freacutequentes dans les modillons normands et qui rappellent aussi certaines fibules Ils imitegraverent assureacutement des modegraveles gallo romains et en particulier des sarcophages Les sculptures du tombeau du XI

e siegravecle de

saint Agilbert agrave Jouarre celles de la table dautel de Saint Sernin de Toulouse (vers 1096) celles du tympan de Saint Ursin de Bourges celles du tombeau de Saint-Hilaire (Aude) (XII

e siegravecle) sont

inspireacutees de modegraveles gallo romains Deux des personnages sculpteacutes dans les grands bas-reliets du deacuteambulatoire de Saint Sernin de Toulouse qui apparaissent drapeacutes dans leur toge ne sont-ils pas imiteacutes de quelque statue dorateur rencontreacutee dans les ruines du forum dune ville de Gaule Ce nest pas dans les manuscrits que les artistes cherchegraverent lideacutee de colonnes toises telles que celles du portail dAvaIlon Navaient-ils pas sous les yeux des colonnes semblables agrave celles de Notre-Dame de la Daurade de Toulouse dont quelques unes sont parvenues jusquagrave nous

FIGURE XLI

(le baiser de Judas clicheacute Bernard Delorme - Notre-Dame de la Daurade Toulouse)

Ce nest pas aux manuscrits mais aux sarcophages que les sculpteurs ont pris ces imbrications que lon trouve agrave Moissac et agrave Toulouse II faut constater quici comme en bien dautres circonstances miniaturistes et sculpteurs ont puiseacute agrave la mecircme source Il faut eacutegalement faire place aux influences reacuteciproques aux eacutechanges qui ont pu se faire dun art agrave lautre Les anges soutenant une gloire ronde dans laquelle se trouve une figure divine qui ornent dune faccedilon si gracieuse des tailloirs au cloicirctre de Moissac et au cloicirctre de Tarragone et quon rencontre aussi sur le linteau de la porte nord de Saint-Michel de Pavie se retrouvent sur des ivoires ils sont un souvenir des antiques geacutenies aileacutes supportant un cartouche Bien des thegravemes deacutecoratifs en honneur chez les sculpteurs romans ont eacuteteacute emprunteacutes agrave la grammaire ornementale gallo-romaine Ce nest pas la pourtant que nos artistes prirent principalement leurs modegraveles il faut prendre garde que ces deacutebutants qui tentaient de faire revivre un art abandonneacute depuis plus de quatre siegravecles avaient agrave retrouver le relief et quagrave cette eacutepoque dautres artistes utilisant dautres matiegraveres que la pierre savaient exeacutecuter des figures en relief Nous voulons parler des fondeurs et des orfegravevres cest surtout agrave ceux-ci que nos premiers sculpteurs demandegraverent des leccedilons M Macircle refuse toute influence dans la renaissance de la sculpture agrave ces statues de bois revecirctues de feuilles de meacutetal a ces laquo majesteacutes dor raquo qui eacutetaient en honneur en Auvergne au X

e et au XI

e siegravecle et dont M Louis Breacutehier a montreacute tout linteacuterecirct quelles preacutesentaient

pour larcheacuteologie Il croit trouver un argument absolu pour nier cette influence dans ce fait que ces laquo majesteacutes raquo eacutetaient des statues et que les premiers sculpteurs ne senhardirent tout dabord quagrave exeacutecuter des bas-reliefs Mais nest-il pas logique de penser quils imitegraverent les bas-reliefs quils pouvaient voir exeacutecuter de leur temps Pendant tous les siegravecles du moyen acircge on sculpta des figures de petite dimension dans livoire M Macircle concegravede bien que les objets divoire notamment les coffrets musulmans dEspagne du X

e et du XI

e siegravecle purent jouer leur rocircle mais il ne fait aucune allusion agrave

lart de la fonte aux arts dorfegravevrerie qui ne cessegraverent jamais decirctre pratiqueacutes aux portes de bronze orneacutees de nombreuses scegravenes telles que celles dHildesheim du deacutebut du XI

e siegravecle aux couvertures

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deacutevangeacuteliaires aux reliquaires de formes varieacutees aux chacircsses rehausseacutees de figures de meacutetal aux ciboria aux devants dautel et aux tombeaux que lon couvrait de plaques dargent ou dor orneacutees de personnages en haut relief et dassez grande dimension Les monuments de ce genre qui ont eacuteteacute conserveacutes sont tregraves rares agrave toute eacutepoque on les fit fondre pour tirer parti des meacutetaux preacutecieux dont ils eacutetaient composeacutes Mais les textes viennent dans une certaine mesure suppleacuteer labsence des monuments quand on parcourt les chroniques du VIII

e au XII

e siegravecle on est stupeacutefait de voir la

richesse inouiumle des treacutesors dorfegravevrerie que posseacutedaient certaines eacuteglises au moyen acircge Il neacutetait pas dabbaye importante au deacutebut de leacutepoque romane qui neucirct ses chacircsses et son parement dautel orneacutes de figures dargent ou dor repousseacute Une place importante eacutetait faite dailleurs aux arts du meacutetal dans le ceacutelegravebre ouvrage du moine Theacuteophile qui explique en deacutetail les meacutethodes agrave suivre pour fondre le bronze ou pour exeacutecuter des reliefs dargent ou dor par le proceacutedeacute du repousseacute et les terminer par la ciselure De cette profusion doeuvres dorfegravevrerie que les chroniques nous font connaicirctre quelques magnifiques exemples nous restent tels sont le parement dautel de Saint-Ambroise de Milan (IX

e

siegravecle) et le devant dautel de la catheacutedrale de Bacircle exeacutecuteacute vers 1020 et conserveacute aujourdhui au museacutee de Cluny des dessins du XVII

e et du XVIII

e siegravecle nous ont gardeacute aussi de quelques

monuments ceacutelegravebres un souvenir plus preacutecis que celui auquel peut preacutetendre une description Ces teacutemoins suffisent pour nous donner une preuve certaine des emprunts quont faits les sculpteurs aux monuments dorfegravevrerie Limitation est parfois si eacutevidente quon peut se demander si certains orfegravevres comme aussi certains ivoiriers ne simprovisegraverent pas sculpteurs sur pierre Certaines sculptures ont des reliefs peu accuseacutes qui font penser aux figures obtenues dans le meacutetal par le proceacutedeacute du repousseacute telles sont entre cent autres le Christ de Saint-Amour-Bellevue (Saocircne-et-Loire) les Anges placeacutes aux eacutecoinccedilons du portail de Notre-Dame dEtampes et certaines figures tourmenteacutees de la Porte Mieacutegeville agrave Saint-Sernin de Toulouse dautres telles que les figures des tympans de Saint-Sauveur de Nevers et de Champagne (Ardegraveche) paraissent couleacutees dans le bronze tandis que le tympan de Pompierre (Vosges) avec le curieux encadrement dentrelacs de son linteau paraicirct copieacute sur un coffret divoire Dans nos sculptures romanes le dessin des figures les plis des vecirctements colleacutes au corps et le bas des robes semblant souleveacute par le vent ne sont pas neacutecessairement limitation des proceacutedeacutes de la calligraphie quon jette un coup dœil sur lautel de Bacircle on apercevra ces plis colleacutes au corps sur tous les personnages et lon remarquera le retroussis au bas de la robe du Christ Si lon vient aux deacutetails on trouvera imiteacutees dans la pierre les pacirctes de verre qui encadrent les bas-reliefs de meacutetal sur les couvertures deacutevangeacuteliaires et chose plus curieuse encore les sculpteurs ont parfois imiteacute dune faccedilon si scrupuleuse leurs modegraveles dorfegravevrerie quon rencontre des inscriptions qui au lieu decirctre graveacutees ont leurs lettres en relief semblables agrave celles qui se trouvent en repousseacute sur les feuilles de meacutetal des reliquaires ou sur des plaques de bronze bas-relief agrave Saint-Sernin de Toulouse avec linscription sanctus Saturninus tympans de Marcillac (Lot) et de Mervilliers( Eure-et-Loir) Les sculpteurs ont emprunteacute parfois aux monuments dorfegravevrerie la composition de leurs scegravenes Les textes nous deacutecrivent des devants dautel dor ougrave lon voyait le Christ en majesteacute accompagneacute des quatre animaux et parfois des Apocirctres disposeacutes sous la gloire du Christ ou agrave ses cocircteacutes sur plusieurs registres Les mecircmes figures se retrouvent avec une semblable ordonnance sur nos tympans Celui de Carennac (Lot) nous en fournit un remarquable exemple La disposition dune seacuterie darcades en plein cintre reposant sur des colonnettes et abritant chacune un personnage assis ou debout que lon rencontre si souvent sur nos plus vieilles sculptures romanes (linteaux de Saint-Genis-des-Fontaines de Saint-Andreacute de Soregravede) du plus ancien portail de Charlieu de Chacircteauneuf (Saocircne-et-Loire) puis plus tard linteaux des portails des catheacutedrales du Mans de Bourges de leacuteglise Saint-Loup-de-Naud) est imiteacutee des ivoires des chacircsses (chacircsse du treacutesor de la catheacutedrale de Cividale X

e siegravecle) et des

devants dautel (autel dor de la catheacutedrale de Bacircle) Nos artistes allegraverent plus loin ils sinspiregraverent de ces modegraveles pour deacutecorer des faccedilades entiegraveres deacuteglises et il semble que certaines faccedilades deacuteglises de lOuest en particulier soient une reacuteplique magnifiquement deacuteveloppeacutee de quelque parement dautel Telles sont les faccedilades des eacuteglises de Peacuterignac (Charente-Infeacuterieure) de Notre-Dame la Grande de Poitiers et de la catheacutedrale dAngoulecircme avec leurs seacuteries darcades encadrant chacune un personnage Sil nous reste bien peu de vestiges de ces parements dautel dargent ou dor si nombreux agrave leacutepoque romane nous pouvons nous rendre compte de ce quils eacutetaient par les reacutepliques de ces monuments dorfegravevrerie quon fabriquait eacuteconomiquement en bois sculpteacute ou simplement en couvrant une piegravece de bois de peintures et en encadrant celles-ci dornements de placirctre ou de stuc formant un faible relief Les Museacutees de Vich et de Barcelone conservent deux importantes collections de ces antependia dont M Folch le tregraves distingueacute Directeur des Museacutees de Barcelone publiera prochainement les reproductions en y joignant une eacutetude sur lindustrie de ces inteacuteressants monuments catalans et sur ce proceacutedeacute qui consistait agrave faire des encadrements en relief avec de la laquo pastaraquo appliqueacutee agrave laide dun cornet Lun des antependia du museacutee de Vich eacutetait orneacute lorsquil eacutetait intact de douze figurines de bois dont cinq subsistent repreacutesentant les Apocirctres debout sous douze

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arcades placeacutees sur deux rangs au milieu se trouve le Christ en majesteacute dans une gloire ovale que flanquaient les quatre animaux Les devants dautel chargeacutes de figures de meacutetal neurent pas seulement des reacutepliques de bois sculpteacute dans la suite on exeacutecuta des autels qui eacutetaient orneacutes de bas-reliefs de pierre faits agrave leur imitation Les autels dAirvault (Deux-Segravevres) et dAvenas (Rhocircne) en sont des exemples Le beau tombeau de Saint-Junien (Haute-Vienne) qui est orneacute de bas-reliefs de pierre repreacutesentant le Christ en majesteacute la Vierge avec lEnfant dans une gloire et les Vieillards de lApocalypse rappelle les antependia que nous deacutecrivent les textes il rappelle aussi dailleurs certains tombeaux qui eacutetaient complegravetement recouverts de feuilles de meacutetal orneacutees de bas-reliefs tels que ceux de saint Riquier dans labbaye consacreacutee agrave ce saint et de saint Benoicirct agrave Fleury-sur-Loire Nos premiers sculpteurs durent avoir quelquefois eacutegalement sous les yeux des surfaces sculpteacutees de mecircme apparence et presque de mecircme dimension que les tympans quils allaient deacutecorer nous voulons parier des ciboria portant sur leurs arcades des pignons verticaux couverts de figures en relief Pendant les siegravecles qui preacuteceacutedegraverent immeacutediatement le XII

e siegravecle si les artistes ne se

hasardegraverent pas agrave sculpter des images dans la pierre il semble quils aient quelquefois tenteacute dutiliser des matiegraveres plus tendres telles que le placirctre le stuc et la terre cuite Les figures de stuc de Disentis (Grisons) qui paraissent dater du VIII

e siegravecle en sont un teacutemoignage Des ciboria de mecircme aspect que

ceux de Saint-Ambroise de Milan et de San Pietro al Monte sopra Civate avaient ducirc ecirctre orneacutes de figures de stuc ou de terre cuite agrave cocircteacute de monuments plus riches sur les frontons desquels on appliquait des reliefs dargent doreacute La ressemblance dune des faces de ces ciboria avec un tympan sculpteacute est frappante Ces quelques observations sur lesquelles nous nous proposons de revenir prochainement suffisent pour montrer limportance que purent avoir dans la renaissance de la sculpture les arts ougrave le relief eacutetait pratiqueacute Cest surtout en imitant des modegraveles dorfegravevrerie et divoire que les sculpteurs cherchegraverent agrave retrouver le secret de leur art Le rocircle de la miniature nen fut pas moins consideacuterable cest agrave elle quest ducirc lenrichissement de liconographie religieuse au XII

e siegravecle

Les sculpteurs et les verriers trouvegraverent dans les images des manuscrits une source abondante de sujets ils ne se firent pas faute dy chercher lindication des scegravenes quils voulaient reproduire M Macircle la montreacute dune faccedilon tout agrave fait convaincante En lisant Ies pages de son livre ou bien souvent il avait agrave deacuteplorer la disparition de preacutecieux monuments nous avons penseacute aux lignes eacutemouvantes quil eacutecrivait apregraves lincendie de la catheacutedrale de Reims en septembre 1914

laquo Quand la France apprit que la catheacutedrale de Reims eacutetait en flammes disait-il tous les cœurs se serregraverent le monde entier seacutemut de ce crime on sentit quune eacutetoile avait pacircli que la beauteacute avait diminueacute sur la terre raquo

A cocircteacute des monuments de notre pays mutileacutes par le temps lignorance et la haine il en est beaucoup dautres qui subsistent et quon neacuteglige trop souvent de contempler Le livre de M Macircle contribuera agrave les taire mieux connaicirctre et agrave les faire aimer car il a mis non seulement son eacuterudition profonde mais aussi son cœur au service de cette œuvre qui est le reacutesultat de trente anneacutees defforts

Paul DESCHAMPS

Voici agrave preacutesent un exposeacute sur la repreacutesentation des Saints dans lart du Moyen Acircge Il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant que les alchimistes ont tregraves souvent fait appel aux saints dans leurs alleacutegories le preacutesent traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant eacutetant ici des plus reacuteveacutelateurs Il paraissait donc inteacuteressant de faire le point sur la repreacutesentation de ces saints vers le XII

e et le XIII

e siegravecle Cest

directement en compagnie dEmile Macircle que nous effectuerons ce trajet

LES PREMIEgraveRES REPREacuteSENTATIONS DES SAINTS DANS LART DU MOYEN AGE

En France les images des saints commencent agrave apparaicirctre dans lart monumental du XIIe siegravecle Elles

sont rares encore et ce nest quavec une certaine reacuteserve quelles sintroduisent dans leacuteglise elles nen sont que plus curieuses et il y a un vif inteacuterecirct agrave surprendre agrave ses origines cette glorification des saints par lart Au XII

e siegravecle les saints se montrent rarement dans les portails qui sont laisseacutes au

Christ et aux apocirctres mais ils sont souvent ceacuteleacutebreacutes ailleurs On les voit repreacutesenteacutes aux chapiteaux de leacuteglise et du cloicirctre on les voit peints aux murs du sanctuaire Les orfegravevres les eacutemailleurs racontaient leur histoire sur des chacircsses ou ciselaient leurs bustes pour les autels Quelques verriegraveres deacutejagrave leur eacutetaient consacreacutees Mais de tant doeuvres il ne reste aujourdhui que des deacutebris les cloicirctres et leurs chapiteaux historieacutes ont eacuteteacute deacutetruits les fresques effaceacutees les Vitraux briseacutes les chacircsses fondues Nos pertes ont eacuteteacute immenses car lart du XII

e siegravecle a eacuteteacute beaucoup plus eacuteprouveacute par le

temps et les reacutevolutions que lart du XIIIe et cest au milieu de ces ruines quil faut aller chercher

quelques souvenirs du passeacute Pourtant quand on parcourt la France en interrogeant les pierres on

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retrouve encore ccedila et lagrave avec un singulier plaisir quelques-uns des chapitres de notre vieille histoire religieuse Dans plusieurs de nos provinces lart a conserveacute le souvenir des saints qui les illustregraverent premiers apocirctres de la foi martyrs eacutevecircques solitaires de la montagne ou de la forecirct Car ce ne sont pas les saints connus de la chreacutetienteacute tout entiegravere que repreacutesentent le plus volontiers nos artistes du XII

e siegravecle mais les saints provinciaux les saints locaux de lagrave linteacuterecirct de ces images qui ont pour

nous le charme dune flore indigegravene Cette histoire dailleurs nest bien souvent quune leacutegende Il y eut agrave diverses eacutepoques mais surtout au XI

e siegravecle un grand travail de creacuteation poeacutetique qui donna agrave

la vie de plusieurs de nos saints linteacuterecirct dun roman On fit aborder en France plusieurs personnages illustres de lEacutevangile auxquels on precircta des aventures nouvelles On multiplia les miracles Il se creacutea une sorte deacutepopeacutee chreacutetienne comparable aux Chansons de gestes qui naissaient alors Le geacutenie de cet acircge heacuteroiumlque et avide de merveilles sexprima agrave la fois par la leacutegende latine et par le poegraveme franccedilais Le saint et le heacuteros ces deux exemplaires supeacuterieurs de lhumaniteacute furent ceacuteleacutebreacutes avec la mecircme ferveur Si donc ces reacutecits ne nous apprennent rien sur les saints quils veulent glorifier ils nous apprennent beaucoup sur le moyen acircge lui-mecircme Il nous apparaicirct lagrave avec son profond ideacutealisme son asceacutetisme son deacutedain du reacuteel son ineacutebranlable conviction que la foi est la plus grande force de ce monde Ces leacutegendes aussi poeacutetiques parfois que les inventions de leacutepopeacutee eurent de bien autres conseacutequences elles creacuteegraverent des pegravelerinages elles firent surgir des eacuteglises elles les peuplegraverent dœuvres dart elles mirent en mouvement des millions dhommes Elles furent pour une foule dacircmes une consolation et une espeacuterance elles leur laissegraverent entrevoir degraves ce monde le regravegne de Dieu Commenccedilons par le Midi languedocien le pays de nos plus anciens sculpteurs ce voyage en France agrave la recherche des saints Toulouse avait conserveacute un profond souvenir de son premier apocirctre

FIGURE XLII (porte Miegravegeville - eacuteglise saint Sernin Toulouse)

[site consulteacute httppmaudefreefrSerninpresentationhtm - tympan sculpteacute occupeacute par un thegraveme unique celui

de lAscension Cette œuvre a justement eacuteteacute placeacutee au rang des chefs dœuvre de la sculpture romane Au centre

le Christ debout les mains leveacutees la tecircte tourneacutee vers le ciel est deacuterobeacute agrave la vue de ses disciples par les nueacutees deux anges laident agrave seacutelever tandis que quatre autres lacclament Sur le linteau les douze apocirctres gardent leurs

visages tourneacutes vers le ciel aux extreacutemiteacutes deux anges leur rappellent que lAscension est aussi la promesse du

Retour et du Royaume eacuteternel]

de ce Saturninus qui avait refuseacute lencens aux dieux de Rome un taureau furieux lavait traicircneacute ensanglanteacute sur les marches du Capitule Enseveli hors des murs saint Saturnin ou comme disait le peuple saint Sernin avait fait naicirctre une ville nouvelle autour de son tombeau La colossale eacuteglise Saint-Sernin la plus grande des eacuteglises romanes est le monument du heacuteros Mais on est surpris aujourdhui quand on visite leacuteglise de ny rencontrer aucune œuvre dart ancienne qui rappelle son souvenir Il nen eacutetait pas ainsi autrefois le pegravelerin qui arrivait devant le portail occidental eacutetait

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accueilli par un bas-relief du XIIe siegravecle repreacutesentant le martyr debout avec le taureau sous ses pieds

Mais deacutejagrave la leacutegende avait deacuteformeacute lhistoire Aux Actes de saint Sernin si sobres et dun caractegravere si antique des eacutepisodes nouveaux eacutetaient venus sajouter On racontait quil avait baptiseacute Austris la fille dAntoninus gouverneur de Toulouse qui dans la leacutegende nouvelle est devenu un roi Austris eacutetait leacutepreuse saint Sernin la gueacuterit en la plongeant dans la piscine baptismale On voyait donc au portail de leacuteglise un groupe repreacutesentant la jeune princesse baptiseacutee par saint Sernin Un autre bas-relief montrait le perseacutecuteur de lapocirctre le roi Antoninus assis sur son trocircne Ces œuvres quon peut imaginer fines et nerveuses comme toute la sculpture toulousaine du XII

e siegravecle ont disparu sans

laisser de trace et ne nous sont connues que par une ancienne description A lautre bout de la ville la catheacutedrale Saint-Eacutetienne perpeacutetuait de son cocircteacute le souvenir du premier eacutevecircque de Toulouse Dans le cloicirctre des chanoines un des plus anciens sanctuaires de lart franccedilais miseacuterablement deacutetruit en 1813 des statues du XII

e siegravecle sadossaient aux piliers ceacutetaient celles de saint Pierre de saint

Sernin de saint Exupegravere et dun diacre Saint Sernin eacutetait placeacute pregraves de saint Pierre parce que suivant la tradition qui avait preacutevalu alors lapocirctre de Toulouse avait reccedilu sa mission du premier des papes Ecce Saturninus quem miserat ordo latinus disait linscription laquo Voici saint Sernin envoyeacute par leacuteglise latine raquo Toulouse se donnait donc comme la fille spirituelle de Rome Saint Sernin eacutetait le heacuteros de la foi saint Exupegravere un de ses premiers successeurs eacutetait le heacuteros de la chariteacute En un temps de disette il avait vendu tous les ornements de leacuteglise et mecircme le calice et la pategravene pour nourrir les pauvres Lartiste de Toulouse lavait repreacutesenteacute un calice agrave la main ceacutetait le calice de verre qui avait remplaceacute le calice dargent pregraves de lui un diacre portait une pategravene dosier tresseacute sainte pauvreteacute des temps antiques qui touchait les cœurs Ainsi lart naissant avait voulu eacuteterniser la meacutemoire des deux plus grands saints de Toulouse on les y cherche vainement aujourdhui Mais ce quon ne trouve plus agrave Toulouse on le voit ailleurs car la gloire de saint Sernin rayonnait au loin Entre Carcassonne et lancien eacutevecirccheacute dAlet seacutelegraveve cacheacutee au fond dune valleacutee lancienne abbaye de Saint-Hilaire Ici un preacutecieux monument du passeacute nous a eacuteteacute fidegravelement conserveacute Un sarcophage du XII

e siegravecle sculpteacute sur toutes ses faces raconte le martyre de saint Sernin On le voit saisi par les

paiumlens au moment ougrave il annonce lEacutevangile Puis il est attacheacute au taureau quun bourreau excite de laiguillon des becirctes au visage presque humain grimacent autour du saint et semblent incarner la feacuterociteacute du vieux monde pendant que deux femmes contemplent le martyr avec attendrissement Ce sont les deux vierges saintes laquo les saintes puelles raquo qui vont lensevelir celles-lagrave mecircmes quon honorait sur la route de Carcassonne agrave Toulouse au Mas-Saintes-Puelles Bien loin de Saint-Hilaire de lautre cocircteacute de Toulouse le cloicirctre de Moissac ceacutelegravebre lui aussi la gloire de saint Sernin un chapiteau lui est consacreacute Le juge assis sur son siegravege vient de condamner

FIGURE XLIII (sarcophage ancienne abbaye de saint Hilaire)

[de cette scegravene lhermeacutetiste retiendra quelle sapparente agrave une autre ougrave la leacutegende affirme que Zeacutethos et

Amphion tuegraverent Lycos fils de Cadmos et attachegraverent son eacutepouse Dirceacute par les cheveux aux cornes dun

taureau sauvage qui la traicircna sur les rochers jusquagrave ce que mort sensuive On ajoute quAmphion fut tueacute par les

traits justiciers dApollon et dArteacutemis pour avoir insulteacute leur megravere Leacuteto cf reacutebus de saint Greacutegoire-sur-Viegravevre]

lapocirctre et deacutejagrave il a eacuteteacute attacheacute aux cornes du taureau Le Capitole est repreacutesenteacute sous laspect dune haute tour agrave eacutetages elle fait penser agrave la forteresse qui dominait Toulouse au moyen acircge agrave ce chacircteau narbonnais quon attribuait aux Romains Sur une autre face du chapiteau la main de Dieu sort du ciel pour recueillir lacircme du martyr Il subsiste donc encore on le voit quelques-unes des œuvres que lart du Midi avait consacreacutees agrave saint Sernin Si nous descendons la Garonne vers

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Bordeaux nous peacuteneacutetrons dans une province ougrave reacutegnaient dautres saints LAgenais eacutetait le domaine de sainte Foy de saint Caprais de saint Vincent martyrs de la grande perseacutecution de Diocleacutetien La jeune sainte Foy ameneacutee devant le gouverneur romain refusa de sacrifier cest pourquoi elle fut eacutetendue sur un gril de fer rouge puis deacutecapiteacutee Le courage de cette enfant de douze ans inspira des remords au pasteur du troupeau agrave saint Caprais qui seacutetait reacutefugieacute dans une grotte de la montagne Il assistait de loin au combat de la sainte et voyait dit la leacutegende des anges tenant une couronne au-dessus de sa tecircte Il se preacutesenta donc reacutesolument au gouverneur se proclama chreacutetien et livra sa tecircte au bourreau Quant agrave saint Vincent dont une leacutegende tardive fait le successeur de saint Caprais il voulut mettre fin au culte de Belenus et il arrecircta la roue enflammeacutee symbole du soleil que lon faisait descendre chaque anneacutee sur la pente de la colline Traicircneacute devant le magistrat romain il fut battu de verges et deacutecapiteacute On sattendrait agrave rencontrer agrave Agen au lieu mecircme du martyre de sainte Foy quelque belle œuvre de la sculpture romane consacreacutee agrave la jeune sainte mais au XIe siegravecle ses reliques convoiteacutees depuis longtemps comme un treacutesor sans prix furent deacuterobeacutees par un moine de Conques et emporteacutees dans les montagnes du Rouergue Cest Conques qui va

devenir deacutesormais le centre du culte de sainte Foy et nous allons ly retrouver tout agrave lheure Agen ne nous montre plus aujourdhui quun chapiteau consacre agrave saint Caprais dans leacuteglise qui lui est deacutedieacutee Le saint est deacutecapiteacute devant le gouverneur romain Dacien une inscription deacutesigne chaque personnage par son nom Dacianus miles sanctas Caprasius et un vers latin indique le rocircle de chacun Praecipit occidit moritur cœlestia scandit Dacien est lagrave pour ordonner le soldat pour tuer saint Caprais pour mourir Lart noublia pas non plus saint Vincent Ses reliques furent longtemps conserveacutees dans la ville gallo-romaine de Pompejac qui devint le Mas dAgenais un magnifique sarcophage du V

e siegravecle quon y voit encore passe pour avoir eacuteteacute son tombeau Or dans leacuteglise du

Mas un chapiteau roman repreacutesente un martyr agrave genoux deacutecapiteacute par la main du bourreau Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en ce lieu elle ne saurait repreacutesenter autre chose que la mort de saint Vincent Ses reliques il est vrai neacutetaient plus alors au Mas elles avaient eacuteteacute transporteacutees agrave Conques agrave leacutepoque des incursions normandes toutefois le souvenir de saint Vincent eacutetait demeureacute vivant au Mas dAgenais et son culte continuait agrave y ecirctre ceacuteleacutebreacuteAu temps des rois wisigoths Euric et Alaric la Gascogne eut une nouvelle geacuteneacuteration de martyrs Les Wisigoths eacutetaient ariens et perseacutecutaient les catholiques quils obligeaient agrave se convertir agrave leur symbole sous peine de mort Les vieux livres liturgiques et les leacutegendes populaires perpeacutetuegraverent le souvenir de quelques-uns de ces martyrs Un des plus fameux fut saint Maurin jeune apocirctre qui loin de dissimuler sa foi la proclamait sur la place publique de Lectoure Il fut deacutecapiteacute sur lordre du roi Alaric et la tradition rapportait quon lavait vu porter sa tecircte jusquagrave la fontaine Militane Les artistes nauraient peut-ecirctre jamais illustreacute sa meacutemoire sil ne seacutetait fondeacute aux confins de lAgenais et du Quercy une abbaye sous son nom Leacuteglise de Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) nest plus aujourdhui quune ruine mais deux de ses colonnes sont encore couronneacutees de deux beaux chapiteaux romans ougrave lon retrouve le style de Toulouse et de Moissac Sur lun deux un martyr porte sa tecircte dans ses mains une chreacutetienne inclineacutee devant lui sapprecircte agrave recevoir sa tecircte sur un voile Le vocable de leacuteglise deacutedieacutee agrave Saint-Maurin ne permet pas dheacutesiter sur le sens de la scegravene Voilagrave agrave peu pregraves tout ce que nous offre cette vaste reacutegion du Midi Elle a ducirc ecirctre autrefois incomparablement plus riche en images de saints la grande eacutecole toulousaine yavait sans aucun doute prodigueacute ses chefs-dœuvre mais le temps ne les a pas respecteacutes Aucun pays na eacuteteacute au XII

e siegravecle plus feacutecond que la belle plaine qui se deacuteroule

dans la lumiegravere jusquaux Pyreacuteneacutees sorte de Lombardie de la France mais aucun pays na eacuteteacute plus souvent deacutevasteacute La guerre des Albigeois la guerre de Cent ans les guerres de religion y ont accumuleacute tant de ruines que lon admire quil y reste encore quelques teacutemoignages de ce qua eacuteteacute le geacutenie du Midi II faut aller jusquaux Pyreacuteneacutees pour retrouver les saints Ces poeacutetiques montagnes eurent leur leacutegende doreacutee elles eurent leurs martyrs leurs vieux eacutevecircques leurs ermites Plusieurs sans doute furent ceacuteleacutebreacutes par lart mais bien peu de ces œuvres subsistent aujourdhui A lentreacutee des valleacutees pyreacuteneacuteennes agrave Foix une abbaye jadis ceacutelegravebre portait le nom dun martyr de la perseacutecution arienne saint Volusien Son eacuteglise a eacuteteacute agrave presque entiegraverement refaite et son cloicirctre roman complegravetement deacutetruit Un hasard pourtant nous a rendu un de ses chapiteaux historieacutes Ce chapiteau est fort inteacuteressant car il nous raconte justement un eacutepisode de lhistoire de saint Volusien Volusien eacutevecircque deTours eacutetait le sujet dAlaric roi des Wisigoths dont le vaste royaume seacutetendait jusquagrave la Loire Soupccedilonneacute de favoriser les desseins de Clovis qui preacuteparait une expeacutedition contre les ariens du Midi il fut sur lordre dAlaric arracheacute agrave son siegravege de Tours et conduit agrave Toulouse A Toulouse il fut traiteacute comme un malfaiteur on lui lia les mains et on lemmena vers lEspagne Mais en arrivant au pied des montagnes les soldats qui le conduisaient lui ordonnegraverent de sagenouiller dans un champ et lui tranchegraverent la tecircte Le chapiteau nous montre Volusien les mains lieacutees et la corde au cou entraicircneacute par ses bourreaux On ne voit pas sa mort ni les frecircnes qui poussegraverent

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miraculeusement sur le lieu de son supplice mais on voit la vengeance du ciel Lautre face du chapiteau en effet repreacutesente larmeacutee victorieuse de Clovis assieacutegeant Toulouse plus loin la ville est prise et les vainqueurs en deacutemolissent les murs Ce preacutecieux monument est conserveacute au Museacutee de Foix et il meacuterite de lecirctre car Foix est une creacuteation des reliques de saint Volusien la ville est neacutee autour du monastegravere qui gardait le tombeau du martyr En entrant dans la montagne on voit seacutelever au-dessus

de la valleacutee de Luchon une eacuteglise romane deacutedieacutee agrave saint Aventin Les chapiteaux du portail retracent son histoire Saint Aventin est un ermite du VIII

e siegravecle qui vivait dans la solitude sans autre socieacuteteacute

que celle des ours de la forecirct Parfois il quittait sa cabane pour enseigner leacutevangile aux montagnards toujours attacheacutes agrave leurs anciens dieux tous lentouraient de respect Mais les Arabes qui parcouraient alors le Midi entendirent parler de ce propagateur de la foi chreacutetienne Ils se mirent agrave sa recherche et quand ils eurent deacutecouvert sa retraite ils semparegraverent de lui et lui tranchegraverent la tecircte Les chapiteaux racontent la naissance la vie et la mort du saint ermite comme beaucoup dautres saints il est repreacutesenteacute portant sa tecircte dans ses mains A labside un bas-relief nous montre le taureau qui retrouva le tombeau de saint Aventin dont on avait perdu le souvenir Puissance de lart chreacutetien Une eacuteglise accrocheacutee au rocher perpeacutetue depuis pregraves de huit cents ans la meacutemoire dun pauvre ermite inconnu Cest dans une reacutegion voisine de Luchon que seacutelegraveve au sommet dune acropole la catheacutedrale de Saint-Bertrand-de-Comminges Elle est du XIV

e siegravecle mais le portail et

le rude clocher qui le domine sont du XIIIe Un beau tympan de leacutecole toulousaine repreacutesente

lAdoration des Mages agrave lextreacutemiteacute de ce tympan derriegravere la Vierge un eacutevecircque fait face au spectateur il legraveve la main droite pour beacutenir et tient la crosse de la main gauche Quel est ce mysteacuterieux personnage introduit par lartiste dans une scegravene sacreacutee

FIGURE XLIV (eacuteglise saint Bertrand-de-Comminges tympan)

Les archeacuteologues ont nommeacute agrave tout hasard saint Sernin pourtant en ce lieu un autre nom simpose au souvenir Cest agrave la fin du XI

e siegravecle en effet que le petit-fils des comtes de Toulouse leacutevecircque

saint Bertrand releva de ses ruines la ville antique de Lugdunum Convenarum devenue une solitude il rappela les habitants rebacirctit leacuteglise et fit fleurir le deacutesert Il fut le second fondateur de la citeacute qui prit son nom On ne saurait douter que ce grand eacutevecircque mdash auquel par surcroicirct on attribuait le don des miracles mdash nait eacuteteacute repreacutesenteacute au portail de sa catheacutedrale Saint Bertrand mourut en 1123 Son image dut ecirctre sculpteacutee peu danneacutees apregraves sa mort dans un temps ougrave son souvenir eacutetait encore vivant dans toutes les meacutemoires Elle est certainement anteacuterieure agrave 1179 date de la canonisation du saint car il est repreacutesenteacute sans nimbe Cette effigie dun grand homme qui neacutetait pas encore un saint est fort inteacuteressante il a fallu un vif mouvement denthousiasme pour quon ait oseacute repreacutesenter un contemporain un homme que tous avaient connu agrave cocircteacute de la Vierge et des rois Mages Ces hautes Pyreacuteneacutees neacutetaient pas alors une barriegravere entre la France et lEspagne Les saints franccedilais eacutetaient veacuteneacutereacutes dans lEspagne du nord les saints espagnols dans la France du midi Il est curieux de retrouver ccedila et lagrave des traces de ce culte que les eacuteglises meacuteridionales avaient voueacute aux saints dau delagrave des monts Un chapiteau du cloicirctre de Moissac repreacutesente le martyre des trois saints de Tarragone Fructueux Augure et Euloge Ces illustres chreacutetiens du III

e siegravecle ceacuteleacutebreacutes par saint

Augustin et par Prudence sont repreacutesenteacutes avec le costume du XIIe Leacutevecircque Fructueux porte la

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crosse et la mitre les diacres Auguste et Euloge ont la dalmatique et le manipule Le proconsul Aemilianus gouverneur de la Tarraconaise est assis sur son trocircne et il a pregraves de lui comme un baron feacuteodal un joueur de rote Cest le moment ougrave seacutechangent entre AEmilianus et Fructueux les paroles ceacutelegravebres laquo Je suis eacutevecircque du Christ dit Fructueux mdash Dis que tu las eacuteteacute raquo reacutepond AEmiIianus et il lenvoie au supplice avec ses deux compagnons Une autre face du chapiteau montre les trois saints en priegravere au milieu de leur bucirccher et plus loin les anges emportant leur acircme au ciel dans une gloire La preacutesence dans labbaye de Moissac de quelque insigne relique des martyrs de Tarragone explique sans doute pourquoi les moines voulurent avoir sans cesse sous les yeux leur histoire Des reliques retrouveacutees il y a quelques anneacutees dans lautel de leacuteglise de Valcabregravere (Haute-Garonne) ont fait deviner les noms de trois des statues qui en ornent le portail elles repreacutesentent le diacre saint Eacutetienne et deux saints espagnols saint Just et saint Pasteur Ceacutetaient deux eacutecoliers de Complutum qui sappela plus tard Alcala de Henares au temps de la perseacutecution de Diocleacutetien ils comparurent devant le preacutefet Dacien qui les fit battre de verges et mettre agrave mort Prudence a ceacuteleacutebreacute leur courage Lartiste connaissait fort bien leur histoire car il sest efforceacute de leur donner un air de

jeunesse au-dessus de leur tecircte des chapiteaux racontent leur martyre un des saints est attacheacute a un arbre pour ecirctre flagelleacute lautre est deacutecapiteacute Dans le cloicirctre de marbre dEIne [Pyreacuteneacutees-Orientales] non loin de la grande route romaine qui -conduisait en Espagne on ne seacutetonne pas de rencontrer une sainte espagnole un des chapiteaux repreacutesente le martyre de sainte Eulalie patronne de la catheacutedrale dElne La jeune sainte de Meacuterida eacutetait deacutejagrave ceacutelegravebre en France puisque le plus ancien de nos poegravemes en langue romane lui est consacreacute Voilagrave agrave peu pregraves tout ce qui subsiste dans le Sud-Ouest des œuvres que le XII

e siegravecle avait consacreacutees aux saints de la France meacuteridionale et de

lEspagne

II

En peacuteneacutetrant dans lAquitaine nous entrons dans le royaume de saint Martial Saint Martial fut veacuteneacutereacute de bonne heure comme lapocirctre du Limousin mais jusquau XI

e siegravecle on sut peu de chose de son

histoire Cest alors que fut eacutecrite sa merveilleuse leacutegende On lattribua agrave saint Aureacutelien le premier de ses successeurs cet Aureacutelien dont la chapelle seacutelegraveve aujourdhui au milieu de la rue des Bouchers agrave Limoges Ce reacutecit sembellit encore et il se forma autour de saint Martial tout un cycle de poeacutetiques leacutegendes Il ne fut plus un simple missionnaire il devint un contemporain un disciple du Christ tout enfant il avait entendu sa parole Cest de lui que le Christ avait dit laquo Quiconque ne ressemble pas agrave cet enfant nentrera pas dans le royaume des cieux raquo II avait assisteacute agrave la multiplication des pains au lavement des pieds agrave la Cegravene Plus tard il avait accompagneacute saint Pierre agrave Rome Saint Pierre lui donna son bacircton et lenvoya eacutevangeacuteliser la Gaule avec ce fameux bacircton qui fut longtemps conserveacute dans leacuteglise Saint-Seurin de Bordeaux saint Martial ressuscitait les morts Il entra en conqueacuterant dans lAquitaine partout ougrave il passait une eacuteglise naissait Il fut le fondateur non seulement de leacuteglise de Limoges mais de celles de Bourges de Poitiers de Saintes de Bordeaux de Cahors de Tulle de Rodez dAurillac de Mende du Puy Les premiers eacutevecircques de ces villes quon en avait cru les apocirctres neacutetaient que ses disciples De poeacutetiques personnages accompagnent saint Martial Il eacutetait venu en Gaule - disait-on - avec sainte Veacuteronique qui avait essuyeacute la face du Sauveur sur le chemin du Calvaire et avec saint Amateur que lon confondra plus tard avec le Zacheacutee de lEacutevangile ce Zacheacutee agrave qui le Christ avait parleacute Veacuteronique et Amateur qui avaient vu qui avaient entendu le Verbe ne purent se reacutesigner agrave vivre dans la socieacuteteacute des hommes ils senfermegraverent tous les deux dans la solitude Saint Amateur se retira dans la profonde valleacutee ougrave seacuteleva plus tard le sanctuaire de Rocamadour quant agrave Veacuteronique elle bacirctit son ermitage dans le deacutesert de Soulac au bord de lOceacutean La leacutegende nous montre encore aupregraves de saint Martial une jeune vierge sainte Valeacuterie Elle appartenait agrave une des plus illustres familles du pays des Leacutemovices et eacutetait fianceacutee au proconsul romain mais elle avait entendu saint Martial et reccedilu le baptecircme elle aspirait agrave la perfection Elle refusa deacutepouser le proconsul qui dans sa colegravere la fit mettre agrave mort Un centurion lui trancha la tecircte la sainte la prit dans ses mains et alla la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacuteleacutebrait la messe dans leacuteglise de Limoges Les visiteurs du palais des papes dAvignon connaissent les deacutelicieuses fresques de Matteo de Viterbe ougrave lon voit se deacuterouler toute cette histoire de saint Martial sous un ciel dazur Il ne faut pas attendre du XII

e siegravecle des œuvres dun charme aussi peacuteneacutetrant Dailleurs saint Martial qui a

tenu tant de place dans limagination des hommes du XIIe siegravecle na laisseacute que peu de traces dans

lart de ce temps Beaucoup doeuvres sans aucun doute ont disparu La grande eacuteglise abbatiale de Limoges ougrave seacutelevait son tombeau cette fameuse eacuteglise Saint-Martial qui attirait tant de pegravelerins fut deacutetruite avec toutes ses œuvres dart au temps de la Reacutevolution perte irreacuteparable pourliconographie de saint Martial La fresque y racontait-elle sa leacutegende On peut le croire car dans leacuteglise qui preacuteceacuteda celle-lagrave on pouvait voir au teacutemoignage dAdheacutemar de Chabannes des

peintures murales qui retraccedilaient sa vie Degraves la fin du Xe siegravecle un moine orfegravevre de labbaye avait

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fait pour lautel une statue dor de saint Martial qui le repreacutesentait assis beacutenissant de la main droite et portant le livre de la main gauche Il est probable que dans beaucoup deacuteglises qui se glorifiaient devoir eacuteteacute fondeacutees par saint Martial on voyait quelque œuvre dart rappelant son apostolat A Toulouse la leacutegende allait jusquagrave associer saint Martial agrave saint Sernin dans la preacutedication de lEacutevangile cest pourquoi au portail de leacuteglise Saint-Sernin saint Martial eacutetait repreacutesenteacute sa statue reacutepondait agrave celle de saint Sernin et pregraves delle on lisait cette inscription Hic socius socio subvenit auxilio Ainsi au teacutemoignage mecircme des clercs de Toulouse gardiens du tombeau de saint Sernin leur saint patron avait eacuteteacute secondeacute dans son œuvre par le grand saint Martial disciple du Seigneur A lautre extreacutemiteacute de lAquitaine aux confins du Berryon voit encore dans leacuteglise romane de Meacuteobecq (Indre) une peinture murale du XII

e siegravecle qui repreacutesente saint Martial Les moines de Meacuteobecq en

effet racontaient que saint Martial dans ses voyages eacutevangeacuteliques eacutetait venu jusque-lagrave Il subsiste probablement plus dune œuvre du XII

e siegravecle ougrave nous ne savons plus aujourdhui reconnaicirctre saint

Martial A la faccedilade de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers on voit sous des arcatures agrave cocircteacute des douze apocirctres deux eacutevecircques il est probable que lun deux est saint Martial fondateur suivant la leacutegende de leacuteglise de Poitiers et presque eacutegal en digniteacute aux apocirctres Quelques œuvres de la fin du XIIe siegravecle nous offrent les plus anciennes repreacutesentations de la leacutegende de saint Martial ce sont des chacircsses eacutemailleacutees provenant des ateliers de Limoges Sur lune delles [Collection Marlin-Leroy t I PI XV Le fond vermiculeacute les costumes le style indiquent le XIIe siegravecle] saint Martial ressemble agrave

FIGURE XLV (bible de saint Martial)

un apocirctre et comme les apocirctres il a les pieds nus mdash privilegravege exceptionnel et signe de sa haute mission Il porte agrave la main le fameux bacircton il lui suffit de le preacutesenter agrave un posseacutedeacute aux cheveux heacuterisseacutes pour quaussitocirct le deacutemon seacutechappe par sa bouche Ce miracle frappa dadmiration sainte Valeacuterie et la disposa agrave recevoir le baptecircme Sur lautre face de la chacircsse en effet elle sagenouille devant saint Martial qui la beacutenit mais deacutejagrave le proconsul ordonne au bourreau de la mettre agrave mort Une autre chacircsse du mecircme temps repreacutesente le centurion conduisant sainte Valeacuterie au supplice [Ancienne colleclion Soltykoff voir Rupin lŒuvre de Limoges p 403] La jeune sainte porte encore la robe collante aux manches deacutemesureacutees des plus anciennes statues de Chartres Le bourreau lui tranche la tecircte mais elle la prend dans ses mains et va la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacutelegravebre la messe un ange vole au-dessus delle et par un charmant artifice la tecircte de lange tient la place de la tecircte de la sainte Sainte Valeacuterie est ici lheacuteroiumlne queceacutelegravebre lartiste et cest sans aucun doute une de ses reliques que contenait la chacircsse Sainte Valeacuterie en effet fut presque aussi populaire que saint Martial lui-mecircme Quand les comtes de Poitiers venaient se faire sacrer ducs dAquitaine agrave Limoges leacutevecircque leur preacutesentait la couronne et leacutepeacutee puis le doyen du chapitre leur mettait au doigt lanneau de sainte Valeacuterie ceacutetaient les fianccedilailles du duc et de leacuteglise dAquitaine dont Valeacuterie eacutetait le plus pur symbole Cest pourquoi les œuvres dart qui la repreacutesentent - trop rares aujourdhui - nous touchent comme une poeacutetique image du passeacute Non loin de Bellac lantique eacuteglise Saint-Pierre-de-la-Treacutemouille conserve quelques restes dune fresque du XII

e siegravecle deux saintes apparaissent encore dont on peut

lire les noms ce sont sainte Valeacuterie et sainte Radegonde [Voir un dessin de la fresque dans le Bullet de la Socieacuteteacute des antiq de lOuest 1912 p 633] La leacutegende doreacutee du Poitou sunit lagrave agrave celle du Limousin Le monastegravere de Chambon-sur-Voueyze (Creuse) agrave lextreacutemiteacute de la Marche fut un des foyers du culte de sainte Valeacuterie Il posseacutedait une partie de ses reliques mais le charmant buste dargent qui les contient aujourdhui ne remonte quau XV

e siegravecle il repreacutesente la jeune martyre avec

une couronne et un riche collier Dans la vieille eacuteglise romane de Chambon aucune des œuvres qui furent consacreacutees au XII

e siegravecle agrave sainte Valeacuterie ne sest conserveacutee mais ce quon ne voit plus agrave

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Chambon on le voit un peu plus loin dans leacuteglise abbatiale dEacutebreuil en Bourbonnais Dans la tribune une peinture murale du XII

e siegravecle repreacutesente agrave cocircteacute du martyre de saint Pancrace dont leacuteglise avait

sans doute quelque relique le martyre de sainte Valeacuterie Cest ici la limite ougrave sarrecirctait la gloire de la sainte Les autres compagnons de saint Martial saint Amateur et sainte Veacuteronique ceacutelegravebres degraves le XIIe siegravecle ont inspireacute des oeuvres dart que le temps a presque complegravetement deacutetruites Rocamadour trop souvent saccageacute ne nous montre plus le fondateur du sanctuaire saint Amateur que le peuple appe- lait saint Amadour mais on y voit encore la Vierge de bois recouverte jadis de plaques dargent quon disait faite de sa main [ Elle ne remonte pas plus haut que le XIIIe siegravecle Revue de lart chreacutetien 1892 p 7 et suiv] Un monastegravere seacuteleva agrave Soulac pregraves du tombeau de sainte Veacuteronique Leacuteglise qui contenait les reliques de la sainte sappelait Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres on eacutetait lagrave en effet agrave une des extreacutemiteacutes du monde au bord de linconnu Un vaste deacutesert de sables et la rumeur lointaine du grand Oceacutean alors sans limites donnaient au lieu une religieuse beauteacute La dune pousseacutee par le vent envahit peu agrave peu le monastegravere et finit par le recouvrir En 1860 des fouilles

firent reparaicirctre leacuteglise romane qui sortit de son linceul de sable comme un temple de la Haute-Egypte On remarqua alors deux chapiteaux qui deacutecoraient lentreacutee de la chapelle deacutedieacutee jadis agrave sainte Veacuteronique lun repreacutesente un tombeau lautre des pegravelerins debout des deux cocircteacutes dun autel sur lequel repose une chacircsse Ce sont suivant toutes les vraisemblances le tombeau et la chacircsse de sainte Veacuteronique quiattiraient tant de pegravelerins agrave Soulac Cest ainsi que du Bourbonnais agrave lOceacutean du Berry agrave Toulouse a rayonneacute la leacutegende de saint Martial et de ses compagnons Le centre de lancienne Aquitaine avec ses valleacutees profondes et ses riviegraveres rapides a toutes les beauteacutes dune nature primitive mais cest un pays de granit ougrave la pierre reacutesiste au travail du ciseau Aussi nest-ce pas par les sculpteurs que les saints y furent ceacuteleacutebreacutes mais par les orfegravevres Degraves la fin du X

e siegravecle

plusieurs eacuteglises dAquitaine avaient des images dor dargent ou de cuivre de leurs saints patrons images qui eacutetaient en mecircme temps des reliquaires Eacutecoutons leacutecolacirctre dAngers Bernard qui parcourut le Plateau Central dans les premiegraveres anneacutees du XIe siegravecle

laquo Jusquici dit-il il me semblait que les saints ne devaient recevoir dautres honneurs que ceux du dessin ou de la peinture il me semblait absurde et impie de leur eacutelever des statues Mais tel nest pas le sentiment des habitants de lAuvergne du Rouergue de la reacutegion toulousaine et des pays voisins Chez eux cest une antique habitude que chaque eacuteglise possegravede une statue de son patron Suivant les ressources de leacuteglise cette statue est dor dargent ou dun meacutetal moins preacutecieux on y enferme le chef ou quelque insigne relique du saint [Liber miracul sanctae Fidis publieacute par labbeacute Bouillet Lib I cap XIII] raquo

Ainsi lhomme du Nord en entrant dans le Midi deacutecouvrait une autre France Bernard nous a fait connaicirctre quelques-unes de ces statues Au synode de Rodez on en avait apporteacute plusieurs sur la prairie aux portes de la ville chacune delles sabritait sous une tente et elles formaient une assembleacutee plus imposante que celle des eacutevecircques Ceacutetait laquo la majesteacute dor raquo de saint Marins patron de labbaye de Vabres en Rouergue laquo la majesteacute dor raquo de saint Amand deuxiegraveme eacutevecircque de Rodez laquo la majesteacute dor raquo de sainte Foy de Conques et enfin pregraves de la chacircsse dor de saint Sernin laquo la majesteacute dor raquo de la Vierge En descendant vers le Midi Bernard avait deacutejagrave rencontreacute laquo la majesteacute raquo de saint Geacuteraud ce jeune chevalier devenu moine qui avait donneacute son nom agrave la grande abbaye dAurillac Mais il ne semble pas avoir vu laquo la majesteacute raquo de saint Martial dans labbaye de Limoges Il subsiste encore aujourdhui quelques-unes de ces eacutetranges statues La laquo majesteacuteraquo de sainte Foy est toujours agrave Conques comme au temps de leacutecolacirctre Bernard mais on ne reconnaicirct guegravere dans cette idole doreacutee la jeune martyre dAgen dont nous avons raconteacute lhistoire La sainte assise sur son trocircne eacutetincelle dor et de pierreries elle porte une couronne fermeacutee dune forme tregraves antique de longues boucles doreilles

pendent sur ses eacutepaules de chaque main elle tient deacutelicatement entre deux doigts deux petits tubes ougrave lon mettait des fleurs de beaux cameacutees antiques sont incrusteacutes ccedila et lagrave dans le meacutetal de sa robe Ne pouvant la faire belle lartiste lavait faite si riche quelle inspirait un religieux effroi mais il y avait autour delle une aureacuteole de miracles plus eacuteclatante encore que le rayonnement de lor Un fleacuteau deacutevastait-il les environs un diffeacuterend seacutelevait-il entre deux villes un baron disputait-il agrave labbaye un de ses domaines aussitocirct la statue de la sainte sortait du sanctuaire Elle eacutetait porteacutee par un cheval choisi dont le pas eacutetait tregraves doux Autour delle de jeunes clercs faisaient retentir des cymbales et reacutesonner des cors divoire Elle savanccedilait avec majesteacute comme jadis la Magna Mater au temps ougrave ces montagnes eacutetaient paiumlennes Partout ougrave elle passait elle reacutetablissait la concorde faisait reacutegner la paix les miracles eacuteclataient si nombreux quagrave peine les moines avaient-ils le temps de les eacutecrire La sainte se plaisait surtout agrave deacutelivrer les prisonniers au portail de Conques on la voit

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prosterneacutee devant la main de Dieu elle prie sans aucun doute pour les captifs car des fers sont suspendus en ex-voto derriegravere elle La statue de sainte Foy fut porteacutee bien au delagrave des limites du Rouergue on la vit en Auvergne et dans le pays albigeois On lui dressait tous les soirs une tente et sur la tente on eacutelevait un berceau de verdure Combien il est heureux que laquo la majesteacute raquo de sainte Foy se soit conserveacutee intacte agrave travers tant de siegravecles Comme ce bloc dor nous illumine le haut moyen acircge Comme il nous fait comprendre ce quil y avait de mysteacuterieux et de redoutable dans le pouvoir du saint La statue de sainte Foy est unique de richesse il subsiste dans ces reacutegions deux autres images de saints qui sont plus simples et un peu moins anciennes Lune se conserve dans leacuteglise du Monastier antique abbaye perdue dans les solitudes du Velay Cest une statue agrave mi-corps faite de plaques dargent releveacutee de cabochons elle repreacutesente un saint aux yeux saillants au nom farouche saint Chaffre Chaffre est la forme populaire de Theofredus Saint Chaffre est un martyr du temps de linvasion sarrasine Abbeacute du Monastier il donna agrave ses moines lordre de senfuir et resta seul en face des Arabes Battu de verges il fut laisseacute mourant dans son eacuteglise mais le lendemain se soutenant agrave peine il se preacutesenta au milieu dune fecircte devant les imans et commenccedila agrave leur prouver quils nadoraient pas le vrai Dieu ses bourreaux lachevegraverent Comme celle de sainte Foy la statue de saint Chaffre contenait des reliques qui la rendaient plus veacuteneacuterable

FIGURE XLVI (saint Chaffre)

La statue de saint Chaffre est peut-ecirctre du XIe siegravecle celle de saint Baudime deacutejagrave plus savante doit

ecirctre du XIIe Elle se conserve dans leacuteglise de Saint-Nectaire et perpeacutetue le souvenir dun des

premiers missionnaires de la foi en Auvergne Cest une statue agrave mi-corps comme celle de saint Chaffre elle nest pas en argent mais en cuivre repousseacute ciseleacute et doreacute La chevelure est faite de boucles parallegraveles comme celles dune tecircte grecque archaiumlque les yeux divoire agrave la prunelle de corne donnent agrave lapocirctre un regard seacutevegravere qui intimide Ces œuvres encore eacuteloigneacutees de la vie precirctent aux saints une majesteacute lointaine les entourent de mystegravere elles reacutepondent agrave merveille aux sentiments queacutevoquait alors la sainteteacute Ces statues reliquaires nombreuses jadis dans les provinces montagneuses du centre de la France semblent ecirctre lœuvre dartiste monastiques Il y avait agrave Conques un atelier dorfegravevrerie et cest probablement dans labbaye mecircme que la statue de sainte Foy a eacuteteacute faite au X

e siegravecle Mais vers le milieu du XII

e siegravecle les ateliers de Limoges

commencent agrave prendre la premiegravere place Cest Limoges qui va avoir la charge de ceacuteleacutebrer les saints de lAquitaine et bientocirct dune partie de la chreacutetienteacute alors commence agrave Limoges cette longue liturgie de plusieurs siegravecles en lhonneur des saints qui sexprime par le cuivre et leacutemail Les monuments de lorfegravevrerie limousine du XII

e siegravecle sont rares aujourdhui On voyait avant la Reacutevolution dans la

fameuse abbaye de Grandmont un des chefs-dœuvre de leacutecole une chacircsse eacutemailleacutee qui contenait les reliques de saint Eacutetienne de Muret le fondateur de lordre Toute la vie du saint y eacutetait raconteacutee Saint Eacutetienne neacute en Auvergne agrave Thiers appartenait au Limousin par ses vertus cest en effet dans la forecirct de Muret pregraves de Limoges quil avait veacutecu Il eacutetait naturel quil fucirct ceacuteleacutebreacute par les eacutemailleurs limousins Une plaque deacutemail du XII

e siegravecle aujourdhui au museacutee de Cluny est tregraves probablement un

deacutebris de la chacircsse de Grandmont Saint Eacutetienne de Muret qui avait fait un pegravelerinage agrave Bari voit le grand saint du lieu saint Nicolas lui apparaicirctre une inscription en franccedilais du sud de la Loire explique la scegravene La vie du saint se continuait raconteacutee dans tous ses deacutetails On devait voir comment saint Eacutetienne de Muret au moment ougrave il se consacra agrave la solitude mit un anneau agrave son doigt et placcedila sur sa tecircte lacte de renoncement quil venait deacutecrire laquo Ce sera dit-il mon bouclier au

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jour de ma mort raquo Ce geacutenie symbolique eacutetait en parfaite harmonie avec lart du XIIe siegravecle Nous

avons deacutejagrave parleacute des chacircsses ougrave saint Martial et sainte Valeacuterie sont ceacuteleacutebreacutes Il subsiste encore une magnifique chacircsse de la seconde partie du XII

e siegravecle consacreacutee agrave la gloire dun saint du centre de la

France par les eacutemailleurs limousins elle contient les reliques de saint Calmin et se conserve dans

leacuteglise de Mozat pregraves de Riom Saint Calmin qui fut au VIIe siegravecle gouverneur de lAuvergne du

Velay et du Geacutevaudan descendait de Calminius lami de Sidoine Apollinaire Un voyage agrave Leacuterins lui fit vivement sentir la beauteacute de la vie monastique Il ne fut peut-ecirctre jamais moine mais il fonda des monastegraveres en Velay dabord agrave Calminiacum puis dans le Limousin agrave Tulle enfin en Auvergne agrave Mozat Sa femme sainte Namadie prenait sa part de ses travaux et laidait de ses conseils Cest pourquoi un des eacutemaux nous montre les deux eacutepoux faisant construire Calminiacum qui sappellera plus tard le Monastier cest labbaye quillustrera saint Chaffre On les voit ensuite faisant eacutelever le monastegravere de Tulle puis celui de Mozat des maccedilons preacuteparent le mortier montent agrave leacutechelle Labbaye nest pas encore termineacutee mais deacutejagrave leacuteglise est construite et le calice est sur lautel la maison de Dieu a donc eacuteteacute faite avant celle des moines Leur œuvre acheveacutee Calmin et Namadie meurent saintement leur acircme seacutelegraveve dans une aureacuteole et la main de Dieu sort du ciel Cette œuvre magnifique avive nos regrets Combien de chacircsses semblables ont disparu au temps ougrave ces treacutesors arracheacutes du sanctuaire se vendaient au poids du cuivre et devenaient des chaudrons Les quelques monuments de ce genre qui subsistent sont du XIII

e siegravecle ou des siegravecles suivants Parfois au milieu

des bruyegraveres et des bleacutes noirs en fleurs du Limousin on rencontre dans une eacuteglise de village une chacircsse eacutemailleacutee qui raconte lhistoire de saint Dulcide de saint Psalmet de lermite saint Viance Parfois un buste reliquaire repreacutesente le grave saint Eacutetienne de Muret lesclave saint Theacuteau racheteacute par saint Eacuteloi et orfegravevre comme son maicirctre labbeacute saint Yriex et lexquise sainte Fortunade Nous respirons un instant tout le parfum de passeacute et il y a beaucoup de fastueux chefs-dœuvre qui nous touchent moins que ces humbles merveilles

III

Dans limmense domaine de saint Martial le Poitou occupait une place agrave part il avait eu en effet au IVe siegravecle un des saints les plus illustres de la chreacutetienteacute saint Hilaire Celui-lagrave eacutetait un saint authentique que la leacutegende osa agrave peine effleurer il navait pas veacutecu dans le creacutepuscule des temps meacuterovingiens mais dans ce IVe siegravecle queacuteclaire encore la lumiegravere antique Dabord paiumlen marieacute avant decirctre eacutevecircque il avait eacuteteacute une fois devenu chreacutetien un des plus vaillants deacutefenseurs de lorthodoxie contre larianisme Ses livres mdash dit saint Jeacuterocircme mdash avaient la force irreacutesistible du Rhocircne Exileacute en Orient par un empereur arien il y eacutetudia les ouvrages dOrigegravene et fit connaicirctre agrave lEacuteglise des Gaules lexeacutegegravese alleacutegorique des Alexandrins Un tel saint eacutetait-il bien selon le cœur des pegravelerins du XII

e siegravecle qui passant par Poitiers pour aller agrave Saint-Jacques-

de-Compostelle sarrecirctaient agrave son tombeau On en pourrait douter si on ne savait que de nombreuses merveilles avaient mairfesteacute le pouvoir du saint apregraves sa mort et lui avaient creacuteeacute une leacutegende Cest au-dessus du tombeau de saint Hilaire quapparut cette colonne de feu qui guida Clovis avant la bataille de Vouilleacute Il est probable que ceacutetaient ces miracles qui avaient eacuteteacute peints de preacutefeacuterence dans leacuteglise de Saint-Hilaire de Poitiers un des sanctuaires les plus ceacutelegravebres de la France on pouvait voir il y a quarante ans quelques restes de ces fresques dans les absidioles Un seul monument rappelle aujourdhui dans leacuteglise la meacutemoire du grand docteur un chapiteau qui repreacutesente sa mort Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en un tel lieu on ne peut guegravere douter que le saint qui meurt entoureacute de ses diacres et dont les anges emportent lacircme au ciel ne soit saint Hilaire Dans cette œuvre tregraves gauche encore leacutemotion essaie de sinsinuer Leacuteonnius le disciple favori du saint se penche encore une fois sur le corps de son maicirctre et il exprime sa douleur en portant sa main agrave sa joue comme saint Jean au pied de la croix Mais il y a agrave Poitiers une autre eacuteglise du XII

e siegravecle consacreacutee agrave saint Hilaire Saint-Hilaire-de-la-Celle qui seacutelegraveve suivant la tradition

sur lemplacement de sa maison Vers la fin de sa vie apregraves la mort de sa femme et de sa fille le saint en fit un oratoire ougrave il aimait agrave se retirer Cest lagrave quil mourut en 368 et cest de lagrave quil fut porteacute agrave leacuteglise Saint-Jean-et-Saint-Paul construite au milieu de lantique cimetiegravere chreacutetien et qui prit alors son nom Jusquaux deacutevastations des protestants on vit dans leacuteglise Saint-Hilaire de la Celle un ceacutenotaphe ougrave la vie du saint eacutetait raconteacutee Il nen subsiste plus quun fragment qui repreacutesente la mort de saint Hilaire La scegravene est pleine de majesteacute saint Hilaire eacutetendu dans un sarcophage ouvert est dune taille colossale et semble dune autre race que le reste des hommes Derriegravere lui les clercs de son eacuteglise se tiennent debout aux deux extreacutemiteacutes deux diacres nimbeacutes sont agrave nen pas douter Leacuteonnius et Justus saint Lienne et saint Just comme on les appelait les plus chers disciples du maicirctre Cest agrave lun deux que saint Hilaire demanda avant de mourir si la nuit eacutetait silencieuse Au milieu de lassembleacutee deux anges apparaissent les ailes ouvertes ils sont descendus dans cette nuit religieuse pour recueillir lacircme du mort Cette grande maniegravere de composer et de sentir nous indique

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une eacutepoque deacutejagrave avanceacutee du XIIe siegravecle Mais ne voit-on agrave Poitiers que la mort de saint Hilaire Ny

trouve-t-on aucun trait de sa vie Un bas-relief qui appartient aujourdhui agrave la Socieacuteteacute des antiquaires de lOuest a longtemps deacutecoreacute leacuteglise deacutetruite de Sainte-Triaise Il repreacutesente saint Hilaire la crosse agrave la main consacrant agrave Dieu la vierge Troecia sainte Triaise Saint Hilaire avait pu admirer en Orient les commencements de la vie monastique et Troecia sa fille spirituelle est une des plus anciennes religieuses de la Gaule Elle veacutecut enfermeacutee dans sa cellule au milieu du cimetiegravere chreacutetien de Poitiers parmi les tombeaux comme une recluse de la Theacutebaiumlde La propre fille de saint Hilaire sainte Abra suivit lexemple de Troceia Son pegravere encouragea sa vocation dans une de ses lettres il lui promet une perle plus belle que celle que les vierges reccediloivent de leurs fianceacutes On montre encore dans leacuteglise Saint-Hilaire le couvercle du sarcophage de sainte Abra Ce nest pas en Poitou que lon trouve aujourdhui la plus curieuse repreacutesentation de la vie de saint Hilaire mais en Bourgogne Le sarcophage de sainte Abra (Saocircne-et- Loire) qui lui est deacutedieacutee raconte au linteau du portail le plus beau chapitre de son histoire On voit le saint arrivant au concile de Seacuteleucie pour lutter contres les eacutevecircques ariens Mais ici le moyen acircge a deacutejagrave fait son œuvre et la leacutegende a deacuteformeacute la veacuteriteacute Dans la seconde partie du bas-relief saint Hilaire est assis plus bas que les eacutevecircques cest que les ariens nont pas voulu lui faire de place parmi eux Du haut du ciel un ange lencense et le deacutesigne comme le champion de Dieu Le faux pape Leacuteon quitte le concile en prononccedilant contre le saint des paroles menaccedilantes mais Leacuteon meurt dune mort ignominieuse et les deacutemons semparent de son acircme Ce bas-relief inteacuteressant par son sujet est une œuvre inexpressive ougrave lon ne trouve ni le mouvement ni la vie de la grande sculpture bourguignonne Saint Hilaire que tant de pegravelerins venaient veacuteneacuterer dans son eacuteglise eacutetait le grand saint du Poitou mais beaucoup dautres saints moins illustres avaient inspireacute les artistes de ces reacutegions Si les fresques des abbayes poitevines seacutetaient aussi bien conserveacutees que celles de labbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) nous aurions une veacuteritable histoire eccleacutesiastique de la province

FIGURE XLVII (Larche de Noeacute peinture - abbatiale de saint Savin-sur-Gartempe)

A Saint-Savin en effet de grandes figures peintes dans la tribune non loin des scegravenes de la Passion repreacutesentent les saints eacutevecircques de Poitiers Des inscriptions encore visibles il y a quelques anneacutees deacutesignaient saint Geacutelasius et saint Fortunat le fameux eacutevecircque poegravete Dans la crypte le temps a respecteacute une partie des fresques consacreacutees agrave saint Savin le patron de labbaye et agrave son compagnon saint Cyprien Ce sont deux martyrs En vain furent-ils deacutechireacutes par des ongles de fer attacheacutes agrave la roue exposeacutes aux becirctes chaque fois par un miracle ils eacutechappegraverent agrave la mort Dans laregravene les lions mdash que le peintre a fait aussi inoffensifs que des chiens mdash viennent leur leacutecher les pieds Ce fut non loin de labbaye mdash disait la tradition mdash au bord de la Gartempe que les deux saints furent mis agrave mort par leurs perseacutecuteurs Ainsi les hautes antiquiteacutes du Poitou eacutetaient sans cesse

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preacutesentes aux visiteurs de labbaye Lart ressuscitait le passeacute le faisait vivre dans les imaginations Soyons sucircrs que dans toute leacutetendue du Poitou mdash une des reacutegions de la France ougrave la peinture monumentale a laisseacute le plus de traces mdash il y eut des sanctuaires ougrave lon pouvait comme agrave Saint-Savin apprendre lhistoire des saints de la province Les moines avaient eacuteprouveacute depuis longtemps la vertu eacuteducatrice de la peinture ils savaient sa puissance magique sur les foules illettreacutees Mais agrave Charroux agrave Saint-Jouin-de-Marnes agrave Airvault agrave Maillezais dans toutes ces abbayes illustres du Poitou il ne reste plus rien aujourdhui

IV

Le Berry avec ses plaines indeacutecises fut souvent consideacutereacute comme un fief de saint Martial car ceacutetait lui disait la tradition limousine qui avait fondeacute leacuteglise de Bourges Mais agrave cette leacutegende le Berry en opposait une autre celle de son premier apocirctre saint Ursin Ursin eacutetait le Nathanael de lEacutevangile cest lui qui le premier avait annonceacute la foi nouvelle agrave Bourges et il y avait apporteacute deux reliques sans prix la courroie qui attachait le Christ agrave la colonne et quelques gouttes du sang de saint Eacutetienne car Nathanael avait assisteacute au supplice du saint diacre Saint Ursin devenait donc presque

leacutegal en digniteacute de saint Martial Parmi les successeurs de saint Ursin plusieurs eacutevecircques de Bourges seacutetaient eacuteleveacutes agrave la sainteteacute par leurs vertus Le Berry avait eu aussi ses saints ermites parfois dans ce pays de mareacutecages et de grandes forecircts on rencontrait un homme de Dieu dans la solitude Beaucoup de ces saints qui vivaient dans la meacutemoire du peuple avaient ducirc ecirctre ceacuteleacutebreacutes par lart du XIIe siegravecle Les vieilles eacuteglises du Berry ne sont pas tregraves riches en œuvres de sculpture mais beaucoup de ces eacuteglises eacutetaient peintes Plus dune fresque se cache encore sous le badigeon et lon verra peut-ecirctre reparaicirctre un jour ces saints jadis fameux saint Sulpice saint Patrocle saint Venant saint Leacuteopardin saint Laurian et la bergegravere sainte Solange aussi ceacutelegravebre dans le Berry que sainte Valeacuterie leacutetait dans le Limousin Que nous reste-t-il donc aujourdhui On voit agrave lexteacuterieur de leacuteglise de Chacirctillon-sur-Indre (Indre) un bas-relief du XII

e siegravecle qui deacutecorait jadis le portail et qui est

encastreacute maintenant dans une fenecirctre haute du transept Il repreacutesente le Christ en majesteacute assis entre deux seacuteraphins au-dessous saint Austregisille reccediloit un flambeau de la main de saint Pierre Saint Austregisille que les bergers et les laboureurs appelaient saint Oustrille eacutetait eacutevecircque de Bourges au commencement du VII

e siegravecle Avant son entreacutee dans les ordres on lavait vu se rendre agrave Chalon pour

y combattre en champ clos eacutevecircque il conserva leacutenergie du soldat et il lutta sans cesse contre les rois meacuterovingiens et les agents de leur fisc Sa sainteteacute seacutetait manifesteacutee par de nombreux miracles agrave Chacirctillon un autre bas-relief dont il ne reste plus que linscription le montrait gueacuterissant une posseacutedeacutee Il est facirccheux que larchitecte qui restaura leacuteglise vers 1880 ait si mal placeacute lancien tympan car on ne peut plus distinguer aujourdhui saint Austregisille recevant de saint Pierre cest-agrave-dire de Rome le flambeau de la foi Leacuteglise de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) a heureusement conserveacute agrave leur place les rudes bas-reliefs qui furent consacreacutes agrave la gloire dEusitius ou saint Eusice Il y a plusieursbeaux traits dans la vie de saint Eusice Ses parents eacutetaient si pauvres quils furent obligeacutes de vendre un de leurs enfants comme esclave et ce fut saint Eusice qui se sacrifia pour ses fregraveres Esclave il saffranchit par la sainteteacute Sa reacuteputation eacutetait si grande que Childebert traversant le Berry pour aller combattre les Visigoths dEspagne voulut le voir et linterroger sur lavenir Il lui offrit cinquante sous dor laquo Donne cet argent aux pauvres lui dit Eusitius pour moi il me suffit de prier pour mes peacutecheacutes raquo puis il annonccedila au roi quil reviendrait victorieux Sa preacutediction saccomplit cest pourquoi agrave son retour Childebert sarrecircta pour revoir le saint Apregraves lui avoir donneacute le baiser de paix il lui offrit la moitieacute du butin quil rapportait dEspagne Il y avait dans le cortegravege du roi des prisonniers de guerre laquo lieacutes deux agrave deux dit lhagiographe comme des couples de chiens raquo Pour toute faveur saint Eusice demanda au roi de les deacutelivrer Chose eacutetrange ces beaux eacutepisodes ne figurent pas dans les bas-reliefs qui deacutecorent labside de Selles-sur-Cher Saint Eusice qui fut grand par la chariteacute nous apparaicirct lagrave comme un thaumaturge presque comme un magicien Il oblige les deacutemons agrave se rendre utiles sur son ordre ils sattellent agrave un char et transportent les pierres de leacuteglise Il se sert des

loups pour garder ses troupeaux Rien ne lui est impossible un jour quon lui a voleacute sa pelle de boulanger il entre dans le four brucirclant et y place tranquillement ses pains Voilagrave ce que nous montre labside de Selles-sur-Cher Ces miracles enchantaient le XII

e siegravecle souvent ceacutetait le peuple lui-

mecircme qui creacuteait cette feacuteerie il faisait de la vie des saints une chanson de la veilleacutee un conte dhiver Guibert de Nogent nous rapporte dans son De Pignoribus sanctorum que les femmes en tissant la toile chantaient les louanges de beaucoup de saints dont la vie eacutetait toute fabuleuse a et si lon veut les reprendre ajoute-t-il elles vous menacent de leurs navettes raquo Les bas-reliefs de Selles-sur-Cher teacutemoignent encore de cette passion du XII

e siegravecle pour le merveilleux

V

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Il est peu de saints plus poeacutetiques que les saints de lAuvergne Ce charme leur vient peut-ecirctre de leur premier historien Greacutegoire de Tours artiste sans le savoir qui ne nous montre pas ses heacuteros mais nous les laisse entrevoir dans un demi-jour plein de mystegravere Cest Injuriosus et Scolastica laquo les amants dAuvergne raquo dont un rosier reacuteunit les tombeaux ce sont les solitaires de la caverne et de la forecirct saint Eacutemilien saint Marien saint Lupicin saint Calupan qui renouvellent sous un ciel glaceacute les prodiges des anachoregravetes de lEgypte cest la vierge sainte Georges dont le convoi funegravebre fut escorteacute par un vol de colombes La sauvage nature qui les entoure reacutepand aussi sur eux un peu de son charme mdash ce charme que le deacutesert de la Chaise-Dieu communique agrave saint Robert le haut chacircteau de Mercœur et les laves de la valleacutee de la Couze agrave saint Odilon limmense forecirct du pays de Combrailles la Pontiacensis sylva aux vieux abbeacutes de Menacirct Le voyageur qui parcourt lAuvergne la meacutemoire remplie de la longue histoire de ses saints les cherche dans ses belles eacuteglises romanes mais il nen deacutecouvre quun bien petit nombre car le temps et les hommes nont pas eacuteteacute plus cleacutements agrave lAuvergne quagrave nos autres provinces Lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine reposa dabord dans leacuteglise dIssoire On avait perdu le souvenir de son tombeau lorsque des hommes vecirctus de blanc et portant des cierges qui apparaissaient la nuit dans leacuteglise en firent retrouver la place DIssoire le corps de saint Austremoine fut porteacute agrave Volvic Mais bientocirct ses reliques firent un dernier voyage elles allegraverent reposer dans labbaye de Mozat et Peacutepin le Bref suivant la tradition aurait porteacute lui-mecircme la chacircsse du saint sur ses eacutepaules On sera deacuteccedilu si on chercheagrave Issoire et agrave Volvic la trace de saint Austremoine on ne ly trouvera pas Mais agrave Mozat une œuvre dart rappelle son souvenir Sur un des cocircteacutes de la chacircsse de saint Calmin dont nous avons deacutejagrave parleacute un eacutevecircque la crosse en main est debout cest comme nous lapprend linscription Sanctus Austremonius saint Austremoine Mais il se pourrait que saint Austremoine fucirct repreacutesenteacute ailleurs encore On voit encastreacute dans un des murs de leacuteglise de Mozat le linteau dun ancien portail La Vierge assise en majesteacute est au milieu elle porte lEnfant sur ses genoux et elle ressemble agrave sy meacuteprendre aux vierges de bois des eacuteglises auvergnates saint Pierre est agrave sa droite et saint Jean agrave sa gauche Pregraves de saint Pierre un eacutevecircque est debout Quel peut ecirctre cet eacutevecircque sinon lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine le grand saint dont leacuteglise de Mozat posseacutedait les reliques

FIGURE XLVIII (chacircsse de saint Austremoine leacuteglise Saint-Austremoine Issoire)

Il est on nen saurait douter au nombre des bienheureux car de la main il preacutesente agrave la Vierge un abbeacute prosterneacute Dans ce bas-relief cet abbeacute mdash un des constructeurs de leacuteglise mdash est le seul vivant seul il est encore sur la terre Il nest pas jusquagrave la place donneacutee agrave leacutevecircque aux cocircteacutes de saint Pierre qui ne soit significative car la leacutegende auvergnate jalouse deacutegaler saint Austremoine agrave saint Martial faisait de lui un disciple du prince des apocirctres Cest agrave lextreacutemiteacute de lancienne Auvergne que nous retrouvons encore une fois saint Austremoine Dans leacuteglise dEacutebreuil une fresque du XII

e siegravecle

peinte dans la tribune nous le montre en face de sainte Valeacuterie la grande sainte du Poitou rencontre ici le grand saint de lAuvergneOn racontait que saint Austremoine eacutetant venu de Rome en Gaule avec deux compagnons Nectaire et Baudime leur avait confieacute le soin deacutevangeacuteliser le sud de la Limagne et les reacutegions voisines Aussi leacuteglise de Saint-Nectaire nous montre-t-elle agrave la fois le buste

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de saint Baudime dont nous avons parieacute et un chapiteau consacreacute agrave lhistoire de son saint patron Ce chapiteau raconte quatre eacutepisodes de lhistoire de saint Nectaire Lartiste nous transporte dabord agrave Rome saint Pierre ordonne precirctre saint Nectaire son filleul et aussitocirct commence la lutte du saint et du deacutemon Un jour quil voulait passer le Tibre pour aller prier dans un sanctuaire de lautre rive il reconnut que le rameur qui sapprochait avec sa barque eacutetait Satan lui-mecircme Sans peur il entra dans la barque car un ange envoyeacute par Dieu planait dans le ciel en sorte que Satan fut contraint de le deacuteposer sain et sauf sur lautre bord Leacutegende de demi-jour qui semble nous transporter non dans la Rome de saint Pierre mais dans leacutetrange Rome du moyen acircge Cependant saint Pierre vient denvoyer en Gaule Austremoine Nectaire et Baudime A peine arriveacute agrave Sutri Nectaire tombe malade et meurt Baudime revient agrave Rome annoncer la nouvelle agrave saint Pierre qui accourt il touche le cadavre avec la croix et aussitocirct Nectaire se legraveve de son sarcophage Saint Nectaire qui a traverseacute la mort est devenu tout puissant sur elle Le voici maintenant en Auvergne Un jour quil annonccedilait leacutevangile le cortegravege funegravebre dun Gallo-romain nommeacute Bradulus vint agrave passer pregraves de lendroit ougrave il parlait on le supplie de ressusciter Bradulus Saint Nectaire prend le bras du mort et lui ordonne de se lever Derriegravere le saint se dresse leacuteglise de Saint-Nectaire telle que nous la voyons encore aujourdhui au sommet de son rocher Il a fallu agrave lartiste beaucoup dingeacuteniositeacute pour faire dire tant de choses agrave un chapiteau si condenseacutee que soit son œuvre elle reste claire Ainsi cest moins sous laspect dun apocirctre que sous celui dun puissant thaumaturge quapparaissait saint Nectaire aux pegravelerins qui visitaient son eacuteglise Parmi les successeurs de saint Austremoine au siegravege de Clermont le plus ceacutelegravebre ne fut pas comme on pourrait le croire le vaillant Sidoine Apollinaire mais leacutevecircque Prsejectus Dans la France centrale Prsejectus sappelle saint Priest dans la France du nord saint Prix Il eacutetait deacutejagrave fameux par ses vertus ses aumocircnes ses fondations charitables sa mort fit de lui un saint Il fut assassineacute pregraves de Volvic par les complices dun homme dont il avait deacutenonceacute les crimes agrave Childeacuteric Quelques-unes de ses reliques apporteacutees agrave Flavigny agrave Saint-Quentin agrave Beacutethune reacutepandirent au loin son culte Contemporain de saint Leacuteger assassineacute comme lui il eut alors une renommeacutee presque eacutegale Son corps resta enseveli dans leacuteglise de Volvic ougrave il est veacuteneacutereacute depuis des siegravecles on y conserve aussi leacutepeacutee de lassassin De leacuteglise eacuteleveacutee agrave Volvic au XII

e siegravecle il ne

subsiste plus aujourdhui que le chœur la nef refaite est moderne Un des chapiteaux du chœur est consacreacute non pas agrave la mort de saint Priest qui eacutetait sans doute repreacutesenteacutee ailleurs mais agrave la chacircsse de ses reliques un donateur est debout aupregraves de la chacircsse qui est bien celle du saint eacutevecircque comme une inscription nous lapprend Voilagrave quelques vestiges de lantique histoire religieuse de lAuvergne on souhaiterait den deacutecouvrir davantage On regrette de ne plus rien voir dans leacuteglise de Brioude qui rappelle le martyr saint Julien jadis si fameux Mais cest agrave Menacirct surtout que lon voudrait retrouver quelque souvenir des anciens moines de labbaye qui seacutelevegraverent agrave la sainteteacute saint Brachio le chasseur de sangliers et saint Carilegravephe le compagnon de lauroch dans la forecirct Malheureusement le chœur de leacuteglise de Menacirct ougrave se trouvaient les chapiteaux historieacutes a eacuteteacute deacutetruit Un seul de ces chapiteaux subsiste deacuteposeacute dans un des bas-cocircteacutes Il repreacutesente une scegravene eacutenigmatique dont un moine de Menacirct est probablement le heacuteros on croirait voir saint Meacuteneacuteleacute refusant la fianceacutee que son pegravere lui preacutesente et songeant deacutejagrave agrave aller demander la robe monastique agrave labbeacute de Menacirct que lon aperccediloit plus loin assis sur son siegravege

VI

II faut redescendre vers le Midi Cest en Provence que nous rencontrons la plus merveilleuse de toutes nos leacutegendes On lit dans un manuscrit du XI

e siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque Nationale [t B

N latin 17627] quapregraves la reacutesurrection du Sauveur Marie-Madeleine sa sœur Marthe et son fregravere Lazare fuyant la perseacutecution des Juifs sembarquegraverent et vinrent aborder agrave Marseille Ce sont eux qui apportegraverent la foi en Provence Un reacutecit un peu posteacuterieur fait venir avec eux saint Maximin apocirctre dAix et saint Trophime apocirctre dArles Ainsi cette belle Provence lumineuse comme lOrient devenait une autre Judeacutee Lazare eacutetait sorti du tombeau pour lui annoncer lEacutevangile Marthe et Marie eacutetaient venues lui reacutepeacuteter les paroles quelles avaient recueillies de la bouche du Seigneur Quelle eacuteglise pouvait se glorifier dune plus noble origine Cette leacutegende a-t-elle laisseacute quelque trace dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle A la faccedilade de Saint-Trophime dArles on voit repreacutesenteacute au milieu des

apocirctres saint Trophime lui-mecircme il tient la crosse et deux anges posent la mitre sur sa tecircte comme pour marquer le caractegravere divin de sa mission Dans le cloicirctre on le retrouve encore adosseacute agrave un pilier cette fois il est tecircte nue porte la tunique et le manteau et sil navait les pieds chausseacutes on le prendrait pour un apocirctre Aucun chapiteau historieacute aucun bas-relief naccompagne ces deux images du saint et ne raconte son histoire Vers 1180 les artistes dArles avaient deacutejagrave sans doute entendu raconter que saint Trophime eacutetait venu en Provence avec Lazare Marie-Madeleine et Marthe mais ils nont fait aucune allusion agrave ce reacutecit On dirait mecircme quils en ont suivi un autre en placcedilant saint Trophime aux cocircteacutes de saint Pierre ils semblent avoir voulu donner creacutedit agrave lancienne tradition de

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leacuteglise dArles suivant laquelle saint Trophime aurait eacuteteacute envoyeacute de Rome par le prince des apocirctres Il serait surprenant pourtant quil ny eucirct pas dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle la moindre trace de la

fameuse leacutegende On ly rencontre en effet au moins une fois Il y a au portail lateacuteral de leacuteglise Sainte-Marthe agrave Tarascon une inscription fort bien conserveacutee qui nous donne la date de la deacutedicace de leacuteglise (1er juin 1197) deux petits bas-reliefs laccompagnent Lun repreacutesente la conseacutecration de lautel lautre un eacutevecircque et deux diacres groupeacutes autour dun corps eacutetendu sur la pierre Quel est le sens de cette scegravene On la comprendra si lon se souvient que dix ans auparavant on crut avoir deacutecouvert agrave Tarascon le corps de sainte Marthe et que cest pour recevoir cette insigne relique que lon rebacirctit alors leacuteglise Nous avons donc sous les yeux soit la translation des reliques de sainte Marthe dans son sanctuaire soit ses funeacuterailles Cette derniegravere interpreacutetation me paraicirct ecirctre la meilleure car on voit deux anges emportant au ciel lacircme de la sainte de plus un des assistants est nimbeacute or le reacutecit apocryphe rapportait que saint Front avait eacuteteacute miraculeusement transporteacute agrave Tarascon aupregraves du lit de mort de sainte Marthe Ainsi vers la fin du XII

e siegravecle la leacutegende de

lapostolat de Lazare et de ses sœurs eacutetait bien eacutetablie Le bas-relief de Tarascon est la plus ancienne œuvre dart quelle ait fait naicirctre en Provence mdash premier anneau de la chaicircne qui aboutit au dernier chant de Mireille La Provence avait eacuteteacute un peu lente agrave traduire le leacutegende par lart une autre reacutegion lavait devanceacutee la Bourgogne Cest la Bourgogne en effet nous le savons aujourdhui qui a creacuteeacute la leacutegende Mgr Duchesne en a fort bien expliqueacute lorigine Les moines de Veacutezelay se vantaient depuis le milieu du XI

e siegravecle de posseacuteder les reliques de sainte Marie-Madeleine mais ils eacutetaient

embarrasseacutes pour expliquer aux pegravelerins dougrave leur venait ce preacutecieux treacutesor Cest pourquoi lun deux fit paraicirctre un reacutecit tout nouveau de la vie de Marie-Madeleine Il y eacutetait dit pour la premiegravere fois que la sainte avait abordeacute en Provence quelle y avait veacutecu et quelle y eacutetait morte Lauteur ajoutait quun moine de Veacutezelay voyageant en Provence avait reconnu dans la crypte de Saint-Maximin le sarcophage de marbre ougrave la sainte eacutetait ensevelie il navait pas heacutesiteacute agrave deacuterober ce corps sacreacute et agrave lapporter en Bourgogne Tel fut le reacutecit que les pegravelerins de Veacutezelay recueillirent deacutesormais de la bouche des moines Degraves la fin du XI

e siegravecle de nouveaux eacutepisodes vinrent enrichir la leacutegende

Marthe Lazare et leacutevecircque Maximin furent associeacutes agrave Marie-Madeleine Ainsi cette sorte deacutepopeacutee quon serait tenteacute de croire dorigine provenccedilale a eacuteteacute creacuteeacutee en Bourgogne Elle fut ceacutelegravebre en Bourgogne avant de lecirctre en Provence bien mieux la Bourgogne qui venait de prendre possession des reliques de sainte Madeleine sattribua bientocirct celles de Lazare Degraves le commencement du XIIe siegravecle il fut admis quelles reposaient dans la catheacutedrale dAutun Il semble que le concours de pegravelerins quelles attiraient deacutetermina leacutevecircque agrave entreprendre vers 1120 la construction dune nouvelle eacuteglise cest la belle catheacutedrale que nous voyons aujourdhui Lart bourguignon du XI

e siegravecle sest-il

inspireacute de ces leacutegendes Il est naturel de les chercher dabord agrave Veacutezelay le sanctuaire de Marie-Madeleine mais on ne les y trouvera pas Le portail de la faccedilade est une œuvre moderne qui reproduit avec une preacutetentieuse gaucherie les sujets de lancien tympanet de son linteau [Tympan et linteau existent encore aujourdhui mais les sujets marteleacutes se discernent agrave peine] On y voit la Reacutesurrection de Lazare et les scegravenes de lEacutevangile ougrave Madeleine figure mais rien ny rappelle le fameux voyage de Provence Les chapiteaux de la nef si nombreux et si varieacutes ne nous parlent pas une seule fois de Marie-Madeleine Le chœur il est vrai a eacuteteacute refait agrave leacutepoque gothique et cest lagrave peut-ecirctre autour du tombeau de la sainte queacutetait raconteacutee son histoire apocryphe Aujourdhui aucune œuvre dart ne commeacutemore la leacutegende dans leacuteglise ougrave elle naquit ougrave tant de milliers de pegravelerins lentendirent raconter Serons-nous plus heureux agrave la catheacutedrale dAutun leacuteglise de saint Lazare Leacutetude des chapiteaux et des tympans pourrait nous faire croire que non Lagrave non plus aucune œuvre nest consacreacutee au voyage de Provence mais il nen eacutetait pas ainsi autrefois Jusquau XVIII

e siegravecle on put voir au portail du Jugement dernier trois statues adosseacutees au trumeau elles

montraient aux pegravelerins Lazare entre Marthe et Marie-Madeleine Ce groupement prendra tout son sens quand on saura que Lazare eacutetait vecirctu en eacutevecircque Ainsi on nen saurait douter cest Lazare apocirctre de la Provence que lartiste avait preacutetendu repreacutesenter et pregraves de Lazare il avait mis ses deux sœurs parce quelles avaient eacuteteacute les compagnes de son apostolat Il y avait en Bourgogne une autre eacuteglise deacutedieacutee agrave saint Lazare Saint-Lazare dAvallon Trois magnifiques portails du XII

e siegravecle y

donnaient accegraves il nen subsiste plus que deux aujourdhui priveacutes de leurs statues et de leurs bas-reliefs De meacutediocres dessins publieacutes par dom Plancher dans son Histoire de Bourgogne nous en laissent deviner laspect primitif Au trumeau du portail central un eacutevecircque eacutetait adosseacute ceacutetait saint Lazare le patron de leacuteglise Ainsi agrave Avallon comme agrave Autun les ornements eacutepiscopaux deacutesignaient saint Lazare comme le premier chef de leacuteglise provenccedilale Il est regrettable que ces curieuses statues dAutun et dAvallon ne nous aient pas eacuteteacute conserveacutees elles nous eussent montreacute comment les premiers sculpteurs bourguignons se repreacutesentaient ce mysteacuterieux Lazare qui avait franchi deux fois les portes de la mortLes statues dAutun et de Veacutezelay avaient eacuteteacute visiblement inspireacutees par la leacutegende ce sont les seules dont nous ayons pu retrouver la trace Un bas-relief en Provence deux

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statues en Bourgogne voilagrave tout ce que lhistoire apocryphe de Madeleine de Marthe et de Lazare semble avoir donneacute agrave lart du XII

e siegravecle Cest peu mais ce nest quun commencement il faut songer

quau XIIe siegravecle le reacutecit des moines de Veacutezelay avait agrave peine commenceacute agrave faire la conquecircte des

imaginations Ce nest que dans les siegravecles suivants quil sera accepteacute de tous et deviendra une des sources vives de lart chreacutetien Mais cest par la Provence et non par la Bourgogne que la gloire de Marie-Madeleine peacutenitente sest reacutepandue dans le monde En 1279 en effet les Provenccedilaux annoncegraverent agrave la chreacutetienteacute la deacutecouverte agrave Saint-Maximin du corps de sainte Madeleine que les

moines de Veacutezelay abuseacutes par lerreur dun des leurs avaient cru jusque-lagrave posseacuteder

FIGURE XLIX eacuteglise du Veacutezelay)

La deacutecouverte fut tenue pour authentique et deacutesormais le sanctuaire bourguignon fut deacuteserteacute au profit des lieux saints de la Provence le tombeau de Saint-Maximin et la caverne de la Sainte-Baume Les pegravelerins qui aimegraverent toujours agrave monter vers les cimes en chantant abandonnegraverent la montagne de Veacutezelay pour le haut rocher de la Sainte-Baume Cest alors que les comtes de Provence qui eacutetaient en mecircme temps rois de Naples firent connaicirctre la leacutegende agrave lItalie et lon vit Giotto peindre au Bargello de Florence et dans une des chapelles dAssise Marie-Madeleine dans le deacutesert provenccedilal recevant la communion de la main de saint Maximin La Bourgogne qui ceacuteleacutebrait lapocirctre de la Provence ce Lazare dont elle avait elle-mecircme imagineacute lapostolat noubliait pas son apocirctre agrave elle le martyr saint Beacutenigne Peu de saints avaient en France une plus magnifique seacutepulture son tombeau eacutetait agrave Dijon et les moines de saint Beacutenigne en eacutetaient les gardiens Il eacutetait au centre dune grande rotonde dont la Reacutevolution na laisseacute subsister que la crypte Cette rotonde formait au XII

e siegravecle

lextreacutemiteacute dune eacuteglise romane refaite plus tard Un beau portail orneacute de bas-reliefs et de statues y donnait accegraves il a eacuteteacute deacutetruit mais un dessin de dom Plancher nous en a conserveacute laspect Au trumeau sadosse un eacutevecircque qui porte une crosse archaiumlque en forme de tau et une mitre qui ressemble agrave un bonnet cest saint Beacutenigne Ce costume le deacutesigne comme le chef dune des premiegraveres communauteacutes chreacutetiennes de la Bourgogne La tecircte mutileacutee de lapocirctre se conserve au Museacutee archeacuteologique de Dijon Ainsi dans ce portail ougrave lon voyait des deux cocircteacutes les statues des prophegravetes et des apocirctres saint Beacutenigne occupait la place dhonneur cest agrave lui quallaient dabord les regards Les artistes bourguignons turent les premiers qui attiregraverent ainsi le respect du visiteur sur le patron dune eacuteglise le Saint-Lazare dAutun et le Saint-Jean-Baptiste de Veacutezelay sont les plus anciennes statues adosseacutees agrave un trumeau quil y ait ou quil y ait eu en France Les artistes du Midi si

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novateurs navaient rien imagineacute de pareil Cet hommage rendu agrave saint Beacutenigne ne parut pas suffisant aux moines de labbaye car ils lui consacregraverent encore un tympan jadis encastreacute dans le mur du vestibule Il nexiste plus aujourdhui mais il a eacuteteacute reproduit avec beaucoup de soin par dom Plancher On y voyait le martyre du saint Beacutenigne envoyeacute en Gaule suivant la tradition par le Grec Polycarpe disciple de saint Jean lEacutevangeacuteliste avait refuseacute de sacrifier aux dieux Le gouverneur du Castrum de Dijon Aurelianus assisteacute de son lieutenant Terentius le fit comparaicirctre devant lui et le condamna aux supplices les plus raffineacutes Ce sont ces supplices que nous montre le tympan le saint est debout et deux bourreaux sont occupeacutes agrave sceller ses pieds dans la pierre avec du plomb fondu Les mains du martyr sont briseacutees elles laissaient voir sans doute autrefois les alegravenes enfonceacutees sous chacun de ses ongles Deux autres bourreaux viennent de recevoir lordre den finir avec linvincible athlegravete placeacutes symeacutetriquement agrave sa gauche et agrave sa droite comme le centurion et le porte-eacuteponge sur le Calvaire ils lui enfoncent leur pique dans la poitrine Le saint expire et comme son maicirctre penche la tecircte sur son eacutepaule A ce moment dit la leacutegende les chreacutetiens virent une colombe blanche seacutelever au-dessus de sa tecircte mdash eacutepisode que lartiste na eu garde doublier une main sortant du ciel manifeste la preacutesence de Dieu Le beau caractegravere de lœuvre sa noble symeacutetrie lui assignent une date voisine de la fin du XII

e siegravecle Dijon avait donc dignement ceacuteleacutebreacute son apocirctre La Bourgogne fut

au moyen acircge le pays des grands ordres monastiques et des saints abbeacutes Ce sont ces illustres abbeacutes que nous voudrions voir et que nous ne voyons pas Que saint Bernard qui interdit lart agrave ses moines comme un luxe inutile ne soit repreacutesenteacute nulle part il ne faut pas sen eacutetonner il la voulu ainsi Ce saint Franccedilois dAssise du XII

e siegravecle ne le cegravede agrave lautre que parce quil lui a manqueacute le

sentiment de la beauteacute Un de ses biographes raconte quil marcha une journeacutee entiegravere au bord du lac de Genegraveve et que le soir il demanda ougrave eacutetait le lac Ce nest pas lui qui eucirct composeacute dans un transport denthousiasme le Cantique des creacuteatures Mais ce qui surprend cest de ne rencontrer nulle part en Bourgogne au cœur mecircme de cet immense royaume clunisien limage des premiers abbeacutes de Cluny qui furent tous des saints De Cluny il est vrai presque tout a disparu mais rien ne les rappelle agrave Paray-le-Monial au ils vinrent si souvent rien agrave la Chariteacute-sugraver-Loire un de leurs plus magnifiques prieureacutes Labbaye de Souvigny cette fille cheacuterie de Cluny ougrave saint Maiumleul et saint Odilon furent ensevelis na mecircme pas su garder leur tombeau Leur souvenir y serait entiegraverement aboli si on ne voyait leur image peinte sur la porte dune armoire reliquaire de la fin du moyen acircge Ces noms aperccedilus tout agrave coup Maiumlolus et Odilo remuent profondeacutement la sensibiliteacute on voit en imagination cet eacuteloquent Maiumleul plus grand que les souverains de son temps par lintelligence et par lacircme et ce doux Odilon qui precirctait loreille aux voix de lautre monde et qui creacutea la fecircte des morts Mais si ces grands noms des abbeacutes de Cluny saint Odon saint Maiumleul saint Odilon saint Hugues seffacent si rien aujourdhui ne ramine leur souvenir dans la meacutemoire du visiteur de leurs eacuteglises la faute nen est sans doute pas aux artistes bourguignons du XII

e siegravecle ni aux moines clunisiens si

passionneacutes pour lart si profondeacutement attacheacutes agrave leurs souvenirs mdash mais agrave des geacuteneacuterations sans respect et sans amour qui ont tout aneacuteanti En Bourgogne une seule eacuteglise monastique conserve encore quelques peintures qui commeacutemorent son passeacute cest celle dAnzy-le-Duc (Saocircne-et-Loire) Anzy-le-Duc ne relevait pas de Cluny mais de labbaye de Saint-Martin dAutun que Brunehaut avait fondeacutee et ougrave elle avait son tombeau Des fresques peintes vers la fin du XIIe siegravecle dans labside de leacuteglise dAnzy racontent lhistoire du petit prieureacute fier de ses origines Au-dessous de lAscension du Christ on voit Lethbald et sa femme offrant agrave Dieu vers 876 leur villa dAnzy qui va devenir un monastegravere Un de leurs descendants fut ce Lethbald ce pegravelerin ceacutelegravebre dont le moyen acircge a plusieurs fois raconteacute lhistoire Contemplant Jeacuterusalem du haut du Mont des Oliviers il eut un tel transport de joie quil demanda agrave Dieu de le faire mourir le jour mecircme sa priegravere fut exauceacutee Fondeacute par Lethbald ou saint Lieacutebaud le prieureacute dAnzy-le-Duc fut gouverneacute par un saint saint Hugues dAutun Hugues ami de Bernon fondateur de Cluny eacutetait veacuteneacutereacute de toute la Bourgogne On venait consulter comme un oracle ce vieillard laquo dont la tecircte eacutetait blanche comme le duvet du cygne raquo On le consultait sur toute chose sur les maladies et sur les semailles aussi bien que sur les cas de conscience Les miracles quil faisait pendant sa vie sa chacircsse continua agrave les faire apregraves sa mort et elle attira longtemps les pegravelerins agrave Anzy-le-Duc Les fresques dAnzy racontent quelques traits de son histoire Toutes ces peintures recouvertes dun badigeon ont eacuteteacute retrouveacutees par hasard en 1856 et malheureusement fort restaureacutees elles font revivre un passeacute perdu dans la nuit Voilagrave un exemple de ce que faisaient les moines bourguignons pour perpeacutetuer leurs traditions et pour honorer leurs sainte Si saint Lieacutebaut et saint Hugues dAnzy inconnus aujourdhui ont eacuteteacute ceacuteleacutebreacutes par lart on peut bien croire que les Odilon et les Maiumleul navaient pas eacuteteacute oublieacutes

VII

La Bourgogne nous achemine vers la reacutegion parisienne Au XIIe siegravecle le saint le plus illustre de lIle-

de-Franccedile eacutetait saint Denis Sa gloire avait grandi avec la monarchie franccedilaise Il ne suffisait pas que

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saint Denis eucirct eacuteteacute le premier apocirctre de Paris il lui fallait une leacutegende digne du protecteur des rois de France et du gardien de leur tombeau On racontait donc que saint Denis de Paris eacutetait le mecircme personnage que saint Denis lareacuteopagite converti par saint Paul Il avait observeacute agrave Athegravenes leacuteclipseacute qui obscurcit le soleil agrave lheure ougrave Jeacutesus expira sur le Calvaire et plus tard il eacutecrivit ce livre fameux de la Divine Hieacuterarchie ougrave le ciel est deacutecrit ougrave Dieu apparaicirct dans sa gloire au milieu des cercles concentriques formeacutes par les anges Cest ce savant ce profond penseur qui avait eacuteteacute jugeacute digne deacutevangeacuteliser la ville de la science Son souvenir eacutetait cher aux Parisiens qui veacuteneacuteraient derriegravere Notre-Dame de Paris dans leacuteglise Saint-Denis-du-Pas le lieu ougrave il avait commenceacute son martyre agrave Saint-Denis-de-la-Chartre dans la Citeacute la prison ougrave il avait eacuteteacute enfermeacute et ougrave ses chaicircnes eacutetaient suspendues agrave Montmartre la place quil avait rougie de son sang Labbaye de Saint-Denis eacutetait le terme du pegravelerinage cest lagrave que reposait le martyr aupregraves de ses deux compagnons Rustique et Elcuthegravere Comment lart avait-il honoreacute saint Denis agrave Paris nous lignorons mais agrave labbaye de Saint-Denis nous lentrevoyons encore Le portail qui souvre agrave droite du spectateur dans la faccedilade de la basilique est deacutecoreacute dun bas-relief dont saint Denis est le heacuteros il emplit tout le tympan Il est reccedilu que ce bas-relief est reacutecent et les archeacuteologues passent sans lever les yeux mais ce deacutedain nest quagrave moitieacute justifieacute Assureacutement toutes les tecirctes sont modernes les draperies ont eacuteteacute visiblement retoucheacutees et quelques personnages mecircmes semblent entiegraverement refaits Loeuvre paraicirct ecirctre dhier pourtant le dessin geacuteneacuteral est ancien La composition ne date pas de 1839 elle nest pas du restaurateur Debret elle est bien de 1135 environ et appartient aux artistes de Suger Nous pouvons en croire le baron de Guilhermy qui a suivi avec tant dattention tout ce qui sest fait agrave Saint-Denis dans la premiegravere partie du XIX

e siegravecle A son teacutemoignage une seule chose dans ce portail est

entiegraverement moderne la seconde voussure avec ses personnages Le reste est une restauration dun original ancien La scegravene que Suger avait fait repreacutesenter dans le tympan eacutetait emprunteacutee agrave la leacutegende de saint Denis mais ce neacutetait ni sa conversion par saint Paul ni sa preacutedication ni son martyre on voyait Jeacutesus escorteacute dun vol danges descendant dans la prison ougrave le saint attendait la mort et le faisant communier de sa main Nous ne savons quand cet eacutepisode entra dans la leacutegende de saint Denis tout ce que nous pouvons dire cest que degraves le XI

e siegravecle une miniature dun missel de

labbaye de Saint-Denis le repreacutesente Cest une de ces belles leacutegendes ougrave le moyen acircge sexprime tout entier ougrave il reacutealise son eacuteternel deacutesir dunion avec le ciel Voilagrave limage que contemplait le pegravelerin en entrant dans la basilique et elle lui donnait une plus haute ideacutee de saint Denis que neucirct pu faire son martyre lui-mecircme Suger qui en toute chose est un novateur est le premier qui ait consacreacute un portail agrave la gloire dun saint il ny avait rien de pareil avant lui et apregraves lui on tardera assez longtemps agrave suivre son exemple Cest en effet agrave une eacutepoque assez avanceacutee du XII

e siegravecle

que nous rencontrons dans une reacutegion voisine de lIle-de-Franccedile un portail ougrave a eacuteteacute raconteacutee la leacutegende dun saint Non loin de Provins seacutelegraveve le prieureacute de Saint-Loup de Naud dont la belle eacuteglise remonte au XII

e siegravecle Saint Loup de Naud deacutependait de labbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens aussi

eacutetait-ce un eacutevecircque de Sens qui eacutetait le patron de leacuteglise Saint Loup que dans la reacutegion on appelait saint Leu eacutetait un de ces eacutevecircques du VIIe siegravecle qui tinrent tecircte aux rois meacuterovingiens et supportegraverent courageusement lexil Plein de bonteacute charitable assidu agrave visiter les anciens tombeaux il avait de son vivant la reacuteputation dun saint Mais son histoire ne tarda pas agrave se reacutesoudre tout entiegravere en miracles ces vieux reacutecits enchantegraverent Jacques de Voragine qui les reproduisit plus tard dans sa Leacutegende doreacutee Au portail de Saint-Loup de Naud les eacutepisodes de la vie du saint eacutevecircque ne sont pas sculpteacutes dans le tympan comme agrave Saint-Denis mais dans les voussures

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FIGURE L (leacuteglise de Saint-Loup-de-Naud - tympan)

Cest au portail du Mans quon vit pour la premiegravere fois les scegravenes des voussures former un reacutecit suivi la vie de Jeacutesus-Christ y est raconteacutee Lexemple fut suivi agrave Saint-Loup de Naud mais la leacutegende du saint y remplace lhistoire du Christ deacutejagrave les portails du XIII

e siegravecle sannoncent Le saint eacutevecircque

adosseacute au trumeau accueille les fidegraveles Un chapiteau sculpteacute placeacute au-dessus de sa tecircte le faisait reconnaicirctre agrave ceux qui eacutetaient familiers avec sa leacutegende on y voit un ange laissant tomber une pierre preacutecieuse dans le calice pendant que saint Loup ceacutelegravebre la messe Cette pierre preacutecieuse venue du ciel se conservait disait-on dans le treacutesor royal La leacutegende du saint se continue dans les voussures qui entourent le Christ en majesteacute du tympan On y aperccediloit la cloche de Saint-Eacutetienne de Sens Cette cloche avait un si beau son que le roi Clotaire la fit enlever de la catheacutedrale et transporter agrave Paris mais par la volonteacute de saint Loup elle devint muette soudain de sorte quil fallut la renvoyer agrave Sens ougrave le saint lui rendit sa voix harmonieuse Dautres merveilles se deacutechiffrent dans les voussures des prisonniers sont miraculeusement deacutelivreacutes de leurs liens puis par la toute-puissance de sa parole le saint emprisonne le deacutemon dans un grand vase Ces contes de feacutee prennent autant dimportance quun autre eacutepisode tout humain celui-lagrave et plein de beauteacute on voit le roi Clotaire vaincu par la grandeur morale du saint quil avait envoyeacute en exil sagenouiller devant lui et lui demander pardon Ce meacutelange de pueacuteriliteacute et de noblesse ne choquait alors personne Pour les hommes de ce temps rien nest grand rien nest petit puisquen toute chose se reacutevegravele la preacutesence de Dieu

VIII

Dans la France du Nord et de lOuest Picardie Normandie et Bretagne les eacuteglises romanes ne nous offrent plus rien aujourdhui qui rappelle les saints de ces provinces Au XII

e siegravecle la sculpture

monumentale fut un art agrave peu pregraves eacutetranger agrave ces reacutegions ce nest que par la fresque et par le vitrail quelles purent ceacuteleacutebrer leurs grands eacutevecircques et leurs saints abbeacutes mais fresques et vitraux ont disparu Le Maine a cependant conserveacute un magnifique vitrail du XII

e siegravecle consacreacute agrave lapocirctre de la

province saint Julien Au Mans aucun saint ne fut plus profondeacutement veacuteneacutereacute que saint Julien En 1117 lorsque Foulques comte dAnjou et du Maine assista avec sa femme et son fils agrave la conseacutecration de la catheacutedrale du Mans la ceacutereacutemonie termineacutee il prit entre ses bras son fils encore enfant et le deacuteposa sur lautel de saint Julien Il voulait signifier par lagrave quil le mettait sous la protection du grand saint du Mans tout-puissant aupregraves de Dieu On ne seacutetonne donc pas de rencontrer dans la catheacutedrale du Mans un grand vitrail consacreacute tout entier agrave la vie de saint Julien Saint Julien entre au Mans et y multiplie les miracles Il y fait jaillir une source avec son bacircton prodige sans doute symbolique il convertit et baptise le gouverneur de la citeacute romaine puis il lenvoie eacutevangeacuteliser Angers Chaque fois lapocirctre est repreacutesenteacute avec la mitre et la crosse de leacutevecircque Son œuvre acheveacutee saint Julien meurt paisiblement et les anges emportent son acircme au ciel Ainsi tandis que le Midi ceacuteleacutebrait les saints par la sculpture et lorfegravevrerie le Nord les ceacuteleacutebrait par le vitrail Nous navons encore rien dit de la Touraine et de son illustre saint Martin Cest que saint Martin neacutetait pas le saint dune province mais de la France tout entiegravere Tours il est vrai eacutetait le centre de son culte et cest agrave Tours que les artistes avaient raconteacute pour la premiegravere fois sa vie Un petit poegraveme de saint Paulin de Peacuterigueux prouve quau V

e siegravecle on avait peint ses miracles dans la fameuse basilique qui contenait son

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tombeau Au VIe siegravecle une autre eacuteglise de Tours la catheacutedrale fut deacutecoreacutee de fresques consacreacutees agrave son histoire elles eacutetaient expliqueacutees par des vers de Fortunat qui se sont conserveacutes deacutejagrave lon voyait saint Martin donnant au pauvre la moitieacute de son manteau La catheacutedrale de Tours a eacuteteacute rebacirctie quant agrave la basilique de Saint-Martin plusieurs fois reconstruite elle a eacuteteacute deacutetruite par la Reacutevolution Les peintures et les vitraux quon y voyait perpeacutetuaient peut-ecirctre le souvenir des anciennes fresques Aujourdhui Tours ne conserve aucune œuvre consacreacutee agrave saint Martin qui soit anteacuterieure au XIII

e

siegravecle Mais ce que Tours ne nous montre pas nous le trouvons ailleurs Il y avait en France des centaines deacuteglises deacutedieacutees agrave saint Martin aussi ne seacutetonne-t-on pas de rencontrer son image dans toutes les reacutegions Loeuvre la plus ancienne qui le repreacutesente a eacuteteacute deacutecouverte dans les Pyreacuteneacutees mais sur le versant espagnol cest un panneau peint qui se trouvait jadis dans leacuteglise de Montgrony en Catalogne et qui est aujourdhui au Museacutee eacutepiscopal de Vich Loeuvre est si archaiumlque par le dessin et par le costume quelle peut remonter au XI

e siegravecle Aujourdhui aucun

monument consacreacute agrave lhistoire de saint Martin nest plus ancien Cest lagrave que nous voyons pour la premiegravere fois le saint coupant en deux son manteau pour en donner la moitieacute au pauvre geste que lart reacutepeacutetera de siegravecle en siegravecle et que lartiste catalan avait reccedilu du passeacute Saint Martin porte le long bouclier et la lance agrave gonfanon des barons de la Chanson de Roland Un autre compartiment nous montre le saint sur son lit de mort il est eacutetendu sur le dos car il navait pas voulu se coucher sur le cocircteacute pour calmer ses souffrances laquo Laissez-moi disait-il contempler le ciel raquo au-dessus les anges emportent son acircme Cette histoire de saint Martin sinspirait sans aucun doute dun original franccedilais elle nous prouve que la gloire du saint avait peacuteneacutetreacute jusquau fond des valleacutees les plus reculeacutees Il eacutetait naturel de rencontrer saint Martin dans les grandes abbayes car cest lui qui avait creacuteeacute les premiers monastegraveres de la Gaule et ceacutetait lui qui eacutetait le veacuteritable ancecirctre de tous les moines dOccident Aussi un chapiteau du cloicirctre de Moissac lui est-il consacreacute On y voit pregraves de la porte dAmiens qui souvre entre deux tours le jeune cavalier couper son manteau et en donner la moitieacute au pauvre Aussitocirct le Christ apparaicirct entre deux anges les bras ouverts il eacutetale largement le manteau et semble loffrir agrave ladmiration du ciel Cest alors que saint Martin entendit en recircve ces paroles prononceacutees par le Christ laquo Voyez Martin il nest encore que cateacutechumegravene et il ma revecirctu de son manteau raquo Mais cest dans les reacutegions eacutevangeacuteliseacutees par saint Martin dans le Nivernais et la Bourgogne en particulier que lon doit sattendre agrave rencontrer son image Lagrave son souvenir est resteacute plus vivant quailleurs le Morvan est plein de sources miraculeuses quil a fait jaillir et les paysans montrent encore les empreintes laisseacutees par le pied de sa mule sur la pierre Cest pourquoi plusieurs chapiteaux de leacuteglise de Garchizy dans la Niegravevre eacutetaient consacreacutes agrave saint Martin Ces chapiteaux sont aujourdhui au Museacutee archeacuteologique de Nevers on y voit leacutepisode du manteau que suit lapparition du Christ Labbaye de Veacutezelay qui seacutelegraveve aux confins du Morvan avait gardeacute le souvenir du grand missionnaire des pays eacuteduens Un chapiteau de la nef raconte un eacutepisode de sa leacutegende qui avait deacutejagrave eacuteteacute peint au VI

e siegravecle dans la catheacutedrale de Tours Saint Martin veut faire couper un pin

sacreacute auquel les paiumlens rendaient un culte les paiumlens y consentent agrave la condition que le saint sexpose agrave la chute de larbre Saint Martin nheacutesite pas mais au moment ougrave le pin va leacutecraser il legraveve la main et larbre tombe agrave lopposeacute Le pin de Veacutezelay styliseacute avec un art naiumlf ressemble agrave une plante des tropiques Telles sont disseacutemineacutees dans nos provinces les quelques œuvres consacreacutees aux saints qui ont eacutechappeacute au temps Ce nest plus quun reflet un dernier rayon du soir qui laisse une lueur agrave la faccedilade de leacuteglise un eacuteclair dans le vitrail

LEacuteglise de France eut donc le culte de son passeacute et de bonne heure elle demanda agrave lart de le ceacuteleacutebrer Elle eacutetait fiegravere de ses saints qui formaient une suite ininterrompueune longue frise heacuteroiumlque Les siegravecles les plus steacuteriles ceux qui navaient eu ni eacutecrivains ni poegravetes ni artistes avaient eu leurs saints Ces siegravecles neacutetaient pauvres quen apparence puisque au sentiment des hommes dalors les saints eacutetaient les chefs-dœuvre de lhumaniteacute Comme Pascal lEacuteglise du moyen acircge mettait lordre de la chariteacute bien au-dessus de lordre de lintelligence cest pourquoi le moindre ermite qui dans la solitude avait reacuteussi agrave se vaincre lui-mecircme meacuteritait a ses yeux decirctre eacuteterniseacute par lart Lathlegravete avait eacuteteacute lideacuteal de la Gregravece antique lascegravete devint lideacuteal des temps nouveaux Au Moyen Age les hommes de notre race quand ils ont eacuteteacute grands ont toujours eacuteteacute des ascegravetes toujours ils ont meacutepriseacute le voluptueux Orient ses harems ses parfums la courbe enchanteacutee de ses arabesques Cette longue lutte de lOccident contre lOrient cest la lutte eacuteternelle de lesprit contre les sens La plus haute expression du moyen acircge cest le soldat qui se sacrifie le moine qui prie le saint qui foule aux pieds la nature Le saint voilagrave le vrai heacuteros de cet acircge cest lui qui par lenthousiasme quil excitait soulevait lhumaniteacute larrachait agrave son limon Encore aujourdhui le peuple qui sent instinctivement ce quil y a dextraordinaire dans la sainteteacute conserve la meacutemoire des saints Les paysans du Bourbonnais qui ont oublieacute les noms des rois de France connaissent encore saint Patrocle et saint Marien qui vivaient du temps de Greacutegoire de Tours Et nous aussi le nom dun saint inconnu nous inteacuteresse le lieu ougrave il a veacutecu nous eacutemeut lermitage la cellule le monastegravere habiteacutes par

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le saint conservent quelques chose de religieux comme chez les anciens ces lieux sacres quavait toucheacutes le feu du ciel

EMILE MALE

EXPLICATION TREgraveS CURIEUSE

DES

EacuteNIGMES ET FIGURES HIEacuteROGLYPHIQUES PHYSIQUES

QUI SONT AU GRAND PORTAIL

DE LEacuteGLISE CATHEacuteDRALE ET MEacuteTROPOLITAINE DE NOTRE-DAME DE PARIS

Par

LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT

Le Mercredi 20 de May 1640 veille de la glorieuse Ascension de notre Sauveur Jeacutesus-Christ apregraves avoir prieacute et sa tregraves-sainte Megravere Vierge en lEglise Catheacutedrale Meacutetropolitaine de Paris je sortis de cette belle et grande et consideacuterant attentivement son riche et magnifique Portail dont la structure est tregraves exquise depuis le fondement jusquagrave la sommiteacute de ses deux hautes et admirables Tours je fis les remarques que je vais expliquer Je commence par observer que ce Portail est triple pour former trois principales entreacutees dans ce superbe Temple seul corps de bacirctiment et annoncer la Triniteacute de Personnes en un seul Dieu sous lesquelles par lopeacuteration de son Esprit Saint son Verbe sest incarneacute pour le salut du monde dans les flancs de la Vierge sainte Symbole des trois principes ceacutelestes en uniteacute qui sont les trois principales clefs ouvrantes les principes [cest-agrave-dire le Mercure le Soufre et le Sel] et toutes les portes les avenues et les entreacutees de la nature sublunaire cest-agrave-dire de la segraveve universelle et de tous les corps quelle forme et produit conserve ou reacutegeacutenegravere

1deg La figure poseacutee au premier cercle du Portail vis-agrave vis lHocirctel-Dieu repreacutesente au plus haut Dieu le Pegravere Creacuteateur de lUnivers eacutetendant ses bras et tenant en chacune de ses mains une figure dhomme en forme dAnge Cela repreacutesente que Dieu Tout-Puissant au moment de la creacuteation de toutes choses quil fit de rien seacuteparant la lumiegravere des teacutenegravebres en fit ces nobles Creacuteatures que les Sages appellent Ame Catholique Esprit universel ou Souffre vital incombustible et Mercure de vie cest-agrave-dire lhumide radical geacuteneacuteral lesquels deux principes sont figureacutes par ces deux Anges [on a deacutejagrave eu loccasion de montrer que cet humide radical que Fulcanelli appelle meacutetallique ne peut ecirctre autre chose que des laquo chaux raquo meacutetalliques qui sont initialement incorporeacutees au Mercure sous forme de sulfates]

Dieu le Pegravere les tient en ses deux mains pour faire la distinction du souffre vital son huile de vie quon appelle Ame et du Mercure de vie ou humide premier neacute quon nomme Esprit quoique ce soit termes synonymes [il est remarquable de voir comment Gobineau emploie des termes parfaitement justes pour parler du Soufre et du Mercure lexpression huile de vie caracteacuterise leacutetat second du Mercure ducircment preacutepareacute et animeacute] mais seulement pour faire concevoir que cette Ame et cet Esprit tirent leur principe et leur origine du monde surceacuteleste et archeacutetypique ougrave est le Siegravege et le Trocircne plein de gloire du Tregraves-Haut dougrave il eacutemane surnaturellement et imperceptiblement pour se communiquer comme la premiegravere racine la premiegravere Ame mouvante et la source de vie de tous les Etres en geacuteneacuteral et de toutes les Creacuteatures sublunaires dont lhomme est le chef de preacutedilection Dans le cercle au-dessous du monde surceacuteleste et Archeacutetypique est le Ciel firmamental ou astral dans lequel paraissent deux Anges la tecircte pencheacutee mais couverte et enveloppeacutee

Linclination de ces deux Anges la tecircte en bas

[St-Pierre Fulcanelli le rappelle fut crucifieacute la tecircte en bas lhieacuteroglyphe ceacuteleste de Veacutenus peut de mecircme se voir agrave lendroit ougrave il figure Aphrodite ou agrave lenvers et il deacutesigne alors ce globe crucifegravere que les bons auteurs ont toujours deacutesigneacute comme la stibine ou mieux lalbacirctre des Sages]

nous donne agrave entendre que lAme universelle ou lEsprit Catholique ou pour mieux dire le souffle de la vertu de Dieu cest-agrave-dire les influences spirituelles du Ciel archeacutetypique descendent de lui au Ciel astral qui est le second monde eacutegalement ceacuteleste dit eacutetipique ougrave habitent et regravegnent les planegravetes et les eacutetoiles qui ont leur cours leurs forces et vertus pour laccomplissement de leur destination et de leurs devoirs selon les deacutecrets de la Providence qui les a ainsi ordonneacutes et subordonneacutes afin dopeacuterer par leur ministegravere et leurs influences la naissance et geacuteneacuteration de tous les Etres Spirituels et de toutes choses sublunaires participants de lAme et de lEsprit universel et par les deux Anges la tecircte en bas et qui sont vecirctus nous est deacutesigneacute que la semence universelle et

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spirituelle Catholique ne monte point mais descend toujours [la Roseacutee de mai est ici expresseacutement deacutesigneacutee] et lenveloppe dont elle est voileacutee dans les corps nous enseigne que cette semence ceacuteleste est couverte quelle ne se montre point nue mais quelle se cache avec soin aux yeux des ignorants et des Sophistes et nest point connue du vulgaire

3deg Au-dessous du Firmament est le troisiegraveme Ciel ou leacuteleacutement de lair dans lequel paraissent trois enfants environneacutes de nuagesCes trois enfants signifient les trois premiers eacuteleacutements de toutes choses appeleacutes par les sages principes principians dont les trois principes infeacuterieurs sel souffre et mercure tirent leur origine et quon nomme principes principieacutes pour les distinguer des premiers quoique tous ensemble ils descendent du Ciel archeacutetypique et partent des mains de Dieu qui de sa feacuteconditeacute remplit toute la nature mais toutes les influences spirituelles et ceacutelestes semblent ecirctre eacutemaneacutees des deux premiers Cieux avant de sunir agrave aucun corps sensible ce qui fait que toute eacutemanation spirituelle du premier Ciel ou de lArcheacutetypique est appeleacutee Ame et celle du second Ciel ou Firmament est nommeacutee Esprit

Ce sont donc cette Ame et cet Esprit invisibles et purement spirituels qui remplissent de leurs vertus actives et vivantes le troisiegraveme Ciel appeleacute Eleacutementaire ou le Ciel typique parce que cest le seacutejour des Eleacutements qui mus ordonneacutes et subordonneacutes par les deux mondes supeacuterieurs agissent agrave leur tour par commotion et mouvement descendant ascendant progreacutediant et circulaire sur tous les Etres infeacuterieurs et sur toutes les Creacuteatures sublunaires composes de leurs qualiteacutes mixtes quon nomme les quatre tempeacuteraments

Or cette Ame eacutemaneacutee dans le monde Eleacutementaire quelle remplit de sa lumiegravere vivifiante est appeleacutee souffre et lesprit eacutemaneacute du monde ou Ciel firmamental qui est en principe lhumide radical de toutes choses auquel ce souffre ou la chaleur lumineuse est attacheacute et adheacuterant comme agrave son premier et dernier aliment est appeleacute Mercure ou lhumide premier neacute qui est lhumide radical de toutes choses et par conseacutequent indivisible du souffre ou acircme eacutetheacutereacutee laquelle eacutetant un feu ceacuteleste lumineux et chaud ne peut subsister sans son union intime et indissoluble avec cet esprit son humide radical mais cela est au-dessus de la porteacutee des insenseacutes [Gobineau parle ici de la neacutecesssiteacute que le meacutetal soit reacuteincrudeacute cest-agrave-dire dissous au sein du Mercure]

Cette Ame et cet Esprit unis comme une seule et mecircme essence partant du mecircme principe et ne faisant pour ainsi dire quune mecircme chose puisquils ne sont divisibles que par lesprit ne peuvent ecirctre vus ni toucheacutes mais seulement conccedilus et compris par les sages Investigateurs de la Science de Dieu et de la Nature cette Ame et cet Esprit ne nous deviennent sensibles que par le lien indivisible qui les attache lun agrave lautre or ce lien quon nomme sel [il faut bien ici diffeacuterencier le lien entre les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature quil sagit de conjoindre du lien du Mercure dont nous parlons dans la section des blasons alchimiques] est leffet de leur union et amour mutuel et un corps spirituel qui nous les cache et les enveloppe dans son sein comme ne faisant quune seule et mecircme chose de trois ce que les gens peacutetris de preacutejugeacutes nentendront et ne comprendront point

Ce Sel est celui de la Sapience cest-agrave-dire la copule et le ligament du feu et de leau du chaud et de lhumide en parfaite Homogeacuteneacuteiteacute et qui est le troisiegraveme principe [Gobineau deacutevoile ici un secret de haut lignage il sagit de ce que nous avons appeleacute le sel harmoniac sophique] il ne se rend point visible ni tangible dans lair que nous respirons ougrave il est subtil et fluide et il ne manifeste son corps visible que par son seacutejour et deacutepocirct en reacutesidu dans les mixtes ou composeacutes deacuteleacutements quil fixe et encloue en se mecirclant intimement au Souffre Mercure et Sel qui sont des principes naturels agrave lui fort analogues et Constituteurs des Creacuteatures Sublunaires

Le Sel ceacuteleste est le principe principiant qui procegravede de lAme et de lEsprit cest-agrave-dire de leur action ou pour mieux dire du souffre et du Mercure eacutetheacutereacutes il est le moyen et le milieu qui les unit dans leur action pour se traduire en fluide dans le souffre le Mercure et le Sel de nature sous un corps visible et tangible lors appeleacute par les Sages de toutes sortes de noms tantocirct Sel Alkali Sel Armoniac Salpeacutetre des Philosophes et tantocirct de mille surnoms symboliques ou agrave son origine ou agrave sa descension ou bien agrave son essence corporelle pour prouver queacutetant lAme IEsprit et le Corps universel de la Nature il est susceptible de toutes sortes de deacutetermination quil plaira agrave la Nature ou agrave IArtiste de lui donner selon lArt de la Sagesse [cest au fond ni plus ni moins quun bi-silicate qui est ici deacutesigneacute le secret reacuteside dans le dosage exact des eacuteleacutements accessoires tels la chaux la silice et lagent mineacuteralisateur proprement dit]

Mais il ne faut point perdre de vue que cest du monde surceacuteleste que la source de la vie de toutes choses tire son origine et que cette vie est appeleacutee Ame ou Souffre [cest loxyde qui assure la teinture de la pierre par conseacutequent cest lui qui loriente mais la nature de la terre vitrifiable ou cimolienne intervient aussi] que du monde ceacuteleste ou firmamental procegravede la lumiegravere quon

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appelle Esprit autrement humide ou Mercure et que cette Ame et cet Esprit remplissant de leur feacuteconditeacute vivifique le troisiegraveme monde appeleacute Eleacutementaire leur action eacutenergique et eacutelastique perpeacutetuellement circulaire [cette ideacutee de cercle fondement de lart si lon se reacutefegravere au serpent Ourobouros a trait au caractegravere permanent constant du feu secret] y porte et produit le Feu tout divin analogique de chaleur et dhumide radicaux mais qui est imperceptible et invisible non vulgaire ni grossier et par lequel comme Feu de vie par essence nourrissant Reacuteparateur Conservateur et non Destructeur les choses deviennent palpables et de soliditeacute corporelle [on a dit dans une autre section que laction du dissolvant loin de dissoudre consiste au contraire agrave joindre les deux chaux en une accreacutetion cest lapparition de Deacutelos] Dougrave il faut conclure que ces trois substances Souffre Mercure et Sel universel ceacutelestes sont les vrais principes principians de la geacuteneacuteration de toutes choses et que ces trois substances naturelles et sublunaires dans lesquelles les trois premiegraveres se rendent infuses et corporifieacutees sont les veacuteritables principes principieacutes constituteurs de la geacuteneacuteration des Corps par lencloument et la fixation quils font des qualiteacutes eacuteleacutementaires propres agrave la tempeacuterature des individus selon les Deacutecrets de la Providence

Cest ce qui a fait dire aux Sages que le Sel spirituel qui sert denveloppe et de lien au Souffre et au Mercure ceacutelestes eacutetait la seule et unique matiegravere dont se fait la Pierre des Philosophes et que comme ces trois substances identifieacutees par leur union nen faisaient quune la Pierre neacutetait point faite de plusieurs choses mais dune seule chose composeacutee trine en essence unique de principe et quadrangulaire de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees [cette forme nest autre que le rhomboegravedre tronqueacute forme presque cubique offerte par la Pierre] cependant cela se doit entendre agrave certains eacutegards qui puissent tomber sous lintelligence de lesprit et des sens en mecircme temps cest-agrave-dire quil ne faut pas simaginer que la matiegravere de la Pierre triangulaire et quadrangulaire des Sages se doive ni puisse prendre en son eacutetat de fluide aeacuterien invisible mais il faut entendre quil est neacutecessaire de chercher et trouver cette mecircme matiegravere de fluide aeacuterien infuse et corporifieacutee en une terre Vierge des enfants de la Nature qui en sont les mieux partageacutes les plus hautement et copieusement favoriseacutes et en qui les premiers et les seconds Agents unis ont plus de digniteacute dexcellence et de vertu Car la racine du Souffre des Sages de leur Mercure et de leur Sel est un Esprit ceacuteleste Spirituel et surnaturel qui par le veacutehicule de lair subtil se porte et se condense en air ou vapeur eacutepaissie et fait une matiegravere universelle et lunique de toute procreacuteation

4deg Au-dessous de ces trois enfants placeacutes dans leacuteleacutement de lair est le Globe de lEau et de la Terre sur laquelle paissent des animaux comme un mouton un taureau etc Le Globe de l Eau et de la Terre nous deacutesignent les Eleacutements infeacuterieurs tels que lEau et la Terre dans lesquels le Feu ceacuteleste et lhumide radical tregraves subtil par le moyen de lair sinsinuent jusquau profond et y circulent incessamment par leur propre vertu sous la forme invisible dun Esprit surceacuteleste et de vie qui selon David Psaume18 v 6 7 8 a son Tabernacle dans le Soleil dougrave par sa vertu eacutenergique comme un Epoux qui se legraveve de sa couche nuptiale il seacutelance pour parcourir la voie des Eleacutements ainsi quun

superbe Geacuteant [allusion aux Titans qui deacutesigne de la chaux] qui mesure son eacutelan et ses forces dans la vaste eacutetendue de lair sa sortie est du plus profond des Cieux de lagrave il procegravede peacutenegravetre partout et ne laisse rien priveacute de la chaleur de sa preacutesence vivifiante de lexpression mecircme de Salomon en son Eccleacutesiastes c 1 v 5 6 Cest ce mecircme Esprit divin qui eacuteclaire limmensiteacute de lUnivers qui se poussant et repoussant par vertu eacutenergique et eacutelastique en circuit du centre agrave lexcentre et en la capaciteacute de tout retourne sans cesse et perpeacutetuellement dans les cercles quil deacutecrit par son mouvement et son cours eacuteternel et universel

Cest ainsi que cet Esprit universel par le feu et lhumide nourrit les poissons dans leau les animaux sur la terre et les insectes en terre quil fait veacutegeacuteter les Plantes et produit les Mineacuteraux [cf la section sur le Mercure et les blasons alchimiques] et Meacutetaux au Centre et dans les entrailles de la Terre pourquoi son influence circulante comme Feu vital uni agrave lhumide radical par le Sel de Sapience est la semence universelle qui se congegravele et dont la vapeur seacutepaissit au centre de toutes choses cette semence spirituelle opegravere dans les diffeacuterentes matrices selon leurs dispositions leur nature leur genre leur espegravece et leur forme particuliegravere pour produire toutes les geacuteneacuterations en y mettant le mouvement et la vie

Quant aux deux animaux paissant qui sont le mouton et le taureau cest pour nous dire quau retour du Printemps et dans les deux premiers mois qui sont mars et avril auxquels ces deux animaux dominent en qualiteacute de signes du zodiaque la matiegravere universelle creacuteative et reacutecreacuteative eacutetant plus amoureuse de la Vertu ceacuteleste [allusion agrave la roseacutee de mai] qui y infuse ses proprieacuteteacutes vitales copieusement est plus abondante vertueuse et exalteacutee par conseacutequent aussi plus qualifieacutee quen un autre temps [voir lemblegraveme de Limojon de St-Didier]

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5deg Au-dessous de ces deux animaux on voit un corps comme endormi et coucheacute sur son dos sur lequel descendent de lair deux ampoules le col en bas lune adressant vers le cerveau et lautre vers le cœur de cet homme endormi Ce corps ainsi figureacute nest autre chose que le sel radical et seacuteminal de toutes choses lequel par sa vertu magneacutetique [cest lAimant de Philalegravethe il sagit du dissolvant qui assure la laquo disparition raquo initiale des chaux meacutetalliques cest lune des putreacutefactions de Le Breton] attire agrave soi lacircme et lesprit Catholiques qui lui sont homogegravenes et qui sans cesse sinsinuent et se corporifient dans le sel ce qui est repreacutesenteacute par les deux ampoules ou fioles contenants la chaleur et lhumiditeacute naturelle et radicale et ce sel ayant ainsi attireacute et corporifieacute ces deux substances en lui leur union spirituelle lui ayant acquis de prodigieux degreacutes de force il se pousse et peacutenegravetre dans le point central des individus et duniversel que ce sel eacutetoit il se particularise se corporifie se deacutetermine et devient rose dans le rosier or dans largent vif mineacuteral or dans lor plante dans le veacutegeacutetal roseacutee dans la roseacutee homme dans lhomme dont le cerveau repreacutesente lhumide radical lunaire et le cœur signifie la chaleur naturelle solaire veacutehiculeacutee dans le premier comme sa matrice

6deg Au cocircteacute droit des mecircmes trois enfants un peu plus bas que lair est un escalier par lequel monte agrave genoux un homme ayant les mains jointes et eacuteleveacutees en lair duquel eacuteleacutement il descend une ampoule ou fiole et au haut de lescalier il y a une table couverte dun tapis avec une coupe dessus Lescalier nous apprend quil faut seacutelever agrave Dieu le prier agrave genoux de coeur desprit et dacircme pour avoir ce don qui est le Magistegravere des Sages et vraiment un tregraves grand don de Dieu [assonance en grec entre le soufre et Dieu la matiegravere premiegravere est un sulfate] une gracircce singuliegravere de sa bonteacute et quil ne faut pas ecirctre en des lieux bas [cest tout le contraire lun des eacuteleacutements neacutecessaire agrave la preacuteparation du feu secret ne se trouve que dans les caves et les eacutetables] pour prendre la premiegravere matiegravere universelle qui contient la forme veacutegeacutetale et geacuteneacuterale du monde lampoule qui descend de lair signifie la liqueur ou roseacutee ceacuteleste qui deacutecoule premiegraverement de linfluence surceacuteleste se mecircle ensuite avec la proprieacuteteacute des astres et dicelles mecircleacutees ensemble il se forme comme un tiers entre terrestre et ceacuteleste voilagrave comme se forme la semence et le principe de toutes choses

Pour la coupe qui est sur la table elle repreacutesente le vase avec lequel on doit recevoir la liqueur ceacuteleste [cest le vase dit laquo de nature raquo reportez-vous agrave Cybegravele]

7deg Au cocircteacute gauche de cette mecircme Porte de ce grand portail sont quatre grandes figures de grandeur humaine qui chacune ont un symbole sous leurs pieds La premiegravere la plus proche de la porte a sous ses pieds un dragon volant qui deacutevore sa queue [symbole classique lune des gravures du De lapide philosophorum de Lambsprinck exprime parfaitement lalleacutegorie] La deuxiegraveme a sous ses pieds un lion dont la tecircte est contourneacutee vers le Ciel ce qui lui lait faire un effort de contorsion de col

[cette contorsion preacutesente un inteacuterecirct hermeacutetique majeur le deacutetour se dit en grec dont lune des acceptions est circonvolution mouvement de rotation combien de fois navons-nous pas rencontreacute ce mouvement denroulement ce resserrement Nous donnons cet extrait de nos blasons alchimiques qui permettra au lecteur la facile identification de notre Sujet en sa premiegravere matiegravere

Proche du filet la spirale se retrouve sur des pierres celtiques et lon peut citer avec R Viel la laquo pierre omphaloiumlde de Turoe comteacute de Galway raquo laquelle laquo date de leacutepoque de la Tegravene (300 ans av J-C) raquo Ces spirales repreacutesentent une reacuteserve de forces au plan hermeacutetique La cabale alchimique permet dy deacuteceler des indices de corps astringent qui laquo resserrent ou eacutetreignent raquo possegravedent une odeur stiptyque et sont freacutequemment associeacutes agrave certains symboles ici cest Bacchus qui est mentionneacute et le sujet des Sages est compareacute au lierre (consideacutereacute comme la partie mineacuterale) lagrave cest un arbre scieacute et eacutetreint quon peut observer crsquoest-agrave-dire un arbre mutileacute qui est compareacute au meacutetal dans un des caissons du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne (DM II) Le lierre (hedera) enguirlande le thyrse (javelot) de Bacchus il peut ecirctre compareacute aux serpents enrouleacutes en spirale autour du caduceacutee de Mercure et marque le caractegravere astringent ou styptique dune substance Dans le mecircme ordre drsquoideacutee on peut rapprocher par analogie le lierre dune plante souple qui sert agrave lier la vigne (ampelosdesmos) et notamment la couleuvreacutee (vitis alba) Enserrer lier cest bien cette action quexprime le personnage de la FIGURE XVI ougrave lon peut deviner un vautour expirant Ce vautour ou aigle a la mecircme valeur que le dragon expirant que lon voit sur lune des quatre Vertus au tombeau des Carmes que lon peut visiter dans notre section des Gardes du corps de Franccedilois II cette Vertu cest la Force Ce corps astringent nous lavons nommeacute de nombreuses fois et il est habituellement associeacute au bleacute On lextrait de la terre de Samos ou de la terre de Chio et il repreacutesente la reacutesine de lor Ce corps sapparente au 1

er Mercure ou sel des Sages]

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La troisiegraveme a sous ses pieds la figure dun ridicule qui se rit et se moque des figures quil regarde et qui semblent se preacutesenter agrave lui [il sagit du laquo fou raquo de loeuvre cest le Mercure] Et la quatriegraveme foule aux pieds [la terre agrave foulon est dun inteacuterecirct hermeacutetique majeur reporte-vous agrave la section sur la matiegravere premiegravere] un chien et une chienne qui tous sentremordent vigoureusement et semblent vouloir se deacutevorer lun et lautre [il sagit bien sucircr du chien de Corascegravene et de la chienne dArmeacutenie dArteacutephius ce sont les deux natures meacutetalliques de loeuvre]

Par le dragon volant qui deacutevore sa queue est repreacutesenteacutee la Pierre des Philosophes composeacutee de deux substances ou mercure dune mecircme racine et extraite dune mecircme matiegravere lune desquelles substances est lesprit eacutetheacutereacute humide et volatil et lautre est le souffre ou sel de nature corporel sec et fixe lequel par sa nature et sicciteacute interne [alkali fixe tartre vitrioleacute] deacutevore sa queue glissante de dragon cest-agrave dire dessegraveche lhumiditeacute et la convertit en Pierre aideacute par le feu constant dans la concaviteacute de lesprit eacutetheacutereacute humide siegravege de lacircme Catholique Le lion courbeacute qui regarde vers le Ciel deacutenote le corps ou sel animeacute qui deacutesire reprendre avec aviditeacute son acircme et son esprit

La figure du ridicule repreacutesente les faux Philosophes et Sophistes ignorants qui samusent agrave travailler sur des matiegraveres heacuteteacuterogegravenes et ne rencontrent rien de bon se moquent de la Science hermeacutetique et disent quelle nest pas vraie mais purement illusoire en quoi ils offensent la veacuteriteacute Divine qui a mis ses plus riches treacutesors dans le sujet Le chien et la chienne qui sentre-deacutevorent que les Sages appellent chien dArmeacutenie et chienne de Corascegravene signifient que le combat des deux substances de la Pierre est dune seule racine car lhumide agissant contre le sec se dissout et ensuite le sec agissant contre lhumide qui auparavant avait deacutevoreacute le sec est englouti par le mecircme sec et reacuteduit en eau segraveche [il sagit du Mercure philosophique] et cela sappelle prendre dissolution de corps et congeacutelation de lesprit ce qui est tout le travail de lŒuvre hermeacutetique

8deg Au dessous de ces grandes figures dans un pilier proche le Portail est la figure dun Evecircque [cest le conducteur ou laquo lappariteur raquo de loeuvre on peut lassimiler au sel harmoniac sophique] chargeacute de sa mitre et de sa crosse en posture meacuteditative Cet Evegraveque repreacutesente Guillemus Parisiensis ou bien celui qui a fait construire ce magnifique Portail et qui y a fait mettre les Enigmes [cet eacutevecircque a fait lobjet dun commentaire deacutetailleacute de Fulcanelli dans son Mystegravere des Catheacutedrales cf Cambriel]

9deg Au pilier qui est au milieu et qui seacutepare les deux portes de ce Portail est encore la figure dun Evecircque lequel met sa Crosse dans la gueule dun dragon qui est sous ses pieds et qui semble sortir dun bain ondoyant dans lesquelles ondes parait la tecircte dun Roi agrave triple Couronne qui semble se noyer dans les ondes puis en sortir derechef [cest lalleacutegorie semblable agrave celle de lapparition de Deacutelos qui consacre le deacutebut de laccreacutetion du Soufre agrave la Terre]

Cet eacutevecircque repreacutesente le sage Artiste Chimique lequel fait par son art congeler [voyez le reacutecit de De Cyrano Bergerac combat entre la reacutemore et la salamandre] la substance volatile du dragon mercuriel qui veut seacutelancer et sortir du vase qui le contient sous la forme deau ondoyante cest-agrave dire quil est exciteacute agrave ce mouvement interne par une douce chaleur externe et ce Roi couronneacute est le souffre de nature qui est fait par lunion physique et excentrique des trois substances homogegravenes mais seacutepareacutees par lArtiste de la premiegravere matiegravere Catholique lesquelles trois substances sont lesprit eacutetheacutereacute mercuriel le sel sulfureux ou nitreux et le sel alkali ou fixe et qui conserve son nom de sel entre les trois principes principians et les trois principes principieacutes qui tous trois eacutetaient contenus dans le chaos humide dans lequel ce Roi se noye et semble demander du secours quil nobtient de lArtiste alchimique quapregraves secirctre dissous dans le dissolvant de sa propre substance qui lui est semblable apregraves quoi il aura meacuteriteacute decirctre satisfait en sa demande cest-agrave dire quapregraves quil a eacuteteacute englouti et fait eau par son eau [il sagit dune substance qui se dissout dans son eau de cristallisation] il se congegravele par sa chaleur interne exciteacute par son sel ou sa propre terre par laquelle opeacuteration simple naturelle et sans meacutelange se fait le Magistegravere des Sages qui nest autre chose que dissoudre le corps et congeler lesprit apregraves avoir mis dans loeuf cristallin le poids convenable de lune et lautre substance qui sont triple et une car tout le travail de lŒuvre est de monter et descendre successivement quon appelle ascension et descension jusquagrave ce que de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees contraires homogeacuteneacuteiseacutees lon fasse trois principes constitutifs et ordonnateurs que des trois lon fasse apparaicirctre le feu et leau le sec et lhumide que de ces deux lon fasse un seul parfait peacutetrifieacute en sel qui contient tout le Ciel et la terre en eacutepuration et cuisson des heacuteteacuterogegravenes

10deg Au Portail agrave main droite lon voit les douze signes du Zodiaque diviseacutes en deux parties en ordre selon la science de Dieu et de la nature En la premiegravere partie du cocircteacute droit sont les signes du Verseur deau et des Poissons qui sont hors dœuvre ce quil faut remarquer et noter Puis en oeuvre sont le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux au dessus lun de lautre Et au dessus des Jumeaux

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est le signe du Lion quoique ce ne soit pas son rang car il appartient agrave LEcrevisse mais il faut consideacuterer cela comme mysteacuterieux Les signes du Verseau et des Poissons sont mis hors dœuvre cest expresseacutement pour faire connaicirctre quaux deux mois de janvier et feacutevrier on ne peut avoir ni recueillir la matiegravere universelle [cest purement alleacutegorique les signes zodiacaux sont des hieacuteroglyphes ceacutelestes voila tout] Pour le Beacutelier et le Taureau ainsi que les Jumeaux qui sont en œuvre Lun au-dessus de lautre et qui regravegnent au mois de mars davril et de mai ils apprennent que cest dans ce temps lagrave que le sage Alchimique doit aller au devant de la matiegravere et la prendre agrave linstant quelle descend du Ciel et du fluide aeacuterien ougrave elle ne fait que baiser les legravevres des mixtes et passer par dessus le ventre des Bourgeons et des feuilles Veacutegeacutetables qui lui sont sujettes pour entrer triomphante sous ses trois principes universels dans les corps par leurs portes doreacutees et y devenir la semence de la rose ceacuteleste ce qui sentend par symbole Alors son amour lui fait jeter des larmes qui ne sont rien plus que lumiegravere de laquelle le Soleil est le pegravere revecirctu dune humiditeacute de laquelle la Lune est la megravere et que le vent de lOrient apporte dans son ventre dans cet eacutetat vous lavez universelle et non deacutetermineacutee dautant que vous laurez prise auparavant quelle soit attireacutee par les aimants des individus speacutecifiques et quelle soit speacutecifieacutee en iceux

Au regard du signe du Lion qui est poseacute au-dessus de Jumeaux ougrave devrait ecirctre placeacutee lEcrevisse cest pour faire entendre quil y a quelque changement et une alteacuteration des Saisons contenue dans le travail manuel et physique de la Pierre et qui nest pas si propre pour recevoir et prendre la matiegravere quau temps ougrave regravegnent le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux car en eacuteteacute pendant les grandes chaleurs par lardeur et la pompe du Soleil qui exhale beaucoup dhumide radical pour sa substance son entretien et sa nourriture il se fait une grande dissipation et deacuteperdition des esprits et la plus grande partie de la matiegravere increacutementale et nourriciegravere des corps est convertie dans la spiritualiteacute aeacuterienne dont on ne peut la retirer que par le moyen de laimant physique et phylosophique qui lui est homogegravene cest-agrave-dire par une tempeacuterature assaisonneacutee dhumide qui est son aimant et son enveloppe

11deg Au bas un peu au-dessus du Verseau et vis-agrave-vis des Poissons lon voit un Dragon volant qui semble regarder seulement et fixement Aries Taurus et Gemini cest-agrave-dire les trois figures du Printemps qui sont le Beacutelier le Taureau et les JumeauxCe Dragon volant qui repreacutesente lesprit universel et qui regarde fixement les trois figures semble nous dire affirmativement que ces trois mois sont les seuls dans le cours desquels lon peut recueillir fructueusement cette matiegravere ceacuteleste que lon appelle lumiegravere de vie laquelle se tire des rayons du Soleil et de la Lune par la coopeacuteration de la nature un moyen admirable et un art industrieux mais simple et naturel

12deg Proche et derriegravere ce Dragon volant est figureacute un Ridicule et derriegravere ce Ridicule est un chien assis sur le dos sur lequel chien est poseacute un oiseau Ce Ridicule est un moqueur de la science hermeacutetique en question un rieur meacuteprisant des opeacuterations des vrais Sages et Philosophes et de tous leurs Partisans quil estime insenseacute tout aveugleacute quil est dans lerreur vulgaireLa figure de ce Chien poseacute sur le dos sur lequel est un oiseau nous fait entendre que ce chien est le corps ou le sol de la matiegravere universelle fidegravele agrave lArtiste qui sccedilait la travailler et loiseau repreacutesente lesprit de la mecircme matiegravere lequel y est poseacute cette matiegravere est connue communeacutement sous les noms de souffre et de mercure le sel pour tiers et copule ou liaison y eacutetant compris comme indivisible des deux qui sont le corps et lesprit

13deg En la seconde partie de ce Portail au cocircteacute gauche et tout en haut est le signe de lEcrevisse agrave la place dit Lion qui est de lautre cocircteacute du mecircme PortailSur la mecircme ligne de lEcrevisse sont la Vierge [symbole de la matiegravere primitive Virga paritura] la Balance et le Scorpion [symbole des deux

natures meacutetalliques par son venin ] tous quatre en oeuvre Et ensuite le Sagittaire [qui a des rapports avec Arteacutemis] et le Capricorne [dont Saturne-Cronos est le maicirctre] qui sont hors doeuvre Par lEcrevisse ainsi placeacutee en haut est teacutemoigneacute que la matiegravere Lunaire a eacuteteacute bien abondante mais que labondance nen est plus si grande agrave cause que les Pleiumlades qui sont des constellations humides sen retournent La Vierge la Balance et le Scorpion sont les derniers degreacutes de chaleur pour la coction de loeuvre Phylosophique car en ce temps Automnal la maturiteacute des fruits se parfait par le Sagittaire et le Scorpion qui sont hors doeuvre ce qui deacutemontre leur frigiditeacute et sicciteacute et que ces qualiteacutes conccedilues par lesprit intelligent sont neacuteanmoins invisibles exteacuterieurement en la matiegravere de notre Magistegravere

14deg A droite et agrave gauche de ces douze Signes du Zodiaque qui repreacutesente le cours de lanneacutee sont quatre figures repreacutesentant les quatre Saisons qui sont lHiver le Printemps lEteacute et lAutomne Par ces quatre Saisons il est donneacute agrave entendre que le Composeacute phylosophique doit ecirctre entretenu en lathanor ou fourneau de cuisson pendant un an et plus ce qui fait dix mois hermeacutetiques par les degreacutes dune chaleur qui soit douce et proportionneacutee au commencement et puis un peu plus forte

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sur la fin et cependant lineacuteaire comme pour faire colorer et mucircrir les fruits qui se recueillent pendant trois de ces Saisons agrave savoir le Printemps lEteacute lAutomne moyennant quoi lArtiste acquiert la Meacutedecine au blanc Symbole de la Vierge megravere et Pascale quil peut arrecircter et prendre au cercle citrin comme Meacutedecine lunaire universelle parfaite ou bien continuer sans interruption de travail et pousser jusquau rouge parfait qui en est produit comme Meacutedecine solaire universelle et souveraine accomplie au temps de sa naissance marqueacutee solennellement par les Sages

15deg Au-dessous de huit grandes Figures du mecircme Portail dont il y en a quatre de chaque cocircteacute et tout en bas sont deacutemontreacutees les vraies opeacuterations pour faire et parfaire la Meacutedecine universelle que le Curieux apprenti de cette Oeuvre divine pourra expliquer ou se les faire expliquer mais jamais ne les expliquer par eacutecrit

16deg Lon voit six Figures au Portail du milieu au cocircteacute droit La premiegravere est un Aigle [symbole complexe lun des plus difficiles agrave appreacutehender lAigle a rapport avec la sublimation] la seconde un Caduceacutee entortilleacute de deux serpents [double Mercure] la troisiegraveme un Pheacutenix qui se brille la quatriegraveme un Beacutelier la cinquiegraveme un homme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair et la sixiegraveme est une Croix au trait quarteacute ougrave il se voit dun cocircteacute sur la ligne transversale une larme et sur la mecircme ligne de lautre cocircteacute un calice en cette forme[] Ces six Figures ne sont pour ainsi dire que la reacutepeacutetition de ce qui a deacutejagrave eacuteteacute dit tant de fois sous diffeacuterentes figures et diffeacuterents termes qui sont ineacutepuisables par le peu de travail et la simpliciteacute de la matiegravere qui ne se fait neacuteanmoins connaicirctre quaux vrais Philosophes et non pas aux Sophistes ignorans quelques recherches quils en fassent parce que leur intention est mauvaise et orgueilleuse et que ce Don divin nest accordeacute quaux simples et humbles de coeur meacutepriseacutes du reste du monde insenseacute et assez malheureux en son aveuglement pour ne se repaicirctre que de fables transitoires

1deg Laigle par exemple ne signifie autre chose que lEsprit universel du monde et cest lOiseau dHermegraves et le mouvement perpeacutetuel des Sages

2deg Le Caduceacutee entortilleacute de deux serpents enseigne que la Pierre est composeacutee de deux substances quoique tireacutee du mecircme corps et extraite de la mecircme racine ces deux substances neacuteanmoins semblent ecirctre contraires eu apparence lune eacutetant humide et lautre seiche [segraveche] lune volatile et lautre fixe mais elles sont semblables en essence et en effets parce quelles sont deux de nature venant dun seul principe quoiquelles ne soient reacuteellement quune

3deg Le Pheacutenix qui se brucircle et renaicirct de ses propres cendres nous apprend que ces deux substances apregraves avoir eacuteteacute mises dans loeuf philosophique en lAthanor agissent longtemps et naturellement lune contre lautre quelles se livrent de furieux combats avant de sembrasser et de sunir que la guerre est longue avant de recevoir le baiser de paix que les flots de la Mer philosophique sont longuement agiteacutes par le flux et reflux avant que la bonace et le calme puissent succeacuteder et reacutegner enfin que les travaux sont bien grands auparavant que ces deux substances se reacuteduisent finalement en poudre ou souffre incombustible car cela ne se peut faire quapregraves que lhumide Mercuriel a eacuteteacute consommeacute ou plutocirct desseacutecheacute par la grande activiteacute du chaud et sec interne de la substance corporelle du Sel de nature et que tout le compost est fait semblable Cest apregraves ces brucirclemens ou calcinations philosophiques que cette poudre le vrai Pheacutenix des Sages car il ny a point dans le monde dautre Pheacutenix que celui-lagrave eacutetant dissout derechef dans son lait virginal retourne agrave reprendre naissance par soi-mecircme et de ses propres cendres et continue ainsi agrave renaicirctre et mourir tout autant de fois quil plaicirct agrave lArtiste bien expeacuterimenteacute

4deg Le Beacutelier signifie toujours le commencement de la Saison en laquelle il faut prendre la matiegravere dautant quen ce temps deffervescence lhumide igneacute de lEsprit universel commence agrave monter de la Terre au Ciel et agrave descendre du Ciel en terre bien plus copieusement quen toute autre saison et avec plus de vertu surtout dans les miniegraveres ou le Soleil a fait au moins trente reacutevolutions et non plus de trente-cinq ougrave la Nature mineacuterale commence agrave reacutetrograder pour tendre agrave sa deacutepravation et agrave son deacuteclin

5deg Lhomme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair nous deacutemontre quil faut sccedilavoir ce que cest que lAymant fait par lhomme qui a la puissance dattirer du Ciel du Soleil et de la Lune par sa vertu magneacutetique lEsprit Catholique invisible revecirctu de la pure substance humide eacutetheacutereacutee influence quintessencieacutee pour de ces deux en faire une troisiegraveme substance participant des deux autres individuellement et qui chacune contienne en soi indivisiblement le Sel le Souffre et le Mercure universels lesquels tous trois se congegravelent et sunissent au centre de toutes choses

6deg Quand agrave la Croix ou sur les lignes transversales par les cocircteacutes dicelle sont poseacutes une larme et un Calice cest pour nous faire entendre que ce nest que la Nature eacuteleacutementaire cest-agrave-dire les quatre

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Elemens croiseacutes [le thegraveme de la Croix est omnipreacutesent en alchimie elle figure le creuset et aussi linconnue X de Fulcanelli] figureacutes par les quatre lignes de la Croix en effet cest par le moyen des quatre Elemens que les vertus et les eacutenergies ceacutelestes descendent et sinsinuent incessamment sur tous les Corps visibles et sublunaires Les deux lignes haute et basse repreacutesentent le Feu ceacuteleste et les deux autres lignes traversantes signifient lair et leau La larme qui signifie lhumide de lair pleine de feu vital et poseacutee sur la ligne de lair et de leau doit ecirctre reccedilue dans le Calice qui signifie le reacutecipient et non pas dans les basses valleacutees quoi quelle soit partout mais sur des lieux qui savancent dans lair ougrave elle ne sera pas prise en quantiteacute par ceux qui nont pas la connaissance de laimant physique et philosophique

7deg Proche de la Porte agrave droite il y a dun cocircteacute cinq Vierges sages qui tendent leur Calice ou coupe vers le Ciel et reccediloivent ce qui leur est verseacute den haut par une main qui sort dune nueacutee et au-dessous sy voient et sy remarquent les vraies opeacuterations Alchimiques et Philosophiques Ces cinq Vierges repreacutesentent les vrais Philosophes Hermeacutetiques amis de la nature et qui ayant connaissance de lunique matiegravere dont elle se sert pour travailler dans la magneacutesie des trois regravegnes animal mineacuteral veacutegeacutetal reccediloivent du Ciel cette mecircme et unique matiegravere dans des vases convenables et suivant les opeacuterations de la mecircme nature ils travaillent physiquement et apregraves avoir fait le Mercure ou dissolvant Catholique ou le Sel de nature qui contient son souffre les unissent au poids requis les cuisent en lAthanor et finalement en font lElixir Arabique

8deg De lautre cocircteacute dudit Portail gauche on voit cinq autres Vierges mais folles en ce quelles tiennent cette Coupe renverseacutee contre terre ainsi elles ne peuvent ni ne veulent y recevoir la Lunaire que la nature leur preacutesente et qui est si copieuse quapregraves avoir largement satisfait agrave tout lUnivers il y en a encore plus de reste que demployeacutee et cela se fait en tout et se distribue en tous tems et incessamment parce quainsi la ordonneacute la voulu et le veut le Tregraves-Haut auquel gloire immortelle ineffable soit rendue sur la terre et aux Cieux Par les Vierges folles la Coupe renverseacutee sont repreacutesenteacutees une infiniteacute et presque innombrables dopeacuterations fausses des Sophistes des Chimistes des ignorans et deacutesespeacutereacutes ainsi que des impitoyables Souffleurs et Charlatans [il sagit en fait de lexpression double du symbole de Veacutenus Aphrodite ou Gaiumla]Ces cinq Vierges folles signifient ces faux Philosophes qui ne demandent que hercelets Sophistiques comme rubifications dealbations cohobations amalgamations etc qui meacuteprisent la lecture des bons Auteurs et qui par cette raison ne peuvent avoir connaissance de la vraie matiegravere quoiquil est vrai de dire quils la portent toujours avec eux jusque dans leur sein sur eux alentour deux sous leurs pieds et quils la respirent continuellement mais leur orgueil trop preacutesomptueux leur fait en meacutepriser la meacuteditation et la recherche simaginant stupidement dans leurs grossiegraveres Sophistications et leurs faux preacutejugeacutes la trouver sans la connaissance de la belle et pure nature interpregravete des Mystegraveres divins

En effet cette matiegravere est si commune et dun si vil prix que le pauvre en a autant que le

riche et elle est neacuteanmoins si preacutecieuse que chacun en a besoin et ne peut sen Passer Car

lon ne peut ecirctre vivre et agir Sans elleTout ce que jai remarqueacute en ce triple Portail est agrave la

veacuteriteacute beau et ravissant mais ce sont lettres closes Enigmes et Hieroglifs pleins de mystegraveres

pour les ignorans et choses mystiques pour les sccedilavans pour lesquels jai donneacute cette

Explication quils doivent comme Curieux consideacuterer exactement en levant les voiles qui

leur cachent lentreacutee aux secrets Cabinets de la chaste Diane Hermeacutetique Je nai point lu dans

les Cartes antiques de Paris ni de cette Catheacutedrale pour savoir le nom de celui qui a eacuteteacute le

Fondateur de ce Portail merveilleux mais je crois neacuteanmoins que celui qui a foumi ces

Enigmes Hermeacutetiques ces symboles et ces Hieroglifs mystiques de notre Religion a eacuteteacute ce

grand Docte et pieux Personnage Guillaume Eveacuteque de Paris la profonde Science duquel a

toujours eacuteteacute admireacutee avec raison des plus sccedilavans Philosophes Hermeacutetiques de lAntiquiteacute et

particuliegraverement du bon Bernard Comte de Trevisan sccedilavant adepte Philosophe Hermeacutetique

car il est certain que cet Evecircque a fait et parfait le magistegravere des Sages Or comme il a plu agrave

la divine Providence de me faire la gracircce de me donner quelque lumiegravere et connaissance de la

Philosophie Physique et Hermeacutetique jai tellement travailleacute quapregraves un long temps beaucoup

de soins de lecture des bons Livres et avoir fait quantiteacute de belles et bonnes opeacuterations jai

enfin trouveacute la triple clef par son essence pour ouvrir le sanctuaire des Sages ou plutocirct de la

sage Nature de sorte que je peux fidegravelement expliquer les Ecrits paraboliques et eacutenigmatiques

des Philosophes anciens et modernes ainsi que jai expliqueacute assez clairement les Enigmes

Paraboles et Hieroglifs de ce triple Portail ce que je fais tregraves volontiers pour donner

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contentement aux sccedilavans amateurs de cet Art divin et exciter la curiositeacute des nouveaux

Candidats qui aspirent agrave la connaissance de la Science naturelle et hermeacutetique dont Dieu

soit loueacute et exalteacute agrave jamais Ainsi soit-il Fin

Page 2: EXPLICATION TRÈS CURIEUSE - Tradgloss

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Introduction

Il ne fait aucun doute que ce texte soit en partie agrave la base du Mystegravere des Catheacutedrales que Fulcanelli nous a laisseacute avec les deux tomes des Demeures philosophales Au Moyen Acircge il eacutetait naturel dutiliser limage pour enseigner la foule actes de foi les catheacutedrales gothiques furent aussi des livres de pierre On lira avec profit sur ce sujet Le Croire et le Voir lart des catheacutedrales (XII

e-

XVe siegravecle) de Roland Recht [Gallimard 1999] Lideacutee quun symbolisme sy cache est ancienne En

1640 un gentilhomme de Chartres Esprit Gobineau de Montluisant fit imprimer le texte que nous preacutesentons [reacuteeacutediteacute par Cl dYgeacute in Nouvelle Assembleacutee des Philosophes Paris 1954] Ses thegravemes semblent avoir eacuteteacute repris par Fulcanelli et E Canseliet Citons agrave ce sujet L Girardin [lAlchimie Culture Art Loisir Paris 1972]

FIGURE I

(faccedilade)

Le soubassement du pilier central du portail principal de Notre-Dame de Paris offre une seacuterie de meacutedaillons ougrave lon reconnaicirct les sciences meacutedieacutevales qui composaient le Trivium et le Quadrivium (les deux cycles des eacutetudes de leacutepoque) A la place dhonneur une femme la tecircte couronneacutee de nueacutees preacutesente un livre ouvert qui masque en partie un livre fermeacute Devant elle une eacutechelle agrave neuf barreaux Fulcanelli preacutecise que cette curieuse figure repreacutesente lAlchimie Voire Limage correspond trait pour trait agrave la description symbolique de la philosophie donneacutee par le patrice romain Boegravece au VI

e siegravecle de

notre egravere Les neuf barreaux de cette eacutechelle des Sages sont les neuf degreacutes quil faut gravir dans deacutetude pour arriver agrave la connaissance totale On peut tout concilier en remarquant que lalchimie est une philosophie geacuteneacuterale de la nature mais prenons garde ne laissons pas limagination trop galoper

On reacuteussit pourtant agrave inteacutegrer ce symbolisme geacuteneacuteral agrave lalchimie agrave partir du moment ougrave lon a compris que ces tableaux de pierre ne constituent que des preacutetextes nous ne faisons pas autrement dans la section des blasons alchimiques il est eacutevident que les blasons que nous preacutesentons nont -au sens propre du terme- rien agrave voir avec lalchimie au sens figureacute et donc hermeacutetique il en va autrement et cest agrave lartiste quil convient dorienter le sens geacuteneacuteral agrave donner agrave ces hieacuteroglyphes spirituels Girardin eacutecrit encore

Le Mystegravere des Catheacutedrales commente savamment la seacuterie de vingt quatre meacutedaillons situeacutes sur les soubassements du mecircme portail central agrave droite et agrave gauche de lentreacutee monumentale On se doit dadmirer ces consideacuterations eacuterudites tout en remarquant que ces meacutedaillons repreacutesentent les Vertus agrave la rangeacutee supeacuterieure et les Vices agrave la rangeacutee infeacuterieure On reconnaicirct entre autres la Force un

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chevalier armeacute de pied en cap preacutesentant un lion sur son eacutecu et la Lacirccheteacute un homme darme jetant son eacutepeacutee et fuyant devant un liegravevre LHumiliteacute est une femme dont leacutecu est timbreacute dune colombe [Fulcanelli y voit un corbeau] et lOrgueil un homme qui tombe de cheval Ces derniegraveres interpreacutetations se justifient en feuilletant le carnet de notes dun maicirctre doeuvre du XIII

e siegravecle Villard

de Honnecourt [ici Girardin se reacutefegravere agrave une note qui napparaicirct pas sur la page aussi allons-nous donner quelques renseignements sur ce maicirctre-imagier] Parmi les nombreux croquis jeteacutes pecircle-mecircle on retrouve le cavalier mis agrave bas de sa monture avec la leacutegende Orgueil cy comme im treacutebuche et la femme agrave la colombe deacutesigneacutee par le mot Humiliteacute [] [op cit]

Sur Villard de Honnecourt nous ne saurions mieux conseiller au lecteur quun lien vers la BNF qui consacre agrave limagier un dossier complegravete agrave ladresse suivante

httpclassesbnffrvillardpresindexhtm

Pour en revenir au texte dEsprit Gobineau de Montluisant - qui va nous servir de laquo preacutetexte pour eacutevoquer les meacutedaillons du Mystegravere de Catheacutedrales - il parle dalchimie speacuteculative et leacutetudiant doit deacutejagrave avoir eacutetudieacute les textes avant de pouvoir sorienter dans ce deacutedale Signalons-lui limportance que revecirctent les signes du zodiaque tout particuliegraverement ceux du Beacutelier ougrave se manifeste le bourgeonnement du Taureau ougrave les plantes fleurissent et ougrave la vie prend possession de la matiegravere et des Geacutemeaux ougrave la feacutecondation est la manifestation de la tendance agrave lexpansion de la matiegravere Cest ensuite le calice ou coupe qui doit retenir lattention de leacutetudiant Pour deacutetourner la difficulteacute nous donnons cette image qui permettra de mieux saisir limportance du symbole et le texte qui suit tireacute de notre section sur les blasons alchimiques

Ainsi nous comprenons peu agrave peu que le sujet des Sages qui nest autre que de la Terre fait lobjet de multiples alleacutegories certaines sont voulues et ont une fonction hermeacutetique qui les deacutemarquent nettement des mythes et des leacutegendes dautres ne sont manifestement pas deacutesigneacutees en clair comme relevant dune signifiance hermeacutetique ou alchimique mais peuvent renvoyer agrave des archeacutetypes Ces archeacutetypes peuvent faire lobjet dune interpreacutetation cest agrave lartiste de deacutecider que tel ou tel sujet revecirct des laquo couleursraquo hermeacutetiques Il ne faut donc pas seacutetonner des jugements hacirctifs eacutemis par ceux qui nont pas su lire les ouvrages de Fulcanelli ou dE Canseliet Nos auteurs nont pris les livres ou les tableaux de pierre ou de bois sculpteacute que comme preacutetextes agrave leur propos limagination une volonteacute de partage de la connaissance un deacutesir de rigueur estheacutetique et scientifique le respect ducirc au silence imposeacute voila les qualiteacutes quentre toutes ils manifestegraverent agrave la perfection Ils surent en un mot faire lœuvre par le seul Mercure

Cest lAnnonciation qui constitue lalleacutegorie classique de lattaque de la prima materia par le 1er

agent Nous trouvons neacuteanmoins un vitrail de Saint-Ouen de Rouen qui deacuteroge agrave la regravegle traditionnelle et qui va nous permettre de poursuivre [] notre eacutetude Les quatre-feuilles sont tregraves reacutepandus dans les catheacutedrales gothiques et romanes et selon Fulcanelli lhieacuteroglyphe de la premiegravere matiegravere est circonscrit par lun dentre eux Voici ce quen dit E Canseliet

Ce diable jaune quun chevalier semble prier est de porteacutee plus eacutetendue gracircce aux vives couleurs du verre qui est ducirc agrave la prudence de Guillaume de Paris Au demeurant plutocirct que Baphomet cest maicirctre Pierre du Coignet qui est repreacutesenteacute et de qui il est parleacute dans Le Mystegravere des Catheacutedrales en relation avec le vaisseau argotique et somptueux

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FIGURE II

(deacutetail des vitraux que sertissent agrave louest

les nervures de la rosace de Notre-Dame de Paris le premier sujet)

Nous trouvons dans le quatre-feuille un cercle contenant une coupe que surmonte une croix cest une variation sur le thegraveme du cercle crucifegravere Le reacutesultat de la seacuteparation initiale est repreacutesenteacute par ce diable jaune et la priegravere du chevalier eacutevoque quelque filtration ou tamisage neacutecessaire pour seacuteparer radicalement la Terre de leau ce que nous avons deacutetailleacute plus haut en abordant les mystegraveres de lagriculture ceacuteleste Quant au quatre-feuille la couleur verte atteste de sa parenteacute mercurielle et la coupe crucifegravere symbolise les travaux du 2

egraveme œuvre par lesquels on preacutepare le Mercure La coupe

est deacutecrite par Fulcanelli aux DM I p381 quand il parle des

chercheurs qui ont avec succegraves surmonteacute les premiers obstacles et puiseacute leau vive de lantique Fontaine [et qui] possegravedent une clef capable douvrir les portes du laboratoire hermeacutetique

Avec en annexe la note 1

Cette clef eacutetait donneacutee aux neacuteophytes par la ceacutereacutemonie du Crategravere qui consacrait la premiegravere

initiation dans les mystegraveres du culte dionysiaque

Esprit Gobineau de Montluisant deacutecrit lun des trois portails de la faccedilade principale Ouest qui

offre au regard le portail central encore appeleacute portail des Jugements

httpndparisfreefrnotredamedeparisdossiers_photos httparchitecturereligfreefr]

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FIGURE III

(portail central)

Le portail central est relatif au Jugement dernier Au linteau on assiste agrave la reacutesurrection des morts au son de lolifant Ceux-ci rois soldats ou autres sortent vecirctus de leur tombeau et restent vecirctus mecircme lorsquils se dirigent vers lenfer (alors que les damneacutes sont tregraves souvent nus comme agrave Autun Bourges) Au registre infeacuterieur larchange St Michel pegravese les acircmes au centre tandis que le diable triche de faccedilon eacutehonteacutee A gauche les eacutelus legravevent le visage vers le Christ qui trocircne au-dessus deux A droite un diable pousse les damneacutes enserreacutes dans une corde vers une gueule denfer Au registre supeacuterieur un Christ en majesteacute est entoureacute danges portant les instruments de la Passion et des intercesseurs habituels la Vierge et Saint Jean Au trumeau on trouve un Beau Dieu Sur les socles on peut voir 6 des sept arts et la philosophie (cf Lart religieux du XIIIe siegravecle selon Emile Macircle) Ci-dessous la philosophie

FIGURE IV

(la Philosophie deacutetail)

Il saute aux yeux de leacutetudiant mecircme peu averti de lalchimie quil sagit lagrave dun des emblegravemes majeurs de lArt sacreacute sur lequel se sont longuement appesantis Fulcanelli et son disciple E Canseliet Lapparition donne agrave voir les deux cocircteacutes de la science dHermegraves le cocircteacute exoteacuterique cest le livre ouvert le cocircteacute eacutesoteacuterique cest le livre fermeacute Ou si lon preacutefegravere pour employer un langage qui ressortit plus directement agrave la cabale hermeacutetique respectivement le laboratoire et loratoire Nous avons eu loccasion deacutecrire ailleurs quune gravure reprenait agrave tregraves peu pregraves le symbolisme de cette alleacutegorie majeure [De Hans Vredemann de Vries in Amphitheatrum sapientiae aeternae Henri

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Kunrath 1609] Nous navons rien agrave ajouter aux commentaires lumineux des deux alchimistes du XXe

siegravecle Nous signalerons neacuteanmoins au lecteur linteacuterecirct que preacutesentent les nueacutees au-dessus de la tecircte de la deacuteesse qui voilent la roseacutee de mai chegravere agrave Altus auteur preacutesumeacute du Mutus Liber Leacutechelle de sapience dont le symbolisme se trouve deacutetailleacute dans les fragments commenteacutes des Douze Clefs de Philoosphie attribueacutees agrave Basile Valentin Le sceptre ou bourdon du pegravelerin jamais eacuteloigneacute de la meacuterelle de Compostelle [sur lexplication geacuteneacuterale de son symbolisme cf Meacutemoire sur le Meacutetamorphisme des roches dAchille Delesse] Des bas-reliefs de ce fameux portail central avaient fait lobjet dun commentaire ducirc agrave Marcel Aubert [Bulletin monumental publ par la Socieacuteteacute franccedilaise darcheacuteologie pour la conservation et la description des monuments historiques 1913 1 Vol 77 - T 77 ] Les voici

QUATRE BAS-RELIEFS DU GRAND PORTAIL DE NOTRE-DAME DE PARIS

Les contreforts de Ia porte du Jugement dernier agrave Notre-Dame de Paris sont orneacutes de quatre bas-reliefs incrusteacutes dans la pierre agrave la suite des meacutedaillons des Vertus et des Vices auxquels ils ne se rattachent ni par leur composition ni par leur facture

[Ces quatre bas-reliefs ont la mecircme hauteur que ceux de la seacuterie des Vertus et des Vices mais ils sont plus eacutetroits Peut-ecirctre avaient-ils eacuteteacute destineacutes primitivement agrave orner les pieacutedroits de la porte ou mecircme les faces des contreforts suivant un systegraveme qui deviendra freacutequent dans la seconde moitieacute du XIII

e siegravecle et au XIV

e siegravecle]

ils paraissent anteacuterieurs de quelques anneacutees et ont du ecirctre exeacutecuteacutes au deacutebut du XIIIe

siegravecle Ils sont dun tregraves beau style et rappellent par la noblesse des attitudes la grandeur des traits malheureusement sauvagement bucirccheacutes lharmonie du costume les plus beaux bas-reliefs antiques Ces quatre bas-reliefs ont depuis longtemps exciteacute la sagaciteacute des iconographes et le sens de lun dentre eux ne nous apparaicirct pas encore tregraves nettement Au XVI

e siegravecle les hermeacutetistes les

interpreacutetaient agrave leur faccedilon

Job que lon voit sur lun deux serait la pierre philosophale qui passe par les eacutepreuves les plus diverses avant dacqueacuterir les vertus finales

Abraham figureacute sur un autre serait lartisan Isaac la matiegravere dans le creuset et lange linstrument de la transformation Un corbeau de pierre aurait lœil fixeacute sur le lieu ougrave sont enterreacutes trois rayons de soleil qui deviendront or au bout de mille ans et diamant au bout de trois mille ans Pendant la Reacutevolution lastronome Dupuis deacutefendit et sauva ces bas-reliefs en expliquant quils faisaient partie de tout un systegraveme astronomique quil deacutechiffrait sur les sculptures du grand portail La scegravene que repreacutesente le bas-relief supeacuterieur de droite est facile agrave expliquer cest leacutepisode du Sacrifice dAbraham Abraham debout devant lautel legraveve le bras pour sacrifier son fils Le petit Isaac qui eacutetait agenouilleacute sur lautel nest plus visible aujourdrsquohui Un ange descendant du ciel arrecircte le bras du patriarche En bas agrave gauche apparaicirct entre un arbuste et les fagots destineacutes au sacrifice le beacutelier qui servira dholocauste Sur le bas-relief situeacute au-dessous figure un guerrier armeacute de pied en cap couvert dune longue cotte eacuteperonneacute casqueacute dun heaume conique et portant leacutecu triangulaire du deacutebut du XIII

e siegravecle Il se dresse au sommet dune tour creacuteneleacutee et lance contre

le soleil dont on voit les rayons en haut agrave gauche un javelot derriegravere lui est une petite tourelle

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surmonteacutee dun docircme sans doute couronnement de lescalier de la tour Ce personnage est Nemrod

son nom mecircme signifie laquo reacutevolte raquo et la Bible (Gen X 9) dit de lui laquo Il fut un violent chasseur contre le Seigneur

[Labbeacute Fillion dans son commentaire de la Sainte Bible t I p52 montre quil faut traduire laquo lifne Elohim raquo par laquo contre le Seigneur raquo et non laquo devant le Seigneur raquo]

Strabon dans sa Glose ordinaire est encore plus explicite [laquo Nemrod qui ultra naturam cœlum penetrare voluit Significat diabolum qui ait Ascundam super astra cœli raquo Nemrod secundum josephum fuit auctor aedificandae turris quae taugeret cœlum raquo Saint Isidore de Seacuteville (Sancti Isidori allegoriae quaedam sacrae scripturae dans Migne t 83 col 103) dit aussi laquo Nemrod gigas diaboli typum expressit qui superbo appetitu culmen divinae celsitudinis appetivit diceus ascendam super altitudinem nubium et ero similis altissimo raquo V de Guilhermy qui a montreacute le premier dans son Itineacuteraire archeacuteologique de Paris (1855 p 46-48) quil fallait voir dans le guerrier ici repreacutesente Nemrod attribuait daccord avec Didron agrave linfluence du Coran le choix fait par lartiste de Nemrod comme symbole de lorgueil et de limpieacuteteacute Le Coran ninsiste pas particuliegraverement sur le caractegravere de Nemrod et nous pensons que les commentateurs de la Bible font assez ressortir son type dimpie et datheacutee]

Nemrod dans un accegraves dorgueil et dimpieacuteteacute lance du haut de la tour quil avait voulu faire eacutelever jusquau ciel un javelot contre lastre de Dieu En pendant de lautre cocircteacute de la porte sont deux autres bas-reliefs disposeacutes comme les premiers celui du haut dans un cadre rectangulaire celui du bas sous une arcade agrave plein cintre La scegravene du haut dun tregraves beau style repreacutesente la Deacuterision de Job Suivant le reacutecit de la Bible Job est assis sur un fumier il est presque nu un lambeau deacutetoffe tombe de ses eacutepaules et ceint ses reins il legraveve les yeux vers le ciel et croise les bras sur la poitrine en signe de soumission des vers repreacutesenteacutes avec un reacutealisme qui eacutetonne presque agrave leacutepoque ougrave a eacuteteacute sculpteacute ce bas-relief rongent son corps (Job II 7-8) Devant lui sa femme conseillegravere de reacutevolte laquo Vous demeurez dans votre simpliciteacute lui crie-t-elle Maudissez Dieu et mourez raquo (Job II 9)

Le saint homme Job reacutepond par un acte de soumission agrave la volonteacute du Seigneur laquo Ses trois amis qui avaient appris les maux qui lui eacutetaient arriveacutes eacutetaient venus chacun de leur pays Eliphaz de Theacuteman Baldad de Suba et Sophar de Naamath Car ils seacutetaient concerteacutes pour venir le voir ensemble et le consoler Et ayant leveacute

les yeux ils ne le reconnurent pas et ils pleuregraverent a haute voix deacutechiregraverent leurs vecirctements et jetegraverent de la poussiegravere en lair au-dessus de leur tecircte raquo (Job II11-12)

Le bas-relief de Notre-Dame est lillustration litteacuterale du texte de la Bible Cette scegravene a dailleurs eacuteteacute tregraves souvent repreacutesenteacutee au moyen acircge aussi bien au portail des catheacutedrales que dans les vitraux et les miniatures des manuscrits

Parfois mecircme comme au portail de la Calende agrave Rouen lhistoire de la Deacuterision de Job occupe plusieurs bas-reliefs on le voit un sur un tas de fumier puis vecirctu injurieacute par sa femme et dans un troisiegraveme bas-relief visiteacute par ses amis

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La scegravene sculpteacutee sous le bas-relief de Job est beaucoup plus difficile agrave identifier Cest un homme debout les jambes nues - elles sont tregraves deacuteteacuterioreacutees mais il semble quelles eacutetaient croiseacutees - vecirctu dune tunique largement fendue et dun manteau drapeacute sur leacutepaule gauche Il incline la tecircte en avant et legraveve le bras droit la main droite briseacutee eacutetait sans doute ouverte de la gauche il sappuie sur un grand bacircton qui est peut-ecirctre une lance A terre pregraves de lui sont un arc et deux flegraveches devant lui coule un ruisseau qui descend dun petit monticule couronneacute par deux arbres sur les branches du plus haut est un oiseau Telle est aussi preacutecise que le permet le mauvais eacutetat de conservation la description de cette scegravene encore tregraves eacutenigmatique

Les auteurs anciens comme Gueffier dans sa Description historique des curiositeacutes de leacuteglise de Paris (Paris 1763 p 211) ne mentionnent pas ce bas-relief

Didron le premier a chercheacute a lidentifier ou du moins agrave en donner le sens [Histoire de lart en France par les monuments La statuaire au XIIIe siegravecle dans la Revue de Paris 1836 t XXXI p 339]

Il voit dans nos quatre bas-reliefs des repreacutesentations historiques des Vices et des Vertus agrave cocircteacute des repreacutesentations alleacutegoriques

Sous Abraham symbolisant lobeacuteissance est un reacutevolteacute qui lance un javelot contre Dieu

Sous Job symbole de la patience et de la confiance en Dieu est la repreacutesentation de la deacutefiance un homme fort et armeacute tremble au bruit dun ruisseau et au croassement dun corbeau

De Guilhermy [op citeacute p 46-48] deacutecrit le bas-relief et avoue que toute explication lui eacutechappe il se fait leacutecho dune hypothegravese qui a eacuteteacute souvent reacutepeacuteteacutee depuis mais qui est inacceptable il faudrait voir ici Job contemplant les ravages des torrents deacutebordeacutes sur ses terres Plus reacutecemment M Enlart a

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donneacute de cette scegravene une explication tregraves inteacuteressante mais qui ne ma paraicirct pas pouvoir ecirctre accepteacutee Deacutecrivant les bas-reliefs des portails de la catheacutedrale dAuxerre du deacutebut du XIV

e siegravecle

[congregraves dAvallon 1907 p 614-616 - le bas-relief dAuxerre est plus endommageacute peut-ecirctre que celui de Paris il nous montre le mecircme personnage tourneacute en sens inverse sappuyant dans une pose pleine de noblesse sur une lance dont on distingue tregraves nettement le fer Son long manteau vole au vent ses jambes sont croiseacutees il paraicirct consideacuterer vers la gauche un monticule couronneacute dun arbuste Nous avons chercheacute mais en vain dans dautres ensembles relatifs agrave lHistoire de lEnfant prodigue la figuration du mecircme personnage ]

M Enlart trouve au milieu des scegravenes de lHistoire de lEnfant prodigue trois meacutedaillons ougrave sont figureacutes la femme aux serpents qui est la concupiscence

Job qui comme lEnfant prodigue a recouvreacute sa condition premiegravere apregraves de grandes tribulations enfin un personnage preacutesentant avec celui qui nous occupe ici les plus grandes ressemblances et que M Enlart identifie avec David David sappuyant sur sa houlette et vecirctu du costume de berger dans lequel il eacutetait arriveacute au camp de Sauumll choisit cinq pierres polies dans le torrent et savance vers Goliath La Bible deacutecrit en effet ainsi la scegravene (Reg XVII 30-40) David vient de refuser leacutepeacutee que Sauumll lui avait donneacutee

laquo il prend le bacircton quil avait toujours agrave la main choisit dans le torrent cinq pierres tregraves polies et les

met dans sa pannetiegravere de berger et tenant agrave la main sa fronde il marche contre le Philistin raquo

Ce qui rend cette hypothegravese impensable cest la preacutesence aux pieds de notre personnage non dune fronde mais dun arc que lon distingue tregraves nettement et de deux flegraveches dont on voit les extreacutemiteacutes empenneacutees et les encoches Malgreacute de longues recherches dans la Bible et dans ses Commentaires du moyen Age dans les manuscrits illustreacutes et dans les repreacutesentations peintes et sculpteacutees je nai pu retrouver lexplication de cette scegravene La preacutesence de larc et des flegraveches qui ne sexplique pas dans lhypothegravese de David allant combattre Goliath fait eacutecarter dautres hypothegraveses auxquelles on pourrait songer comme celle de Moiumlse devant le buisson tenant le bacircton qui sur son ordre se changera en serpent sur le bord du torrent dont leau deviendra du sang ou celle du prophegravete Elie se nourrissant de leau du torrent de Carish et du pain que lui apporte un corbeau Si ces bas-reliefs au lieu decirctre visiblement reacuteemployeacutes se trouvaient en place nous admettrions volontiers la thegravese de Didron qui voyait au-dessous de la repreacutesentation biblique dune vertu la repreacutesentation historique ou simplement en action du vice correspondant Mais rien ne nous

prouve que le bas-relief qui se trouve sous la scegravene de la Deacuterision de Job soit bien celui qui dans la penseacutee du clerc qui a ordonneacute ce portail devait ecirctre agrave cette place

Dans le Breacuteviaire de Charles ler [Bibl nat ms lat 1052 fol 217mdash M Macircle dans son beau livre sur lart religieux de la fin du moyen acircge en France a montreacute tout linteacuterecirct de ce manuscrit] ougrave nous trouvons les repreacutesentations bibliques et historiques des Vertus et des Vices cest Judas symbole du deacutesespoir qui figure en face de Job symbole de lespeacuterance Il nous a paru inteacuteressant de publier ces quatre bas-reliefs encore assez peu connus curieux par les problegravemes iconographiques quils soulegravevent Ce sont un des rares essais au XIII

e siegravecle de figuration des vertus laquo en action raquo

suivant lexpression de M Macircle Tandis que partout agrave cette eacutepoque aux portails de nos catheacutedrales les vertus sont repreacutesenteacutees sous la figure alleacutegorique dune femme portant un eacutecu timbreacute dun attribut nous voyons ici des repreacutesentations veacutecues des vertus

Marcel AUBERT

Commentaires il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant lecteur du Mystegravere des Catheacutedrales du non moins mysteacuterieux Fulcanelli que deux de ces bas-reliefs ont eacuteteacute commenteacutes par le plus grand alchimiste du XX

e siegravecle sur la figure V il sagit des deux bas-reliefs du bas Les deux bas-reliefs du

haut nont point eacuteteacute analyseacutes par Fulcanelli Si lon adopte un point de vue purement historique en se reacutefeacuterant agrave la Bible il est hors de doute que linterpreacutetation laquo exoteacuterique raquo de M Aubert est exacte Le mot exoteacuterique est mis entre guillemets agrave escient Il est bien clair que se rapportant agrave un haut fait de religion on ne saurait gloser de maniegravere rationnelle lagrave-dessus Cela eacutetant entendu nous pouvons

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neacuteanmoins infeacuterer quune interpreacutetation alternative est possible si lon adopte les preacuteceptes de la doctrine hermeacutetique

Aussi peut-on voir dans le bas-relief de gauche Cadmos deacutevoilant la fontaine de jouvence apregraves quil ait triompheacute du dragon [ou du serpent Python] en sorte davoir accegraves agrave leau vive qui est de toute neacutecessiteacute pour lArtiste Il est assez extraordinaire - mais ocirc combien significatif dans le sens dune interpreacutetation hermeacutetique laquo coulant de source raquo pour ainsi dire - que le corbeau soit nommeacute agrave cet endroit Tant il est vrai que cette eau vive est le signe pour lArtiste de lanimation de son Mercure et partant de la fin de la phase de putreacutefaction laquo lœuvre au noir raquo pour citer le roman de Marguerite Yourcenar Nous convenons quune telle interpreacutetation est pour ainsi dire contre nature Mais nous avons toujours dit - suivant en cela les preacuteceptes de Fulcanelli - que toute demeure toute sculpture etc preacutesentant des traits conduisant agrave une possible interpreacutetation hermeacutetique pouvait constituer un preacutetexte ce qui bien sucircr est le cas des deux bas-reliefs qui nous occupent Quant au bas-relief de droite nous avons eu loccasion de lanalyser dans la section du reacutebus de saint Greacutegoire-en-Viegravevre Quant agrave celui de la Deacuterision de Job [bas-relief du haut agrave gauche] il se preacutesente comme une parodie des Rois Mages allant au chevet du Christ deacuteposeacute dans sa litiegravere de paille pratiquement dans le fumier Les Rois Mages sont ici repreacutesenteacutes par Eliphaz Baldad et Sophar la figure christique eacutetant incarneacutee en Job Quant au bas-relief en haut et agrave droite M Aubert nous dit quil repreacutesente le sacrifice dAbraham Comment inteacutegrer le patriarche biblique dans le symbolisme du grand œuvre Nous retiendrons ici ces paroles de saint Paul laquo contra spem in spem credidit raquo que lon peut traduire par laquo pour une aventure sans espoir il puisa lespoir dans sa foi raquo ou bien laquo quand il ny avait plus despeacuterance sa foi lui donna lespoir raquo dougrave cette conclusion lapidaire laquo contre tout espoir il crut agrave lespeacuterance raquo A quoi nous pouvons rajouter cette maxime tireacutee de lIcircle Mysteacuterieuse roman geacutenial de Jules Verne - mais maxime qui serait attribueacutee agrave Ockam - laquo il ne sert agrave rien despeacuterer pour entreprendre ni de reacuteussir pour perseacuteveacuterer raquo En somme en lisiegravere ou en bordure pourrait-on dire du symbolisme propre agrave lalchimie avons-nous lagrave un message qui sadresse agrave lArtisteLes deux autres bas-reliefs ne posent pas de problegraveme celui du bas agrave gauche

FIGURE VI on peut en trouver une repreacutesentation semblable sur lun des caissons de la galerie hermeacutetique du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne le soleil darde ses rayons sur lœuf des philosophes agrave Paris cest lArtiste qui protegravege lathanor des ardeurs des rayons Sagit-il de lavertissement classique des alchimistes qui conseillent de modeacuterer le feu faute de quoi on courrait le risque de brucircler les fleurs Sagit-il dune alleacutegorie sur le feu sacreacute quil faut savoir maicirctriser Ou encore sur la maniegravere de capter le rayon igneacute qui constitue le Soufre rouge sublimeacute dans le Mercure Nous nen saurons pas plus Le bas-relief de gauche est superposable agrave lalleacutegorie de Cadmus qui apregraves avoir tueacute le serpent Python [ou le dragon] fonde la ville de Thegravebes lagrave ougrave le sabot de son cheval laisse jaillir une source deau pure cest cette repreacutesentation que nous voyons ici leau pure jaillissant du checircne que lon aperccediloit agrave

droite du bas-relief reacuteplique semblable agrave lune des figures du Livre dAbraham Juif

Cet article de M Aubert nous a permis dobserver le fait suivant au demeurant bien connu quun tableau lapidaire peut aiseacutement voir son sens deacutetourneacute de mille maniegraveres selon lobservateur mais quil existe des bornes au-delagrave desquelles le sens tombe pour ainsi dire de lui-mecircme nous venons de le voir pour le bas-relief repreacutesentant le sacrifice dAbraham ougrave il nest pratiquement pas possible de deacutefinir une approche hermeacutetique Tel nest plus le cas dautres bas-reliefs du grand pilier de Notre-Dame de Paris qui ont fait lobjet dune eacutetude approfondie de Fulcanelli dans le premier tome de sa trilogie il sagit bien sucircr du Mystegravere des Catheacutedrales Loin de nous le besoin de revenir sur les planches de louvrage pour les reacuteinterpreacuteter Non Nous en avons donneacute quelques-unes dans les sections du site pour servir le propos Mais il est eacutevident que Fulcanelli a ducirc sinspirer du traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant et degraves lors il paraicirct inteacuteressant de chercher en quoi les meacutedaillons des Vices et des Vertus ont pu deacuteterminer chez Fulcanelli lapproche qui fut sienne dans le Mystegravere des Catheacutedrales Nous ne pourrons ici que renvoyer le lecteur agrave un site remarquable sur lart religieux au XIIIe siegravecle reacutesumeacute simplifieacute du livre dEmile Macircle Lart religieux au XIIIe siegravecle Etude

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sur les origines de liconographie du Moyen Age et sur ses sources dinspiration (Armand Colin 1948)

Voici quoi quil en soit quelques reacuteflexions sur cet ouvrage Et aussi dun autre ouvrage consacreacute agrave lart religieux au XIIe siegravecle Ces deux recensions forment une introduction agrave lœuvre dEmile Macircle dont il faut regretter que lon ne trouve pas encore sur le serveur Gallica de la BNF la premiegravere eacutedition de lArt religieux au XIIIe siegravecle Cette introduction est preacutecieuse pour leacutetudiant en hermeacutetisme et alchimie et permet de reacutealiser la liaison entre les vieux sculpteurs bacirctisseurs de catheacutedrales dune part et les alchimistes du XX

e siegravecle qui par delagrave lœuvre dEsprit Gobineau de Montluisant

semployegraverent agrave trouver dans ces tableaux et ces livres muets lapidaires linspiration de leurs singuliegraveres reacuteflexions Nous voici agrave preacutesent en mesure de donner quelques preacutecisions sur la signification exoteacuterique des Vices et des Vertus repreacutesenteacutes sur les meacutedaillons du portail central de Notre-Dame

Les Vices et les Vertus de Notre-Dame de Paris

Nous ne saurions mieux faire que suivre lenseignement du Speculum majus de Vincent de Beauvais pour deacutebuter leacutetude des meacutedaillons de Notre-Dame de Paris Vincent de Beauvais que nous avons rencontreacute agrave de multiples reprises dans nos sections

[Donum Dei Ideacutee alchimique I II Char Triomphal de lAntimoine Chevreul critique de Hoefer I Chimie des Anciens I II Miroir dalchimie prima materia Atalanta fugiens XLII Nouvelle Lumiegravere Chymique Mercure]

FIGURE VII Quatriegraveme tome du Speculum majus de Vincent de Beauvais

eacuted de 1624 Bibliothegraveque nationale de France

Le Speculum majus ouvrage de Vincent de Beauvais est un condenseacute des savoirs de leacutepoque Lœuvre est diviseacutee en quatre parties appeleacutees miroirs

- le miroir de la nature les chapitres de cette partie suivent lordre des jours de la creacuteation Ils comprennent leacutenumeacuteration et la description de tous les eacuteleacutements de la nature en terminant par lhomme - le miroir de la science il raconte lhistoire de la Chute et preacutesente la science comme une des voies de reacutedemption Les sept arts sont consideacutereacutes comme autant de dons du Saint Esprit Toutes les connaissances scientifiques sont passeacutees en revue - le miroir moral il preacutesente une classification des vices et des vertus (dapregraves Saint Thomas dAquin)

- le miroir historique il preacutesente lhistoire de lEglise le reste neacutetant eacutevoqueacute queacutepisodiquement

Cest selon cette reacutepartition en quatre chapitres que les auteurs du site consacreacute agrave lArt religieux au XIIIe siegravecle se sont donneacute pour tacircche deacutetudier liconographie du Moyen Acircge Sans reprendre exactement leurs propos nous ajouterons surtout plusieurs remarques

- sur le miroir de la nature les animaux se voient attribuer une valeur symbolique forte Cest leacutevidence le bestiaire hermeacutetique est dune grande importance [cf par exemple la voliegravere alchimique analyseacutee dans la page du Poegraveme du Pheacutenix] Mais la nature peut ecirctre envisageacutee de faccedilon encore plus large en particulier la geacuteologie appliqueacutee agrave lhermeacutetisme que le lecteur se rapporte au Bergbuumlchlein [commenteacute par Daubreacutee] agrave la Reacuteveacutelation de la teinture des meacutetaux [Bernard Le Treacutevisan] au Traiteacute des Choses naturelles et surnaturelles [attribueacute agrave Basile Valentin] agrave la Philosophie Naturelle restitueacutee [Jean dEspagnet] On peut encore y annexer le Typus Mundi

- sur le miroir de la science laquo Lhomme peut se relever de sa chute par la science raquo (Vincent de Beauvais)

Tout comme le travail manuel affranchit des neacutecessiteacutes du corps la science affranchit de lignorance qui empoisonne lesprit Le travail est tregraves preacutesent dans les vitraux ougrave sont repreacutesenteacutes tous les

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meacutetiers artisanaux et eacutegalement dans les voussures et les soubassements de portail ougrave les travaux agricoles sont souvent mecircleacutes aux signes du zodiaque La science quant agrave elle est incarneacutee par les sept arts qui se composent dun trivium (grammaire rheacutetorique dialectique) et dun quadrivium (arithmeacutetique geacuteomeacutetrie astronomie et musique) La philosophie est consideacutereacutee comme la megravere de tous les arts Les diffeacuterents arts sont souvent repreacutesenteacutes sous forme de jeunes femmes doteacutees dinstruments symboliques On les trouve par exemple aux portails de Chartres et de Laon

Note les photographies des meacutedaillons sont tireacutes du site httparchitecturereligfreefr nous tenons agrave remercier les auteurs [Elisabeth et Vincent Trouveacute] de leur permission dinseacuterer sur cette page ces images des bas-reliefs qui donnent une nouvelle jeunesse au Mystegravere des Catheacutedrales sil est possible

FIGURE VIII la grammaire Limage montre une femme

avec une feacuterule (petite palette avec laquelle on frappait les eacutecoliers au sens figureacute autoriteacute seacutevegravere) et deux enfants agrave ses pieds nous y trouvons leacutequivalent de la sapience agrave laquelle lArtiste doit parvenir afin de preacuteparer ses matiegraveres sous ce rapport les deux enfants pourraient figurer Apollon et Arteacutemis Il sagit agrave tout le moins dapprendre agrave manier le Verbe ce qui en terme de cabale se traduit par un mot lhumour Qui ne sait pas ce quest lhumour bien tempeacutereacute ne sera jamais au fait de lArt Sacreacute Cest-agrave-dire qui ne connaicirct la vertu essentielle et roborative (fortifiante) du mot ESPRIT De lagrave agrave jouer sur les mots il ny a quun pas que lon ne peut franchir si lon na pas compris la SUBTILITE des textes alchimiques Subtiliteacute qui permet den comprendre le VERBE Et comme chacun sait le VERBE sest fait TERRE Nous ne saurions mieux reacutesumer la penseacutee veacutehiculeacutee par lArt dHermegraves

FIGURE IX - la dialectique Repreacutesenteacutee comme une

femme avec un serpent (parfois remplaceacutes par un scorpion) on ne saurait mieux concevoir les eacutechanges deacutenergie qui se produisent au sein du Mercure et quen termes de chimie moderne on qualifie doxydo-reacuteduction lagrave ougrave les Anciens semployaient agrave faire des magistegraveres Newton lui-mecircme sexprimait ainsi laquo Le 18 mai jai perfectionneacute la solution ideacuteale Cest-agrave-dire que deux sels eacutegaux portent Saturne Ensuite il porte la pierre et joint le malleacuteable Jupiter donne eacutegalement [sel ammoniac sophique] et ce dans de telles proportions que Jupiter sempare du sceptre ensuite laigle eacutelegraveve Jupiterraquo (Keynes MS 3975 p122 - citeacute dans Dobbs)

A leacutevidence nous assistons agrave des pheacutenomegravenes de meacutediation ce que Hermegraves ne deacutesavoue point dans sa Table dEmeraude [ougrave il faut lire dans le texte mediatione et non pas meditatione Notez que seuls Fulcanelli et F Hoefer donnent la version correcte du texte] Et lagent de la meacutediation par excellence est le serpent manifestation de lesprit corrompu par lacircme [dougrave le scorpion]

FIGURE X la rheacutetorique (Chartres catheacutedrale)

Il nexiste point de bas-relief repreacutesentant cet art agrave Notre-Dame de Paris La Rheacutetorique embleacutematiseacutee par Ciceacuteron est parfois doteacutee dun faisceau de lances et dun bouclier parfois simplement dun stylet et dune tablette de cire On voit dhabitude une femme faisant un geste oratoire Seul peut-ecirctre Heinrich Schuumltz paraicirct secirctre approprieacute ce quon pourrait nommer la Rheacutetorique des Dieux Ainsi dans les Psalmen Davids (1619) il affirme quil a eacutecrit ces psaumes en stylo recitativo auparavant presque inconnu en Allemagne Schuumltz fait allusion au strict principe rheacutetorique qui gouverne son style choral Sappuyant avec grande imagination sur le rythme de la parole il parvient agrave un rythme musical discontinu freacutequemment interrompu par des cadences et des effets deacutecho reacutealisant ainsi ce que seul Haydn oserait plus tard introduire une asymeacutetrie et une instabiliteacute radicales dans le tissu musical Cela est

dautant plus remarquable sagissant de la monodie Il nest point besoin de beaucoup dimagination

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pour faire voir lanalogie avec le principe formel qui doit guider lArtiste dans le magistegravere qualifieacute par tant de maicirctre dart de la musique mais nous y reviendrons en abordant directement cet art par un exemple des plus reacuteveacutelateurs Par la rheacutetorique nous compleacutetons le trivium ougrave sexprime le ternaire alchimique

FIGURE XI - larithmeacutetique (Chartres catheacutedrale)

Lagrave encore point de bas-relief la repreacutesentant agrave Paris LArithmeacutetique telle quelle est repreacutesenteacutee dans les manuscrits carolingiens deacutevide entre ses doigts une corde agrave boules eacutevocation de la bouillonnante dexteacuteriteacute des doigts computateurs de larithmeacutetique

FIGURE XII- la geacuteomeacutetrie La Geacuteomeacutetrie tient souvent agrave la fois le compas et la sphegravere car elle est la sœur de lAstronomie Elle peut ecirctre munie dun bacircton rappelant sans doute le roseau dor avec lequel dans lApocalypse Jean mesure le temple et lange la Nouvelle Jeacuterusalem Celle que lon voit agrave Paris tient une tablette Point nest besoin dinsister sur limportance de la geacuteomeacutetrie dans le magistegravere A cet eacutegard le lecteur naura quagrave consulter lAtalanta fugiens cap XXI ougrave toutes preacutecisions sont donneacutees Quant au compas un chapitre speacutecial lui est consacreacute dans notre page sur Fontenay-Le-Comte

FIGURE XIII - lastronomie (Chartres catheacutedrale)

LAstronomie ou lAstrologie dont le modegravele est Ptoleacutemeacutee rappelle limportance des horoscopes et eacutevoque lascendant des astres sur la formation de lamour et de la haine Elle peut tenir un cadran solaire un astrolabe ou une sphegravere armillaire et contempler la giration des astres autour de la planegravete Terre Voici ce quen termes exoteacuteriques lon dit dhabitude de lastronomie mais limportance hermeacutetique de lastronomie est consideacuterable pour leacutetudiant en alchimie le lecteur consultera ici notre humide radical meacutetallique notre zodiaque alchimique et les nombreux renvois aux constellations et aux deacutecans qui parsegravement le commentaire de lAtalanta fugiens Sur lastrologie voyez la partie du site qui lui est consacreacutee

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FIGURE XIV - la musique

La Musique illustreacutee par Pythagore inventeur du nombre dor est eacutevidemment le plus souvent munie dun instrument de musique (harpe lyre ou cythare) et saffaire agrave monter la gamme en frappant des clochettes avec un marteau On se souviendra aussi dun grand vieillard que nous preacutesente Fulcanelli dans le Mystegravere des Catheacutedrales qui nest autre que le Mercure Voyez ce que nous avons dit supra des rapports entre la musique et la rheacutetorique qui lui est congeacutenegravere Comme musicien alchimique on pourrait encore eacutevoquer les figures de Monteverdi et de Varegravese Sur Monteverdi cet extrait

laquo Curieusement Monteverdi esprit lucide sil en fut va prendre goucirct [] aux expeacuteriences alchimiques Pour samuser concegravede-t-il et tout en affichant (pour la forme) un certain scepticisme Et

cependant les faits sont lagrave jusque dans les anneacutees heureuses de la peacuteriode veacutenitienne le musicien se livrera au patient travail de ladepte faisant chauffer en les mecirclant les principes du soufre du

mercure et du sel dans lathanor sans en espeacuterer autre chose que le plaisir du jeu avec linsolite [] raquo [Monteverdi Roger Tellart Fayard 1997]

et sur Varegravese

Cette aura magique a pris son origine dans les termes quil emploie volontiers et dans la citation de Paracelse quil inscrivit en exergue de sa partition dArcana Une eacutetoile existe plus haut que tout le reste Celle-ci est leacutetoile de lApocalypse La deuxiegraveme est celle de lascendant La troisiegraveme est celle des eacuteleacutements qui sont quatre il y a donc six eacutetoiles eacutetablies Outre celles-ci il y a encore une autre eacutetoile limagination qui donne naissance agrave une nouvelle eacutetoile et agrave un nouveau ciel Varegravese sest pourtant expliqueacute sur la porteacutee de cette eacutepigraphe Cette phrase eacutequivaut agrave une deacutedicace elle fait de mon poegraveme symphonique un certain hommage agrave celui qui la eacutecrite mais elle ne la pas inspireacute et lœuvre nen est pas le commentaire Il exposa sa penseacutee au New Mexical Sentinel Lart ne prend pas naissance dans la raison Cest le treacutesor enfoui dans linconscient cet inconscient qui a plus de compreacutehension que nen a notre luciditeacute Dans lart un excegraves de raison est mortel La beauteacute ne provient pas dune formule Cest limagination qui donne la forme aux recircves Attireacute par les alchimistes de la Renaissance il reconnut jai surtout lu Paracelse Il eacutetudia les principes de lastronomie hermeacutetique en tira des applications musicales qui stimulaient son imagination Il meacutedita sur les preacuteceptes de la meacutedecine de Paracelse sur lassociation la dissociation et la coagulation agrave propos de laquelle il me cita lAcoustical Terminology La coagulation des ultrasons est le deacutepart de petites particules dans de plus larges agreacutegats par laction des ondes dultrasons Ce fut surtout la transmutation des eacuteleacutements qui le retint il soumit une cellule ou un agglomeacuterat agrave diffeacuterentes tensions agrave des deacutecalages de rythmes agrave diffeacuterentes fonctions de gravitation (attirance et lourdeur) agrave diffeacuterentes dynamiques Il ne chercha ni a deacutevelopper ni a les informer il voulut transmuer Varegravese fut degraves sa jeunesse un fervent de Leacuteonard de Vinci et Kepler le passionnait il pressent tout comme Leacuteonard de Vinci Il reacutefleacutechissait sur les marges derreurs que Kepler essayait dinteacutegrer dans une seacutecuriteacute matheacutematique et quil tentait dexpliquer sans savoir prouver pourquoi elles existaient Varegravese cultivait ces marges derreur de liberteacute plus exactement qui empecircchent la contrainte et donnent la vie II reacutepeacutetait que pour lui la musique eacutetait un art-science comme dans le Quadrivium du Moyen Age ou elle figurait parmi les arts de raison avec larithmeacutetique la geacuteomeacutetrie et lastronomie [Varegravese Odile Vivier Solfegraveges Seuil 1973]

Nous teacutemoignons ici de la justesse absolue des vues de Varegravese Comme Beethoven laffirmait la musique est plus haute que toute sagesse et que toute philosophie elle les comprend toutes et permet agrave lesprit dacceacuteder en conscience au cosmos

La repreacutesentation de la philosophie est plus complexe A Laon on la trouve repreacutesenteacutee assise la tecircte dans les nuages une eacutechelle appuyeacutee contre la poitrine Cette image correspond agrave la description quen fait Boegravece dans la Consolation philosophique Leacutechelle est ce qui permet daller des eacuteleacutements infeacuterieurs vers les eacuteleacutements supeacuterieurs A Sens la philosophie est tout aussi grave mais leacutechelle est remplaceacutee par un simple sceptre Nous avons vu limage de la philosophie de Notre-Dame de Paris supra

- sur le miroir moral cest lagrave quinterviennent les meacutedaillons des Vices et des Vertus

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FIGURE XV - la prudence ( le Mercure philosophique)

Nous voici placeacutes au seuil de la sapience alchimique avec ces meacutedaillons qui ont constitueacute la matiegravere mecircme et le preacutetexte de Fulcanelli dans le premier tome [le Mystegravere des Catheacutedrales Pauvert 1924] de sa trilogie Combien de fois les alchimistes ne nous ont-ils pas avertis que sans prudence lArtiste narriverait agrave rien Ne souhaitant pas ici faire des redites inutiles nous conseillerons au lecteur de visiter la section des Gardes du Corps ougrave les Vertus se trouvent analyseacutees Il est certain que limage du fixe et du volatil sont lindice clair du Mercure preacutepareacute et sublimeacute Ce bas-relief forme la planche VII des Mystegraveres et repreacutesente le Mercure philosophique Nous en sommes bien daccord Nous ajouterons que limage la plus fidegravele de ce Mercure philosophique est formeacutee par le signe zodiacal des Geacutemeaux identique dailleurs - au plan spirituel - avec la figure I du Livre dAbraham Juif dont Fulcanelli a montreacute quil eacutetait mythique Fulcanelli eacutecrit

laquo Cest lagrave ce ver empoisonneacute qui infecte tout par son venin

dont parle lAncienne Guerre des Chevaliers raquo [Mystegravere

p 104]

Ajoutons que ce laquo ver empoisonneacute raquo deacutesigne dhabitude le premier eacutetat du Mercure et quArtephius le nomme dans son Livre Secret le laquo vinaigre tregraves aigre raquo Voilagrave la transition toute trouveacutee avec limage de la folie

FIGURE XVI - la folie ( origine et reacutesultat de la pierre)

Au lieu quici comme nous venons de le dire cest la folie qui se trouve repreacutesenteacutee il sagit de limage du premier Mercure celui dont Fulcanelli nous dit quil est le laquo fou de lœuvre raquo On le repreacutesente souvent torsadeacute et contourneacute un peu comme dans les Ripleys scrowls cf les Douze Portes Nous en avons surtout parleacute agrave la section sur Fontenay quand on la compareacute au pyrophore de Homberg ou de Gay-Lussac Voilagrave quelques notes de Fulcanelli sur la planche XIX

laquo Au second meacutedaillon lInitiateur nous preacutesente dune main un miroir tandis que de lautre il eacutelegraveve la corne dAmaltheacutee agrave ses cocircteacutes se voit lArbre de Vie Le miroir symbolise le deacutebut de louvrage lArbre de Vie en marque la fin et la

corne dabondance le reacutesultat raquo [Mystegraveres p 124]

Bien lapidaire dans son explication le maicirctre de Paris se montrera plus geacuteneacutereux dans la description de ce miroir en citant Moras de Respour voici un extrait que na pas donneacute Fulcanelli pourtant bien plus explicite sinon exoteacuterique que celui quil donne

Cette cendre mineacuterale a en soi tout ce qui est neacutecessaire aux Curieux ceux qui lrsquoont connue ont eu la matiegravere dont on la tire en grande recommandation et de crainte qursquoon sut qui elle eacutetait ils lui ont imposeacute plusieurs noms comme de Lunaire drsquoherbe Saturnienne et autres Quelques uns lrsquoont compareacutee agrave la Salamandre agrave cause qursquoelle vit dans le feu Ils ne lrsquoont jamais mieux deacutepeinte que parlant du Phœnix qui renaicirct de ses cendres drsquoautres lrsquoont nommeacutee Lucifer ou Porte lumiegravere Veacutenus engendreacutee de lrsquoeacutecume de la Mer parce qursquoon la tire en eacutecumant On lrsquoa nomme Dragon agrave cause qursquoelle brucircle comme Salpecirctre Aigle parce que lrsquoon en tire lrsquoArmoniac mercuriel ils ont dit que crsquoest le Roi drsquoautant qursquoil est le plus consideacutereacute entre eux et le Lion agrave cause de sa grande force Ils disent que crsquoest lrsquoacircme meacutetallique agrave cause qursquoelle vivifie tous les Meacutetaux et qursquoelle est corps parce qursquoelle corporifie les esprits Mais communeacutement entre les Philosophes elle est entendue par Miroir de lrsquoart agrave cause que crsquoest principalement par elle que lrsquoon a appris la composition des Meacutetaux dans les veines de la Terre []

Rares Expeacuteriences sur lEsprit mineacuteral Paris Langlois et Barbin 1668

Plusieurs arcanes se trouvent entrelaceacutees dans ce texte mais en fin il y est question en somme dun sel infusible La pratique de lœuvre montre quil nexiste que trois sels infusibles dont lun est geacuteneacuterique et reacutesulte dune transformation au lieu que les deux autres sont speacutecifiques le sel infusible proteacuteiforme est ce que les

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anciens chimistes appelaient la chaux meacutetallique et il y a autant de chaux que de meacutetaux [sept pour rester dans la pure tradition hermeacutetique cf lhumide radical meacutetallique] Le second sel - la Salamandre - est celui que De Respour nomme la Lunaire et qui est confondue dans presque tous les textes avec le premier Mercure aussi la nomme-t-on plus justement le laquo suc de la Lunaire raquo Cest elle que lon appelle encore laquo pierre et non pierre raquo et que certains ont identifieacute au nostoc [Mystegraveres p 171 cf Atalanta XXXVII] Il se trouve que cette substance deacutecrite par Pline possegravede des traits communs avec une autre pierre que lon nomme la pierre de Jeacutesus ou pierre speacuteculaire leur racine est semblable et peut tregraves facilement ecirctre preacutepareacutee en laboratoire il suffit dun vitriol preacutepareacute dun sel que lon trouve chez les riches aussi bien que chez les pauvres [surtout agrave la campagne ne dit-on pas du fou que laquo son esprit bat la campagne raquo Cest lagrave un petit trait dhumour ougrave se signale un important point de science] eacutegalement preacutepareacute et dun feu meacutediocre Quant au pheacutenix ultime eacutetat du Rebis revivifieacute il reacutesulte de la reacuteincrudation de ces substances salines La reacutesurrection du pheacutenix est sous la deacutependance de ce Lucifer ou porte lumiegravere comme leacutecrit si justement De Respour Fulcanelli le nommant christophore [Mystegraveres p

186] et ayant emprunteacute agrave Offerus ses traits pour deacutesigner le Quant agrave lArmoniac mercuriel il ne correspond point agrave notre chlorhydrate mais - comme la vu Berthelot dans la Chimie des Anciens - agrave une sorte de sel fossile Il est appeleacute lagrave encore de bien des maniegraveres selon les Adeptes les uns le nommant le sel ammoniac dautres le sel harmoniac etc Sa principale qualiteacute semble ecirctre de donner un peu de liant agrave la Salamandre pour lempecirccher de seacutechapper du feu au 4

egraveme degreacute de feu cest-agrave-dire vers 1300degC la

salamandre au dire de Marc-Antoine Gaudin devient dun coup fluide comme de leau et se vaporise instantaneacutement Quant agrave lacircme meacutetallique il faut y voir le facteur qui rend compte de la viscositeacute des meacutetaux lorsquon leur impose le calorique et le mecircme quand au bout dun certain temps [cest la peacuteriode ougrave lœuvre est compareacutee agrave un travail de femme - quenouille - ou agrave un jeu denfant - yo-yo bilboquet -] de va-et-vient la cristallisation finit par sopeacuterer dans la masse saline Ce facteur - comburant - est en raison directe de la preacutesence dun agent carburant que les Sages ont nommeacute le Lait de Vierge et sans lequel laccroissement de la Pierre ne serait pas possible cest la corne dAmaltheacutee [cf Atalanta XLVII pour une description et des notes compleacutementaires] LArbre de Vie est lArbori Solare dont nous parlons agrave la section Fontenay

FIGURE XVII - la foi ( les quatre eacuteleacutements et les deux

natures)

Lalchimiste errant ne trouvera son chemin dans le labyrinthe de Salomon que muni du fil dAriane cest ce qui constitue sa foi agrave proprement parler Sur la foi consultez la Chrysopeacutee du Seigneur un apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Sachez que lArtiste en quecircte de son Mercure sera guideacute par une eacutetoile celle qui apparaicirct sur le meacutedaillon de Notre-Dame et que cet astre agrave linstar de celui qui guida les Mages dOrient le conduira dans une eacutetable ougrave il verra un enfant emmailloteacute de langes qui aura la

forme de notre Certains lont compareacute au sel de Pierre dautres au sel gemme Dans ce dernier cas ils lont nommeacute le sel harmoniac dont le rapport avec notre chlorhydrate est du mecircme genre que celui qui existe entre le vif-argent vulgaire et lhydrargyre philosophique Ce bas-relief est la planche XI du Mystegravere Fulcanelli se trompe en la nommant la Philosophie [nous avons vu supra quil sagit de la figure IV ougrave limagier a inscrit leacutechelle de la sapience et deux livres] ou bien alors cest par cabale quil veut ainsi deacutesigner la Foi eacuterigeacutee en forme de

doctrine hermeacutetique Fulcanelli deacutecrit le meacutedaillon comme une monade la croix y deacutesigne le quaternaire des eacuteleacutements mais il faut avoir des yeux de lynceacutee pour distinguer le disque lunaire dont il nous dit quil est marteleacute On croirait un astre quelconque et rien ne vient affirmer la conjecture du grand Adepte Le lecteur verra avec profit lagrave-dessus les dessins de la Monade Hieacuteroglyphique de John Dee car lAdepte parisien seacutetend peu sur la Foi alors que la croix forme lun des symboles les plus fascinants de lœuvre

FIGURE XVIII )- lidolacirctrie ( le sujet des Sages)

Aussi voilagrave qui peut expliquer - du mecircme rapport que la folie qui lui fait pendant - la fausse foi du souffleur qui naura pas su trouver le fil dAriane que nous eacutevoquons plus haut Il croira agrave des miroirs trompeurs au reflet de Narcisse et se complaira dans laquo mille brouilleries raquo pour reprendre lheureuse expression de Nicolas Flamel [Fig Hieacuter] Il croira au rapport de lArt sacreacute avec les cultes infernaux les ceacutereacutemonies dinitiation ougrave lesprit se dissout plus quil nest sublimeacute il succombera aux mystegraveres orphiques dans ce quils ont de plus vulgaire et ce sont les plus viles meacutetamorphoses quil accomplira dans son creuset Il est eacutetrange de voir Fulcanelli comparant lIdolacirctrie au meacutedaillon repreacutesentant la Folie mais cette eacutetrangeteacute est du mecircme rapport

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en musique que celui qui existe entre laccord consonnant et laccord dissonnant ils sont compleacutementaires Ainsi

laquo LAdepte sy retrouve mains jointes dans lattitude de la priegravere et semble adresser des actions de gracircces agrave la Nature figureacutee sous les raits dun buste feacuteminin que reflegravete un miroir Nous reconnaissons

lagrave lhieacuteroglyphe du sujet des Sages miroir dans lequel on voit toute la nature agrave deacutecouvert raquo [Mystegravere p 128]

La priegravere est une indication sur le Soufre [soufre cest-agrave-dire sulfure ou sulfate] agrave cause de

lassonance [soufre - Dieu] Combien de fois les alchimistes nous ont-ils dit quil fallait implorer Dieu pour reacutealiser lœuvre en affirmant - cest une constante dans les texte - que celui-ci eacutetait un laquo don de Dieu raquo Mais si le Christ a souffert la Passion Fulcanelli demande agrave limpeacutetrant une autre action de gracircce qui est celui de laquo potasser pour lXraquo Que lon voit dans cet X une croix anseacutee ou la croix du Christ apregraves tout peu importe car nul na dit que lalchimie eacutetait reacuteserveacutee aux Chreacutetiens quand bien mecircme il est eacutevident que lœuvre agrave partir du Moyen Acircge sest pour ainsi dire nourri de la figure christique en mecircme temps quelle nourrissait dailleurs la musique [cf le Visage du Christ dans la musique baroque Jean-Franccedilois Labie Fayard 1992]

FIGURE XIX - la chariteacute (preacuteparation du dissolvant universel)

Fulcanelli eacutecrit laquo un homme expose limage du Beacutelier et tient de la dextre un objet quil est malheureusement impossible de deacuteterminer aujourdhui Est-ce un mineacuteral un

fragment dattribut raquo

Il est bien difficile de reacutepondre agrave cette question On sait que le Beacutelier comme bien des signes zodiacaux a une nature double il reacutepond agrave Ariegraves et agrave Aregraves Le premier nous signale le signe du Printemps eacutepoque canonique ougrave il convient de deacutebuter les travaux mais qui doit sentendre au figureacute Car les deux premiers signes du zodiaque qui sont respectivement les lieux dexaltation du Soleil et de la Lune reacutepondent aux deux principaux composeacutes du Mercure un vitriol et un sel contenant sous une forme quelconque de lalkali fixe Si lon applique maintenant les regravegles de la

cabale voici ce quon peut dire du laquo fragment dattribut raquo en grec un attribut seacutenonce ou

Remarquons que Fulcanelli fait reacutefeacuterence agrave un fragment Or dans les deux cas le mot se

termine par cest-agrave-dire la fleur la violette Violette noire ou dun bleu sombre Il nest pas besoin den dire plus puisque nous avons deacutejagrave en maintes pages de ce site fait voir toute limportance que prenait dans le magistegravere la sphegravere de la violette chegravere agrave E Canseliet Voyons maintenant la racine

elle se reacutefegravere agrave un objet qui habite ou qui demeure dans sa maison on peut y voir la materia prima qui tient sa reacutesidence ou son gicircte laquo es cavernes de la terre raquo pour reprendre une expression quasi idiomatique dalchimie Et nous pouvons y voir la laquo maison de lor raquo cest-agrave-dire le christophore par lequel sexprime la Toyson dor de Salomon Trismosin Cest aussi la Toyson des Argonautes leur histoire est dune grande proximiteacute par rapport agrave lœuvre ainsi que la bien montreacute Dom Pernety dans ses Fables Egyptiennes et Grecques Ainsi voyons-nous que par laquo fragment dattribut raquo

Fulcanelli entend nous parler du Soufre dissous dans le Mercure [] et du Corps de la Pierre [] La chariteacute enseigne ainsi pour lalchimiste comment le Soufre tend la main au Sel Voilagrave le message que lalchimiste tenait ici agrave faire valoir Ce bas-relief correspond agrave la planche IX du Mystegravere On peut rajouter cette note de Pernety

laquo les Adeptes disent quils tirent leur acier du ventre dAriegraves et ils appellent aussi cet acier leur aimant

raquo [Dictionnaire Mytho-hermeacutetique]

Sur un commentaire de ce reacutebus voyez la section Matiegravere

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FIGURE XX - lavarice( le reacutegime de Saturne)

Limage montre un personnage exteacutenueacute qui sappuie sans doute pour se reposer dune marche trop longue dans le deacutesert Cest lalleacutegorie de lArtiste qui a perdu son fil dAriane mais quel rapport avec lavarice En grec

amour de largent litteacuteralement Saisit-on le rapport Lattention est attireacutee par le cousinage hermeacutetique entre la Lune et largent on sait que la Lune a nulle autre pareille peut-ecirctre est versatile et plurielle dans ses rapports au grand-œuvre Est-elle prise dans son premier quartier on sait quil est question du Mercure Est-elle prise en son dernier quartier alors il sagit du Sel ou du suc de la Lunaire pour ecirctre plus preacutecis Cest donc dun rapport au Mercure agrave lEsprit quil sagit ici Et quel est ce rapport De nous faire valoir que lEau permanente des Sages ne saurait ecirctre eacuteternelle et quil vient un moment ougrave

elle doit commencer agrave se sublimer faute de quoi lArtiste œuvrera dans le deacutesert et finira par desseacutecher sa Pierre agrave force de labreuver Ou si lon preacutefegravere lEsprit doit libeacuterer lAcircme pour quelle descende dans le Corps opeacuteration qui fait lobjet du sens hermeacutetique des signes du Sagittaire et du Scorpion Mais Fulcanelli ne semble pas de cet avis puisquil intule la planche XXII du Mystegravere le Reacutegime de Saturne avec ce commentaire

laquo Un vieillard transi de froid et courbeacute sous larc du meacutedaillon suivant sappuie las et deacutefaillant sur

un bloc de pierre une sorte emanchon enveloppe sa main gauche raquo [Mystegravere p 128]

Le commentaire qui suit ne laisse pas deacutetonner et de se demander si Fulcanelli eacutetait envieux et charitable lorsquil preacutecise

laquo Il est facile de reconnaicirctre ici la premiegravere phase du second œuvre alors que le Rebis hermeacutetique enfermeacute au centre de lAthanor souffre la dislocation de ses parties et tend agrave se mortifier [] Cest le

regravegne de Saturne qui va paraicirctre emblegraveme de la dissolution radicale raquo [idem]

Voilagrave qui laisse perplexe Comment le Rebis pourrait-il se disloquer alors mecircme quil na pas encore pris forme Car qui dit Rebis dit forceacutement union mecircme si elle nest pas radicale [cest alors le terme dAirain qui est employeacute] Et lon ne voit pas que le Rebis constitueacute doive agrave nouveau ecirctre deacutesuni car leacutevolution est continuelle Que par contre il soit question de la mort prochaine du Mercurius senex qui doit laisser place agrave plus jeune que soi certes aussi est-ce dans cette acception que nous ferons correspondre le texte manifestement et exceptionnellement envieux de Fulcanelli Quant au regravegne de Saturne il renvoie au Regravegne de Saturne transformeacute en siegravecle dor lautre titre de lapocryphe dHuginus agrave Barma un grand classique Cest la suite de la citation qui permet cette conjecture

laquo [] Je suis vieil deacutebile et malade lui fait dire Basile Valentin pour cette cause je suis enfermeacute

dans une fosse [] raquo [ibid]

Il sagit dune citation incomplegravete dun des chapitres de lAzoth

laquo Je suis le vieil homme deacutebile amp malade mon surnom est Dragon Pour cette cause je suis enfermeacute dans une fosse afin que je sois reacutecompenseacute de la Couronne Royale amp que jrsquoenrichisse ma famille eacutetant en particulier lieu serviteur fugitif Mais apregraves ces choses nous posseacutederons tous les treacutesors du Royaume le feu me tourmente grandement amp la mort rompt ma chair amp mes os jusqursquoagrave ce que six

semaines passent raquo [Azoth Opeacuteration du mystegravere philosophique]

Comment Fulcaneli a-t-il pu mettre les traits du Rebis sur ce vieil homme lorsque la citation compleacuteteacutee permet de montrer que son surnom est Dragon Et que de surcroicirct il vienne agrave dire quil est le laquo serviteur fugitif raquo La seule explication possible qui permettrait dinclure le Rebis serait de faire de ce vieil homme non pas le Rebis mais le Compost [mixte Rebis - Mercure] mais de toute faccedilon cela nirait pas dans le sens ougrave linterpregravete lAdepte puisquil sagit dune dissolution on peut en dernier recours ajouter que Le Breton a vu quatre dissolutions dans lœuvre [Les Clefs de la Philosophie spagyrique Paris Jombert 1722] et quil ne serait pas impossible de voir dans la dissipation finale du Mercure [qui doit mourir agrave la fin de lœuvre] lultime dissolution mais qui na rien agrave voir avec la putreacutefaction alors que Fulcanelli parle de laquo [] la deacutecomposition et de la couleur noire raquo

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dont le symbolisme sinscrit au deacutebut de la Grande Coction en sa phase humide au lieu quici nous sommes agrave la phase dassation

FIGURE XXI - la patience (- le Soufre philosophique)

Que navons-nous pas parleacute du laquo sel de patience raquo que lArtiste doit neacutecessairement connaicirctre avant de se livrer aux travaux de la Grande Coction Les textes disent que lArtiste doit user de prudence et de patience pour amadouer le vieux dragon dont le feu est cacheacute sous les cendres meacutetalliques cest-agrave-dire dont la ponticiteacute eacuteleacutementaire a eacuteteacute maicirctriseacutee lorsque lalchimiste y a joint les deux colombes qui volent sans ailes dans la forecirct de Diane [ Introiumltus ] Nous avons eu loccasion de montrer dans

dautres sections que le mot patience [] renvoyait agrave la force dacircme ce qui suffit agrave indiquer son sens hermeacutetique Fulcanelli voit dans ce bas-relief - correspondant agrave la planche XVII du Mystegravere - le Soufre philosophique on y distingue un taureau et voici ses commentaires

laquo Comme figure de pratique le taureau et le bœuf eacutetaient consacreacutes au soleil de mecircme que la vache lest agrave la lune il figure le Soufre principe macircle puisque le soleil est dit meacutetaphoriquement par Hermegraves le Pegravere de la pierre [] le soleil et la lune [] deacutesignent les natures primitives contraires

avant leur conjonction natures que lArt extrait de mixtes imparfaits raquo [Myst p 122]

Toutefois le taureau a toujours deacutesigneacute la Lune qui sy trouve exalteacute et ougrave Veacutenus possegravede lune de ses maicirctrises [cf lagrave-dessus le zodiaque alchimique et lhumide radical meacutetallique] Par ailleurs lune

des vaches les plus connues en mythologie deacutesigne agrave la fois le deacutebut du mot et du mot cest-agrave-dire la violette et le venin or ces deux mots sont relatifs au Soufre et non au Mercure stricto sensu [les appellations vulgaires sont la rouille et le vert-de-gris] Ce thegraveme se trouve entiegraverement deacuteveloppeacute dans lAtalanta XXXII

FIGURE XXII - la colegravere

Cest la marque dun Mercure dont la ponticiteacute est excessive Cet excegraves peut ecirctre ducirc soit agrave une quantiteacute de calorique trop important - les Artistes disent alors que lon laquo brucircle les fleurs raquo soit agrave des proportions mal deacutefinies dans la composition du dissolvant Ce meacutedaillon na pas eacuteteacute commenteacute par

Fulcanelli La colegravere [] cest lagitation inteacuterieure qui gonfle lacircme Voyez ici la Chrysopeacutee du Seigneur apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Il semble que lon observe dans ce bas-relief agrave gauche Zeus muni de son foudre et agrave droite un pegravelerin mais ce tableau lapidaire a subi linjure du temps On peut associer agrave la colegravere la tempecircte que lon observe comme blason de lun des deacutecans de la Vierge le 2

egraveme deacutecan Son symbolisme a eacuteteacute analyseacute dans lAtalanta

XLVII

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FIGURE XXIII - la perseacuteveacuterance ( lathanor et la pierre)

Nous navons cesseacute de leacutevoquer cest lun des plus grands arcanes de lœuvre savoir tenir son Mercure en forme

deau mineacuterale le Mercure doit donc sattacher au Soufre agrave la teinture en maniegravere de supplique pressante Cest pourquoi les textes exhortent limpeacutetrant agrave prier avec insistance Dautres textes insistent sur la graisse du vent

mercuriel [ avec de la graisse mais aussi avec teacutenaciteacute ou perseacuteveacuterance] notamment les Figures Hieacuteroglyphiques le Donum Dei et lAtalanta fugiens Fulcanelli voit dans la planche XII du Mystegravere

laquo [] une coupe longitudinale de lAthanor et lappareillage interne destineacute agrave supporter lœuf philosophique de la main

droite le personnage tient une pierre raquo [Myst p 115]

Lagrave encore lusure du temps ne laisse plus voir grandchose du subtil meacutecanisme que deacutecrit lAdepte Le lecteur verra au livre de la Clef du Secret des Secrets de Nicolas de Valois une fort belle coupe de lathanor Fulcanelli sen tient lagrave il aurait pu ajouter que cette pierre contractait peut-ecirctre quelque rapport avec la pierre noire de Pessinonte et que le personnage de la planche XXIII nest autre quune autre version de Cybegravele et que limage de lathanor et de son appareil nest autre que le reacutesumeacute le Mixte lapidaire pourrait-on dire des deux lions qui flanquent le char de la deacuteesse dAsie Mineure Le buis consacreacute agrave Cybegravele et agrave Hadegraves repreacutesente le symbole de la perseacuteveacuterance cf Aureum Seculum Redivivum de Mynsicht

FIGURE XXIV - linconstance (lEntreacutee du Sanctuaire )

Lexamen du septiegraveme meacutedaillon de Notre-Dame de Paris donne agrave Fulcanelli loccasion de nous deacutevoiler le sens preacutecis de la reacuteincrudation

laquo [Le vieillard]vient darracher le veacutelum qui en deacuterobait lentreacutee [au Palais Fermeacute du Roy] aux regards profanes Cest le premier pas accompli dans la pratique la deacutecouverte de lagent capable dopeacuterer la reacuteduction du corps fixe de le reacuteincruder selon lexpression reccedilue en

une forme analogue agrave celle de sa prime substance raquo

Cette citation se rapporte agrave lopeacuteration qui consiste agrave dissoudre les laquo meacutetaux morts raquo cest-agrave-dire les chaux meacutetalliques des anciens chimistes dans un fondant approprieacute cest lagent ou artifice secret queacutevoque

Fulcanelli quand il parle de conjoindre les extreacutemiteacutes du vaisseau de nature Or ce vaisseau il nous est preacutesenteacute agrave la figure XXIII dans le meacutedaillon central cest lathanor philosophique Mais le mystegravere - au sens propre du terme - reste entier qui a deacutetermineacute Fulcanelli agrave poser une identiteacute entre

linconstance et ce vieillard En voici la clef linconstance en grec se dit et a valeur dune chose non fixe mobile et par suite inconstante Cest donc le volatil qui est nommeacute ici et le proceacutedeacute secret dont parle lAdepte parisien va preacuteciseacutement ecirctre de transformer une chose non fixe en chose fixe Mais cela doit sentendre dune matiegravere qui est dans un eacutetat visqueux ou liquide Cest donc bien de la laquo reacuteduction du corps fixe raquo dont parle Fulcanelli et le vellum que lon voit choir au pied gauche du vieillard est semblable agrave une tecircte cest donc dun caput mortuum quil sagit Ce bas-relief est numeacuteroteacute comme la planche XXIV du Mystegravere On voit que Fulcanelli lui a donneacute un titre dont le rapport avec lEntreacutee du Sanctuaire est rien moins que certain Lun de ses commentaires pourra peut-ecirctre nous aider agrave mieux percevoir ce rapport qui se deacuterobe

laquo En effet le vieillard que les textes identifient agrave Saturne - lequel dit-on deacutevorait ses enfants - eacutetait

jadis peint en vert tandis que linteacuterieur du Palais offrait une coloration pourpre raquo [Myst p 129]

Voilagrave qui est deacutejagrave plus clair Mais alors ce meacutedaillon preacutesente des traits congeacutenegraveres agrave celui de lavarice [le reacutegime de Saturne - planche XXII du Mystegravere] linconstance se manifeste ici comme la dissolution deacutefinitive - par sublimation - du dissolvant Toutefois la note de Fulcanelli nous permet

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den deacuteduire que le Lion vert est bien le premier eacutetat du Mercure cest-agrave-dire le laquo vinaigre tregraves aigre raquo dArtephius Et que la coloration pourpre reacutesulte de ce que le Lion rouge [qui correspond alors au Compost] est pousseacutee agrave la couleur purpurine au 4

egraveme degreacute de feu Mais en quoi est-il question laquo

dentreacutee dans le sanctuaire raquo cest-agrave-dire de lEntreacutee deacutesormais ouverte au Palais fermeacute du Roi [Introiumltus Philalegravethe] Cest que lArtiste ruseacute a amalgameacute lagent de dissolution avec sa propre dissolution cest-agrave-dire la sublimation terminale Il est clair en effet que lEntreacutee fermeacutee au Palais du Roi ne peut ecirctre ouverte que par la clef qui donne accegraves au dissolvant cest lobjet du 2

egraveme œuvre en

entier Ce dissolvant dans son premier eacutetat sapparente agrave un char muni de deux taureaux ou de deux lions il neacutecessite un frein un mors permettant de tempeacuterer son acrimonie Celui-ci nous est procureacute par les deux colombes de Diane qui seules peuvent tempeacuterer lardeur du dragon eacutecailleux Ces colombes - les deux Soufres - le transforment en Mercure animeacute cest-agrave-dire dompteacute degraves lors nous sommes dans le Palais du Roi La sortie se trouve du cocircteacute ougrave le Mercure trouve son exitus cest-agrave-dire dans sa chambre mortuaire dans son gisant le lecteur trouvera dans les Gardes du Corps des explications agrave cet eacutegard

FIGURE XXV - la chasteteacute (la salamandre - Calcination)

Ce sont des substances deacutepureacutees que lArtiste doit manipuler qui ont eacuteteacute reacuteduites par le feu qui en a conserveacute la quintessence dougrave cette image de salamandre Cest un sel

fixe qui est eacutevoqueacute par la chasteteacute [] il peut sagir de lalkali fixe [lun des constituants du Mercure] soit de la terre de lalun [le Corps de la Pierre appeleacute Arsenic par Geber et principe Sel depuis Paracelse] Le sens de ce bas-relief est donc - pour une fois - dune pure clarteacute Il figure sur la planche VIII du Mystegravere Voyons le commentaire que Fulcanelli nous a concocteacute pour la circonstance

laquo Ce leacutezard fabuleux ne deacutesigne pas autre chose que le sel central [] que les Anciens ont nommeacute Semence meacutetallique

raquo [Myst p 105]

Sel central voilagrave qui ne pose guegravere de problegraveme Mais laquo semence meacutetallique raquo Diable Fulcanelli preacutevient leacutetudiant quil sagit lagrave dune expression spagyrique - il parle de la calcination et non de la semence meacutetallique - et assure que les vieux auteurs nont eu en vue que leur agent occulte deacutesigneacute expresseacutement comme le laquo feu secret raquo dont la forme geacuteneacuterale appelle la comparaison avec une mer plutocirct quavec un feu Cest sur deux pages que lAdepte seacutetend sur cette notion de feu igneacute quil nomme laquo eau ardente raquo et que daucuns ont cru traduire par laquo eau-de-vie raquo Il est certain que le Ciel philosophique de Freacutedeacuteric Ulstade contient des descriptions approfondies des distillations par lesquelles on preacutepare leau-de-vie mais on ne trouvera point de note touchant au dissolvant qui nen est pas moins une certaine eau-de-vie agrave sa maniegravere Cette substance proteacuteiforme a ceci deacutetonnant quelle procure la mort avant de redonner la vie et les alchimistes ont symboliseacute ces extrecircmes sous les dehors du corbeau [Atalanta XLIII] et du pheacutenix [De ave phoenice] Ces deux oiseaux occupent une part importante de la voliegravere hermeacutetique Mais revenons agrave notre semence meacutetallique Quelle est lideacutee qui occupe lesprit de lAdepte Dabord observons en premier lieu que lorigine de cette semence est le dragon eacutecailleux Car lArtiste nen dispose point il lui faut linfuser dune maniegravere quelconque dans le Mercure disposeacute en son eacutetat primitif Et que cette semence soit dabord pourrie [cf Basile Valentin Douze Clefs de Philosophie] Nous avons au deacutebut de notre quecircte postuleacute que cette semence eacutetait repreacutesenteacutee par la reacutesine de lor alchimique Cette conjecture est-elle probable En quoi se rapproche-t-elle de la reacutesine de lor cest-agrave-dire en un mot du christophore Reacutepondre agrave ces questions cest du mecircme coup toucher au plus haut mystegravere de lœuvre Car la semence meacutetallique est faite du grain dor dont les multiplications ulteacuterieures sont tributaires Or le principe de Raison est inconciliable avec cette ideacutee laquo baroque raquo de multiplication assimileacute au principe de la laquo multiplication des painsraquo lun des Miracles quont signaleacutes les Evangiles La seule hypothegravese conciliable avec cette ideacutee serait celle dune enzyme dont on sait quelle peut deacuteclencher une reacuteaction chimique ad libitum tout en eacutetant reacutegeacuteneacutereacutee Or rien ne permet - hormis quelques expeacuteriences de Sainte Claire Deville faites sur lesprit de sel - de fonder en hypothegravese raisonnable une telle conjecture Ajoutons que la majoriteacute des traiteacutes dalchimie font allusion - et ce assez directement - agrave

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cette multiplication Incapable de pouvoir reacutesoudre cette eacutenigme nous pouvons en revanche nous faire une ideacutee de la faccedilon dont cette semence sera capteacute par lAimant des Sages

FIGURE XXVI - la luxure ( la Connaissance des poids)

La luxure prend ici le sens de deacutemesure ce qui est indiqueacute

par la balance impudence insolence et plus geacuteneacuteralement de mœurs dissolues Tel est le sens eacutesoteacuterique deacutegageacute par cette figure Quant agrave la signification exoteacuterique elle est claire Les alchimistes bien avant Lavoisier avaient eu la notion intuitive du poids des eacuteleacutements quils devaient faire entrer dans leur Mixte cest-agrave-dire leur Airain eacutetat premier du Rebis Non seulement ils avaient eu cette prescience mais encore ils avaient eu lintuition que la combinaison de leurs eacuteleacutements ne pouvait intervenir quen de certains termes par lagrave ils faisaient le distinguo entre ce quils appelaient le laquo poids de lart et le poids de nature raquo Cette image de la balance est omnipreacutesente dans liconographie alchimique agrave commencer par la figure de Theacutemis ou celle de

larchange Gabriel vainqueur du dragon eacutecailleux Fulcanelli nomme ce meacutedaillon la Connaissance des poids [planche XX] On peut citer ce passage

laquo Lauteur des Aphorismes Basiliens ou Canons Hermeacutetiques de lEsprit et de lAcircme eacutecrit au Canon XVI Nous commenccedilons notre œuvre hermeacutetique par la conjonction des trois principes preacutepareacutes sous une certaine proportion laquelle consiste au poids du corps qui doit eacutegaler lesprit et lacircme

presque de sa moitieacute raquo [Myst p 125]

Ces Aphorismes Basiliens sont une oeuvre rare [imprimeacutes nous dit en note E Canseliet agrave la suite des Oeuvres tant Meacutedicinales que Chymiques du RP de Castaigne Paris de la Nove 1681] Comme convenu le poids de lAcircme est de beaucoup infeacuterieur au poids du Corps

FIGURE XXVII 13)- la concorde

( les mateacuteriaux neacutecessaires agrave leacutelaboration du dissolvant)

Pour Fulcanelli voilagrave une figure qui reacutesume la liste des mateacuteriaux du dissolvant Nous savons que cette planche tenue par la deacuteesse ne peut ecirctre que du bois dont eacutetait fait le vaisseau des argonautes les fameux checircnes parlants de loracle de Dodonne [voyez en recherche] Ce bas-relief fait lobjet de la planche XIV du Mystegravere p 80 Cest pour Fulcanelli loccasion de citer la Clef du Cabinet Hermeacutetique dun auteur anonyme

laquo Leau dont nous nous servons [] est une eau qui renferme

toutes les vertus du ciel et de la terre [] raquo [Myst p 118]

Il sagit agrave leacutevidence de leau mineacuterale et meacutetallique qui constitue la fontaine de jouvence bain des astres de la Fontaine du Treacutevisan fontaine du Rosaire des Philosophes Fulcanelli ajoute des reacuteflexions qui ont trait

davantage au Soufre dissous quau Mercure

laquo La racine de nos corps est en lair disent les Sages et leurs chefs en terre raquo [idem]

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FIGURE XXVIII 14)- la discorde ( la Dissolution Combat

des deux Natures)

Et voici ce qui repreacutesente peut-ecirctre le sommet de linterpreacutetation eacutesoteacuterique des bas-reliefs de Notre-Dame par lalchimiste parisien tout de mecircme quun chef dœuvre de lart lapidaire des imagiers du Moyen Acircge Lagrave encore ce bas-relief a eacuteteacute preacutesenteacute plusieurs fois il nous suffira donc de dire que nous tenons lagrave les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature irreacuteductibles ennemis quil suffira dunir par le truchement de deux substances preacutesentes en puissance dans le pot de terre que lon voit entre les pieds du personnage de gauche et dans la pierre que lon voit tomber entre les deux personnages Comme leacutecrit Fulcanelli - cf Atalanta fugiens XXXV -

laquo Il nest guegravere possible deacutecrire avec plus de clarteacute ni de simpliciteacute laction de leau pontique sur la matiegravere grave et

ce meacutedaillon fait grand honneur au maicirctre qui la conccedilu raquo [Myst p 131]

La matiegravere du pot de largile est de celle dont on extrait le Corps de la Pierre quoiquil se preacutesente un autre mineacuteral dans la nature dougrave lon peut lextraire plus aiseacutement Et la pierre est de celle dont on extrait le sel qui formera notre eau mineacuterale comme laffirme avec veacuteheacutemence Alexandre Sethon

laquo Notre matiegravere paraicirct aux yeux de tout le monde et elle nest pas connue Ocirc notre Ciel Ocirc notre Eau Ocirc notre Mercure Ocirc notre Sel nitre qui ecirctes dans la mer du monde Ocirc notre Veacutegeacutetable Ocirc notre Soufre fixe et volatil Ocirc tecircte morte ou fegraveces de notre mer Eau qui ne mouille point sans laquelle

personne au monde ne peut vivre et sans laquelle il ne naicirct et ne sengendre rien en toute la Terre raquo [Nouvelle Lumiegravere Chymique Chapitre XI De la pratique et composition de la Pierre ou Teinture

Physique selon lArt]

Et lon ne saurait ecirctre plus clair sauf agrave passer des bornes que Fulcanelli tenu par le secret na pas cru bon de transgresser Ce bas-relief est disposeacute sur la planche XXV du Mystegravere

FIGURE XXIX - la force (- le Corps fixe)

Cest le lion qui se trouve deacutesigneacute Emblegraveme majeur de lœuvre cest agrave de multiples reprises que nous avons parleacute du lion vert et du lion rouge [recherche] Voyez lAtalanta fugiens et le zodiaque alchimique Que lon comprenne bien ici que leacutepeacutee et le casque sont les attributs de lhomme armeacute La chanson profane LrsquoHomme armeacute dont on attribue la paterniteacute agrave Busnois [preacutecepteur du futur Charles le Teacutemeacuteraire dernier duc de Bourgogne] compte parmi les plus ceacutelegravebres de la fin du Moyen Acircge au point que plus de quarante messes srsquoen inspiregraverent Cet engouement provient-il de sa possible origine bourguignonne en liaison avec lrsquoordre de la Toison drsquoor drsquoune reacuteminiscence des Croisades ou encore drsquoune eacutevocation cacheacutee de Longin le soldat romain qui transperccedila le flanc du Christ Aucune de ces hypothegraveses nrsquoapporte drsquoeacuteclairage satisfaisant sur les

destineacutees drsquoune piegravece dont le texte mecircme reste eacutenigmatique laquo Lrsquohomme armeacute doit on doubter - On a fait partout crier - Que chacun se viegne armer - drsquoun haubregon de fer raquo La coiumlncidence est assez extraordinaire de ce que tant la toison de lor [notre christophore] que la couleur qui sourd de la poitrine du Christ soit de la mecircme couleur blanche Sur la Force voyez les Gardes du Corps Le bas-relief occupe la planche XV du Mystegravere Voici une citation que donne Fulcanelli sur ce lion

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laquo [] Cest ce qui a engageacute Basile Valentin agrave donner ce conseil Dissous et nourris le vray Lion du sang du Lion vert car le sang fixe du Lion rouge est fait du sang volatil du vert parquoy ils sont tous

deux dune mesme nature raquo [Myst p 121]

Lattention est attireacutee par leacutevolution dun processus ougrave la mecircme matiegravere est manifestement ameneacutee agrave un degreacute supeacuterieur de deacutepuration nous sommes ici au reacutegime de Veacutenus ou de Mars

FIGURE XXX- la lacirccheteacute

Ce bas-relief na pas eacuteteacute interpreacuteteacute par Fulcanelli et cest bien dommage Comment en effet expliquer quun simple lapin [lepus] mette en fuite un chevalier [on voit leacutepeacutee tomber derriegravere lui] Et que signifie cet oiseau qui ressemble agrave un rapace percheacute sur larbre Il naura pas eacutechappeacute au cabaliste que le mot lepus puisse ecirctre rapprocheacute de lupus cest-agrave-dire le loup voilagrave deacutejagrave qui se rapproche de lArt sacreacute En quoi Nous laisserons au lecteur le soin de chercher lui-mecircme le rapport dans la section des Principes agrave propos du commentaire dE Canseliet sur le jardin de la villa Palombara agrave Rome [Deux Logis Alchimiques Pauvert 1978] Cest dune fuite quil est question ici cest-agrave-dire dune dissolution ou dune volatilisation or un mot suffit agrave lier ces deux opeacuterations sublimation Notez que Fulcanelli reviendra sur cette laquo gueule de

loup raquo lors de lexamen de la chemineacutee alchimique du chacircteau de Fontenay-Le-Comte

FIGURE XXXI lespeacuterance ( lEvolution - Couleurs et

Reacutegimes du Grand œuvre)

Cest une allusion agrave lun des deux aspects que prend la planegravete Veacutenus lors du creacutepuscule vespeacuteral ougrave les Anciens la nommaient Hesperus Elle signale agrave lArtiste que lœuvre progresse bien et que la Grande Coction

est deacutejagrave bien entameacutee lEspeacuterance [Spes] On sait que ce fut le seul don des dieux qui ne seacutechappa point de la boicircte de Pandore le seul qui fut fixe Aussi les alchimistes lui ont-ils consacreacutes une maxime laquo Spes mea in agno raquo qui fait partie du titre de la Philosophie Naturelle Restitueacutee de Jean dEspagnet [il sagit de lanagramme de son nom] dont on ne dira jamais assez toute limportance tant au plan de la science hermeacutetique quau plan de lhistoire puisque Philalegravethe lui doit beaucoup [cf Oeuvre Secret dHermegraves] On voit ainsi que lEspeacuterance est en fait un

clin dœil agrave lagneau ou si lon preacutefegravere au Beacutelier Il sagit de la planche X du Mystegravere Avec ces remarques du maicirctre

laquo LEvolution succegravede et montre loriflamme aux trois pennons tripliciteacute des Couleurs de lŒuvre que

lon retrouve deacutecrites dans tous les ouvrages classiques raquo [Myst p 107]

Fulcanelli seacutetend ensuite sur 7 pages dans la description et linterpreacutetation des couleurs Il suffira de donner cet extrait qui montre comment relier lhermeacutetisme et lhistoire la plus reculeacutee du genre humain

laquo En Chaldeacutee les Ziguras qui furent ordinairement des tours agrave trois eacutetages et agrave la cateacutegorie desquelles appartenait la fameuse Tour de Babel sont revecirctues de trois couleurs noir blanche et

rouge-pourpre raquo [Myst p 111]

Les couleurs de lœuvre sont lune des eacutenigmes les plus eacutepuisantes dans la quecircte que limpeacutetrant aura agrave mener dans son parcours hermeacutetique Mais enfin il est possible dy voir des correspondances

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relativement simples Ainsi peut-on poser que le noir est la couleur de la TERRE cest-agrave-dire de la cendre notamment celle des meacutetaux et celle de lalkali fixe Cest pourquoi la premiegravere couleur qui se

reacutevegravele agrave lArtiste au deacutebut de lœuvre est celle de la putreacutefaction [mais bien sucircr il ne sagit pas du

deacutebut cest-agrave-dire de la reconnaissance des matiegraveres premiegraveres mais bien du deacutebut de la Grande

Coction au 3egraveme

œuvre] Vient ensuite le blanc cest par tradition la couleur de ce qui est pur il

sagit donc dune couleur qui apparaicirct - en esprit - apregraves quun certain travail aura eacuteteacute meneacute agrave bien avec nos cendres mineacuterales et meacutetalliques Cette couleur blanche est celle de lAIR et indique que les subtances sont dans un eacutetat sublimeacute [ce qui ne veut pas dire aeacuterien] Enfin le rouge-rubis cest la couleur de la conseacutecration de la royauteacute celle par laquelle lArtiste parvient agrave lAdeptat

FIGURE XXXII le deacutesespoir

La logique - qui nest nullement incompatible avec la cabale hermeacutetique bien tempeacutereacutee - voudrait que lon voit dans ce bas-relief le premier eacutetat de la planegravete Veacutenus au creacutepuscule du matin Lucifer Du coup nous voici au deacutebut de lœuvre [nous voulons parler bien sucircr du 3

egraveme œuvre cest-agrave-dire de la Grande Coction]

et en une eacutepoque ougrave la matiegravere prend cet aspect visqueux particulier qui nous a valu les Ripleys Scrowles ou le FOU du

tarot absence de raison emportement Ce bas-relief est eacutevidemment congeacutenegravere de celui consacreacute agrave la FOLIE Voilagrave une indication sur le premier eacutetat du Mercure Observez le double caractegravere de ce premier Mercure il est agrave la fois incontrocircleacute et

indolent [] Cest-agrave-dire quil est mou au lieu que le Mercure animeacute doit ecirctre en forme deau mineacuterale et au vrai fluide comme de leau agrave linstar dun bon

fondant Cest-agrave-dire quil est amorphe le but de la Grande coction eacutetant den faire apparaicirctre []

le eacutetoileacute et cristallin Cette figure na pas eacuteteacute interpreacuteteacutee par Fulcanelli

FIGURE XXXIII - lhumiliteacute ( le Corbeau - Putreacutefaction)

La Patience est lrsquoeacutechelle des Philosophes et lrsquoHumiliteacute est la porte de leur Jardin [ paroles rapporteacutees dans les Douze Clefs de Basile Valentin cest lune des phrases les plus empruntes de poeacutesie de la litteacuterature alchimique ] Le bas-relief montre un corbeau Sait-on que lameacutethyste - que les Evecircques portent - est le symbole de lhumiliteacute parce quelle est de la couleur de la violette Revoyez ce que nous avons dit plus haut au sujet du laquo fragment dattribut raquo Compleacutetez par tous les passages ougrave nous parlons de la violette de la rouille et de la grenade la transition du corbeau au coq naura plus de secret pour vous et de plus vous comprendrez en quoi la noix de galle associeacutee au checircne se rapproche de cet objet curieux quexaminait Fulcanelli en nous disant que de forme lenticulaire il est blanc sur une face noire sur lautre et violet dans sa cassure Voilagrave nommeacute le Soufre rouge

ou teinture de la Pierre Mais il sagit lagrave dun raccourci trop rapide Revenons agrave ce que nous dit Fulcanelli sur ce corbeau qui orne la planche VI du Mystegravere

laquo Selon Le Breton il y a quatre putreacutefactions dans lŒuvre philosophique La premiegravere dans la premiegravere seacuteparation la seconde dans la premiegravere conjonction la troisiegraveme dans la seconde conjonction qui se fait de leau peusante avec son sel la quatriegraveme enfin dans la fixation du

soulphre Dans chacune de ces putreacutefactions la noirceur arrive raquo [Myst p 101]

Nous avons deacutejagrave plusieurs fois citeacute Le Breton qui semble un auteur important On voit que la premiegravere putreacutefaction correspond agrave la preacuteparation de lArcanum duplicatum la terre noire tombe au fond de la cornue cependant que laqua sicca se sublime dans le reacutecipient elle se situe donc au 2

egraveme œuvre [ougrave

la voie humide est exclusive] La seconde survient au tout deacutebut du 3egraveme

œuvre et repreacutesente la noirceur laquo classique raquo celle que deacutecrivent tous les traiteacutes La troisiegraveme pose davantage de problegraveme laquo qui se fait de leau pesante avec son sel raquo Limage qui nous vient immeacutediatement agrave lesprit cest Latone accouchant agrave Deacutelos dArteacutemis dune certaine faccedilon il sagit bien dune seacuteparation qui procegravede dune parturition Encore est-elle incomplegravete elle sera acheveacutee par la quatriegraveme putreacutefaction qui consiste en la fixation du Soufre au Sel Latone accouche dApollon et Arteacutemis lui sert de paregravedre On

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devine que la laquo noirceur raquo est purement une image eideacutetique De combien de souffleurs a-t-elle donc abuseacute A tout cela nous ajouterons que larcane repreacutesenteacute dans leacutecu que nous preacutesente lHumiliteacute garde une partie de son mystegravere en effet nous avons vu que Villard de Hennecourt [XIIIe siegravecle] y voyait une colombe et Fulcanelli un corbeauComment arriver agrave concilier les deux visions lune laquo positive raquo eacutemanant dun maicirctre imagier lautre laquo speacuteculative raquo eacutemanant dun maicirctre hermeacutetiste Voici ce quon peut en dire le voyage des Argonautes est tregraves lieacute on le sait aux mystegraveres orphiques et agrave lalchimie ce nest certes pas une leacutegende alchimique mais les hermeacutetistes Dom Pernety y a beaucoup travailleacute dans ses Fables Egyptiennes et Grecques ont su y deacuteceler des intentions en direction de lArt sacreacute Dans cette leacutegende on sait quagrave un moment Eurysteacutee au passage des roches cyaneacutees ou Symplegades va deacuteclencher louverture du barrage formeacute par ces roches gracircce au lacher de deux colombes notez que cette scegravene intervient agrave la sortie du Pont-Euxin [la Mer Noire] le deacutecors est poseacute le Pont-Euxin nest autre que le symbole de la dissolution des matiegraveres et le lacirccher de colombes la sortie de cette phase Si lon en revient agrave lalchimie on sait que lhieacuteroglyphe du corbeau deacutefinit la phase de putreacutefaction la noirceur cette laquo noirceur raquo est le fait de laction du dissolvant des Sages Mais sur quoi Il ne saurait sagir dune laquo auto-dissolution raquo qui naurait aucun sensPhilalegravethe exceptionnellement va venir agrave notre secours il nous indique en effet [Introiumltus VI] que deux colombes que lon a trouveacutees dans la foret de la vierge Diane suffisent agrave calmer lacrimonie et la ponticiteacute du dissolvant et il ne peut faire de doute que ces deux colombes ne sont autres que les deux Soufres Soufre rouge ou teinture de la Pierre Soufre blanc cest-agrave-dire son Corps

FIGURE XXXIV - lorgueil ( la Cohobation)

Ce bas-relief est ceacutelegravebre pour ceux qui sinteacuteressent agrave lalchimie car Fulcanelli le deacutecrit comme repreacutesentant lun des plus grands mystegraveres de lœuvre la cohobation Cest peut-ecirctre Tripied dans son Vitriol Philosophique qui sest le plus approcheacute de la solution du problegraveme mais alors il faut voir cette opeacuteration au 1

er œuvre cest-agrave-dire lors de la phase de preacuteparation

des matiegraveres chapitre sur lequel les alchimistes sont presque tous muets

laquo un cavalier deacutesarccedilonneacute se cramponnant agrave la criniegravere dun cheval fougueux Cette alleacutegorie a trait agrave lextraction des parties fixes centrales et pures par les volatiles ou

eacutetheacutereacutees dans la dissolution philosophique raquo

Voilagrave ce que nous en dit Fulcanelli p 123 du Mystegravere des Catheacutedrales Il peut sagir aussi dopeacuterations agrave type

de convectionSi nous devions rapprocher ce bas-relief dune leacutegende mythologique cest au char de Phaeacuteton que nous penserions immeacutediatement Voyez cette fable dans notre humide radical meacutetallique Formant la planche XVIII du Mystegravere larcane ne se laisse pas facilement domestiquer agrave linstar du cheval fougueux qui manque de faire choir son cavalier Nous devons renoncer agrave limage dune cohobation classique en cornue pour ne plus penser quau principe de cette opeacuteration la concentration dune substance Cest ce quenseigne le maicirctre

laquo Labsorption du fixe par le volatil seffectue lentement et avec peine Pour y reacuteussir il faut employer beaucoup de patience et de perseacuteveacuterance et reacuteiteacuterer souvent laffusion de leau sur la terre de lesprit

sur le corps raquo [Myst p 123]

Mesure-t-on le degreacute de cabale de ces quelques lignes La patience - si lon sen tient agrave la terminologie de Fulcanelli - correspond agrave la figure XXI cest le Soufre philosophique [ou planche XVII du Mystegravere] Quant agrave la perseacuteveacuterance selon le mecircme principe cest la figure XXIII ou lAthanor et la Pierre [planche XII du Mystegravere] Et nous avons vu que cette derniegravere figure eacutetait rigoureusement superposable au char de Cybegravele qui tient sa pierre noire et est flanqueacutee dAtalante et dHippomeacutenegraves [cf Atalanta fugiens] Nous tenons lagrave les eacuteleacutements du vase de nature et la cohobation correspond agrave la peacuteriode dinstabiliteacute dont nous avons deacutejagrave parleacute ougrave la cristalisation de la matiegravere commence dopeacuterer Quant agrave la peine elle peut par cabale phoneacutetique renvoyer agrave la teinture de la Pierre cest-agrave-dire au Soufre rouge en effet la peine se dit en latin poena [peine tourment souffrance] mais la peine a une autre acception distiller [sudo] elle renvoie ausi agrave aerugo [cupiditeacute qui ronge le coeur rouille de cuivre et par aerumna agrave peines misegravere eacutepreuve]

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FIGURE XXXV lobeacuteissance - Conjonction du Soufre et

du Mercure)

Fulcanelli eacutevoque - agrave la planche XIII du Mystegravere - le griffon incarnation si lon peut dire des Harpyes la leacutegende leur donna lapparence de monstres eacutepouvantables Leur corps de vautour leur bec et leurs ongles crochus lodeur infecte qui les accompagne sont autant de repreacutesentations de monstres impossibles agrave rassasier

laquo Le monstre mythologique dont la tecircte et la poitrine sont celles de laigle et qui emprunte au lion le reste du corps initie linvestigateur aux qualiteacutes contraires quil faut neacutecessairement assembler dans la matiegravere philosophale

raquo

Sur lart et la maniegravere de reacutealiser cette eacutetrange parturition voyez notre commentaire de lAtalanta fugiens Quoi quil en soit le griffon par lintermeacutediaire de ces pattes arriegravere

contracte eacutegalement des rapports avec le dragon Notez aussi que tant le lion que le coq ou le heacuteron

ainsi que le griffon expriment la vigilance Quant agrave la griffe elle peut renvoyer agrave lonyx pierre preacutecieuse ou agrave un coquillage roseacute [meacuterelle et soufre par cabale] Les Grecs en faisaient le gardien de treacutesors [toute la mythologie a employeacute ce symbolisme Wagner dans Siegfried emploie un dragon Fafner qui garde lor des Nibelungen et lanneau magique dAlberich] et la monture dApollon Autrement dit nous devons voir dans ce griffon leacutequivalent strict de Latone Aussi bien sommes-nous daccord avec Fulcanelli lorsquil eacutecrit

laquo Nous trouvons en cette image lhieacuteroglyphe de la premiegravere conjonction laquelle ne sopegravere que peu agrave peu au fur et agrave mesure de ce labeur peacutenible et fastidieux que les Philosophes ont appeleacute leurs

aigles raquo [Myst p 115]

On sest beaucoup pencheacute sur cette eacutenigme des Aigles de Philalegravethe en particulier dans la section Matiegravere Cette premiegravere conjonction en accord avec les vues de Le Breton correspond donc agrave la noirceur traditionnelle On comprend en quoi lObeacuteissance est de concert avec ce griffon auquel dailleurs Fulcanelli aurait pu donner son nom plus commun dAirain

FIGURE XXXVI - la deacutesobeacuteissance

Ce bas-relief na pas eacuteteacute examineacute par Fulcanelli mais on peut en deviner la raison quand on voit les ravages que sept siegravecles de rafale ont imposeacute sur cette partie du grand portail de Notre-Dame

Doit-on voir dans le personnage de droite le deacutepart de lenfant prodigue Il faudrait donc voir le pegravere agrave gauche Le sens hermeacutetique du meacutedaillon serait alors superposable aux gravures du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck on peut voir dans lune le Fils seacuteloigner du Pegravere accompagneacute au sommet dune montagne par le conducteur et dans lautre le Fils redescendu dans le Palais du Roi son Pegravere et pregraves agrave ecirctre deacutevoreacute par lui Cest une parabole sur le Mercure la sublimation du Soufre et la reacuteincrudation

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FIGURE XXXVII 23)- la douceur ( lunion du Fixe et du

Volatil)

Aussi bizarre que cela puisse paraicirctre Fulcanelli voit un laquo coq - renard raquo dans le meacutedaillon de la douceur [planche XVI du Mystegravere] Cest une chimegravere dans les deux sens du terme Voici comment lAdepte voit cette figure

laquo Cest ce superbe manteau avec le Sel des Astres dit [Basile] qui suit ce soulfre ceacuteleste gardeacute soigneusement de peur quil ne se gaste et les faict voller comme un oyseau tant quil sera besoin et le coq mangera le renard et se noyera et estouffera dans leau puis reprenant vie par le feu sera (afin de jouer chacun leur tour) deacutevoreacute par

le renard raquo [Myst p 122]

Fulcanelli donne une citation se rapportant agrave la Clef III des Douze clefs de Basile LAdepte attire lattention sur la

devise favorite des alchimistes laquo Solve et Coagula raquo qui exprime entiegraverement le moyen et le but de lœuvre Cest cette extraction du Soufre rouge que lAdepte compare agrave ce monstre hybride tenant agrave la fois du coq et du renard Notez que lalleacutegorie sera mieux conccedilue et analyseacutee lorsque Fulcanelli examinera le portail central de la catheacutedrale dAmiens [Mystegravere planche XXV]

FIGURE XXXVIII 24)- la dureteacute ( la Reine terrasse le

Mercure Servus Fugitivus)

La dureteacute se situe agrave la planche XXI de louvrage de Fulcanelli Cest lune des figures les plus eacutenigmatiques des Vices et des Vertus Le commentaire quen donne lAdepte est particuliegraverement subtil il eacutevoque la voie du laquo mercure commun raquo pris comme laquo vif-argent vulgaire raquo

laquo Une reine assise sur un trocircne renverse dun coup de pied le valet qui une coupe agrave la main vient lui offrir ses

services raquo [Myst p 126-127]

On ne pourra comprendre lalleacutegorie si lon na pas lu la Clavicule de Ramon Lull Car Fulcanelli joue ici sur une cabale spirituelle entre les expressions mercure vulgaire et mercure commun autrement dit il veut parler ici du premier

Mercure encore appeleacute Mercure des philosophes diffeacuterent du Mercure philosophique Degraves lors tout ce quil dit du laquo vif-argent vulgaire raquo doit ecirctre pris dans un sens charitable Cest agrave cette occasion quil cite un opuscule tregraves rare de Sabine Stuart de Chevalier Discours philosophique sur les Trois Principes ou la clef du Sanctuaire philosophique [Paris Quillau 1781] Et quil complegravete lextrait quil en donne par ce commentaire

laquo Le servus fugitivus dont nous avons besoin est une eau mineacuterale et meacutetallique solide cassante ayant laspect dune pierre et de liqueacutefaction tregraves aiseacutee Cest cette eau coaguleacutee sous forme de

masse pierreuse qui est lAlkaest et le Disssolvant universel [] raquo [Myst p 127]

Le lecteur trouvera dans les sections du Mercure de lArcanum duplicatum dans lhumide radical meacutetallique et dans la reacuteincrudation de quoi faire le tour du problegraveme

Nous avons termineacute leacutetude des meacutedaillons les plus importants de Notre-Dame de Paris en revisitant ce livre tant extraordinaire plein de poeacutesie et deacuterudition de lun des plus ceacutelegravebres alchimistes du XX

e

siegravecle Fulcanelli Dautres meacutedaillons appartenant agrave dautres demeures philosophales attendent decirctre deacutepoussieacutereacutes et revisiteacutes agrave leur tour Cette section eacutetant deacutejagrave deacutemesureacutee nous reacuteserverons donc peut-ecirctre un jour une section speacuteciale qui sattachera agrave leacutetude des derniers tableaux lapidaires de Notre-Dame de Paris qui est loin davoir livreacute tous ses secrets et agrave leacutetude de ceux de la catheacutedrale dAmiens suivant en cela le plan du Mystegravere des Catheacutedrales

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LART RELIGIEUX DU XIIIe SIEgraveCLE EN FRANCE ETUDE SUR LICONOGRAPHIE DU MOYEN

AGE ET SUR SES SOURCES DINSPIRATION par Emile Macircle Paris Armand Colin in-4deg 468 p et fig

FIGURE XXXIX

(portail de Notre-Dame Bourges - deacutetail clicheacute Alain Mauranne)

Il nest jamais trop tard pour rendre compte dun bon livre surtout quand une seconde eacutedition

en consacre toute la valeur M Macircle qui avait fait paraicirctre la premiegravere eacutedition de son

excellent ouvrage en 1808 sest attacheacute agrave le perfectionner en y ajoutant de nouvelles

remarques iconographiques mais il est regrettable que son eacutediteur ne se soit pas imposeacute les

sacrifices neacutecessaires pour lillustration quil eacutetait facile de puiser dans la preacutecieuse collection

de M Martin-Sabon Comme le sous-titre lindique beaucoup mieux que le titre le livre de M

Macircle est une eacutetude densemble sur liconographie des portails et des vitraux de nos grandes

catheacutedrales gothiques Il a donc eu raison de deacutebuter par lexposeacute des caractegraveres de

liconographie du moyen acircge et de la meacutethode agrave suivre pour linterpreacuteter On eacutetait trop porteacute agrave

chercher dans la Leacutegende doreacutee lunique explication dune foule de scegravenes sculpteacutees ou peintes

parles artistes M Macircle qui a mis en relief la valeur de la grande encyclopeacutedie de Vincent de

Beauvais connue sous le nom de Speculum majus et qui lui a emprunteacute les grandes divisions

de son ouvrage restitue agrave Martianus Capella grammairien du Ve siegravecle et agrave Honorius eacutevecircque

dAutun au XIIe siegravecle auteur du Speculum ecclesiae et de lElucidarium la place qui leur

revient dans les sources de linspiration iconographique Les premiers chapitres sont consacreacutes

agrave leacutetude des animaux symboliques des bestiaires des calendriers des sept arts libeacuteraux des

vertus et des vices Lauteur qui seacutelegraveve avec raison contre lexageacuteration du symbolisme

eacutetudie parallegravelement les sources et les repreacutesentations figureacutees en comparant les unes aux

autres les sculptures des grandes eacuteglises gothiques Si les artistes du moyen acircge avaient une

grande liberteacute dinterpreacutetation leurs œuvres deacuterivent cependant de la mecircme inspiration

Dailleurs linfluence du clergeacute sur le programme imposeacute aux sculpteurs et aux peintres

verriers les obligeait agrave rester fidegraveles aux traditions conserveacutees dans les ateliers

Linterpreacutetation symbolique de la Bible et ses origines a fourni agrave M Macircle loccasion

dexpliquer beaucoup de scegravenes peintes sur les vitraux de Bourges de Chartres et du Mans et

de donner la clef des scegravenes sculpteacutees dans les voussures du portail nord de la faccedilade de

Notre-Dame de Laon ougrave le sculpteur sest inspireacute dun sermon dHonorius Les figures et les

attributs des patriarches des prophegravetes et des rois de Juda que lauteur identifie avec les

personnages des galeries de Notre-Dame de Paris dAmiens de Reims et de Chartres sont

eacutetudieacutes avec le plus grand soin ainsi que les scegravenes de la vie du Christ et les paraboles

Abordant ensuite les traditions leacutegendaires sur lancien et le nouveau Testament et sur la

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Vierge qui ont leur source dans les Evangiles apocryphes lauteur commente lhistoire de

Theacuteophile et montre linfluence exerceacutee dans les ateliers par la Vitu Christi de Ludovic le

Chartreux et le De gloria martyrum de Greacutegoire de Tours ce qui lui permet dexpliquer les

scegravenes de plusieurs vitraux de la catheacutedrale du Mans Les caracteacuteristiques des saillis et la

Leacutegende doreacutee linfluence des pegravelerinages sur la populariteacute des saints linfluence des

donateurs et des corporations meacuteritaient un chapitre speacutecial ougrave M Macircle a fait dingeacutenieuses

observations sur linterpreacutetation artistique de lœuvre ceacutelegravebre de Jacques de Voragine Les

artistes du moyen acircge avaient un meacutediocre souci des grands hommes de lantiquiteacute mais ils

ont repreacutesenteacute parfois la belle Campaspe agrave cheval sur Aristote et Virgile dans la corbeille M

Macircle prouve que la seule sibylle reproduite au XIIIe siegravecle fut la sibylle Erythreacutee parce que

saint Augustin lui attribuait les fameux vers acrostiches sur le jugement dernier Il montre

ensuite les erreurs commises par Montfaucon et dautres archeacuteologues qui ont cru reconnaicirctre

des rois de France dans des statues qui repreacutesentent en reacutealiteacute des personnages bibliques ete

siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque nationale sur linspiration des artistes du moyen acircge qui

ont copieacute la bote agrave sept tecirctes la femme nimbeacutee deacutetoiles qui remet son enfant agrave un ange

lapparition divine qui porte une eacutepeacutee dans sa bouche Enfin dans une conclusion dont la

forme litteacuteraire est un veacuteritable modegravele il a montreacute la physionomie de nos grandes catheacutedrales

en prouvant que les artistes eacutetaient les interpregravetes dociles du clergeacute qui reacuteglait lordonnance

des sujets Cette theacuteorie est absolument conforme agrave la veacuteriteacute comme notre confregravere M Mortel

la prouveacute avec documents agrave lappui dans un article du Bulletin Monumental de 1902 De

mecircme M Macircle rectifie encore une fois la theacuteorie de Viollet-le-Duc sur lesprit de reacutevolte des

artistes laiumlques du XIIIe siegravecle contre lart theacuteocratique de leacutepoque romane et il ajoute de

nouveaux arguments agrave la savante reacutefutation de notre confregravere M Anthyme Saint-Paul Il

deacutefinit la catheacutedrale une œuvre de foi et damour et il deacutecouvre dans Notre-Dame de Chartres

la penseacutee mecircme du moyen acircge devenue visible On ne saurait mieux dire Eacutecrit dans un style

eacuteleacutegant et preacutecis louvrage de M Macircle sera le veacuteritable vade-mecum des archeacuteologues qui

veulent eacutetudier liconographie du XIIIe siegravecle en comprendre les sujets et en retrouver les

sources dans les monuments eacutecrits de la litteacuterature dans les livres saints dans les leacutegendaires

mais la grande valeur du texte forme un contraste trop frappant avec la rareteacute des illustrations

qui auraient ducirc ecirctre plus nombreuses et plus soigneacutees Il est impossible dexpliquer

liconographie du moyen acircge avec 127 figures mais chacun sait que les eacutediteurs nont pas sur

ce point les mecircmes ideacutees que les archeacuteologues E LEFEVRE-PONTALlS

LART RELIGIEUX DU XIIe SIECLE EN FRANCE ETUDE SUR LES ORIGINES DE

LICONOGRAPHIE DU MOYEN AGE par Emile Macircle mdash Paris A Colin 1922 in 4deg IV-

459 p et 253 fig

Quand on cherche a se rendre compte des difficulteacutes que dut aborder M Macircle pour reacutesoudre les nombreux problegravemes qui se preacutesentent dans son livre on a limpression que ses deux premiers ouvrages sur le XIII

e siegravecle et sur la fin du moyen acircge eacutetaient tacircche facile agrave cocircteacute de celui-lagrave Cest

quici M Macircle a ducirc rechercher les sources lointaines auxquelles ont puiseacute nos artistes romans qui voulaient deacutecorer leurs eacuteglises de scegravenes religieuses Avec ce don de la clarteacute qursquoil possegravede au plus haut point il a mis en bonne lumiegravere celte question des origines de notre art roman Selon lui lantiquiteacute classique lart gallo romain lart des catacombes de la Rome chreacutetienne nont eu quune action tregraves restreinte sur lart chreacutetien de notre pays au XII

e siegravecle et il confirme dune maniegravere

deacutefinitive lopinion des archeacuteologues de notre temps suivant laquelle cest agrave lOrient chreacutetien que les artistes romans allegraverent demander presque tous leurs modegraveles Mais dans lart quon appelle oriental dun terme trop geacuteneacuteral il distingue avec beaucoup de finesse lart chreacutetien des villes grecques dOrient deacutesigne souvent par un abus de langage sous le nom dart helleacutenistique et lart chreacutetien syrien Ainsi lon trouve en mecircme temps lempreinte dune part des eacuteglises dAlexandrie dAntioche et dEphegravese dautre part celle de lart des eacuteglises de Jeacuterusalem et des eacuteglises de Syrie de Palestine et de Meacutesopotamie auquel M Macircle rattache les œuvres des monastegraveres coptes dEgypte et celles des eacuteglises de Cappadoce Cest donc dun art chreacutetien tregraves ancien des IV

e V

e et VI

e siegravecles que nos

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artistes firent des emprunts il en reacutesulte que la place consideacuterable que lon faisait jusquici agrave lart byzantin agrave lart de Constantinople des IX

e X

e et XI

e siegravecles eacutetait beaucoup trop importante Certes

nos artistes puisegraverent agrave cette source mais moins freacutequemment quon ne la cru Avant leacuteclosion de lart byzantin la Gaule meacuterovingienne et carolingienne avait deacutejagrave reccedilu de lOrient des manuscrits

enlumineacutes et cest lagrave que les artistes avaient chercheacute des inspirations leurs successeurs jusquau XIIe

siegravecle veacutecurent de ce vieux fonds Nous ne pourrons analyser tous les chapitres de louvrage de M Macircle dans lequel on retrouve cette langue harmonieuse sobre et preacutecise ougrave lon devine une note deacutemotion mecircleacutee parfois denthousiasme qui rend si captivante la lecture de ses livres Ceux qui suivent avec inteacuterecirct tout ce quil publie connaissaient deacutejagrave certaines des ideacutees eacutemises dans ce volume par plusieurs articles parus ces derniegraveres anneacutees dans la Revue de Paris la Revue de lart ancien et moderne et la Gazette des Beaux-Arts Lauteur apregraves avoir fait connaicirctre tout ce que lart meacutedieacuteval de nos pays devait agrave lart chreacutetien dOrient eacutetudie quelle part doriginaliteacute nos artistes romans ont pu apporter dans leurs compositions quelles inspirations leur sont venues quels sentiments les ont guideacutes pour leur faire creacuteer des œuvres nouvelles dont tantocirct la puissance et la graviteacute tantocirct la deacutelicatesse et la gracircce provoquent encore notre eacutetonnement et notre admiration Il nous montre successivement comment liconographie sest enrichie par la liturgie et par les drames liturgiques par les textes theacuteologiques par linfluence dhommes tels que Suger qui joignant leacuterudition au goucirct des arts fit pour orner magnifiquement sa basilique de Saint-Denis venir de tous les pays des artistes reacuteputeacutes deacutecida lui-mecircme quelles scegravenes alleacutegoriques seraient repreacutesenteacutees et composa les distiques destineacutes agrave expliquer ces scegravenes Ainsi cest apregraves Suger apregraves lexeacutecution des œuvres merveilleuses de Saint-Denis quun symbolisme savant se reacutepandit dans liconographie symbolisme dont les grands ateliers du nord de la Loire tels que Chartres et Le Mans firent leur profit Dans la suite ces ateliers exercegraverent sur dautres reacutegions notamment sur le midi de la France leur influence dont la trace persistera pendant tout le XIII

e siegravecle Le culte des saints contribua aussi agrave lenrichissement de

liconographie dont on constate que la varieacuteteacute saccroicirct davantage agrave mesure quon avance dans le XIIe siegravecle chaque province ayant ses deacutevotions particuliegraveres les artistes repreacutesentaient plus volontiers dans telle reacutegion les scegravenes de la vie des saints qui y eacutetaient plus speacutecialement veacuteneacutereacutes Les pegravelerinages les grandes routes de Rome de Compostelle et de Terre-Sainte amenegraverent de nombreux eacutechanges dinfluences artistiques entre des reacutegions tregraves eacuteloigneacutees tant en ce qui concerne larchitecture que les arts mineurs Enfin les Ordres monastiques Cluny surtout eurent une part consideacuterable dans le deacuteveloppement et lexpansion des arts Nous avons dit rapidement comment M Macircle avait reacutesolu le problegraveme des origines de liconographie a leacutepoque romane et comment il avait montreacute limportance de lapport personnel de nos artistes dans lenrichissement de cette iconographie M Macircle a encore abordeacute deux questions qui sont intimement lieacutees ensemble Lune delles consiste agrave rechercher dans quelle province de notre pays seacutelabora la renaissance de la sculpture romane et dans quelles reacutegions dans la suite elle se deacuteveloppa progressivement Lautre question a pour objet deacutetablir comment les sculpteurs de la fin du XI

e siegravecle retrouvegraverent un art disparu depuis plus de

quatre siegravecles dont la technique avait eacuteteacute complegravetement oublieacutee dans nos pays et quels furent les modegraveles dont ils sinspiregraverent Pour M Macircle la reacuteponse au premier problegraveme est la suivante cest agrave Toulouse et agrave Moissac quest reacuteapparu lart de la sculpture dans la pierre Une inscription nous apprend que le cloicirctre de Moissac fut construit en lan 1100 du temps de labbeacute Anquetil dans ce cloicirctre se trouvent de nombreux chapiteaux et certains de ses piliers sont deacutecoreacutes de grands panneaux au nombre de dix dont chacun est orneacute dun personnage en bas relief Une chronique de la fin du XIV

e siegravecle nous dit que le magnifique portail dont le tympan contient les figures du Christ en

majesteacute et des vingt quatre vieillards de lApocalypse fut eacuterigeacute par le mecircme abbeacute qui mourut en 1115 Ce tympan que lon voulait jusquici dater dune eacutepoque plus avanceacutee du XII

e siegravecle est le plus ancien

monument de sculpture monumentale que nous posseacutedions Le portail de Beaulieu (Corregraveze) a de grands traits de ressemblance avec celui de Moissac dont il fut inspireacute sans aucun doute Suger raconte lui-mecircme quil fit venir de tregraves loin pour la deacutecoration de sa basilique des artistes nombreux Voumlge avait eacutemis lopinion que parmi ces artistes se trouvaient des sculpteurs du Languedoc Une deacutecouverte de M Macircle vient fortifier cette hypothegravese Le tympan de Saint-Denis moins restaureacute quon ne la cru est orneacute dune scegravene du Jugement dernier qui preacutesente une ressemblance frappante avec le Jugement dernier du tympan de Beaulieu Ainsi trois phases se preacutecisent dans leacutevolution de la statuaire pendant la premiegravere moitieacute du XII

e siegravecle Toulouse et Moissac avant 1115 puis Beaulieu

puis Saint-Denis vers 1135 Suivant M Macircle lœuvre de Saint-Denis eut un retentissement consideacuterable Suger venait de creacuteer cette merveille que fut le portail gothique avec son tympan deacutecoreacute dune grande scegravene bien ordonneacutee ses voussures chargeacutees de personnages faisant cortegravege agrave cette scegravene ses pieacutedroits et ses colonnes ougrave sadossaient des statues qui semblaient accueillir le visiteur precirct a peacuteneacutetrer dans leacuteglise Le type eacutetait fixeacute deacutefinitivement et pendant longtemps on ne seacuteloigna guegravere de ce modegravele Les artistes dIle de France limitegraverent a lenvie puis ceux de reacutegions plus

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eacuteloigneacutees Le Comte de Lasteyrie dans un brillant exposeacute sur leacutevolution de la sculpture romane avait agrave grands traits dessineacute la courbe de cette eacutevolution qui partant du sud-ouest montait vers lIle-de-Franccedile et redescendait vers la Provence M Macircle na pas modifieacute ce traceacute il en a au contraire confirmeacute lexactitude en donnant des preacutecisions nouvelles en montrant les principales eacutetapes suivies par les artistes languedociens en exposant comment un nouveau centre dinfluence seacutetait formeacute ensuite dans le nord gracircce au merveilleux monument eacuteleveacute par Suger En suivant lexposeacute de M Macircle ses deacutemonstrations qui paraissent si satisfaisantes pour lesprit on a limpression que tout seacuteclaire que tout se simplifie et que les deacuteductions senchaicircnent agrave merveille Mais agrave la reacuteflexion on se demande si les arguments preacutesenteacutes sont aussi probants que le pense lauteur sil napporte pas quelquefois dune maniegravere trop absolue des affirmations dans des questions ougrave les teacutemoignages sont si rares ougrave tant de monuments font deacutefaut qui seraient indispensables pour emporter la conviction Toutefois il nous paraicirct que la thegravese si seacuteduisante de M Macircle doit ecirctre retenue dans ses grandes lignes Nous ne ferons que deux observations qui nont dailleurs nullement pour but dinfirmer lensemble de sa theacuteorie Tout dabord nous ne croyons pas que le portail de Moissac appartienne agrave la date que M Macircle lui assigne Dans un meacutemoire eacutecrit avant la publication du livre de M Macircle et qui doit paraicirctre dans le Bulletin archeacuteologique nous exposions les raisons qui nous faisaient consideacuterer que les grands bas-reliefs du cloicirctre et sans doute une partie de ses chapiteaux dataient de labbatiat dAnquetil (1085-1115) Linscription graveacutee en 1100 sur un des piliers atteste quon travaillait alors dans le cloicirctre Une preuve aussi formelle nexiste pas pour le portail dont les sculptures sont dailleurs dun art infiniment plus avanceacute que les bas-reliefs du cloicirctre Le seul teacutemoignage que nous posseacutedions est celui dAimery de Peyrac abbeacute de Moissac de 1377 agrave 1406 qui reacutedigea la chronique de labbaye

FIGURE XL

(portail de Moissac XIe siegravecle)

Les anciennes œuvres dart conserveacutees agrave Moissac et dans ses prieureacutes inteacuteressaient vivement labbeacute Aimery qui en parle comme en parlerait un archeacuteologue de nos jours mais avec moins de prudence et sans aucun discernement Il simprovise successivement critique dart eacutepigraphiste et philologue et il se montre aussi ignorant dans lune ou lautre de ces matiegraveres Ses observations lui font attribuer agrave telle eacutepoque tel monument en sappuyant sur les comparaisons tout agrave fait sans valeur parlant de linscription du cloicirctre graveacutee du temps de labbeacute Anquetil il nous dit quune autre inscription se trouve dans leacuteglise qui rappelle une conseacutecration faite en 1063 et trouvant les caractegraveres eacutepigraphiques semblables il suppose que labbeacute Anquetil fit aussi graver cette inscription Mais nous avons observeacute sur place que les deux inscriptions preacutesentent des diffeacuterences de caractegraveres notables et ne peuvent appartenir agrave la mecircme eacutepoque Cest une comparaison aussi deacutenueacutee de fondement qui fit attribuer par Aimery de Peyrac la deacutecoration du portail agrave labbeacute Anquetil Il avait remarqueacute que des imbrications ornaient certaines faces les piliers du cloicirctre non deacutecoreacutees de bas-reliefs et que ces imbrications se retrouvaient sur le trumeau du portail puis faisant un rapprochement entre le nom dAnsquitilius quil

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appelle Asquilinus et le mot latin squilla qui deacutesigne une espegravece de poisson il deacuteclare que cest Anquetil qui fit graver ces imbrications semblables agrave des eacutecailles de poisson pour rappeler son nom Or lon sait que ce deacutecor Histoire de lArt M Andreacute Michel qui attribue le merveilleux tympan de Moissac au successeur dAnquetil labbeacute Roger (1115-1131) dont la statue fut placeacutee en haut de ce portail sans doute pour commeacutemorer son œuvre Notre seconde observation sera la suivante Suger aurait au portail de Saint-Denis groupeacute trois eacuteleacutements essentiels dont la reacuteunion devait faire le portail gothique un tympan orneacute dune grande scegravene religieuse telle que celle du Jugement dernier dont le modegravele venait du Languedoc des voussures chargeacutees de personnages en union avec cette scegravene semblables aux sculptures dont les artistes du Poitou et de la Saintonge chargeaient les voussures de leurs portails Enfin le troisiegraveme eacuteleacutement les statues-colonnes serait une creacuteation de Suger Or rien ne prouve que les statues-colonnes de Saint-Denis datent du temps de Suger et il nest pas absolument deacutemontreacute non plus quelles aient eacuteteacute les premiegraveres agrave orner un portail Il serait surprenant quon eucirct composeacute du premier coup un ensemble de cette importance Suger qui parle des portes de bronze placeacutees agrave lentreacutee de sa basilique et des scegravenes qui y eacutetaient repreacutesenteacutees ne dit rien de ces statues du portail Il semble que sil avait entiegraverement creacuteeacute cet eacutetrange deacutecor il en aurait fait mention A notre sentiment lideacutee de placer des statues devant les colonnes dun portail de les allonger de les eacutetirer pour quelles fassent corps avec ces colonnes sans en deacutepasser leacutepaisseur est venue progressivement insensiblement Ces statues ont leur origine dans des bas-reliefs de petite dimension superposeacutes sur les montants des portails comme ceux des eacuteglises lombardes dans les figurines placeacutees les unes au-dessus des autres et graveacutees plutocirct que sculpteacutees qui ornent les colonnettes du portail des Orfegravevres agrave Saint-Jacques de Compostelle enfin dans des statuettes fixeacutees contre des colonnes comme les statuettes de Saint-Ouentin-legraves-Beauvais (Museacutee de Beauvais) Le bas-relief sest accentueacute pour devenr une statue la statuette sest allongeacutee pour avoir la taille de la colonne Une autre question poseacutee par M Macircle avait pour but deacutetablir comment les premiers sculpteurs romans avaient retrouveacute leur technique agrave quel art en honneur alors ils avaient demandeacute des modegraveles La reacuteponse de M Macircle nous paraicirct trop absolue et trop exclusive Cest selon lui la miniature qui a joueacute presque uniquement le rocircle dinitiatrice pour les premiers sculpteurs romans Il le dit dune faccedilon tregraves preacutecise

laquo La miniature a joueacute un rocircle deacutecisif Elle explique agrave la fois laspect tourmenteacute de notre sculpture naissante et le caractegravere profondeacutement traditionnel de notre iconographie raquo

Et plus loin

laquoCet art (de la statuaire) comment les artistes lont-ils retrouveacute Tel est le problegraveme quon a sans grand succegraves jusquagrave preacutesent essayeacute de reacutesoudre On a rappeleacute que le culte des reliques avait pris degraves le X

e siegravecle dans la France meacuteridionale une forme singuliegravere on les placcedilait agrave linteacuterieur dune

statue de bois revecirctue dor Lapparition de ces statues agrave la fin de lacircge carolingien est un fait inteacuteressant Mais je nen suis pas moins convaincu que ces effigies hieacuteratiques nont eu aucune influence sur la naissance du grand art monumental Car ce nest pas sous la forme de la statue que la sculpture a reparu mais sous la forme du bas-relief Il se passera bien des anneacutees avant que lon rencontre en France une image deacutetacheacutee du mur Sil en est ainsi il est clair quil ne faut pas aller demander aux statues reliquaires du plateau central le secret des origines de la sculpture Ce secret est ailleurs Je voudrais montrer ici quagrave Moissac aussi bien quen Auvergne en Bourgogne ou en Provence le bas-relief na guegravere eacuteteacute agrave lorigine quune transposition de la miniature raquo

laquo Plusieurs singulariteacutes de notre sculpture primitive les eacutetoffes colleacutees au corps les plis concentriques sur la poitrine et les genoux ne peuvent sexpliquer que par limitation de la miniature qui a donneacute agrave la sculpture du XIIe siegravecle quelque chose de tourmenteacute de calligraphique La miniature ne fut pourtant pas le modegravele unique Nous verrons que les dessins des eacutetoffes persanes byzantines arabes furent eacutegalement imiteacutes Nous devinons dautres modegraveles encore Il se peut que les ivoires qui donnaient le relief aient eacuteteacute parfois consulteacutes Il semble dautre part que les petits bas-reliefs tailleacutes agrave plat sur les dalles encastreacutees dans les murs perpeacutetuent une ancienne tradition Tous ces modegraveles nen doivent pas moins rester au second plan pour nos sculpteurs la vraie source dinspiration fut la miniature raquo

Si les sculpteurs cherchaient dans les manuscrits le secret de la forme humaine il est bien eacutevident quils leur empruntaient aussi les types sacreacutes et les dispositions des scegravenes religieuses Ainsi selon M Macircle cest presque exclusivement dans les miniatures tant pour les scegravenes agrave repreacutesenter que pour lexeacutecution mecircme des figures dans la pierre que les sculpteurs romans cherchegraverent des modegraveles Nous ne partageons pas cette opinion les sculpteurs romans firent dans des proportions tregraves diffeacuterentes il est vrai des emprunts agrave tous les arts IIs sinspiregraverent non seulement des manuscrits et

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des tissus orientaux comme M Macircle la tregraves bien observeacute mais aussi des peintures murales et des mosaiumlques Quelques-uns mecircme copiegraverent des bijoux barbares telle cette pierre de Glanfeuil orneacutee dun oiseau ou ce chapiteau de la crypte de Saint-Beacutenigne de Dijon ougrave lon voit un perroquet semblable agrave ceux des fibules meacuterovingiennes telles ces tecirctes de taureau freacutequentes dans les modillons normands et qui rappellent aussi certaines fibules Ils imitegraverent assureacutement des modegraveles gallo romains et en particulier des sarcophages Les sculptures du tombeau du XI

e siegravecle de

saint Agilbert agrave Jouarre celles de la table dautel de Saint Sernin de Toulouse (vers 1096) celles du tympan de Saint Ursin de Bourges celles du tombeau de Saint-Hilaire (Aude) (XII

e siegravecle) sont

inspireacutees de modegraveles gallo romains Deux des personnages sculpteacutes dans les grands bas-reliets du deacuteambulatoire de Saint Sernin de Toulouse qui apparaissent drapeacutes dans leur toge ne sont-ils pas imiteacutes de quelque statue dorateur rencontreacutee dans les ruines du forum dune ville de Gaule Ce nest pas dans les manuscrits que les artistes cherchegraverent lideacutee de colonnes toises telles que celles du portail dAvaIlon Navaient-ils pas sous les yeux des colonnes semblables agrave celles de Notre-Dame de la Daurade de Toulouse dont quelques unes sont parvenues jusquagrave nous

FIGURE XLI

(le baiser de Judas clicheacute Bernard Delorme - Notre-Dame de la Daurade Toulouse)

Ce nest pas aux manuscrits mais aux sarcophages que les sculpteurs ont pris ces imbrications que lon trouve agrave Moissac et agrave Toulouse II faut constater quici comme en bien dautres circonstances miniaturistes et sculpteurs ont puiseacute agrave la mecircme source Il faut eacutegalement faire place aux influences reacuteciproques aux eacutechanges qui ont pu se faire dun art agrave lautre Les anges soutenant une gloire ronde dans laquelle se trouve une figure divine qui ornent dune faccedilon si gracieuse des tailloirs au cloicirctre de Moissac et au cloicirctre de Tarragone et quon rencontre aussi sur le linteau de la porte nord de Saint-Michel de Pavie se retrouvent sur des ivoires ils sont un souvenir des antiques geacutenies aileacutes supportant un cartouche Bien des thegravemes deacutecoratifs en honneur chez les sculpteurs romans ont eacuteteacute emprunteacutes agrave la grammaire ornementale gallo-romaine Ce nest pas la pourtant que nos artistes prirent principalement leurs modegraveles il faut prendre garde que ces deacutebutants qui tentaient de faire revivre un art abandonneacute depuis plus de quatre siegravecles avaient agrave retrouver le relief et quagrave cette eacutepoque dautres artistes utilisant dautres matiegraveres que la pierre savaient exeacutecuter des figures en relief Nous voulons parler des fondeurs et des orfegravevres cest surtout agrave ceux-ci que nos premiers sculpteurs demandegraverent des leccedilons M Macircle refuse toute influence dans la renaissance de la sculpture agrave ces statues de bois revecirctues de feuilles de meacutetal a ces laquo majesteacutes dor raquo qui eacutetaient en honneur en Auvergne au X

e et au XI

e siegravecle et dont M Louis Breacutehier a montreacute tout linteacuterecirct quelles preacutesentaient

pour larcheacuteologie Il croit trouver un argument absolu pour nier cette influence dans ce fait que ces laquo majesteacutes raquo eacutetaient des statues et que les premiers sculpteurs ne senhardirent tout dabord quagrave exeacutecuter des bas-reliefs Mais nest-il pas logique de penser quils imitegraverent les bas-reliefs quils pouvaient voir exeacutecuter de leur temps Pendant tous les siegravecles du moyen acircge on sculpta des figures de petite dimension dans livoire M Macircle concegravede bien que les objets divoire notamment les coffrets musulmans dEspagne du X

e et du XI

e siegravecle purent jouer leur rocircle mais il ne fait aucune allusion agrave

lart de la fonte aux arts dorfegravevrerie qui ne cessegraverent jamais decirctre pratiqueacutes aux portes de bronze orneacutees de nombreuses scegravenes telles que celles dHildesheim du deacutebut du XI

e siegravecle aux couvertures

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deacutevangeacuteliaires aux reliquaires de formes varieacutees aux chacircsses rehausseacutees de figures de meacutetal aux ciboria aux devants dautel et aux tombeaux que lon couvrait de plaques dargent ou dor orneacutees de personnages en haut relief et dassez grande dimension Les monuments de ce genre qui ont eacuteteacute conserveacutes sont tregraves rares agrave toute eacutepoque on les fit fondre pour tirer parti des meacutetaux preacutecieux dont ils eacutetaient composeacutes Mais les textes viennent dans une certaine mesure suppleacuteer labsence des monuments quand on parcourt les chroniques du VIII

e au XII

e siegravecle on est stupeacutefait de voir la

richesse inouiumle des treacutesors dorfegravevrerie que posseacutedaient certaines eacuteglises au moyen acircge Il neacutetait pas dabbaye importante au deacutebut de leacutepoque romane qui neucirct ses chacircsses et son parement dautel orneacutes de figures dargent ou dor repousseacute Une place importante eacutetait faite dailleurs aux arts du meacutetal dans le ceacutelegravebre ouvrage du moine Theacuteophile qui explique en deacutetail les meacutethodes agrave suivre pour fondre le bronze ou pour exeacutecuter des reliefs dargent ou dor par le proceacutedeacute du repousseacute et les terminer par la ciselure De cette profusion doeuvres dorfegravevrerie que les chroniques nous font connaicirctre quelques magnifiques exemples nous restent tels sont le parement dautel de Saint-Ambroise de Milan (IX

e

siegravecle) et le devant dautel de la catheacutedrale de Bacircle exeacutecuteacute vers 1020 et conserveacute aujourdhui au museacutee de Cluny des dessins du XVII

e et du XVIII

e siegravecle nous ont gardeacute aussi de quelques

monuments ceacutelegravebres un souvenir plus preacutecis que celui auquel peut preacutetendre une description Ces teacutemoins suffisent pour nous donner une preuve certaine des emprunts quont faits les sculpteurs aux monuments dorfegravevrerie Limitation est parfois si eacutevidente quon peut se demander si certains orfegravevres comme aussi certains ivoiriers ne simprovisegraverent pas sculpteurs sur pierre Certaines sculptures ont des reliefs peu accuseacutes qui font penser aux figures obtenues dans le meacutetal par le proceacutedeacute du repousseacute telles sont entre cent autres le Christ de Saint-Amour-Bellevue (Saocircne-et-Loire) les Anges placeacutes aux eacutecoinccedilons du portail de Notre-Dame dEtampes et certaines figures tourmenteacutees de la Porte Mieacutegeville agrave Saint-Sernin de Toulouse dautres telles que les figures des tympans de Saint-Sauveur de Nevers et de Champagne (Ardegraveche) paraissent couleacutees dans le bronze tandis que le tympan de Pompierre (Vosges) avec le curieux encadrement dentrelacs de son linteau paraicirct copieacute sur un coffret divoire Dans nos sculptures romanes le dessin des figures les plis des vecirctements colleacutes au corps et le bas des robes semblant souleveacute par le vent ne sont pas neacutecessairement limitation des proceacutedeacutes de la calligraphie quon jette un coup dœil sur lautel de Bacircle on apercevra ces plis colleacutes au corps sur tous les personnages et lon remarquera le retroussis au bas de la robe du Christ Si lon vient aux deacutetails on trouvera imiteacutees dans la pierre les pacirctes de verre qui encadrent les bas-reliefs de meacutetal sur les couvertures deacutevangeacuteliaires et chose plus curieuse encore les sculpteurs ont parfois imiteacute dune faccedilon si scrupuleuse leurs modegraveles dorfegravevrerie quon rencontre des inscriptions qui au lieu decirctre graveacutees ont leurs lettres en relief semblables agrave celles qui se trouvent en repousseacute sur les feuilles de meacutetal des reliquaires ou sur des plaques de bronze bas-relief agrave Saint-Sernin de Toulouse avec linscription sanctus Saturninus tympans de Marcillac (Lot) et de Mervilliers( Eure-et-Loir) Les sculpteurs ont emprunteacute parfois aux monuments dorfegravevrerie la composition de leurs scegravenes Les textes nous deacutecrivent des devants dautel dor ougrave lon voyait le Christ en majesteacute accompagneacute des quatre animaux et parfois des Apocirctres disposeacutes sous la gloire du Christ ou agrave ses cocircteacutes sur plusieurs registres Les mecircmes figures se retrouvent avec une semblable ordonnance sur nos tympans Celui de Carennac (Lot) nous en fournit un remarquable exemple La disposition dune seacuterie darcades en plein cintre reposant sur des colonnettes et abritant chacune un personnage assis ou debout que lon rencontre si souvent sur nos plus vieilles sculptures romanes (linteaux de Saint-Genis-des-Fontaines de Saint-Andreacute de Soregravede) du plus ancien portail de Charlieu de Chacircteauneuf (Saocircne-et-Loire) puis plus tard linteaux des portails des catheacutedrales du Mans de Bourges de leacuteglise Saint-Loup-de-Naud) est imiteacutee des ivoires des chacircsses (chacircsse du treacutesor de la catheacutedrale de Cividale X

e siegravecle) et des

devants dautel (autel dor de la catheacutedrale de Bacircle) Nos artistes allegraverent plus loin ils sinspiregraverent de ces modegraveles pour deacutecorer des faccedilades entiegraveres deacuteglises et il semble que certaines faccedilades deacuteglises de lOuest en particulier soient une reacuteplique magnifiquement deacuteveloppeacutee de quelque parement dautel Telles sont les faccedilades des eacuteglises de Peacuterignac (Charente-Infeacuterieure) de Notre-Dame la Grande de Poitiers et de la catheacutedrale dAngoulecircme avec leurs seacuteries darcades encadrant chacune un personnage Sil nous reste bien peu de vestiges de ces parements dautel dargent ou dor si nombreux agrave leacutepoque romane nous pouvons nous rendre compte de ce quils eacutetaient par les reacutepliques de ces monuments dorfegravevrerie quon fabriquait eacuteconomiquement en bois sculpteacute ou simplement en couvrant une piegravece de bois de peintures et en encadrant celles-ci dornements de placirctre ou de stuc formant un faible relief Les Museacutees de Vich et de Barcelone conservent deux importantes collections de ces antependia dont M Folch le tregraves distingueacute Directeur des Museacutees de Barcelone publiera prochainement les reproductions en y joignant une eacutetude sur lindustrie de ces inteacuteressants monuments catalans et sur ce proceacutedeacute qui consistait agrave faire des encadrements en relief avec de la laquo pastaraquo appliqueacutee agrave laide dun cornet Lun des antependia du museacutee de Vich eacutetait orneacute lorsquil eacutetait intact de douze figurines de bois dont cinq subsistent repreacutesentant les Apocirctres debout sous douze

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arcades placeacutees sur deux rangs au milieu se trouve le Christ en majesteacute dans une gloire ovale que flanquaient les quatre animaux Les devants dautel chargeacutes de figures de meacutetal neurent pas seulement des reacutepliques de bois sculpteacute dans la suite on exeacutecuta des autels qui eacutetaient orneacutes de bas-reliefs de pierre faits agrave leur imitation Les autels dAirvault (Deux-Segravevres) et dAvenas (Rhocircne) en sont des exemples Le beau tombeau de Saint-Junien (Haute-Vienne) qui est orneacute de bas-reliefs de pierre repreacutesentant le Christ en majesteacute la Vierge avec lEnfant dans une gloire et les Vieillards de lApocalypse rappelle les antependia que nous deacutecrivent les textes il rappelle aussi dailleurs certains tombeaux qui eacutetaient complegravetement recouverts de feuilles de meacutetal orneacutees de bas-reliefs tels que ceux de saint Riquier dans labbaye consacreacutee agrave ce saint et de saint Benoicirct agrave Fleury-sur-Loire Nos premiers sculpteurs durent avoir quelquefois eacutegalement sous les yeux des surfaces sculpteacutees de mecircme apparence et presque de mecircme dimension que les tympans quils allaient deacutecorer nous voulons parier des ciboria portant sur leurs arcades des pignons verticaux couverts de figures en relief Pendant les siegravecles qui preacuteceacutedegraverent immeacutediatement le XII

e siegravecle si les artistes ne se

hasardegraverent pas agrave sculpter des images dans la pierre il semble quils aient quelquefois tenteacute dutiliser des matiegraveres plus tendres telles que le placirctre le stuc et la terre cuite Les figures de stuc de Disentis (Grisons) qui paraissent dater du VIII

e siegravecle en sont un teacutemoignage Des ciboria de mecircme aspect que

ceux de Saint-Ambroise de Milan et de San Pietro al Monte sopra Civate avaient ducirc ecirctre orneacutes de figures de stuc ou de terre cuite agrave cocircteacute de monuments plus riches sur les frontons desquels on appliquait des reliefs dargent doreacute La ressemblance dune des faces de ces ciboria avec un tympan sculpteacute est frappante Ces quelques observations sur lesquelles nous nous proposons de revenir prochainement suffisent pour montrer limportance que purent avoir dans la renaissance de la sculpture les arts ougrave le relief eacutetait pratiqueacute Cest surtout en imitant des modegraveles dorfegravevrerie et divoire que les sculpteurs cherchegraverent agrave retrouver le secret de leur art Le rocircle de la miniature nen fut pas moins consideacuterable cest agrave elle quest ducirc lenrichissement de liconographie religieuse au XII

e siegravecle

Les sculpteurs et les verriers trouvegraverent dans les images des manuscrits une source abondante de sujets ils ne se firent pas faute dy chercher lindication des scegravenes quils voulaient reproduire M Macircle la montreacute dune faccedilon tout agrave fait convaincante En lisant Ies pages de son livre ou bien souvent il avait agrave deacuteplorer la disparition de preacutecieux monuments nous avons penseacute aux lignes eacutemouvantes quil eacutecrivait apregraves lincendie de la catheacutedrale de Reims en septembre 1914

laquo Quand la France apprit que la catheacutedrale de Reims eacutetait en flammes disait-il tous les cœurs se serregraverent le monde entier seacutemut de ce crime on sentit quune eacutetoile avait pacircli que la beauteacute avait diminueacute sur la terre raquo

A cocircteacute des monuments de notre pays mutileacutes par le temps lignorance et la haine il en est beaucoup dautres qui subsistent et quon neacuteglige trop souvent de contempler Le livre de M Macircle contribuera agrave les taire mieux connaicirctre et agrave les faire aimer car il a mis non seulement son eacuterudition profonde mais aussi son cœur au service de cette œuvre qui est le reacutesultat de trente anneacutees defforts

Paul DESCHAMPS

Voici agrave preacutesent un exposeacute sur la repreacutesentation des Saints dans lart du Moyen Acircge Il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant que les alchimistes ont tregraves souvent fait appel aux saints dans leurs alleacutegories le preacutesent traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant eacutetant ici des plus reacuteveacutelateurs Il paraissait donc inteacuteressant de faire le point sur la repreacutesentation de ces saints vers le XII

e et le XIII

e siegravecle Cest

directement en compagnie dEmile Macircle que nous effectuerons ce trajet

LES PREMIEgraveRES REPREacuteSENTATIONS DES SAINTS DANS LART DU MOYEN AGE

En France les images des saints commencent agrave apparaicirctre dans lart monumental du XIIe siegravecle Elles

sont rares encore et ce nest quavec une certaine reacuteserve quelles sintroduisent dans leacuteglise elles nen sont que plus curieuses et il y a un vif inteacuterecirct agrave surprendre agrave ses origines cette glorification des saints par lart Au XII

e siegravecle les saints se montrent rarement dans les portails qui sont laisseacutes au

Christ et aux apocirctres mais ils sont souvent ceacuteleacutebreacutes ailleurs On les voit repreacutesenteacutes aux chapiteaux de leacuteglise et du cloicirctre on les voit peints aux murs du sanctuaire Les orfegravevres les eacutemailleurs racontaient leur histoire sur des chacircsses ou ciselaient leurs bustes pour les autels Quelques verriegraveres deacutejagrave leur eacutetaient consacreacutees Mais de tant doeuvres il ne reste aujourdhui que des deacutebris les cloicirctres et leurs chapiteaux historieacutes ont eacuteteacute deacutetruits les fresques effaceacutees les Vitraux briseacutes les chacircsses fondues Nos pertes ont eacuteteacute immenses car lart du XII

e siegravecle a eacuteteacute beaucoup plus eacuteprouveacute par le

temps et les reacutevolutions que lart du XIIIe et cest au milieu de ces ruines quil faut aller chercher

quelques souvenirs du passeacute Pourtant quand on parcourt la France en interrogeant les pierres on

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retrouve encore ccedila et lagrave avec un singulier plaisir quelques-uns des chapitres de notre vieille histoire religieuse Dans plusieurs de nos provinces lart a conserveacute le souvenir des saints qui les illustregraverent premiers apocirctres de la foi martyrs eacutevecircques solitaires de la montagne ou de la forecirct Car ce ne sont pas les saints connus de la chreacutetienteacute tout entiegravere que repreacutesentent le plus volontiers nos artistes du XII

e siegravecle mais les saints provinciaux les saints locaux de lagrave linteacuterecirct de ces images qui ont pour

nous le charme dune flore indigegravene Cette histoire dailleurs nest bien souvent quune leacutegende Il y eut agrave diverses eacutepoques mais surtout au XI

e siegravecle un grand travail de creacuteation poeacutetique qui donna agrave

la vie de plusieurs de nos saints linteacuterecirct dun roman On fit aborder en France plusieurs personnages illustres de lEacutevangile auxquels on precircta des aventures nouvelles On multiplia les miracles Il se creacutea une sorte deacutepopeacutee chreacutetienne comparable aux Chansons de gestes qui naissaient alors Le geacutenie de cet acircge heacuteroiumlque et avide de merveilles sexprima agrave la fois par la leacutegende latine et par le poegraveme franccedilais Le saint et le heacuteros ces deux exemplaires supeacuterieurs de lhumaniteacute furent ceacuteleacutebreacutes avec la mecircme ferveur Si donc ces reacutecits ne nous apprennent rien sur les saints quils veulent glorifier ils nous apprennent beaucoup sur le moyen acircge lui-mecircme Il nous apparaicirct lagrave avec son profond ideacutealisme son asceacutetisme son deacutedain du reacuteel son ineacutebranlable conviction que la foi est la plus grande force de ce monde Ces leacutegendes aussi poeacutetiques parfois que les inventions de leacutepopeacutee eurent de bien autres conseacutequences elles creacuteegraverent des pegravelerinages elles firent surgir des eacuteglises elles les peuplegraverent dœuvres dart elles mirent en mouvement des millions dhommes Elles furent pour une foule dacircmes une consolation et une espeacuterance elles leur laissegraverent entrevoir degraves ce monde le regravegne de Dieu Commenccedilons par le Midi languedocien le pays de nos plus anciens sculpteurs ce voyage en France agrave la recherche des saints Toulouse avait conserveacute un profond souvenir de son premier apocirctre

FIGURE XLII (porte Miegravegeville - eacuteglise saint Sernin Toulouse)

[site consulteacute httppmaudefreefrSerninpresentationhtm - tympan sculpteacute occupeacute par un thegraveme unique celui

de lAscension Cette œuvre a justement eacuteteacute placeacutee au rang des chefs dœuvre de la sculpture romane Au centre

le Christ debout les mains leveacutees la tecircte tourneacutee vers le ciel est deacuterobeacute agrave la vue de ses disciples par les nueacutees deux anges laident agrave seacutelever tandis que quatre autres lacclament Sur le linteau les douze apocirctres gardent leurs

visages tourneacutes vers le ciel aux extreacutemiteacutes deux anges leur rappellent que lAscension est aussi la promesse du

Retour et du Royaume eacuteternel]

de ce Saturninus qui avait refuseacute lencens aux dieux de Rome un taureau furieux lavait traicircneacute ensanglanteacute sur les marches du Capitule Enseveli hors des murs saint Saturnin ou comme disait le peuple saint Sernin avait fait naicirctre une ville nouvelle autour de son tombeau La colossale eacuteglise Saint-Sernin la plus grande des eacuteglises romanes est le monument du heacuteros Mais on est surpris aujourdhui quand on visite leacuteglise de ny rencontrer aucune œuvre dart ancienne qui rappelle son souvenir Il nen eacutetait pas ainsi autrefois le pegravelerin qui arrivait devant le portail occidental eacutetait

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accueilli par un bas-relief du XIIe siegravecle repreacutesentant le martyr debout avec le taureau sous ses pieds

Mais deacutejagrave la leacutegende avait deacuteformeacute lhistoire Aux Actes de saint Sernin si sobres et dun caractegravere si antique des eacutepisodes nouveaux eacutetaient venus sajouter On racontait quil avait baptiseacute Austris la fille dAntoninus gouverneur de Toulouse qui dans la leacutegende nouvelle est devenu un roi Austris eacutetait leacutepreuse saint Sernin la gueacuterit en la plongeant dans la piscine baptismale On voyait donc au portail de leacuteglise un groupe repreacutesentant la jeune princesse baptiseacutee par saint Sernin Un autre bas-relief montrait le perseacutecuteur de lapocirctre le roi Antoninus assis sur son trocircne Ces œuvres quon peut imaginer fines et nerveuses comme toute la sculpture toulousaine du XII

e siegravecle ont disparu sans

laisser de trace et ne nous sont connues que par une ancienne description A lautre bout de la ville la catheacutedrale Saint-Eacutetienne perpeacutetuait de son cocircteacute le souvenir du premier eacutevecircque de Toulouse Dans le cloicirctre des chanoines un des plus anciens sanctuaires de lart franccedilais miseacuterablement deacutetruit en 1813 des statues du XII

e siegravecle sadossaient aux piliers ceacutetaient celles de saint Pierre de saint

Sernin de saint Exupegravere et dun diacre Saint Sernin eacutetait placeacute pregraves de saint Pierre parce que suivant la tradition qui avait preacutevalu alors lapocirctre de Toulouse avait reccedilu sa mission du premier des papes Ecce Saturninus quem miserat ordo latinus disait linscription laquo Voici saint Sernin envoyeacute par leacuteglise latine raquo Toulouse se donnait donc comme la fille spirituelle de Rome Saint Sernin eacutetait le heacuteros de la foi saint Exupegravere un de ses premiers successeurs eacutetait le heacuteros de la chariteacute En un temps de disette il avait vendu tous les ornements de leacuteglise et mecircme le calice et la pategravene pour nourrir les pauvres Lartiste de Toulouse lavait repreacutesenteacute un calice agrave la main ceacutetait le calice de verre qui avait remplaceacute le calice dargent pregraves de lui un diacre portait une pategravene dosier tresseacute sainte pauvreteacute des temps antiques qui touchait les cœurs Ainsi lart naissant avait voulu eacuteterniser la meacutemoire des deux plus grands saints de Toulouse on les y cherche vainement aujourdhui Mais ce quon ne trouve plus agrave Toulouse on le voit ailleurs car la gloire de saint Sernin rayonnait au loin Entre Carcassonne et lancien eacutevecirccheacute dAlet seacutelegraveve cacheacutee au fond dune valleacutee lancienne abbaye de Saint-Hilaire Ici un preacutecieux monument du passeacute nous a eacuteteacute fidegravelement conserveacute Un sarcophage du XII

e siegravecle sculpteacute sur toutes ses faces raconte le martyre de saint Sernin On le voit saisi par les

paiumlens au moment ougrave il annonce lEacutevangile Puis il est attacheacute au taureau quun bourreau excite de laiguillon des becirctes au visage presque humain grimacent autour du saint et semblent incarner la feacuterociteacute du vieux monde pendant que deux femmes contemplent le martyr avec attendrissement Ce sont les deux vierges saintes laquo les saintes puelles raquo qui vont lensevelir celles-lagrave mecircmes quon honorait sur la route de Carcassonne agrave Toulouse au Mas-Saintes-Puelles Bien loin de Saint-Hilaire de lautre cocircteacute de Toulouse le cloicirctre de Moissac ceacutelegravebre lui aussi la gloire de saint Sernin un chapiteau lui est consacreacute Le juge assis sur son siegravege vient de condamner

FIGURE XLIII (sarcophage ancienne abbaye de saint Hilaire)

[de cette scegravene lhermeacutetiste retiendra quelle sapparente agrave une autre ougrave la leacutegende affirme que Zeacutethos et

Amphion tuegraverent Lycos fils de Cadmos et attachegraverent son eacutepouse Dirceacute par les cheveux aux cornes dun

taureau sauvage qui la traicircna sur les rochers jusquagrave ce que mort sensuive On ajoute quAmphion fut tueacute par les

traits justiciers dApollon et dArteacutemis pour avoir insulteacute leur megravere Leacuteto cf reacutebus de saint Greacutegoire-sur-Viegravevre]

lapocirctre et deacutejagrave il a eacuteteacute attacheacute aux cornes du taureau Le Capitole est repreacutesenteacute sous laspect dune haute tour agrave eacutetages elle fait penser agrave la forteresse qui dominait Toulouse au moyen acircge agrave ce chacircteau narbonnais quon attribuait aux Romains Sur une autre face du chapiteau la main de Dieu sort du ciel pour recueillir lacircme du martyr Il subsiste donc encore on le voit quelques-unes des œuvres que lart du Midi avait consacreacutees agrave saint Sernin Si nous descendons la Garonne vers

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Bordeaux nous peacuteneacutetrons dans une province ougrave reacutegnaient dautres saints LAgenais eacutetait le domaine de sainte Foy de saint Caprais de saint Vincent martyrs de la grande perseacutecution de Diocleacutetien La jeune sainte Foy ameneacutee devant le gouverneur romain refusa de sacrifier cest pourquoi elle fut eacutetendue sur un gril de fer rouge puis deacutecapiteacutee Le courage de cette enfant de douze ans inspira des remords au pasteur du troupeau agrave saint Caprais qui seacutetait reacutefugieacute dans une grotte de la montagne Il assistait de loin au combat de la sainte et voyait dit la leacutegende des anges tenant une couronne au-dessus de sa tecircte Il se preacutesenta donc reacutesolument au gouverneur se proclama chreacutetien et livra sa tecircte au bourreau Quant agrave saint Vincent dont une leacutegende tardive fait le successeur de saint Caprais il voulut mettre fin au culte de Belenus et il arrecircta la roue enflammeacutee symbole du soleil que lon faisait descendre chaque anneacutee sur la pente de la colline Traicircneacute devant le magistrat romain il fut battu de verges et deacutecapiteacute On sattendrait agrave rencontrer agrave Agen au lieu mecircme du martyre de sainte Foy quelque belle œuvre de la sculpture romane consacreacutee agrave la jeune sainte mais au XIe siegravecle ses reliques convoiteacutees depuis longtemps comme un treacutesor sans prix furent deacuterobeacutees par un moine de Conques et emporteacutees dans les montagnes du Rouergue Cest Conques qui va

devenir deacutesormais le centre du culte de sainte Foy et nous allons ly retrouver tout agrave lheure Agen ne nous montre plus aujourdhui quun chapiteau consacre agrave saint Caprais dans leacuteglise qui lui est deacutedieacutee Le saint est deacutecapiteacute devant le gouverneur romain Dacien une inscription deacutesigne chaque personnage par son nom Dacianus miles sanctas Caprasius et un vers latin indique le rocircle de chacun Praecipit occidit moritur cœlestia scandit Dacien est lagrave pour ordonner le soldat pour tuer saint Caprais pour mourir Lart noublia pas non plus saint Vincent Ses reliques furent longtemps conserveacutees dans la ville gallo-romaine de Pompejac qui devint le Mas dAgenais un magnifique sarcophage du V

e siegravecle quon y voit encore passe pour avoir eacuteteacute son tombeau Or dans leacuteglise du

Mas un chapiteau roman repreacutesente un martyr agrave genoux deacutecapiteacute par la main du bourreau Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en ce lieu elle ne saurait repreacutesenter autre chose que la mort de saint Vincent Ses reliques il est vrai neacutetaient plus alors au Mas elles avaient eacuteteacute transporteacutees agrave Conques agrave leacutepoque des incursions normandes toutefois le souvenir de saint Vincent eacutetait demeureacute vivant au Mas dAgenais et son culte continuait agrave y ecirctre ceacuteleacutebreacuteAu temps des rois wisigoths Euric et Alaric la Gascogne eut une nouvelle geacuteneacuteration de martyrs Les Wisigoths eacutetaient ariens et perseacutecutaient les catholiques quils obligeaient agrave se convertir agrave leur symbole sous peine de mort Les vieux livres liturgiques et les leacutegendes populaires perpeacutetuegraverent le souvenir de quelques-uns de ces martyrs Un des plus fameux fut saint Maurin jeune apocirctre qui loin de dissimuler sa foi la proclamait sur la place publique de Lectoure Il fut deacutecapiteacute sur lordre du roi Alaric et la tradition rapportait quon lavait vu porter sa tecircte jusquagrave la fontaine Militane Les artistes nauraient peut-ecirctre jamais illustreacute sa meacutemoire sil ne seacutetait fondeacute aux confins de lAgenais et du Quercy une abbaye sous son nom Leacuteglise de Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) nest plus aujourdhui quune ruine mais deux de ses colonnes sont encore couronneacutees de deux beaux chapiteaux romans ougrave lon retrouve le style de Toulouse et de Moissac Sur lun deux un martyr porte sa tecircte dans ses mains une chreacutetienne inclineacutee devant lui sapprecircte agrave recevoir sa tecircte sur un voile Le vocable de leacuteglise deacutedieacutee agrave Saint-Maurin ne permet pas dheacutesiter sur le sens de la scegravene Voilagrave agrave peu pregraves tout ce que nous offre cette vaste reacutegion du Midi Elle a ducirc ecirctre autrefois incomparablement plus riche en images de saints la grande eacutecole toulousaine yavait sans aucun doute prodigueacute ses chefs-dœuvre mais le temps ne les a pas respecteacutes Aucun pays na eacuteteacute au XII

e siegravecle plus feacutecond que la belle plaine qui se deacuteroule

dans la lumiegravere jusquaux Pyreacuteneacutees sorte de Lombardie de la France mais aucun pays na eacuteteacute plus souvent deacutevasteacute La guerre des Albigeois la guerre de Cent ans les guerres de religion y ont accumuleacute tant de ruines que lon admire quil y reste encore quelques teacutemoignages de ce qua eacuteteacute le geacutenie du Midi II faut aller jusquaux Pyreacuteneacutees pour retrouver les saints Ces poeacutetiques montagnes eurent leur leacutegende doreacutee elles eurent leurs martyrs leurs vieux eacutevecircques leurs ermites Plusieurs sans doute furent ceacuteleacutebreacutes par lart mais bien peu de ces œuvres subsistent aujourdhui A lentreacutee des valleacutees pyreacuteneacuteennes agrave Foix une abbaye jadis ceacutelegravebre portait le nom dun martyr de la perseacutecution arienne saint Volusien Son eacuteglise a eacuteteacute agrave presque entiegraverement refaite et son cloicirctre roman complegravetement deacutetruit Un hasard pourtant nous a rendu un de ses chapiteaux historieacutes Ce chapiteau est fort inteacuteressant car il nous raconte justement un eacutepisode de lhistoire de saint Volusien Volusien eacutevecircque deTours eacutetait le sujet dAlaric roi des Wisigoths dont le vaste royaume seacutetendait jusquagrave la Loire Soupccedilonneacute de favoriser les desseins de Clovis qui preacuteparait une expeacutedition contre les ariens du Midi il fut sur lordre dAlaric arracheacute agrave son siegravege de Tours et conduit agrave Toulouse A Toulouse il fut traiteacute comme un malfaiteur on lui lia les mains et on lemmena vers lEspagne Mais en arrivant au pied des montagnes les soldats qui le conduisaient lui ordonnegraverent de sagenouiller dans un champ et lui tranchegraverent la tecircte Le chapiteau nous montre Volusien les mains lieacutees et la corde au cou entraicircneacute par ses bourreaux On ne voit pas sa mort ni les frecircnes qui poussegraverent

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miraculeusement sur le lieu de son supplice mais on voit la vengeance du ciel Lautre face du chapiteau en effet repreacutesente larmeacutee victorieuse de Clovis assieacutegeant Toulouse plus loin la ville est prise et les vainqueurs en deacutemolissent les murs Ce preacutecieux monument est conserveacute au Museacutee de Foix et il meacuterite de lecirctre car Foix est une creacuteation des reliques de saint Volusien la ville est neacutee autour du monastegravere qui gardait le tombeau du martyr En entrant dans la montagne on voit seacutelever au-dessus

de la valleacutee de Luchon une eacuteglise romane deacutedieacutee agrave saint Aventin Les chapiteaux du portail retracent son histoire Saint Aventin est un ermite du VIII

e siegravecle qui vivait dans la solitude sans autre socieacuteteacute

que celle des ours de la forecirct Parfois il quittait sa cabane pour enseigner leacutevangile aux montagnards toujours attacheacutes agrave leurs anciens dieux tous lentouraient de respect Mais les Arabes qui parcouraient alors le Midi entendirent parler de ce propagateur de la foi chreacutetienne Ils se mirent agrave sa recherche et quand ils eurent deacutecouvert sa retraite ils semparegraverent de lui et lui tranchegraverent la tecircte Les chapiteaux racontent la naissance la vie et la mort du saint ermite comme beaucoup dautres saints il est repreacutesenteacute portant sa tecircte dans ses mains A labside un bas-relief nous montre le taureau qui retrouva le tombeau de saint Aventin dont on avait perdu le souvenir Puissance de lart chreacutetien Une eacuteglise accrocheacutee au rocher perpeacutetue depuis pregraves de huit cents ans la meacutemoire dun pauvre ermite inconnu Cest dans une reacutegion voisine de Luchon que seacutelegraveve au sommet dune acropole la catheacutedrale de Saint-Bertrand-de-Comminges Elle est du XIV

e siegravecle mais le portail et

le rude clocher qui le domine sont du XIIIe Un beau tympan de leacutecole toulousaine repreacutesente

lAdoration des Mages agrave lextreacutemiteacute de ce tympan derriegravere la Vierge un eacutevecircque fait face au spectateur il legraveve la main droite pour beacutenir et tient la crosse de la main gauche Quel est ce mysteacuterieux personnage introduit par lartiste dans une scegravene sacreacutee

FIGURE XLIV (eacuteglise saint Bertrand-de-Comminges tympan)

Les archeacuteologues ont nommeacute agrave tout hasard saint Sernin pourtant en ce lieu un autre nom simpose au souvenir Cest agrave la fin du XI

e siegravecle en effet que le petit-fils des comtes de Toulouse leacutevecircque

saint Bertrand releva de ses ruines la ville antique de Lugdunum Convenarum devenue une solitude il rappela les habitants rebacirctit leacuteglise et fit fleurir le deacutesert Il fut le second fondateur de la citeacute qui prit son nom On ne saurait douter que ce grand eacutevecircque mdash auquel par surcroicirct on attribuait le don des miracles mdash nait eacuteteacute repreacutesenteacute au portail de sa catheacutedrale Saint Bertrand mourut en 1123 Son image dut ecirctre sculpteacutee peu danneacutees apregraves sa mort dans un temps ougrave son souvenir eacutetait encore vivant dans toutes les meacutemoires Elle est certainement anteacuterieure agrave 1179 date de la canonisation du saint car il est repreacutesenteacute sans nimbe Cette effigie dun grand homme qui neacutetait pas encore un saint est fort inteacuteressante il a fallu un vif mouvement denthousiasme pour quon ait oseacute repreacutesenter un contemporain un homme que tous avaient connu agrave cocircteacute de la Vierge et des rois Mages Ces hautes Pyreacuteneacutees neacutetaient pas alors une barriegravere entre la France et lEspagne Les saints franccedilais eacutetaient veacuteneacutereacutes dans lEspagne du nord les saints espagnols dans la France du midi Il est curieux de retrouver ccedila et lagrave des traces de ce culte que les eacuteglises meacuteridionales avaient voueacute aux saints dau delagrave des monts Un chapiteau du cloicirctre de Moissac repreacutesente le martyre des trois saints de Tarragone Fructueux Augure et Euloge Ces illustres chreacutetiens du III

e siegravecle ceacuteleacutebreacutes par saint

Augustin et par Prudence sont repreacutesenteacutes avec le costume du XIIe Leacutevecircque Fructueux porte la

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crosse et la mitre les diacres Auguste et Euloge ont la dalmatique et le manipule Le proconsul Aemilianus gouverneur de la Tarraconaise est assis sur son trocircne et il a pregraves de lui comme un baron feacuteodal un joueur de rote Cest le moment ougrave seacutechangent entre AEmilianus et Fructueux les paroles ceacutelegravebres laquo Je suis eacutevecircque du Christ dit Fructueux mdash Dis que tu las eacuteteacute raquo reacutepond AEmiIianus et il lenvoie au supplice avec ses deux compagnons Une autre face du chapiteau montre les trois saints en priegravere au milieu de leur bucirccher et plus loin les anges emportant leur acircme au ciel dans une gloire La preacutesence dans labbaye de Moissac de quelque insigne relique des martyrs de Tarragone explique sans doute pourquoi les moines voulurent avoir sans cesse sous les yeux leur histoire Des reliques retrouveacutees il y a quelques anneacutees dans lautel de leacuteglise de Valcabregravere (Haute-Garonne) ont fait deviner les noms de trois des statues qui en ornent le portail elles repreacutesentent le diacre saint Eacutetienne et deux saints espagnols saint Just et saint Pasteur Ceacutetaient deux eacutecoliers de Complutum qui sappela plus tard Alcala de Henares au temps de la perseacutecution de Diocleacutetien ils comparurent devant le preacutefet Dacien qui les fit battre de verges et mettre agrave mort Prudence a ceacuteleacutebreacute leur courage Lartiste connaissait fort bien leur histoire car il sest efforceacute de leur donner un air de

jeunesse au-dessus de leur tecircte des chapiteaux racontent leur martyre un des saints est attacheacute a un arbre pour ecirctre flagelleacute lautre est deacutecapiteacute Dans le cloicirctre de marbre dEIne [Pyreacuteneacutees-Orientales] non loin de la grande route romaine qui -conduisait en Espagne on ne seacutetonne pas de rencontrer une sainte espagnole un des chapiteaux repreacutesente le martyre de sainte Eulalie patronne de la catheacutedrale dElne La jeune sainte de Meacuterida eacutetait deacutejagrave ceacutelegravebre en France puisque le plus ancien de nos poegravemes en langue romane lui est consacreacute Voilagrave agrave peu pregraves tout ce qui subsiste dans le Sud-Ouest des œuvres que le XII

e siegravecle avait consacreacutees aux saints de la France meacuteridionale et de

lEspagne

II

En peacuteneacutetrant dans lAquitaine nous entrons dans le royaume de saint Martial Saint Martial fut veacuteneacutereacute de bonne heure comme lapocirctre du Limousin mais jusquau XI

e siegravecle on sut peu de chose de son

histoire Cest alors que fut eacutecrite sa merveilleuse leacutegende On lattribua agrave saint Aureacutelien le premier de ses successeurs cet Aureacutelien dont la chapelle seacutelegraveve aujourdhui au milieu de la rue des Bouchers agrave Limoges Ce reacutecit sembellit encore et il se forma autour de saint Martial tout un cycle de poeacutetiques leacutegendes Il ne fut plus un simple missionnaire il devint un contemporain un disciple du Christ tout enfant il avait entendu sa parole Cest de lui que le Christ avait dit laquo Quiconque ne ressemble pas agrave cet enfant nentrera pas dans le royaume des cieux raquo II avait assisteacute agrave la multiplication des pains au lavement des pieds agrave la Cegravene Plus tard il avait accompagneacute saint Pierre agrave Rome Saint Pierre lui donna son bacircton et lenvoya eacutevangeacuteliser la Gaule avec ce fameux bacircton qui fut longtemps conserveacute dans leacuteglise Saint-Seurin de Bordeaux saint Martial ressuscitait les morts Il entra en conqueacuterant dans lAquitaine partout ougrave il passait une eacuteglise naissait Il fut le fondateur non seulement de leacuteglise de Limoges mais de celles de Bourges de Poitiers de Saintes de Bordeaux de Cahors de Tulle de Rodez dAurillac de Mende du Puy Les premiers eacutevecircques de ces villes quon en avait cru les apocirctres neacutetaient que ses disciples De poeacutetiques personnages accompagnent saint Martial Il eacutetait venu en Gaule - disait-on - avec sainte Veacuteronique qui avait essuyeacute la face du Sauveur sur le chemin du Calvaire et avec saint Amateur que lon confondra plus tard avec le Zacheacutee de lEacutevangile ce Zacheacutee agrave qui le Christ avait parleacute Veacuteronique et Amateur qui avaient vu qui avaient entendu le Verbe ne purent se reacutesigner agrave vivre dans la socieacuteteacute des hommes ils senfermegraverent tous les deux dans la solitude Saint Amateur se retira dans la profonde valleacutee ougrave seacuteleva plus tard le sanctuaire de Rocamadour quant agrave Veacuteronique elle bacirctit son ermitage dans le deacutesert de Soulac au bord de lOceacutean La leacutegende nous montre encore aupregraves de saint Martial une jeune vierge sainte Valeacuterie Elle appartenait agrave une des plus illustres familles du pays des Leacutemovices et eacutetait fianceacutee au proconsul romain mais elle avait entendu saint Martial et reccedilu le baptecircme elle aspirait agrave la perfection Elle refusa deacutepouser le proconsul qui dans sa colegravere la fit mettre agrave mort Un centurion lui trancha la tecircte la sainte la prit dans ses mains et alla la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacuteleacutebrait la messe dans leacuteglise de Limoges Les visiteurs du palais des papes dAvignon connaissent les deacutelicieuses fresques de Matteo de Viterbe ougrave lon voit se deacuterouler toute cette histoire de saint Martial sous un ciel dazur Il ne faut pas attendre du XII

e siegravecle des œuvres dun charme aussi peacuteneacutetrant Dailleurs saint Martial qui a

tenu tant de place dans limagination des hommes du XIIe siegravecle na laisseacute que peu de traces dans

lart de ce temps Beaucoup doeuvres sans aucun doute ont disparu La grande eacuteglise abbatiale de Limoges ougrave seacutelevait son tombeau cette fameuse eacuteglise Saint-Martial qui attirait tant de pegravelerins fut deacutetruite avec toutes ses œuvres dart au temps de la Reacutevolution perte irreacuteparable pourliconographie de saint Martial La fresque y racontait-elle sa leacutegende On peut le croire car dans leacuteglise qui preacuteceacuteda celle-lagrave on pouvait voir au teacutemoignage dAdheacutemar de Chabannes des

peintures murales qui retraccedilaient sa vie Degraves la fin du Xe siegravecle un moine orfegravevre de labbaye avait

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fait pour lautel une statue dor de saint Martial qui le repreacutesentait assis beacutenissant de la main droite et portant le livre de la main gauche Il est probable que dans beaucoup deacuteglises qui se glorifiaient devoir eacuteteacute fondeacutees par saint Martial on voyait quelque œuvre dart rappelant son apostolat A Toulouse la leacutegende allait jusquagrave associer saint Martial agrave saint Sernin dans la preacutedication de lEacutevangile cest pourquoi au portail de leacuteglise Saint-Sernin saint Martial eacutetait repreacutesenteacute sa statue reacutepondait agrave celle de saint Sernin et pregraves delle on lisait cette inscription Hic socius socio subvenit auxilio Ainsi au teacutemoignage mecircme des clercs de Toulouse gardiens du tombeau de saint Sernin leur saint patron avait eacuteteacute secondeacute dans son œuvre par le grand saint Martial disciple du Seigneur A lautre extreacutemiteacute de lAquitaine aux confins du Berryon voit encore dans leacuteglise romane de Meacuteobecq (Indre) une peinture murale du XII

e siegravecle qui repreacutesente saint Martial Les moines de Meacuteobecq en

effet racontaient que saint Martial dans ses voyages eacutevangeacuteliques eacutetait venu jusque-lagrave Il subsiste probablement plus dune œuvre du XII

e siegravecle ougrave nous ne savons plus aujourdhui reconnaicirctre saint

Martial A la faccedilade de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers on voit sous des arcatures agrave cocircteacute des douze apocirctres deux eacutevecircques il est probable que lun deux est saint Martial fondateur suivant la leacutegende de leacuteglise de Poitiers et presque eacutegal en digniteacute aux apocirctres Quelques œuvres de la fin du XIIe siegravecle nous offrent les plus anciennes repreacutesentations de la leacutegende de saint Martial ce sont des chacircsses eacutemailleacutees provenant des ateliers de Limoges Sur lune delles [Collection Marlin-Leroy t I PI XV Le fond vermiculeacute les costumes le style indiquent le XIIe siegravecle] saint Martial ressemble agrave

FIGURE XLV (bible de saint Martial)

un apocirctre et comme les apocirctres il a les pieds nus mdash privilegravege exceptionnel et signe de sa haute mission Il porte agrave la main le fameux bacircton il lui suffit de le preacutesenter agrave un posseacutedeacute aux cheveux heacuterisseacutes pour quaussitocirct le deacutemon seacutechappe par sa bouche Ce miracle frappa dadmiration sainte Valeacuterie et la disposa agrave recevoir le baptecircme Sur lautre face de la chacircsse en effet elle sagenouille devant saint Martial qui la beacutenit mais deacutejagrave le proconsul ordonne au bourreau de la mettre agrave mort Une autre chacircsse du mecircme temps repreacutesente le centurion conduisant sainte Valeacuterie au supplice [Ancienne colleclion Soltykoff voir Rupin lŒuvre de Limoges p 403] La jeune sainte porte encore la robe collante aux manches deacutemesureacutees des plus anciennes statues de Chartres Le bourreau lui tranche la tecircte mais elle la prend dans ses mains et va la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacutelegravebre la messe un ange vole au-dessus delle et par un charmant artifice la tecircte de lange tient la place de la tecircte de la sainte Sainte Valeacuterie est ici lheacuteroiumlne queceacutelegravebre lartiste et cest sans aucun doute une de ses reliques que contenait la chacircsse Sainte Valeacuterie en effet fut presque aussi populaire que saint Martial lui-mecircme Quand les comtes de Poitiers venaient se faire sacrer ducs dAquitaine agrave Limoges leacutevecircque leur preacutesentait la couronne et leacutepeacutee puis le doyen du chapitre leur mettait au doigt lanneau de sainte Valeacuterie ceacutetaient les fianccedilailles du duc et de leacuteglise dAquitaine dont Valeacuterie eacutetait le plus pur symbole Cest pourquoi les œuvres dart qui la repreacutesentent - trop rares aujourdhui - nous touchent comme une poeacutetique image du passeacute Non loin de Bellac lantique eacuteglise Saint-Pierre-de-la-Treacutemouille conserve quelques restes dune fresque du XII

e siegravecle deux saintes apparaissent encore dont on peut

lire les noms ce sont sainte Valeacuterie et sainte Radegonde [Voir un dessin de la fresque dans le Bullet de la Socieacuteteacute des antiq de lOuest 1912 p 633] La leacutegende doreacutee du Poitou sunit lagrave agrave celle du Limousin Le monastegravere de Chambon-sur-Voueyze (Creuse) agrave lextreacutemiteacute de la Marche fut un des foyers du culte de sainte Valeacuterie Il posseacutedait une partie de ses reliques mais le charmant buste dargent qui les contient aujourdhui ne remonte quau XV

e siegravecle il repreacutesente la jeune martyre avec

une couronne et un riche collier Dans la vieille eacuteglise romane de Chambon aucune des œuvres qui furent consacreacutees au XII

e siegravecle agrave sainte Valeacuterie ne sest conserveacutee mais ce quon ne voit plus agrave

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Chambon on le voit un peu plus loin dans leacuteglise abbatiale dEacutebreuil en Bourbonnais Dans la tribune une peinture murale du XII

e siegravecle repreacutesente agrave cocircteacute du martyre de saint Pancrace dont leacuteglise avait

sans doute quelque relique le martyre de sainte Valeacuterie Cest ici la limite ougrave sarrecirctait la gloire de la sainte Les autres compagnons de saint Martial saint Amateur et sainte Veacuteronique ceacutelegravebres degraves le XIIe siegravecle ont inspireacute des oeuvres dart que le temps a presque complegravetement deacutetruites Rocamadour trop souvent saccageacute ne nous montre plus le fondateur du sanctuaire saint Amateur que le peuple appe- lait saint Amadour mais on y voit encore la Vierge de bois recouverte jadis de plaques dargent quon disait faite de sa main [ Elle ne remonte pas plus haut que le XIIIe siegravecle Revue de lart chreacutetien 1892 p 7 et suiv] Un monastegravere seacuteleva agrave Soulac pregraves du tombeau de sainte Veacuteronique Leacuteglise qui contenait les reliques de la sainte sappelait Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres on eacutetait lagrave en effet agrave une des extreacutemiteacutes du monde au bord de linconnu Un vaste deacutesert de sables et la rumeur lointaine du grand Oceacutean alors sans limites donnaient au lieu une religieuse beauteacute La dune pousseacutee par le vent envahit peu agrave peu le monastegravere et finit par le recouvrir En 1860 des fouilles

firent reparaicirctre leacuteglise romane qui sortit de son linceul de sable comme un temple de la Haute-Egypte On remarqua alors deux chapiteaux qui deacutecoraient lentreacutee de la chapelle deacutedieacutee jadis agrave sainte Veacuteronique lun repreacutesente un tombeau lautre des pegravelerins debout des deux cocircteacutes dun autel sur lequel repose une chacircsse Ce sont suivant toutes les vraisemblances le tombeau et la chacircsse de sainte Veacuteronique quiattiraient tant de pegravelerins agrave Soulac Cest ainsi que du Bourbonnais agrave lOceacutean du Berry agrave Toulouse a rayonneacute la leacutegende de saint Martial et de ses compagnons Le centre de lancienne Aquitaine avec ses valleacutees profondes et ses riviegraveres rapides a toutes les beauteacutes dune nature primitive mais cest un pays de granit ougrave la pierre reacutesiste au travail du ciseau Aussi nest-ce pas par les sculpteurs que les saints y furent ceacuteleacutebreacutes mais par les orfegravevres Degraves la fin du X

e siegravecle

plusieurs eacuteglises dAquitaine avaient des images dor dargent ou de cuivre de leurs saints patrons images qui eacutetaient en mecircme temps des reliquaires Eacutecoutons leacutecolacirctre dAngers Bernard qui parcourut le Plateau Central dans les premiegraveres anneacutees du XIe siegravecle

laquo Jusquici dit-il il me semblait que les saints ne devaient recevoir dautres honneurs que ceux du dessin ou de la peinture il me semblait absurde et impie de leur eacutelever des statues Mais tel nest pas le sentiment des habitants de lAuvergne du Rouergue de la reacutegion toulousaine et des pays voisins Chez eux cest une antique habitude que chaque eacuteglise possegravede une statue de son patron Suivant les ressources de leacuteglise cette statue est dor dargent ou dun meacutetal moins preacutecieux on y enferme le chef ou quelque insigne relique du saint [Liber miracul sanctae Fidis publieacute par labbeacute Bouillet Lib I cap XIII] raquo

Ainsi lhomme du Nord en entrant dans le Midi deacutecouvrait une autre France Bernard nous a fait connaicirctre quelques-unes de ces statues Au synode de Rodez on en avait apporteacute plusieurs sur la prairie aux portes de la ville chacune delles sabritait sous une tente et elles formaient une assembleacutee plus imposante que celle des eacutevecircques Ceacutetait laquo la majesteacute dor raquo de saint Marins patron de labbaye de Vabres en Rouergue laquo la majesteacute dor raquo de saint Amand deuxiegraveme eacutevecircque de Rodez laquo la majesteacute dor raquo de sainte Foy de Conques et enfin pregraves de la chacircsse dor de saint Sernin laquo la majesteacute dor raquo de la Vierge En descendant vers le Midi Bernard avait deacutejagrave rencontreacute laquo la majesteacute raquo de saint Geacuteraud ce jeune chevalier devenu moine qui avait donneacute son nom agrave la grande abbaye dAurillac Mais il ne semble pas avoir vu laquo la majesteacute raquo de saint Martial dans labbaye de Limoges Il subsiste encore aujourdhui quelques-unes de ces eacutetranges statues La laquo majesteacuteraquo de sainte Foy est toujours agrave Conques comme au temps de leacutecolacirctre Bernard mais on ne reconnaicirct guegravere dans cette idole doreacutee la jeune martyre dAgen dont nous avons raconteacute lhistoire La sainte assise sur son trocircne eacutetincelle dor et de pierreries elle porte une couronne fermeacutee dune forme tregraves antique de longues boucles doreilles

pendent sur ses eacutepaules de chaque main elle tient deacutelicatement entre deux doigts deux petits tubes ougrave lon mettait des fleurs de beaux cameacutees antiques sont incrusteacutes ccedila et lagrave dans le meacutetal de sa robe Ne pouvant la faire belle lartiste lavait faite si riche quelle inspirait un religieux effroi mais il y avait autour delle une aureacuteole de miracles plus eacuteclatante encore que le rayonnement de lor Un fleacuteau deacutevastait-il les environs un diffeacuterend seacutelevait-il entre deux villes un baron disputait-il agrave labbaye un de ses domaines aussitocirct la statue de la sainte sortait du sanctuaire Elle eacutetait porteacutee par un cheval choisi dont le pas eacutetait tregraves doux Autour delle de jeunes clercs faisaient retentir des cymbales et reacutesonner des cors divoire Elle savanccedilait avec majesteacute comme jadis la Magna Mater au temps ougrave ces montagnes eacutetaient paiumlennes Partout ougrave elle passait elle reacutetablissait la concorde faisait reacutegner la paix les miracles eacuteclataient si nombreux quagrave peine les moines avaient-ils le temps de les eacutecrire La sainte se plaisait surtout agrave deacutelivrer les prisonniers au portail de Conques on la voit

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prosterneacutee devant la main de Dieu elle prie sans aucun doute pour les captifs car des fers sont suspendus en ex-voto derriegravere elle La statue de sainte Foy fut porteacutee bien au delagrave des limites du Rouergue on la vit en Auvergne et dans le pays albigeois On lui dressait tous les soirs une tente et sur la tente on eacutelevait un berceau de verdure Combien il est heureux que laquo la majesteacute raquo de sainte Foy se soit conserveacutee intacte agrave travers tant de siegravecles Comme ce bloc dor nous illumine le haut moyen acircge Comme il nous fait comprendre ce quil y avait de mysteacuterieux et de redoutable dans le pouvoir du saint La statue de sainte Foy est unique de richesse il subsiste dans ces reacutegions deux autres images de saints qui sont plus simples et un peu moins anciennes Lune se conserve dans leacuteglise du Monastier antique abbaye perdue dans les solitudes du Velay Cest une statue agrave mi-corps faite de plaques dargent releveacutee de cabochons elle repreacutesente un saint aux yeux saillants au nom farouche saint Chaffre Chaffre est la forme populaire de Theofredus Saint Chaffre est un martyr du temps de linvasion sarrasine Abbeacute du Monastier il donna agrave ses moines lordre de senfuir et resta seul en face des Arabes Battu de verges il fut laisseacute mourant dans son eacuteglise mais le lendemain se soutenant agrave peine il se preacutesenta au milieu dune fecircte devant les imans et commenccedila agrave leur prouver quils nadoraient pas le vrai Dieu ses bourreaux lachevegraverent Comme celle de sainte Foy la statue de saint Chaffre contenait des reliques qui la rendaient plus veacuteneacuterable

FIGURE XLVI (saint Chaffre)

La statue de saint Chaffre est peut-ecirctre du XIe siegravecle celle de saint Baudime deacutejagrave plus savante doit

ecirctre du XIIe Elle se conserve dans leacuteglise de Saint-Nectaire et perpeacutetue le souvenir dun des

premiers missionnaires de la foi en Auvergne Cest une statue agrave mi-corps comme celle de saint Chaffre elle nest pas en argent mais en cuivre repousseacute ciseleacute et doreacute La chevelure est faite de boucles parallegraveles comme celles dune tecircte grecque archaiumlque les yeux divoire agrave la prunelle de corne donnent agrave lapocirctre un regard seacutevegravere qui intimide Ces œuvres encore eacuteloigneacutees de la vie precirctent aux saints une majesteacute lointaine les entourent de mystegravere elles reacutepondent agrave merveille aux sentiments queacutevoquait alors la sainteteacute Ces statues reliquaires nombreuses jadis dans les provinces montagneuses du centre de la France semblent ecirctre lœuvre dartiste monastiques Il y avait agrave Conques un atelier dorfegravevrerie et cest probablement dans labbaye mecircme que la statue de sainte Foy a eacuteteacute faite au X

e siegravecle Mais vers le milieu du XII

e siegravecle les ateliers de Limoges

commencent agrave prendre la premiegravere place Cest Limoges qui va avoir la charge de ceacuteleacutebrer les saints de lAquitaine et bientocirct dune partie de la chreacutetienteacute alors commence agrave Limoges cette longue liturgie de plusieurs siegravecles en lhonneur des saints qui sexprime par le cuivre et leacutemail Les monuments de lorfegravevrerie limousine du XII

e siegravecle sont rares aujourdhui On voyait avant la Reacutevolution dans la

fameuse abbaye de Grandmont un des chefs-dœuvre de leacutecole une chacircsse eacutemailleacutee qui contenait les reliques de saint Eacutetienne de Muret le fondateur de lordre Toute la vie du saint y eacutetait raconteacutee Saint Eacutetienne neacute en Auvergne agrave Thiers appartenait au Limousin par ses vertus cest en effet dans la forecirct de Muret pregraves de Limoges quil avait veacutecu Il eacutetait naturel quil fucirct ceacuteleacutebreacute par les eacutemailleurs limousins Une plaque deacutemail du XII

e siegravecle aujourdhui au museacutee de Cluny est tregraves probablement un

deacutebris de la chacircsse de Grandmont Saint Eacutetienne de Muret qui avait fait un pegravelerinage agrave Bari voit le grand saint du lieu saint Nicolas lui apparaicirctre une inscription en franccedilais du sud de la Loire explique la scegravene La vie du saint se continuait raconteacutee dans tous ses deacutetails On devait voir comment saint Eacutetienne de Muret au moment ougrave il se consacra agrave la solitude mit un anneau agrave son doigt et placcedila sur sa tecircte lacte de renoncement quil venait deacutecrire laquo Ce sera dit-il mon bouclier au

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jour de ma mort raquo Ce geacutenie symbolique eacutetait en parfaite harmonie avec lart du XIIe siegravecle Nous

avons deacutejagrave parleacute des chacircsses ougrave saint Martial et sainte Valeacuterie sont ceacuteleacutebreacutes Il subsiste encore une magnifique chacircsse de la seconde partie du XII

e siegravecle consacreacutee agrave la gloire dun saint du centre de la

France par les eacutemailleurs limousins elle contient les reliques de saint Calmin et se conserve dans

leacuteglise de Mozat pregraves de Riom Saint Calmin qui fut au VIIe siegravecle gouverneur de lAuvergne du

Velay et du Geacutevaudan descendait de Calminius lami de Sidoine Apollinaire Un voyage agrave Leacuterins lui fit vivement sentir la beauteacute de la vie monastique Il ne fut peut-ecirctre jamais moine mais il fonda des monastegraveres en Velay dabord agrave Calminiacum puis dans le Limousin agrave Tulle enfin en Auvergne agrave Mozat Sa femme sainte Namadie prenait sa part de ses travaux et laidait de ses conseils Cest pourquoi un des eacutemaux nous montre les deux eacutepoux faisant construire Calminiacum qui sappellera plus tard le Monastier cest labbaye quillustrera saint Chaffre On les voit ensuite faisant eacutelever le monastegravere de Tulle puis celui de Mozat des maccedilons preacuteparent le mortier montent agrave leacutechelle Labbaye nest pas encore termineacutee mais deacutejagrave leacuteglise est construite et le calice est sur lautel la maison de Dieu a donc eacuteteacute faite avant celle des moines Leur œuvre acheveacutee Calmin et Namadie meurent saintement leur acircme seacutelegraveve dans une aureacuteole et la main de Dieu sort du ciel Cette œuvre magnifique avive nos regrets Combien de chacircsses semblables ont disparu au temps ougrave ces treacutesors arracheacutes du sanctuaire se vendaient au poids du cuivre et devenaient des chaudrons Les quelques monuments de ce genre qui subsistent sont du XIII

e siegravecle ou des siegravecles suivants Parfois au milieu

des bruyegraveres et des bleacutes noirs en fleurs du Limousin on rencontre dans une eacuteglise de village une chacircsse eacutemailleacutee qui raconte lhistoire de saint Dulcide de saint Psalmet de lermite saint Viance Parfois un buste reliquaire repreacutesente le grave saint Eacutetienne de Muret lesclave saint Theacuteau racheteacute par saint Eacuteloi et orfegravevre comme son maicirctre labbeacute saint Yriex et lexquise sainte Fortunade Nous respirons un instant tout le parfum de passeacute et il y a beaucoup de fastueux chefs-dœuvre qui nous touchent moins que ces humbles merveilles

III

Dans limmense domaine de saint Martial le Poitou occupait une place agrave part il avait eu en effet au IVe siegravecle un des saints les plus illustres de la chreacutetienteacute saint Hilaire Celui-lagrave eacutetait un saint authentique que la leacutegende osa agrave peine effleurer il navait pas veacutecu dans le creacutepuscule des temps meacuterovingiens mais dans ce IVe siegravecle queacuteclaire encore la lumiegravere antique Dabord paiumlen marieacute avant decirctre eacutevecircque il avait eacuteteacute une fois devenu chreacutetien un des plus vaillants deacutefenseurs de lorthodoxie contre larianisme Ses livres mdash dit saint Jeacuterocircme mdash avaient la force irreacutesistible du Rhocircne Exileacute en Orient par un empereur arien il y eacutetudia les ouvrages dOrigegravene et fit connaicirctre agrave lEacuteglise des Gaules lexeacutegegravese alleacutegorique des Alexandrins Un tel saint eacutetait-il bien selon le cœur des pegravelerins du XII

e siegravecle qui passant par Poitiers pour aller agrave Saint-Jacques-

de-Compostelle sarrecirctaient agrave son tombeau On en pourrait douter si on ne savait que de nombreuses merveilles avaient mairfesteacute le pouvoir du saint apregraves sa mort et lui avaient creacuteeacute une leacutegende Cest au-dessus du tombeau de saint Hilaire quapparut cette colonne de feu qui guida Clovis avant la bataille de Vouilleacute Il est probable que ceacutetaient ces miracles qui avaient eacuteteacute peints de preacutefeacuterence dans leacuteglise de Saint-Hilaire de Poitiers un des sanctuaires les plus ceacutelegravebres de la France on pouvait voir il y a quarante ans quelques restes de ces fresques dans les absidioles Un seul monument rappelle aujourdhui dans leacuteglise la meacutemoire du grand docteur un chapiteau qui repreacutesente sa mort Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en un tel lieu on ne peut guegravere douter que le saint qui meurt entoureacute de ses diacres et dont les anges emportent lacircme au ciel ne soit saint Hilaire Dans cette œuvre tregraves gauche encore leacutemotion essaie de sinsinuer Leacuteonnius le disciple favori du saint se penche encore une fois sur le corps de son maicirctre et il exprime sa douleur en portant sa main agrave sa joue comme saint Jean au pied de la croix Mais il y a agrave Poitiers une autre eacuteglise du XII

e siegravecle consacreacutee agrave saint Hilaire Saint-Hilaire-de-la-Celle qui seacutelegraveve suivant la tradition

sur lemplacement de sa maison Vers la fin de sa vie apregraves la mort de sa femme et de sa fille le saint en fit un oratoire ougrave il aimait agrave se retirer Cest lagrave quil mourut en 368 et cest de lagrave quil fut porteacute agrave leacuteglise Saint-Jean-et-Saint-Paul construite au milieu de lantique cimetiegravere chreacutetien et qui prit alors son nom Jusquaux deacutevastations des protestants on vit dans leacuteglise Saint-Hilaire de la Celle un ceacutenotaphe ougrave la vie du saint eacutetait raconteacutee Il nen subsiste plus quun fragment qui repreacutesente la mort de saint Hilaire La scegravene est pleine de majesteacute saint Hilaire eacutetendu dans un sarcophage ouvert est dune taille colossale et semble dune autre race que le reste des hommes Derriegravere lui les clercs de son eacuteglise se tiennent debout aux deux extreacutemiteacutes deux diacres nimbeacutes sont agrave nen pas douter Leacuteonnius et Justus saint Lienne et saint Just comme on les appelait les plus chers disciples du maicirctre Cest agrave lun deux que saint Hilaire demanda avant de mourir si la nuit eacutetait silencieuse Au milieu de lassembleacutee deux anges apparaissent les ailes ouvertes ils sont descendus dans cette nuit religieuse pour recueillir lacircme du mort Cette grande maniegravere de composer et de sentir nous indique

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une eacutepoque deacutejagrave avanceacutee du XIIe siegravecle Mais ne voit-on agrave Poitiers que la mort de saint Hilaire Ny

trouve-t-on aucun trait de sa vie Un bas-relief qui appartient aujourdhui agrave la Socieacuteteacute des antiquaires de lOuest a longtemps deacutecoreacute leacuteglise deacutetruite de Sainte-Triaise Il repreacutesente saint Hilaire la crosse agrave la main consacrant agrave Dieu la vierge Troecia sainte Triaise Saint Hilaire avait pu admirer en Orient les commencements de la vie monastique et Troecia sa fille spirituelle est une des plus anciennes religieuses de la Gaule Elle veacutecut enfermeacutee dans sa cellule au milieu du cimetiegravere chreacutetien de Poitiers parmi les tombeaux comme une recluse de la Theacutebaiumlde La propre fille de saint Hilaire sainte Abra suivit lexemple de Troceia Son pegravere encouragea sa vocation dans une de ses lettres il lui promet une perle plus belle que celle que les vierges reccediloivent de leurs fianceacutes On montre encore dans leacuteglise Saint-Hilaire le couvercle du sarcophage de sainte Abra Ce nest pas en Poitou que lon trouve aujourdhui la plus curieuse repreacutesentation de la vie de saint Hilaire mais en Bourgogne Le sarcophage de sainte Abra (Saocircne-et- Loire) qui lui est deacutedieacutee raconte au linteau du portail le plus beau chapitre de son histoire On voit le saint arrivant au concile de Seacuteleucie pour lutter contres les eacutevecircques ariens Mais ici le moyen acircge a deacutejagrave fait son œuvre et la leacutegende a deacuteformeacute la veacuteriteacute Dans la seconde partie du bas-relief saint Hilaire est assis plus bas que les eacutevecircques cest que les ariens nont pas voulu lui faire de place parmi eux Du haut du ciel un ange lencense et le deacutesigne comme le champion de Dieu Le faux pape Leacuteon quitte le concile en prononccedilant contre le saint des paroles menaccedilantes mais Leacuteon meurt dune mort ignominieuse et les deacutemons semparent de son acircme Ce bas-relief inteacuteressant par son sujet est une œuvre inexpressive ougrave lon ne trouve ni le mouvement ni la vie de la grande sculpture bourguignonne Saint Hilaire que tant de pegravelerins venaient veacuteneacuterer dans son eacuteglise eacutetait le grand saint du Poitou mais beaucoup dautres saints moins illustres avaient inspireacute les artistes de ces reacutegions Si les fresques des abbayes poitevines seacutetaient aussi bien conserveacutees que celles de labbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) nous aurions une veacuteritable histoire eccleacutesiastique de la province

FIGURE XLVII (Larche de Noeacute peinture - abbatiale de saint Savin-sur-Gartempe)

A Saint-Savin en effet de grandes figures peintes dans la tribune non loin des scegravenes de la Passion repreacutesentent les saints eacutevecircques de Poitiers Des inscriptions encore visibles il y a quelques anneacutees deacutesignaient saint Geacutelasius et saint Fortunat le fameux eacutevecircque poegravete Dans la crypte le temps a respecteacute une partie des fresques consacreacutees agrave saint Savin le patron de labbaye et agrave son compagnon saint Cyprien Ce sont deux martyrs En vain furent-ils deacutechireacutes par des ongles de fer attacheacutes agrave la roue exposeacutes aux becirctes chaque fois par un miracle ils eacutechappegraverent agrave la mort Dans laregravene les lions mdash que le peintre a fait aussi inoffensifs que des chiens mdash viennent leur leacutecher les pieds Ce fut non loin de labbaye mdash disait la tradition mdash au bord de la Gartempe que les deux saints furent mis agrave mort par leurs perseacutecuteurs Ainsi les hautes antiquiteacutes du Poitou eacutetaient sans cesse

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preacutesentes aux visiteurs de labbaye Lart ressuscitait le passeacute le faisait vivre dans les imaginations Soyons sucircrs que dans toute leacutetendue du Poitou mdash une des reacutegions de la France ougrave la peinture monumentale a laisseacute le plus de traces mdash il y eut des sanctuaires ougrave lon pouvait comme agrave Saint-Savin apprendre lhistoire des saints de la province Les moines avaient eacuteprouveacute depuis longtemps la vertu eacuteducatrice de la peinture ils savaient sa puissance magique sur les foules illettreacutees Mais agrave Charroux agrave Saint-Jouin-de-Marnes agrave Airvault agrave Maillezais dans toutes ces abbayes illustres du Poitou il ne reste plus rien aujourdhui

IV

Le Berry avec ses plaines indeacutecises fut souvent consideacutereacute comme un fief de saint Martial car ceacutetait lui disait la tradition limousine qui avait fondeacute leacuteglise de Bourges Mais agrave cette leacutegende le Berry en opposait une autre celle de son premier apocirctre saint Ursin Ursin eacutetait le Nathanael de lEacutevangile cest lui qui le premier avait annonceacute la foi nouvelle agrave Bourges et il y avait apporteacute deux reliques sans prix la courroie qui attachait le Christ agrave la colonne et quelques gouttes du sang de saint Eacutetienne car Nathanael avait assisteacute au supplice du saint diacre Saint Ursin devenait donc presque

leacutegal en digniteacute de saint Martial Parmi les successeurs de saint Ursin plusieurs eacutevecircques de Bourges seacutetaient eacuteleveacutes agrave la sainteteacute par leurs vertus Le Berry avait eu aussi ses saints ermites parfois dans ce pays de mareacutecages et de grandes forecircts on rencontrait un homme de Dieu dans la solitude Beaucoup de ces saints qui vivaient dans la meacutemoire du peuple avaient ducirc ecirctre ceacuteleacutebreacutes par lart du XIIe siegravecle Les vieilles eacuteglises du Berry ne sont pas tregraves riches en œuvres de sculpture mais beaucoup de ces eacuteglises eacutetaient peintes Plus dune fresque se cache encore sous le badigeon et lon verra peut-ecirctre reparaicirctre un jour ces saints jadis fameux saint Sulpice saint Patrocle saint Venant saint Leacuteopardin saint Laurian et la bergegravere sainte Solange aussi ceacutelegravebre dans le Berry que sainte Valeacuterie leacutetait dans le Limousin Que nous reste-t-il donc aujourdhui On voit agrave lexteacuterieur de leacuteglise de Chacirctillon-sur-Indre (Indre) un bas-relief du XII

e siegravecle qui deacutecorait jadis le portail et qui est

encastreacute maintenant dans une fenecirctre haute du transept Il repreacutesente le Christ en majesteacute assis entre deux seacuteraphins au-dessous saint Austregisille reccediloit un flambeau de la main de saint Pierre Saint Austregisille que les bergers et les laboureurs appelaient saint Oustrille eacutetait eacutevecircque de Bourges au commencement du VII

e siegravecle Avant son entreacutee dans les ordres on lavait vu se rendre agrave Chalon pour

y combattre en champ clos eacutevecircque il conserva leacutenergie du soldat et il lutta sans cesse contre les rois meacuterovingiens et les agents de leur fisc Sa sainteteacute seacutetait manifesteacutee par de nombreux miracles agrave Chacirctillon un autre bas-relief dont il ne reste plus que linscription le montrait gueacuterissant une posseacutedeacutee Il est facirccheux que larchitecte qui restaura leacuteglise vers 1880 ait si mal placeacute lancien tympan car on ne peut plus distinguer aujourdhui saint Austregisille recevant de saint Pierre cest-agrave-dire de Rome le flambeau de la foi Leacuteglise de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) a heureusement conserveacute agrave leur place les rudes bas-reliefs qui furent consacreacutes agrave la gloire dEusitius ou saint Eusice Il y a plusieursbeaux traits dans la vie de saint Eusice Ses parents eacutetaient si pauvres quils furent obligeacutes de vendre un de leurs enfants comme esclave et ce fut saint Eusice qui se sacrifia pour ses fregraveres Esclave il saffranchit par la sainteteacute Sa reacuteputation eacutetait si grande que Childebert traversant le Berry pour aller combattre les Visigoths dEspagne voulut le voir et linterroger sur lavenir Il lui offrit cinquante sous dor laquo Donne cet argent aux pauvres lui dit Eusitius pour moi il me suffit de prier pour mes peacutecheacutes raquo puis il annonccedila au roi quil reviendrait victorieux Sa preacutediction saccomplit cest pourquoi agrave son retour Childebert sarrecircta pour revoir le saint Apregraves lui avoir donneacute le baiser de paix il lui offrit la moitieacute du butin quil rapportait dEspagne Il y avait dans le cortegravege du roi des prisonniers de guerre laquo lieacutes deux agrave deux dit lhagiographe comme des couples de chiens raquo Pour toute faveur saint Eusice demanda au roi de les deacutelivrer Chose eacutetrange ces beaux eacutepisodes ne figurent pas dans les bas-reliefs qui deacutecorent labside de Selles-sur-Cher Saint Eusice qui fut grand par la chariteacute nous apparaicirct lagrave comme un thaumaturge presque comme un magicien Il oblige les deacutemons agrave se rendre utiles sur son ordre ils sattellent agrave un char et transportent les pierres de leacuteglise Il se sert des

loups pour garder ses troupeaux Rien ne lui est impossible un jour quon lui a voleacute sa pelle de boulanger il entre dans le four brucirclant et y place tranquillement ses pains Voilagrave ce que nous montre labside de Selles-sur-Cher Ces miracles enchantaient le XII

e siegravecle souvent ceacutetait le peuple lui-

mecircme qui creacuteait cette feacuteerie il faisait de la vie des saints une chanson de la veilleacutee un conte dhiver Guibert de Nogent nous rapporte dans son De Pignoribus sanctorum que les femmes en tissant la toile chantaient les louanges de beaucoup de saints dont la vie eacutetait toute fabuleuse a et si lon veut les reprendre ajoute-t-il elles vous menacent de leurs navettes raquo Les bas-reliefs de Selles-sur-Cher teacutemoignent encore de cette passion du XII

e siegravecle pour le merveilleux

V

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Il est peu de saints plus poeacutetiques que les saints de lAuvergne Ce charme leur vient peut-ecirctre de leur premier historien Greacutegoire de Tours artiste sans le savoir qui ne nous montre pas ses heacuteros mais nous les laisse entrevoir dans un demi-jour plein de mystegravere Cest Injuriosus et Scolastica laquo les amants dAuvergne raquo dont un rosier reacuteunit les tombeaux ce sont les solitaires de la caverne et de la forecirct saint Eacutemilien saint Marien saint Lupicin saint Calupan qui renouvellent sous un ciel glaceacute les prodiges des anachoregravetes de lEgypte cest la vierge sainte Georges dont le convoi funegravebre fut escorteacute par un vol de colombes La sauvage nature qui les entoure reacutepand aussi sur eux un peu de son charme mdash ce charme que le deacutesert de la Chaise-Dieu communique agrave saint Robert le haut chacircteau de Mercœur et les laves de la valleacutee de la Couze agrave saint Odilon limmense forecirct du pays de Combrailles la Pontiacensis sylva aux vieux abbeacutes de Menacirct Le voyageur qui parcourt lAuvergne la meacutemoire remplie de la longue histoire de ses saints les cherche dans ses belles eacuteglises romanes mais il nen deacutecouvre quun bien petit nombre car le temps et les hommes nont pas eacuteteacute plus cleacutements agrave lAuvergne quagrave nos autres provinces Lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine reposa dabord dans leacuteglise dIssoire On avait perdu le souvenir de son tombeau lorsque des hommes vecirctus de blanc et portant des cierges qui apparaissaient la nuit dans leacuteglise en firent retrouver la place DIssoire le corps de saint Austremoine fut porteacute agrave Volvic Mais bientocirct ses reliques firent un dernier voyage elles allegraverent reposer dans labbaye de Mozat et Peacutepin le Bref suivant la tradition aurait porteacute lui-mecircme la chacircsse du saint sur ses eacutepaules On sera deacuteccedilu si on chercheagrave Issoire et agrave Volvic la trace de saint Austremoine on ne ly trouvera pas Mais agrave Mozat une œuvre dart rappelle son souvenir Sur un des cocircteacutes de la chacircsse de saint Calmin dont nous avons deacutejagrave parleacute un eacutevecircque la crosse en main est debout cest comme nous lapprend linscription Sanctus Austremonius saint Austremoine Mais il se pourrait que saint Austremoine fucirct repreacutesenteacute ailleurs encore On voit encastreacute dans un des murs de leacuteglise de Mozat le linteau dun ancien portail La Vierge assise en majesteacute est au milieu elle porte lEnfant sur ses genoux et elle ressemble agrave sy meacuteprendre aux vierges de bois des eacuteglises auvergnates saint Pierre est agrave sa droite et saint Jean agrave sa gauche Pregraves de saint Pierre un eacutevecircque est debout Quel peut ecirctre cet eacutevecircque sinon lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine le grand saint dont leacuteglise de Mozat posseacutedait les reliques

FIGURE XLVIII (chacircsse de saint Austremoine leacuteglise Saint-Austremoine Issoire)

Il est on nen saurait douter au nombre des bienheureux car de la main il preacutesente agrave la Vierge un abbeacute prosterneacute Dans ce bas-relief cet abbeacute mdash un des constructeurs de leacuteglise mdash est le seul vivant seul il est encore sur la terre Il nest pas jusquagrave la place donneacutee agrave leacutevecircque aux cocircteacutes de saint Pierre qui ne soit significative car la leacutegende auvergnate jalouse deacutegaler saint Austremoine agrave saint Martial faisait de lui un disciple du prince des apocirctres Cest agrave lextreacutemiteacute de lancienne Auvergne que nous retrouvons encore une fois saint Austremoine Dans leacuteglise dEacutebreuil une fresque du XII

e siegravecle

peinte dans la tribune nous le montre en face de sainte Valeacuterie la grande sainte du Poitou rencontre ici le grand saint de lAuvergneOn racontait que saint Austremoine eacutetant venu de Rome en Gaule avec deux compagnons Nectaire et Baudime leur avait confieacute le soin deacutevangeacuteliser le sud de la Limagne et les reacutegions voisines Aussi leacuteglise de Saint-Nectaire nous montre-t-elle agrave la fois le buste

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de saint Baudime dont nous avons parieacute et un chapiteau consacreacute agrave lhistoire de son saint patron Ce chapiteau raconte quatre eacutepisodes de lhistoire de saint Nectaire Lartiste nous transporte dabord agrave Rome saint Pierre ordonne precirctre saint Nectaire son filleul et aussitocirct commence la lutte du saint et du deacutemon Un jour quil voulait passer le Tibre pour aller prier dans un sanctuaire de lautre rive il reconnut que le rameur qui sapprochait avec sa barque eacutetait Satan lui-mecircme Sans peur il entra dans la barque car un ange envoyeacute par Dieu planait dans le ciel en sorte que Satan fut contraint de le deacuteposer sain et sauf sur lautre bord Leacutegende de demi-jour qui semble nous transporter non dans la Rome de saint Pierre mais dans leacutetrange Rome du moyen acircge Cependant saint Pierre vient denvoyer en Gaule Austremoine Nectaire et Baudime A peine arriveacute agrave Sutri Nectaire tombe malade et meurt Baudime revient agrave Rome annoncer la nouvelle agrave saint Pierre qui accourt il touche le cadavre avec la croix et aussitocirct Nectaire se legraveve de son sarcophage Saint Nectaire qui a traverseacute la mort est devenu tout puissant sur elle Le voici maintenant en Auvergne Un jour quil annonccedilait leacutevangile le cortegravege funegravebre dun Gallo-romain nommeacute Bradulus vint agrave passer pregraves de lendroit ougrave il parlait on le supplie de ressusciter Bradulus Saint Nectaire prend le bras du mort et lui ordonne de se lever Derriegravere le saint se dresse leacuteglise de Saint-Nectaire telle que nous la voyons encore aujourdhui au sommet de son rocher Il a fallu agrave lartiste beaucoup dingeacuteniositeacute pour faire dire tant de choses agrave un chapiteau si condenseacutee que soit son œuvre elle reste claire Ainsi cest moins sous laspect dun apocirctre que sous celui dun puissant thaumaturge quapparaissait saint Nectaire aux pegravelerins qui visitaient son eacuteglise Parmi les successeurs de saint Austremoine au siegravege de Clermont le plus ceacutelegravebre ne fut pas comme on pourrait le croire le vaillant Sidoine Apollinaire mais leacutevecircque Prsejectus Dans la France centrale Prsejectus sappelle saint Priest dans la France du nord saint Prix Il eacutetait deacutejagrave fameux par ses vertus ses aumocircnes ses fondations charitables sa mort fit de lui un saint Il fut assassineacute pregraves de Volvic par les complices dun homme dont il avait deacutenonceacute les crimes agrave Childeacuteric Quelques-unes de ses reliques apporteacutees agrave Flavigny agrave Saint-Quentin agrave Beacutethune reacutepandirent au loin son culte Contemporain de saint Leacuteger assassineacute comme lui il eut alors une renommeacutee presque eacutegale Son corps resta enseveli dans leacuteglise de Volvic ougrave il est veacuteneacutereacute depuis des siegravecles on y conserve aussi leacutepeacutee de lassassin De leacuteglise eacuteleveacutee agrave Volvic au XII

e siegravecle il ne

subsiste plus aujourdhui que le chœur la nef refaite est moderne Un des chapiteaux du chœur est consacreacute non pas agrave la mort de saint Priest qui eacutetait sans doute repreacutesenteacutee ailleurs mais agrave la chacircsse de ses reliques un donateur est debout aupregraves de la chacircsse qui est bien celle du saint eacutevecircque comme une inscription nous lapprend Voilagrave quelques vestiges de lantique histoire religieuse de lAuvergne on souhaiterait den deacutecouvrir davantage On regrette de ne plus rien voir dans leacuteglise de Brioude qui rappelle le martyr saint Julien jadis si fameux Mais cest agrave Menacirct surtout que lon voudrait retrouver quelque souvenir des anciens moines de labbaye qui seacutelevegraverent agrave la sainteteacute saint Brachio le chasseur de sangliers et saint Carilegravephe le compagnon de lauroch dans la forecirct Malheureusement le chœur de leacuteglise de Menacirct ougrave se trouvaient les chapiteaux historieacutes a eacuteteacute deacutetruit Un seul de ces chapiteaux subsiste deacuteposeacute dans un des bas-cocircteacutes Il repreacutesente une scegravene eacutenigmatique dont un moine de Menacirct est probablement le heacuteros on croirait voir saint Meacuteneacuteleacute refusant la fianceacutee que son pegravere lui preacutesente et songeant deacutejagrave agrave aller demander la robe monastique agrave labbeacute de Menacirct que lon aperccediloit plus loin assis sur son siegravege

VI

II faut redescendre vers le Midi Cest en Provence que nous rencontrons la plus merveilleuse de toutes nos leacutegendes On lit dans un manuscrit du XI

e siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque Nationale [t B

N latin 17627] quapregraves la reacutesurrection du Sauveur Marie-Madeleine sa sœur Marthe et son fregravere Lazare fuyant la perseacutecution des Juifs sembarquegraverent et vinrent aborder agrave Marseille Ce sont eux qui apportegraverent la foi en Provence Un reacutecit un peu posteacuterieur fait venir avec eux saint Maximin apocirctre dAix et saint Trophime apocirctre dArles Ainsi cette belle Provence lumineuse comme lOrient devenait une autre Judeacutee Lazare eacutetait sorti du tombeau pour lui annoncer lEacutevangile Marthe et Marie eacutetaient venues lui reacutepeacuteter les paroles quelles avaient recueillies de la bouche du Seigneur Quelle eacuteglise pouvait se glorifier dune plus noble origine Cette leacutegende a-t-elle laisseacute quelque trace dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle A la faccedilade de Saint-Trophime dArles on voit repreacutesenteacute au milieu des

apocirctres saint Trophime lui-mecircme il tient la crosse et deux anges posent la mitre sur sa tecircte comme pour marquer le caractegravere divin de sa mission Dans le cloicirctre on le retrouve encore adosseacute agrave un pilier cette fois il est tecircte nue porte la tunique et le manteau et sil navait les pieds chausseacutes on le prendrait pour un apocirctre Aucun chapiteau historieacute aucun bas-relief naccompagne ces deux images du saint et ne raconte son histoire Vers 1180 les artistes dArles avaient deacutejagrave sans doute entendu raconter que saint Trophime eacutetait venu en Provence avec Lazare Marie-Madeleine et Marthe mais ils nont fait aucune allusion agrave ce reacutecit On dirait mecircme quils en ont suivi un autre en placcedilant saint Trophime aux cocircteacutes de saint Pierre ils semblent avoir voulu donner creacutedit agrave lancienne tradition de

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leacuteglise dArles suivant laquelle saint Trophime aurait eacuteteacute envoyeacute de Rome par le prince des apocirctres Il serait surprenant pourtant quil ny eucirct pas dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle la moindre trace de la

fameuse leacutegende On ly rencontre en effet au moins une fois Il y a au portail lateacuteral de leacuteglise Sainte-Marthe agrave Tarascon une inscription fort bien conserveacutee qui nous donne la date de la deacutedicace de leacuteglise (1er juin 1197) deux petits bas-reliefs laccompagnent Lun repreacutesente la conseacutecration de lautel lautre un eacutevecircque et deux diacres groupeacutes autour dun corps eacutetendu sur la pierre Quel est le sens de cette scegravene On la comprendra si lon se souvient que dix ans auparavant on crut avoir deacutecouvert agrave Tarascon le corps de sainte Marthe et que cest pour recevoir cette insigne relique que lon rebacirctit alors leacuteglise Nous avons donc sous les yeux soit la translation des reliques de sainte Marthe dans son sanctuaire soit ses funeacuterailles Cette derniegravere interpreacutetation me paraicirct ecirctre la meilleure car on voit deux anges emportant au ciel lacircme de la sainte de plus un des assistants est nimbeacute or le reacutecit apocryphe rapportait que saint Front avait eacuteteacute miraculeusement transporteacute agrave Tarascon aupregraves du lit de mort de sainte Marthe Ainsi vers la fin du XII

e siegravecle la leacutegende de

lapostolat de Lazare et de ses sœurs eacutetait bien eacutetablie Le bas-relief de Tarascon est la plus ancienne œuvre dart quelle ait fait naicirctre en Provence mdash premier anneau de la chaicircne qui aboutit au dernier chant de Mireille La Provence avait eacuteteacute un peu lente agrave traduire le leacutegende par lart une autre reacutegion lavait devanceacutee la Bourgogne Cest la Bourgogne en effet nous le savons aujourdhui qui a creacuteeacute la leacutegende Mgr Duchesne en a fort bien expliqueacute lorigine Les moines de Veacutezelay se vantaient depuis le milieu du XI

e siegravecle de posseacuteder les reliques de sainte Marie-Madeleine mais ils eacutetaient

embarrasseacutes pour expliquer aux pegravelerins dougrave leur venait ce preacutecieux treacutesor Cest pourquoi lun deux fit paraicirctre un reacutecit tout nouveau de la vie de Marie-Madeleine Il y eacutetait dit pour la premiegravere fois que la sainte avait abordeacute en Provence quelle y avait veacutecu et quelle y eacutetait morte Lauteur ajoutait quun moine de Veacutezelay voyageant en Provence avait reconnu dans la crypte de Saint-Maximin le sarcophage de marbre ougrave la sainte eacutetait ensevelie il navait pas heacutesiteacute agrave deacuterober ce corps sacreacute et agrave lapporter en Bourgogne Tel fut le reacutecit que les pegravelerins de Veacutezelay recueillirent deacutesormais de la bouche des moines Degraves la fin du XI

e siegravecle de nouveaux eacutepisodes vinrent enrichir la leacutegende

Marthe Lazare et leacutevecircque Maximin furent associeacutes agrave Marie-Madeleine Ainsi cette sorte deacutepopeacutee quon serait tenteacute de croire dorigine provenccedilale a eacuteteacute creacuteeacutee en Bourgogne Elle fut ceacutelegravebre en Bourgogne avant de lecirctre en Provence bien mieux la Bourgogne qui venait de prendre possession des reliques de sainte Madeleine sattribua bientocirct celles de Lazare Degraves le commencement du XIIe siegravecle il fut admis quelles reposaient dans la catheacutedrale dAutun Il semble que le concours de pegravelerins quelles attiraient deacutetermina leacutevecircque agrave entreprendre vers 1120 la construction dune nouvelle eacuteglise cest la belle catheacutedrale que nous voyons aujourdhui Lart bourguignon du XI

e siegravecle sest-il

inspireacute de ces leacutegendes Il est naturel de les chercher dabord agrave Veacutezelay le sanctuaire de Marie-Madeleine mais on ne les y trouvera pas Le portail de la faccedilade est une œuvre moderne qui reproduit avec une preacutetentieuse gaucherie les sujets de lancien tympanet de son linteau [Tympan et linteau existent encore aujourdhui mais les sujets marteleacutes se discernent agrave peine] On y voit la Reacutesurrection de Lazare et les scegravenes de lEacutevangile ougrave Madeleine figure mais rien ny rappelle le fameux voyage de Provence Les chapiteaux de la nef si nombreux et si varieacutes ne nous parlent pas une seule fois de Marie-Madeleine Le chœur il est vrai a eacuteteacute refait agrave leacutepoque gothique et cest lagrave peut-ecirctre autour du tombeau de la sainte queacutetait raconteacutee son histoire apocryphe Aujourdhui aucune œuvre dart ne commeacutemore la leacutegende dans leacuteglise ougrave elle naquit ougrave tant de milliers de pegravelerins lentendirent raconter Serons-nous plus heureux agrave la catheacutedrale dAutun leacuteglise de saint Lazare Leacutetude des chapiteaux et des tympans pourrait nous faire croire que non Lagrave non plus aucune œuvre nest consacreacutee au voyage de Provence mais il nen eacutetait pas ainsi autrefois Jusquau XVIII

e siegravecle on put voir au portail du Jugement dernier trois statues adosseacutees au trumeau elles

montraient aux pegravelerins Lazare entre Marthe et Marie-Madeleine Ce groupement prendra tout son sens quand on saura que Lazare eacutetait vecirctu en eacutevecircque Ainsi on nen saurait douter cest Lazare apocirctre de la Provence que lartiste avait preacutetendu repreacutesenter et pregraves de Lazare il avait mis ses deux sœurs parce quelles avaient eacuteteacute les compagnes de son apostolat Il y avait en Bourgogne une autre eacuteglise deacutedieacutee agrave saint Lazare Saint-Lazare dAvallon Trois magnifiques portails du XII

e siegravecle y

donnaient accegraves il nen subsiste plus que deux aujourdhui priveacutes de leurs statues et de leurs bas-reliefs De meacutediocres dessins publieacutes par dom Plancher dans son Histoire de Bourgogne nous en laissent deviner laspect primitif Au trumeau du portail central un eacutevecircque eacutetait adosseacute ceacutetait saint Lazare le patron de leacuteglise Ainsi agrave Avallon comme agrave Autun les ornements eacutepiscopaux deacutesignaient saint Lazare comme le premier chef de leacuteglise provenccedilale Il est regrettable que ces curieuses statues dAutun et dAvallon ne nous aient pas eacuteteacute conserveacutees elles nous eussent montreacute comment les premiers sculpteurs bourguignons se repreacutesentaient ce mysteacuterieux Lazare qui avait franchi deux fois les portes de la mortLes statues dAutun et de Veacutezelay avaient eacuteteacute visiblement inspireacutees par la leacutegende ce sont les seules dont nous ayons pu retrouver la trace Un bas-relief en Provence deux

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statues en Bourgogne voilagrave tout ce que lhistoire apocryphe de Madeleine de Marthe et de Lazare semble avoir donneacute agrave lart du XII

e siegravecle Cest peu mais ce nest quun commencement il faut songer

quau XIIe siegravecle le reacutecit des moines de Veacutezelay avait agrave peine commenceacute agrave faire la conquecircte des

imaginations Ce nest que dans les siegravecles suivants quil sera accepteacute de tous et deviendra une des sources vives de lart chreacutetien Mais cest par la Provence et non par la Bourgogne que la gloire de Marie-Madeleine peacutenitente sest reacutepandue dans le monde En 1279 en effet les Provenccedilaux annoncegraverent agrave la chreacutetienteacute la deacutecouverte agrave Saint-Maximin du corps de sainte Madeleine que les

moines de Veacutezelay abuseacutes par lerreur dun des leurs avaient cru jusque-lagrave posseacuteder

FIGURE XLIX eacuteglise du Veacutezelay)

La deacutecouverte fut tenue pour authentique et deacutesormais le sanctuaire bourguignon fut deacuteserteacute au profit des lieux saints de la Provence le tombeau de Saint-Maximin et la caverne de la Sainte-Baume Les pegravelerins qui aimegraverent toujours agrave monter vers les cimes en chantant abandonnegraverent la montagne de Veacutezelay pour le haut rocher de la Sainte-Baume Cest alors que les comtes de Provence qui eacutetaient en mecircme temps rois de Naples firent connaicirctre la leacutegende agrave lItalie et lon vit Giotto peindre au Bargello de Florence et dans une des chapelles dAssise Marie-Madeleine dans le deacutesert provenccedilal recevant la communion de la main de saint Maximin La Bourgogne qui ceacuteleacutebrait lapocirctre de la Provence ce Lazare dont elle avait elle-mecircme imagineacute lapostolat noubliait pas son apocirctre agrave elle le martyr saint Beacutenigne Peu de saints avaient en France une plus magnifique seacutepulture son tombeau eacutetait agrave Dijon et les moines de saint Beacutenigne en eacutetaient les gardiens Il eacutetait au centre dune grande rotonde dont la Reacutevolution na laisseacute subsister que la crypte Cette rotonde formait au XII

e siegravecle

lextreacutemiteacute dune eacuteglise romane refaite plus tard Un beau portail orneacute de bas-reliefs et de statues y donnait accegraves il a eacuteteacute deacutetruit mais un dessin de dom Plancher nous en a conserveacute laspect Au trumeau sadosse un eacutevecircque qui porte une crosse archaiumlque en forme de tau et une mitre qui ressemble agrave un bonnet cest saint Beacutenigne Ce costume le deacutesigne comme le chef dune des premiegraveres communauteacutes chreacutetiennes de la Bourgogne La tecircte mutileacutee de lapocirctre se conserve au Museacutee archeacuteologique de Dijon Ainsi dans ce portail ougrave lon voyait des deux cocircteacutes les statues des prophegravetes et des apocirctres saint Beacutenigne occupait la place dhonneur cest agrave lui quallaient dabord les regards Les artistes bourguignons turent les premiers qui attiregraverent ainsi le respect du visiteur sur le patron dune eacuteglise le Saint-Lazare dAutun et le Saint-Jean-Baptiste de Veacutezelay sont les plus anciennes statues adosseacutees agrave un trumeau quil y ait ou quil y ait eu en France Les artistes du Midi si

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novateurs navaient rien imagineacute de pareil Cet hommage rendu agrave saint Beacutenigne ne parut pas suffisant aux moines de labbaye car ils lui consacregraverent encore un tympan jadis encastreacute dans le mur du vestibule Il nexiste plus aujourdhui mais il a eacuteteacute reproduit avec beaucoup de soin par dom Plancher On y voyait le martyre du saint Beacutenigne envoyeacute en Gaule suivant la tradition par le Grec Polycarpe disciple de saint Jean lEacutevangeacuteliste avait refuseacute de sacrifier aux dieux Le gouverneur du Castrum de Dijon Aurelianus assisteacute de son lieutenant Terentius le fit comparaicirctre devant lui et le condamna aux supplices les plus raffineacutes Ce sont ces supplices que nous montre le tympan le saint est debout et deux bourreaux sont occupeacutes agrave sceller ses pieds dans la pierre avec du plomb fondu Les mains du martyr sont briseacutees elles laissaient voir sans doute autrefois les alegravenes enfonceacutees sous chacun de ses ongles Deux autres bourreaux viennent de recevoir lordre den finir avec linvincible athlegravete placeacutes symeacutetriquement agrave sa gauche et agrave sa droite comme le centurion et le porte-eacuteponge sur le Calvaire ils lui enfoncent leur pique dans la poitrine Le saint expire et comme son maicirctre penche la tecircte sur son eacutepaule A ce moment dit la leacutegende les chreacutetiens virent une colombe blanche seacutelever au-dessus de sa tecircte mdash eacutepisode que lartiste na eu garde doublier une main sortant du ciel manifeste la preacutesence de Dieu Le beau caractegravere de lœuvre sa noble symeacutetrie lui assignent une date voisine de la fin du XII

e siegravecle Dijon avait donc dignement ceacuteleacutebreacute son apocirctre La Bourgogne fut

au moyen acircge le pays des grands ordres monastiques et des saints abbeacutes Ce sont ces illustres abbeacutes que nous voudrions voir et que nous ne voyons pas Que saint Bernard qui interdit lart agrave ses moines comme un luxe inutile ne soit repreacutesenteacute nulle part il ne faut pas sen eacutetonner il la voulu ainsi Ce saint Franccedilois dAssise du XII

e siegravecle ne le cegravede agrave lautre que parce quil lui a manqueacute le

sentiment de la beauteacute Un de ses biographes raconte quil marcha une journeacutee entiegravere au bord du lac de Genegraveve et que le soir il demanda ougrave eacutetait le lac Ce nest pas lui qui eucirct composeacute dans un transport denthousiasme le Cantique des creacuteatures Mais ce qui surprend cest de ne rencontrer nulle part en Bourgogne au cœur mecircme de cet immense royaume clunisien limage des premiers abbeacutes de Cluny qui furent tous des saints De Cluny il est vrai presque tout a disparu mais rien ne les rappelle agrave Paray-le-Monial au ils vinrent si souvent rien agrave la Chariteacute-sugraver-Loire un de leurs plus magnifiques prieureacutes Labbaye de Souvigny cette fille cheacuterie de Cluny ougrave saint Maiumleul et saint Odilon furent ensevelis na mecircme pas su garder leur tombeau Leur souvenir y serait entiegraverement aboli si on ne voyait leur image peinte sur la porte dune armoire reliquaire de la fin du moyen acircge Ces noms aperccedilus tout agrave coup Maiumlolus et Odilo remuent profondeacutement la sensibiliteacute on voit en imagination cet eacuteloquent Maiumleul plus grand que les souverains de son temps par lintelligence et par lacircme et ce doux Odilon qui precirctait loreille aux voix de lautre monde et qui creacutea la fecircte des morts Mais si ces grands noms des abbeacutes de Cluny saint Odon saint Maiumleul saint Odilon saint Hugues seffacent si rien aujourdhui ne ramine leur souvenir dans la meacutemoire du visiteur de leurs eacuteglises la faute nen est sans doute pas aux artistes bourguignons du XII

e siegravecle ni aux moines clunisiens si

passionneacutes pour lart si profondeacutement attacheacutes agrave leurs souvenirs mdash mais agrave des geacuteneacuterations sans respect et sans amour qui ont tout aneacuteanti En Bourgogne une seule eacuteglise monastique conserve encore quelques peintures qui commeacutemorent son passeacute cest celle dAnzy-le-Duc (Saocircne-et-Loire) Anzy-le-Duc ne relevait pas de Cluny mais de labbaye de Saint-Martin dAutun que Brunehaut avait fondeacutee et ougrave elle avait son tombeau Des fresques peintes vers la fin du XIIe siegravecle dans labside de leacuteglise dAnzy racontent lhistoire du petit prieureacute fier de ses origines Au-dessous de lAscension du Christ on voit Lethbald et sa femme offrant agrave Dieu vers 876 leur villa dAnzy qui va devenir un monastegravere Un de leurs descendants fut ce Lethbald ce pegravelerin ceacutelegravebre dont le moyen acircge a plusieurs fois raconteacute lhistoire Contemplant Jeacuterusalem du haut du Mont des Oliviers il eut un tel transport de joie quil demanda agrave Dieu de le faire mourir le jour mecircme sa priegravere fut exauceacutee Fondeacute par Lethbald ou saint Lieacutebaud le prieureacute dAnzy-le-Duc fut gouverneacute par un saint saint Hugues dAutun Hugues ami de Bernon fondateur de Cluny eacutetait veacuteneacutereacute de toute la Bourgogne On venait consulter comme un oracle ce vieillard laquo dont la tecircte eacutetait blanche comme le duvet du cygne raquo On le consultait sur toute chose sur les maladies et sur les semailles aussi bien que sur les cas de conscience Les miracles quil faisait pendant sa vie sa chacircsse continua agrave les faire apregraves sa mort et elle attira longtemps les pegravelerins agrave Anzy-le-Duc Les fresques dAnzy racontent quelques traits de son histoire Toutes ces peintures recouvertes dun badigeon ont eacuteteacute retrouveacutees par hasard en 1856 et malheureusement fort restaureacutees elles font revivre un passeacute perdu dans la nuit Voilagrave un exemple de ce que faisaient les moines bourguignons pour perpeacutetuer leurs traditions et pour honorer leurs sainte Si saint Lieacutebaut et saint Hugues dAnzy inconnus aujourdhui ont eacuteteacute ceacuteleacutebreacutes par lart on peut bien croire que les Odilon et les Maiumleul navaient pas eacuteteacute oublieacutes

VII

La Bourgogne nous achemine vers la reacutegion parisienne Au XIIe siegravecle le saint le plus illustre de lIle-

de-Franccedile eacutetait saint Denis Sa gloire avait grandi avec la monarchie franccedilaise Il ne suffisait pas que

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saint Denis eucirct eacuteteacute le premier apocirctre de Paris il lui fallait une leacutegende digne du protecteur des rois de France et du gardien de leur tombeau On racontait donc que saint Denis de Paris eacutetait le mecircme personnage que saint Denis lareacuteopagite converti par saint Paul Il avait observeacute agrave Athegravenes leacuteclipseacute qui obscurcit le soleil agrave lheure ougrave Jeacutesus expira sur le Calvaire et plus tard il eacutecrivit ce livre fameux de la Divine Hieacuterarchie ougrave le ciel est deacutecrit ougrave Dieu apparaicirct dans sa gloire au milieu des cercles concentriques formeacutes par les anges Cest ce savant ce profond penseur qui avait eacuteteacute jugeacute digne deacutevangeacuteliser la ville de la science Son souvenir eacutetait cher aux Parisiens qui veacuteneacuteraient derriegravere Notre-Dame de Paris dans leacuteglise Saint-Denis-du-Pas le lieu ougrave il avait commenceacute son martyre agrave Saint-Denis-de-la-Chartre dans la Citeacute la prison ougrave il avait eacuteteacute enfermeacute et ougrave ses chaicircnes eacutetaient suspendues agrave Montmartre la place quil avait rougie de son sang Labbaye de Saint-Denis eacutetait le terme du pegravelerinage cest lagrave que reposait le martyr aupregraves de ses deux compagnons Rustique et Elcuthegravere Comment lart avait-il honoreacute saint Denis agrave Paris nous lignorons mais agrave labbaye de Saint-Denis nous lentrevoyons encore Le portail qui souvre agrave droite du spectateur dans la faccedilade de la basilique est deacutecoreacute dun bas-relief dont saint Denis est le heacuteros il emplit tout le tympan Il est reccedilu que ce bas-relief est reacutecent et les archeacuteologues passent sans lever les yeux mais ce deacutedain nest quagrave moitieacute justifieacute Assureacutement toutes les tecirctes sont modernes les draperies ont eacuteteacute visiblement retoucheacutees et quelques personnages mecircmes semblent entiegraverement refaits Loeuvre paraicirct ecirctre dhier pourtant le dessin geacuteneacuteral est ancien La composition ne date pas de 1839 elle nest pas du restaurateur Debret elle est bien de 1135 environ et appartient aux artistes de Suger Nous pouvons en croire le baron de Guilhermy qui a suivi avec tant dattention tout ce qui sest fait agrave Saint-Denis dans la premiegravere partie du XIX

e siegravecle A son teacutemoignage une seule chose dans ce portail est

entiegraverement moderne la seconde voussure avec ses personnages Le reste est une restauration dun original ancien La scegravene que Suger avait fait repreacutesenter dans le tympan eacutetait emprunteacutee agrave la leacutegende de saint Denis mais ce neacutetait ni sa conversion par saint Paul ni sa preacutedication ni son martyre on voyait Jeacutesus escorteacute dun vol danges descendant dans la prison ougrave le saint attendait la mort et le faisant communier de sa main Nous ne savons quand cet eacutepisode entra dans la leacutegende de saint Denis tout ce que nous pouvons dire cest que degraves le XI

e siegravecle une miniature dun missel de

labbaye de Saint-Denis le repreacutesente Cest une de ces belles leacutegendes ougrave le moyen acircge sexprime tout entier ougrave il reacutealise son eacuteternel deacutesir dunion avec le ciel Voilagrave limage que contemplait le pegravelerin en entrant dans la basilique et elle lui donnait une plus haute ideacutee de saint Denis que neucirct pu faire son martyre lui-mecircme Suger qui en toute chose est un novateur est le premier qui ait consacreacute un portail agrave la gloire dun saint il ny avait rien de pareil avant lui et apregraves lui on tardera assez longtemps agrave suivre son exemple Cest en effet agrave une eacutepoque assez avanceacutee du XII

e siegravecle

que nous rencontrons dans une reacutegion voisine de lIle-de-Franccedile un portail ougrave a eacuteteacute raconteacutee la leacutegende dun saint Non loin de Provins seacutelegraveve le prieureacute de Saint-Loup de Naud dont la belle eacuteglise remonte au XII

e siegravecle Saint Loup de Naud deacutependait de labbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens aussi

eacutetait-ce un eacutevecircque de Sens qui eacutetait le patron de leacuteglise Saint Loup que dans la reacutegion on appelait saint Leu eacutetait un de ces eacutevecircques du VIIe siegravecle qui tinrent tecircte aux rois meacuterovingiens et supportegraverent courageusement lexil Plein de bonteacute charitable assidu agrave visiter les anciens tombeaux il avait de son vivant la reacuteputation dun saint Mais son histoire ne tarda pas agrave se reacutesoudre tout entiegravere en miracles ces vieux reacutecits enchantegraverent Jacques de Voragine qui les reproduisit plus tard dans sa Leacutegende doreacutee Au portail de Saint-Loup de Naud les eacutepisodes de la vie du saint eacutevecircque ne sont pas sculpteacutes dans le tympan comme agrave Saint-Denis mais dans les voussures

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FIGURE L (leacuteglise de Saint-Loup-de-Naud - tympan)

Cest au portail du Mans quon vit pour la premiegravere fois les scegravenes des voussures former un reacutecit suivi la vie de Jeacutesus-Christ y est raconteacutee Lexemple fut suivi agrave Saint-Loup de Naud mais la leacutegende du saint y remplace lhistoire du Christ deacutejagrave les portails du XIII

e siegravecle sannoncent Le saint eacutevecircque

adosseacute au trumeau accueille les fidegraveles Un chapiteau sculpteacute placeacute au-dessus de sa tecircte le faisait reconnaicirctre agrave ceux qui eacutetaient familiers avec sa leacutegende on y voit un ange laissant tomber une pierre preacutecieuse dans le calice pendant que saint Loup ceacutelegravebre la messe Cette pierre preacutecieuse venue du ciel se conservait disait-on dans le treacutesor royal La leacutegende du saint se continue dans les voussures qui entourent le Christ en majesteacute du tympan On y aperccediloit la cloche de Saint-Eacutetienne de Sens Cette cloche avait un si beau son que le roi Clotaire la fit enlever de la catheacutedrale et transporter agrave Paris mais par la volonteacute de saint Loup elle devint muette soudain de sorte quil fallut la renvoyer agrave Sens ougrave le saint lui rendit sa voix harmonieuse Dautres merveilles se deacutechiffrent dans les voussures des prisonniers sont miraculeusement deacutelivreacutes de leurs liens puis par la toute-puissance de sa parole le saint emprisonne le deacutemon dans un grand vase Ces contes de feacutee prennent autant dimportance quun autre eacutepisode tout humain celui-lagrave et plein de beauteacute on voit le roi Clotaire vaincu par la grandeur morale du saint quil avait envoyeacute en exil sagenouiller devant lui et lui demander pardon Ce meacutelange de pueacuteriliteacute et de noblesse ne choquait alors personne Pour les hommes de ce temps rien nest grand rien nest petit puisquen toute chose se reacutevegravele la preacutesence de Dieu

VIII

Dans la France du Nord et de lOuest Picardie Normandie et Bretagne les eacuteglises romanes ne nous offrent plus rien aujourdhui qui rappelle les saints de ces provinces Au XII

e siegravecle la sculpture

monumentale fut un art agrave peu pregraves eacutetranger agrave ces reacutegions ce nest que par la fresque et par le vitrail quelles purent ceacuteleacutebrer leurs grands eacutevecircques et leurs saints abbeacutes mais fresques et vitraux ont disparu Le Maine a cependant conserveacute un magnifique vitrail du XII

e siegravecle consacreacute agrave lapocirctre de la

province saint Julien Au Mans aucun saint ne fut plus profondeacutement veacuteneacutereacute que saint Julien En 1117 lorsque Foulques comte dAnjou et du Maine assista avec sa femme et son fils agrave la conseacutecration de la catheacutedrale du Mans la ceacutereacutemonie termineacutee il prit entre ses bras son fils encore enfant et le deacuteposa sur lautel de saint Julien Il voulait signifier par lagrave quil le mettait sous la protection du grand saint du Mans tout-puissant aupregraves de Dieu On ne seacutetonne donc pas de rencontrer dans la catheacutedrale du Mans un grand vitrail consacreacute tout entier agrave la vie de saint Julien Saint Julien entre au Mans et y multiplie les miracles Il y fait jaillir une source avec son bacircton prodige sans doute symbolique il convertit et baptise le gouverneur de la citeacute romaine puis il lenvoie eacutevangeacuteliser Angers Chaque fois lapocirctre est repreacutesenteacute avec la mitre et la crosse de leacutevecircque Son œuvre acheveacutee saint Julien meurt paisiblement et les anges emportent son acircme au ciel Ainsi tandis que le Midi ceacuteleacutebrait les saints par la sculpture et lorfegravevrerie le Nord les ceacuteleacutebrait par le vitrail Nous navons encore rien dit de la Touraine et de son illustre saint Martin Cest que saint Martin neacutetait pas le saint dune province mais de la France tout entiegravere Tours il est vrai eacutetait le centre de son culte et cest agrave Tours que les artistes avaient raconteacute pour la premiegravere fois sa vie Un petit poegraveme de saint Paulin de Peacuterigueux prouve quau V

e siegravecle on avait peint ses miracles dans la fameuse basilique qui contenait son

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tombeau Au VIe siegravecle une autre eacuteglise de Tours la catheacutedrale fut deacutecoreacutee de fresques consacreacutees agrave son histoire elles eacutetaient expliqueacutees par des vers de Fortunat qui se sont conserveacutes deacutejagrave lon voyait saint Martin donnant au pauvre la moitieacute de son manteau La catheacutedrale de Tours a eacuteteacute rebacirctie quant agrave la basilique de Saint-Martin plusieurs fois reconstruite elle a eacuteteacute deacutetruite par la Reacutevolution Les peintures et les vitraux quon y voyait perpeacutetuaient peut-ecirctre le souvenir des anciennes fresques Aujourdhui Tours ne conserve aucune œuvre consacreacutee agrave saint Martin qui soit anteacuterieure au XIII

e

siegravecle Mais ce que Tours ne nous montre pas nous le trouvons ailleurs Il y avait en France des centaines deacuteglises deacutedieacutees agrave saint Martin aussi ne seacutetonne-t-on pas de rencontrer son image dans toutes les reacutegions Loeuvre la plus ancienne qui le repreacutesente a eacuteteacute deacutecouverte dans les Pyreacuteneacutees mais sur le versant espagnol cest un panneau peint qui se trouvait jadis dans leacuteglise de Montgrony en Catalogne et qui est aujourdhui au Museacutee eacutepiscopal de Vich Loeuvre est si archaiumlque par le dessin et par le costume quelle peut remonter au XI

e siegravecle Aujourdhui aucun

monument consacreacute agrave lhistoire de saint Martin nest plus ancien Cest lagrave que nous voyons pour la premiegravere fois le saint coupant en deux son manteau pour en donner la moitieacute au pauvre geste que lart reacutepeacutetera de siegravecle en siegravecle et que lartiste catalan avait reccedilu du passeacute Saint Martin porte le long bouclier et la lance agrave gonfanon des barons de la Chanson de Roland Un autre compartiment nous montre le saint sur son lit de mort il est eacutetendu sur le dos car il navait pas voulu se coucher sur le cocircteacute pour calmer ses souffrances laquo Laissez-moi disait-il contempler le ciel raquo au-dessus les anges emportent son acircme Cette histoire de saint Martin sinspirait sans aucun doute dun original franccedilais elle nous prouve que la gloire du saint avait peacuteneacutetreacute jusquau fond des valleacutees les plus reculeacutees Il eacutetait naturel de rencontrer saint Martin dans les grandes abbayes car cest lui qui avait creacuteeacute les premiers monastegraveres de la Gaule et ceacutetait lui qui eacutetait le veacuteritable ancecirctre de tous les moines dOccident Aussi un chapiteau du cloicirctre de Moissac lui est-il consacreacute On y voit pregraves de la porte dAmiens qui souvre entre deux tours le jeune cavalier couper son manteau et en donner la moitieacute au pauvre Aussitocirct le Christ apparaicirct entre deux anges les bras ouverts il eacutetale largement le manteau et semble loffrir agrave ladmiration du ciel Cest alors que saint Martin entendit en recircve ces paroles prononceacutees par le Christ laquo Voyez Martin il nest encore que cateacutechumegravene et il ma revecirctu de son manteau raquo Mais cest dans les reacutegions eacutevangeacuteliseacutees par saint Martin dans le Nivernais et la Bourgogne en particulier que lon doit sattendre agrave rencontrer son image Lagrave son souvenir est resteacute plus vivant quailleurs le Morvan est plein de sources miraculeuses quil a fait jaillir et les paysans montrent encore les empreintes laisseacutees par le pied de sa mule sur la pierre Cest pourquoi plusieurs chapiteaux de leacuteglise de Garchizy dans la Niegravevre eacutetaient consacreacutes agrave saint Martin Ces chapiteaux sont aujourdhui au Museacutee archeacuteologique de Nevers on y voit leacutepisode du manteau que suit lapparition du Christ Labbaye de Veacutezelay qui seacutelegraveve aux confins du Morvan avait gardeacute le souvenir du grand missionnaire des pays eacuteduens Un chapiteau de la nef raconte un eacutepisode de sa leacutegende qui avait deacutejagrave eacuteteacute peint au VI

e siegravecle dans la catheacutedrale de Tours Saint Martin veut faire couper un pin

sacreacute auquel les paiumlens rendaient un culte les paiumlens y consentent agrave la condition que le saint sexpose agrave la chute de larbre Saint Martin nheacutesite pas mais au moment ougrave le pin va leacutecraser il legraveve la main et larbre tombe agrave lopposeacute Le pin de Veacutezelay styliseacute avec un art naiumlf ressemble agrave une plante des tropiques Telles sont disseacutemineacutees dans nos provinces les quelques œuvres consacreacutees aux saints qui ont eacutechappeacute au temps Ce nest plus quun reflet un dernier rayon du soir qui laisse une lueur agrave la faccedilade de leacuteglise un eacuteclair dans le vitrail

LEacuteglise de France eut donc le culte de son passeacute et de bonne heure elle demanda agrave lart de le ceacuteleacutebrer Elle eacutetait fiegravere de ses saints qui formaient une suite ininterrompueune longue frise heacuteroiumlque Les siegravecles les plus steacuteriles ceux qui navaient eu ni eacutecrivains ni poegravetes ni artistes avaient eu leurs saints Ces siegravecles neacutetaient pauvres quen apparence puisque au sentiment des hommes dalors les saints eacutetaient les chefs-dœuvre de lhumaniteacute Comme Pascal lEacuteglise du moyen acircge mettait lordre de la chariteacute bien au-dessus de lordre de lintelligence cest pourquoi le moindre ermite qui dans la solitude avait reacuteussi agrave se vaincre lui-mecircme meacuteritait a ses yeux decirctre eacuteterniseacute par lart Lathlegravete avait eacuteteacute lideacuteal de la Gregravece antique lascegravete devint lideacuteal des temps nouveaux Au Moyen Age les hommes de notre race quand ils ont eacuteteacute grands ont toujours eacuteteacute des ascegravetes toujours ils ont meacutepriseacute le voluptueux Orient ses harems ses parfums la courbe enchanteacutee de ses arabesques Cette longue lutte de lOccident contre lOrient cest la lutte eacuteternelle de lesprit contre les sens La plus haute expression du moyen acircge cest le soldat qui se sacrifie le moine qui prie le saint qui foule aux pieds la nature Le saint voilagrave le vrai heacuteros de cet acircge cest lui qui par lenthousiasme quil excitait soulevait lhumaniteacute larrachait agrave son limon Encore aujourdhui le peuple qui sent instinctivement ce quil y a dextraordinaire dans la sainteteacute conserve la meacutemoire des saints Les paysans du Bourbonnais qui ont oublieacute les noms des rois de France connaissent encore saint Patrocle et saint Marien qui vivaient du temps de Greacutegoire de Tours Et nous aussi le nom dun saint inconnu nous inteacuteresse le lieu ougrave il a veacutecu nous eacutemeut lermitage la cellule le monastegravere habiteacutes par

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le saint conservent quelques chose de religieux comme chez les anciens ces lieux sacres quavait toucheacutes le feu du ciel

EMILE MALE

EXPLICATION TREgraveS CURIEUSE

DES

EacuteNIGMES ET FIGURES HIEacuteROGLYPHIQUES PHYSIQUES

QUI SONT AU GRAND PORTAIL

DE LEacuteGLISE CATHEacuteDRALE ET MEacuteTROPOLITAINE DE NOTRE-DAME DE PARIS

Par

LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT

Le Mercredi 20 de May 1640 veille de la glorieuse Ascension de notre Sauveur Jeacutesus-Christ apregraves avoir prieacute et sa tregraves-sainte Megravere Vierge en lEglise Catheacutedrale Meacutetropolitaine de Paris je sortis de cette belle et grande et consideacuterant attentivement son riche et magnifique Portail dont la structure est tregraves exquise depuis le fondement jusquagrave la sommiteacute de ses deux hautes et admirables Tours je fis les remarques que je vais expliquer Je commence par observer que ce Portail est triple pour former trois principales entreacutees dans ce superbe Temple seul corps de bacirctiment et annoncer la Triniteacute de Personnes en un seul Dieu sous lesquelles par lopeacuteration de son Esprit Saint son Verbe sest incarneacute pour le salut du monde dans les flancs de la Vierge sainte Symbole des trois principes ceacutelestes en uniteacute qui sont les trois principales clefs ouvrantes les principes [cest-agrave-dire le Mercure le Soufre et le Sel] et toutes les portes les avenues et les entreacutees de la nature sublunaire cest-agrave-dire de la segraveve universelle et de tous les corps quelle forme et produit conserve ou reacutegeacutenegravere

1deg La figure poseacutee au premier cercle du Portail vis-agrave vis lHocirctel-Dieu repreacutesente au plus haut Dieu le Pegravere Creacuteateur de lUnivers eacutetendant ses bras et tenant en chacune de ses mains une figure dhomme en forme dAnge Cela repreacutesente que Dieu Tout-Puissant au moment de la creacuteation de toutes choses quil fit de rien seacuteparant la lumiegravere des teacutenegravebres en fit ces nobles Creacuteatures que les Sages appellent Ame Catholique Esprit universel ou Souffre vital incombustible et Mercure de vie cest-agrave-dire lhumide radical geacuteneacuteral lesquels deux principes sont figureacutes par ces deux Anges [on a deacutejagrave eu loccasion de montrer que cet humide radical que Fulcanelli appelle meacutetallique ne peut ecirctre autre chose que des laquo chaux raquo meacutetalliques qui sont initialement incorporeacutees au Mercure sous forme de sulfates]

Dieu le Pegravere les tient en ses deux mains pour faire la distinction du souffre vital son huile de vie quon appelle Ame et du Mercure de vie ou humide premier neacute quon nomme Esprit quoique ce soit termes synonymes [il est remarquable de voir comment Gobineau emploie des termes parfaitement justes pour parler du Soufre et du Mercure lexpression huile de vie caracteacuterise leacutetat second du Mercure ducircment preacutepareacute et animeacute] mais seulement pour faire concevoir que cette Ame et cet Esprit tirent leur principe et leur origine du monde surceacuteleste et archeacutetypique ougrave est le Siegravege et le Trocircne plein de gloire du Tregraves-Haut dougrave il eacutemane surnaturellement et imperceptiblement pour se communiquer comme la premiegravere racine la premiegravere Ame mouvante et la source de vie de tous les Etres en geacuteneacuteral et de toutes les Creacuteatures sublunaires dont lhomme est le chef de preacutedilection Dans le cercle au-dessous du monde surceacuteleste et Archeacutetypique est le Ciel firmamental ou astral dans lequel paraissent deux Anges la tecircte pencheacutee mais couverte et enveloppeacutee

Linclination de ces deux Anges la tecircte en bas

[St-Pierre Fulcanelli le rappelle fut crucifieacute la tecircte en bas lhieacuteroglyphe ceacuteleste de Veacutenus peut de mecircme se voir agrave lendroit ougrave il figure Aphrodite ou agrave lenvers et il deacutesigne alors ce globe crucifegravere que les bons auteurs ont toujours deacutesigneacute comme la stibine ou mieux lalbacirctre des Sages]

nous donne agrave entendre que lAme universelle ou lEsprit Catholique ou pour mieux dire le souffle de la vertu de Dieu cest-agrave-dire les influences spirituelles du Ciel archeacutetypique descendent de lui au Ciel astral qui est le second monde eacutegalement ceacuteleste dit eacutetipique ougrave habitent et regravegnent les planegravetes et les eacutetoiles qui ont leur cours leurs forces et vertus pour laccomplissement de leur destination et de leurs devoirs selon les deacutecrets de la Providence qui les a ainsi ordonneacutes et subordonneacutes afin dopeacuterer par leur ministegravere et leurs influences la naissance et geacuteneacuteration de tous les Etres Spirituels et de toutes choses sublunaires participants de lAme et de lEsprit universel et par les deux Anges la tecircte en bas et qui sont vecirctus nous est deacutesigneacute que la semence universelle et

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spirituelle Catholique ne monte point mais descend toujours [la Roseacutee de mai est ici expresseacutement deacutesigneacutee] et lenveloppe dont elle est voileacutee dans les corps nous enseigne que cette semence ceacuteleste est couverte quelle ne se montre point nue mais quelle se cache avec soin aux yeux des ignorants et des Sophistes et nest point connue du vulgaire

3deg Au-dessous du Firmament est le troisiegraveme Ciel ou leacuteleacutement de lair dans lequel paraissent trois enfants environneacutes de nuagesCes trois enfants signifient les trois premiers eacuteleacutements de toutes choses appeleacutes par les sages principes principians dont les trois principes infeacuterieurs sel souffre et mercure tirent leur origine et quon nomme principes principieacutes pour les distinguer des premiers quoique tous ensemble ils descendent du Ciel archeacutetypique et partent des mains de Dieu qui de sa feacuteconditeacute remplit toute la nature mais toutes les influences spirituelles et ceacutelestes semblent ecirctre eacutemaneacutees des deux premiers Cieux avant de sunir agrave aucun corps sensible ce qui fait que toute eacutemanation spirituelle du premier Ciel ou de lArcheacutetypique est appeleacutee Ame et celle du second Ciel ou Firmament est nommeacutee Esprit

Ce sont donc cette Ame et cet Esprit invisibles et purement spirituels qui remplissent de leurs vertus actives et vivantes le troisiegraveme Ciel appeleacute Eleacutementaire ou le Ciel typique parce que cest le seacutejour des Eleacutements qui mus ordonneacutes et subordonneacutes par les deux mondes supeacuterieurs agissent agrave leur tour par commotion et mouvement descendant ascendant progreacutediant et circulaire sur tous les Etres infeacuterieurs et sur toutes les Creacuteatures sublunaires composes de leurs qualiteacutes mixtes quon nomme les quatre tempeacuteraments

Or cette Ame eacutemaneacutee dans le monde Eleacutementaire quelle remplit de sa lumiegravere vivifiante est appeleacutee souffre et lesprit eacutemaneacute du monde ou Ciel firmamental qui est en principe lhumide radical de toutes choses auquel ce souffre ou la chaleur lumineuse est attacheacute et adheacuterant comme agrave son premier et dernier aliment est appeleacute Mercure ou lhumide premier neacute qui est lhumide radical de toutes choses et par conseacutequent indivisible du souffre ou acircme eacutetheacutereacutee laquelle eacutetant un feu ceacuteleste lumineux et chaud ne peut subsister sans son union intime et indissoluble avec cet esprit son humide radical mais cela est au-dessus de la porteacutee des insenseacutes [Gobineau parle ici de la neacutecesssiteacute que le meacutetal soit reacuteincrudeacute cest-agrave-dire dissous au sein du Mercure]

Cette Ame et cet Esprit unis comme une seule et mecircme essence partant du mecircme principe et ne faisant pour ainsi dire quune mecircme chose puisquils ne sont divisibles que par lesprit ne peuvent ecirctre vus ni toucheacutes mais seulement conccedilus et compris par les sages Investigateurs de la Science de Dieu et de la Nature cette Ame et cet Esprit ne nous deviennent sensibles que par le lien indivisible qui les attache lun agrave lautre or ce lien quon nomme sel [il faut bien ici diffeacuterencier le lien entre les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature quil sagit de conjoindre du lien du Mercure dont nous parlons dans la section des blasons alchimiques] est leffet de leur union et amour mutuel et un corps spirituel qui nous les cache et les enveloppe dans son sein comme ne faisant quune seule et mecircme chose de trois ce que les gens peacutetris de preacutejugeacutes nentendront et ne comprendront point

Ce Sel est celui de la Sapience cest-agrave-dire la copule et le ligament du feu et de leau du chaud et de lhumide en parfaite Homogeacuteneacuteiteacute et qui est le troisiegraveme principe [Gobineau deacutevoile ici un secret de haut lignage il sagit de ce que nous avons appeleacute le sel harmoniac sophique] il ne se rend point visible ni tangible dans lair que nous respirons ougrave il est subtil et fluide et il ne manifeste son corps visible que par son seacutejour et deacutepocirct en reacutesidu dans les mixtes ou composeacutes deacuteleacutements quil fixe et encloue en se mecirclant intimement au Souffre Mercure et Sel qui sont des principes naturels agrave lui fort analogues et Constituteurs des Creacuteatures Sublunaires

Le Sel ceacuteleste est le principe principiant qui procegravede de lAme et de lEsprit cest-agrave-dire de leur action ou pour mieux dire du souffre et du Mercure eacutetheacutereacutes il est le moyen et le milieu qui les unit dans leur action pour se traduire en fluide dans le souffre le Mercure et le Sel de nature sous un corps visible et tangible lors appeleacute par les Sages de toutes sortes de noms tantocirct Sel Alkali Sel Armoniac Salpeacutetre des Philosophes et tantocirct de mille surnoms symboliques ou agrave son origine ou agrave sa descension ou bien agrave son essence corporelle pour prouver queacutetant lAme IEsprit et le Corps universel de la Nature il est susceptible de toutes sortes de deacutetermination quil plaira agrave la Nature ou agrave IArtiste de lui donner selon lArt de la Sagesse [cest au fond ni plus ni moins quun bi-silicate qui est ici deacutesigneacute le secret reacuteside dans le dosage exact des eacuteleacutements accessoires tels la chaux la silice et lagent mineacuteralisateur proprement dit]

Mais il ne faut point perdre de vue que cest du monde surceacuteleste que la source de la vie de toutes choses tire son origine et que cette vie est appeleacutee Ame ou Souffre [cest loxyde qui assure la teinture de la pierre par conseacutequent cest lui qui loriente mais la nature de la terre vitrifiable ou cimolienne intervient aussi] que du monde ceacuteleste ou firmamental procegravede la lumiegravere quon

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appelle Esprit autrement humide ou Mercure et que cette Ame et cet Esprit remplissant de leur feacuteconditeacute vivifique le troisiegraveme monde appeleacute Eleacutementaire leur action eacutenergique et eacutelastique perpeacutetuellement circulaire [cette ideacutee de cercle fondement de lart si lon se reacutefegravere au serpent Ourobouros a trait au caractegravere permanent constant du feu secret] y porte et produit le Feu tout divin analogique de chaleur et dhumide radicaux mais qui est imperceptible et invisible non vulgaire ni grossier et par lequel comme Feu de vie par essence nourrissant Reacuteparateur Conservateur et non Destructeur les choses deviennent palpables et de soliditeacute corporelle [on a dit dans une autre section que laction du dissolvant loin de dissoudre consiste au contraire agrave joindre les deux chaux en une accreacutetion cest lapparition de Deacutelos] Dougrave il faut conclure que ces trois substances Souffre Mercure et Sel universel ceacutelestes sont les vrais principes principians de la geacuteneacuteration de toutes choses et que ces trois substances naturelles et sublunaires dans lesquelles les trois premiegraveres se rendent infuses et corporifieacutees sont les veacuteritables principes principieacutes constituteurs de la geacuteneacuteration des Corps par lencloument et la fixation quils font des qualiteacutes eacuteleacutementaires propres agrave la tempeacuterature des individus selon les Deacutecrets de la Providence

Cest ce qui a fait dire aux Sages que le Sel spirituel qui sert denveloppe et de lien au Souffre et au Mercure ceacutelestes eacutetait la seule et unique matiegravere dont se fait la Pierre des Philosophes et que comme ces trois substances identifieacutees par leur union nen faisaient quune la Pierre neacutetait point faite de plusieurs choses mais dune seule chose composeacutee trine en essence unique de principe et quadrangulaire de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees [cette forme nest autre que le rhomboegravedre tronqueacute forme presque cubique offerte par la Pierre] cependant cela se doit entendre agrave certains eacutegards qui puissent tomber sous lintelligence de lesprit et des sens en mecircme temps cest-agrave-dire quil ne faut pas simaginer que la matiegravere de la Pierre triangulaire et quadrangulaire des Sages se doive ni puisse prendre en son eacutetat de fluide aeacuterien invisible mais il faut entendre quil est neacutecessaire de chercher et trouver cette mecircme matiegravere de fluide aeacuterien infuse et corporifieacutee en une terre Vierge des enfants de la Nature qui en sont les mieux partageacutes les plus hautement et copieusement favoriseacutes et en qui les premiers et les seconds Agents unis ont plus de digniteacute dexcellence et de vertu Car la racine du Souffre des Sages de leur Mercure et de leur Sel est un Esprit ceacuteleste Spirituel et surnaturel qui par le veacutehicule de lair subtil se porte et se condense en air ou vapeur eacutepaissie et fait une matiegravere universelle et lunique de toute procreacuteation

4deg Au-dessous de ces trois enfants placeacutes dans leacuteleacutement de lair est le Globe de lEau et de la Terre sur laquelle paissent des animaux comme un mouton un taureau etc Le Globe de l Eau et de la Terre nous deacutesignent les Eleacutements infeacuterieurs tels que lEau et la Terre dans lesquels le Feu ceacuteleste et lhumide radical tregraves subtil par le moyen de lair sinsinuent jusquau profond et y circulent incessamment par leur propre vertu sous la forme invisible dun Esprit surceacuteleste et de vie qui selon David Psaume18 v 6 7 8 a son Tabernacle dans le Soleil dougrave par sa vertu eacutenergique comme un Epoux qui se legraveve de sa couche nuptiale il seacutelance pour parcourir la voie des Eleacutements ainsi quun

superbe Geacuteant [allusion aux Titans qui deacutesigne de la chaux] qui mesure son eacutelan et ses forces dans la vaste eacutetendue de lair sa sortie est du plus profond des Cieux de lagrave il procegravede peacutenegravetre partout et ne laisse rien priveacute de la chaleur de sa preacutesence vivifiante de lexpression mecircme de Salomon en son Eccleacutesiastes c 1 v 5 6 Cest ce mecircme Esprit divin qui eacuteclaire limmensiteacute de lUnivers qui se poussant et repoussant par vertu eacutenergique et eacutelastique en circuit du centre agrave lexcentre et en la capaciteacute de tout retourne sans cesse et perpeacutetuellement dans les cercles quil deacutecrit par son mouvement et son cours eacuteternel et universel

Cest ainsi que cet Esprit universel par le feu et lhumide nourrit les poissons dans leau les animaux sur la terre et les insectes en terre quil fait veacutegeacuteter les Plantes et produit les Mineacuteraux [cf la section sur le Mercure et les blasons alchimiques] et Meacutetaux au Centre et dans les entrailles de la Terre pourquoi son influence circulante comme Feu vital uni agrave lhumide radical par le Sel de Sapience est la semence universelle qui se congegravele et dont la vapeur seacutepaissit au centre de toutes choses cette semence spirituelle opegravere dans les diffeacuterentes matrices selon leurs dispositions leur nature leur genre leur espegravece et leur forme particuliegravere pour produire toutes les geacuteneacuterations en y mettant le mouvement et la vie

Quant aux deux animaux paissant qui sont le mouton et le taureau cest pour nous dire quau retour du Printemps et dans les deux premiers mois qui sont mars et avril auxquels ces deux animaux dominent en qualiteacute de signes du zodiaque la matiegravere universelle creacuteative et reacutecreacuteative eacutetant plus amoureuse de la Vertu ceacuteleste [allusion agrave la roseacutee de mai] qui y infuse ses proprieacuteteacutes vitales copieusement est plus abondante vertueuse et exalteacutee par conseacutequent aussi plus qualifieacutee quen un autre temps [voir lemblegraveme de Limojon de St-Didier]

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5deg Au-dessous de ces deux animaux on voit un corps comme endormi et coucheacute sur son dos sur lequel descendent de lair deux ampoules le col en bas lune adressant vers le cerveau et lautre vers le cœur de cet homme endormi Ce corps ainsi figureacute nest autre chose que le sel radical et seacuteminal de toutes choses lequel par sa vertu magneacutetique [cest lAimant de Philalegravethe il sagit du dissolvant qui assure la laquo disparition raquo initiale des chaux meacutetalliques cest lune des putreacutefactions de Le Breton] attire agrave soi lacircme et lesprit Catholiques qui lui sont homogegravenes et qui sans cesse sinsinuent et se corporifient dans le sel ce qui est repreacutesenteacute par les deux ampoules ou fioles contenants la chaleur et lhumiditeacute naturelle et radicale et ce sel ayant ainsi attireacute et corporifieacute ces deux substances en lui leur union spirituelle lui ayant acquis de prodigieux degreacutes de force il se pousse et peacutenegravetre dans le point central des individus et duniversel que ce sel eacutetoit il se particularise se corporifie se deacutetermine et devient rose dans le rosier or dans largent vif mineacuteral or dans lor plante dans le veacutegeacutetal roseacutee dans la roseacutee homme dans lhomme dont le cerveau repreacutesente lhumide radical lunaire et le cœur signifie la chaleur naturelle solaire veacutehiculeacutee dans le premier comme sa matrice

6deg Au cocircteacute droit des mecircmes trois enfants un peu plus bas que lair est un escalier par lequel monte agrave genoux un homme ayant les mains jointes et eacuteleveacutees en lair duquel eacuteleacutement il descend une ampoule ou fiole et au haut de lescalier il y a une table couverte dun tapis avec une coupe dessus Lescalier nous apprend quil faut seacutelever agrave Dieu le prier agrave genoux de coeur desprit et dacircme pour avoir ce don qui est le Magistegravere des Sages et vraiment un tregraves grand don de Dieu [assonance en grec entre le soufre et Dieu la matiegravere premiegravere est un sulfate] une gracircce singuliegravere de sa bonteacute et quil ne faut pas ecirctre en des lieux bas [cest tout le contraire lun des eacuteleacutements neacutecessaire agrave la preacuteparation du feu secret ne se trouve que dans les caves et les eacutetables] pour prendre la premiegravere matiegravere universelle qui contient la forme veacutegeacutetale et geacuteneacuterale du monde lampoule qui descend de lair signifie la liqueur ou roseacutee ceacuteleste qui deacutecoule premiegraverement de linfluence surceacuteleste se mecircle ensuite avec la proprieacuteteacute des astres et dicelles mecircleacutees ensemble il se forme comme un tiers entre terrestre et ceacuteleste voilagrave comme se forme la semence et le principe de toutes choses

Pour la coupe qui est sur la table elle repreacutesente le vase avec lequel on doit recevoir la liqueur ceacuteleste [cest le vase dit laquo de nature raquo reportez-vous agrave Cybegravele]

7deg Au cocircteacute gauche de cette mecircme Porte de ce grand portail sont quatre grandes figures de grandeur humaine qui chacune ont un symbole sous leurs pieds La premiegravere la plus proche de la porte a sous ses pieds un dragon volant qui deacutevore sa queue [symbole classique lune des gravures du De lapide philosophorum de Lambsprinck exprime parfaitement lalleacutegorie] La deuxiegraveme a sous ses pieds un lion dont la tecircte est contourneacutee vers le Ciel ce qui lui lait faire un effort de contorsion de col

[cette contorsion preacutesente un inteacuterecirct hermeacutetique majeur le deacutetour se dit en grec dont lune des acceptions est circonvolution mouvement de rotation combien de fois navons-nous pas rencontreacute ce mouvement denroulement ce resserrement Nous donnons cet extrait de nos blasons alchimiques qui permettra au lecteur la facile identification de notre Sujet en sa premiegravere matiegravere

Proche du filet la spirale se retrouve sur des pierres celtiques et lon peut citer avec R Viel la laquo pierre omphaloiumlde de Turoe comteacute de Galway raquo laquelle laquo date de leacutepoque de la Tegravene (300 ans av J-C) raquo Ces spirales repreacutesentent une reacuteserve de forces au plan hermeacutetique La cabale alchimique permet dy deacuteceler des indices de corps astringent qui laquo resserrent ou eacutetreignent raquo possegravedent une odeur stiptyque et sont freacutequemment associeacutes agrave certains symboles ici cest Bacchus qui est mentionneacute et le sujet des Sages est compareacute au lierre (consideacutereacute comme la partie mineacuterale) lagrave cest un arbre scieacute et eacutetreint quon peut observer crsquoest-agrave-dire un arbre mutileacute qui est compareacute au meacutetal dans un des caissons du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne (DM II) Le lierre (hedera) enguirlande le thyrse (javelot) de Bacchus il peut ecirctre compareacute aux serpents enrouleacutes en spirale autour du caduceacutee de Mercure et marque le caractegravere astringent ou styptique dune substance Dans le mecircme ordre drsquoideacutee on peut rapprocher par analogie le lierre dune plante souple qui sert agrave lier la vigne (ampelosdesmos) et notamment la couleuvreacutee (vitis alba) Enserrer lier cest bien cette action quexprime le personnage de la FIGURE XVI ougrave lon peut deviner un vautour expirant Ce vautour ou aigle a la mecircme valeur que le dragon expirant que lon voit sur lune des quatre Vertus au tombeau des Carmes que lon peut visiter dans notre section des Gardes du corps de Franccedilois II cette Vertu cest la Force Ce corps astringent nous lavons nommeacute de nombreuses fois et il est habituellement associeacute au bleacute On lextrait de la terre de Samos ou de la terre de Chio et il repreacutesente la reacutesine de lor Ce corps sapparente au 1

er Mercure ou sel des Sages]

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La troisiegraveme a sous ses pieds la figure dun ridicule qui se rit et se moque des figures quil regarde et qui semblent se preacutesenter agrave lui [il sagit du laquo fou raquo de loeuvre cest le Mercure] Et la quatriegraveme foule aux pieds [la terre agrave foulon est dun inteacuterecirct hermeacutetique majeur reporte-vous agrave la section sur la matiegravere premiegravere] un chien et une chienne qui tous sentremordent vigoureusement et semblent vouloir se deacutevorer lun et lautre [il sagit bien sucircr du chien de Corascegravene et de la chienne dArmeacutenie dArteacutephius ce sont les deux natures meacutetalliques de loeuvre]

Par le dragon volant qui deacutevore sa queue est repreacutesenteacutee la Pierre des Philosophes composeacutee de deux substances ou mercure dune mecircme racine et extraite dune mecircme matiegravere lune desquelles substances est lesprit eacutetheacutereacute humide et volatil et lautre est le souffre ou sel de nature corporel sec et fixe lequel par sa nature et sicciteacute interne [alkali fixe tartre vitrioleacute] deacutevore sa queue glissante de dragon cest-agrave dire dessegraveche lhumiditeacute et la convertit en Pierre aideacute par le feu constant dans la concaviteacute de lesprit eacutetheacutereacute humide siegravege de lacircme Catholique Le lion courbeacute qui regarde vers le Ciel deacutenote le corps ou sel animeacute qui deacutesire reprendre avec aviditeacute son acircme et son esprit

La figure du ridicule repreacutesente les faux Philosophes et Sophistes ignorants qui samusent agrave travailler sur des matiegraveres heacuteteacuterogegravenes et ne rencontrent rien de bon se moquent de la Science hermeacutetique et disent quelle nest pas vraie mais purement illusoire en quoi ils offensent la veacuteriteacute Divine qui a mis ses plus riches treacutesors dans le sujet Le chien et la chienne qui sentre-deacutevorent que les Sages appellent chien dArmeacutenie et chienne de Corascegravene signifient que le combat des deux substances de la Pierre est dune seule racine car lhumide agissant contre le sec se dissout et ensuite le sec agissant contre lhumide qui auparavant avait deacutevoreacute le sec est englouti par le mecircme sec et reacuteduit en eau segraveche [il sagit du Mercure philosophique] et cela sappelle prendre dissolution de corps et congeacutelation de lesprit ce qui est tout le travail de lŒuvre hermeacutetique

8deg Au dessous de ces grandes figures dans un pilier proche le Portail est la figure dun Evecircque [cest le conducteur ou laquo lappariteur raquo de loeuvre on peut lassimiler au sel harmoniac sophique] chargeacute de sa mitre et de sa crosse en posture meacuteditative Cet Evegraveque repreacutesente Guillemus Parisiensis ou bien celui qui a fait construire ce magnifique Portail et qui y a fait mettre les Enigmes [cet eacutevecircque a fait lobjet dun commentaire deacutetailleacute de Fulcanelli dans son Mystegravere des Catheacutedrales cf Cambriel]

9deg Au pilier qui est au milieu et qui seacutepare les deux portes de ce Portail est encore la figure dun Evecircque lequel met sa Crosse dans la gueule dun dragon qui est sous ses pieds et qui semble sortir dun bain ondoyant dans lesquelles ondes parait la tecircte dun Roi agrave triple Couronne qui semble se noyer dans les ondes puis en sortir derechef [cest lalleacutegorie semblable agrave celle de lapparition de Deacutelos qui consacre le deacutebut de laccreacutetion du Soufre agrave la Terre]

Cet eacutevecircque repreacutesente le sage Artiste Chimique lequel fait par son art congeler [voyez le reacutecit de De Cyrano Bergerac combat entre la reacutemore et la salamandre] la substance volatile du dragon mercuriel qui veut seacutelancer et sortir du vase qui le contient sous la forme deau ondoyante cest-agrave dire quil est exciteacute agrave ce mouvement interne par une douce chaleur externe et ce Roi couronneacute est le souffre de nature qui est fait par lunion physique et excentrique des trois substances homogegravenes mais seacutepareacutees par lArtiste de la premiegravere matiegravere Catholique lesquelles trois substances sont lesprit eacutetheacutereacute mercuriel le sel sulfureux ou nitreux et le sel alkali ou fixe et qui conserve son nom de sel entre les trois principes principians et les trois principes principieacutes qui tous trois eacutetaient contenus dans le chaos humide dans lequel ce Roi se noye et semble demander du secours quil nobtient de lArtiste alchimique quapregraves secirctre dissous dans le dissolvant de sa propre substance qui lui est semblable apregraves quoi il aura meacuteriteacute decirctre satisfait en sa demande cest-agrave dire quapregraves quil a eacuteteacute englouti et fait eau par son eau [il sagit dune substance qui se dissout dans son eau de cristallisation] il se congegravele par sa chaleur interne exciteacute par son sel ou sa propre terre par laquelle opeacuteration simple naturelle et sans meacutelange se fait le Magistegravere des Sages qui nest autre chose que dissoudre le corps et congeler lesprit apregraves avoir mis dans loeuf cristallin le poids convenable de lune et lautre substance qui sont triple et une car tout le travail de lŒuvre est de monter et descendre successivement quon appelle ascension et descension jusquagrave ce que de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees contraires homogeacuteneacuteiseacutees lon fasse trois principes constitutifs et ordonnateurs que des trois lon fasse apparaicirctre le feu et leau le sec et lhumide que de ces deux lon fasse un seul parfait peacutetrifieacute en sel qui contient tout le Ciel et la terre en eacutepuration et cuisson des heacuteteacuterogegravenes

10deg Au Portail agrave main droite lon voit les douze signes du Zodiaque diviseacutes en deux parties en ordre selon la science de Dieu et de la nature En la premiegravere partie du cocircteacute droit sont les signes du Verseur deau et des Poissons qui sont hors dœuvre ce quil faut remarquer et noter Puis en oeuvre sont le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux au dessus lun de lautre Et au dessus des Jumeaux

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est le signe du Lion quoique ce ne soit pas son rang car il appartient agrave LEcrevisse mais il faut consideacuterer cela comme mysteacuterieux Les signes du Verseau et des Poissons sont mis hors dœuvre cest expresseacutement pour faire connaicirctre quaux deux mois de janvier et feacutevrier on ne peut avoir ni recueillir la matiegravere universelle [cest purement alleacutegorique les signes zodiacaux sont des hieacuteroglyphes ceacutelestes voila tout] Pour le Beacutelier et le Taureau ainsi que les Jumeaux qui sont en œuvre Lun au-dessus de lautre et qui regravegnent au mois de mars davril et de mai ils apprennent que cest dans ce temps lagrave que le sage Alchimique doit aller au devant de la matiegravere et la prendre agrave linstant quelle descend du Ciel et du fluide aeacuterien ougrave elle ne fait que baiser les legravevres des mixtes et passer par dessus le ventre des Bourgeons et des feuilles Veacutegeacutetables qui lui sont sujettes pour entrer triomphante sous ses trois principes universels dans les corps par leurs portes doreacutees et y devenir la semence de la rose ceacuteleste ce qui sentend par symbole Alors son amour lui fait jeter des larmes qui ne sont rien plus que lumiegravere de laquelle le Soleil est le pegravere revecirctu dune humiditeacute de laquelle la Lune est la megravere et que le vent de lOrient apporte dans son ventre dans cet eacutetat vous lavez universelle et non deacutetermineacutee dautant que vous laurez prise auparavant quelle soit attireacutee par les aimants des individus speacutecifiques et quelle soit speacutecifieacutee en iceux

Au regard du signe du Lion qui est poseacute au-dessus de Jumeaux ougrave devrait ecirctre placeacutee lEcrevisse cest pour faire entendre quil y a quelque changement et une alteacuteration des Saisons contenue dans le travail manuel et physique de la Pierre et qui nest pas si propre pour recevoir et prendre la matiegravere quau temps ougrave regravegnent le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux car en eacuteteacute pendant les grandes chaleurs par lardeur et la pompe du Soleil qui exhale beaucoup dhumide radical pour sa substance son entretien et sa nourriture il se fait une grande dissipation et deacuteperdition des esprits et la plus grande partie de la matiegravere increacutementale et nourriciegravere des corps est convertie dans la spiritualiteacute aeacuterienne dont on ne peut la retirer que par le moyen de laimant physique et phylosophique qui lui est homogegravene cest-agrave-dire par une tempeacuterature assaisonneacutee dhumide qui est son aimant et son enveloppe

11deg Au bas un peu au-dessus du Verseau et vis-agrave-vis des Poissons lon voit un Dragon volant qui semble regarder seulement et fixement Aries Taurus et Gemini cest-agrave-dire les trois figures du Printemps qui sont le Beacutelier le Taureau et les JumeauxCe Dragon volant qui repreacutesente lesprit universel et qui regarde fixement les trois figures semble nous dire affirmativement que ces trois mois sont les seuls dans le cours desquels lon peut recueillir fructueusement cette matiegravere ceacuteleste que lon appelle lumiegravere de vie laquelle se tire des rayons du Soleil et de la Lune par la coopeacuteration de la nature un moyen admirable et un art industrieux mais simple et naturel

12deg Proche et derriegravere ce Dragon volant est figureacute un Ridicule et derriegravere ce Ridicule est un chien assis sur le dos sur lequel chien est poseacute un oiseau Ce Ridicule est un moqueur de la science hermeacutetique en question un rieur meacuteprisant des opeacuterations des vrais Sages et Philosophes et de tous leurs Partisans quil estime insenseacute tout aveugleacute quil est dans lerreur vulgaireLa figure de ce Chien poseacute sur le dos sur lequel est un oiseau nous fait entendre que ce chien est le corps ou le sol de la matiegravere universelle fidegravele agrave lArtiste qui sccedilait la travailler et loiseau repreacutesente lesprit de la mecircme matiegravere lequel y est poseacute cette matiegravere est connue communeacutement sous les noms de souffre et de mercure le sel pour tiers et copule ou liaison y eacutetant compris comme indivisible des deux qui sont le corps et lesprit

13deg En la seconde partie de ce Portail au cocircteacute gauche et tout en haut est le signe de lEcrevisse agrave la place dit Lion qui est de lautre cocircteacute du mecircme PortailSur la mecircme ligne de lEcrevisse sont la Vierge [symbole de la matiegravere primitive Virga paritura] la Balance et le Scorpion [symbole des deux

natures meacutetalliques par son venin ] tous quatre en oeuvre Et ensuite le Sagittaire [qui a des rapports avec Arteacutemis] et le Capricorne [dont Saturne-Cronos est le maicirctre] qui sont hors doeuvre Par lEcrevisse ainsi placeacutee en haut est teacutemoigneacute que la matiegravere Lunaire a eacuteteacute bien abondante mais que labondance nen est plus si grande agrave cause que les Pleiumlades qui sont des constellations humides sen retournent La Vierge la Balance et le Scorpion sont les derniers degreacutes de chaleur pour la coction de loeuvre Phylosophique car en ce temps Automnal la maturiteacute des fruits se parfait par le Sagittaire et le Scorpion qui sont hors doeuvre ce qui deacutemontre leur frigiditeacute et sicciteacute et que ces qualiteacutes conccedilues par lesprit intelligent sont neacuteanmoins invisibles exteacuterieurement en la matiegravere de notre Magistegravere

14deg A droite et agrave gauche de ces douze Signes du Zodiaque qui repreacutesente le cours de lanneacutee sont quatre figures repreacutesentant les quatre Saisons qui sont lHiver le Printemps lEteacute et lAutomne Par ces quatre Saisons il est donneacute agrave entendre que le Composeacute phylosophique doit ecirctre entretenu en lathanor ou fourneau de cuisson pendant un an et plus ce qui fait dix mois hermeacutetiques par les degreacutes dune chaleur qui soit douce et proportionneacutee au commencement et puis un peu plus forte

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sur la fin et cependant lineacuteaire comme pour faire colorer et mucircrir les fruits qui se recueillent pendant trois de ces Saisons agrave savoir le Printemps lEteacute lAutomne moyennant quoi lArtiste acquiert la Meacutedecine au blanc Symbole de la Vierge megravere et Pascale quil peut arrecircter et prendre au cercle citrin comme Meacutedecine lunaire universelle parfaite ou bien continuer sans interruption de travail et pousser jusquau rouge parfait qui en est produit comme Meacutedecine solaire universelle et souveraine accomplie au temps de sa naissance marqueacutee solennellement par les Sages

15deg Au-dessous de huit grandes Figures du mecircme Portail dont il y en a quatre de chaque cocircteacute et tout en bas sont deacutemontreacutees les vraies opeacuterations pour faire et parfaire la Meacutedecine universelle que le Curieux apprenti de cette Oeuvre divine pourra expliquer ou se les faire expliquer mais jamais ne les expliquer par eacutecrit

16deg Lon voit six Figures au Portail du milieu au cocircteacute droit La premiegravere est un Aigle [symbole complexe lun des plus difficiles agrave appreacutehender lAigle a rapport avec la sublimation] la seconde un Caduceacutee entortilleacute de deux serpents [double Mercure] la troisiegraveme un Pheacutenix qui se brille la quatriegraveme un Beacutelier la cinquiegraveme un homme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair et la sixiegraveme est une Croix au trait quarteacute ougrave il se voit dun cocircteacute sur la ligne transversale une larme et sur la mecircme ligne de lautre cocircteacute un calice en cette forme[] Ces six Figures ne sont pour ainsi dire que la reacutepeacutetition de ce qui a deacutejagrave eacuteteacute dit tant de fois sous diffeacuterentes figures et diffeacuterents termes qui sont ineacutepuisables par le peu de travail et la simpliciteacute de la matiegravere qui ne se fait neacuteanmoins connaicirctre quaux vrais Philosophes et non pas aux Sophistes ignorans quelques recherches quils en fassent parce que leur intention est mauvaise et orgueilleuse et que ce Don divin nest accordeacute quaux simples et humbles de coeur meacutepriseacutes du reste du monde insenseacute et assez malheureux en son aveuglement pour ne se repaicirctre que de fables transitoires

1deg Laigle par exemple ne signifie autre chose que lEsprit universel du monde et cest lOiseau dHermegraves et le mouvement perpeacutetuel des Sages

2deg Le Caduceacutee entortilleacute de deux serpents enseigne que la Pierre est composeacutee de deux substances quoique tireacutee du mecircme corps et extraite de la mecircme racine ces deux substances neacuteanmoins semblent ecirctre contraires eu apparence lune eacutetant humide et lautre seiche [segraveche] lune volatile et lautre fixe mais elles sont semblables en essence et en effets parce quelles sont deux de nature venant dun seul principe quoiquelles ne soient reacuteellement quune

3deg Le Pheacutenix qui se brucircle et renaicirct de ses propres cendres nous apprend que ces deux substances apregraves avoir eacuteteacute mises dans loeuf philosophique en lAthanor agissent longtemps et naturellement lune contre lautre quelles se livrent de furieux combats avant de sembrasser et de sunir que la guerre est longue avant de recevoir le baiser de paix que les flots de la Mer philosophique sont longuement agiteacutes par le flux et reflux avant que la bonace et le calme puissent succeacuteder et reacutegner enfin que les travaux sont bien grands auparavant que ces deux substances se reacuteduisent finalement en poudre ou souffre incombustible car cela ne se peut faire quapregraves que lhumide Mercuriel a eacuteteacute consommeacute ou plutocirct desseacutecheacute par la grande activiteacute du chaud et sec interne de la substance corporelle du Sel de nature et que tout le compost est fait semblable Cest apregraves ces brucirclemens ou calcinations philosophiques que cette poudre le vrai Pheacutenix des Sages car il ny a point dans le monde dautre Pheacutenix que celui-lagrave eacutetant dissout derechef dans son lait virginal retourne agrave reprendre naissance par soi-mecircme et de ses propres cendres et continue ainsi agrave renaicirctre et mourir tout autant de fois quil plaicirct agrave lArtiste bien expeacuterimenteacute

4deg Le Beacutelier signifie toujours le commencement de la Saison en laquelle il faut prendre la matiegravere dautant quen ce temps deffervescence lhumide igneacute de lEsprit universel commence agrave monter de la Terre au Ciel et agrave descendre du Ciel en terre bien plus copieusement quen toute autre saison et avec plus de vertu surtout dans les miniegraveres ou le Soleil a fait au moins trente reacutevolutions et non plus de trente-cinq ougrave la Nature mineacuterale commence agrave reacutetrograder pour tendre agrave sa deacutepravation et agrave son deacuteclin

5deg Lhomme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair nous deacutemontre quil faut sccedilavoir ce que cest que lAymant fait par lhomme qui a la puissance dattirer du Ciel du Soleil et de la Lune par sa vertu magneacutetique lEsprit Catholique invisible revecirctu de la pure substance humide eacutetheacutereacutee influence quintessencieacutee pour de ces deux en faire une troisiegraveme substance participant des deux autres individuellement et qui chacune contienne en soi indivisiblement le Sel le Souffre et le Mercure universels lesquels tous trois se congegravelent et sunissent au centre de toutes choses

6deg Quand agrave la Croix ou sur les lignes transversales par les cocircteacutes dicelle sont poseacutes une larme et un Calice cest pour nous faire entendre que ce nest que la Nature eacuteleacutementaire cest-agrave-dire les quatre

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Elemens croiseacutes [le thegraveme de la Croix est omnipreacutesent en alchimie elle figure le creuset et aussi linconnue X de Fulcanelli] figureacutes par les quatre lignes de la Croix en effet cest par le moyen des quatre Elemens que les vertus et les eacutenergies ceacutelestes descendent et sinsinuent incessamment sur tous les Corps visibles et sublunaires Les deux lignes haute et basse repreacutesentent le Feu ceacuteleste et les deux autres lignes traversantes signifient lair et leau La larme qui signifie lhumide de lair pleine de feu vital et poseacutee sur la ligne de lair et de leau doit ecirctre reccedilue dans le Calice qui signifie le reacutecipient et non pas dans les basses valleacutees quoi quelle soit partout mais sur des lieux qui savancent dans lair ougrave elle ne sera pas prise en quantiteacute par ceux qui nont pas la connaissance de laimant physique et philosophique

7deg Proche de la Porte agrave droite il y a dun cocircteacute cinq Vierges sages qui tendent leur Calice ou coupe vers le Ciel et reccediloivent ce qui leur est verseacute den haut par une main qui sort dune nueacutee et au-dessous sy voient et sy remarquent les vraies opeacuterations Alchimiques et Philosophiques Ces cinq Vierges repreacutesentent les vrais Philosophes Hermeacutetiques amis de la nature et qui ayant connaissance de lunique matiegravere dont elle se sert pour travailler dans la magneacutesie des trois regravegnes animal mineacuteral veacutegeacutetal reccediloivent du Ciel cette mecircme et unique matiegravere dans des vases convenables et suivant les opeacuterations de la mecircme nature ils travaillent physiquement et apregraves avoir fait le Mercure ou dissolvant Catholique ou le Sel de nature qui contient son souffre les unissent au poids requis les cuisent en lAthanor et finalement en font lElixir Arabique

8deg De lautre cocircteacute dudit Portail gauche on voit cinq autres Vierges mais folles en ce quelles tiennent cette Coupe renverseacutee contre terre ainsi elles ne peuvent ni ne veulent y recevoir la Lunaire que la nature leur preacutesente et qui est si copieuse quapregraves avoir largement satisfait agrave tout lUnivers il y en a encore plus de reste que demployeacutee et cela se fait en tout et se distribue en tous tems et incessamment parce quainsi la ordonneacute la voulu et le veut le Tregraves-Haut auquel gloire immortelle ineffable soit rendue sur la terre et aux Cieux Par les Vierges folles la Coupe renverseacutee sont repreacutesenteacutees une infiniteacute et presque innombrables dopeacuterations fausses des Sophistes des Chimistes des ignorans et deacutesespeacutereacutes ainsi que des impitoyables Souffleurs et Charlatans [il sagit en fait de lexpression double du symbole de Veacutenus Aphrodite ou Gaiumla]Ces cinq Vierges folles signifient ces faux Philosophes qui ne demandent que hercelets Sophistiques comme rubifications dealbations cohobations amalgamations etc qui meacuteprisent la lecture des bons Auteurs et qui par cette raison ne peuvent avoir connaissance de la vraie matiegravere quoiquil est vrai de dire quils la portent toujours avec eux jusque dans leur sein sur eux alentour deux sous leurs pieds et quils la respirent continuellement mais leur orgueil trop preacutesomptueux leur fait en meacutepriser la meacuteditation et la recherche simaginant stupidement dans leurs grossiegraveres Sophistications et leurs faux preacutejugeacutes la trouver sans la connaissance de la belle et pure nature interpregravete des Mystegraveres divins

En effet cette matiegravere est si commune et dun si vil prix que le pauvre en a autant que le

riche et elle est neacuteanmoins si preacutecieuse que chacun en a besoin et ne peut sen Passer Car

lon ne peut ecirctre vivre et agir Sans elleTout ce que jai remarqueacute en ce triple Portail est agrave la

veacuteriteacute beau et ravissant mais ce sont lettres closes Enigmes et Hieroglifs pleins de mystegraveres

pour les ignorans et choses mystiques pour les sccedilavans pour lesquels jai donneacute cette

Explication quils doivent comme Curieux consideacuterer exactement en levant les voiles qui

leur cachent lentreacutee aux secrets Cabinets de la chaste Diane Hermeacutetique Je nai point lu dans

les Cartes antiques de Paris ni de cette Catheacutedrale pour savoir le nom de celui qui a eacuteteacute le

Fondateur de ce Portail merveilleux mais je crois neacuteanmoins que celui qui a foumi ces

Enigmes Hermeacutetiques ces symboles et ces Hieroglifs mystiques de notre Religion a eacuteteacute ce

grand Docte et pieux Personnage Guillaume Eveacuteque de Paris la profonde Science duquel a

toujours eacuteteacute admireacutee avec raison des plus sccedilavans Philosophes Hermeacutetiques de lAntiquiteacute et

particuliegraverement du bon Bernard Comte de Trevisan sccedilavant adepte Philosophe Hermeacutetique

car il est certain que cet Evecircque a fait et parfait le magistegravere des Sages Or comme il a plu agrave

la divine Providence de me faire la gracircce de me donner quelque lumiegravere et connaissance de la

Philosophie Physique et Hermeacutetique jai tellement travailleacute quapregraves un long temps beaucoup

de soins de lecture des bons Livres et avoir fait quantiteacute de belles et bonnes opeacuterations jai

enfin trouveacute la triple clef par son essence pour ouvrir le sanctuaire des Sages ou plutocirct de la

sage Nature de sorte que je peux fidegravelement expliquer les Ecrits paraboliques et eacutenigmatiques

des Philosophes anciens et modernes ainsi que jai expliqueacute assez clairement les Enigmes

Paraboles et Hieroglifs de ce triple Portail ce que je fais tregraves volontiers pour donner

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contentement aux sccedilavans amateurs de cet Art divin et exciter la curiositeacute des nouveaux

Candidats qui aspirent agrave la connaissance de la Science naturelle et hermeacutetique dont Dieu

soit loueacute et exalteacute agrave jamais Ainsi soit-il Fin

Page 3: EXPLICATION TRÈS CURIEUSE - Tradgloss

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chevalier armeacute de pied en cap preacutesentant un lion sur son eacutecu et la Lacirccheteacute un homme darme jetant son eacutepeacutee et fuyant devant un liegravevre LHumiliteacute est une femme dont leacutecu est timbreacute dune colombe [Fulcanelli y voit un corbeau] et lOrgueil un homme qui tombe de cheval Ces derniegraveres interpreacutetations se justifient en feuilletant le carnet de notes dun maicirctre doeuvre du XIII

e siegravecle Villard

de Honnecourt [ici Girardin se reacutefegravere agrave une note qui napparaicirct pas sur la page aussi allons-nous donner quelques renseignements sur ce maicirctre-imagier] Parmi les nombreux croquis jeteacutes pecircle-mecircle on retrouve le cavalier mis agrave bas de sa monture avec la leacutegende Orgueil cy comme im treacutebuche et la femme agrave la colombe deacutesigneacutee par le mot Humiliteacute [] [op cit]

Sur Villard de Honnecourt nous ne saurions mieux conseiller au lecteur quun lien vers la BNF qui consacre agrave limagier un dossier complegravete agrave ladresse suivante

httpclassesbnffrvillardpresindexhtm

Pour en revenir au texte dEsprit Gobineau de Montluisant - qui va nous servir de laquo preacutetexte pour eacutevoquer les meacutedaillons du Mystegravere de Catheacutedrales - il parle dalchimie speacuteculative et leacutetudiant doit deacutejagrave avoir eacutetudieacute les textes avant de pouvoir sorienter dans ce deacutedale Signalons-lui limportance que revecirctent les signes du zodiaque tout particuliegraverement ceux du Beacutelier ougrave se manifeste le bourgeonnement du Taureau ougrave les plantes fleurissent et ougrave la vie prend possession de la matiegravere et des Geacutemeaux ougrave la feacutecondation est la manifestation de la tendance agrave lexpansion de la matiegravere Cest ensuite le calice ou coupe qui doit retenir lattention de leacutetudiant Pour deacutetourner la difficulteacute nous donnons cette image qui permettra de mieux saisir limportance du symbole et le texte qui suit tireacute de notre section sur les blasons alchimiques

Ainsi nous comprenons peu agrave peu que le sujet des Sages qui nest autre que de la Terre fait lobjet de multiples alleacutegories certaines sont voulues et ont une fonction hermeacutetique qui les deacutemarquent nettement des mythes et des leacutegendes dautres ne sont manifestement pas deacutesigneacutees en clair comme relevant dune signifiance hermeacutetique ou alchimique mais peuvent renvoyer agrave des archeacutetypes Ces archeacutetypes peuvent faire lobjet dune interpreacutetation cest agrave lartiste de deacutecider que tel ou tel sujet revecirct des laquo couleursraquo hermeacutetiques Il ne faut donc pas seacutetonner des jugements hacirctifs eacutemis par ceux qui nont pas su lire les ouvrages de Fulcanelli ou dE Canseliet Nos auteurs nont pris les livres ou les tableaux de pierre ou de bois sculpteacute que comme preacutetextes agrave leur propos limagination une volonteacute de partage de la connaissance un deacutesir de rigueur estheacutetique et scientifique le respect ducirc au silence imposeacute voila les qualiteacutes quentre toutes ils manifestegraverent agrave la perfection Ils surent en un mot faire lœuvre par le seul Mercure

Cest lAnnonciation qui constitue lalleacutegorie classique de lattaque de la prima materia par le 1er

agent Nous trouvons neacuteanmoins un vitrail de Saint-Ouen de Rouen qui deacuteroge agrave la regravegle traditionnelle et qui va nous permettre de poursuivre [] notre eacutetude Les quatre-feuilles sont tregraves reacutepandus dans les catheacutedrales gothiques et romanes et selon Fulcanelli lhieacuteroglyphe de la premiegravere matiegravere est circonscrit par lun dentre eux Voici ce quen dit E Canseliet

Ce diable jaune quun chevalier semble prier est de porteacutee plus eacutetendue gracircce aux vives couleurs du verre qui est ducirc agrave la prudence de Guillaume de Paris Au demeurant plutocirct que Baphomet cest maicirctre Pierre du Coignet qui est repreacutesenteacute et de qui il est parleacute dans Le Mystegravere des Catheacutedrales en relation avec le vaisseau argotique et somptueux

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FIGURE II

(deacutetail des vitraux que sertissent agrave louest

les nervures de la rosace de Notre-Dame de Paris le premier sujet)

Nous trouvons dans le quatre-feuille un cercle contenant une coupe que surmonte une croix cest une variation sur le thegraveme du cercle crucifegravere Le reacutesultat de la seacuteparation initiale est repreacutesenteacute par ce diable jaune et la priegravere du chevalier eacutevoque quelque filtration ou tamisage neacutecessaire pour seacuteparer radicalement la Terre de leau ce que nous avons deacutetailleacute plus haut en abordant les mystegraveres de lagriculture ceacuteleste Quant au quatre-feuille la couleur verte atteste de sa parenteacute mercurielle et la coupe crucifegravere symbolise les travaux du 2

egraveme œuvre par lesquels on preacutepare le Mercure La coupe

est deacutecrite par Fulcanelli aux DM I p381 quand il parle des

chercheurs qui ont avec succegraves surmonteacute les premiers obstacles et puiseacute leau vive de lantique Fontaine [et qui] possegravedent une clef capable douvrir les portes du laboratoire hermeacutetique

Avec en annexe la note 1

Cette clef eacutetait donneacutee aux neacuteophytes par la ceacutereacutemonie du Crategravere qui consacrait la premiegravere

initiation dans les mystegraveres du culte dionysiaque

Esprit Gobineau de Montluisant deacutecrit lun des trois portails de la faccedilade principale Ouest qui

offre au regard le portail central encore appeleacute portail des Jugements

httpndparisfreefrnotredamedeparisdossiers_photos httparchitecturereligfreefr]

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FIGURE III

(portail central)

Le portail central est relatif au Jugement dernier Au linteau on assiste agrave la reacutesurrection des morts au son de lolifant Ceux-ci rois soldats ou autres sortent vecirctus de leur tombeau et restent vecirctus mecircme lorsquils se dirigent vers lenfer (alors que les damneacutes sont tregraves souvent nus comme agrave Autun Bourges) Au registre infeacuterieur larchange St Michel pegravese les acircmes au centre tandis que le diable triche de faccedilon eacutehonteacutee A gauche les eacutelus legravevent le visage vers le Christ qui trocircne au-dessus deux A droite un diable pousse les damneacutes enserreacutes dans une corde vers une gueule denfer Au registre supeacuterieur un Christ en majesteacute est entoureacute danges portant les instruments de la Passion et des intercesseurs habituels la Vierge et Saint Jean Au trumeau on trouve un Beau Dieu Sur les socles on peut voir 6 des sept arts et la philosophie (cf Lart religieux du XIIIe siegravecle selon Emile Macircle) Ci-dessous la philosophie

FIGURE IV

(la Philosophie deacutetail)

Il saute aux yeux de leacutetudiant mecircme peu averti de lalchimie quil sagit lagrave dun des emblegravemes majeurs de lArt sacreacute sur lequel se sont longuement appesantis Fulcanelli et son disciple E Canseliet Lapparition donne agrave voir les deux cocircteacutes de la science dHermegraves le cocircteacute exoteacuterique cest le livre ouvert le cocircteacute eacutesoteacuterique cest le livre fermeacute Ou si lon preacutefegravere pour employer un langage qui ressortit plus directement agrave la cabale hermeacutetique respectivement le laboratoire et loratoire Nous avons eu loccasion deacutecrire ailleurs quune gravure reprenait agrave tregraves peu pregraves le symbolisme de cette alleacutegorie majeure [De Hans Vredemann de Vries in Amphitheatrum sapientiae aeternae Henri

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Kunrath 1609] Nous navons rien agrave ajouter aux commentaires lumineux des deux alchimistes du XXe

siegravecle Nous signalerons neacuteanmoins au lecteur linteacuterecirct que preacutesentent les nueacutees au-dessus de la tecircte de la deacuteesse qui voilent la roseacutee de mai chegravere agrave Altus auteur preacutesumeacute du Mutus Liber Leacutechelle de sapience dont le symbolisme se trouve deacutetailleacute dans les fragments commenteacutes des Douze Clefs de Philoosphie attribueacutees agrave Basile Valentin Le sceptre ou bourdon du pegravelerin jamais eacuteloigneacute de la meacuterelle de Compostelle [sur lexplication geacuteneacuterale de son symbolisme cf Meacutemoire sur le Meacutetamorphisme des roches dAchille Delesse] Des bas-reliefs de ce fameux portail central avaient fait lobjet dun commentaire ducirc agrave Marcel Aubert [Bulletin monumental publ par la Socieacuteteacute franccedilaise darcheacuteologie pour la conservation et la description des monuments historiques 1913 1 Vol 77 - T 77 ] Les voici

QUATRE BAS-RELIEFS DU GRAND PORTAIL DE NOTRE-DAME DE PARIS

Les contreforts de Ia porte du Jugement dernier agrave Notre-Dame de Paris sont orneacutes de quatre bas-reliefs incrusteacutes dans la pierre agrave la suite des meacutedaillons des Vertus et des Vices auxquels ils ne se rattachent ni par leur composition ni par leur facture

[Ces quatre bas-reliefs ont la mecircme hauteur que ceux de la seacuterie des Vertus et des Vices mais ils sont plus eacutetroits Peut-ecirctre avaient-ils eacuteteacute destineacutes primitivement agrave orner les pieacutedroits de la porte ou mecircme les faces des contreforts suivant un systegraveme qui deviendra freacutequent dans la seconde moitieacute du XIII

e siegravecle et au XIV

e siegravecle]

ils paraissent anteacuterieurs de quelques anneacutees et ont du ecirctre exeacutecuteacutes au deacutebut du XIIIe

siegravecle Ils sont dun tregraves beau style et rappellent par la noblesse des attitudes la grandeur des traits malheureusement sauvagement bucirccheacutes lharmonie du costume les plus beaux bas-reliefs antiques Ces quatre bas-reliefs ont depuis longtemps exciteacute la sagaciteacute des iconographes et le sens de lun dentre eux ne nous apparaicirct pas encore tregraves nettement Au XVI

e siegravecle les hermeacutetistes les

interpreacutetaient agrave leur faccedilon

Job que lon voit sur lun deux serait la pierre philosophale qui passe par les eacutepreuves les plus diverses avant dacqueacuterir les vertus finales

Abraham figureacute sur un autre serait lartisan Isaac la matiegravere dans le creuset et lange linstrument de la transformation Un corbeau de pierre aurait lœil fixeacute sur le lieu ougrave sont enterreacutes trois rayons de soleil qui deviendront or au bout de mille ans et diamant au bout de trois mille ans Pendant la Reacutevolution lastronome Dupuis deacutefendit et sauva ces bas-reliefs en expliquant quils faisaient partie de tout un systegraveme astronomique quil deacutechiffrait sur les sculptures du grand portail La scegravene que repreacutesente le bas-relief supeacuterieur de droite est facile agrave expliquer cest leacutepisode du Sacrifice dAbraham Abraham debout devant lautel legraveve le bras pour sacrifier son fils Le petit Isaac qui eacutetait agenouilleacute sur lautel nest plus visible aujourdrsquohui Un ange descendant du ciel arrecircte le bras du patriarche En bas agrave gauche apparaicirct entre un arbuste et les fagots destineacutes au sacrifice le beacutelier qui servira dholocauste Sur le bas-relief situeacute au-dessous figure un guerrier armeacute de pied en cap couvert dune longue cotte eacuteperonneacute casqueacute dun heaume conique et portant leacutecu triangulaire du deacutebut du XIII

e siegravecle Il se dresse au sommet dune tour creacuteneleacutee et lance contre

le soleil dont on voit les rayons en haut agrave gauche un javelot derriegravere lui est une petite tourelle

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surmonteacutee dun docircme sans doute couronnement de lescalier de la tour Ce personnage est Nemrod

son nom mecircme signifie laquo reacutevolte raquo et la Bible (Gen X 9) dit de lui laquo Il fut un violent chasseur contre le Seigneur

[Labbeacute Fillion dans son commentaire de la Sainte Bible t I p52 montre quil faut traduire laquo lifne Elohim raquo par laquo contre le Seigneur raquo et non laquo devant le Seigneur raquo]

Strabon dans sa Glose ordinaire est encore plus explicite [laquo Nemrod qui ultra naturam cœlum penetrare voluit Significat diabolum qui ait Ascundam super astra cœli raquo Nemrod secundum josephum fuit auctor aedificandae turris quae taugeret cœlum raquo Saint Isidore de Seacuteville (Sancti Isidori allegoriae quaedam sacrae scripturae dans Migne t 83 col 103) dit aussi laquo Nemrod gigas diaboli typum expressit qui superbo appetitu culmen divinae celsitudinis appetivit diceus ascendam super altitudinem nubium et ero similis altissimo raquo V de Guilhermy qui a montreacute le premier dans son Itineacuteraire archeacuteologique de Paris (1855 p 46-48) quil fallait voir dans le guerrier ici repreacutesente Nemrod attribuait daccord avec Didron agrave linfluence du Coran le choix fait par lartiste de Nemrod comme symbole de lorgueil et de limpieacuteteacute Le Coran ninsiste pas particuliegraverement sur le caractegravere de Nemrod et nous pensons que les commentateurs de la Bible font assez ressortir son type dimpie et datheacutee]

Nemrod dans un accegraves dorgueil et dimpieacuteteacute lance du haut de la tour quil avait voulu faire eacutelever jusquau ciel un javelot contre lastre de Dieu En pendant de lautre cocircteacute de la porte sont deux autres bas-reliefs disposeacutes comme les premiers celui du haut dans un cadre rectangulaire celui du bas sous une arcade agrave plein cintre La scegravene du haut dun tregraves beau style repreacutesente la Deacuterision de Job Suivant le reacutecit de la Bible Job est assis sur un fumier il est presque nu un lambeau deacutetoffe tombe de ses eacutepaules et ceint ses reins il legraveve les yeux vers le ciel et croise les bras sur la poitrine en signe de soumission des vers repreacutesenteacutes avec un reacutealisme qui eacutetonne presque agrave leacutepoque ougrave a eacuteteacute sculpteacute ce bas-relief rongent son corps (Job II 7-8) Devant lui sa femme conseillegravere de reacutevolte laquo Vous demeurez dans votre simpliciteacute lui crie-t-elle Maudissez Dieu et mourez raquo (Job II 9)

Le saint homme Job reacutepond par un acte de soumission agrave la volonteacute du Seigneur laquo Ses trois amis qui avaient appris les maux qui lui eacutetaient arriveacutes eacutetaient venus chacun de leur pays Eliphaz de Theacuteman Baldad de Suba et Sophar de Naamath Car ils seacutetaient concerteacutes pour venir le voir ensemble et le consoler Et ayant leveacute

les yeux ils ne le reconnurent pas et ils pleuregraverent a haute voix deacutechiregraverent leurs vecirctements et jetegraverent de la poussiegravere en lair au-dessus de leur tecircte raquo (Job II11-12)

Le bas-relief de Notre-Dame est lillustration litteacuterale du texte de la Bible Cette scegravene a dailleurs eacuteteacute tregraves souvent repreacutesenteacutee au moyen acircge aussi bien au portail des catheacutedrales que dans les vitraux et les miniatures des manuscrits

Parfois mecircme comme au portail de la Calende agrave Rouen lhistoire de la Deacuterision de Job occupe plusieurs bas-reliefs on le voit un sur un tas de fumier puis vecirctu injurieacute par sa femme et dans un troisiegraveme bas-relief visiteacute par ses amis

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La scegravene sculpteacutee sous le bas-relief de Job est beaucoup plus difficile agrave identifier Cest un homme debout les jambes nues - elles sont tregraves deacuteteacuterioreacutees mais il semble quelles eacutetaient croiseacutees - vecirctu dune tunique largement fendue et dun manteau drapeacute sur leacutepaule gauche Il incline la tecircte en avant et legraveve le bras droit la main droite briseacutee eacutetait sans doute ouverte de la gauche il sappuie sur un grand bacircton qui est peut-ecirctre une lance A terre pregraves de lui sont un arc et deux flegraveches devant lui coule un ruisseau qui descend dun petit monticule couronneacute par deux arbres sur les branches du plus haut est un oiseau Telle est aussi preacutecise que le permet le mauvais eacutetat de conservation la description de cette scegravene encore tregraves eacutenigmatique

Les auteurs anciens comme Gueffier dans sa Description historique des curiositeacutes de leacuteglise de Paris (Paris 1763 p 211) ne mentionnent pas ce bas-relief

Didron le premier a chercheacute a lidentifier ou du moins agrave en donner le sens [Histoire de lart en France par les monuments La statuaire au XIIIe siegravecle dans la Revue de Paris 1836 t XXXI p 339]

Il voit dans nos quatre bas-reliefs des repreacutesentations historiques des Vices et des Vertus agrave cocircteacute des repreacutesentations alleacutegoriques

Sous Abraham symbolisant lobeacuteissance est un reacutevolteacute qui lance un javelot contre Dieu

Sous Job symbole de la patience et de la confiance en Dieu est la repreacutesentation de la deacutefiance un homme fort et armeacute tremble au bruit dun ruisseau et au croassement dun corbeau

De Guilhermy [op citeacute p 46-48] deacutecrit le bas-relief et avoue que toute explication lui eacutechappe il se fait leacutecho dune hypothegravese qui a eacuteteacute souvent reacutepeacuteteacutee depuis mais qui est inacceptable il faudrait voir ici Job contemplant les ravages des torrents deacutebordeacutes sur ses terres Plus reacutecemment M Enlart a

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donneacute de cette scegravene une explication tregraves inteacuteressante mais qui ne ma paraicirct pas pouvoir ecirctre accepteacutee Deacutecrivant les bas-reliefs des portails de la catheacutedrale dAuxerre du deacutebut du XIV

e siegravecle

[congregraves dAvallon 1907 p 614-616 - le bas-relief dAuxerre est plus endommageacute peut-ecirctre que celui de Paris il nous montre le mecircme personnage tourneacute en sens inverse sappuyant dans une pose pleine de noblesse sur une lance dont on distingue tregraves nettement le fer Son long manteau vole au vent ses jambes sont croiseacutees il paraicirct consideacuterer vers la gauche un monticule couronneacute dun arbuste Nous avons chercheacute mais en vain dans dautres ensembles relatifs agrave lHistoire de lEnfant prodigue la figuration du mecircme personnage ]

M Enlart trouve au milieu des scegravenes de lHistoire de lEnfant prodigue trois meacutedaillons ougrave sont figureacutes la femme aux serpents qui est la concupiscence

Job qui comme lEnfant prodigue a recouvreacute sa condition premiegravere apregraves de grandes tribulations enfin un personnage preacutesentant avec celui qui nous occupe ici les plus grandes ressemblances et que M Enlart identifie avec David David sappuyant sur sa houlette et vecirctu du costume de berger dans lequel il eacutetait arriveacute au camp de Sauumll choisit cinq pierres polies dans le torrent et savance vers Goliath La Bible deacutecrit en effet ainsi la scegravene (Reg XVII 30-40) David vient de refuser leacutepeacutee que Sauumll lui avait donneacutee

laquo il prend le bacircton quil avait toujours agrave la main choisit dans le torrent cinq pierres tregraves polies et les

met dans sa pannetiegravere de berger et tenant agrave la main sa fronde il marche contre le Philistin raquo

Ce qui rend cette hypothegravese impensable cest la preacutesence aux pieds de notre personnage non dune fronde mais dun arc que lon distingue tregraves nettement et de deux flegraveches dont on voit les extreacutemiteacutes empenneacutees et les encoches Malgreacute de longues recherches dans la Bible et dans ses Commentaires du moyen Age dans les manuscrits illustreacutes et dans les repreacutesentations peintes et sculpteacutees je nai pu retrouver lexplication de cette scegravene La preacutesence de larc et des flegraveches qui ne sexplique pas dans lhypothegravese de David allant combattre Goliath fait eacutecarter dautres hypothegraveses auxquelles on pourrait songer comme celle de Moiumlse devant le buisson tenant le bacircton qui sur son ordre se changera en serpent sur le bord du torrent dont leau deviendra du sang ou celle du prophegravete Elie se nourrissant de leau du torrent de Carish et du pain que lui apporte un corbeau Si ces bas-reliefs au lieu decirctre visiblement reacuteemployeacutes se trouvaient en place nous admettrions volontiers la thegravese de Didron qui voyait au-dessous de la repreacutesentation biblique dune vertu la repreacutesentation historique ou simplement en action du vice correspondant Mais rien ne nous

prouve que le bas-relief qui se trouve sous la scegravene de la Deacuterision de Job soit bien celui qui dans la penseacutee du clerc qui a ordonneacute ce portail devait ecirctre agrave cette place

Dans le Breacuteviaire de Charles ler [Bibl nat ms lat 1052 fol 217mdash M Macircle dans son beau livre sur lart religieux de la fin du moyen acircge en France a montreacute tout linteacuterecirct de ce manuscrit] ougrave nous trouvons les repreacutesentations bibliques et historiques des Vertus et des Vices cest Judas symbole du deacutesespoir qui figure en face de Job symbole de lespeacuterance Il nous a paru inteacuteressant de publier ces quatre bas-reliefs encore assez peu connus curieux par les problegravemes iconographiques quils soulegravevent Ce sont un des rares essais au XIII

e siegravecle de figuration des vertus laquo en action raquo

suivant lexpression de M Macircle Tandis que partout agrave cette eacutepoque aux portails de nos catheacutedrales les vertus sont repreacutesenteacutees sous la figure alleacutegorique dune femme portant un eacutecu timbreacute dun attribut nous voyons ici des repreacutesentations veacutecues des vertus

Marcel AUBERT

Commentaires il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant lecteur du Mystegravere des Catheacutedrales du non moins mysteacuterieux Fulcanelli que deux de ces bas-reliefs ont eacuteteacute commenteacutes par le plus grand alchimiste du XX

e siegravecle sur la figure V il sagit des deux bas-reliefs du bas Les deux bas-reliefs du

haut nont point eacuteteacute analyseacutes par Fulcanelli Si lon adopte un point de vue purement historique en se reacutefeacuterant agrave la Bible il est hors de doute que linterpreacutetation laquo exoteacuterique raquo de M Aubert est exacte Le mot exoteacuterique est mis entre guillemets agrave escient Il est bien clair que se rapportant agrave un haut fait de religion on ne saurait gloser de maniegravere rationnelle lagrave-dessus Cela eacutetant entendu nous pouvons

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neacuteanmoins infeacuterer quune interpreacutetation alternative est possible si lon adopte les preacuteceptes de la doctrine hermeacutetique

Aussi peut-on voir dans le bas-relief de gauche Cadmos deacutevoilant la fontaine de jouvence apregraves quil ait triompheacute du dragon [ou du serpent Python] en sorte davoir accegraves agrave leau vive qui est de toute neacutecessiteacute pour lArtiste Il est assez extraordinaire - mais ocirc combien significatif dans le sens dune interpreacutetation hermeacutetique laquo coulant de source raquo pour ainsi dire - que le corbeau soit nommeacute agrave cet endroit Tant il est vrai que cette eau vive est le signe pour lArtiste de lanimation de son Mercure et partant de la fin de la phase de putreacutefaction laquo lœuvre au noir raquo pour citer le roman de Marguerite Yourcenar Nous convenons quune telle interpreacutetation est pour ainsi dire contre nature Mais nous avons toujours dit - suivant en cela les preacuteceptes de Fulcanelli - que toute demeure toute sculpture etc preacutesentant des traits conduisant agrave une possible interpreacutetation hermeacutetique pouvait constituer un preacutetexte ce qui bien sucircr est le cas des deux bas-reliefs qui nous occupent Quant au bas-relief de droite nous avons eu loccasion de lanalyser dans la section du reacutebus de saint Greacutegoire-en-Viegravevre Quant agrave celui de la Deacuterision de Job [bas-relief du haut agrave gauche] il se preacutesente comme une parodie des Rois Mages allant au chevet du Christ deacuteposeacute dans sa litiegravere de paille pratiquement dans le fumier Les Rois Mages sont ici repreacutesenteacutes par Eliphaz Baldad et Sophar la figure christique eacutetant incarneacutee en Job Quant au bas-relief en haut et agrave droite M Aubert nous dit quil repreacutesente le sacrifice dAbraham Comment inteacutegrer le patriarche biblique dans le symbolisme du grand œuvre Nous retiendrons ici ces paroles de saint Paul laquo contra spem in spem credidit raquo que lon peut traduire par laquo pour une aventure sans espoir il puisa lespoir dans sa foi raquo ou bien laquo quand il ny avait plus despeacuterance sa foi lui donna lespoir raquo dougrave cette conclusion lapidaire laquo contre tout espoir il crut agrave lespeacuterance raquo A quoi nous pouvons rajouter cette maxime tireacutee de lIcircle Mysteacuterieuse roman geacutenial de Jules Verne - mais maxime qui serait attribueacutee agrave Ockam - laquo il ne sert agrave rien despeacuterer pour entreprendre ni de reacuteussir pour perseacuteveacuterer raquo En somme en lisiegravere ou en bordure pourrait-on dire du symbolisme propre agrave lalchimie avons-nous lagrave un message qui sadresse agrave lArtisteLes deux autres bas-reliefs ne posent pas de problegraveme celui du bas agrave gauche

FIGURE VI on peut en trouver une repreacutesentation semblable sur lun des caissons de la galerie hermeacutetique du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne le soleil darde ses rayons sur lœuf des philosophes agrave Paris cest lArtiste qui protegravege lathanor des ardeurs des rayons Sagit-il de lavertissement classique des alchimistes qui conseillent de modeacuterer le feu faute de quoi on courrait le risque de brucircler les fleurs Sagit-il dune alleacutegorie sur le feu sacreacute quil faut savoir maicirctriser Ou encore sur la maniegravere de capter le rayon igneacute qui constitue le Soufre rouge sublimeacute dans le Mercure Nous nen saurons pas plus Le bas-relief de gauche est superposable agrave lalleacutegorie de Cadmus qui apregraves avoir tueacute le serpent Python [ou le dragon] fonde la ville de Thegravebes lagrave ougrave le sabot de son cheval laisse jaillir une source deau pure cest cette repreacutesentation que nous voyons ici leau pure jaillissant du checircne que lon aperccediloit agrave

droite du bas-relief reacuteplique semblable agrave lune des figures du Livre dAbraham Juif

Cet article de M Aubert nous a permis dobserver le fait suivant au demeurant bien connu quun tableau lapidaire peut aiseacutement voir son sens deacutetourneacute de mille maniegraveres selon lobservateur mais quil existe des bornes au-delagrave desquelles le sens tombe pour ainsi dire de lui-mecircme nous venons de le voir pour le bas-relief repreacutesentant le sacrifice dAbraham ougrave il nest pratiquement pas possible de deacutefinir une approche hermeacutetique Tel nest plus le cas dautres bas-reliefs du grand pilier de Notre-Dame de Paris qui ont fait lobjet dune eacutetude approfondie de Fulcanelli dans le premier tome de sa trilogie il sagit bien sucircr du Mystegravere des Catheacutedrales Loin de nous le besoin de revenir sur les planches de louvrage pour les reacuteinterpreacuteter Non Nous en avons donneacute quelques-unes dans les sections du site pour servir le propos Mais il est eacutevident que Fulcanelli a ducirc sinspirer du traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant et degraves lors il paraicirct inteacuteressant de chercher en quoi les meacutedaillons des Vices et des Vertus ont pu deacuteterminer chez Fulcanelli lapproche qui fut sienne dans le Mystegravere des Catheacutedrales Nous ne pourrons ici que renvoyer le lecteur agrave un site remarquable sur lart religieux au XIIIe siegravecle reacutesumeacute simplifieacute du livre dEmile Macircle Lart religieux au XIIIe siegravecle Etude

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sur les origines de liconographie du Moyen Age et sur ses sources dinspiration (Armand Colin 1948)

Voici quoi quil en soit quelques reacuteflexions sur cet ouvrage Et aussi dun autre ouvrage consacreacute agrave lart religieux au XIIe siegravecle Ces deux recensions forment une introduction agrave lœuvre dEmile Macircle dont il faut regretter que lon ne trouve pas encore sur le serveur Gallica de la BNF la premiegravere eacutedition de lArt religieux au XIIIe siegravecle Cette introduction est preacutecieuse pour leacutetudiant en hermeacutetisme et alchimie et permet de reacutealiser la liaison entre les vieux sculpteurs bacirctisseurs de catheacutedrales dune part et les alchimistes du XX

e siegravecle qui par delagrave lœuvre dEsprit Gobineau de Montluisant

semployegraverent agrave trouver dans ces tableaux et ces livres muets lapidaires linspiration de leurs singuliegraveres reacuteflexions Nous voici agrave preacutesent en mesure de donner quelques preacutecisions sur la signification exoteacuterique des Vices et des Vertus repreacutesenteacutes sur les meacutedaillons du portail central de Notre-Dame

Les Vices et les Vertus de Notre-Dame de Paris

Nous ne saurions mieux faire que suivre lenseignement du Speculum majus de Vincent de Beauvais pour deacutebuter leacutetude des meacutedaillons de Notre-Dame de Paris Vincent de Beauvais que nous avons rencontreacute agrave de multiples reprises dans nos sections

[Donum Dei Ideacutee alchimique I II Char Triomphal de lAntimoine Chevreul critique de Hoefer I Chimie des Anciens I II Miroir dalchimie prima materia Atalanta fugiens XLII Nouvelle Lumiegravere Chymique Mercure]

FIGURE VII Quatriegraveme tome du Speculum majus de Vincent de Beauvais

eacuted de 1624 Bibliothegraveque nationale de France

Le Speculum majus ouvrage de Vincent de Beauvais est un condenseacute des savoirs de leacutepoque Lœuvre est diviseacutee en quatre parties appeleacutees miroirs

- le miroir de la nature les chapitres de cette partie suivent lordre des jours de la creacuteation Ils comprennent leacutenumeacuteration et la description de tous les eacuteleacutements de la nature en terminant par lhomme - le miroir de la science il raconte lhistoire de la Chute et preacutesente la science comme une des voies de reacutedemption Les sept arts sont consideacutereacutes comme autant de dons du Saint Esprit Toutes les connaissances scientifiques sont passeacutees en revue - le miroir moral il preacutesente une classification des vices et des vertus (dapregraves Saint Thomas dAquin)

- le miroir historique il preacutesente lhistoire de lEglise le reste neacutetant eacutevoqueacute queacutepisodiquement

Cest selon cette reacutepartition en quatre chapitres que les auteurs du site consacreacute agrave lArt religieux au XIIIe siegravecle se sont donneacute pour tacircche deacutetudier liconographie du Moyen Acircge Sans reprendre exactement leurs propos nous ajouterons surtout plusieurs remarques

- sur le miroir de la nature les animaux se voient attribuer une valeur symbolique forte Cest leacutevidence le bestiaire hermeacutetique est dune grande importance [cf par exemple la voliegravere alchimique analyseacutee dans la page du Poegraveme du Pheacutenix] Mais la nature peut ecirctre envisageacutee de faccedilon encore plus large en particulier la geacuteologie appliqueacutee agrave lhermeacutetisme que le lecteur se rapporte au Bergbuumlchlein [commenteacute par Daubreacutee] agrave la Reacuteveacutelation de la teinture des meacutetaux [Bernard Le Treacutevisan] au Traiteacute des Choses naturelles et surnaturelles [attribueacute agrave Basile Valentin] agrave la Philosophie Naturelle restitueacutee [Jean dEspagnet] On peut encore y annexer le Typus Mundi

- sur le miroir de la science laquo Lhomme peut se relever de sa chute par la science raquo (Vincent de Beauvais)

Tout comme le travail manuel affranchit des neacutecessiteacutes du corps la science affranchit de lignorance qui empoisonne lesprit Le travail est tregraves preacutesent dans les vitraux ougrave sont repreacutesenteacutes tous les

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meacutetiers artisanaux et eacutegalement dans les voussures et les soubassements de portail ougrave les travaux agricoles sont souvent mecircleacutes aux signes du zodiaque La science quant agrave elle est incarneacutee par les sept arts qui se composent dun trivium (grammaire rheacutetorique dialectique) et dun quadrivium (arithmeacutetique geacuteomeacutetrie astronomie et musique) La philosophie est consideacutereacutee comme la megravere de tous les arts Les diffeacuterents arts sont souvent repreacutesenteacutes sous forme de jeunes femmes doteacutees dinstruments symboliques On les trouve par exemple aux portails de Chartres et de Laon

Note les photographies des meacutedaillons sont tireacutes du site httparchitecturereligfreefr nous tenons agrave remercier les auteurs [Elisabeth et Vincent Trouveacute] de leur permission dinseacuterer sur cette page ces images des bas-reliefs qui donnent une nouvelle jeunesse au Mystegravere des Catheacutedrales sil est possible

FIGURE VIII la grammaire Limage montre une femme

avec une feacuterule (petite palette avec laquelle on frappait les eacutecoliers au sens figureacute autoriteacute seacutevegravere) et deux enfants agrave ses pieds nous y trouvons leacutequivalent de la sapience agrave laquelle lArtiste doit parvenir afin de preacuteparer ses matiegraveres sous ce rapport les deux enfants pourraient figurer Apollon et Arteacutemis Il sagit agrave tout le moins dapprendre agrave manier le Verbe ce qui en terme de cabale se traduit par un mot lhumour Qui ne sait pas ce quest lhumour bien tempeacutereacute ne sera jamais au fait de lArt Sacreacute Cest-agrave-dire qui ne connaicirct la vertu essentielle et roborative (fortifiante) du mot ESPRIT De lagrave agrave jouer sur les mots il ny a quun pas que lon ne peut franchir si lon na pas compris la SUBTILITE des textes alchimiques Subtiliteacute qui permet den comprendre le VERBE Et comme chacun sait le VERBE sest fait TERRE Nous ne saurions mieux reacutesumer la penseacutee veacutehiculeacutee par lArt dHermegraves

FIGURE IX - la dialectique Repreacutesenteacutee comme une

femme avec un serpent (parfois remplaceacutes par un scorpion) on ne saurait mieux concevoir les eacutechanges deacutenergie qui se produisent au sein du Mercure et quen termes de chimie moderne on qualifie doxydo-reacuteduction lagrave ougrave les Anciens semployaient agrave faire des magistegraveres Newton lui-mecircme sexprimait ainsi laquo Le 18 mai jai perfectionneacute la solution ideacuteale Cest-agrave-dire que deux sels eacutegaux portent Saturne Ensuite il porte la pierre et joint le malleacuteable Jupiter donne eacutegalement [sel ammoniac sophique] et ce dans de telles proportions que Jupiter sempare du sceptre ensuite laigle eacutelegraveve Jupiterraquo (Keynes MS 3975 p122 - citeacute dans Dobbs)

A leacutevidence nous assistons agrave des pheacutenomegravenes de meacutediation ce que Hermegraves ne deacutesavoue point dans sa Table dEmeraude [ougrave il faut lire dans le texte mediatione et non pas meditatione Notez que seuls Fulcanelli et F Hoefer donnent la version correcte du texte] Et lagent de la meacutediation par excellence est le serpent manifestation de lesprit corrompu par lacircme [dougrave le scorpion]

FIGURE X la rheacutetorique (Chartres catheacutedrale)

Il nexiste point de bas-relief repreacutesentant cet art agrave Notre-Dame de Paris La Rheacutetorique embleacutematiseacutee par Ciceacuteron est parfois doteacutee dun faisceau de lances et dun bouclier parfois simplement dun stylet et dune tablette de cire On voit dhabitude une femme faisant un geste oratoire Seul peut-ecirctre Heinrich Schuumltz paraicirct secirctre approprieacute ce quon pourrait nommer la Rheacutetorique des Dieux Ainsi dans les Psalmen Davids (1619) il affirme quil a eacutecrit ces psaumes en stylo recitativo auparavant presque inconnu en Allemagne Schuumltz fait allusion au strict principe rheacutetorique qui gouverne son style choral Sappuyant avec grande imagination sur le rythme de la parole il parvient agrave un rythme musical discontinu freacutequemment interrompu par des cadences et des effets deacutecho reacutealisant ainsi ce que seul Haydn oserait plus tard introduire une asymeacutetrie et une instabiliteacute radicales dans le tissu musical Cela est

dautant plus remarquable sagissant de la monodie Il nest point besoin de beaucoup dimagination

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pour faire voir lanalogie avec le principe formel qui doit guider lArtiste dans le magistegravere qualifieacute par tant de maicirctre dart de la musique mais nous y reviendrons en abordant directement cet art par un exemple des plus reacuteveacutelateurs Par la rheacutetorique nous compleacutetons le trivium ougrave sexprime le ternaire alchimique

FIGURE XI - larithmeacutetique (Chartres catheacutedrale)

Lagrave encore point de bas-relief la repreacutesentant agrave Paris LArithmeacutetique telle quelle est repreacutesenteacutee dans les manuscrits carolingiens deacutevide entre ses doigts une corde agrave boules eacutevocation de la bouillonnante dexteacuteriteacute des doigts computateurs de larithmeacutetique

FIGURE XII- la geacuteomeacutetrie La Geacuteomeacutetrie tient souvent agrave la fois le compas et la sphegravere car elle est la sœur de lAstronomie Elle peut ecirctre munie dun bacircton rappelant sans doute le roseau dor avec lequel dans lApocalypse Jean mesure le temple et lange la Nouvelle Jeacuterusalem Celle que lon voit agrave Paris tient une tablette Point nest besoin dinsister sur limportance de la geacuteomeacutetrie dans le magistegravere A cet eacutegard le lecteur naura quagrave consulter lAtalanta fugiens cap XXI ougrave toutes preacutecisions sont donneacutees Quant au compas un chapitre speacutecial lui est consacreacute dans notre page sur Fontenay-Le-Comte

FIGURE XIII - lastronomie (Chartres catheacutedrale)

LAstronomie ou lAstrologie dont le modegravele est Ptoleacutemeacutee rappelle limportance des horoscopes et eacutevoque lascendant des astres sur la formation de lamour et de la haine Elle peut tenir un cadran solaire un astrolabe ou une sphegravere armillaire et contempler la giration des astres autour de la planegravete Terre Voici ce quen termes exoteacuteriques lon dit dhabitude de lastronomie mais limportance hermeacutetique de lastronomie est consideacuterable pour leacutetudiant en alchimie le lecteur consultera ici notre humide radical meacutetallique notre zodiaque alchimique et les nombreux renvois aux constellations et aux deacutecans qui parsegravement le commentaire de lAtalanta fugiens Sur lastrologie voyez la partie du site qui lui est consacreacutee

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FIGURE XIV - la musique

La Musique illustreacutee par Pythagore inventeur du nombre dor est eacutevidemment le plus souvent munie dun instrument de musique (harpe lyre ou cythare) et saffaire agrave monter la gamme en frappant des clochettes avec un marteau On se souviendra aussi dun grand vieillard que nous preacutesente Fulcanelli dans le Mystegravere des Catheacutedrales qui nest autre que le Mercure Voyez ce que nous avons dit supra des rapports entre la musique et la rheacutetorique qui lui est congeacutenegravere Comme musicien alchimique on pourrait encore eacutevoquer les figures de Monteverdi et de Varegravese Sur Monteverdi cet extrait

laquo Curieusement Monteverdi esprit lucide sil en fut va prendre goucirct [] aux expeacuteriences alchimiques Pour samuser concegravede-t-il et tout en affichant (pour la forme) un certain scepticisme Et

cependant les faits sont lagrave jusque dans les anneacutees heureuses de la peacuteriode veacutenitienne le musicien se livrera au patient travail de ladepte faisant chauffer en les mecirclant les principes du soufre du

mercure et du sel dans lathanor sans en espeacuterer autre chose que le plaisir du jeu avec linsolite [] raquo [Monteverdi Roger Tellart Fayard 1997]

et sur Varegravese

Cette aura magique a pris son origine dans les termes quil emploie volontiers et dans la citation de Paracelse quil inscrivit en exergue de sa partition dArcana Une eacutetoile existe plus haut que tout le reste Celle-ci est leacutetoile de lApocalypse La deuxiegraveme est celle de lascendant La troisiegraveme est celle des eacuteleacutements qui sont quatre il y a donc six eacutetoiles eacutetablies Outre celles-ci il y a encore une autre eacutetoile limagination qui donne naissance agrave une nouvelle eacutetoile et agrave un nouveau ciel Varegravese sest pourtant expliqueacute sur la porteacutee de cette eacutepigraphe Cette phrase eacutequivaut agrave une deacutedicace elle fait de mon poegraveme symphonique un certain hommage agrave celui qui la eacutecrite mais elle ne la pas inspireacute et lœuvre nen est pas le commentaire Il exposa sa penseacutee au New Mexical Sentinel Lart ne prend pas naissance dans la raison Cest le treacutesor enfoui dans linconscient cet inconscient qui a plus de compreacutehension que nen a notre luciditeacute Dans lart un excegraves de raison est mortel La beauteacute ne provient pas dune formule Cest limagination qui donne la forme aux recircves Attireacute par les alchimistes de la Renaissance il reconnut jai surtout lu Paracelse Il eacutetudia les principes de lastronomie hermeacutetique en tira des applications musicales qui stimulaient son imagination Il meacutedita sur les preacuteceptes de la meacutedecine de Paracelse sur lassociation la dissociation et la coagulation agrave propos de laquelle il me cita lAcoustical Terminology La coagulation des ultrasons est le deacutepart de petites particules dans de plus larges agreacutegats par laction des ondes dultrasons Ce fut surtout la transmutation des eacuteleacutements qui le retint il soumit une cellule ou un agglomeacuterat agrave diffeacuterentes tensions agrave des deacutecalages de rythmes agrave diffeacuterentes fonctions de gravitation (attirance et lourdeur) agrave diffeacuterentes dynamiques Il ne chercha ni a deacutevelopper ni a les informer il voulut transmuer Varegravese fut degraves sa jeunesse un fervent de Leacuteonard de Vinci et Kepler le passionnait il pressent tout comme Leacuteonard de Vinci Il reacutefleacutechissait sur les marges derreurs que Kepler essayait dinteacutegrer dans une seacutecuriteacute matheacutematique et quil tentait dexpliquer sans savoir prouver pourquoi elles existaient Varegravese cultivait ces marges derreur de liberteacute plus exactement qui empecircchent la contrainte et donnent la vie II reacutepeacutetait que pour lui la musique eacutetait un art-science comme dans le Quadrivium du Moyen Age ou elle figurait parmi les arts de raison avec larithmeacutetique la geacuteomeacutetrie et lastronomie [Varegravese Odile Vivier Solfegraveges Seuil 1973]

Nous teacutemoignons ici de la justesse absolue des vues de Varegravese Comme Beethoven laffirmait la musique est plus haute que toute sagesse et que toute philosophie elle les comprend toutes et permet agrave lesprit dacceacuteder en conscience au cosmos

La repreacutesentation de la philosophie est plus complexe A Laon on la trouve repreacutesenteacutee assise la tecircte dans les nuages une eacutechelle appuyeacutee contre la poitrine Cette image correspond agrave la description quen fait Boegravece dans la Consolation philosophique Leacutechelle est ce qui permet daller des eacuteleacutements infeacuterieurs vers les eacuteleacutements supeacuterieurs A Sens la philosophie est tout aussi grave mais leacutechelle est remplaceacutee par un simple sceptre Nous avons vu limage de la philosophie de Notre-Dame de Paris supra

- sur le miroir moral cest lagrave quinterviennent les meacutedaillons des Vices et des Vertus

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FIGURE XV - la prudence ( le Mercure philosophique)

Nous voici placeacutes au seuil de la sapience alchimique avec ces meacutedaillons qui ont constitueacute la matiegravere mecircme et le preacutetexte de Fulcanelli dans le premier tome [le Mystegravere des Catheacutedrales Pauvert 1924] de sa trilogie Combien de fois les alchimistes ne nous ont-ils pas avertis que sans prudence lArtiste narriverait agrave rien Ne souhaitant pas ici faire des redites inutiles nous conseillerons au lecteur de visiter la section des Gardes du Corps ougrave les Vertus se trouvent analyseacutees Il est certain que limage du fixe et du volatil sont lindice clair du Mercure preacutepareacute et sublimeacute Ce bas-relief forme la planche VII des Mystegraveres et repreacutesente le Mercure philosophique Nous en sommes bien daccord Nous ajouterons que limage la plus fidegravele de ce Mercure philosophique est formeacutee par le signe zodiacal des Geacutemeaux identique dailleurs - au plan spirituel - avec la figure I du Livre dAbraham Juif dont Fulcanelli a montreacute quil eacutetait mythique Fulcanelli eacutecrit

laquo Cest lagrave ce ver empoisonneacute qui infecte tout par son venin

dont parle lAncienne Guerre des Chevaliers raquo [Mystegravere

p 104]

Ajoutons que ce laquo ver empoisonneacute raquo deacutesigne dhabitude le premier eacutetat du Mercure et quArtephius le nomme dans son Livre Secret le laquo vinaigre tregraves aigre raquo Voilagrave la transition toute trouveacutee avec limage de la folie

FIGURE XVI - la folie ( origine et reacutesultat de la pierre)

Au lieu quici comme nous venons de le dire cest la folie qui se trouve repreacutesenteacutee il sagit de limage du premier Mercure celui dont Fulcanelli nous dit quil est le laquo fou de lœuvre raquo On le repreacutesente souvent torsadeacute et contourneacute un peu comme dans les Ripleys scrowls cf les Douze Portes Nous en avons surtout parleacute agrave la section sur Fontenay quand on la compareacute au pyrophore de Homberg ou de Gay-Lussac Voilagrave quelques notes de Fulcanelli sur la planche XIX

laquo Au second meacutedaillon lInitiateur nous preacutesente dune main un miroir tandis que de lautre il eacutelegraveve la corne dAmaltheacutee agrave ses cocircteacutes se voit lArbre de Vie Le miroir symbolise le deacutebut de louvrage lArbre de Vie en marque la fin et la

corne dabondance le reacutesultat raquo [Mystegraveres p 124]

Bien lapidaire dans son explication le maicirctre de Paris se montrera plus geacuteneacutereux dans la description de ce miroir en citant Moras de Respour voici un extrait que na pas donneacute Fulcanelli pourtant bien plus explicite sinon exoteacuterique que celui quil donne

Cette cendre mineacuterale a en soi tout ce qui est neacutecessaire aux Curieux ceux qui lrsquoont connue ont eu la matiegravere dont on la tire en grande recommandation et de crainte qursquoon sut qui elle eacutetait ils lui ont imposeacute plusieurs noms comme de Lunaire drsquoherbe Saturnienne et autres Quelques uns lrsquoont compareacutee agrave la Salamandre agrave cause qursquoelle vit dans le feu Ils ne lrsquoont jamais mieux deacutepeinte que parlant du Phœnix qui renaicirct de ses cendres drsquoautres lrsquoont nommeacutee Lucifer ou Porte lumiegravere Veacutenus engendreacutee de lrsquoeacutecume de la Mer parce qursquoon la tire en eacutecumant On lrsquoa nomme Dragon agrave cause qursquoelle brucircle comme Salpecirctre Aigle parce que lrsquoon en tire lrsquoArmoniac mercuriel ils ont dit que crsquoest le Roi drsquoautant qursquoil est le plus consideacutereacute entre eux et le Lion agrave cause de sa grande force Ils disent que crsquoest lrsquoacircme meacutetallique agrave cause qursquoelle vivifie tous les Meacutetaux et qursquoelle est corps parce qursquoelle corporifie les esprits Mais communeacutement entre les Philosophes elle est entendue par Miroir de lrsquoart agrave cause que crsquoest principalement par elle que lrsquoon a appris la composition des Meacutetaux dans les veines de la Terre []

Rares Expeacuteriences sur lEsprit mineacuteral Paris Langlois et Barbin 1668

Plusieurs arcanes se trouvent entrelaceacutees dans ce texte mais en fin il y est question en somme dun sel infusible La pratique de lœuvre montre quil nexiste que trois sels infusibles dont lun est geacuteneacuterique et reacutesulte dune transformation au lieu que les deux autres sont speacutecifiques le sel infusible proteacuteiforme est ce que les

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anciens chimistes appelaient la chaux meacutetallique et il y a autant de chaux que de meacutetaux [sept pour rester dans la pure tradition hermeacutetique cf lhumide radical meacutetallique] Le second sel - la Salamandre - est celui que De Respour nomme la Lunaire et qui est confondue dans presque tous les textes avec le premier Mercure aussi la nomme-t-on plus justement le laquo suc de la Lunaire raquo Cest elle que lon appelle encore laquo pierre et non pierre raquo et que certains ont identifieacute au nostoc [Mystegraveres p 171 cf Atalanta XXXVII] Il se trouve que cette substance deacutecrite par Pline possegravede des traits communs avec une autre pierre que lon nomme la pierre de Jeacutesus ou pierre speacuteculaire leur racine est semblable et peut tregraves facilement ecirctre preacutepareacutee en laboratoire il suffit dun vitriol preacutepareacute dun sel que lon trouve chez les riches aussi bien que chez les pauvres [surtout agrave la campagne ne dit-on pas du fou que laquo son esprit bat la campagne raquo Cest lagrave un petit trait dhumour ougrave se signale un important point de science] eacutegalement preacutepareacute et dun feu meacutediocre Quant au pheacutenix ultime eacutetat du Rebis revivifieacute il reacutesulte de la reacuteincrudation de ces substances salines La reacutesurrection du pheacutenix est sous la deacutependance de ce Lucifer ou porte lumiegravere comme leacutecrit si justement De Respour Fulcanelli le nommant christophore [Mystegraveres p

186] et ayant emprunteacute agrave Offerus ses traits pour deacutesigner le Quant agrave lArmoniac mercuriel il ne correspond point agrave notre chlorhydrate mais - comme la vu Berthelot dans la Chimie des Anciens - agrave une sorte de sel fossile Il est appeleacute lagrave encore de bien des maniegraveres selon les Adeptes les uns le nommant le sel ammoniac dautres le sel harmoniac etc Sa principale qualiteacute semble ecirctre de donner un peu de liant agrave la Salamandre pour lempecirccher de seacutechapper du feu au 4

egraveme degreacute de feu cest-agrave-dire vers 1300degC la

salamandre au dire de Marc-Antoine Gaudin devient dun coup fluide comme de leau et se vaporise instantaneacutement Quant agrave lacircme meacutetallique il faut y voir le facteur qui rend compte de la viscositeacute des meacutetaux lorsquon leur impose le calorique et le mecircme quand au bout dun certain temps [cest la peacuteriode ougrave lœuvre est compareacutee agrave un travail de femme - quenouille - ou agrave un jeu denfant - yo-yo bilboquet -] de va-et-vient la cristallisation finit par sopeacuterer dans la masse saline Ce facteur - comburant - est en raison directe de la preacutesence dun agent carburant que les Sages ont nommeacute le Lait de Vierge et sans lequel laccroissement de la Pierre ne serait pas possible cest la corne dAmaltheacutee [cf Atalanta XLVII pour une description et des notes compleacutementaires] LArbre de Vie est lArbori Solare dont nous parlons agrave la section Fontenay

FIGURE XVII - la foi ( les quatre eacuteleacutements et les deux

natures)

Lalchimiste errant ne trouvera son chemin dans le labyrinthe de Salomon que muni du fil dAriane cest ce qui constitue sa foi agrave proprement parler Sur la foi consultez la Chrysopeacutee du Seigneur un apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Sachez que lArtiste en quecircte de son Mercure sera guideacute par une eacutetoile celle qui apparaicirct sur le meacutedaillon de Notre-Dame et que cet astre agrave linstar de celui qui guida les Mages dOrient le conduira dans une eacutetable ougrave il verra un enfant emmailloteacute de langes qui aura la

forme de notre Certains lont compareacute au sel de Pierre dautres au sel gemme Dans ce dernier cas ils lont nommeacute le sel harmoniac dont le rapport avec notre chlorhydrate est du mecircme genre que celui qui existe entre le vif-argent vulgaire et lhydrargyre philosophique Ce bas-relief est la planche XI du Mystegravere Fulcanelli se trompe en la nommant la Philosophie [nous avons vu supra quil sagit de la figure IV ougrave limagier a inscrit leacutechelle de la sapience et deux livres] ou bien alors cest par cabale quil veut ainsi deacutesigner la Foi eacuterigeacutee en forme de

doctrine hermeacutetique Fulcanelli deacutecrit le meacutedaillon comme une monade la croix y deacutesigne le quaternaire des eacuteleacutements mais il faut avoir des yeux de lynceacutee pour distinguer le disque lunaire dont il nous dit quil est marteleacute On croirait un astre quelconque et rien ne vient affirmer la conjecture du grand Adepte Le lecteur verra avec profit lagrave-dessus les dessins de la Monade Hieacuteroglyphique de John Dee car lAdepte parisien seacutetend peu sur la Foi alors que la croix forme lun des symboles les plus fascinants de lœuvre

FIGURE XVIII )- lidolacirctrie ( le sujet des Sages)

Aussi voilagrave qui peut expliquer - du mecircme rapport que la folie qui lui fait pendant - la fausse foi du souffleur qui naura pas su trouver le fil dAriane que nous eacutevoquons plus haut Il croira agrave des miroirs trompeurs au reflet de Narcisse et se complaira dans laquo mille brouilleries raquo pour reprendre lheureuse expression de Nicolas Flamel [Fig Hieacuter] Il croira au rapport de lArt sacreacute avec les cultes infernaux les ceacutereacutemonies dinitiation ougrave lesprit se dissout plus quil nest sublimeacute il succombera aux mystegraveres orphiques dans ce quils ont de plus vulgaire et ce sont les plus viles meacutetamorphoses quil accomplira dans son creuset Il est eacutetrange de voir Fulcanelli comparant lIdolacirctrie au meacutedaillon repreacutesentant la Folie mais cette eacutetrangeteacute est du mecircme rapport

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en musique que celui qui existe entre laccord consonnant et laccord dissonnant ils sont compleacutementaires Ainsi

laquo LAdepte sy retrouve mains jointes dans lattitude de la priegravere et semble adresser des actions de gracircces agrave la Nature figureacutee sous les raits dun buste feacuteminin que reflegravete un miroir Nous reconnaissons

lagrave lhieacuteroglyphe du sujet des Sages miroir dans lequel on voit toute la nature agrave deacutecouvert raquo [Mystegravere p 128]

La priegravere est une indication sur le Soufre [soufre cest-agrave-dire sulfure ou sulfate] agrave cause de

lassonance [soufre - Dieu] Combien de fois les alchimistes nous ont-ils dit quil fallait implorer Dieu pour reacutealiser lœuvre en affirmant - cest une constante dans les texte - que celui-ci eacutetait un laquo don de Dieu raquo Mais si le Christ a souffert la Passion Fulcanelli demande agrave limpeacutetrant une autre action de gracircce qui est celui de laquo potasser pour lXraquo Que lon voit dans cet X une croix anseacutee ou la croix du Christ apregraves tout peu importe car nul na dit que lalchimie eacutetait reacuteserveacutee aux Chreacutetiens quand bien mecircme il est eacutevident que lœuvre agrave partir du Moyen Acircge sest pour ainsi dire nourri de la figure christique en mecircme temps quelle nourrissait dailleurs la musique [cf le Visage du Christ dans la musique baroque Jean-Franccedilois Labie Fayard 1992]

FIGURE XIX - la chariteacute (preacuteparation du dissolvant universel)

Fulcanelli eacutecrit laquo un homme expose limage du Beacutelier et tient de la dextre un objet quil est malheureusement impossible de deacuteterminer aujourdhui Est-ce un mineacuteral un

fragment dattribut raquo

Il est bien difficile de reacutepondre agrave cette question On sait que le Beacutelier comme bien des signes zodiacaux a une nature double il reacutepond agrave Ariegraves et agrave Aregraves Le premier nous signale le signe du Printemps eacutepoque canonique ougrave il convient de deacutebuter les travaux mais qui doit sentendre au figureacute Car les deux premiers signes du zodiaque qui sont respectivement les lieux dexaltation du Soleil et de la Lune reacutepondent aux deux principaux composeacutes du Mercure un vitriol et un sel contenant sous une forme quelconque de lalkali fixe Si lon applique maintenant les regravegles de la

cabale voici ce quon peut dire du laquo fragment dattribut raquo en grec un attribut seacutenonce ou

Remarquons que Fulcanelli fait reacutefeacuterence agrave un fragment Or dans les deux cas le mot se

termine par cest-agrave-dire la fleur la violette Violette noire ou dun bleu sombre Il nest pas besoin den dire plus puisque nous avons deacutejagrave en maintes pages de ce site fait voir toute limportance que prenait dans le magistegravere la sphegravere de la violette chegravere agrave E Canseliet Voyons maintenant la racine

elle se reacutefegravere agrave un objet qui habite ou qui demeure dans sa maison on peut y voir la materia prima qui tient sa reacutesidence ou son gicircte laquo es cavernes de la terre raquo pour reprendre une expression quasi idiomatique dalchimie Et nous pouvons y voir la laquo maison de lor raquo cest-agrave-dire le christophore par lequel sexprime la Toyson dor de Salomon Trismosin Cest aussi la Toyson des Argonautes leur histoire est dune grande proximiteacute par rapport agrave lœuvre ainsi que la bien montreacute Dom Pernety dans ses Fables Egyptiennes et Grecques Ainsi voyons-nous que par laquo fragment dattribut raquo

Fulcanelli entend nous parler du Soufre dissous dans le Mercure [] et du Corps de la Pierre [] La chariteacute enseigne ainsi pour lalchimiste comment le Soufre tend la main au Sel Voilagrave le message que lalchimiste tenait ici agrave faire valoir Ce bas-relief correspond agrave la planche IX du Mystegravere On peut rajouter cette note de Pernety

laquo les Adeptes disent quils tirent leur acier du ventre dAriegraves et ils appellent aussi cet acier leur aimant

raquo [Dictionnaire Mytho-hermeacutetique]

Sur un commentaire de ce reacutebus voyez la section Matiegravere

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FIGURE XX - lavarice( le reacutegime de Saturne)

Limage montre un personnage exteacutenueacute qui sappuie sans doute pour se reposer dune marche trop longue dans le deacutesert Cest lalleacutegorie de lArtiste qui a perdu son fil dAriane mais quel rapport avec lavarice En grec

amour de largent litteacuteralement Saisit-on le rapport Lattention est attireacutee par le cousinage hermeacutetique entre la Lune et largent on sait que la Lune a nulle autre pareille peut-ecirctre est versatile et plurielle dans ses rapports au grand-œuvre Est-elle prise dans son premier quartier on sait quil est question du Mercure Est-elle prise en son dernier quartier alors il sagit du Sel ou du suc de la Lunaire pour ecirctre plus preacutecis Cest donc dun rapport au Mercure agrave lEsprit quil sagit ici Et quel est ce rapport De nous faire valoir que lEau permanente des Sages ne saurait ecirctre eacuteternelle et quil vient un moment ougrave

elle doit commencer agrave se sublimer faute de quoi lArtiste œuvrera dans le deacutesert et finira par desseacutecher sa Pierre agrave force de labreuver Ou si lon preacutefegravere lEsprit doit libeacuterer lAcircme pour quelle descende dans le Corps opeacuteration qui fait lobjet du sens hermeacutetique des signes du Sagittaire et du Scorpion Mais Fulcanelli ne semble pas de cet avis puisquil intule la planche XXII du Mystegravere le Reacutegime de Saturne avec ce commentaire

laquo Un vieillard transi de froid et courbeacute sous larc du meacutedaillon suivant sappuie las et deacutefaillant sur

un bloc de pierre une sorte emanchon enveloppe sa main gauche raquo [Mystegravere p 128]

Le commentaire qui suit ne laisse pas deacutetonner et de se demander si Fulcanelli eacutetait envieux et charitable lorsquil preacutecise

laquo Il est facile de reconnaicirctre ici la premiegravere phase du second œuvre alors que le Rebis hermeacutetique enfermeacute au centre de lAthanor souffre la dislocation de ses parties et tend agrave se mortifier [] Cest le

regravegne de Saturne qui va paraicirctre emblegraveme de la dissolution radicale raquo [idem]

Voilagrave qui laisse perplexe Comment le Rebis pourrait-il se disloquer alors mecircme quil na pas encore pris forme Car qui dit Rebis dit forceacutement union mecircme si elle nest pas radicale [cest alors le terme dAirain qui est employeacute] Et lon ne voit pas que le Rebis constitueacute doive agrave nouveau ecirctre deacutesuni car leacutevolution est continuelle Que par contre il soit question de la mort prochaine du Mercurius senex qui doit laisser place agrave plus jeune que soi certes aussi est-ce dans cette acception que nous ferons correspondre le texte manifestement et exceptionnellement envieux de Fulcanelli Quant au regravegne de Saturne il renvoie au Regravegne de Saturne transformeacute en siegravecle dor lautre titre de lapocryphe dHuginus agrave Barma un grand classique Cest la suite de la citation qui permet cette conjecture

laquo [] Je suis vieil deacutebile et malade lui fait dire Basile Valentin pour cette cause je suis enfermeacute

dans une fosse [] raquo [ibid]

Il sagit dune citation incomplegravete dun des chapitres de lAzoth

laquo Je suis le vieil homme deacutebile amp malade mon surnom est Dragon Pour cette cause je suis enfermeacute dans une fosse afin que je sois reacutecompenseacute de la Couronne Royale amp que jrsquoenrichisse ma famille eacutetant en particulier lieu serviteur fugitif Mais apregraves ces choses nous posseacutederons tous les treacutesors du Royaume le feu me tourmente grandement amp la mort rompt ma chair amp mes os jusqursquoagrave ce que six

semaines passent raquo [Azoth Opeacuteration du mystegravere philosophique]

Comment Fulcaneli a-t-il pu mettre les traits du Rebis sur ce vieil homme lorsque la citation compleacuteteacutee permet de montrer que son surnom est Dragon Et que de surcroicirct il vienne agrave dire quil est le laquo serviteur fugitif raquo La seule explication possible qui permettrait dinclure le Rebis serait de faire de ce vieil homme non pas le Rebis mais le Compost [mixte Rebis - Mercure] mais de toute faccedilon cela nirait pas dans le sens ougrave linterpregravete lAdepte puisquil sagit dune dissolution on peut en dernier recours ajouter que Le Breton a vu quatre dissolutions dans lœuvre [Les Clefs de la Philosophie spagyrique Paris Jombert 1722] et quil ne serait pas impossible de voir dans la dissipation finale du Mercure [qui doit mourir agrave la fin de lœuvre] lultime dissolution mais qui na rien agrave voir avec la putreacutefaction alors que Fulcanelli parle de laquo [] la deacutecomposition et de la couleur noire raquo

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dont le symbolisme sinscrit au deacutebut de la Grande Coction en sa phase humide au lieu quici nous sommes agrave la phase dassation

FIGURE XXI - la patience (- le Soufre philosophique)

Que navons-nous pas parleacute du laquo sel de patience raquo que lArtiste doit neacutecessairement connaicirctre avant de se livrer aux travaux de la Grande Coction Les textes disent que lArtiste doit user de prudence et de patience pour amadouer le vieux dragon dont le feu est cacheacute sous les cendres meacutetalliques cest-agrave-dire dont la ponticiteacute eacuteleacutementaire a eacuteteacute maicirctriseacutee lorsque lalchimiste y a joint les deux colombes qui volent sans ailes dans la forecirct de Diane [ Introiumltus ] Nous avons eu loccasion de montrer dans

dautres sections que le mot patience [] renvoyait agrave la force dacircme ce qui suffit agrave indiquer son sens hermeacutetique Fulcanelli voit dans ce bas-relief - correspondant agrave la planche XVII du Mystegravere - le Soufre philosophique on y distingue un taureau et voici ses commentaires

laquo Comme figure de pratique le taureau et le bœuf eacutetaient consacreacutes au soleil de mecircme que la vache lest agrave la lune il figure le Soufre principe macircle puisque le soleil est dit meacutetaphoriquement par Hermegraves le Pegravere de la pierre [] le soleil et la lune [] deacutesignent les natures primitives contraires

avant leur conjonction natures que lArt extrait de mixtes imparfaits raquo [Myst p 122]

Toutefois le taureau a toujours deacutesigneacute la Lune qui sy trouve exalteacute et ougrave Veacutenus possegravede lune de ses maicirctrises [cf lagrave-dessus le zodiaque alchimique et lhumide radical meacutetallique] Par ailleurs lune

des vaches les plus connues en mythologie deacutesigne agrave la fois le deacutebut du mot et du mot cest-agrave-dire la violette et le venin or ces deux mots sont relatifs au Soufre et non au Mercure stricto sensu [les appellations vulgaires sont la rouille et le vert-de-gris] Ce thegraveme se trouve entiegraverement deacuteveloppeacute dans lAtalanta XXXII

FIGURE XXII - la colegravere

Cest la marque dun Mercure dont la ponticiteacute est excessive Cet excegraves peut ecirctre ducirc soit agrave une quantiteacute de calorique trop important - les Artistes disent alors que lon laquo brucircle les fleurs raquo soit agrave des proportions mal deacutefinies dans la composition du dissolvant Ce meacutedaillon na pas eacuteteacute commenteacute par

Fulcanelli La colegravere [] cest lagitation inteacuterieure qui gonfle lacircme Voyez ici la Chrysopeacutee du Seigneur apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Il semble que lon observe dans ce bas-relief agrave gauche Zeus muni de son foudre et agrave droite un pegravelerin mais ce tableau lapidaire a subi linjure du temps On peut associer agrave la colegravere la tempecircte que lon observe comme blason de lun des deacutecans de la Vierge le 2

egraveme deacutecan Son symbolisme a eacuteteacute analyseacute dans lAtalanta

XLVII

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FIGURE XXIII - la perseacuteveacuterance ( lathanor et la pierre)

Nous navons cesseacute de leacutevoquer cest lun des plus grands arcanes de lœuvre savoir tenir son Mercure en forme

deau mineacuterale le Mercure doit donc sattacher au Soufre agrave la teinture en maniegravere de supplique pressante Cest pourquoi les textes exhortent limpeacutetrant agrave prier avec insistance Dautres textes insistent sur la graisse du vent

mercuriel [ avec de la graisse mais aussi avec teacutenaciteacute ou perseacuteveacuterance] notamment les Figures Hieacuteroglyphiques le Donum Dei et lAtalanta fugiens Fulcanelli voit dans la planche XII du Mystegravere

laquo [] une coupe longitudinale de lAthanor et lappareillage interne destineacute agrave supporter lœuf philosophique de la main

droite le personnage tient une pierre raquo [Myst p 115]

Lagrave encore lusure du temps ne laisse plus voir grandchose du subtil meacutecanisme que deacutecrit lAdepte Le lecteur verra au livre de la Clef du Secret des Secrets de Nicolas de Valois une fort belle coupe de lathanor Fulcanelli sen tient lagrave il aurait pu ajouter que cette pierre contractait peut-ecirctre quelque rapport avec la pierre noire de Pessinonte et que le personnage de la planche XXIII nest autre quune autre version de Cybegravele et que limage de lathanor et de son appareil nest autre que le reacutesumeacute le Mixte lapidaire pourrait-on dire des deux lions qui flanquent le char de la deacuteesse dAsie Mineure Le buis consacreacute agrave Cybegravele et agrave Hadegraves repreacutesente le symbole de la perseacuteveacuterance cf Aureum Seculum Redivivum de Mynsicht

FIGURE XXIV - linconstance (lEntreacutee du Sanctuaire )

Lexamen du septiegraveme meacutedaillon de Notre-Dame de Paris donne agrave Fulcanelli loccasion de nous deacutevoiler le sens preacutecis de la reacuteincrudation

laquo [Le vieillard]vient darracher le veacutelum qui en deacuterobait lentreacutee [au Palais Fermeacute du Roy] aux regards profanes Cest le premier pas accompli dans la pratique la deacutecouverte de lagent capable dopeacuterer la reacuteduction du corps fixe de le reacuteincruder selon lexpression reccedilue en

une forme analogue agrave celle de sa prime substance raquo

Cette citation se rapporte agrave lopeacuteration qui consiste agrave dissoudre les laquo meacutetaux morts raquo cest-agrave-dire les chaux meacutetalliques des anciens chimistes dans un fondant approprieacute cest lagent ou artifice secret queacutevoque

Fulcanelli quand il parle de conjoindre les extreacutemiteacutes du vaisseau de nature Or ce vaisseau il nous est preacutesenteacute agrave la figure XXIII dans le meacutedaillon central cest lathanor philosophique Mais le mystegravere - au sens propre du terme - reste entier qui a deacutetermineacute Fulcanelli agrave poser une identiteacute entre

linconstance et ce vieillard En voici la clef linconstance en grec se dit et a valeur dune chose non fixe mobile et par suite inconstante Cest donc le volatil qui est nommeacute ici et le proceacutedeacute secret dont parle lAdepte parisien va preacuteciseacutement ecirctre de transformer une chose non fixe en chose fixe Mais cela doit sentendre dune matiegravere qui est dans un eacutetat visqueux ou liquide Cest donc bien de la laquo reacuteduction du corps fixe raquo dont parle Fulcanelli et le vellum que lon voit choir au pied gauche du vieillard est semblable agrave une tecircte cest donc dun caput mortuum quil sagit Ce bas-relief est numeacuteroteacute comme la planche XXIV du Mystegravere On voit que Fulcanelli lui a donneacute un titre dont le rapport avec lEntreacutee du Sanctuaire est rien moins que certain Lun de ses commentaires pourra peut-ecirctre nous aider agrave mieux percevoir ce rapport qui se deacuterobe

laquo En effet le vieillard que les textes identifient agrave Saturne - lequel dit-on deacutevorait ses enfants - eacutetait

jadis peint en vert tandis que linteacuterieur du Palais offrait une coloration pourpre raquo [Myst p 129]

Voilagrave qui est deacutejagrave plus clair Mais alors ce meacutedaillon preacutesente des traits congeacutenegraveres agrave celui de lavarice [le reacutegime de Saturne - planche XXII du Mystegravere] linconstance se manifeste ici comme la dissolution deacutefinitive - par sublimation - du dissolvant Toutefois la note de Fulcanelli nous permet

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den deacuteduire que le Lion vert est bien le premier eacutetat du Mercure cest-agrave-dire le laquo vinaigre tregraves aigre raquo dArtephius Et que la coloration pourpre reacutesulte de ce que le Lion rouge [qui correspond alors au Compost] est pousseacutee agrave la couleur purpurine au 4

egraveme degreacute de feu Mais en quoi est-il question laquo

dentreacutee dans le sanctuaire raquo cest-agrave-dire de lEntreacutee deacutesormais ouverte au Palais fermeacute du Roi [Introiumltus Philalegravethe] Cest que lArtiste ruseacute a amalgameacute lagent de dissolution avec sa propre dissolution cest-agrave-dire la sublimation terminale Il est clair en effet que lEntreacutee fermeacutee au Palais du Roi ne peut ecirctre ouverte que par la clef qui donne accegraves au dissolvant cest lobjet du 2

egraveme œuvre en

entier Ce dissolvant dans son premier eacutetat sapparente agrave un char muni de deux taureaux ou de deux lions il neacutecessite un frein un mors permettant de tempeacuterer son acrimonie Celui-ci nous est procureacute par les deux colombes de Diane qui seules peuvent tempeacuterer lardeur du dragon eacutecailleux Ces colombes - les deux Soufres - le transforment en Mercure animeacute cest-agrave-dire dompteacute degraves lors nous sommes dans le Palais du Roi La sortie se trouve du cocircteacute ougrave le Mercure trouve son exitus cest-agrave-dire dans sa chambre mortuaire dans son gisant le lecteur trouvera dans les Gardes du Corps des explications agrave cet eacutegard

FIGURE XXV - la chasteteacute (la salamandre - Calcination)

Ce sont des substances deacutepureacutees que lArtiste doit manipuler qui ont eacuteteacute reacuteduites par le feu qui en a conserveacute la quintessence dougrave cette image de salamandre Cest un sel

fixe qui est eacutevoqueacute par la chasteteacute [] il peut sagir de lalkali fixe [lun des constituants du Mercure] soit de la terre de lalun [le Corps de la Pierre appeleacute Arsenic par Geber et principe Sel depuis Paracelse] Le sens de ce bas-relief est donc - pour une fois - dune pure clarteacute Il figure sur la planche VIII du Mystegravere Voyons le commentaire que Fulcanelli nous a concocteacute pour la circonstance

laquo Ce leacutezard fabuleux ne deacutesigne pas autre chose que le sel central [] que les Anciens ont nommeacute Semence meacutetallique

raquo [Myst p 105]

Sel central voilagrave qui ne pose guegravere de problegraveme Mais laquo semence meacutetallique raquo Diable Fulcanelli preacutevient leacutetudiant quil sagit lagrave dune expression spagyrique - il parle de la calcination et non de la semence meacutetallique - et assure que les vieux auteurs nont eu en vue que leur agent occulte deacutesigneacute expresseacutement comme le laquo feu secret raquo dont la forme geacuteneacuterale appelle la comparaison avec une mer plutocirct quavec un feu Cest sur deux pages que lAdepte seacutetend sur cette notion de feu igneacute quil nomme laquo eau ardente raquo et que daucuns ont cru traduire par laquo eau-de-vie raquo Il est certain que le Ciel philosophique de Freacutedeacuteric Ulstade contient des descriptions approfondies des distillations par lesquelles on preacutepare leau-de-vie mais on ne trouvera point de note touchant au dissolvant qui nen est pas moins une certaine eau-de-vie agrave sa maniegravere Cette substance proteacuteiforme a ceci deacutetonnant quelle procure la mort avant de redonner la vie et les alchimistes ont symboliseacute ces extrecircmes sous les dehors du corbeau [Atalanta XLIII] et du pheacutenix [De ave phoenice] Ces deux oiseaux occupent une part importante de la voliegravere hermeacutetique Mais revenons agrave notre semence meacutetallique Quelle est lideacutee qui occupe lesprit de lAdepte Dabord observons en premier lieu que lorigine de cette semence est le dragon eacutecailleux Car lArtiste nen dispose point il lui faut linfuser dune maniegravere quelconque dans le Mercure disposeacute en son eacutetat primitif Et que cette semence soit dabord pourrie [cf Basile Valentin Douze Clefs de Philosophie] Nous avons au deacutebut de notre quecircte postuleacute que cette semence eacutetait repreacutesenteacutee par la reacutesine de lor alchimique Cette conjecture est-elle probable En quoi se rapproche-t-elle de la reacutesine de lor cest-agrave-dire en un mot du christophore Reacutepondre agrave ces questions cest du mecircme coup toucher au plus haut mystegravere de lœuvre Car la semence meacutetallique est faite du grain dor dont les multiplications ulteacuterieures sont tributaires Or le principe de Raison est inconciliable avec cette ideacutee laquo baroque raquo de multiplication assimileacute au principe de la laquo multiplication des painsraquo lun des Miracles quont signaleacutes les Evangiles La seule hypothegravese conciliable avec cette ideacutee serait celle dune enzyme dont on sait quelle peut deacuteclencher une reacuteaction chimique ad libitum tout en eacutetant reacutegeacuteneacutereacutee Or rien ne permet - hormis quelques expeacuteriences de Sainte Claire Deville faites sur lesprit de sel - de fonder en hypothegravese raisonnable une telle conjecture Ajoutons que la majoriteacute des traiteacutes dalchimie font allusion - et ce assez directement - agrave

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cette multiplication Incapable de pouvoir reacutesoudre cette eacutenigme nous pouvons en revanche nous faire une ideacutee de la faccedilon dont cette semence sera capteacute par lAimant des Sages

FIGURE XXVI - la luxure ( la Connaissance des poids)

La luxure prend ici le sens de deacutemesure ce qui est indiqueacute

par la balance impudence insolence et plus geacuteneacuteralement de mœurs dissolues Tel est le sens eacutesoteacuterique deacutegageacute par cette figure Quant agrave la signification exoteacuterique elle est claire Les alchimistes bien avant Lavoisier avaient eu la notion intuitive du poids des eacuteleacutements quils devaient faire entrer dans leur Mixte cest-agrave-dire leur Airain eacutetat premier du Rebis Non seulement ils avaient eu cette prescience mais encore ils avaient eu lintuition que la combinaison de leurs eacuteleacutements ne pouvait intervenir quen de certains termes par lagrave ils faisaient le distinguo entre ce quils appelaient le laquo poids de lart et le poids de nature raquo Cette image de la balance est omnipreacutesente dans liconographie alchimique agrave commencer par la figure de Theacutemis ou celle de

larchange Gabriel vainqueur du dragon eacutecailleux Fulcanelli nomme ce meacutedaillon la Connaissance des poids [planche XX] On peut citer ce passage

laquo Lauteur des Aphorismes Basiliens ou Canons Hermeacutetiques de lEsprit et de lAcircme eacutecrit au Canon XVI Nous commenccedilons notre œuvre hermeacutetique par la conjonction des trois principes preacutepareacutes sous une certaine proportion laquelle consiste au poids du corps qui doit eacutegaler lesprit et lacircme

presque de sa moitieacute raquo [Myst p 125]

Ces Aphorismes Basiliens sont une oeuvre rare [imprimeacutes nous dit en note E Canseliet agrave la suite des Oeuvres tant Meacutedicinales que Chymiques du RP de Castaigne Paris de la Nove 1681] Comme convenu le poids de lAcircme est de beaucoup infeacuterieur au poids du Corps

FIGURE XXVII 13)- la concorde

( les mateacuteriaux neacutecessaires agrave leacutelaboration du dissolvant)

Pour Fulcanelli voilagrave une figure qui reacutesume la liste des mateacuteriaux du dissolvant Nous savons que cette planche tenue par la deacuteesse ne peut ecirctre que du bois dont eacutetait fait le vaisseau des argonautes les fameux checircnes parlants de loracle de Dodonne [voyez en recherche] Ce bas-relief fait lobjet de la planche XIV du Mystegravere p 80 Cest pour Fulcanelli loccasion de citer la Clef du Cabinet Hermeacutetique dun auteur anonyme

laquo Leau dont nous nous servons [] est une eau qui renferme

toutes les vertus du ciel et de la terre [] raquo [Myst p 118]

Il sagit agrave leacutevidence de leau mineacuterale et meacutetallique qui constitue la fontaine de jouvence bain des astres de la Fontaine du Treacutevisan fontaine du Rosaire des Philosophes Fulcanelli ajoute des reacuteflexions qui ont trait

davantage au Soufre dissous quau Mercure

laquo La racine de nos corps est en lair disent les Sages et leurs chefs en terre raquo [idem]

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FIGURE XXVIII 14)- la discorde ( la Dissolution Combat

des deux Natures)

Et voici ce qui repreacutesente peut-ecirctre le sommet de linterpreacutetation eacutesoteacuterique des bas-reliefs de Notre-Dame par lalchimiste parisien tout de mecircme quun chef dœuvre de lart lapidaire des imagiers du Moyen Acircge Lagrave encore ce bas-relief a eacuteteacute preacutesenteacute plusieurs fois il nous suffira donc de dire que nous tenons lagrave les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature irreacuteductibles ennemis quil suffira dunir par le truchement de deux substances preacutesentes en puissance dans le pot de terre que lon voit entre les pieds du personnage de gauche et dans la pierre que lon voit tomber entre les deux personnages Comme leacutecrit Fulcanelli - cf Atalanta fugiens XXXV -

laquo Il nest guegravere possible deacutecrire avec plus de clarteacute ni de simpliciteacute laction de leau pontique sur la matiegravere grave et

ce meacutedaillon fait grand honneur au maicirctre qui la conccedilu raquo [Myst p 131]

La matiegravere du pot de largile est de celle dont on extrait le Corps de la Pierre quoiquil se preacutesente un autre mineacuteral dans la nature dougrave lon peut lextraire plus aiseacutement Et la pierre est de celle dont on extrait le sel qui formera notre eau mineacuterale comme laffirme avec veacuteheacutemence Alexandre Sethon

laquo Notre matiegravere paraicirct aux yeux de tout le monde et elle nest pas connue Ocirc notre Ciel Ocirc notre Eau Ocirc notre Mercure Ocirc notre Sel nitre qui ecirctes dans la mer du monde Ocirc notre Veacutegeacutetable Ocirc notre Soufre fixe et volatil Ocirc tecircte morte ou fegraveces de notre mer Eau qui ne mouille point sans laquelle

personne au monde ne peut vivre et sans laquelle il ne naicirct et ne sengendre rien en toute la Terre raquo [Nouvelle Lumiegravere Chymique Chapitre XI De la pratique et composition de la Pierre ou Teinture

Physique selon lArt]

Et lon ne saurait ecirctre plus clair sauf agrave passer des bornes que Fulcanelli tenu par le secret na pas cru bon de transgresser Ce bas-relief est disposeacute sur la planche XXV du Mystegravere

FIGURE XXIX - la force (- le Corps fixe)

Cest le lion qui se trouve deacutesigneacute Emblegraveme majeur de lœuvre cest agrave de multiples reprises que nous avons parleacute du lion vert et du lion rouge [recherche] Voyez lAtalanta fugiens et le zodiaque alchimique Que lon comprenne bien ici que leacutepeacutee et le casque sont les attributs de lhomme armeacute La chanson profane LrsquoHomme armeacute dont on attribue la paterniteacute agrave Busnois [preacutecepteur du futur Charles le Teacutemeacuteraire dernier duc de Bourgogne] compte parmi les plus ceacutelegravebres de la fin du Moyen Acircge au point que plus de quarante messes srsquoen inspiregraverent Cet engouement provient-il de sa possible origine bourguignonne en liaison avec lrsquoordre de la Toison drsquoor drsquoune reacuteminiscence des Croisades ou encore drsquoune eacutevocation cacheacutee de Longin le soldat romain qui transperccedila le flanc du Christ Aucune de ces hypothegraveses nrsquoapporte drsquoeacuteclairage satisfaisant sur les

destineacutees drsquoune piegravece dont le texte mecircme reste eacutenigmatique laquo Lrsquohomme armeacute doit on doubter - On a fait partout crier - Que chacun se viegne armer - drsquoun haubregon de fer raquo La coiumlncidence est assez extraordinaire de ce que tant la toison de lor [notre christophore] que la couleur qui sourd de la poitrine du Christ soit de la mecircme couleur blanche Sur la Force voyez les Gardes du Corps Le bas-relief occupe la planche XV du Mystegravere Voici une citation que donne Fulcanelli sur ce lion

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laquo [] Cest ce qui a engageacute Basile Valentin agrave donner ce conseil Dissous et nourris le vray Lion du sang du Lion vert car le sang fixe du Lion rouge est fait du sang volatil du vert parquoy ils sont tous

deux dune mesme nature raquo [Myst p 121]

Lattention est attireacutee par leacutevolution dun processus ougrave la mecircme matiegravere est manifestement ameneacutee agrave un degreacute supeacuterieur de deacutepuration nous sommes ici au reacutegime de Veacutenus ou de Mars

FIGURE XXX- la lacirccheteacute

Ce bas-relief na pas eacuteteacute interpreacuteteacute par Fulcanelli et cest bien dommage Comment en effet expliquer quun simple lapin [lepus] mette en fuite un chevalier [on voit leacutepeacutee tomber derriegravere lui] Et que signifie cet oiseau qui ressemble agrave un rapace percheacute sur larbre Il naura pas eacutechappeacute au cabaliste que le mot lepus puisse ecirctre rapprocheacute de lupus cest-agrave-dire le loup voilagrave deacutejagrave qui se rapproche de lArt sacreacute En quoi Nous laisserons au lecteur le soin de chercher lui-mecircme le rapport dans la section des Principes agrave propos du commentaire dE Canseliet sur le jardin de la villa Palombara agrave Rome [Deux Logis Alchimiques Pauvert 1978] Cest dune fuite quil est question ici cest-agrave-dire dune dissolution ou dune volatilisation or un mot suffit agrave lier ces deux opeacuterations sublimation Notez que Fulcanelli reviendra sur cette laquo gueule de

loup raquo lors de lexamen de la chemineacutee alchimique du chacircteau de Fontenay-Le-Comte

FIGURE XXXI lespeacuterance ( lEvolution - Couleurs et

Reacutegimes du Grand œuvre)

Cest une allusion agrave lun des deux aspects que prend la planegravete Veacutenus lors du creacutepuscule vespeacuteral ougrave les Anciens la nommaient Hesperus Elle signale agrave lArtiste que lœuvre progresse bien et que la Grande Coction

est deacutejagrave bien entameacutee lEspeacuterance [Spes] On sait que ce fut le seul don des dieux qui ne seacutechappa point de la boicircte de Pandore le seul qui fut fixe Aussi les alchimistes lui ont-ils consacreacutes une maxime laquo Spes mea in agno raquo qui fait partie du titre de la Philosophie Naturelle Restitueacutee de Jean dEspagnet [il sagit de lanagramme de son nom] dont on ne dira jamais assez toute limportance tant au plan de la science hermeacutetique quau plan de lhistoire puisque Philalegravethe lui doit beaucoup [cf Oeuvre Secret dHermegraves] On voit ainsi que lEspeacuterance est en fait un

clin dœil agrave lagneau ou si lon preacutefegravere au Beacutelier Il sagit de la planche X du Mystegravere Avec ces remarques du maicirctre

laquo LEvolution succegravede et montre loriflamme aux trois pennons tripliciteacute des Couleurs de lŒuvre que

lon retrouve deacutecrites dans tous les ouvrages classiques raquo [Myst p 107]

Fulcanelli seacutetend ensuite sur 7 pages dans la description et linterpreacutetation des couleurs Il suffira de donner cet extrait qui montre comment relier lhermeacutetisme et lhistoire la plus reculeacutee du genre humain

laquo En Chaldeacutee les Ziguras qui furent ordinairement des tours agrave trois eacutetages et agrave la cateacutegorie desquelles appartenait la fameuse Tour de Babel sont revecirctues de trois couleurs noir blanche et

rouge-pourpre raquo [Myst p 111]

Les couleurs de lœuvre sont lune des eacutenigmes les plus eacutepuisantes dans la quecircte que limpeacutetrant aura agrave mener dans son parcours hermeacutetique Mais enfin il est possible dy voir des correspondances

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relativement simples Ainsi peut-on poser que le noir est la couleur de la TERRE cest-agrave-dire de la cendre notamment celle des meacutetaux et celle de lalkali fixe Cest pourquoi la premiegravere couleur qui se

reacutevegravele agrave lArtiste au deacutebut de lœuvre est celle de la putreacutefaction [mais bien sucircr il ne sagit pas du

deacutebut cest-agrave-dire de la reconnaissance des matiegraveres premiegraveres mais bien du deacutebut de la Grande

Coction au 3egraveme

œuvre] Vient ensuite le blanc cest par tradition la couleur de ce qui est pur il

sagit donc dune couleur qui apparaicirct - en esprit - apregraves quun certain travail aura eacuteteacute meneacute agrave bien avec nos cendres mineacuterales et meacutetalliques Cette couleur blanche est celle de lAIR et indique que les subtances sont dans un eacutetat sublimeacute [ce qui ne veut pas dire aeacuterien] Enfin le rouge-rubis cest la couleur de la conseacutecration de la royauteacute celle par laquelle lArtiste parvient agrave lAdeptat

FIGURE XXXII le deacutesespoir

La logique - qui nest nullement incompatible avec la cabale hermeacutetique bien tempeacutereacutee - voudrait que lon voit dans ce bas-relief le premier eacutetat de la planegravete Veacutenus au creacutepuscule du matin Lucifer Du coup nous voici au deacutebut de lœuvre [nous voulons parler bien sucircr du 3

egraveme œuvre cest-agrave-dire de la Grande Coction]

et en une eacutepoque ougrave la matiegravere prend cet aspect visqueux particulier qui nous a valu les Ripleys Scrowles ou le FOU du

tarot absence de raison emportement Ce bas-relief est eacutevidemment congeacutenegravere de celui consacreacute agrave la FOLIE Voilagrave une indication sur le premier eacutetat du Mercure Observez le double caractegravere de ce premier Mercure il est agrave la fois incontrocircleacute et

indolent [] Cest-agrave-dire quil est mou au lieu que le Mercure animeacute doit ecirctre en forme deau mineacuterale et au vrai fluide comme de leau agrave linstar dun bon

fondant Cest-agrave-dire quil est amorphe le but de la Grande coction eacutetant den faire apparaicirctre []

le eacutetoileacute et cristallin Cette figure na pas eacuteteacute interpreacuteteacutee par Fulcanelli

FIGURE XXXIII - lhumiliteacute ( le Corbeau - Putreacutefaction)

La Patience est lrsquoeacutechelle des Philosophes et lrsquoHumiliteacute est la porte de leur Jardin [ paroles rapporteacutees dans les Douze Clefs de Basile Valentin cest lune des phrases les plus empruntes de poeacutesie de la litteacuterature alchimique ] Le bas-relief montre un corbeau Sait-on que lameacutethyste - que les Evecircques portent - est le symbole de lhumiliteacute parce quelle est de la couleur de la violette Revoyez ce que nous avons dit plus haut au sujet du laquo fragment dattribut raquo Compleacutetez par tous les passages ougrave nous parlons de la violette de la rouille et de la grenade la transition du corbeau au coq naura plus de secret pour vous et de plus vous comprendrez en quoi la noix de galle associeacutee au checircne se rapproche de cet objet curieux quexaminait Fulcanelli en nous disant que de forme lenticulaire il est blanc sur une face noire sur lautre et violet dans sa cassure Voilagrave nommeacute le Soufre rouge

ou teinture de la Pierre Mais il sagit lagrave dun raccourci trop rapide Revenons agrave ce que nous dit Fulcanelli sur ce corbeau qui orne la planche VI du Mystegravere

laquo Selon Le Breton il y a quatre putreacutefactions dans lŒuvre philosophique La premiegravere dans la premiegravere seacuteparation la seconde dans la premiegravere conjonction la troisiegraveme dans la seconde conjonction qui se fait de leau peusante avec son sel la quatriegraveme enfin dans la fixation du

soulphre Dans chacune de ces putreacutefactions la noirceur arrive raquo [Myst p 101]

Nous avons deacutejagrave plusieurs fois citeacute Le Breton qui semble un auteur important On voit que la premiegravere putreacutefaction correspond agrave la preacuteparation de lArcanum duplicatum la terre noire tombe au fond de la cornue cependant que laqua sicca se sublime dans le reacutecipient elle se situe donc au 2

egraveme œuvre [ougrave

la voie humide est exclusive] La seconde survient au tout deacutebut du 3egraveme

œuvre et repreacutesente la noirceur laquo classique raquo celle que deacutecrivent tous les traiteacutes La troisiegraveme pose davantage de problegraveme laquo qui se fait de leau pesante avec son sel raquo Limage qui nous vient immeacutediatement agrave lesprit cest Latone accouchant agrave Deacutelos dArteacutemis dune certaine faccedilon il sagit bien dune seacuteparation qui procegravede dune parturition Encore est-elle incomplegravete elle sera acheveacutee par la quatriegraveme putreacutefaction qui consiste en la fixation du Soufre au Sel Latone accouche dApollon et Arteacutemis lui sert de paregravedre On

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devine que la laquo noirceur raquo est purement une image eideacutetique De combien de souffleurs a-t-elle donc abuseacute A tout cela nous ajouterons que larcane repreacutesenteacute dans leacutecu que nous preacutesente lHumiliteacute garde une partie de son mystegravere en effet nous avons vu que Villard de Hennecourt [XIIIe siegravecle] y voyait une colombe et Fulcanelli un corbeauComment arriver agrave concilier les deux visions lune laquo positive raquo eacutemanant dun maicirctre imagier lautre laquo speacuteculative raquo eacutemanant dun maicirctre hermeacutetiste Voici ce quon peut en dire le voyage des Argonautes est tregraves lieacute on le sait aux mystegraveres orphiques et agrave lalchimie ce nest certes pas une leacutegende alchimique mais les hermeacutetistes Dom Pernety y a beaucoup travailleacute dans ses Fables Egyptiennes et Grecques ont su y deacuteceler des intentions en direction de lArt sacreacute Dans cette leacutegende on sait quagrave un moment Eurysteacutee au passage des roches cyaneacutees ou Symplegades va deacuteclencher louverture du barrage formeacute par ces roches gracircce au lacher de deux colombes notez que cette scegravene intervient agrave la sortie du Pont-Euxin [la Mer Noire] le deacutecors est poseacute le Pont-Euxin nest autre que le symbole de la dissolution des matiegraveres et le lacirccher de colombes la sortie de cette phase Si lon en revient agrave lalchimie on sait que lhieacuteroglyphe du corbeau deacutefinit la phase de putreacutefaction la noirceur cette laquo noirceur raquo est le fait de laction du dissolvant des Sages Mais sur quoi Il ne saurait sagir dune laquo auto-dissolution raquo qui naurait aucun sensPhilalegravethe exceptionnellement va venir agrave notre secours il nous indique en effet [Introiumltus VI] que deux colombes que lon a trouveacutees dans la foret de la vierge Diane suffisent agrave calmer lacrimonie et la ponticiteacute du dissolvant et il ne peut faire de doute que ces deux colombes ne sont autres que les deux Soufres Soufre rouge ou teinture de la Pierre Soufre blanc cest-agrave-dire son Corps

FIGURE XXXIV - lorgueil ( la Cohobation)

Ce bas-relief est ceacutelegravebre pour ceux qui sinteacuteressent agrave lalchimie car Fulcanelli le deacutecrit comme repreacutesentant lun des plus grands mystegraveres de lœuvre la cohobation Cest peut-ecirctre Tripied dans son Vitriol Philosophique qui sest le plus approcheacute de la solution du problegraveme mais alors il faut voir cette opeacuteration au 1

er œuvre cest-agrave-dire lors de la phase de preacuteparation

des matiegraveres chapitre sur lequel les alchimistes sont presque tous muets

laquo un cavalier deacutesarccedilonneacute se cramponnant agrave la criniegravere dun cheval fougueux Cette alleacutegorie a trait agrave lextraction des parties fixes centrales et pures par les volatiles ou

eacutetheacutereacutees dans la dissolution philosophique raquo

Voilagrave ce que nous en dit Fulcanelli p 123 du Mystegravere des Catheacutedrales Il peut sagir aussi dopeacuterations agrave type

de convectionSi nous devions rapprocher ce bas-relief dune leacutegende mythologique cest au char de Phaeacuteton que nous penserions immeacutediatement Voyez cette fable dans notre humide radical meacutetallique Formant la planche XVIII du Mystegravere larcane ne se laisse pas facilement domestiquer agrave linstar du cheval fougueux qui manque de faire choir son cavalier Nous devons renoncer agrave limage dune cohobation classique en cornue pour ne plus penser quau principe de cette opeacuteration la concentration dune substance Cest ce quenseigne le maicirctre

laquo Labsorption du fixe par le volatil seffectue lentement et avec peine Pour y reacuteussir il faut employer beaucoup de patience et de perseacuteveacuterance et reacuteiteacuterer souvent laffusion de leau sur la terre de lesprit

sur le corps raquo [Myst p 123]

Mesure-t-on le degreacute de cabale de ces quelques lignes La patience - si lon sen tient agrave la terminologie de Fulcanelli - correspond agrave la figure XXI cest le Soufre philosophique [ou planche XVII du Mystegravere] Quant agrave la perseacuteveacuterance selon le mecircme principe cest la figure XXIII ou lAthanor et la Pierre [planche XII du Mystegravere] Et nous avons vu que cette derniegravere figure eacutetait rigoureusement superposable au char de Cybegravele qui tient sa pierre noire et est flanqueacutee dAtalante et dHippomeacutenegraves [cf Atalanta fugiens] Nous tenons lagrave les eacuteleacutements du vase de nature et la cohobation correspond agrave la peacuteriode dinstabiliteacute dont nous avons deacutejagrave parleacute ougrave la cristalisation de la matiegravere commence dopeacuterer Quant agrave la peine elle peut par cabale phoneacutetique renvoyer agrave la teinture de la Pierre cest-agrave-dire au Soufre rouge en effet la peine se dit en latin poena [peine tourment souffrance] mais la peine a une autre acception distiller [sudo] elle renvoie ausi agrave aerugo [cupiditeacute qui ronge le coeur rouille de cuivre et par aerumna agrave peines misegravere eacutepreuve]

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FIGURE XXXV lobeacuteissance - Conjonction du Soufre et

du Mercure)

Fulcanelli eacutevoque - agrave la planche XIII du Mystegravere - le griffon incarnation si lon peut dire des Harpyes la leacutegende leur donna lapparence de monstres eacutepouvantables Leur corps de vautour leur bec et leurs ongles crochus lodeur infecte qui les accompagne sont autant de repreacutesentations de monstres impossibles agrave rassasier

laquo Le monstre mythologique dont la tecircte et la poitrine sont celles de laigle et qui emprunte au lion le reste du corps initie linvestigateur aux qualiteacutes contraires quil faut neacutecessairement assembler dans la matiegravere philosophale

raquo

Sur lart et la maniegravere de reacutealiser cette eacutetrange parturition voyez notre commentaire de lAtalanta fugiens Quoi quil en soit le griffon par lintermeacutediaire de ces pattes arriegravere

contracte eacutegalement des rapports avec le dragon Notez aussi que tant le lion que le coq ou le heacuteron

ainsi que le griffon expriment la vigilance Quant agrave la griffe elle peut renvoyer agrave lonyx pierre preacutecieuse ou agrave un coquillage roseacute [meacuterelle et soufre par cabale] Les Grecs en faisaient le gardien de treacutesors [toute la mythologie a employeacute ce symbolisme Wagner dans Siegfried emploie un dragon Fafner qui garde lor des Nibelungen et lanneau magique dAlberich] et la monture dApollon Autrement dit nous devons voir dans ce griffon leacutequivalent strict de Latone Aussi bien sommes-nous daccord avec Fulcanelli lorsquil eacutecrit

laquo Nous trouvons en cette image lhieacuteroglyphe de la premiegravere conjonction laquelle ne sopegravere que peu agrave peu au fur et agrave mesure de ce labeur peacutenible et fastidieux que les Philosophes ont appeleacute leurs

aigles raquo [Myst p 115]

On sest beaucoup pencheacute sur cette eacutenigme des Aigles de Philalegravethe en particulier dans la section Matiegravere Cette premiegravere conjonction en accord avec les vues de Le Breton correspond donc agrave la noirceur traditionnelle On comprend en quoi lObeacuteissance est de concert avec ce griffon auquel dailleurs Fulcanelli aurait pu donner son nom plus commun dAirain

FIGURE XXXVI - la deacutesobeacuteissance

Ce bas-relief na pas eacuteteacute examineacute par Fulcanelli mais on peut en deviner la raison quand on voit les ravages que sept siegravecles de rafale ont imposeacute sur cette partie du grand portail de Notre-Dame

Doit-on voir dans le personnage de droite le deacutepart de lenfant prodigue Il faudrait donc voir le pegravere agrave gauche Le sens hermeacutetique du meacutedaillon serait alors superposable aux gravures du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck on peut voir dans lune le Fils seacuteloigner du Pegravere accompagneacute au sommet dune montagne par le conducteur et dans lautre le Fils redescendu dans le Palais du Roi son Pegravere et pregraves agrave ecirctre deacutevoreacute par lui Cest une parabole sur le Mercure la sublimation du Soufre et la reacuteincrudation

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FIGURE XXXVII 23)- la douceur ( lunion du Fixe et du

Volatil)

Aussi bizarre que cela puisse paraicirctre Fulcanelli voit un laquo coq - renard raquo dans le meacutedaillon de la douceur [planche XVI du Mystegravere] Cest une chimegravere dans les deux sens du terme Voici comment lAdepte voit cette figure

laquo Cest ce superbe manteau avec le Sel des Astres dit [Basile] qui suit ce soulfre ceacuteleste gardeacute soigneusement de peur quil ne se gaste et les faict voller comme un oyseau tant quil sera besoin et le coq mangera le renard et se noyera et estouffera dans leau puis reprenant vie par le feu sera (afin de jouer chacun leur tour) deacutevoreacute par

le renard raquo [Myst p 122]

Fulcanelli donne une citation se rapportant agrave la Clef III des Douze clefs de Basile LAdepte attire lattention sur la

devise favorite des alchimistes laquo Solve et Coagula raquo qui exprime entiegraverement le moyen et le but de lœuvre Cest cette extraction du Soufre rouge que lAdepte compare agrave ce monstre hybride tenant agrave la fois du coq et du renard Notez que lalleacutegorie sera mieux conccedilue et analyseacutee lorsque Fulcanelli examinera le portail central de la catheacutedrale dAmiens [Mystegravere planche XXV]

FIGURE XXXVIII 24)- la dureteacute ( la Reine terrasse le

Mercure Servus Fugitivus)

La dureteacute se situe agrave la planche XXI de louvrage de Fulcanelli Cest lune des figures les plus eacutenigmatiques des Vices et des Vertus Le commentaire quen donne lAdepte est particuliegraverement subtil il eacutevoque la voie du laquo mercure commun raquo pris comme laquo vif-argent vulgaire raquo

laquo Une reine assise sur un trocircne renverse dun coup de pied le valet qui une coupe agrave la main vient lui offrir ses

services raquo [Myst p 126-127]

On ne pourra comprendre lalleacutegorie si lon na pas lu la Clavicule de Ramon Lull Car Fulcanelli joue ici sur une cabale spirituelle entre les expressions mercure vulgaire et mercure commun autrement dit il veut parler ici du premier

Mercure encore appeleacute Mercure des philosophes diffeacuterent du Mercure philosophique Degraves lors tout ce quil dit du laquo vif-argent vulgaire raquo doit ecirctre pris dans un sens charitable Cest agrave cette occasion quil cite un opuscule tregraves rare de Sabine Stuart de Chevalier Discours philosophique sur les Trois Principes ou la clef du Sanctuaire philosophique [Paris Quillau 1781] Et quil complegravete lextrait quil en donne par ce commentaire

laquo Le servus fugitivus dont nous avons besoin est une eau mineacuterale et meacutetallique solide cassante ayant laspect dune pierre et de liqueacutefaction tregraves aiseacutee Cest cette eau coaguleacutee sous forme de

masse pierreuse qui est lAlkaest et le Disssolvant universel [] raquo [Myst p 127]

Le lecteur trouvera dans les sections du Mercure de lArcanum duplicatum dans lhumide radical meacutetallique et dans la reacuteincrudation de quoi faire le tour du problegraveme

Nous avons termineacute leacutetude des meacutedaillons les plus importants de Notre-Dame de Paris en revisitant ce livre tant extraordinaire plein de poeacutesie et deacuterudition de lun des plus ceacutelegravebres alchimistes du XX

e

siegravecle Fulcanelli Dautres meacutedaillons appartenant agrave dautres demeures philosophales attendent decirctre deacutepoussieacutereacutes et revisiteacutes agrave leur tour Cette section eacutetant deacutejagrave deacutemesureacutee nous reacuteserverons donc peut-ecirctre un jour une section speacuteciale qui sattachera agrave leacutetude des derniers tableaux lapidaires de Notre-Dame de Paris qui est loin davoir livreacute tous ses secrets et agrave leacutetude de ceux de la catheacutedrale dAmiens suivant en cela le plan du Mystegravere des Catheacutedrales

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LART RELIGIEUX DU XIIIe SIEgraveCLE EN FRANCE ETUDE SUR LICONOGRAPHIE DU MOYEN

AGE ET SUR SES SOURCES DINSPIRATION par Emile Macircle Paris Armand Colin in-4deg 468 p et fig

FIGURE XXXIX

(portail de Notre-Dame Bourges - deacutetail clicheacute Alain Mauranne)

Il nest jamais trop tard pour rendre compte dun bon livre surtout quand une seconde eacutedition

en consacre toute la valeur M Macircle qui avait fait paraicirctre la premiegravere eacutedition de son

excellent ouvrage en 1808 sest attacheacute agrave le perfectionner en y ajoutant de nouvelles

remarques iconographiques mais il est regrettable que son eacutediteur ne se soit pas imposeacute les

sacrifices neacutecessaires pour lillustration quil eacutetait facile de puiser dans la preacutecieuse collection

de M Martin-Sabon Comme le sous-titre lindique beaucoup mieux que le titre le livre de M

Macircle est une eacutetude densemble sur liconographie des portails et des vitraux de nos grandes

catheacutedrales gothiques Il a donc eu raison de deacutebuter par lexposeacute des caractegraveres de

liconographie du moyen acircge et de la meacutethode agrave suivre pour linterpreacuteter On eacutetait trop porteacute agrave

chercher dans la Leacutegende doreacutee lunique explication dune foule de scegravenes sculpteacutees ou peintes

parles artistes M Macircle qui a mis en relief la valeur de la grande encyclopeacutedie de Vincent de

Beauvais connue sous le nom de Speculum majus et qui lui a emprunteacute les grandes divisions

de son ouvrage restitue agrave Martianus Capella grammairien du Ve siegravecle et agrave Honorius eacutevecircque

dAutun au XIIe siegravecle auteur du Speculum ecclesiae et de lElucidarium la place qui leur

revient dans les sources de linspiration iconographique Les premiers chapitres sont consacreacutes

agrave leacutetude des animaux symboliques des bestiaires des calendriers des sept arts libeacuteraux des

vertus et des vices Lauteur qui seacutelegraveve avec raison contre lexageacuteration du symbolisme

eacutetudie parallegravelement les sources et les repreacutesentations figureacutees en comparant les unes aux

autres les sculptures des grandes eacuteglises gothiques Si les artistes du moyen acircge avaient une

grande liberteacute dinterpreacutetation leurs œuvres deacuterivent cependant de la mecircme inspiration

Dailleurs linfluence du clergeacute sur le programme imposeacute aux sculpteurs et aux peintres

verriers les obligeait agrave rester fidegraveles aux traditions conserveacutees dans les ateliers

Linterpreacutetation symbolique de la Bible et ses origines a fourni agrave M Macircle loccasion

dexpliquer beaucoup de scegravenes peintes sur les vitraux de Bourges de Chartres et du Mans et

de donner la clef des scegravenes sculpteacutees dans les voussures du portail nord de la faccedilade de

Notre-Dame de Laon ougrave le sculpteur sest inspireacute dun sermon dHonorius Les figures et les

attributs des patriarches des prophegravetes et des rois de Juda que lauteur identifie avec les

personnages des galeries de Notre-Dame de Paris dAmiens de Reims et de Chartres sont

eacutetudieacutes avec le plus grand soin ainsi que les scegravenes de la vie du Christ et les paraboles

Abordant ensuite les traditions leacutegendaires sur lancien et le nouveau Testament et sur la

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Vierge qui ont leur source dans les Evangiles apocryphes lauteur commente lhistoire de

Theacuteophile et montre linfluence exerceacutee dans les ateliers par la Vitu Christi de Ludovic le

Chartreux et le De gloria martyrum de Greacutegoire de Tours ce qui lui permet dexpliquer les

scegravenes de plusieurs vitraux de la catheacutedrale du Mans Les caracteacuteristiques des saillis et la

Leacutegende doreacutee linfluence des pegravelerinages sur la populariteacute des saints linfluence des

donateurs et des corporations meacuteritaient un chapitre speacutecial ougrave M Macircle a fait dingeacutenieuses

observations sur linterpreacutetation artistique de lœuvre ceacutelegravebre de Jacques de Voragine Les

artistes du moyen acircge avaient un meacutediocre souci des grands hommes de lantiquiteacute mais ils

ont repreacutesenteacute parfois la belle Campaspe agrave cheval sur Aristote et Virgile dans la corbeille M

Macircle prouve que la seule sibylle reproduite au XIIIe siegravecle fut la sibylle Erythreacutee parce que

saint Augustin lui attribuait les fameux vers acrostiches sur le jugement dernier Il montre

ensuite les erreurs commises par Montfaucon et dautres archeacuteologues qui ont cru reconnaicirctre

des rois de France dans des statues qui repreacutesentent en reacutealiteacute des personnages bibliques ete

siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque nationale sur linspiration des artistes du moyen acircge qui

ont copieacute la bote agrave sept tecirctes la femme nimbeacutee deacutetoiles qui remet son enfant agrave un ange

lapparition divine qui porte une eacutepeacutee dans sa bouche Enfin dans une conclusion dont la

forme litteacuteraire est un veacuteritable modegravele il a montreacute la physionomie de nos grandes catheacutedrales

en prouvant que les artistes eacutetaient les interpregravetes dociles du clergeacute qui reacuteglait lordonnance

des sujets Cette theacuteorie est absolument conforme agrave la veacuteriteacute comme notre confregravere M Mortel

la prouveacute avec documents agrave lappui dans un article du Bulletin Monumental de 1902 De

mecircme M Macircle rectifie encore une fois la theacuteorie de Viollet-le-Duc sur lesprit de reacutevolte des

artistes laiumlques du XIIIe siegravecle contre lart theacuteocratique de leacutepoque romane et il ajoute de

nouveaux arguments agrave la savante reacutefutation de notre confregravere M Anthyme Saint-Paul Il

deacutefinit la catheacutedrale une œuvre de foi et damour et il deacutecouvre dans Notre-Dame de Chartres

la penseacutee mecircme du moyen acircge devenue visible On ne saurait mieux dire Eacutecrit dans un style

eacuteleacutegant et preacutecis louvrage de M Macircle sera le veacuteritable vade-mecum des archeacuteologues qui

veulent eacutetudier liconographie du XIIIe siegravecle en comprendre les sujets et en retrouver les

sources dans les monuments eacutecrits de la litteacuterature dans les livres saints dans les leacutegendaires

mais la grande valeur du texte forme un contraste trop frappant avec la rareteacute des illustrations

qui auraient ducirc ecirctre plus nombreuses et plus soigneacutees Il est impossible dexpliquer

liconographie du moyen acircge avec 127 figures mais chacun sait que les eacutediteurs nont pas sur

ce point les mecircmes ideacutees que les archeacuteologues E LEFEVRE-PONTALlS

LART RELIGIEUX DU XIIe SIECLE EN FRANCE ETUDE SUR LES ORIGINES DE

LICONOGRAPHIE DU MOYEN AGE par Emile Macircle mdash Paris A Colin 1922 in 4deg IV-

459 p et 253 fig

Quand on cherche a se rendre compte des difficulteacutes que dut aborder M Macircle pour reacutesoudre les nombreux problegravemes qui se preacutesentent dans son livre on a limpression que ses deux premiers ouvrages sur le XIII

e siegravecle et sur la fin du moyen acircge eacutetaient tacircche facile agrave cocircteacute de celui-lagrave Cest

quici M Macircle a ducirc rechercher les sources lointaines auxquelles ont puiseacute nos artistes romans qui voulaient deacutecorer leurs eacuteglises de scegravenes religieuses Avec ce don de la clarteacute qursquoil possegravede au plus haut point il a mis en bonne lumiegravere celte question des origines de notre art roman Selon lui lantiquiteacute classique lart gallo romain lart des catacombes de la Rome chreacutetienne nont eu quune action tregraves restreinte sur lart chreacutetien de notre pays au XII

e siegravecle et il confirme dune maniegravere

deacutefinitive lopinion des archeacuteologues de notre temps suivant laquelle cest agrave lOrient chreacutetien que les artistes romans allegraverent demander presque tous leurs modegraveles Mais dans lart quon appelle oriental dun terme trop geacuteneacuteral il distingue avec beaucoup de finesse lart chreacutetien des villes grecques dOrient deacutesigne souvent par un abus de langage sous le nom dart helleacutenistique et lart chreacutetien syrien Ainsi lon trouve en mecircme temps lempreinte dune part des eacuteglises dAlexandrie dAntioche et dEphegravese dautre part celle de lart des eacuteglises de Jeacuterusalem et des eacuteglises de Syrie de Palestine et de Meacutesopotamie auquel M Macircle rattache les œuvres des monastegraveres coptes dEgypte et celles des eacuteglises de Cappadoce Cest donc dun art chreacutetien tregraves ancien des IV

e V

e et VI

e siegravecles que nos

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artistes firent des emprunts il en reacutesulte que la place consideacuterable que lon faisait jusquici agrave lart byzantin agrave lart de Constantinople des IX

e X

e et XI

e siegravecles eacutetait beaucoup trop importante Certes

nos artistes puisegraverent agrave cette source mais moins freacutequemment quon ne la cru Avant leacuteclosion de lart byzantin la Gaule meacuterovingienne et carolingienne avait deacutejagrave reccedilu de lOrient des manuscrits

enlumineacutes et cest lagrave que les artistes avaient chercheacute des inspirations leurs successeurs jusquau XIIe

siegravecle veacutecurent de ce vieux fonds Nous ne pourrons analyser tous les chapitres de louvrage de M Macircle dans lequel on retrouve cette langue harmonieuse sobre et preacutecise ougrave lon devine une note deacutemotion mecircleacutee parfois denthousiasme qui rend si captivante la lecture de ses livres Ceux qui suivent avec inteacuterecirct tout ce quil publie connaissaient deacutejagrave certaines des ideacutees eacutemises dans ce volume par plusieurs articles parus ces derniegraveres anneacutees dans la Revue de Paris la Revue de lart ancien et moderne et la Gazette des Beaux-Arts Lauteur apregraves avoir fait connaicirctre tout ce que lart meacutedieacuteval de nos pays devait agrave lart chreacutetien dOrient eacutetudie quelle part doriginaliteacute nos artistes romans ont pu apporter dans leurs compositions quelles inspirations leur sont venues quels sentiments les ont guideacutes pour leur faire creacuteer des œuvres nouvelles dont tantocirct la puissance et la graviteacute tantocirct la deacutelicatesse et la gracircce provoquent encore notre eacutetonnement et notre admiration Il nous montre successivement comment liconographie sest enrichie par la liturgie et par les drames liturgiques par les textes theacuteologiques par linfluence dhommes tels que Suger qui joignant leacuterudition au goucirct des arts fit pour orner magnifiquement sa basilique de Saint-Denis venir de tous les pays des artistes reacuteputeacutes deacutecida lui-mecircme quelles scegravenes alleacutegoriques seraient repreacutesenteacutees et composa les distiques destineacutes agrave expliquer ces scegravenes Ainsi cest apregraves Suger apregraves lexeacutecution des œuvres merveilleuses de Saint-Denis quun symbolisme savant se reacutepandit dans liconographie symbolisme dont les grands ateliers du nord de la Loire tels que Chartres et Le Mans firent leur profit Dans la suite ces ateliers exercegraverent sur dautres reacutegions notamment sur le midi de la France leur influence dont la trace persistera pendant tout le XIII

e siegravecle Le culte des saints contribua aussi agrave lenrichissement de

liconographie dont on constate que la varieacuteteacute saccroicirct davantage agrave mesure quon avance dans le XIIe siegravecle chaque province ayant ses deacutevotions particuliegraveres les artistes repreacutesentaient plus volontiers dans telle reacutegion les scegravenes de la vie des saints qui y eacutetaient plus speacutecialement veacuteneacutereacutes Les pegravelerinages les grandes routes de Rome de Compostelle et de Terre-Sainte amenegraverent de nombreux eacutechanges dinfluences artistiques entre des reacutegions tregraves eacuteloigneacutees tant en ce qui concerne larchitecture que les arts mineurs Enfin les Ordres monastiques Cluny surtout eurent une part consideacuterable dans le deacuteveloppement et lexpansion des arts Nous avons dit rapidement comment M Macircle avait reacutesolu le problegraveme des origines de liconographie a leacutepoque romane et comment il avait montreacute limportance de lapport personnel de nos artistes dans lenrichissement de cette iconographie M Macircle a encore abordeacute deux questions qui sont intimement lieacutees ensemble Lune delles consiste agrave rechercher dans quelle province de notre pays seacutelabora la renaissance de la sculpture romane et dans quelles reacutegions dans la suite elle se deacuteveloppa progressivement Lautre question a pour objet deacutetablir comment les sculpteurs de la fin du XI

e siegravecle retrouvegraverent un art disparu depuis plus de

quatre siegravecles dont la technique avait eacuteteacute complegravetement oublieacutee dans nos pays et quels furent les modegraveles dont ils sinspiregraverent Pour M Macircle la reacuteponse au premier problegraveme est la suivante cest agrave Toulouse et agrave Moissac quest reacuteapparu lart de la sculpture dans la pierre Une inscription nous apprend que le cloicirctre de Moissac fut construit en lan 1100 du temps de labbeacute Anquetil dans ce cloicirctre se trouvent de nombreux chapiteaux et certains de ses piliers sont deacutecoreacutes de grands panneaux au nombre de dix dont chacun est orneacute dun personnage en bas relief Une chronique de la fin du XIV

e siegravecle nous dit que le magnifique portail dont le tympan contient les figures du Christ en

majesteacute et des vingt quatre vieillards de lApocalypse fut eacuterigeacute par le mecircme abbeacute qui mourut en 1115 Ce tympan que lon voulait jusquici dater dune eacutepoque plus avanceacutee du XII

e siegravecle est le plus ancien

monument de sculpture monumentale que nous posseacutedions Le portail de Beaulieu (Corregraveze) a de grands traits de ressemblance avec celui de Moissac dont il fut inspireacute sans aucun doute Suger raconte lui-mecircme quil fit venir de tregraves loin pour la deacutecoration de sa basilique des artistes nombreux Voumlge avait eacutemis lopinion que parmi ces artistes se trouvaient des sculpteurs du Languedoc Une deacutecouverte de M Macircle vient fortifier cette hypothegravese Le tympan de Saint-Denis moins restaureacute quon ne la cru est orneacute dune scegravene du Jugement dernier qui preacutesente une ressemblance frappante avec le Jugement dernier du tympan de Beaulieu Ainsi trois phases se preacutecisent dans leacutevolution de la statuaire pendant la premiegravere moitieacute du XII

e siegravecle Toulouse et Moissac avant 1115 puis Beaulieu

puis Saint-Denis vers 1135 Suivant M Macircle lœuvre de Saint-Denis eut un retentissement consideacuterable Suger venait de creacuteer cette merveille que fut le portail gothique avec son tympan deacutecoreacute dune grande scegravene bien ordonneacutee ses voussures chargeacutees de personnages faisant cortegravege agrave cette scegravene ses pieacutedroits et ses colonnes ougrave sadossaient des statues qui semblaient accueillir le visiteur precirct a peacuteneacutetrer dans leacuteglise Le type eacutetait fixeacute deacutefinitivement et pendant longtemps on ne seacuteloigna guegravere de ce modegravele Les artistes dIle de France limitegraverent a lenvie puis ceux de reacutegions plus

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eacuteloigneacutees Le Comte de Lasteyrie dans un brillant exposeacute sur leacutevolution de la sculpture romane avait agrave grands traits dessineacute la courbe de cette eacutevolution qui partant du sud-ouest montait vers lIle-de-Franccedile et redescendait vers la Provence M Macircle na pas modifieacute ce traceacute il en a au contraire confirmeacute lexactitude en donnant des preacutecisions nouvelles en montrant les principales eacutetapes suivies par les artistes languedociens en exposant comment un nouveau centre dinfluence seacutetait formeacute ensuite dans le nord gracircce au merveilleux monument eacuteleveacute par Suger En suivant lexposeacute de M Macircle ses deacutemonstrations qui paraissent si satisfaisantes pour lesprit on a limpression que tout seacuteclaire que tout se simplifie et que les deacuteductions senchaicircnent agrave merveille Mais agrave la reacuteflexion on se demande si les arguments preacutesenteacutes sont aussi probants que le pense lauteur sil napporte pas quelquefois dune maniegravere trop absolue des affirmations dans des questions ougrave les teacutemoignages sont si rares ougrave tant de monuments font deacutefaut qui seraient indispensables pour emporter la conviction Toutefois il nous paraicirct que la thegravese si seacuteduisante de M Macircle doit ecirctre retenue dans ses grandes lignes Nous ne ferons que deux observations qui nont dailleurs nullement pour but dinfirmer lensemble de sa theacuteorie Tout dabord nous ne croyons pas que le portail de Moissac appartienne agrave la date que M Macircle lui assigne Dans un meacutemoire eacutecrit avant la publication du livre de M Macircle et qui doit paraicirctre dans le Bulletin archeacuteologique nous exposions les raisons qui nous faisaient consideacuterer que les grands bas-reliefs du cloicirctre et sans doute une partie de ses chapiteaux dataient de labbatiat dAnquetil (1085-1115) Linscription graveacutee en 1100 sur un des piliers atteste quon travaillait alors dans le cloicirctre Une preuve aussi formelle nexiste pas pour le portail dont les sculptures sont dailleurs dun art infiniment plus avanceacute que les bas-reliefs du cloicirctre Le seul teacutemoignage que nous posseacutedions est celui dAimery de Peyrac abbeacute de Moissac de 1377 agrave 1406 qui reacutedigea la chronique de labbaye

FIGURE XL

(portail de Moissac XIe siegravecle)

Les anciennes œuvres dart conserveacutees agrave Moissac et dans ses prieureacutes inteacuteressaient vivement labbeacute Aimery qui en parle comme en parlerait un archeacuteologue de nos jours mais avec moins de prudence et sans aucun discernement Il simprovise successivement critique dart eacutepigraphiste et philologue et il se montre aussi ignorant dans lune ou lautre de ces matiegraveres Ses observations lui font attribuer agrave telle eacutepoque tel monument en sappuyant sur les comparaisons tout agrave fait sans valeur parlant de linscription du cloicirctre graveacutee du temps de labbeacute Anquetil il nous dit quune autre inscription se trouve dans leacuteglise qui rappelle une conseacutecration faite en 1063 et trouvant les caractegraveres eacutepigraphiques semblables il suppose que labbeacute Anquetil fit aussi graver cette inscription Mais nous avons observeacute sur place que les deux inscriptions preacutesentent des diffeacuterences de caractegraveres notables et ne peuvent appartenir agrave la mecircme eacutepoque Cest une comparaison aussi deacutenueacutee de fondement qui fit attribuer par Aimery de Peyrac la deacutecoration du portail agrave labbeacute Anquetil Il avait remarqueacute que des imbrications ornaient certaines faces les piliers du cloicirctre non deacutecoreacutees de bas-reliefs et que ces imbrications se retrouvaient sur le trumeau du portail puis faisant un rapprochement entre le nom dAnsquitilius quil

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appelle Asquilinus et le mot latin squilla qui deacutesigne une espegravece de poisson il deacuteclare que cest Anquetil qui fit graver ces imbrications semblables agrave des eacutecailles de poisson pour rappeler son nom Or lon sait que ce deacutecor Histoire de lArt M Andreacute Michel qui attribue le merveilleux tympan de Moissac au successeur dAnquetil labbeacute Roger (1115-1131) dont la statue fut placeacutee en haut de ce portail sans doute pour commeacutemorer son œuvre Notre seconde observation sera la suivante Suger aurait au portail de Saint-Denis groupeacute trois eacuteleacutements essentiels dont la reacuteunion devait faire le portail gothique un tympan orneacute dune grande scegravene religieuse telle que celle du Jugement dernier dont le modegravele venait du Languedoc des voussures chargeacutees de personnages en union avec cette scegravene semblables aux sculptures dont les artistes du Poitou et de la Saintonge chargeaient les voussures de leurs portails Enfin le troisiegraveme eacuteleacutement les statues-colonnes serait une creacuteation de Suger Or rien ne prouve que les statues-colonnes de Saint-Denis datent du temps de Suger et il nest pas absolument deacutemontreacute non plus quelles aient eacuteteacute les premiegraveres agrave orner un portail Il serait surprenant quon eucirct composeacute du premier coup un ensemble de cette importance Suger qui parle des portes de bronze placeacutees agrave lentreacutee de sa basilique et des scegravenes qui y eacutetaient repreacutesenteacutees ne dit rien de ces statues du portail Il semble que sil avait entiegraverement creacuteeacute cet eacutetrange deacutecor il en aurait fait mention A notre sentiment lideacutee de placer des statues devant les colonnes dun portail de les allonger de les eacutetirer pour quelles fassent corps avec ces colonnes sans en deacutepasser leacutepaisseur est venue progressivement insensiblement Ces statues ont leur origine dans des bas-reliefs de petite dimension superposeacutes sur les montants des portails comme ceux des eacuteglises lombardes dans les figurines placeacutees les unes au-dessus des autres et graveacutees plutocirct que sculpteacutees qui ornent les colonnettes du portail des Orfegravevres agrave Saint-Jacques de Compostelle enfin dans des statuettes fixeacutees contre des colonnes comme les statuettes de Saint-Ouentin-legraves-Beauvais (Museacutee de Beauvais) Le bas-relief sest accentueacute pour devenr une statue la statuette sest allongeacutee pour avoir la taille de la colonne Une autre question poseacutee par M Macircle avait pour but deacutetablir comment les premiers sculpteurs romans avaient retrouveacute leur technique agrave quel art en honneur alors ils avaient demandeacute des modegraveles La reacuteponse de M Macircle nous paraicirct trop absolue et trop exclusive Cest selon lui la miniature qui a joueacute presque uniquement le rocircle dinitiatrice pour les premiers sculpteurs romans Il le dit dune faccedilon tregraves preacutecise

laquo La miniature a joueacute un rocircle deacutecisif Elle explique agrave la fois laspect tourmenteacute de notre sculpture naissante et le caractegravere profondeacutement traditionnel de notre iconographie raquo

Et plus loin

laquoCet art (de la statuaire) comment les artistes lont-ils retrouveacute Tel est le problegraveme quon a sans grand succegraves jusquagrave preacutesent essayeacute de reacutesoudre On a rappeleacute que le culte des reliques avait pris degraves le X

e siegravecle dans la France meacuteridionale une forme singuliegravere on les placcedilait agrave linteacuterieur dune

statue de bois revecirctue dor Lapparition de ces statues agrave la fin de lacircge carolingien est un fait inteacuteressant Mais je nen suis pas moins convaincu que ces effigies hieacuteratiques nont eu aucune influence sur la naissance du grand art monumental Car ce nest pas sous la forme de la statue que la sculpture a reparu mais sous la forme du bas-relief Il se passera bien des anneacutees avant que lon rencontre en France une image deacutetacheacutee du mur Sil en est ainsi il est clair quil ne faut pas aller demander aux statues reliquaires du plateau central le secret des origines de la sculpture Ce secret est ailleurs Je voudrais montrer ici quagrave Moissac aussi bien quen Auvergne en Bourgogne ou en Provence le bas-relief na guegravere eacuteteacute agrave lorigine quune transposition de la miniature raquo

laquo Plusieurs singulariteacutes de notre sculpture primitive les eacutetoffes colleacutees au corps les plis concentriques sur la poitrine et les genoux ne peuvent sexpliquer que par limitation de la miniature qui a donneacute agrave la sculpture du XIIe siegravecle quelque chose de tourmenteacute de calligraphique La miniature ne fut pourtant pas le modegravele unique Nous verrons que les dessins des eacutetoffes persanes byzantines arabes furent eacutegalement imiteacutes Nous devinons dautres modegraveles encore Il se peut que les ivoires qui donnaient le relief aient eacuteteacute parfois consulteacutes Il semble dautre part que les petits bas-reliefs tailleacutes agrave plat sur les dalles encastreacutees dans les murs perpeacutetuent une ancienne tradition Tous ces modegraveles nen doivent pas moins rester au second plan pour nos sculpteurs la vraie source dinspiration fut la miniature raquo

Si les sculpteurs cherchaient dans les manuscrits le secret de la forme humaine il est bien eacutevident quils leur empruntaient aussi les types sacreacutes et les dispositions des scegravenes religieuses Ainsi selon M Macircle cest presque exclusivement dans les miniatures tant pour les scegravenes agrave repreacutesenter que pour lexeacutecution mecircme des figures dans la pierre que les sculpteurs romans cherchegraverent des modegraveles Nous ne partageons pas cette opinion les sculpteurs romans firent dans des proportions tregraves diffeacuterentes il est vrai des emprunts agrave tous les arts IIs sinspiregraverent non seulement des manuscrits et

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des tissus orientaux comme M Macircle la tregraves bien observeacute mais aussi des peintures murales et des mosaiumlques Quelques-uns mecircme copiegraverent des bijoux barbares telle cette pierre de Glanfeuil orneacutee dun oiseau ou ce chapiteau de la crypte de Saint-Beacutenigne de Dijon ougrave lon voit un perroquet semblable agrave ceux des fibules meacuterovingiennes telles ces tecirctes de taureau freacutequentes dans les modillons normands et qui rappellent aussi certaines fibules Ils imitegraverent assureacutement des modegraveles gallo romains et en particulier des sarcophages Les sculptures du tombeau du XI

e siegravecle de

saint Agilbert agrave Jouarre celles de la table dautel de Saint Sernin de Toulouse (vers 1096) celles du tympan de Saint Ursin de Bourges celles du tombeau de Saint-Hilaire (Aude) (XII

e siegravecle) sont

inspireacutees de modegraveles gallo romains Deux des personnages sculpteacutes dans les grands bas-reliets du deacuteambulatoire de Saint Sernin de Toulouse qui apparaissent drapeacutes dans leur toge ne sont-ils pas imiteacutes de quelque statue dorateur rencontreacutee dans les ruines du forum dune ville de Gaule Ce nest pas dans les manuscrits que les artistes cherchegraverent lideacutee de colonnes toises telles que celles du portail dAvaIlon Navaient-ils pas sous les yeux des colonnes semblables agrave celles de Notre-Dame de la Daurade de Toulouse dont quelques unes sont parvenues jusquagrave nous

FIGURE XLI

(le baiser de Judas clicheacute Bernard Delorme - Notre-Dame de la Daurade Toulouse)

Ce nest pas aux manuscrits mais aux sarcophages que les sculpteurs ont pris ces imbrications que lon trouve agrave Moissac et agrave Toulouse II faut constater quici comme en bien dautres circonstances miniaturistes et sculpteurs ont puiseacute agrave la mecircme source Il faut eacutegalement faire place aux influences reacuteciproques aux eacutechanges qui ont pu se faire dun art agrave lautre Les anges soutenant une gloire ronde dans laquelle se trouve une figure divine qui ornent dune faccedilon si gracieuse des tailloirs au cloicirctre de Moissac et au cloicirctre de Tarragone et quon rencontre aussi sur le linteau de la porte nord de Saint-Michel de Pavie se retrouvent sur des ivoires ils sont un souvenir des antiques geacutenies aileacutes supportant un cartouche Bien des thegravemes deacutecoratifs en honneur chez les sculpteurs romans ont eacuteteacute emprunteacutes agrave la grammaire ornementale gallo-romaine Ce nest pas la pourtant que nos artistes prirent principalement leurs modegraveles il faut prendre garde que ces deacutebutants qui tentaient de faire revivre un art abandonneacute depuis plus de quatre siegravecles avaient agrave retrouver le relief et quagrave cette eacutepoque dautres artistes utilisant dautres matiegraveres que la pierre savaient exeacutecuter des figures en relief Nous voulons parler des fondeurs et des orfegravevres cest surtout agrave ceux-ci que nos premiers sculpteurs demandegraverent des leccedilons M Macircle refuse toute influence dans la renaissance de la sculpture agrave ces statues de bois revecirctues de feuilles de meacutetal a ces laquo majesteacutes dor raquo qui eacutetaient en honneur en Auvergne au X

e et au XI

e siegravecle et dont M Louis Breacutehier a montreacute tout linteacuterecirct quelles preacutesentaient

pour larcheacuteologie Il croit trouver un argument absolu pour nier cette influence dans ce fait que ces laquo majesteacutes raquo eacutetaient des statues et que les premiers sculpteurs ne senhardirent tout dabord quagrave exeacutecuter des bas-reliefs Mais nest-il pas logique de penser quils imitegraverent les bas-reliefs quils pouvaient voir exeacutecuter de leur temps Pendant tous les siegravecles du moyen acircge on sculpta des figures de petite dimension dans livoire M Macircle concegravede bien que les objets divoire notamment les coffrets musulmans dEspagne du X

e et du XI

e siegravecle purent jouer leur rocircle mais il ne fait aucune allusion agrave

lart de la fonte aux arts dorfegravevrerie qui ne cessegraverent jamais decirctre pratiqueacutes aux portes de bronze orneacutees de nombreuses scegravenes telles que celles dHildesheim du deacutebut du XI

e siegravecle aux couvertures

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deacutevangeacuteliaires aux reliquaires de formes varieacutees aux chacircsses rehausseacutees de figures de meacutetal aux ciboria aux devants dautel et aux tombeaux que lon couvrait de plaques dargent ou dor orneacutees de personnages en haut relief et dassez grande dimension Les monuments de ce genre qui ont eacuteteacute conserveacutes sont tregraves rares agrave toute eacutepoque on les fit fondre pour tirer parti des meacutetaux preacutecieux dont ils eacutetaient composeacutes Mais les textes viennent dans une certaine mesure suppleacuteer labsence des monuments quand on parcourt les chroniques du VIII

e au XII

e siegravecle on est stupeacutefait de voir la

richesse inouiumle des treacutesors dorfegravevrerie que posseacutedaient certaines eacuteglises au moyen acircge Il neacutetait pas dabbaye importante au deacutebut de leacutepoque romane qui neucirct ses chacircsses et son parement dautel orneacutes de figures dargent ou dor repousseacute Une place importante eacutetait faite dailleurs aux arts du meacutetal dans le ceacutelegravebre ouvrage du moine Theacuteophile qui explique en deacutetail les meacutethodes agrave suivre pour fondre le bronze ou pour exeacutecuter des reliefs dargent ou dor par le proceacutedeacute du repousseacute et les terminer par la ciselure De cette profusion doeuvres dorfegravevrerie que les chroniques nous font connaicirctre quelques magnifiques exemples nous restent tels sont le parement dautel de Saint-Ambroise de Milan (IX

e

siegravecle) et le devant dautel de la catheacutedrale de Bacircle exeacutecuteacute vers 1020 et conserveacute aujourdhui au museacutee de Cluny des dessins du XVII

e et du XVIII

e siegravecle nous ont gardeacute aussi de quelques

monuments ceacutelegravebres un souvenir plus preacutecis que celui auquel peut preacutetendre une description Ces teacutemoins suffisent pour nous donner une preuve certaine des emprunts quont faits les sculpteurs aux monuments dorfegravevrerie Limitation est parfois si eacutevidente quon peut se demander si certains orfegravevres comme aussi certains ivoiriers ne simprovisegraverent pas sculpteurs sur pierre Certaines sculptures ont des reliefs peu accuseacutes qui font penser aux figures obtenues dans le meacutetal par le proceacutedeacute du repousseacute telles sont entre cent autres le Christ de Saint-Amour-Bellevue (Saocircne-et-Loire) les Anges placeacutes aux eacutecoinccedilons du portail de Notre-Dame dEtampes et certaines figures tourmenteacutees de la Porte Mieacutegeville agrave Saint-Sernin de Toulouse dautres telles que les figures des tympans de Saint-Sauveur de Nevers et de Champagne (Ardegraveche) paraissent couleacutees dans le bronze tandis que le tympan de Pompierre (Vosges) avec le curieux encadrement dentrelacs de son linteau paraicirct copieacute sur un coffret divoire Dans nos sculptures romanes le dessin des figures les plis des vecirctements colleacutes au corps et le bas des robes semblant souleveacute par le vent ne sont pas neacutecessairement limitation des proceacutedeacutes de la calligraphie quon jette un coup dœil sur lautel de Bacircle on apercevra ces plis colleacutes au corps sur tous les personnages et lon remarquera le retroussis au bas de la robe du Christ Si lon vient aux deacutetails on trouvera imiteacutees dans la pierre les pacirctes de verre qui encadrent les bas-reliefs de meacutetal sur les couvertures deacutevangeacuteliaires et chose plus curieuse encore les sculpteurs ont parfois imiteacute dune faccedilon si scrupuleuse leurs modegraveles dorfegravevrerie quon rencontre des inscriptions qui au lieu decirctre graveacutees ont leurs lettres en relief semblables agrave celles qui se trouvent en repousseacute sur les feuilles de meacutetal des reliquaires ou sur des plaques de bronze bas-relief agrave Saint-Sernin de Toulouse avec linscription sanctus Saturninus tympans de Marcillac (Lot) et de Mervilliers( Eure-et-Loir) Les sculpteurs ont emprunteacute parfois aux monuments dorfegravevrerie la composition de leurs scegravenes Les textes nous deacutecrivent des devants dautel dor ougrave lon voyait le Christ en majesteacute accompagneacute des quatre animaux et parfois des Apocirctres disposeacutes sous la gloire du Christ ou agrave ses cocircteacutes sur plusieurs registres Les mecircmes figures se retrouvent avec une semblable ordonnance sur nos tympans Celui de Carennac (Lot) nous en fournit un remarquable exemple La disposition dune seacuterie darcades en plein cintre reposant sur des colonnettes et abritant chacune un personnage assis ou debout que lon rencontre si souvent sur nos plus vieilles sculptures romanes (linteaux de Saint-Genis-des-Fontaines de Saint-Andreacute de Soregravede) du plus ancien portail de Charlieu de Chacircteauneuf (Saocircne-et-Loire) puis plus tard linteaux des portails des catheacutedrales du Mans de Bourges de leacuteglise Saint-Loup-de-Naud) est imiteacutee des ivoires des chacircsses (chacircsse du treacutesor de la catheacutedrale de Cividale X

e siegravecle) et des

devants dautel (autel dor de la catheacutedrale de Bacircle) Nos artistes allegraverent plus loin ils sinspiregraverent de ces modegraveles pour deacutecorer des faccedilades entiegraveres deacuteglises et il semble que certaines faccedilades deacuteglises de lOuest en particulier soient une reacuteplique magnifiquement deacuteveloppeacutee de quelque parement dautel Telles sont les faccedilades des eacuteglises de Peacuterignac (Charente-Infeacuterieure) de Notre-Dame la Grande de Poitiers et de la catheacutedrale dAngoulecircme avec leurs seacuteries darcades encadrant chacune un personnage Sil nous reste bien peu de vestiges de ces parements dautel dargent ou dor si nombreux agrave leacutepoque romane nous pouvons nous rendre compte de ce quils eacutetaient par les reacutepliques de ces monuments dorfegravevrerie quon fabriquait eacuteconomiquement en bois sculpteacute ou simplement en couvrant une piegravece de bois de peintures et en encadrant celles-ci dornements de placirctre ou de stuc formant un faible relief Les Museacutees de Vich et de Barcelone conservent deux importantes collections de ces antependia dont M Folch le tregraves distingueacute Directeur des Museacutees de Barcelone publiera prochainement les reproductions en y joignant une eacutetude sur lindustrie de ces inteacuteressants monuments catalans et sur ce proceacutedeacute qui consistait agrave faire des encadrements en relief avec de la laquo pastaraquo appliqueacutee agrave laide dun cornet Lun des antependia du museacutee de Vich eacutetait orneacute lorsquil eacutetait intact de douze figurines de bois dont cinq subsistent repreacutesentant les Apocirctres debout sous douze

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arcades placeacutees sur deux rangs au milieu se trouve le Christ en majesteacute dans une gloire ovale que flanquaient les quatre animaux Les devants dautel chargeacutes de figures de meacutetal neurent pas seulement des reacutepliques de bois sculpteacute dans la suite on exeacutecuta des autels qui eacutetaient orneacutes de bas-reliefs de pierre faits agrave leur imitation Les autels dAirvault (Deux-Segravevres) et dAvenas (Rhocircne) en sont des exemples Le beau tombeau de Saint-Junien (Haute-Vienne) qui est orneacute de bas-reliefs de pierre repreacutesentant le Christ en majesteacute la Vierge avec lEnfant dans une gloire et les Vieillards de lApocalypse rappelle les antependia que nous deacutecrivent les textes il rappelle aussi dailleurs certains tombeaux qui eacutetaient complegravetement recouverts de feuilles de meacutetal orneacutees de bas-reliefs tels que ceux de saint Riquier dans labbaye consacreacutee agrave ce saint et de saint Benoicirct agrave Fleury-sur-Loire Nos premiers sculpteurs durent avoir quelquefois eacutegalement sous les yeux des surfaces sculpteacutees de mecircme apparence et presque de mecircme dimension que les tympans quils allaient deacutecorer nous voulons parier des ciboria portant sur leurs arcades des pignons verticaux couverts de figures en relief Pendant les siegravecles qui preacuteceacutedegraverent immeacutediatement le XII

e siegravecle si les artistes ne se

hasardegraverent pas agrave sculpter des images dans la pierre il semble quils aient quelquefois tenteacute dutiliser des matiegraveres plus tendres telles que le placirctre le stuc et la terre cuite Les figures de stuc de Disentis (Grisons) qui paraissent dater du VIII

e siegravecle en sont un teacutemoignage Des ciboria de mecircme aspect que

ceux de Saint-Ambroise de Milan et de San Pietro al Monte sopra Civate avaient ducirc ecirctre orneacutes de figures de stuc ou de terre cuite agrave cocircteacute de monuments plus riches sur les frontons desquels on appliquait des reliefs dargent doreacute La ressemblance dune des faces de ces ciboria avec un tympan sculpteacute est frappante Ces quelques observations sur lesquelles nous nous proposons de revenir prochainement suffisent pour montrer limportance que purent avoir dans la renaissance de la sculpture les arts ougrave le relief eacutetait pratiqueacute Cest surtout en imitant des modegraveles dorfegravevrerie et divoire que les sculpteurs cherchegraverent agrave retrouver le secret de leur art Le rocircle de la miniature nen fut pas moins consideacuterable cest agrave elle quest ducirc lenrichissement de liconographie religieuse au XII

e siegravecle

Les sculpteurs et les verriers trouvegraverent dans les images des manuscrits une source abondante de sujets ils ne se firent pas faute dy chercher lindication des scegravenes quils voulaient reproduire M Macircle la montreacute dune faccedilon tout agrave fait convaincante En lisant Ies pages de son livre ou bien souvent il avait agrave deacuteplorer la disparition de preacutecieux monuments nous avons penseacute aux lignes eacutemouvantes quil eacutecrivait apregraves lincendie de la catheacutedrale de Reims en septembre 1914

laquo Quand la France apprit que la catheacutedrale de Reims eacutetait en flammes disait-il tous les cœurs se serregraverent le monde entier seacutemut de ce crime on sentit quune eacutetoile avait pacircli que la beauteacute avait diminueacute sur la terre raquo

A cocircteacute des monuments de notre pays mutileacutes par le temps lignorance et la haine il en est beaucoup dautres qui subsistent et quon neacuteglige trop souvent de contempler Le livre de M Macircle contribuera agrave les taire mieux connaicirctre et agrave les faire aimer car il a mis non seulement son eacuterudition profonde mais aussi son cœur au service de cette œuvre qui est le reacutesultat de trente anneacutees defforts

Paul DESCHAMPS

Voici agrave preacutesent un exposeacute sur la repreacutesentation des Saints dans lart du Moyen Acircge Il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant que les alchimistes ont tregraves souvent fait appel aux saints dans leurs alleacutegories le preacutesent traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant eacutetant ici des plus reacuteveacutelateurs Il paraissait donc inteacuteressant de faire le point sur la repreacutesentation de ces saints vers le XII

e et le XIII

e siegravecle Cest

directement en compagnie dEmile Macircle que nous effectuerons ce trajet

LES PREMIEgraveRES REPREacuteSENTATIONS DES SAINTS DANS LART DU MOYEN AGE

En France les images des saints commencent agrave apparaicirctre dans lart monumental du XIIe siegravecle Elles

sont rares encore et ce nest quavec une certaine reacuteserve quelles sintroduisent dans leacuteglise elles nen sont que plus curieuses et il y a un vif inteacuterecirct agrave surprendre agrave ses origines cette glorification des saints par lart Au XII

e siegravecle les saints se montrent rarement dans les portails qui sont laisseacutes au

Christ et aux apocirctres mais ils sont souvent ceacuteleacutebreacutes ailleurs On les voit repreacutesenteacutes aux chapiteaux de leacuteglise et du cloicirctre on les voit peints aux murs du sanctuaire Les orfegravevres les eacutemailleurs racontaient leur histoire sur des chacircsses ou ciselaient leurs bustes pour les autels Quelques verriegraveres deacutejagrave leur eacutetaient consacreacutees Mais de tant doeuvres il ne reste aujourdhui que des deacutebris les cloicirctres et leurs chapiteaux historieacutes ont eacuteteacute deacutetruits les fresques effaceacutees les Vitraux briseacutes les chacircsses fondues Nos pertes ont eacuteteacute immenses car lart du XII

e siegravecle a eacuteteacute beaucoup plus eacuteprouveacute par le

temps et les reacutevolutions que lart du XIIIe et cest au milieu de ces ruines quil faut aller chercher

quelques souvenirs du passeacute Pourtant quand on parcourt la France en interrogeant les pierres on

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retrouve encore ccedila et lagrave avec un singulier plaisir quelques-uns des chapitres de notre vieille histoire religieuse Dans plusieurs de nos provinces lart a conserveacute le souvenir des saints qui les illustregraverent premiers apocirctres de la foi martyrs eacutevecircques solitaires de la montagne ou de la forecirct Car ce ne sont pas les saints connus de la chreacutetienteacute tout entiegravere que repreacutesentent le plus volontiers nos artistes du XII

e siegravecle mais les saints provinciaux les saints locaux de lagrave linteacuterecirct de ces images qui ont pour

nous le charme dune flore indigegravene Cette histoire dailleurs nest bien souvent quune leacutegende Il y eut agrave diverses eacutepoques mais surtout au XI

e siegravecle un grand travail de creacuteation poeacutetique qui donna agrave

la vie de plusieurs de nos saints linteacuterecirct dun roman On fit aborder en France plusieurs personnages illustres de lEacutevangile auxquels on precircta des aventures nouvelles On multiplia les miracles Il se creacutea une sorte deacutepopeacutee chreacutetienne comparable aux Chansons de gestes qui naissaient alors Le geacutenie de cet acircge heacuteroiumlque et avide de merveilles sexprima agrave la fois par la leacutegende latine et par le poegraveme franccedilais Le saint et le heacuteros ces deux exemplaires supeacuterieurs de lhumaniteacute furent ceacuteleacutebreacutes avec la mecircme ferveur Si donc ces reacutecits ne nous apprennent rien sur les saints quils veulent glorifier ils nous apprennent beaucoup sur le moyen acircge lui-mecircme Il nous apparaicirct lagrave avec son profond ideacutealisme son asceacutetisme son deacutedain du reacuteel son ineacutebranlable conviction que la foi est la plus grande force de ce monde Ces leacutegendes aussi poeacutetiques parfois que les inventions de leacutepopeacutee eurent de bien autres conseacutequences elles creacuteegraverent des pegravelerinages elles firent surgir des eacuteglises elles les peuplegraverent dœuvres dart elles mirent en mouvement des millions dhommes Elles furent pour une foule dacircmes une consolation et une espeacuterance elles leur laissegraverent entrevoir degraves ce monde le regravegne de Dieu Commenccedilons par le Midi languedocien le pays de nos plus anciens sculpteurs ce voyage en France agrave la recherche des saints Toulouse avait conserveacute un profond souvenir de son premier apocirctre

FIGURE XLII (porte Miegravegeville - eacuteglise saint Sernin Toulouse)

[site consulteacute httppmaudefreefrSerninpresentationhtm - tympan sculpteacute occupeacute par un thegraveme unique celui

de lAscension Cette œuvre a justement eacuteteacute placeacutee au rang des chefs dœuvre de la sculpture romane Au centre

le Christ debout les mains leveacutees la tecircte tourneacutee vers le ciel est deacuterobeacute agrave la vue de ses disciples par les nueacutees deux anges laident agrave seacutelever tandis que quatre autres lacclament Sur le linteau les douze apocirctres gardent leurs

visages tourneacutes vers le ciel aux extreacutemiteacutes deux anges leur rappellent que lAscension est aussi la promesse du

Retour et du Royaume eacuteternel]

de ce Saturninus qui avait refuseacute lencens aux dieux de Rome un taureau furieux lavait traicircneacute ensanglanteacute sur les marches du Capitule Enseveli hors des murs saint Saturnin ou comme disait le peuple saint Sernin avait fait naicirctre une ville nouvelle autour de son tombeau La colossale eacuteglise Saint-Sernin la plus grande des eacuteglises romanes est le monument du heacuteros Mais on est surpris aujourdhui quand on visite leacuteglise de ny rencontrer aucune œuvre dart ancienne qui rappelle son souvenir Il nen eacutetait pas ainsi autrefois le pegravelerin qui arrivait devant le portail occidental eacutetait

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accueilli par un bas-relief du XIIe siegravecle repreacutesentant le martyr debout avec le taureau sous ses pieds

Mais deacutejagrave la leacutegende avait deacuteformeacute lhistoire Aux Actes de saint Sernin si sobres et dun caractegravere si antique des eacutepisodes nouveaux eacutetaient venus sajouter On racontait quil avait baptiseacute Austris la fille dAntoninus gouverneur de Toulouse qui dans la leacutegende nouvelle est devenu un roi Austris eacutetait leacutepreuse saint Sernin la gueacuterit en la plongeant dans la piscine baptismale On voyait donc au portail de leacuteglise un groupe repreacutesentant la jeune princesse baptiseacutee par saint Sernin Un autre bas-relief montrait le perseacutecuteur de lapocirctre le roi Antoninus assis sur son trocircne Ces œuvres quon peut imaginer fines et nerveuses comme toute la sculpture toulousaine du XII

e siegravecle ont disparu sans

laisser de trace et ne nous sont connues que par une ancienne description A lautre bout de la ville la catheacutedrale Saint-Eacutetienne perpeacutetuait de son cocircteacute le souvenir du premier eacutevecircque de Toulouse Dans le cloicirctre des chanoines un des plus anciens sanctuaires de lart franccedilais miseacuterablement deacutetruit en 1813 des statues du XII

e siegravecle sadossaient aux piliers ceacutetaient celles de saint Pierre de saint

Sernin de saint Exupegravere et dun diacre Saint Sernin eacutetait placeacute pregraves de saint Pierre parce que suivant la tradition qui avait preacutevalu alors lapocirctre de Toulouse avait reccedilu sa mission du premier des papes Ecce Saturninus quem miserat ordo latinus disait linscription laquo Voici saint Sernin envoyeacute par leacuteglise latine raquo Toulouse se donnait donc comme la fille spirituelle de Rome Saint Sernin eacutetait le heacuteros de la foi saint Exupegravere un de ses premiers successeurs eacutetait le heacuteros de la chariteacute En un temps de disette il avait vendu tous les ornements de leacuteglise et mecircme le calice et la pategravene pour nourrir les pauvres Lartiste de Toulouse lavait repreacutesenteacute un calice agrave la main ceacutetait le calice de verre qui avait remplaceacute le calice dargent pregraves de lui un diacre portait une pategravene dosier tresseacute sainte pauvreteacute des temps antiques qui touchait les cœurs Ainsi lart naissant avait voulu eacuteterniser la meacutemoire des deux plus grands saints de Toulouse on les y cherche vainement aujourdhui Mais ce quon ne trouve plus agrave Toulouse on le voit ailleurs car la gloire de saint Sernin rayonnait au loin Entre Carcassonne et lancien eacutevecirccheacute dAlet seacutelegraveve cacheacutee au fond dune valleacutee lancienne abbaye de Saint-Hilaire Ici un preacutecieux monument du passeacute nous a eacuteteacute fidegravelement conserveacute Un sarcophage du XII

e siegravecle sculpteacute sur toutes ses faces raconte le martyre de saint Sernin On le voit saisi par les

paiumlens au moment ougrave il annonce lEacutevangile Puis il est attacheacute au taureau quun bourreau excite de laiguillon des becirctes au visage presque humain grimacent autour du saint et semblent incarner la feacuterociteacute du vieux monde pendant que deux femmes contemplent le martyr avec attendrissement Ce sont les deux vierges saintes laquo les saintes puelles raquo qui vont lensevelir celles-lagrave mecircmes quon honorait sur la route de Carcassonne agrave Toulouse au Mas-Saintes-Puelles Bien loin de Saint-Hilaire de lautre cocircteacute de Toulouse le cloicirctre de Moissac ceacutelegravebre lui aussi la gloire de saint Sernin un chapiteau lui est consacreacute Le juge assis sur son siegravege vient de condamner

FIGURE XLIII (sarcophage ancienne abbaye de saint Hilaire)

[de cette scegravene lhermeacutetiste retiendra quelle sapparente agrave une autre ougrave la leacutegende affirme que Zeacutethos et

Amphion tuegraverent Lycos fils de Cadmos et attachegraverent son eacutepouse Dirceacute par les cheveux aux cornes dun

taureau sauvage qui la traicircna sur les rochers jusquagrave ce que mort sensuive On ajoute quAmphion fut tueacute par les

traits justiciers dApollon et dArteacutemis pour avoir insulteacute leur megravere Leacuteto cf reacutebus de saint Greacutegoire-sur-Viegravevre]

lapocirctre et deacutejagrave il a eacuteteacute attacheacute aux cornes du taureau Le Capitole est repreacutesenteacute sous laspect dune haute tour agrave eacutetages elle fait penser agrave la forteresse qui dominait Toulouse au moyen acircge agrave ce chacircteau narbonnais quon attribuait aux Romains Sur une autre face du chapiteau la main de Dieu sort du ciel pour recueillir lacircme du martyr Il subsiste donc encore on le voit quelques-unes des œuvres que lart du Midi avait consacreacutees agrave saint Sernin Si nous descendons la Garonne vers

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Bordeaux nous peacuteneacutetrons dans une province ougrave reacutegnaient dautres saints LAgenais eacutetait le domaine de sainte Foy de saint Caprais de saint Vincent martyrs de la grande perseacutecution de Diocleacutetien La jeune sainte Foy ameneacutee devant le gouverneur romain refusa de sacrifier cest pourquoi elle fut eacutetendue sur un gril de fer rouge puis deacutecapiteacutee Le courage de cette enfant de douze ans inspira des remords au pasteur du troupeau agrave saint Caprais qui seacutetait reacutefugieacute dans une grotte de la montagne Il assistait de loin au combat de la sainte et voyait dit la leacutegende des anges tenant une couronne au-dessus de sa tecircte Il se preacutesenta donc reacutesolument au gouverneur se proclama chreacutetien et livra sa tecircte au bourreau Quant agrave saint Vincent dont une leacutegende tardive fait le successeur de saint Caprais il voulut mettre fin au culte de Belenus et il arrecircta la roue enflammeacutee symbole du soleil que lon faisait descendre chaque anneacutee sur la pente de la colline Traicircneacute devant le magistrat romain il fut battu de verges et deacutecapiteacute On sattendrait agrave rencontrer agrave Agen au lieu mecircme du martyre de sainte Foy quelque belle œuvre de la sculpture romane consacreacutee agrave la jeune sainte mais au XIe siegravecle ses reliques convoiteacutees depuis longtemps comme un treacutesor sans prix furent deacuterobeacutees par un moine de Conques et emporteacutees dans les montagnes du Rouergue Cest Conques qui va

devenir deacutesormais le centre du culte de sainte Foy et nous allons ly retrouver tout agrave lheure Agen ne nous montre plus aujourdhui quun chapiteau consacre agrave saint Caprais dans leacuteglise qui lui est deacutedieacutee Le saint est deacutecapiteacute devant le gouverneur romain Dacien une inscription deacutesigne chaque personnage par son nom Dacianus miles sanctas Caprasius et un vers latin indique le rocircle de chacun Praecipit occidit moritur cœlestia scandit Dacien est lagrave pour ordonner le soldat pour tuer saint Caprais pour mourir Lart noublia pas non plus saint Vincent Ses reliques furent longtemps conserveacutees dans la ville gallo-romaine de Pompejac qui devint le Mas dAgenais un magnifique sarcophage du V

e siegravecle quon y voit encore passe pour avoir eacuteteacute son tombeau Or dans leacuteglise du

Mas un chapiteau roman repreacutesente un martyr agrave genoux deacutecapiteacute par la main du bourreau Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en ce lieu elle ne saurait repreacutesenter autre chose que la mort de saint Vincent Ses reliques il est vrai neacutetaient plus alors au Mas elles avaient eacuteteacute transporteacutees agrave Conques agrave leacutepoque des incursions normandes toutefois le souvenir de saint Vincent eacutetait demeureacute vivant au Mas dAgenais et son culte continuait agrave y ecirctre ceacuteleacutebreacuteAu temps des rois wisigoths Euric et Alaric la Gascogne eut une nouvelle geacuteneacuteration de martyrs Les Wisigoths eacutetaient ariens et perseacutecutaient les catholiques quils obligeaient agrave se convertir agrave leur symbole sous peine de mort Les vieux livres liturgiques et les leacutegendes populaires perpeacutetuegraverent le souvenir de quelques-uns de ces martyrs Un des plus fameux fut saint Maurin jeune apocirctre qui loin de dissimuler sa foi la proclamait sur la place publique de Lectoure Il fut deacutecapiteacute sur lordre du roi Alaric et la tradition rapportait quon lavait vu porter sa tecircte jusquagrave la fontaine Militane Les artistes nauraient peut-ecirctre jamais illustreacute sa meacutemoire sil ne seacutetait fondeacute aux confins de lAgenais et du Quercy une abbaye sous son nom Leacuteglise de Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) nest plus aujourdhui quune ruine mais deux de ses colonnes sont encore couronneacutees de deux beaux chapiteaux romans ougrave lon retrouve le style de Toulouse et de Moissac Sur lun deux un martyr porte sa tecircte dans ses mains une chreacutetienne inclineacutee devant lui sapprecircte agrave recevoir sa tecircte sur un voile Le vocable de leacuteglise deacutedieacutee agrave Saint-Maurin ne permet pas dheacutesiter sur le sens de la scegravene Voilagrave agrave peu pregraves tout ce que nous offre cette vaste reacutegion du Midi Elle a ducirc ecirctre autrefois incomparablement plus riche en images de saints la grande eacutecole toulousaine yavait sans aucun doute prodigueacute ses chefs-dœuvre mais le temps ne les a pas respecteacutes Aucun pays na eacuteteacute au XII

e siegravecle plus feacutecond que la belle plaine qui se deacuteroule

dans la lumiegravere jusquaux Pyreacuteneacutees sorte de Lombardie de la France mais aucun pays na eacuteteacute plus souvent deacutevasteacute La guerre des Albigeois la guerre de Cent ans les guerres de religion y ont accumuleacute tant de ruines que lon admire quil y reste encore quelques teacutemoignages de ce qua eacuteteacute le geacutenie du Midi II faut aller jusquaux Pyreacuteneacutees pour retrouver les saints Ces poeacutetiques montagnes eurent leur leacutegende doreacutee elles eurent leurs martyrs leurs vieux eacutevecircques leurs ermites Plusieurs sans doute furent ceacuteleacutebreacutes par lart mais bien peu de ces œuvres subsistent aujourdhui A lentreacutee des valleacutees pyreacuteneacuteennes agrave Foix une abbaye jadis ceacutelegravebre portait le nom dun martyr de la perseacutecution arienne saint Volusien Son eacuteglise a eacuteteacute agrave presque entiegraverement refaite et son cloicirctre roman complegravetement deacutetruit Un hasard pourtant nous a rendu un de ses chapiteaux historieacutes Ce chapiteau est fort inteacuteressant car il nous raconte justement un eacutepisode de lhistoire de saint Volusien Volusien eacutevecircque deTours eacutetait le sujet dAlaric roi des Wisigoths dont le vaste royaume seacutetendait jusquagrave la Loire Soupccedilonneacute de favoriser les desseins de Clovis qui preacuteparait une expeacutedition contre les ariens du Midi il fut sur lordre dAlaric arracheacute agrave son siegravege de Tours et conduit agrave Toulouse A Toulouse il fut traiteacute comme un malfaiteur on lui lia les mains et on lemmena vers lEspagne Mais en arrivant au pied des montagnes les soldats qui le conduisaient lui ordonnegraverent de sagenouiller dans un champ et lui tranchegraverent la tecircte Le chapiteau nous montre Volusien les mains lieacutees et la corde au cou entraicircneacute par ses bourreaux On ne voit pas sa mort ni les frecircnes qui poussegraverent

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miraculeusement sur le lieu de son supplice mais on voit la vengeance du ciel Lautre face du chapiteau en effet repreacutesente larmeacutee victorieuse de Clovis assieacutegeant Toulouse plus loin la ville est prise et les vainqueurs en deacutemolissent les murs Ce preacutecieux monument est conserveacute au Museacutee de Foix et il meacuterite de lecirctre car Foix est une creacuteation des reliques de saint Volusien la ville est neacutee autour du monastegravere qui gardait le tombeau du martyr En entrant dans la montagne on voit seacutelever au-dessus

de la valleacutee de Luchon une eacuteglise romane deacutedieacutee agrave saint Aventin Les chapiteaux du portail retracent son histoire Saint Aventin est un ermite du VIII

e siegravecle qui vivait dans la solitude sans autre socieacuteteacute

que celle des ours de la forecirct Parfois il quittait sa cabane pour enseigner leacutevangile aux montagnards toujours attacheacutes agrave leurs anciens dieux tous lentouraient de respect Mais les Arabes qui parcouraient alors le Midi entendirent parler de ce propagateur de la foi chreacutetienne Ils se mirent agrave sa recherche et quand ils eurent deacutecouvert sa retraite ils semparegraverent de lui et lui tranchegraverent la tecircte Les chapiteaux racontent la naissance la vie et la mort du saint ermite comme beaucoup dautres saints il est repreacutesenteacute portant sa tecircte dans ses mains A labside un bas-relief nous montre le taureau qui retrouva le tombeau de saint Aventin dont on avait perdu le souvenir Puissance de lart chreacutetien Une eacuteglise accrocheacutee au rocher perpeacutetue depuis pregraves de huit cents ans la meacutemoire dun pauvre ermite inconnu Cest dans une reacutegion voisine de Luchon que seacutelegraveve au sommet dune acropole la catheacutedrale de Saint-Bertrand-de-Comminges Elle est du XIV

e siegravecle mais le portail et

le rude clocher qui le domine sont du XIIIe Un beau tympan de leacutecole toulousaine repreacutesente

lAdoration des Mages agrave lextreacutemiteacute de ce tympan derriegravere la Vierge un eacutevecircque fait face au spectateur il legraveve la main droite pour beacutenir et tient la crosse de la main gauche Quel est ce mysteacuterieux personnage introduit par lartiste dans une scegravene sacreacutee

FIGURE XLIV (eacuteglise saint Bertrand-de-Comminges tympan)

Les archeacuteologues ont nommeacute agrave tout hasard saint Sernin pourtant en ce lieu un autre nom simpose au souvenir Cest agrave la fin du XI

e siegravecle en effet que le petit-fils des comtes de Toulouse leacutevecircque

saint Bertrand releva de ses ruines la ville antique de Lugdunum Convenarum devenue une solitude il rappela les habitants rebacirctit leacuteglise et fit fleurir le deacutesert Il fut le second fondateur de la citeacute qui prit son nom On ne saurait douter que ce grand eacutevecircque mdash auquel par surcroicirct on attribuait le don des miracles mdash nait eacuteteacute repreacutesenteacute au portail de sa catheacutedrale Saint Bertrand mourut en 1123 Son image dut ecirctre sculpteacutee peu danneacutees apregraves sa mort dans un temps ougrave son souvenir eacutetait encore vivant dans toutes les meacutemoires Elle est certainement anteacuterieure agrave 1179 date de la canonisation du saint car il est repreacutesenteacute sans nimbe Cette effigie dun grand homme qui neacutetait pas encore un saint est fort inteacuteressante il a fallu un vif mouvement denthousiasme pour quon ait oseacute repreacutesenter un contemporain un homme que tous avaient connu agrave cocircteacute de la Vierge et des rois Mages Ces hautes Pyreacuteneacutees neacutetaient pas alors une barriegravere entre la France et lEspagne Les saints franccedilais eacutetaient veacuteneacutereacutes dans lEspagne du nord les saints espagnols dans la France du midi Il est curieux de retrouver ccedila et lagrave des traces de ce culte que les eacuteglises meacuteridionales avaient voueacute aux saints dau delagrave des monts Un chapiteau du cloicirctre de Moissac repreacutesente le martyre des trois saints de Tarragone Fructueux Augure et Euloge Ces illustres chreacutetiens du III

e siegravecle ceacuteleacutebreacutes par saint

Augustin et par Prudence sont repreacutesenteacutes avec le costume du XIIe Leacutevecircque Fructueux porte la

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crosse et la mitre les diacres Auguste et Euloge ont la dalmatique et le manipule Le proconsul Aemilianus gouverneur de la Tarraconaise est assis sur son trocircne et il a pregraves de lui comme un baron feacuteodal un joueur de rote Cest le moment ougrave seacutechangent entre AEmilianus et Fructueux les paroles ceacutelegravebres laquo Je suis eacutevecircque du Christ dit Fructueux mdash Dis que tu las eacuteteacute raquo reacutepond AEmiIianus et il lenvoie au supplice avec ses deux compagnons Une autre face du chapiteau montre les trois saints en priegravere au milieu de leur bucirccher et plus loin les anges emportant leur acircme au ciel dans une gloire La preacutesence dans labbaye de Moissac de quelque insigne relique des martyrs de Tarragone explique sans doute pourquoi les moines voulurent avoir sans cesse sous les yeux leur histoire Des reliques retrouveacutees il y a quelques anneacutees dans lautel de leacuteglise de Valcabregravere (Haute-Garonne) ont fait deviner les noms de trois des statues qui en ornent le portail elles repreacutesentent le diacre saint Eacutetienne et deux saints espagnols saint Just et saint Pasteur Ceacutetaient deux eacutecoliers de Complutum qui sappela plus tard Alcala de Henares au temps de la perseacutecution de Diocleacutetien ils comparurent devant le preacutefet Dacien qui les fit battre de verges et mettre agrave mort Prudence a ceacuteleacutebreacute leur courage Lartiste connaissait fort bien leur histoire car il sest efforceacute de leur donner un air de

jeunesse au-dessus de leur tecircte des chapiteaux racontent leur martyre un des saints est attacheacute a un arbre pour ecirctre flagelleacute lautre est deacutecapiteacute Dans le cloicirctre de marbre dEIne [Pyreacuteneacutees-Orientales] non loin de la grande route romaine qui -conduisait en Espagne on ne seacutetonne pas de rencontrer une sainte espagnole un des chapiteaux repreacutesente le martyre de sainte Eulalie patronne de la catheacutedrale dElne La jeune sainte de Meacuterida eacutetait deacutejagrave ceacutelegravebre en France puisque le plus ancien de nos poegravemes en langue romane lui est consacreacute Voilagrave agrave peu pregraves tout ce qui subsiste dans le Sud-Ouest des œuvres que le XII

e siegravecle avait consacreacutees aux saints de la France meacuteridionale et de

lEspagne

II

En peacuteneacutetrant dans lAquitaine nous entrons dans le royaume de saint Martial Saint Martial fut veacuteneacutereacute de bonne heure comme lapocirctre du Limousin mais jusquau XI

e siegravecle on sut peu de chose de son

histoire Cest alors que fut eacutecrite sa merveilleuse leacutegende On lattribua agrave saint Aureacutelien le premier de ses successeurs cet Aureacutelien dont la chapelle seacutelegraveve aujourdhui au milieu de la rue des Bouchers agrave Limoges Ce reacutecit sembellit encore et il se forma autour de saint Martial tout un cycle de poeacutetiques leacutegendes Il ne fut plus un simple missionnaire il devint un contemporain un disciple du Christ tout enfant il avait entendu sa parole Cest de lui que le Christ avait dit laquo Quiconque ne ressemble pas agrave cet enfant nentrera pas dans le royaume des cieux raquo II avait assisteacute agrave la multiplication des pains au lavement des pieds agrave la Cegravene Plus tard il avait accompagneacute saint Pierre agrave Rome Saint Pierre lui donna son bacircton et lenvoya eacutevangeacuteliser la Gaule avec ce fameux bacircton qui fut longtemps conserveacute dans leacuteglise Saint-Seurin de Bordeaux saint Martial ressuscitait les morts Il entra en conqueacuterant dans lAquitaine partout ougrave il passait une eacuteglise naissait Il fut le fondateur non seulement de leacuteglise de Limoges mais de celles de Bourges de Poitiers de Saintes de Bordeaux de Cahors de Tulle de Rodez dAurillac de Mende du Puy Les premiers eacutevecircques de ces villes quon en avait cru les apocirctres neacutetaient que ses disciples De poeacutetiques personnages accompagnent saint Martial Il eacutetait venu en Gaule - disait-on - avec sainte Veacuteronique qui avait essuyeacute la face du Sauveur sur le chemin du Calvaire et avec saint Amateur que lon confondra plus tard avec le Zacheacutee de lEacutevangile ce Zacheacutee agrave qui le Christ avait parleacute Veacuteronique et Amateur qui avaient vu qui avaient entendu le Verbe ne purent se reacutesigner agrave vivre dans la socieacuteteacute des hommes ils senfermegraverent tous les deux dans la solitude Saint Amateur se retira dans la profonde valleacutee ougrave seacuteleva plus tard le sanctuaire de Rocamadour quant agrave Veacuteronique elle bacirctit son ermitage dans le deacutesert de Soulac au bord de lOceacutean La leacutegende nous montre encore aupregraves de saint Martial une jeune vierge sainte Valeacuterie Elle appartenait agrave une des plus illustres familles du pays des Leacutemovices et eacutetait fianceacutee au proconsul romain mais elle avait entendu saint Martial et reccedilu le baptecircme elle aspirait agrave la perfection Elle refusa deacutepouser le proconsul qui dans sa colegravere la fit mettre agrave mort Un centurion lui trancha la tecircte la sainte la prit dans ses mains et alla la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacuteleacutebrait la messe dans leacuteglise de Limoges Les visiteurs du palais des papes dAvignon connaissent les deacutelicieuses fresques de Matteo de Viterbe ougrave lon voit se deacuterouler toute cette histoire de saint Martial sous un ciel dazur Il ne faut pas attendre du XII

e siegravecle des œuvres dun charme aussi peacuteneacutetrant Dailleurs saint Martial qui a

tenu tant de place dans limagination des hommes du XIIe siegravecle na laisseacute que peu de traces dans

lart de ce temps Beaucoup doeuvres sans aucun doute ont disparu La grande eacuteglise abbatiale de Limoges ougrave seacutelevait son tombeau cette fameuse eacuteglise Saint-Martial qui attirait tant de pegravelerins fut deacutetruite avec toutes ses œuvres dart au temps de la Reacutevolution perte irreacuteparable pourliconographie de saint Martial La fresque y racontait-elle sa leacutegende On peut le croire car dans leacuteglise qui preacuteceacuteda celle-lagrave on pouvait voir au teacutemoignage dAdheacutemar de Chabannes des

peintures murales qui retraccedilaient sa vie Degraves la fin du Xe siegravecle un moine orfegravevre de labbaye avait

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fait pour lautel une statue dor de saint Martial qui le repreacutesentait assis beacutenissant de la main droite et portant le livre de la main gauche Il est probable que dans beaucoup deacuteglises qui se glorifiaient devoir eacuteteacute fondeacutees par saint Martial on voyait quelque œuvre dart rappelant son apostolat A Toulouse la leacutegende allait jusquagrave associer saint Martial agrave saint Sernin dans la preacutedication de lEacutevangile cest pourquoi au portail de leacuteglise Saint-Sernin saint Martial eacutetait repreacutesenteacute sa statue reacutepondait agrave celle de saint Sernin et pregraves delle on lisait cette inscription Hic socius socio subvenit auxilio Ainsi au teacutemoignage mecircme des clercs de Toulouse gardiens du tombeau de saint Sernin leur saint patron avait eacuteteacute secondeacute dans son œuvre par le grand saint Martial disciple du Seigneur A lautre extreacutemiteacute de lAquitaine aux confins du Berryon voit encore dans leacuteglise romane de Meacuteobecq (Indre) une peinture murale du XII

e siegravecle qui repreacutesente saint Martial Les moines de Meacuteobecq en

effet racontaient que saint Martial dans ses voyages eacutevangeacuteliques eacutetait venu jusque-lagrave Il subsiste probablement plus dune œuvre du XII

e siegravecle ougrave nous ne savons plus aujourdhui reconnaicirctre saint

Martial A la faccedilade de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers on voit sous des arcatures agrave cocircteacute des douze apocirctres deux eacutevecircques il est probable que lun deux est saint Martial fondateur suivant la leacutegende de leacuteglise de Poitiers et presque eacutegal en digniteacute aux apocirctres Quelques œuvres de la fin du XIIe siegravecle nous offrent les plus anciennes repreacutesentations de la leacutegende de saint Martial ce sont des chacircsses eacutemailleacutees provenant des ateliers de Limoges Sur lune delles [Collection Marlin-Leroy t I PI XV Le fond vermiculeacute les costumes le style indiquent le XIIe siegravecle] saint Martial ressemble agrave

FIGURE XLV (bible de saint Martial)

un apocirctre et comme les apocirctres il a les pieds nus mdash privilegravege exceptionnel et signe de sa haute mission Il porte agrave la main le fameux bacircton il lui suffit de le preacutesenter agrave un posseacutedeacute aux cheveux heacuterisseacutes pour quaussitocirct le deacutemon seacutechappe par sa bouche Ce miracle frappa dadmiration sainte Valeacuterie et la disposa agrave recevoir le baptecircme Sur lautre face de la chacircsse en effet elle sagenouille devant saint Martial qui la beacutenit mais deacutejagrave le proconsul ordonne au bourreau de la mettre agrave mort Une autre chacircsse du mecircme temps repreacutesente le centurion conduisant sainte Valeacuterie au supplice [Ancienne colleclion Soltykoff voir Rupin lŒuvre de Limoges p 403] La jeune sainte porte encore la robe collante aux manches deacutemesureacutees des plus anciennes statues de Chartres Le bourreau lui tranche la tecircte mais elle la prend dans ses mains et va la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacutelegravebre la messe un ange vole au-dessus delle et par un charmant artifice la tecircte de lange tient la place de la tecircte de la sainte Sainte Valeacuterie est ici lheacuteroiumlne queceacutelegravebre lartiste et cest sans aucun doute une de ses reliques que contenait la chacircsse Sainte Valeacuterie en effet fut presque aussi populaire que saint Martial lui-mecircme Quand les comtes de Poitiers venaient se faire sacrer ducs dAquitaine agrave Limoges leacutevecircque leur preacutesentait la couronne et leacutepeacutee puis le doyen du chapitre leur mettait au doigt lanneau de sainte Valeacuterie ceacutetaient les fianccedilailles du duc et de leacuteglise dAquitaine dont Valeacuterie eacutetait le plus pur symbole Cest pourquoi les œuvres dart qui la repreacutesentent - trop rares aujourdhui - nous touchent comme une poeacutetique image du passeacute Non loin de Bellac lantique eacuteglise Saint-Pierre-de-la-Treacutemouille conserve quelques restes dune fresque du XII

e siegravecle deux saintes apparaissent encore dont on peut

lire les noms ce sont sainte Valeacuterie et sainte Radegonde [Voir un dessin de la fresque dans le Bullet de la Socieacuteteacute des antiq de lOuest 1912 p 633] La leacutegende doreacutee du Poitou sunit lagrave agrave celle du Limousin Le monastegravere de Chambon-sur-Voueyze (Creuse) agrave lextreacutemiteacute de la Marche fut un des foyers du culte de sainte Valeacuterie Il posseacutedait une partie de ses reliques mais le charmant buste dargent qui les contient aujourdhui ne remonte quau XV

e siegravecle il repreacutesente la jeune martyre avec

une couronne et un riche collier Dans la vieille eacuteglise romane de Chambon aucune des œuvres qui furent consacreacutees au XII

e siegravecle agrave sainte Valeacuterie ne sest conserveacutee mais ce quon ne voit plus agrave

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Chambon on le voit un peu plus loin dans leacuteglise abbatiale dEacutebreuil en Bourbonnais Dans la tribune une peinture murale du XII

e siegravecle repreacutesente agrave cocircteacute du martyre de saint Pancrace dont leacuteglise avait

sans doute quelque relique le martyre de sainte Valeacuterie Cest ici la limite ougrave sarrecirctait la gloire de la sainte Les autres compagnons de saint Martial saint Amateur et sainte Veacuteronique ceacutelegravebres degraves le XIIe siegravecle ont inspireacute des oeuvres dart que le temps a presque complegravetement deacutetruites Rocamadour trop souvent saccageacute ne nous montre plus le fondateur du sanctuaire saint Amateur que le peuple appe- lait saint Amadour mais on y voit encore la Vierge de bois recouverte jadis de plaques dargent quon disait faite de sa main [ Elle ne remonte pas plus haut que le XIIIe siegravecle Revue de lart chreacutetien 1892 p 7 et suiv] Un monastegravere seacuteleva agrave Soulac pregraves du tombeau de sainte Veacuteronique Leacuteglise qui contenait les reliques de la sainte sappelait Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres on eacutetait lagrave en effet agrave une des extreacutemiteacutes du monde au bord de linconnu Un vaste deacutesert de sables et la rumeur lointaine du grand Oceacutean alors sans limites donnaient au lieu une religieuse beauteacute La dune pousseacutee par le vent envahit peu agrave peu le monastegravere et finit par le recouvrir En 1860 des fouilles

firent reparaicirctre leacuteglise romane qui sortit de son linceul de sable comme un temple de la Haute-Egypte On remarqua alors deux chapiteaux qui deacutecoraient lentreacutee de la chapelle deacutedieacutee jadis agrave sainte Veacuteronique lun repreacutesente un tombeau lautre des pegravelerins debout des deux cocircteacutes dun autel sur lequel repose une chacircsse Ce sont suivant toutes les vraisemblances le tombeau et la chacircsse de sainte Veacuteronique quiattiraient tant de pegravelerins agrave Soulac Cest ainsi que du Bourbonnais agrave lOceacutean du Berry agrave Toulouse a rayonneacute la leacutegende de saint Martial et de ses compagnons Le centre de lancienne Aquitaine avec ses valleacutees profondes et ses riviegraveres rapides a toutes les beauteacutes dune nature primitive mais cest un pays de granit ougrave la pierre reacutesiste au travail du ciseau Aussi nest-ce pas par les sculpteurs que les saints y furent ceacuteleacutebreacutes mais par les orfegravevres Degraves la fin du X

e siegravecle

plusieurs eacuteglises dAquitaine avaient des images dor dargent ou de cuivre de leurs saints patrons images qui eacutetaient en mecircme temps des reliquaires Eacutecoutons leacutecolacirctre dAngers Bernard qui parcourut le Plateau Central dans les premiegraveres anneacutees du XIe siegravecle

laquo Jusquici dit-il il me semblait que les saints ne devaient recevoir dautres honneurs que ceux du dessin ou de la peinture il me semblait absurde et impie de leur eacutelever des statues Mais tel nest pas le sentiment des habitants de lAuvergne du Rouergue de la reacutegion toulousaine et des pays voisins Chez eux cest une antique habitude que chaque eacuteglise possegravede une statue de son patron Suivant les ressources de leacuteglise cette statue est dor dargent ou dun meacutetal moins preacutecieux on y enferme le chef ou quelque insigne relique du saint [Liber miracul sanctae Fidis publieacute par labbeacute Bouillet Lib I cap XIII] raquo

Ainsi lhomme du Nord en entrant dans le Midi deacutecouvrait une autre France Bernard nous a fait connaicirctre quelques-unes de ces statues Au synode de Rodez on en avait apporteacute plusieurs sur la prairie aux portes de la ville chacune delles sabritait sous une tente et elles formaient une assembleacutee plus imposante que celle des eacutevecircques Ceacutetait laquo la majesteacute dor raquo de saint Marins patron de labbaye de Vabres en Rouergue laquo la majesteacute dor raquo de saint Amand deuxiegraveme eacutevecircque de Rodez laquo la majesteacute dor raquo de sainte Foy de Conques et enfin pregraves de la chacircsse dor de saint Sernin laquo la majesteacute dor raquo de la Vierge En descendant vers le Midi Bernard avait deacutejagrave rencontreacute laquo la majesteacute raquo de saint Geacuteraud ce jeune chevalier devenu moine qui avait donneacute son nom agrave la grande abbaye dAurillac Mais il ne semble pas avoir vu laquo la majesteacute raquo de saint Martial dans labbaye de Limoges Il subsiste encore aujourdhui quelques-unes de ces eacutetranges statues La laquo majesteacuteraquo de sainte Foy est toujours agrave Conques comme au temps de leacutecolacirctre Bernard mais on ne reconnaicirct guegravere dans cette idole doreacutee la jeune martyre dAgen dont nous avons raconteacute lhistoire La sainte assise sur son trocircne eacutetincelle dor et de pierreries elle porte une couronne fermeacutee dune forme tregraves antique de longues boucles doreilles

pendent sur ses eacutepaules de chaque main elle tient deacutelicatement entre deux doigts deux petits tubes ougrave lon mettait des fleurs de beaux cameacutees antiques sont incrusteacutes ccedila et lagrave dans le meacutetal de sa robe Ne pouvant la faire belle lartiste lavait faite si riche quelle inspirait un religieux effroi mais il y avait autour delle une aureacuteole de miracles plus eacuteclatante encore que le rayonnement de lor Un fleacuteau deacutevastait-il les environs un diffeacuterend seacutelevait-il entre deux villes un baron disputait-il agrave labbaye un de ses domaines aussitocirct la statue de la sainte sortait du sanctuaire Elle eacutetait porteacutee par un cheval choisi dont le pas eacutetait tregraves doux Autour delle de jeunes clercs faisaient retentir des cymbales et reacutesonner des cors divoire Elle savanccedilait avec majesteacute comme jadis la Magna Mater au temps ougrave ces montagnes eacutetaient paiumlennes Partout ougrave elle passait elle reacutetablissait la concorde faisait reacutegner la paix les miracles eacuteclataient si nombreux quagrave peine les moines avaient-ils le temps de les eacutecrire La sainte se plaisait surtout agrave deacutelivrer les prisonniers au portail de Conques on la voit

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prosterneacutee devant la main de Dieu elle prie sans aucun doute pour les captifs car des fers sont suspendus en ex-voto derriegravere elle La statue de sainte Foy fut porteacutee bien au delagrave des limites du Rouergue on la vit en Auvergne et dans le pays albigeois On lui dressait tous les soirs une tente et sur la tente on eacutelevait un berceau de verdure Combien il est heureux que laquo la majesteacute raquo de sainte Foy se soit conserveacutee intacte agrave travers tant de siegravecles Comme ce bloc dor nous illumine le haut moyen acircge Comme il nous fait comprendre ce quil y avait de mysteacuterieux et de redoutable dans le pouvoir du saint La statue de sainte Foy est unique de richesse il subsiste dans ces reacutegions deux autres images de saints qui sont plus simples et un peu moins anciennes Lune se conserve dans leacuteglise du Monastier antique abbaye perdue dans les solitudes du Velay Cest une statue agrave mi-corps faite de plaques dargent releveacutee de cabochons elle repreacutesente un saint aux yeux saillants au nom farouche saint Chaffre Chaffre est la forme populaire de Theofredus Saint Chaffre est un martyr du temps de linvasion sarrasine Abbeacute du Monastier il donna agrave ses moines lordre de senfuir et resta seul en face des Arabes Battu de verges il fut laisseacute mourant dans son eacuteglise mais le lendemain se soutenant agrave peine il se preacutesenta au milieu dune fecircte devant les imans et commenccedila agrave leur prouver quils nadoraient pas le vrai Dieu ses bourreaux lachevegraverent Comme celle de sainte Foy la statue de saint Chaffre contenait des reliques qui la rendaient plus veacuteneacuterable

FIGURE XLVI (saint Chaffre)

La statue de saint Chaffre est peut-ecirctre du XIe siegravecle celle de saint Baudime deacutejagrave plus savante doit

ecirctre du XIIe Elle se conserve dans leacuteglise de Saint-Nectaire et perpeacutetue le souvenir dun des

premiers missionnaires de la foi en Auvergne Cest une statue agrave mi-corps comme celle de saint Chaffre elle nest pas en argent mais en cuivre repousseacute ciseleacute et doreacute La chevelure est faite de boucles parallegraveles comme celles dune tecircte grecque archaiumlque les yeux divoire agrave la prunelle de corne donnent agrave lapocirctre un regard seacutevegravere qui intimide Ces œuvres encore eacuteloigneacutees de la vie precirctent aux saints une majesteacute lointaine les entourent de mystegravere elles reacutepondent agrave merveille aux sentiments queacutevoquait alors la sainteteacute Ces statues reliquaires nombreuses jadis dans les provinces montagneuses du centre de la France semblent ecirctre lœuvre dartiste monastiques Il y avait agrave Conques un atelier dorfegravevrerie et cest probablement dans labbaye mecircme que la statue de sainte Foy a eacuteteacute faite au X

e siegravecle Mais vers le milieu du XII

e siegravecle les ateliers de Limoges

commencent agrave prendre la premiegravere place Cest Limoges qui va avoir la charge de ceacuteleacutebrer les saints de lAquitaine et bientocirct dune partie de la chreacutetienteacute alors commence agrave Limoges cette longue liturgie de plusieurs siegravecles en lhonneur des saints qui sexprime par le cuivre et leacutemail Les monuments de lorfegravevrerie limousine du XII

e siegravecle sont rares aujourdhui On voyait avant la Reacutevolution dans la

fameuse abbaye de Grandmont un des chefs-dœuvre de leacutecole une chacircsse eacutemailleacutee qui contenait les reliques de saint Eacutetienne de Muret le fondateur de lordre Toute la vie du saint y eacutetait raconteacutee Saint Eacutetienne neacute en Auvergne agrave Thiers appartenait au Limousin par ses vertus cest en effet dans la forecirct de Muret pregraves de Limoges quil avait veacutecu Il eacutetait naturel quil fucirct ceacuteleacutebreacute par les eacutemailleurs limousins Une plaque deacutemail du XII

e siegravecle aujourdhui au museacutee de Cluny est tregraves probablement un

deacutebris de la chacircsse de Grandmont Saint Eacutetienne de Muret qui avait fait un pegravelerinage agrave Bari voit le grand saint du lieu saint Nicolas lui apparaicirctre une inscription en franccedilais du sud de la Loire explique la scegravene La vie du saint se continuait raconteacutee dans tous ses deacutetails On devait voir comment saint Eacutetienne de Muret au moment ougrave il se consacra agrave la solitude mit un anneau agrave son doigt et placcedila sur sa tecircte lacte de renoncement quil venait deacutecrire laquo Ce sera dit-il mon bouclier au

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jour de ma mort raquo Ce geacutenie symbolique eacutetait en parfaite harmonie avec lart du XIIe siegravecle Nous

avons deacutejagrave parleacute des chacircsses ougrave saint Martial et sainte Valeacuterie sont ceacuteleacutebreacutes Il subsiste encore une magnifique chacircsse de la seconde partie du XII

e siegravecle consacreacutee agrave la gloire dun saint du centre de la

France par les eacutemailleurs limousins elle contient les reliques de saint Calmin et se conserve dans

leacuteglise de Mozat pregraves de Riom Saint Calmin qui fut au VIIe siegravecle gouverneur de lAuvergne du

Velay et du Geacutevaudan descendait de Calminius lami de Sidoine Apollinaire Un voyage agrave Leacuterins lui fit vivement sentir la beauteacute de la vie monastique Il ne fut peut-ecirctre jamais moine mais il fonda des monastegraveres en Velay dabord agrave Calminiacum puis dans le Limousin agrave Tulle enfin en Auvergne agrave Mozat Sa femme sainte Namadie prenait sa part de ses travaux et laidait de ses conseils Cest pourquoi un des eacutemaux nous montre les deux eacutepoux faisant construire Calminiacum qui sappellera plus tard le Monastier cest labbaye quillustrera saint Chaffre On les voit ensuite faisant eacutelever le monastegravere de Tulle puis celui de Mozat des maccedilons preacuteparent le mortier montent agrave leacutechelle Labbaye nest pas encore termineacutee mais deacutejagrave leacuteglise est construite et le calice est sur lautel la maison de Dieu a donc eacuteteacute faite avant celle des moines Leur œuvre acheveacutee Calmin et Namadie meurent saintement leur acircme seacutelegraveve dans une aureacuteole et la main de Dieu sort du ciel Cette œuvre magnifique avive nos regrets Combien de chacircsses semblables ont disparu au temps ougrave ces treacutesors arracheacutes du sanctuaire se vendaient au poids du cuivre et devenaient des chaudrons Les quelques monuments de ce genre qui subsistent sont du XIII

e siegravecle ou des siegravecles suivants Parfois au milieu

des bruyegraveres et des bleacutes noirs en fleurs du Limousin on rencontre dans une eacuteglise de village une chacircsse eacutemailleacutee qui raconte lhistoire de saint Dulcide de saint Psalmet de lermite saint Viance Parfois un buste reliquaire repreacutesente le grave saint Eacutetienne de Muret lesclave saint Theacuteau racheteacute par saint Eacuteloi et orfegravevre comme son maicirctre labbeacute saint Yriex et lexquise sainte Fortunade Nous respirons un instant tout le parfum de passeacute et il y a beaucoup de fastueux chefs-dœuvre qui nous touchent moins que ces humbles merveilles

III

Dans limmense domaine de saint Martial le Poitou occupait une place agrave part il avait eu en effet au IVe siegravecle un des saints les plus illustres de la chreacutetienteacute saint Hilaire Celui-lagrave eacutetait un saint authentique que la leacutegende osa agrave peine effleurer il navait pas veacutecu dans le creacutepuscule des temps meacuterovingiens mais dans ce IVe siegravecle queacuteclaire encore la lumiegravere antique Dabord paiumlen marieacute avant decirctre eacutevecircque il avait eacuteteacute une fois devenu chreacutetien un des plus vaillants deacutefenseurs de lorthodoxie contre larianisme Ses livres mdash dit saint Jeacuterocircme mdash avaient la force irreacutesistible du Rhocircne Exileacute en Orient par un empereur arien il y eacutetudia les ouvrages dOrigegravene et fit connaicirctre agrave lEacuteglise des Gaules lexeacutegegravese alleacutegorique des Alexandrins Un tel saint eacutetait-il bien selon le cœur des pegravelerins du XII

e siegravecle qui passant par Poitiers pour aller agrave Saint-Jacques-

de-Compostelle sarrecirctaient agrave son tombeau On en pourrait douter si on ne savait que de nombreuses merveilles avaient mairfesteacute le pouvoir du saint apregraves sa mort et lui avaient creacuteeacute une leacutegende Cest au-dessus du tombeau de saint Hilaire quapparut cette colonne de feu qui guida Clovis avant la bataille de Vouilleacute Il est probable que ceacutetaient ces miracles qui avaient eacuteteacute peints de preacutefeacuterence dans leacuteglise de Saint-Hilaire de Poitiers un des sanctuaires les plus ceacutelegravebres de la France on pouvait voir il y a quarante ans quelques restes de ces fresques dans les absidioles Un seul monument rappelle aujourdhui dans leacuteglise la meacutemoire du grand docteur un chapiteau qui repreacutesente sa mort Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en un tel lieu on ne peut guegravere douter que le saint qui meurt entoureacute de ses diacres et dont les anges emportent lacircme au ciel ne soit saint Hilaire Dans cette œuvre tregraves gauche encore leacutemotion essaie de sinsinuer Leacuteonnius le disciple favori du saint se penche encore une fois sur le corps de son maicirctre et il exprime sa douleur en portant sa main agrave sa joue comme saint Jean au pied de la croix Mais il y a agrave Poitiers une autre eacuteglise du XII

e siegravecle consacreacutee agrave saint Hilaire Saint-Hilaire-de-la-Celle qui seacutelegraveve suivant la tradition

sur lemplacement de sa maison Vers la fin de sa vie apregraves la mort de sa femme et de sa fille le saint en fit un oratoire ougrave il aimait agrave se retirer Cest lagrave quil mourut en 368 et cest de lagrave quil fut porteacute agrave leacuteglise Saint-Jean-et-Saint-Paul construite au milieu de lantique cimetiegravere chreacutetien et qui prit alors son nom Jusquaux deacutevastations des protestants on vit dans leacuteglise Saint-Hilaire de la Celle un ceacutenotaphe ougrave la vie du saint eacutetait raconteacutee Il nen subsiste plus quun fragment qui repreacutesente la mort de saint Hilaire La scegravene est pleine de majesteacute saint Hilaire eacutetendu dans un sarcophage ouvert est dune taille colossale et semble dune autre race que le reste des hommes Derriegravere lui les clercs de son eacuteglise se tiennent debout aux deux extreacutemiteacutes deux diacres nimbeacutes sont agrave nen pas douter Leacuteonnius et Justus saint Lienne et saint Just comme on les appelait les plus chers disciples du maicirctre Cest agrave lun deux que saint Hilaire demanda avant de mourir si la nuit eacutetait silencieuse Au milieu de lassembleacutee deux anges apparaissent les ailes ouvertes ils sont descendus dans cette nuit religieuse pour recueillir lacircme du mort Cette grande maniegravere de composer et de sentir nous indique

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une eacutepoque deacutejagrave avanceacutee du XIIe siegravecle Mais ne voit-on agrave Poitiers que la mort de saint Hilaire Ny

trouve-t-on aucun trait de sa vie Un bas-relief qui appartient aujourdhui agrave la Socieacuteteacute des antiquaires de lOuest a longtemps deacutecoreacute leacuteglise deacutetruite de Sainte-Triaise Il repreacutesente saint Hilaire la crosse agrave la main consacrant agrave Dieu la vierge Troecia sainte Triaise Saint Hilaire avait pu admirer en Orient les commencements de la vie monastique et Troecia sa fille spirituelle est une des plus anciennes religieuses de la Gaule Elle veacutecut enfermeacutee dans sa cellule au milieu du cimetiegravere chreacutetien de Poitiers parmi les tombeaux comme une recluse de la Theacutebaiumlde La propre fille de saint Hilaire sainte Abra suivit lexemple de Troceia Son pegravere encouragea sa vocation dans une de ses lettres il lui promet une perle plus belle que celle que les vierges reccediloivent de leurs fianceacutes On montre encore dans leacuteglise Saint-Hilaire le couvercle du sarcophage de sainte Abra Ce nest pas en Poitou que lon trouve aujourdhui la plus curieuse repreacutesentation de la vie de saint Hilaire mais en Bourgogne Le sarcophage de sainte Abra (Saocircne-et- Loire) qui lui est deacutedieacutee raconte au linteau du portail le plus beau chapitre de son histoire On voit le saint arrivant au concile de Seacuteleucie pour lutter contres les eacutevecircques ariens Mais ici le moyen acircge a deacutejagrave fait son œuvre et la leacutegende a deacuteformeacute la veacuteriteacute Dans la seconde partie du bas-relief saint Hilaire est assis plus bas que les eacutevecircques cest que les ariens nont pas voulu lui faire de place parmi eux Du haut du ciel un ange lencense et le deacutesigne comme le champion de Dieu Le faux pape Leacuteon quitte le concile en prononccedilant contre le saint des paroles menaccedilantes mais Leacuteon meurt dune mort ignominieuse et les deacutemons semparent de son acircme Ce bas-relief inteacuteressant par son sujet est une œuvre inexpressive ougrave lon ne trouve ni le mouvement ni la vie de la grande sculpture bourguignonne Saint Hilaire que tant de pegravelerins venaient veacuteneacuterer dans son eacuteglise eacutetait le grand saint du Poitou mais beaucoup dautres saints moins illustres avaient inspireacute les artistes de ces reacutegions Si les fresques des abbayes poitevines seacutetaient aussi bien conserveacutees que celles de labbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) nous aurions une veacuteritable histoire eccleacutesiastique de la province

FIGURE XLVII (Larche de Noeacute peinture - abbatiale de saint Savin-sur-Gartempe)

A Saint-Savin en effet de grandes figures peintes dans la tribune non loin des scegravenes de la Passion repreacutesentent les saints eacutevecircques de Poitiers Des inscriptions encore visibles il y a quelques anneacutees deacutesignaient saint Geacutelasius et saint Fortunat le fameux eacutevecircque poegravete Dans la crypte le temps a respecteacute une partie des fresques consacreacutees agrave saint Savin le patron de labbaye et agrave son compagnon saint Cyprien Ce sont deux martyrs En vain furent-ils deacutechireacutes par des ongles de fer attacheacutes agrave la roue exposeacutes aux becirctes chaque fois par un miracle ils eacutechappegraverent agrave la mort Dans laregravene les lions mdash que le peintre a fait aussi inoffensifs que des chiens mdash viennent leur leacutecher les pieds Ce fut non loin de labbaye mdash disait la tradition mdash au bord de la Gartempe que les deux saints furent mis agrave mort par leurs perseacutecuteurs Ainsi les hautes antiquiteacutes du Poitou eacutetaient sans cesse

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preacutesentes aux visiteurs de labbaye Lart ressuscitait le passeacute le faisait vivre dans les imaginations Soyons sucircrs que dans toute leacutetendue du Poitou mdash une des reacutegions de la France ougrave la peinture monumentale a laisseacute le plus de traces mdash il y eut des sanctuaires ougrave lon pouvait comme agrave Saint-Savin apprendre lhistoire des saints de la province Les moines avaient eacuteprouveacute depuis longtemps la vertu eacuteducatrice de la peinture ils savaient sa puissance magique sur les foules illettreacutees Mais agrave Charroux agrave Saint-Jouin-de-Marnes agrave Airvault agrave Maillezais dans toutes ces abbayes illustres du Poitou il ne reste plus rien aujourdhui

IV

Le Berry avec ses plaines indeacutecises fut souvent consideacutereacute comme un fief de saint Martial car ceacutetait lui disait la tradition limousine qui avait fondeacute leacuteglise de Bourges Mais agrave cette leacutegende le Berry en opposait une autre celle de son premier apocirctre saint Ursin Ursin eacutetait le Nathanael de lEacutevangile cest lui qui le premier avait annonceacute la foi nouvelle agrave Bourges et il y avait apporteacute deux reliques sans prix la courroie qui attachait le Christ agrave la colonne et quelques gouttes du sang de saint Eacutetienne car Nathanael avait assisteacute au supplice du saint diacre Saint Ursin devenait donc presque

leacutegal en digniteacute de saint Martial Parmi les successeurs de saint Ursin plusieurs eacutevecircques de Bourges seacutetaient eacuteleveacutes agrave la sainteteacute par leurs vertus Le Berry avait eu aussi ses saints ermites parfois dans ce pays de mareacutecages et de grandes forecircts on rencontrait un homme de Dieu dans la solitude Beaucoup de ces saints qui vivaient dans la meacutemoire du peuple avaient ducirc ecirctre ceacuteleacutebreacutes par lart du XIIe siegravecle Les vieilles eacuteglises du Berry ne sont pas tregraves riches en œuvres de sculpture mais beaucoup de ces eacuteglises eacutetaient peintes Plus dune fresque se cache encore sous le badigeon et lon verra peut-ecirctre reparaicirctre un jour ces saints jadis fameux saint Sulpice saint Patrocle saint Venant saint Leacuteopardin saint Laurian et la bergegravere sainte Solange aussi ceacutelegravebre dans le Berry que sainte Valeacuterie leacutetait dans le Limousin Que nous reste-t-il donc aujourdhui On voit agrave lexteacuterieur de leacuteglise de Chacirctillon-sur-Indre (Indre) un bas-relief du XII

e siegravecle qui deacutecorait jadis le portail et qui est

encastreacute maintenant dans une fenecirctre haute du transept Il repreacutesente le Christ en majesteacute assis entre deux seacuteraphins au-dessous saint Austregisille reccediloit un flambeau de la main de saint Pierre Saint Austregisille que les bergers et les laboureurs appelaient saint Oustrille eacutetait eacutevecircque de Bourges au commencement du VII

e siegravecle Avant son entreacutee dans les ordres on lavait vu se rendre agrave Chalon pour

y combattre en champ clos eacutevecircque il conserva leacutenergie du soldat et il lutta sans cesse contre les rois meacuterovingiens et les agents de leur fisc Sa sainteteacute seacutetait manifesteacutee par de nombreux miracles agrave Chacirctillon un autre bas-relief dont il ne reste plus que linscription le montrait gueacuterissant une posseacutedeacutee Il est facirccheux que larchitecte qui restaura leacuteglise vers 1880 ait si mal placeacute lancien tympan car on ne peut plus distinguer aujourdhui saint Austregisille recevant de saint Pierre cest-agrave-dire de Rome le flambeau de la foi Leacuteglise de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) a heureusement conserveacute agrave leur place les rudes bas-reliefs qui furent consacreacutes agrave la gloire dEusitius ou saint Eusice Il y a plusieursbeaux traits dans la vie de saint Eusice Ses parents eacutetaient si pauvres quils furent obligeacutes de vendre un de leurs enfants comme esclave et ce fut saint Eusice qui se sacrifia pour ses fregraveres Esclave il saffranchit par la sainteteacute Sa reacuteputation eacutetait si grande que Childebert traversant le Berry pour aller combattre les Visigoths dEspagne voulut le voir et linterroger sur lavenir Il lui offrit cinquante sous dor laquo Donne cet argent aux pauvres lui dit Eusitius pour moi il me suffit de prier pour mes peacutecheacutes raquo puis il annonccedila au roi quil reviendrait victorieux Sa preacutediction saccomplit cest pourquoi agrave son retour Childebert sarrecircta pour revoir le saint Apregraves lui avoir donneacute le baiser de paix il lui offrit la moitieacute du butin quil rapportait dEspagne Il y avait dans le cortegravege du roi des prisonniers de guerre laquo lieacutes deux agrave deux dit lhagiographe comme des couples de chiens raquo Pour toute faveur saint Eusice demanda au roi de les deacutelivrer Chose eacutetrange ces beaux eacutepisodes ne figurent pas dans les bas-reliefs qui deacutecorent labside de Selles-sur-Cher Saint Eusice qui fut grand par la chariteacute nous apparaicirct lagrave comme un thaumaturge presque comme un magicien Il oblige les deacutemons agrave se rendre utiles sur son ordre ils sattellent agrave un char et transportent les pierres de leacuteglise Il se sert des

loups pour garder ses troupeaux Rien ne lui est impossible un jour quon lui a voleacute sa pelle de boulanger il entre dans le four brucirclant et y place tranquillement ses pains Voilagrave ce que nous montre labside de Selles-sur-Cher Ces miracles enchantaient le XII

e siegravecle souvent ceacutetait le peuple lui-

mecircme qui creacuteait cette feacuteerie il faisait de la vie des saints une chanson de la veilleacutee un conte dhiver Guibert de Nogent nous rapporte dans son De Pignoribus sanctorum que les femmes en tissant la toile chantaient les louanges de beaucoup de saints dont la vie eacutetait toute fabuleuse a et si lon veut les reprendre ajoute-t-il elles vous menacent de leurs navettes raquo Les bas-reliefs de Selles-sur-Cher teacutemoignent encore de cette passion du XII

e siegravecle pour le merveilleux

V

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Il est peu de saints plus poeacutetiques que les saints de lAuvergne Ce charme leur vient peut-ecirctre de leur premier historien Greacutegoire de Tours artiste sans le savoir qui ne nous montre pas ses heacuteros mais nous les laisse entrevoir dans un demi-jour plein de mystegravere Cest Injuriosus et Scolastica laquo les amants dAuvergne raquo dont un rosier reacuteunit les tombeaux ce sont les solitaires de la caverne et de la forecirct saint Eacutemilien saint Marien saint Lupicin saint Calupan qui renouvellent sous un ciel glaceacute les prodiges des anachoregravetes de lEgypte cest la vierge sainte Georges dont le convoi funegravebre fut escorteacute par un vol de colombes La sauvage nature qui les entoure reacutepand aussi sur eux un peu de son charme mdash ce charme que le deacutesert de la Chaise-Dieu communique agrave saint Robert le haut chacircteau de Mercœur et les laves de la valleacutee de la Couze agrave saint Odilon limmense forecirct du pays de Combrailles la Pontiacensis sylva aux vieux abbeacutes de Menacirct Le voyageur qui parcourt lAuvergne la meacutemoire remplie de la longue histoire de ses saints les cherche dans ses belles eacuteglises romanes mais il nen deacutecouvre quun bien petit nombre car le temps et les hommes nont pas eacuteteacute plus cleacutements agrave lAuvergne quagrave nos autres provinces Lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine reposa dabord dans leacuteglise dIssoire On avait perdu le souvenir de son tombeau lorsque des hommes vecirctus de blanc et portant des cierges qui apparaissaient la nuit dans leacuteglise en firent retrouver la place DIssoire le corps de saint Austremoine fut porteacute agrave Volvic Mais bientocirct ses reliques firent un dernier voyage elles allegraverent reposer dans labbaye de Mozat et Peacutepin le Bref suivant la tradition aurait porteacute lui-mecircme la chacircsse du saint sur ses eacutepaules On sera deacuteccedilu si on chercheagrave Issoire et agrave Volvic la trace de saint Austremoine on ne ly trouvera pas Mais agrave Mozat une œuvre dart rappelle son souvenir Sur un des cocircteacutes de la chacircsse de saint Calmin dont nous avons deacutejagrave parleacute un eacutevecircque la crosse en main est debout cest comme nous lapprend linscription Sanctus Austremonius saint Austremoine Mais il se pourrait que saint Austremoine fucirct repreacutesenteacute ailleurs encore On voit encastreacute dans un des murs de leacuteglise de Mozat le linteau dun ancien portail La Vierge assise en majesteacute est au milieu elle porte lEnfant sur ses genoux et elle ressemble agrave sy meacuteprendre aux vierges de bois des eacuteglises auvergnates saint Pierre est agrave sa droite et saint Jean agrave sa gauche Pregraves de saint Pierre un eacutevecircque est debout Quel peut ecirctre cet eacutevecircque sinon lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine le grand saint dont leacuteglise de Mozat posseacutedait les reliques

FIGURE XLVIII (chacircsse de saint Austremoine leacuteglise Saint-Austremoine Issoire)

Il est on nen saurait douter au nombre des bienheureux car de la main il preacutesente agrave la Vierge un abbeacute prosterneacute Dans ce bas-relief cet abbeacute mdash un des constructeurs de leacuteglise mdash est le seul vivant seul il est encore sur la terre Il nest pas jusquagrave la place donneacutee agrave leacutevecircque aux cocircteacutes de saint Pierre qui ne soit significative car la leacutegende auvergnate jalouse deacutegaler saint Austremoine agrave saint Martial faisait de lui un disciple du prince des apocirctres Cest agrave lextreacutemiteacute de lancienne Auvergne que nous retrouvons encore une fois saint Austremoine Dans leacuteglise dEacutebreuil une fresque du XII

e siegravecle

peinte dans la tribune nous le montre en face de sainte Valeacuterie la grande sainte du Poitou rencontre ici le grand saint de lAuvergneOn racontait que saint Austremoine eacutetant venu de Rome en Gaule avec deux compagnons Nectaire et Baudime leur avait confieacute le soin deacutevangeacuteliser le sud de la Limagne et les reacutegions voisines Aussi leacuteglise de Saint-Nectaire nous montre-t-elle agrave la fois le buste

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de saint Baudime dont nous avons parieacute et un chapiteau consacreacute agrave lhistoire de son saint patron Ce chapiteau raconte quatre eacutepisodes de lhistoire de saint Nectaire Lartiste nous transporte dabord agrave Rome saint Pierre ordonne precirctre saint Nectaire son filleul et aussitocirct commence la lutte du saint et du deacutemon Un jour quil voulait passer le Tibre pour aller prier dans un sanctuaire de lautre rive il reconnut que le rameur qui sapprochait avec sa barque eacutetait Satan lui-mecircme Sans peur il entra dans la barque car un ange envoyeacute par Dieu planait dans le ciel en sorte que Satan fut contraint de le deacuteposer sain et sauf sur lautre bord Leacutegende de demi-jour qui semble nous transporter non dans la Rome de saint Pierre mais dans leacutetrange Rome du moyen acircge Cependant saint Pierre vient denvoyer en Gaule Austremoine Nectaire et Baudime A peine arriveacute agrave Sutri Nectaire tombe malade et meurt Baudime revient agrave Rome annoncer la nouvelle agrave saint Pierre qui accourt il touche le cadavre avec la croix et aussitocirct Nectaire se legraveve de son sarcophage Saint Nectaire qui a traverseacute la mort est devenu tout puissant sur elle Le voici maintenant en Auvergne Un jour quil annonccedilait leacutevangile le cortegravege funegravebre dun Gallo-romain nommeacute Bradulus vint agrave passer pregraves de lendroit ougrave il parlait on le supplie de ressusciter Bradulus Saint Nectaire prend le bras du mort et lui ordonne de se lever Derriegravere le saint se dresse leacuteglise de Saint-Nectaire telle que nous la voyons encore aujourdhui au sommet de son rocher Il a fallu agrave lartiste beaucoup dingeacuteniositeacute pour faire dire tant de choses agrave un chapiteau si condenseacutee que soit son œuvre elle reste claire Ainsi cest moins sous laspect dun apocirctre que sous celui dun puissant thaumaturge quapparaissait saint Nectaire aux pegravelerins qui visitaient son eacuteglise Parmi les successeurs de saint Austremoine au siegravege de Clermont le plus ceacutelegravebre ne fut pas comme on pourrait le croire le vaillant Sidoine Apollinaire mais leacutevecircque Prsejectus Dans la France centrale Prsejectus sappelle saint Priest dans la France du nord saint Prix Il eacutetait deacutejagrave fameux par ses vertus ses aumocircnes ses fondations charitables sa mort fit de lui un saint Il fut assassineacute pregraves de Volvic par les complices dun homme dont il avait deacutenonceacute les crimes agrave Childeacuteric Quelques-unes de ses reliques apporteacutees agrave Flavigny agrave Saint-Quentin agrave Beacutethune reacutepandirent au loin son culte Contemporain de saint Leacuteger assassineacute comme lui il eut alors une renommeacutee presque eacutegale Son corps resta enseveli dans leacuteglise de Volvic ougrave il est veacuteneacutereacute depuis des siegravecles on y conserve aussi leacutepeacutee de lassassin De leacuteglise eacuteleveacutee agrave Volvic au XII

e siegravecle il ne

subsiste plus aujourdhui que le chœur la nef refaite est moderne Un des chapiteaux du chœur est consacreacute non pas agrave la mort de saint Priest qui eacutetait sans doute repreacutesenteacutee ailleurs mais agrave la chacircsse de ses reliques un donateur est debout aupregraves de la chacircsse qui est bien celle du saint eacutevecircque comme une inscription nous lapprend Voilagrave quelques vestiges de lantique histoire religieuse de lAuvergne on souhaiterait den deacutecouvrir davantage On regrette de ne plus rien voir dans leacuteglise de Brioude qui rappelle le martyr saint Julien jadis si fameux Mais cest agrave Menacirct surtout que lon voudrait retrouver quelque souvenir des anciens moines de labbaye qui seacutelevegraverent agrave la sainteteacute saint Brachio le chasseur de sangliers et saint Carilegravephe le compagnon de lauroch dans la forecirct Malheureusement le chœur de leacuteglise de Menacirct ougrave se trouvaient les chapiteaux historieacutes a eacuteteacute deacutetruit Un seul de ces chapiteaux subsiste deacuteposeacute dans un des bas-cocircteacutes Il repreacutesente une scegravene eacutenigmatique dont un moine de Menacirct est probablement le heacuteros on croirait voir saint Meacuteneacuteleacute refusant la fianceacutee que son pegravere lui preacutesente et songeant deacutejagrave agrave aller demander la robe monastique agrave labbeacute de Menacirct que lon aperccediloit plus loin assis sur son siegravege

VI

II faut redescendre vers le Midi Cest en Provence que nous rencontrons la plus merveilleuse de toutes nos leacutegendes On lit dans un manuscrit du XI

e siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque Nationale [t B

N latin 17627] quapregraves la reacutesurrection du Sauveur Marie-Madeleine sa sœur Marthe et son fregravere Lazare fuyant la perseacutecution des Juifs sembarquegraverent et vinrent aborder agrave Marseille Ce sont eux qui apportegraverent la foi en Provence Un reacutecit un peu posteacuterieur fait venir avec eux saint Maximin apocirctre dAix et saint Trophime apocirctre dArles Ainsi cette belle Provence lumineuse comme lOrient devenait une autre Judeacutee Lazare eacutetait sorti du tombeau pour lui annoncer lEacutevangile Marthe et Marie eacutetaient venues lui reacutepeacuteter les paroles quelles avaient recueillies de la bouche du Seigneur Quelle eacuteglise pouvait se glorifier dune plus noble origine Cette leacutegende a-t-elle laisseacute quelque trace dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle A la faccedilade de Saint-Trophime dArles on voit repreacutesenteacute au milieu des

apocirctres saint Trophime lui-mecircme il tient la crosse et deux anges posent la mitre sur sa tecircte comme pour marquer le caractegravere divin de sa mission Dans le cloicirctre on le retrouve encore adosseacute agrave un pilier cette fois il est tecircte nue porte la tunique et le manteau et sil navait les pieds chausseacutes on le prendrait pour un apocirctre Aucun chapiteau historieacute aucun bas-relief naccompagne ces deux images du saint et ne raconte son histoire Vers 1180 les artistes dArles avaient deacutejagrave sans doute entendu raconter que saint Trophime eacutetait venu en Provence avec Lazare Marie-Madeleine et Marthe mais ils nont fait aucune allusion agrave ce reacutecit On dirait mecircme quils en ont suivi un autre en placcedilant saint Trophime aux cocircteacutes de saint Pierre ils semblent avoir voulu donner creacutedit agrave lancienne tradition de

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leacuteglise dArles suivant laquelle saint Trophime aurait eacuteteacute envoyeacute de Rome par le prince des apocirctres Il serait surprenant pourtant quil ny eucirct pas dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle la moindre trace de la

fameuse leacutegende On ly rencontre en effet au moins une fois Il y a au portail lateacuteral de leacuteglise Sainte-Marthe agrave Tarascon une inscription fort bien conserveacutee qui nous donne la date de la deacutedicace de leacuteglise (1er juin 1197) deux petits bas-reliefs laccompagnent Lun repreacutesente la conseacutecration de lautel lautre un eacutevecircque et deux diacres groupeacutes autour dun corps eacutetendu sur la pierre Quel est le sens de cette scegravene On la comprendra si lon se souvient que dix ans auparavant on crut avoir deacutecouvert agrave Tarascon le corps de sainte Marthe et que cest pour recevoir cette insigne relique que lon rebacirctit alors leacuteglise Nous avons donc sous les yeux soit la translation des reliques de sainte Marthe dans son sanctuaire soit ses funeacuterailles Cette derniegravere interpreacutetation me paraicirct ecirctre la meilleure car on voit deux anges emportant au ciel lacircme de la sainte de plus un des assistants est nimbeacute or le reacutecit apocryphe rapportait que saint Front avait eacuteteacute miraculeusement transporteacute agrave Tarascon aupregraves du lit de mort de sainte Marthe Ainsi vers la fin du XII

e siegravecle la leacutegende de

lapostolat de Lazare et de ses sœurs eacutetait bien eacutetablie Le bas-relief de Tarascon est la plus ancienne œuvre dart quelle ait fait naicirctre en Provence mdash premier anneau de la chaicircne qui aboutit au dernier chant de Mireille La Provence avait eacuteteacute un peu lente agrave traduire le leacutegende par lart une autre reacutegion lavait devanceacutee la Bourgogne Cest la Bourgogne en effet nous le savons aujourdhui qui a creacuteeacute la leacutegende Mgr Duchesne en a fort bien expliqueacute lorigine Les moines de Veacutezelay se vantaient depuis le milieu du XI

e siegravecle de posseacuteder les reliques de sainte Marie-Madeleine mais ils eacutetaient

embarrasseacutes pour expliquer aux pegravelerins dougrave leur venait ce preacutecieux treacutesor Cest pourquoi lun deux fit paraicirctre un reacutecit tout nouveau de la vie de Marie-Madeleine Il y eacutetait dit pour la premiegravere fois que la sainte avait abordeacute en Provence quelle y avait veacutecu et quelle y eacutetait morte Lauteur ajoutait quun moine de Veacutezelay voyageant en Provence avait reconnu dans la crypte de Saint-Maximin le sarcophage de marbre ougrave la sainte eacutetait ensevelie il navait pas heacutesiteacute agrave deacuterober ce corps sacreacute et agrave lapporter en Bourgogne Tel fut le reacutecit que les pegravelerins de Veacutezelay recueillirent deacutesormais de la bouche des moines Degraves la fin du XI

e siegravecle de nouveaux eacutepisodes vinrent enrichir la leacutegende

Marthe Lazare et leacutevecircque Maximin furent associeacutes agrave Marie-Madeleine Ainsi cette sorte deacutepopeacutee quon serait tenteacute de croire dorigine provenccedilale a eacuteteacute creacuteeacutee en Bourgogne Elle fut ceacutelegravebre en Bourgogne avant de lecirctre en Provence bien mieux la Bourgogne qui venait de prendre possession des reliques de sainte Madeleine sattribua bientocirct celles de Lazare Degraves le commencement du XIIe siegravecle il fut admis quelles reposaient dans la catheacutedrale dAutun Il semble que le concours de pegravelerins quelles attiraient deacutetermina leacutevecircque agrave entreprendre vers 1120 la construction dune nouvelle eacuteglise cest la belle catheacutedrale que nous voyons aujourdhui Lart bourguignon du XI

e siegravecle sest-il

inspireacute de ces leacutegendes Il est naturel de les chercher dabord agrave Veacutezelay le sanctuaire de Marie-Madeleine mais on ne les y trouvera pas Le portail de la faccedilade est une œuvre moderne qui reproduit avec une preacutetentieuse gaucherie les sujets de lancien tympanet de son linteau [Tympan et linteau existent encore aujourdhui mais les sujets marteleacutes se discernent agrave peine] On y voit la Reacutesurrection de Lazare et les scegravenes de lEacutevangile ougrave Madeleine figure mais rien ny rappelle le fameux voyage de Provence Les chapiteaux de la nef si nombreux et si varieacutes ne nous parlent pas une seule fois de Marie-Madeleine Le chœur il est vrai a eacuteteacute refait agrave leacutepoque gothique et cest lagrave peut-ecirctre autour du tombeau de la sainte queacutetait raconteacutee son histoire apocryphe Aujourdhui aucune œuvre dart ne commeacutemore la leacutegende dans leacuteglise ougrave elle naquit ougrave tant de milliers de pegravelerins lentendirent raconter Serons-nous plus heureux agrave la catheacutedrale dAutun leacuteglise de saint Lazare Leacutetude des chapiteaux et des tympans pourrait nous faire croire que non Lagrave non plus aucune œuvre nest consacreacutee au voyage de Provence mais il nen eacutetait pas ainsi autrefois Jusquau XVIII

e siegravecle on put voir au portail du Jugement dernier trois statues adosseacutees au trumeau elles

montraient aux pegravelerins Lazare entre Marthe et Marie-Madeleine Ce groupement prendra tout son sens quand on saura que Lazare eacutetait vecirctu en eacutevecircque Ainsi on nen saurait douter cest Lazare apocirctre de la Provence que lartiste avait preacutetendu repreacutesenter et pregraves de Lazare il avait mis ses deux sœurs parce quelles avaient eacuteteacute les compagnes de son apostolat Il y avait en Bourgogne une autre eacuteglise deacutedieacutee agrave saint Lazare Saint-Lazare dAvallon Trois magnifiques portails du XII

e siegravecle y

donnaient accegraves il nen subsiste plus que deux aujourdhui priveacutes de leurs statues et de leurs bas-reliefs De meacutediocres dessins publieacutes par dom Plancher dans son Histoire de Bourgogne nous en laissent deviner laspect primitif Au trumeau du portail central un eacutevecircque eacutetait adosseacute ceacutetait saint Lazare le patron de leacuteglise Ainsi agrave Avallon comme agrave Autun les ornements eacutepiscopaux deacutesignaient saint Lazare comme le premier chef de leacuteglise provenccedilale Il est regrettable que ces curieuses statues dAutun et dAvallon ne nous aient pas eacuteteacute conserveacutees elles nous eussent montreacute comment les premiers sculpteurs bourguignons se repreacutesentaient ce mysteacuterieux Lazare qui avait franchi deux fois les portes de la mortLes statues dAutun et de Veacutezelay avaient eacuteteacute visiblement inspireacutees par la leacutegende ce sont les seules dont nous ayons pu retrouver la trace Un bas-relief en Provence deux

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statues en Bourgogne voilagrave tout ce que lhistoire apocryphe de Madeleine de Marthe et de Lazare semble avoir donneacute agrave lart du XII

e siegravecle Cest peu mais ce nest quun commencement il faut songer

quau XIIe siegravecle le reacutecit des moines de Veacutezelay avait agrave peine commenceacute agrave faire la conquecircte des

imaginations Ce nest que dans les siegravecles suivants quil sera accepteacute de tous et deviendra une des sources vives de lart chreacutetien Mais cest par la Provence et non par la Bourgogne que la gloire de Marie-Madeleine peacutenitente sest reacutepandue dans le monde En 1279 en effet les Provenccedilaux annoncegraverent agrave la chreacutetienteacute la deacutecouverte agrave Saint-Maximin du corps de sainte Madeleine que les

moines de Veacutezelay abuseacutes par lerreur dun des leurs avaient cru jusque-lagrave posseacuteder

FIGURE XLIX eacuteglise du Veacutezelay)

La deacutecouverte fut tenue pour authentique et deacutesormais le sanctuaire bourguignon fut deacuteserteacute au profit des lieux saints de la Provence le tombeau de Saint-Maximin et la caverne de la Sainte-Baume Les pegravelerins qui aimegraverent toujours agrave monter vers les cimes en chantant abandonnegraverent la montagne de Veacutezelay pour le haut rocher de la Sainte-Baume Cest alors que les comtes de Provence qui eacutetaient en mecircme temps rois de Naples firent connaicirctre la leacutegende agrave lItalie et lon vit Giotto peindre au Bargello de Florence et dans une des chapelles dAssise Marie-Madeleine dans le deacutesert provenccedilal recevant la communion de la main de saint Maximin La Bourgogne qui ceacuteleacutebrait lapocirctre de la Provence ce Lazare dont elle avait elle-mecircme imagineacute lapostolat noubliait pas son apocirctre agrave elle le martyr saint Beacutenigne Peu de saints avaient en France une plus magnifique seacutepulture son tombeau eacutetait agrave Dijon et les moines de saint Beacutenigne en eacutetaient les gardiens Il eacutetait au centre dune grande rotonde dont la Reacutevolution na laisseacute subsister que la crypte Cette rotonde formait au XII

e siegravecle

lextreacutemiteacute dune eacuteglise romane refaite plus tard Un beau portail orneacute de bas-reliefs et de statues y donnait accegraves il a eacuteteacute deacutetruit mais un dessin de dom Plancher nous en a conserveacute laspect Au trumeau sadosse un eacutevecircque qui porte une crosse archaiumlque en forme de tau et une mitre qui ressemble agrave un bonnet cest saint Beacutenigne Ce costume le deacutesigne comme le chef dune des premiegraveres communauteacutes chreacutetiennes de la Bourgogne La tecircte mutileacutee de lapocirctre se conserve au Museacutee archeacuteologique de Dijon Ainsi dans ce portail ougrave lon voyait des deux cocircteacutes les statues des prophegravetes et des apocirctres saint Beacutenigne occupait la place dhonneur cest agrave lui quallaient dabord les regards Les artistes bourguignons turent les premiers qui attiregraverent ainsi le respect du visiteur sur le patron dune eacuteglise le Saint-Lazare dAutun et le Saint-Jean-Baptiste de Veacutezelay sont les plus anciennes statues adosseacutees agrave un trumeau quil y ait ou quil y ait eu en France Les artistes du Midi si

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novateurs navaient rien imagineacute de pareil Cet hommage rendu agrave saint Beacutenigne ne parut pas suffisant aux moines de labbaye car ils lui consacregraverent encore un tympan jadis encastreacute dans le mur du vestibule Il nexiste plus aujourdhui mais il a eacuteteacute reproduit avec beaucoup de soin par dom Plancher On y voyait le martyre du saint Beacutenigne envoyeacute en Gaule suivant la tradition par le Grec Polycarpe disciple de saint Jean lEacutevangeacuteliste avait refuseacute de sacrifier aux dieux Le gouverneur du Castrum de Dijon Aurelianus assisteacute de son lieutenant Terentius le fit comparaicirctre devant lui et le condamna aux supplices les plus raffineacutes Ce sont ces supplices que nous montre le tympan le saint est debout et deux bourreaux sont occupeacutes agrave sceller ses pieds dans la pierre avec du plomb fondu Les mains du martyr sont briseacutees elles laissaient voir sans doute autrefois les alegravenes enfonceacutees sous chacun de ses ongles Deux autres bourreaux viennent de recevoir lordre den finir avec linvincible athlegravete placeacutes symeacutetriquement agrave sa gauche et agrave sa droite comme le centurion et le porte-eacuteponge sur le Calvaire ils lui enfoncent leur pique dans la poitrine Le saint expire et comme son maicirctre penche la tecircte sur son eacutepaule A ce moment dit la leacutegende les chreacutetiens virent une colombe blanche seacutelever au-dessus de sa tecircte mdash eacutepisode que lartiste na eu garde doublier une main sortant du ciel manifeste la preacutesence de Dieu Le beau caractegravere de lœuvre sa noble symeacutetrie lui assignent une date voisine de la fin du XII

e siegravecle Dijon avait donc dignement ceacuteleacutebreacute son apocirctre La Bourgogne fut

au moyen acircge le pays des grands ordres monastiques et des saints abbeacutes Ce sont ces illustres abbeacutes que nous voudrions voir et que nous ne voyons pas Que saint Bernard qui interdit lart agrave ses moines comme un luxe inutile ne soit repreacutesenteacute nulle part il ne faut pas sen eacutetonner il la voulu ainsi Ce saint Franccedilois dAssise du XII

e siegravecle ne le cegravede agrave lautre que parce quil lui a manqueacute le

sentiment de la beauteacute Un de ses biographes raconte quil marcha une journeacutee entiegravere au bord du lac de Genegraveve et que le soir il demanda ougrave eacutetait le lac Ce nest pas lui qui eucirct composeacute dans un transport denthousiasme le Cantique des creacuteatures Mais ce qui surprend cest de ne rencontrer nulle part en Bourgogne au cœur mecircme de cet immense royaume clunisien limage des premiers abbeacutes de Cluny qui furent tous des saints De Cluny il est vrai presque tout a disparu mais rien ne les rappelle agrave Paray-le-Monial au ils vinrent si souvent rien agrave la Chariteacute-sugraver-Loire un de leurs plus magnifiques prieureacutes Labbaye de Souvigny cette fille cheacuterie de Cluny ougrave saint Maiumleul et saint Odilon furent ensevelis na mecircme pas su garder leur tombeau Leur souvenir y serait entiegraverement aboli si on ne voyait leur image peinte sur la porte dune armoire reliquaire de la fin du moyen acircge Ces noms aperccedilus tout agrave coup Maiumlolus et Odilo remuent profondeacutement la sensibiliteacute on voit en imagination cet eacuteloquent Maiumleul plus grand que les souverains de son temps par lintelligence et par lacircme et ce doux Odilon qui precirctait loreille aux voix de lautre monde et qui creacutea la fecircte des morts Mais si ces grands noms des abbeacutes de Cluny saint Odon saint Maiumleul saint Odilon saint Hugues seffacent si rien aujourdhui ne ramine leur souvenir dans la meacutemoire du visiteur de leurs eacuteglises la faute nen est sans doute pas aux artistes bourguignons du XII

e siegravecle ni aux moines clunisiens si

passionneacutes pour lart si profondeacutement attacheacutes agrave leurs souvenirs mdash mais agrave des geacuteneacuterations sans respect et sans amour qui ont tout aneacuteanti En Bourgogne une seule eacuteglise monastique conserve encore quelques peintures qui commeacutemorent son passeacute cest celle dAnzy-le-Duc (Saocircne-et-Loire) Anzy-le-Duc ne relevait pas de Cluny mais de labbaye de Saint-Martin dAutun que Brunehaut avait fondeacutee et ougrave elle avait son tombeau Des fresques peintes vers la fin du XIIe siegravecle dans labside de leacuteglise dAnzy racontent lhistoire du petit prieureacute fier de ses origines Au-dessous de lAscension du Christ on voit Lethbald et sa femme offrant agrave Dieu vers 876 leur villa dAnzy qui va devenir un monastegravere Un de leurs descendants fut ce Lethbald ce pegravelerin ceacutelegravebre dont le moyen acircge a plusieurs fois raconteacute lhistoire Contemplant Jeacuterusalem du haut du Mont des Oliviers il eut un tel transport de joie quil demanda agrave Dieu de le faire mourir le jour mecircme sa priegravere fut exauceacutee Fondeacute par Lethbald ou saint Lieacutebaud le prieureacute dAnzy-le-Duc fut gouverneacute par un saint saint Hugues dAutun Hugues ami de Bernon fondateur de Cluny eacutetait veacuteneacutereacute de toute la Bourgogne On venait consulter comme un oracle ce vieillard laquo dont la tecircte eacutetait blanche comme le duvet du cygne raquo On le consultait sur toute chose sur les maladies et sur les semailles aussi bien que sur les cas de conscience Les miracles quil faisait pendant sa vie sa chacircsse continua agrave les faire apregraves sa mort et elle attira longtemps les pegravelerins agrave Anzy-le-Duc Les fresques dAnzy racontent quelques traits de son histoire Toutes ces peintures recouvertes dun badigeon ont eacuteteacute retrouveacutees par hasard en 1856 et malheureusement fort restaureacutees elles font revivre un passeacute perdu dans la nuit Voilagrave un exemple de ce que faisaient les moines bourguignons pour perpeacutetuer leurs traditions et pour honorer leurs sainte Si saint Lieacutebaut et saint Hugues dAnzy inconnus aujourdhui ont eacuteteacute ceacuteleacutebreacutes par lart on peut bien croire que les Odilon et les Maiumleul navaient pas eacuteteacute oublieacutes

VII

La Bourgogne nous achemine vers la reacutegion parisienne Au XIIe siegravecle le saint le plus illustre de lIle-

de-Franccedile eacutetait saint Denis Sa gloire avait grandi avec la monarchie franccedilaise Il ne suffisait pas que

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saint Denis eucirct eacuteteacute le premier apocirctre de Paris il lui fallait une leacutegende digne du protecteur des rois de France et du gardien de leur tombeau On racontait donc que saint Denis de Paris eacutetait le mecircme personnage que saint Denis lareacuteopagite converti par saint Paul Il avait observeacute agrave Athegravenes leacuteclipseacute qui obscurcit le soleil agrave lheure ougrave Jeacutesus expira sur le Calvaire et plus tard il eacutecrivit ce livre fameux de la Divine Hieacuterarchie ougrave le ciel est deacutecrit ougrave Dieu apparaicirct dans sa gloire au milieu des cercles concentriques formeacutes par les anges Cest ce savant ce profond penseur qui avait eacuteteacute jugeacute digne deacutevangeacuteliser la ville de la science Son souvenir eacutetait cher aux Parisiens qui veacuteneacuteraient derriegravere Notre-Dame de Paris dans leacuteglise Saint-Denis-du-Pas le lieu ougrave il avait commenceacute son martyre agrave Saint-Denis-de-la-Chartre dans la Citeacute la prison ougrave il avait eacuteteacute enfermeacute et ougrave ses chaicircnes eacutetaient suspendues agrave Montmartre la place quil avait rougie de son sang Labbaye de Saint-Denis eacutetait le terme du pegravelerinage cest lagrave que reposait le martyr aupregraves de ses deux compagnons Rustique et Elcuthegravere Comment lart avait-il honoreacute saint Denis agrave Paris nous lignorons mais agrave labbaye de Saint-Denis nous lentrevoyons encore Le portail qui souvre agrave droite du spectateur dans la faccedilade de la basilique est deacutecoreacute dun bas-relief dont saint Denis est le heacuteros il emplit tout le tympan Il est reccedilu que ce bas-relief est reacutecent et les archeacuteologues passent sans lever les yeux mais ce deacutedain nest quagrave moitieacute justifieacute Assureacutement toutes les tecirctes sont modernes les draperies ont eacuteteacute visiblement retoucheacutees et quelques personnages mecircmes semblent entiegraverement refaits Loeuvre paraicirct ecirctre dhier pourtant le dessin geacuteneacuteral est ancien La composition ne date pas de 1839 elle nest pas du restaurateur Debret elle est bien de 1135 environ et appartient aux artistes de Suger Nous pouvons en croire le baron de Guilhermy qui a suivi avec tant dattention tout ce qui sest fait agrave Saint-Denis dans la premiegravere partie du XIX

e siegravecle A son teacutemoignage une seule chose dans ce portail est

entiegraverement moderne la seconde voussure avec ses personnages Le reste est une restauration dun original ancien La scegravene que Suger avait fait repreacutesenter dans le tympan eacutetait emprunteacutee agrave la leacutegende de saint Denis mais ce neacutetait ni sa conversion par saint Paul ni sa preacutedication ni son martyre on voyait Jeacutesus escorteacute dun vol danges descendant dans la prison ougrave le saint attendait la mort et le faisant communier de sa main Nous ne savons quand cet eacutepisode entra dans la leacutegende de saint Denis tout ce que nous pouvons dire cest que degraves le XI

e siegravecle une miniature dun missel de

labbaye de Saint-Denis le repreacutesente Cest une de ces belles leacutegendes ougrave le moyen acircge sexprime tout entier ougrave il reacutealise son eacuteternel deacutesir dunion avec le ciel Voilagrave limage que contemplait le pegravelerin en entrant dans la basilique et elle lui donnait une plus haute ideacutee de saint Denis que neucirct pu faire son martyre lui-mecircme Suger qui en toute chose est un novateur est le premier qui ait consacreacute un portail agrave la gloire dun saint il ny avait rien de pareil avant lui et apregraves lui on tardera assez longtemps agrave suivre son exemple Cest en effet agrave une eacutepoque assez avanceacutee du XII

e siegravecle

que nous rencontrons dans une reacutegion voisine de lIle-de-Franccedile un portail ougrave a eacuteteacute raconteacutee la leacutegende dun saint Non loin de Provins seacutelegraveve le prieureacute de Saint-Loup de Naud dont la belle eacuteglise remonte au XII

e siegravecle Saint Loup de Naud deacutependait de labbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens aussi

eacutetait-ce un eacutevecircque de Sens qui eacutetait le patron de leacuteglise Saint Loup que dans la reacutegion on appelait saint Leu eacutetait un de ces eacutevecircques du VIIe siegravecle qui tinrent tecircte aux rois meacuterovingiens et supportegraverent courageusement lexil Plein de bonteacute charitable assidu agrave visiter les anciens tombeaux il avait de son vivant la reacuteputation dun saint Mais son histoire ne tarda pas agrave se reacutesoudre tout entiegravere en miracles ces vieux reacutecits enchantegraverent Jacques de Voragine qui les reproduisit plus tard dans sa Leacutegende doreacutee Au portail de Saint-Loup de Naud les eacutepisodes de la vie du saint eacutevecircque ne sont pas sculpteacutes dans le tympan comme agrave Saint-Denis mais dans les voussures

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FIGURE L (leacuteglise de Saint-Loup-de-Naud - tympan)

Cest au portail du Mans quon vit pour la premiegravere fois les scegravenes des voussures former un reacutecit suivi la vie de Jeacutesus-Christ y est raconteacutee Lexemple fut suivi agrave Saint-Loup de Naud mais la leacutegende du saint y remplace lhistoire du Christ deacutejagrave les portails du XIII

e siegravecle sannoncent Le saint eacutevecircque

adosseacute au trumeau accueille les fidegraveles Un chapiteau sculpteacute placeacute au-dessus de sa tecircte le faisait reconnaicirctre agrave ceux qui eacutetaient familiers avec sa leacutegende on y voit un ange laissant tomber une pierre preacutecieuse dans le calice pendant que saint Loup ceacutelegravebre la messe Cette pierre preacutecieuse venue du ciel se conservait disait-on dans le treacutesor royal La leacutegende du saint se continue dans les voussures qui entourent le Christ en majesteacute du tympan On y aperccediloit la cloche de Saint-Eacutetienne de Sens Cette cloche avait un si beau son que le roi Clotaire la fit enlever de la catheacutedrale et transporter agrave Paris mais par la volonteacute de saint Loup elle devint muette soudain de sorte quil fallut la renvoyer agrave Sens ougrave le saint lui rendit sa voix harmonieuse Dautres merveilles se deacutechiffrent dans les voussures des prisonniers sont miraculeusement deacutelivreacutes de leurs liens puis par la toute-puissance de sa parole le saint emprisonne le deacutemon dans un grand vase Ces contes de feacutee prennent autant dimportance quun autre eacutepisode tout humain celui-lagrave et plein de beauteacute on voit le roi Clotaire vaincu par la grandeur morale du saint quil avait envoyeacute en exil sagenouiller devant lui et lui demander pardon Ce meacutelange de pueacuteriliteacute et de noblesse ne choquait alors personne Pour les hommes de ce temps rien nest grand rien nest petit puisquen toute chose se reacutevegravele la preacutesence de Dieu

VIII

Dans la France du Nord et de lOuest Picardie Normandie et Bretagne les eacuteglises romanes ne nous offrent plus rien aujourdhui qui rappelle les saints de ces provinces Au XII

e siegravecle la sculpture

monumentale fut un art agrave peu pregraves eacutetranger agrave ces reacutegions ce nest que par la fresque et par le vitrail quelles purent ceacuteleacutebrer leurs grands eacutevecircques et leurs saints abbeacutes mais fresques et vitraux ont disparu Le Maine a cependant conserveacute un magnifique vitrail du XII

e siegravecle consacreacute agrave lapocirctre de la

province saint Julien Au Mans aucun saint ne fut plus profondeacutement veacuteneacutereacute que saint Julien En 1117 lorsque Foulques comte dAnjou et du Maine assista avec sa femme et son fils agrave la conseacutecration de la catheacutedrale du Mans la ceacutereacutemonie termineacutee il prit entre ses bras son fils encore enfant et le deacuteposa sur lautel de saint Julien Il voulait signifier par lagrave quil le mettait sous la protection du grand saint du Mans tout-puissant aupregraves de Dieu On ne seacutetonne donc pas de rencontrer dans la catheacutedrale du Mans un grand vitrail consacreacute tout entier agrave la vie de saint Julien Saint Julien entre au Mans et y multiplie les miracles Il y fait jaillir une source avec son bacircton prodige sans doute symbolique il convertit et baptise le gouverneur de la citeacute romaine puis il lenvoie eacutevangeacuteliser Angers Chaque fois lapocirctre est repreacutesenteacute avec la mitre et la crosse de leacutevecircque Son œuvre acheveacutee saint Julien meurt paisiblement et les anges emportent son acircme au ciel Ainsi tandis que le Midi ceacuteleacutebrait les saints par la sculpture et lorfegravevrerie le Nord les ceacuteleacutebrait par le vitrail Nous navons encore rien dit de la Touraine et de son illustre saint Martin Cest que saint Martin neacutetait pas le saint dune province mais de la France tout entiegravere Tours il est vrai eacutetait le centre de son culte et cest agrave Tours que les artistes avaient raconteacute pour la premiegravere fois sa vie Un petit poegraveme de saint Paulin de Peacuterigueux prouve quau V

e siegravecle on avait peint ses miracles dans la fameuse basilique qui contenait son

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tombeau Au VIe siegravecle une autre eacuteglise de Tours la catheacutedrale fut deacutecoreacutee de fresques consacreacutees agrave son histoire elles eacutetaient expliqueacutees par des vers de Fortunat qui se sont conserveacutes deacutejagrave lon voyait saint Martin donnant au pauvre la moitieacute de son manteau La catheacutedrale de Tours a eacuteteacute rebacirctie quant agrave la basilique de Saint-Martin plusieurs fois reconstruite elle a eacuteteacute deacutetruite par la Reacutevolution Les peintures et les vitraux quon y voyait perpeacutetuaient peut-ecirctre le souvenir des anciennes fresques Aujourdhui Tours ne conserve aucune œuvre consacreacutee agrave saint Martin qui soit anteacuterieure au XIII

e

siegravecle Mais ce que Tours ne nous montre pas nous le trouvons ailleurs Il y avait en France des centaines deacuteglises deacutedieacutees agrave saint Martin aussi ne seacutetonne-t-on pas de rencontrer son image dans toutes les reacutegions Loeuvre la plus ancienne qui le repreacutesente a eacuteteacute deacutecouverte dans les Pyreacuteneacutees mais sur le versant espagnol cest un panneau peint qui se trouvait jadis dans leacuteglise de Montgrony en Catalogne et qui est aujourdhui au Museacutee eacutepiscopal de Vich Loeuvre est si archaiumlque par le dessin et par le costume quelle peut remonter au XI

e siegravecle Aujourdhui aucun

monument consacreacute agrave lhistoire de saint Martin nest plus ancien Cest lagrave que nous voyons pour la premiegravere fois le saint coupant en deux son manteau pour en donner la moitieacute au pauvre geste que lart reacutepeacutetera de siegravecle en siegravecle et que lartiste catalan avait reccedilu du passeacute Saint Martin porte le long bouclier et la lance agrave gonfanon des barons de la Chanson de Roland Un autre compartiment nous montre le saint sur son lit de mort il est eacutetendu sur le dos car il navait pas voulu se coucher sur le cocircteacute pour calmer ses souffrances laquo Laissez-moi disait-il contempler le ciel raquo au-dessus les anges emportent son acircme Cette histoire de saint Martin sinspirait sans aucun doute dun original franccedilais elle nous prouve que la gloire du saint avait peacuteneacutetreacute jusquau fond des valleacutees les plus reculeacutees Il eacutetait naturel de rencontrer saint Martin dans les grandes abbayes car cest lui qui avait creacuteeacute les premiers monastegraveres de la Gaule et ceacutetait lui qui eacutetait le veacuteritable ancecirctre de tous les moines dOccident Aussi un chapiteau du cloicirctre de Moissac lui est-il consacreacute On y voit pregraves de la porte dAmiens qui souvre entre deux tours le jeune cavalier couper son manteau et en donner la moitieacute au pauvre Aussitocirct le Christ apparaicirct entre deux anges les bras ouverts il eacutetale largement le manteau et semble loffrir agrave ladmiration du ciel Cest alors que saint Martin entendit en recircve ces paroles prononceacutees par le Christ laquo Voyez Martin il nest encore que cateacutechumegravene et il ma revecirctu de son manteau raquo Mais cest dans les reacutegions eacutevangeacuteliseacutees par saint Martin dans le Nivernais et la Bourgogne en particulier que lon doit sattendre agrave rencontrer son image Lagrave son souvenir est resteacute plus vivant quailleurs le Morvan est plein de sources miraculeuses quil a fait jaillir et les paysans montrent encore les empreintes laisseacutees par le pied de sa mule sur la pierre Cest pourquoi plusieurs chapiteaux de leacuteglise de Garchizy dans la Niegravevre eacutetaient consacreacutes agrave saint Martin Ces chapiteaux sont aujourdhui au Museacutee archeacuteologique de Nevers on y voit leacutepisode du manteau que suit lapparition du Christ Labbaye de Veacutezelay qui seacutelegraveve aux confins du Morvan avait gardeacute le souvenir du grand missionnaire des pays eacuteduens Un chapiteau de la nef raconte un eacutepisode de sa leacutegende qui avait deacutejagrave eacuteteacute peint au VI

e siegravecle dans la catheacutedrale de Tours Saint Martin veut faire couper un pin

sacreacute auquel les paiumlens rendaient un culte les paiumlens y consentent agrave la condition que le saint sexpose agrave la chute de larbre Saint Martin nheacutesite pas mais au moment ougrave le pin va leacutecraser il legraveve la main et larbre tombe agrave lopposeacute Le pin de Veacutezelay styliseacute avec un art naiumlf ressemble agrave une plante des tropiques Telles sont disseacutemineacutees dans nos provinces les quelques œuvres consacreacutees aux saints qui ont eacutechappeacute au temps Ce nest plus quun reflet un dernier rayon du soir qui laisse une lueur agrave la faccedilade de leacuteglise un eacuteclair dans le vitrail

LEacuteglise de France eut donc le culte de son passeacute et de bonne heure elle demanda agrave lart de le ceacuteleacutebrer Elle eacutetait fiegravere de ses saints qui formaient une suite ininterrompueune longue frise heacuteroiumlque Les siegravecles les plus steacuteriles ceux qui navaient eu ni eacutecrivains ni poegravetes ni artistes avaient eu leurs saints Ces siegravecles neacutetaient pauvres quen apparence puisque au sentiment des hommes dalors les saints eacutetaient les chefs-dœuvre de lhumaniteacute Comme Pascal lEacuteglise du moyen acircge mettait lordre de la chariteacute bien au-dessus de lordre de lintelligence cest pourquoi le moindre ermite qui dans la solitude avait reacuteussi agrave se vaincre lui-mecircme meacuteritait a ses yeux decirctre eacuteterniseacute par lart Lathlegravete avait eacuteteacute lideacuteal de la Gregravece antique lascegravete devint lideacuteal des temps nouveaux Au Moyen Age les hommes de notre race quand ils ont eacuteteacute grands ont toujours eacuteteacute des ascegravetes toujours ils ont meacutepriseacute le voluptueux Orient ses harems ses parfums la courbe enchanteacutee de ses arabesques Cette longue lutte de lOccident contre lOrient cest la lutte eacuteternelle de lesprit contre les sens La plus haute expression du moyen acircge cest le soldat qui se sacrifie le moine qui prie le saint qui foule aux pieds la nature Le saint voilagrave le vrai heacuteros de cet acircge cest lui qui par lenthousiasme quil excitait soulevait lhumaniteacute larrachait agrave son limon Encore aujourdhui le peuple qui sent instinctivement ce quil y a dextraordinaire dans la sainteteacute conserve la meacutemoire des saints Les paysans du Bourbonnais qui ont oublieacute les noms des rois de France connaissent encore saint Patrocle et saint Marien qui vivaient du temps de Greacutegoire de Tours Et nous aussi le nom dun saint inconnu nous inteacuteresse le lieu ougrave il a veacutecu nous eacutemeut lermitage la cellule le monastegravere habiteacutes par

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le saint conservent quelques chose de religieux comme chez les anciens ces lieux sacres quavait toucheacutes le feu du ciel

EMILE MALE

EXPLICATION TREgraveS CURIEUSE

DES

EacuteNIGMES ET FIGURES HIEacuteROGLYPHIQUES PHYSIQUES

QUI SONT AU GRAND PORTAIL

DE LEacuteGLISE CATHEacuteDRALE ET MEacuteTROPOLITAINE DE NOTRE-DAME DE PARIS

Par

LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT

Le Mercredi 20 de May 1640 veille de la glorieuse Ascension de notre Sauveur Jeacutesus-Christ apregraves avoir prieacute et sa tregraves-sainte Megravere Vierge en lEglise Catheacutedrale Meacutetropolitaine de Paris je sortis de cette belle et grande et consideacuterant attentivement son riche et magnifique Portail dont la structure est tregraves exquise depuis le fondement jusquagrave la sommiteacute de ses deux hautes et admirables Tours je fis les remarques que je vais expliquer Je commence par observer que ce Portail est triple pour former trois principales entreacutees dans ce superbe Temple seul corps de bacirctiment et annoncer la Triniteacute de Personnes en un seul Dieu sous lesquelles par lopeacuteration de son Esprit Saint son Verbe sest incarneacute pour le salut du monde dans les flancs de la Vierge sainte Symbole des trois principes ceacutelestes en uniteacute qui sont les trois principales clefs ouvrantes les principes [cest-agrave-dire le Mercure le Soufre et le Sel] et toutes les portes les avenues et les entreacutees de la nature sublunaire cest-agrave-dire de la segraveve universelle et de tous les corps quelle forme et produit conserve ou reacutegeacutenegravere

1deg La figure poseacutee au premier cercle du Portail vis-agrave vis lHocirctel-Dieu repreacutesente au plus haut Dieu le Pegravere Creacuteateur de lUnivers eacutetendant ses bras et tenant en chacune de ses mains une figure dhomme en forme dAnge Cela repreacutesente que Dieu Tout-Puissant au moment de la creacuteation de toutes choses quil fit de rien seacuteparant la lumiegravere des teacutenegravebres en fit ces nobles Creacuteatures que les Sages appellent Ame Catholique Esprit universel ou Souffre vital incombustible et Mercure de vie cest-agrave-dire lhumide radical geacuteneacuteral lesquels deux principes sont figureacutes par ces deux Anges [on a deacutejagrave eu loccasion de montrer que cet humide radical que Fulcanelli appelle meacutetallique ne peut ecirctre autre chose que des laquo chaux raquo meacutetalliques qui sont initialement incorporeacutees au Mercure sous forme de sulfates]

Dieu le Pegravere les tient en ses deux mains pour faire la distinction du souffre vital son huile de vie quon appelle Ame et du Mercure de vie ou humide premier neacute quon nomme Esprit quoique ce soit termes synonymes [il est remarquable de voir comment Gobineau emploie des termes parfaitement justes pour parler du Soufre et du Mercure lexpression huile de vie caracteacuterise leacutetat second du Mercure ducircment preacutepareacute et animeacute] mais seulement pour faire concevoir que cette Ame et cet Esprit tirent leur principe et leur origine du monde surceacuteleste et archeacutetypique ougrave est le Siegravege et le Trocircne plein de gloire du Tregraves-Haut dougrave il eacutemane surnaturellement et imperceptiblement pour se communiquer comme la premiegravere racine la premiegravere Ame mouvante et la source de vie de tous les Etres en geacuteneacuteral et de toutes les Creacuteatures sublunaires dont lhomme est le chef de preacutedilection Dans le cercle au-dessous du monde surceacuteleste et Archeacutetypique est le Ciel firmamental ou astral dans lequel paraissent deux Anges la tecircte pencheacutee mais couverte et enveloppeacutee

Linclination de ces deux Anges la tecircte en bas

[St-Pierre Fulcanelli le rappelle fut crucifieacute la tecircte en bas lhieacuteroglyphe ceacuteleste de Veacutenus peut de mecircme se voir agrave lendroit ougrave il figure Aphrodite ou agrave lenvers et il deacutesigne alors ce globe crucifegravere que les bons auteurs ont toujours deacutesigneacute comme la stibine ou mieux lalbacirctre des Sages]

nous donne agrave entendre que lAme universelle ou lEsprit Catholique ou pour mieux dire le souffle de la vertu de Dieu cest-agrave-dire les influences spirituelles du Ciel archeacutetypique descendent de lui au Ciel astral qui est le second monde eacutegalement ceacuteleste dit eacutetipique ougrave habitent et regravegnent les planegravetes et les eacutetoiles qui ont leur cours leurs forces et vertus pour laccomplissement de leur destination et de leurs devoirs selon les deacutecrets de la Providence qui les a ainsi ordonneacutes et subordonneacutes afin dopeacuterer par leur ministegravere et leurs influences la naissance et geacuteneacuteration de tous les Etres Spirituels et de toutes choses sublunaires participants de lAme et de lEsprit universel et par les deux Anges la tecircte en bas et qui sont vecirctus nous est deacutesigneacute que la semence universelle et

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spirituelle Catholique ne monte point mais descend toujours [la Roseacutee de mai est ici expresseacutement deacutesigneacutee] et lenveloppe dont elle est voileacutee dans les corps nous enseigne que cette semence ceacuteleste est couverte quelle ne se montre point nue mais quelle se cache avec soin aux yeux des ignorants et des Sophistes et nest point connue du vulgaire

3deg Au-dessous du Firmament est le troisiegraveme Ciel ou leacuteleacutement de lair dans lequel paraissent trois enfants environneacutes de nuagesCes trois enfants signifient les trois premiers eacuteleacutements de toutes choses appeleacutes par les sages principes principians dont les trois principes infeacuterieurs sel souffre et mercure tirent leur origine et quon nomme principes principieacutes pour les distinguer des premiers quoique tous ensemble ils descendent du Ciel archeacutetypique et partent des mains de Dieu qui de sa feacuteconditeacute remplit toute la nature mais toutes les influences spirituelles et ceacutelestes semblent ecirctre eacutemaneacutees des deux premiers Cieux avant de sunir agrave aucun corps sensible ce qui fait que toute eacutemanation spirituelle du premier Ciel ou de lArcheacutetypique est appeleacutee Ame et celle du second Ciel ou Firmament est nommeacutee Esprit

Ce sont donc cette Ame et cet Esprit invisibles et purement spirituels qui remplissent de leurs vertus actives et vivantes le troisiegraveme Ciel appeleacute Eleacutementaire ou le Ciel typique parce que cest le seacutejour des Eleacutements qui mus ordonneacutes et subordonneacutes par les deux mondes supeacuterieurs agissent agrave leur tour par commotion et mouvement descendant ascendant progreacutediant et circulaire sur tous les Etres infeacuterieurs et sur toutes les Creacuteatures sublunaires composes de leurs qualiteacutes mixtes quon nomme les quatre tempeacuteraments

Or cette Ame eacutemaneacutee dans le monde Eleacutementaire quelle remplit de sa lumiegravere vivifiante est appeleacutee souffre et lesprit eacutemaneacute du monde ou Ciel firmamental qui est en principe lhumide radical de toutes choses auquel ce souffre ou la chaleur lumineuse est attacheacute et adheacuterant comme agrave son premier et dernier aliment est appeleacute Mercure ou lhumide premier neacute qui est lhumide radical de toutes choses et par conseacutequent indivisible du souffre ou acircme eacutetheacutereacutee laquelle eacutetant un feu ceacuteleste lumineux et chaud ne peut subsister sans son union intime et indissoluble avec cet esprit son humide radical mais cela est au-dessus de la porteacutee des insenseacutes [Gobineau parle ici de la neacutecesssiteacute que le meacutetal soit reacuteincrudeacute cest-agrave-dire dissous au sein du Mercure]

Cette Ame et cet Esprit unis comme une seule et mecircme essence partant du mecircme principe et ne faisant pour ainsi dire quune mecircme chose puisquils ne sont divisibles que par lesprit ne peuvent ecirctre vus ni toucheacutes mais seulement conccedilus et compris par les sages Investigateurs de la Science de Dieu et de la Nature cette Ame et cet Esprit ne nous deviennent sensibles que par le lien indivisible qui les attache lun agrave lautre or ce lien quon nomme sel [il faut bien ici diffeacuterencier le lien entre les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature quil sagit de conjoindre du lien du Mercure dont nous parlons dans la section des blasons alchimiques] est leffet de leur union et amour mutuel et un corps spirituel qui nous les cache et les enveloppe dans son sein comme ne faisant quune seule et mecircme chose de trois ce que les gens peacutetris de preacutejugeacutes nentendront et ne comprendront point

Ce Sel est celui de la Sapience cest-agrave-dire la copule et le ligament du feu et de leau du chaud et de lhumide en parfaite Homogeacuteneacuteiteacute et qui est le troisiegraveme principe [Gobineau deacutevoile ici un secret de haut lignage il sagit de ce que nous avons appeleacute le sel harmoniac sophique] il ne se rend point visible ni tangible dans lair que nous respirons ougrave il est subtil et fluide et il ne manifeste son corps visible que par son seacutejour et deacutepocirct en reacutesidu dans les mixtes ou composeacutes deacuteleacutements quil fixe et encloue en se mecirclant intimement au Souffre Mercure et Sel qui sont des principes naturels agrave lui fort analogues et Constituteurs des Creacuteatures Sublunaires

Le Sel ceacuteleste est le principe principiant qui procegravede de lAme et de lEsprit cest-agrave-dire de leur action ou pour mieux dire du souffre et du Mercure eacutetheacutereacutes il est le moyen et le milieu qui les unit dans leur action pour se traduire en fluide dans le souffre le Mercure et le Sel de nature sous un corps visible et tangible lors appeleacute par les Sages de toutes sortes de noms tantocirct Sel Alkali Sel Armoniac Salpeacutetre des Philosophes et tantocirct de mille surnoms symboliques ou agrave son origine ou agrave sa descension ou bien agrave son essence corporelle pour prouver queacutetant lAme IEsprit et le Corps universel de la Nature il est susceptible de toutes sortes de deacutetermination quil plaira agrave la Nature ou agrave IArtiste de lui donner selon lArt de la Sagesse [cest au fond ni plus ni moins quun bi-silicate qui est ici deacutesigneacute le secret reacuteside dans le dosage exact des eacuteleacutements accessoires tels la chaux la silice et lagent mineacuteralisateur proprement dit]

Mais il ne faut point perdre de vue que cest du monde surceacuteleste que la source de la vie de toutes choses tire son origine et que cette vie est appeleacutee Ame ou Souffre [cest loxyde qui assure la teinture de la pierre par conseacutequent cest lui qui loriente mais la nature de la terre vitrifiable ou cimolienne intervient aussi] que du monde ceacuteleste ou firmamental procegravede la lumiegravere quon

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appelle Esprit autrement humide ou Mercure et que cette Ame et cet Esprit remplissant de leur feacuteconditeacute vivifique le troisiegraveme monde appeleacute Eleacutementaire leur action eacutenergique et eacutelastique perpeacutetuellement circulaire [cette ideacutee de cercle fondement de lart si lon se reacutefegravere au serpent Ourobouros a trait au caractegravere permanent constant du feu secret] y porte et produit le Feu tout divin analogique de chaleur et dhumide radicaux mais qui est imperceptible et invisible non vulgaire ni grossier et par lequel comme Feu de vie par essence nourrissant Reacuteparateur Conservateur et non Destructeur les choses deviennent palpables et de soliditeacute corporelle [on a dit dans une autre section que laction du dissolvant loin de dissoudre consiste au contraire agrave joindre les deux chaux en une accreacutetion cest lapparition de Deacutelos] Dougrave il faut conclure que ces trois substances Souffre Mercure et Sel universel ceacutelestes sont les vrais principes principians de la geacuteneacuteration de toutes choses et que ces trois substances naturelles et sublunaires dans lesquelles les trois premiegraveres se rendent infuses et corporifieacutees sont les veacuteritables principes principieacutes constituteurs de la geacuteneacuteration des Corps par lencloument et la fixation quils font des qualiteacutes eacuteleacutementaires propres agrave la tempeacuterature des individus selon les Deacutecrets de la Providence

Cest ce qui a fait dire aux Sages que le Sel spirituel qui sert denveloppe et de lien au Souffre et au Mercure ceacutelestes eacutetait la seule et unique matiegravere dont se fait la Pierre des Philosophes et que comme ces trois substances identifieacutees par leur union nen faisaient quune la Pierre neacutetait point faite de plusieurs choses mais dune seule chose composeacutee trine en essence unique de principe et quadrangulaire de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees [cette forme nest autre que le rhomboegravedre tronqueacute forme presque cubique offerte par la Pierre] cependant cela se doit entendre agrave certains eacutegards qui puissent tomber sous lintelligence de lesprit et des sens en mecircme temps cest-agrave-dire quil ne faut pas simaginer que la matiegravere de la Pierre triangulaire et quadrangulaire des Sages se doive ni puisse prendre en son eacutetat de fluide aeacuterien invisible mais il faut entendre quil est neacutecessaire de chercher et trouver cette mecircme matiegravere de fluide aeacuterien infuse et corporifieacutee en une terre Vierge des enfants de la Nature qui en sont les mieux partageacutes les plus hautement et copieusement favoriseacutes et en qui les premiers et les seconds Agents unis ont plus de digniteacute dexcellence et de vertu Car la racine du Souffre des Sages de leur Mercure et de leur Sel est un Esprit ceacuteleste Spirituel et surnaturel qui par le veacutehicule de lair subtil se porte et se condense en air ou vapeur eacutepaissie et fait une matiegravere universelle et lunique de toute procreacuteation

4deg Au-dessous de ces trois enfants placeacutes dans leacuteleacutement de lair est le Globe de lEau et de la Terre sur laquelle paissent des animaux comme un mouton un taureau etc Le Globe de l Eau et de la Terre nous deacutesignent les Eleacutements infeacuterieurs tels que lEau et la Terre dans lesquels le Feu ceacuteleste et lhumide radical tregraves subtil par le moyen de lair sinsinuent jusquau profond et y circulent incessamment par leur propre vertu sous la forme invisible dun Esprit surceacuteleste et de vie qui selon David Psaume18 v 6 7 8 a son Tabernacle dans le Soleil dougrave par sa vertu eacutenergique comme un Epoux qui se legraveve de sa couche nuptiale il seacutelance pour parcourir la voie des Eleacutements ainsi quun

superbe Geacuteant [allusion aux Titans qui deacutesigne de la chaux] qui mesure son eacutelan et ses forces dans la vaste eacutetendue de lair sa sortie est du plus profond des Cieux de lagrave il procegravede peacutenegravetre partout et ne laisse rien priveacute de la chaleur de sa preacutesence vivifiante de lexpression mecircme de Salomon en son Eccleacutesiastes c 1 v 5 6 Cest ce mecircme Esprit divin qui eacuteclaire limmensiteacute de lUnivers qui se poussant et repoussant par vertu eacutenergique et eacutelastique en circuit du centre agrave lexcentre et en la capaciteacute de tout retourne sans cesse et perpeacutetuellement dans les cercles quil deacutecrit par son mouvement et son cours eacuteternel et universel

Cest ainsi que cet Esprit universel par le feu et lhumide nourrit les poissons dans leau les animaux sur la terre et les insectes en terre quil fait veacutegeacuteter les Plantes et produit les Mineacuteraux [cf la section sur le Mercure et les blasons alchimiques] et Meacutetaux au Centre et dans les entrailles de la Terre pourquoi son influence circulante comme Feu vital uni agrave lhumide radical par le Sel de Sapience est la semence universelle qui se congegravele et dont la vapeur seacutepaissit au centre de toutes choses cette semence spirituelle opegravere dans les diffeacuterentes matrices selon leurs dispositions leur nature leur genre leur espegravece et leur forme particuliegravere pour produire toutes les geacuteneacuterations en y mettant le mouvement et la vie

Quant aux deux animaux paissant qui sont le mouton et le taureau cest pour nous dire quau retour du Printemps et dans les deux premiers mois qui sont mars et avril auxquels ces deux animaux dominent en qualiteacute de signes du zodiaque la matiegravere universelle creacuteative et reacutecreacuteative eacutetant plus amoureuse de la Vertu ceacuteleste [allusion agrave la roseacutee de mai] qui y infuse ses proprieacuteteacutes vitales copieusement est plus abondante vertueuse et exalteacutee par conseacutequent aussi plus qualifieacutee quen un autre temps [voir lemblegraveme de Limojon de St-Didier]

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5deg Au-dessous de ces deux animaux on voit un corps comme endormi et coucheacute sur son dos sur lequel descendent de lair deux ampoules le col en bas lune adressant vers le cerveau et lautre vers le cœur de cet homme endormi Ce corps ainsi figureacute nest autre chose que le sel radical et seacuteminal de toutes choses lequel par sa vertu magneacutetique [cest lAimant de Philalegravethe il sagit du dissolvant qui assure la laquo disparition raquo initiale des chaux meacutetalliques cest lune des putreacutefactions de Le Breton] attire agrave soi lacircme et lesprit Catholiques qui lui sont homogegravenes et qui sans cesse sinsinuent et se corporifient dans le sel ce qui est repreacutesenteacute par les deux ampoules ou fioles contenants la chaleur et lhumiditeacute naturelle et radicale et ce sel ayant ainsi attireacute et corporifieacute ces deux substances en lui leur union spirituelle lui ayant acquis de prodigieux degreacutes de force il se pousse et peacutenegravetre dans le point central des individus et duniversel que ce sel eacutetoit il se particularise se corporifie se deacutetermine et devient rose dans le rosier or dans largent vif mineacuteral or dans lor plante dans le veacutegeacutetal roseacutee dans la roseacutee homme dans lhomme dont le cerveau repreacutesente lhumide radical lunaire et le cœur signifie la chaleur naturelle solaire veacutehiculeacutee dans le premier comme sa matrice

6deg Au cocircteacute droit des mecircmes trois enfants un peu plus bas que lair est un escalier par lequel monte agrave genoux un homme ayant les mains jointes et eacuteleveacutees en lair duquel eacuteleacutement il descend une ampoule ou fiole et au haut de lescalier il y a une table couverte dun tapis avec une coupe dessus Lescalier nous apprend quil faut seacutelever agrave Dieu le prier agrave genoux de coeur desprit et dacircme pour avoir ce don qui est le Magistegravere des Sages et vraiment un tregraves grand don de Dieu [assonance en grec entre le soufre et Dieu la matiegravere premiegravere est un sulfate] une gracircce singuliegravere de sa bonteacute et quil ne faut pas ecirctre en des lieux bas [cest tout le contraire lun des eacuteleacutements neacutecessaire agrave la preacuteparation du feu secret ne se trouve que dans les caves et les eacutetables] pour prendre la premiegravere matiegravere universelle qui contient la forme veacutegeacutetale et geacuteneacuterale du monde lampoule qui descend de lair signifie la liqueur ou roseacutee ceacuteleste qui deacutecoule premiegraverement de linfluence surceacuteleste se mecircle ensuite avec la proprieacuteteacute des astres et dicelles mecircleacutees ensemble il se forme comme un tiers entre terrestre et ceacuteleste voilagrave comme se forme la semence et le principe de toutes choses

Pour la coupe qui est sur la table elle repreacutesente le vase avec lequel on doit recevoir la liqueur ceacuteleste [cest le vase dit laquo de nature raquo reportez-vous agrave Cybegravele]

7deg Au cocircteacute gauche de cette mecircme Porte de ce grand portail sont quatre grandes figures de grandeur humaine qui chacune ont un symbole sous leurs pieds La premiegravere la plus proche de la porte a sous ses pieds un dragon volant qui deacutevore sa queue [symbole classique lune des gravures du De lapide philosophorum de Lambsprinck exprime parfaitement lalleacutegorie] La deuxiegraveme a sous ses pieds un lion dont la tecircte est contourneacutee vers le Ciel ce qui lui lait faire un effort de contorsion de col

[cette contorsion preacutesente un inteacuterecirct hermeacutetique majeur le deacutetour se dit en grec dont lune des acceptions est circonvolution mouvement de rotation combien de fois navons-nous pas rencontreacute ce mouvement denroulement ce resserrement Nous donnons cet extrait de nos blasons alchimiques qui permettra au lecteur la facile identification de notre Sujet en sa premiegravere matiegravere

Proche du filet la spirale se retrouve sur des pierres celtiques et lon peut citer avec R Viel la laquo pierre omphaloiumlde de Turoe comteacute de Galway raquo laquelle laquo date de leacutepoque de la Tegravene (300 ans av J-C) raquo Ces spirales repreacutesentent une reacuteserve de forces au plan hermeacutetique La cabale alchimique permet dy deacuteceler des indices de corps astringent qui laquo resserrent ou eacutetreignent raquo possegravedent une odeur stiptyque et sont freacutequemment associeacutes agrave certains symboles ici cest Bacchus qui est mentionneacute et le sujet des Sages est compareacute au lierre (consideacutereacute comme la partie mineacuterale) lagrave cest un arbre scieacute et eacutetreint quon peut observer crsquoest-agrave-dire un arbre mutileacute qui est compareacute au meacutetal dans un des caissons du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne (DM II) Le lierre (hedera) enguirlande le thyrse (javelot) de Bacchus il peut ecirctre compareacute aux serpents enrouleacutes en spirale autour du caduceacutee de Mercure et marque le caractegravere astringent ou styptique dune substance Dans le mecircme ordre drsquoideacutee on peut rapprocher par analogie le lierre dune plante souple qui sert agrave lier la vigne (ampelosdesmos) et notamment la couleuvreacutee (vitis alba) Enserrer lier cest bien cette action quexprime le personnage de la FIGURE XVI ougrave lon peut deviner un vautour expirant Ce vautour ou aigle a la mecircme valeur que le dragon expirant que lon voit sur lune des quatre Vertus au tombeau des Carmes que lon peut visiter dans notre section des Gardes du corps de Franccedilois II cette Vertu cest la Force Ce corps astringent nous lavons nommeacute de nombreuses fois et il est habituellement associeacute au bleacute On lextrait de la terre de Samos ou de la terre de Chio et il repreacutesente la reacutesine de lor Ce corps sapparente au 1

er Mercure ou sel des Sages]

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La troisiegraveme a sous ses pieds la figure dun ridicule qui se rit et se moque des figures quil regarde et qui semblent se preacutesenter agrave lui [il sagit du laquo fou raquo de loeuvre cest le Mercure] Et la quatriegraveme foule aux pieds [la terre agrave foulon est dun inteacuterecirct hermeacutetique majeur reporte-vous agrave la section sur la matiegravere premiegravere] un chien et une chienne qui tous sentremordent vigoureusement et semblent vouloir se deacutevorer lun et lautre [il sagit bien sucircr du chien de Corascegravene et de la chienne dArmeacutenie dArteacutephius ce sont les deux natures meacutetalliques de loeuvre]

Par le dragon volant qui deacutevore sa queue est repreacutesenteacutee la Pierre des Philosophes composeacutee de deux substances ou mercure dune mecircme racine et extraite dune mecircme matiegravere lune desquelles substances est lesprit eacutetheacutereacute humide et volatil et lautre est le souffre ou sel de nature corporel sec et fixe lequel par sa nature et sicciteacute interne [alkali fixe tartre vitrioleacute] deacutevore sa queue glissante de dragon cest-agrave dire dessegraveche lhumiditeacute et la convertit en Pierre aideacute par le feu constant dans la concaviteacute de lesprit eacutetheacutereacute humide siegravege de lacircme Catholique Le lion courbeacute qui regarde vers le Ciel deacutenote le corps ou sel animeacute qui deacutesire reprendre avec aviditeacute son acircme et son esprit

La figure du ridicule repreacutesente les faux Philosophes et Sophistes ignorants qui samusent agrave travailler sur des matiegraveres heacuteteacuterogegravenes et ne rencontrent rien de bon se moquent de la Science hermeacutetique et disent quelle nest pas vraie mais purement illusoire en quoi ils offensent la veacuteriteacute Divine qui a mis ses plus riches treacutesors dans le sujet Le chien et la chienne qui sentre-deacutevorent que les Sages appellent chien dArmeacutenie et chienne de Corascegravene signifient que le combat des deux substances de la Pierre est dune seule racine car lhumide agissant contre le sec se dissout et ensuite le sec agissant contre lhumide qui auparavant avait deacutevoreacute le sec est englouti par le mecircme sec et reacuteduit en eau segraveche [il sagit du Mercure philosophique] et cela sappelle prendre dissolution de corps et congeacutelation de lesprit ce qui est tout le travail de lŒuvre hermeacutetique

8deg Au dessous de ces grandes figures dans un pilier proche le Portail est la figure dun Evecircque [cest le conducteur ou laquo lappariteur raquo de loeuvre on peut lassimiler au sel harmoniac sophique] chargeacute de sa mitre et de sa crosse en posture meacuteditative Cet Evegraveque repreacutesente Guillemus Parisiensis ou bien celui qui a fait construire ce magnifique Portail et qui y a fait mettre les Enigmes [cet eacutevecircque a fait lobjet dun commentaire deacutetailleacute de Fulcanelli dans son Mystegravere des Catheacutedrales cf Cambriel]

9deg Au pilier qui est au milieu et qui seacutepare les deux portes de ce Portail est encore la figure dun Evecircque lequel met sa Crosse dans la gueule dun dragon qui est sous ses pieds et qui semble sortir dun bain ondoyant dans lesquelles ondes parait la tecircte dun Roi agrave triple Couronne qui semble se noyer dans les ondes puis en sortir derechef [cest lalleacutegorie semblable agrave celle de lapparition de Deacutelos qui consacre le deacutebut de laccreacutetion du Soufre agrave la Terre]

Cet eacutevecircque repreacutesente le sage Artiste Chimique lequel fait par son art congeler [voyez le reacutecit de De Cyrano Bergerac combat entre la reacutemore et la salamandre] la substance volatile du dragon mercuriel qui veut seacutelancer et sortir du vase qui le contient sous la forme deau ondoyante cest-agrave dire quil est exciteacute agrave ce mouvement interne par une douce chaleur externe et ce Roi couronneacute est le souffre de nature qui est fait par lunion physique et excentrique des trois substances homogegravenes mais seacutepareacutees par lArtiste de la premiegravere matiegravere Catholique lesquelles trois substances sont lesprit eacutetheacutereacute mercuriel le sel sulfureux ou nitreux et le sel alkali ou fixe et qui conserve son nom de sel entre les trois principes principians et les trois principes principieacutes qui tous trois eacutetaient contenus dans le chaos humide dans lequel ce Roi se noye et semble demander du secours quil nobtient de lArtiste alchimique quapregraves secirctre dissous dans le dissolvant de sa propre substance qui lui est semblable apregraves quoi il aura meacuteriteacute decirctre satisfait en sa demande cest-agrave dire quapregraves quil a eacuteteacute englouti et fait eau par son eau [il sagit dune substance qui se dissout dans son eau de cristallisation] il se congegravele par sa chaleur interne exciteacute par son sel ou sa propre terre par laquelle opeacuteration simple naturelle et sans meacutelange se fait le Magistegravere des Sages qui nest autre chose que dissoudre le corps et congeler lesprit apregraves avoir mis dans loeuf cristallin le poids convenable de lune et lautre substance qui sont triple et une car tout le travail de lŒuvre est de monter et descendre successivement quon appelle ascension et descension jusquagrave ce que de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees contraires homogeacuteneacuteiseacutees lon fasse trois principes constitutifs et ordonnateurs que des trois lon fasse apparaicirctre le feu et leau le sec et lhumide que de ces deux lon fasse un seul parfait peacutetrifieacute en sel qui contient tout le Ciel et la terre en eacutepuration et cuisson des heacuteteacuterogegravenes

10deg Au Portail agrave main droite lon voit les douze signes du Zodiaque diviseacutes en deux parties en ordre selon la science de Dieu et de la nature En la premiegravere partie du cocircteacute droit sont les signes du Verseur deau et des Poissons qui sont hors dœuvre ce quil faut remarquer et noter Puis en oeuvre sont le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux au dessus lun de lautre Et au dessus des Jumeaux

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est le signe du Lion quoique ce ne soit pas son rang car il appartient agrave LEcrevisse mais il faut consideacuterer cela comme mysteacuterieux Les signes du Verseau et des Poissons sont mis hors dœuvre cest expresseacutement pour faire connaicirctre quaux deux mois de janvier et feacutevrier on ne peut avoir ni recueillir la matiegravere universelle [cest purement alleacutegorique les signes zodiacaux sont des hieacuteroglyphes ceacutelestes voila tout] Pour le Beacutelier et le Taureau ainsi que les Jumeaux qui sont en œuvre Lun au-dessus de lautre et qui regravegnent au mois de mars davril et de mai ils apprennent que cest dans ce temps lagrave que le sage Alchimique doit aller au devant de la matiegravere et la prendre agrave linstant quelle descend du Ciel et du fluide aeacuterien ougrave elle ne fait que baiser les legravevres des mixtes et passer par dessus le ventre des Bourgeons et des feuilles Veacutegeacutetables qui lui sont sujettes pour entrer triomphante sous ses trois principes universels dans les corps par leurs portes doreacutees et y devenir la semence de la rose ceacuteleste ce qui sentend par symbole Alors son amour lui fait jeter des larmes qui ne sont rien plus que lumiegravere de laquelle le Soleil est le pegravere revecirctu dune humiditeacute de laquelle la Lune est la megravere et que le vent de lOrient apporte dans son ventre dans cet eacutetat vous lavez universelle et non deacutetermineacutee dautant que vous laurez prise auparavant quelle soit attireacutee par les aimants des individus speacutecifiques et quelle soit speacutecifieacutee en iceux

Au regard du signe du Lion qui est poseacute au-dessus de Jumeaux ougrave devrait ecirctre placeacutee lEcrevisse cest pour faire entendre quil y a quelque changement et une alteacuteration des Saisons contenue dans le travail manuel et physique de la Pierre et qui nest pas si propre pour recevoir et prendre la matiegravere quau temps ougrave regravegnent le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux car en eacuteteacute pendant les grandes chaleurs par lardeur et la pompe du Soleil qui exhale beaucoup dhumide radical pour sa substance son entretien et sa nourriture il se fait une grande dissipation et deacuteperdition des esprits et la plus grande partie de la matiegravere increacutementale et nourriciegravere des corps est convertie dans la spiritualiteacute aeacuterienne dont on ne peut la retirer que par le moyen de laimant physique et phylosophique qui lui est homogegravene cest-agrave-dire par une tempeacuterature assaisonneacutee dhumide qui est son aimant et son enveloppe

11deg Au bas un peu au-dessus du Verseau et vis-agrave-vis des Poissons lon voit un Dragon volant qui semble regarder seulement et fixement Aries Taurus et Gemini cest-agrave-dire les trois figures du Printemps qui sont le Beacutelier le Taureau et les JumeauxCe Dragon volant qui repreacutesente lesprit universel et qui regarde fixement les trois figures semble nous dire affirmativement que ces trois mois sont les seuls dans le cours desquels lon peut recueillir fructueusement cette matiegravere ceacuteleste que lon appelle lumiegravere de vie laquelle se tire des rayons du Soleil et de la Lune par la coopeacuteration de la nature un moyen admirable et un art industrieux mais simple et naturel

12deg Proche et derriegravere ce Dragon volant est figureacute un Ridicule et derriegravere ce Ridicule est un chien assis sur le dos sur lequel chien est poseacute un oiseau Ce Ridicule est un moqueur de la science hermeacutetique en question un rieur meacuteprisant des opeacuterations des vrais Sages et Philosophes et de tous leurs Partisans quil estime insenseacute tout aveugleacute quil est dans lerreur vulgaireLa figure de ce Chien poseacute sur le dos sur lequel est un oiseau nous fait entendre que ce chien est le corps ou le sol de la matiegravere universelle fidegravele agrave lArtiste qui sccedilait la travailler et loiseau repreacutesente lesprit de la mecircme matiegravere lequel y est poseacute cette matiegravere est connue communeacutement sous les noms de souffre et de mercure le sel pour tiers et copule ou liaison y eacutetant compris comme indivisible des deux qui sont le corps et lesprit

13deg En la seconde partie de ce Portail au cocircteacute gauche et tout en haut est le signe de lEcrevisse agrave la place dit Lion qui est de lautre cocircteacute du mecircme PortailSur la mecircme ligne de lEcrevisse sont la Vierge [symbole de la matiegravere primitive Virga paritura] la Balance et le Scorpion [symbole des deux

natures meacutetalliques par son venin ] tous quatre en oeuvre Et ensuite le Sagittaire [qui a des rapports avec Arteacutemis] et le Capricorne [dont Saturne-Cronos est le maicirctre] qui sont hors doeuvre Par lEcrevisse ainsi placeacutee en haut est teacutemoigneacute que la matiegravere Lunaire a eacuteteacute bien abondante mais que labondance nen est plus si grande agrave cause que les Pleiumlades qui sont des constellations humides sen retournent La Vierge la Balance et le Scorpion sont les derniers degreacutes de chaleur pour la coction de loeuvre Phylosophique car en ce temps Automnal la maturiteacute des fruits se parfait par le Sagittaire et le Scorpion qui sont hors doeuvre ce qui deacutemontre leur frigiditeacute et sicciteacute et que ces qualiteacutes conccedilues par lesprit intelligent sont neacuteanmoins invisibles exteacuterieurement en la matiegravere de notre Magistegravere

14deg A droite et agrave gauche de ces douze Signes du Zodiaque qui repreacutesente le cours de lanneacutee sont quatre figures repreacutesentant les quatre Saisons qui sont lHiver le Printemps lEteacute et lAutomne Par ces quatre Saisons il est donneacute agrave entendre que le Composeacute phylosophique doit ecirctre entretenu en lathanor ou fourneau de cuisson pendant un an et plus ce qui fait dix mois hermeacutetiques par les degreacutes dune chaleur qui soit douce et proportionneacutee au commencement et puis un peu plus forte

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sur la fin et cependant lineacuteaire comme pour faire colorer et mucircrir les fruits qui se recueillent pendant trois de ces Saisons agrave savoir le Printemps lEteacute lAutomne moyennant quoi lArtiste acquiert la Meacutedecine au blanc Symbole de la Vierge megravere et Pascale quil peut arrecircter et prendre au cercle citrin comme Meacutedecine lunaire universelle parfaite ou bien continuer sans interruption de travail et pousser jusquau rouge parfait qui en est produit comme Meacutedecine solaire universelle et souveraine accomplie au temps de sa naissance marqueacutee solennellement par les Sages

15deg Au-dessous de huit grandes Figures du mecircme Portail dont il y en a quatre de chaque cocircteacute et tout en bas sont deacutemontreacutees les vraies opeacuterations pour faire et parfaire la Meacutedecine universelle que le Curieux apprenti de cette Oeuvre divine pourra expliquer ou se les faire expliquer mais jamais ne les expliquer par eacutecrit

16deg Lon voit six Figures au Portail du milieu au cocircteacute droit La premiegravere est un Aigle [symbole complexe lun des plus difficiles agrave appreacutehender lAigle a rapport avec la sublimation] la seconde un Caduceacutee entortilleacute de deux serpents [double Mercure] la troisiegraveme un Pheacutenix qui se brille la quatriegraveme un Beacutelier la cinquiegraveme un homme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair et la sixiegraveme est une Croix au trait quarteacute ougrave il se voit dun cocircteacute sur la ligne transversale une larme et sur la mecircme ligne de lautre cocircteacute un calice en cette forme[] Ces six Figures ne sont pour ainsi dire que la reacutepeacutetition de ce qui a deacutejagrave eacuteteacute dit tant de fois sous diffeacuterentes figures et diffeacuterents termes qui sont ineacutepuisables par le peu de travail et la simpliciteacute de la matiegravere qui ne se fait neacuteanmoins connaicirctre quaux vrais Philosophes et non pas aux Sophistes ignorans quelques recherches quils en fassent parce que leur intention est mauvaise et orgueilleuse et que ce Don divin nest accordeacute quaux simples et humbles de coeur meacutepriseacutes du reste du monde insenseacute et assez malheureux en son aveuglement pour ne se repaicirctre que de fables transitoires

1deg Laigle par exemple ne signifie autre chose que lEsprit universel du monde et cest lOiseau dHermegraves et le mouvement perpeacutetuel des Sages

2deg Le Caduceacutee entortilleacute de deux serpents enseigne que la Pierre est composeacutee de deux substances quoique tireacutee du mecircme corps et extraite de la mecircme racine ces deux substances neacuteanmoins semblent ecirctre contraires eu apparence lune eacutetant humide et lautre seiche [segraveche] lune volatile et lautre fixe mais elles sont semblables en essence et en effets parce quelles sont deux de nature venant dun seul principe quoiquelles ne soient reacuteellement quune

3deg Le Pheacutenix qui se brucircle et renaicirct de ses propres cendres nous apprend que ces deux substances apregraves avoir eacuteteacute mises dans loeuf philosophique en lAthanor agissent longtemps et naturellement lune contre lautre quelles se livrent de furieux combats avant de sembrasser et de sunir que la guerre est longue avant de recevoir le baiser de paix que les flots de la Mer philosophique sont longuement agiteacutes par le flux et reflux avant que la bonace et le calme puissent succeacuteder et reacutegner enfin que les travaux sont bien grands auparavant que ces deux substances se reacuteduisent finalement en poudre ou souffre incombustible car cela ne se peut faire quapregraves que lhumide Mercuriel a eacuteteacute consommeacute ou plutocirct desseacutecheacute par la grande activiteacute du chaud et sec interne de la substance corporelle du Sel de nature et que tout le compost est fait semblable Cest apregraves ces brucirclemens ou calcinations philosophiques que cette poudre le vrai Pheacutenix des Sages car il ny a point dans le monde dautre Pheacutenix que celui-lagrave eacutetant dissout derechef dans son lait virginal retourne agrave reprendre naissance par soi-mecircme et de ses propres cendres et continue ainsi agrave renaicirctre et mourir tout autant de fois quil plaicirct agrave lArtiste bien expeacuterimenteacute

4deg Le Beacutelier signifie toujours le commencement de la Saison en laquelle il faut prendre la matiegravere dautant quen ce temps deffervescence lhumide igneacute de lEsprit universel commence agrave monter de la Terre au Ciel et agrave descendre du Ciel en terre bien plus copieusement quen toute autre saison et avec plus de vertu surtout dans les miniegraveres ou le Soleil a fait au moins trente reacutevolutions et non plus de trente-cinq ougrave la Nature mineacuterale commence agrave reacutetrograder pour tendre agrave sa deacutepravation et agrave son deacuteclin

5deg Lhomme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair nous deacutemontre quil faut sccedilavoir ce que cest que lAymant fait par lhomme qui a la puissance dattirer du Ciel du Soleil et de la Lune par sa vertu magneacutetique lEsprit Catholique invisible revecirctu de la pure substance humide eacutetheacutereacutee influence quintessencieacutee pour de ces deux en faire une troisiegraveme substance participant des deux autres individuellement et qui chacune contienne en soi indivisiblement le Sel le Souffre et le Mercure universels lesquels tous trois se congegravelent et sunissent au centre de toutes choses

6deg Quand agrave la Croix ou sur les lignes transversales par les cocircteacutes dicelle sont poseacutes une larme et un Calice cest pour nous faire entendre que ce nest que la Nature eacuteleacutementaire cest-agrave-dire les quatre

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Elemens croiseacutes [le thegraveme de la Croix est omnipreacutesent en alchimie elle figure le creuset et aussi linconnue X de Fulcanelli] figureacutes par les quatre lignes de la Croix en effet cest par le moyen des quatre Elemens que les vertus et les eacutenergies ceacutelestes descendent et sinsinuent incessamment sur tous les Corps visibles et sublunaires Les deux lignes haute et basse repreacutesentent le Feu ceacuteleste et les deux autres lignes traversantes signifient lair et leau La larme qui signifie lhumide de lair pleine de feu vital et poseacutee sur la ligne de lair et de leau doit ecirctre reccedilue dans le Calice qui signifie le reacutecipient et non pas dans les basses valleacutees quoi quelle soit partout mais sur des lieux qui savancent dans lair ougrave elle ne sera pas prise en quantiteacute par ceux qui nont pas la connaissance de laimant physique et philosophique

7deg Proche de la Porte agrave droite il y a dun cocircteacute cinq Vierges sages qui tendent leur Calice ou coupe vers le Ciel et reccediloivent ce qui leur est verseacute den haut par une main qui sort dune nueacutee et au-dessous sy voient et sy remarquent les vraies opeacuterations Alchimiques et Philosophiques Ces cinq Vierges repreacutesentent les vrais Philosophes Hermeacutetiques amis de la nature et qui ayant connaissance de lunique matiegravere dont elle se sert pour travailler dans la magneacutesie des trois regravegnes animal mineacuteral veacutegeacutetal reccediloivent du Ciel cette mecircme et unique matiegravere dans des vases convenables et suivant les opeacuterations de la mecircme nature ils travaillent physiquement et apregraves avoir fait le Mercure ou dissolvant Catholique ou le Sel de nature qui contient son souffre les unissent au poids requis les cuisent en lAthanor et finalement en font lElixir Arabique

8deg De lautre cocircteacute dudit Portail gauche on voit cinq autres Vierges mais folles en ce quelles tiennent cette Coupe renverseacutee contre terre ainsi elles ne peuvent ni ne veulent y recevoir la Lunaire que la nature leur preacutesente et qui est si copieuse quapregraves avoir largement satisfait agrave tout lUnivers il y en a encore plus de reste que demployeacutee et cela se fait en tout et se distribue en tous tems et incessamment parce quainsi la ordonneacute la voulu et le veut le Tregraves-Haut auquel gloire immortelle ineffable soit rendue sur la terre et aux Cieux Par les Vierges folles la Coupe renverseacutee sont repreacutesenteacutees une infiniteacute et presque innombrables dopeacuterations fausses des Sophistes des Chimistes des ignorans et deacutesespeacutereacutes ainsi que des impitoyables Souffleurs et Charlatans [il sagit en fait de lexpression double du symbole de Veacutenus Aphrodite ou Gaiumla]Ces cinq Vierges folles signifient ces faux Philosophes qui ne demandent que hercelets Sophistiques comme rubifications dealbations cohobations amalgamations etc qui meacuteprisent la lecture des bons Auteurs et qui par cette raison ne peuvent avoir connaissance de la vraie matiegravere quoiquil est vrai de dire quils la portent toujours avec eux jusque dans leur sein sur eux alentour deux sous leurs pieds et quils la respirent continuellement mais leur orgueil trop preacutesomptueux leur fait en meacutepriser la meacuteditation et la recherche simaginant stupidement dans leurs grossiegraveres Sophistications et leurs faux preacutejugeacutes la trouver sans la connaissance de la belle et pure nature interpregravete des Mystegraveres divins

En effet cette matiegravere est si commune et dun si vil prix que le pauvre en a autant que le

riche et elle est neacuteanmoins si preacutecieuse que chacun en a besoin et ne peut sen Passer Car

lon ne peut ecirctre vivre et agir Sans elleTout ce que jai remarqueacute en ce triple Portail est agrave la

veacuteriteacute beau et ravissant mais ce sont lettres closes Enigmes et Hieroglifs pleins de mystegraveres

pour les ignorans et choses mystiques pour les sccedilavans pour lesquels jai donneacute cette

Explication quils doivent comme Curieux consideacuterer exactement en levant les voiles qui

leur cachent lentreacutee aux secrets Cabinets de la chaste Diane Hermeacutetique Je nai point lu dans

les Cartes antiques de Paris ni de cette Catheacutedrale pour savoir le nom de celui qui a eacuteteacute le

Fondateur de ce Portail merveilleux mais je crois neacuteanmoins que celui qui a foumi ces

Enigmes Hermeacutetiques ces symboles et ces Hieroglifs mystiques de notre Religion a eacuteteacute ce

grand Docte et pieux Personnage Guillaume Eveacuteque de Paris la profonde Science duquel a

toujours eacuteteacute admireacutee avec raison des plus sccedilavans Philosophes Hermeacutetiques de lAntiquiteacute et

particuliegraverement du bon Bernard Comte de Trevisan sccedilavant adepte Philosophe Hermeacutetique

car il est certain que cet Evecircque a fait et parfait le magistegravere des Sages Or comme il a plu agrave

la divine Providence de me faire la gracircce de me donner quelque lumiegravere et connaissance de la

Philosophie Physique et Hermeacutetique jai tellement travailleacute quapregraves un long temps beaucoup

de soins de lecture des bons Livres et avoir fait quantiteacute de belles et bonnes opeacuterations jai

enfin trouveacute la triple clef par son essence pour ouvrir le sanctuaire des Sages ou plutocirct de la

sage Nature de sorte que je peux fidegravelement expliquer les Ecrits paraboliques et eacutenigmatiques

des Philosophes anciens et modernes ainsi que jai expliqueacute assez clairement les Enigmes

Paraboles et Hieroglifs de ce triple Portail ce que je fais tregraves volontiers pour donner

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contentement aux sccedilavans amateurs de cet Art divin et exciter la curiositeacute des nouveaux

Candidats qui aspirent agrave la connaissance de la Science naturelle et hermeacutetique dont Dieu

soit loueacute et exalteacute agrave jamais Ainsi soit-il Fin

Page 4: EXPLICATION TRÈS CURIEUSE - Tradgloss

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FIGURE II

(deacutetail des vitraux que sertissent agrave louest

les nervures de la rosace de Notre-Dame de Paris le premier sujet)

Nous trouvons dans le quatre-feuille un cercle contenant une coupe que surmonte une croix cest une variation sur le thegraveme du cercle crucifegravere Le reacutesultat de la seacuteparation initiale est repreacutesenteacute par ce diable jaune et la priegravere du chevalier eacutevoque quelque filtration ou tamisage neacutecessaire pour seacuteparer radicalement la Terre de leau ce que nous avons deacutetailleacute plus haut en abordant les mystegraveres de lagriculture ceacuteleste Quant au quatre-feuille la couleur verte atteste de sa parenteacute mercurielle et la coupe crucifegravere symbolise les travaux du 2

egraveme œuvre par lesquels on preacutepare le Mercure La coupe

est deacutecrite par Fulcanelli aux DM I p381 quand il parle des

chercheurs qui ont avec succegraves surmonteacute les premiers obstacles et puiseacute leau vive de lantique Fontaine [et qui] possegravedent une clef capable douvrir les portes du laboratoire hermeacutetique

Avec en annexe la note 1

Cette clef eacutetait donneacutee aux neacuteophytes par la ceacutereacutemonie du Crategravere qui consacrait la premiegravere

initiation dans les mystegraveres du culte dionysiaque

Esprit Gobineau de Montluisant deacutecrit lun des trois portails de la faccedilade principale Ouest qui

offre au regard le portail central encore appeleacute portail des Jugements

httpndparisfreefrnotredamedeparisdossiers_photos httparchitecturereligfreefr]

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FIGURE III

(portail central)

Le portail central est relatif au Jugement dernier Au linteau on assiste agrave la reacutesurrection des morts au son de lolifant Ceux-ci rois soldats ou autres sortent vecirctus de leur tombeau et restent vecirctus mecircme lorsquils se dirigent vers lenfer (alors que les damneacutes sont tregraves souvent nus comme agrave Autun Bourges) Au registre infeacuterieur larchange St Michel pegravese les acircmes au centre tandis que le diable triche de faccedilon eacutehonteacutee A gauche les eacutelus legravevent le visage vers le Christ qui trocircne au-dessus deux A droite un diable pousse les damneacutes enserreacutes dans une corde vers une gueule denfer Au registre supeacuterieur un Christ en majesteacute est entoureacute danges portant les instruments de la Passion et des intercesseurs habituels la Vierge et Saint Jean Au trumeau on trouve un Beau Dieu Sur les socles on peut voir 6 des sept arts et la philosophie (cf Lart religieux du XIIIe siegravecle selon Emile Macircle) Ci-dessous la philosophie

FIGURE IV

(la Philosophie deacutetail)

Il saute aux yeux de leacutetudiant mecircme peu averti de lalchimie quil sagit lagrave dun des emblegravemes majeurs de lArt sacreacute sur lequel se sont longuement appesantis Fulcanelli et son disciple E Canseliet Lapparition donne agrave voir les deux cocircteacutes de la science dHermegraves le cocircteacute exoteacuterique cest le livre ouvert le cocircteacute eacutesoteacuterique cest le livre fermeacute Ou si lon preacutefegravere pour employer un langage qui ressortit plus directement agrave la cabale hermeacutetique respectivement le laboratoire et loratoire Nous avons eu loccasion deacutecrire ailleurs quune gravure reprenait agrave tregraves peu pregraves le symbolisme de cette alleacutegorie majeure [De Hans Vredemann de Vries in Amphitheatrum sapientiae aeternae Henri

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Kunrath 1609] Nous navons rien agrave ajouter aux commentaires lumineux des deux alchimistes du XXe

siegravecle Nous signalerons neacuteanmoins au lecteur linteacuterecirct que preacutesentent les nueacutees au-dessus de la tecircte de la deacuteesse qui voilent la roseacutee de mai chegravere agrave Altus auteur preacutesumeacute du Mutus Liber Leacutechelle de sapience dont le symbolisme se trouve deacutetailleacute dans les fragments commenteacutes des Douze Clefs de Philoosphie attribueacutees agrave Basile Valentin Le sceptre ou bourdon du pegravelerin jamais eacuteloigneacute de la meacuterelle de Compostelle [sur lexplication geacuteneacuterale de son symbolisme cf Meacutemoire sur le Meacutetamorphisme des roches dAchille Delesse] Des bas-reliefs de ce fameux portail central avaient fait lobjet dun commentaire ducirc agrave Marcel Aubert [Bulletin monumental publ par la Socieacuteteacute franccedilaise darcheacuteologie pour la conservation et la description des monuments historiques 1913 1 Vol 77 - T 77 ] Les voici

QUATRE BAS-RELIEFS DU GRAND PORTAIL DE NOTRE-DAME DE PARIS

Les contreforts de Ia porte du Jugement dernier agrave Notre-Dame de Paris sont orneacutes de quatre bas-reliefs incrusteacutes dans la pierre agrave la suite des meacutedaillons des Vertus et des Vices auxquels ils ne se rattachent ni par leur composition ni par leur facture

[Ces quatre bas-reliefs ont la mecircme hauteur que ceux de la seacuterie des Vertus et des Vices mais ils sont plus eacutetroits Peut-ecirctre avaient-ils eacuteteacute destineacutes primitivement agrave orner les pieacutedroits de la porte ou mecircme les faces des contreforts suivant un systegraveme qui deviendra freacutequent dans la seconde moitieacute du XIII

e siegravecle et au XIV

e siegravecle]

ils paraissent anteacuterieurs de quelques anneacutees et ont du ecirctre exeacutecuteacutes au deacutebut du XIIIe

siegravecle Ils sont dun tregraves beau style et rappellent par la noblesse des attitudes la grandeur des traits malheureusement sauvagement bucirccheacutes lharmonie du costume les plus beaux bas-reliefs antiques Ces quatre bas-reliefs ont depuis longtemps exciteacute la sagaciteacute des iconographes et le sens de lun dentre eux ne nous apparaicirct pas encore tregraves nettement Au XVI

e siegravecle les hermeacutetistes les

interpreacutetaient agrave leur faccedilon

Job que lon voit sur lun deux serait la pierre philosophale qui passe par les eacutepreuves les plus diverses avant dacqueacuterir les vertus finales

Abraham figureacute sur un autre serait lartisan Isaac la matiegravere dans le creuset et lange linstrument de la transformation Un corbeau de pierre aurait lœil fixeacute sur le lieu ougrave sont enterreacutes trois rayons de soleil qui deviendront or au bout de mille ans et diamant au bout de trois mille ans Pendant la Reacutevolution lastronome Dupuis deacutefendit et sauva ces bas-reliefs en expliquant quils faisaient partie de tout un systegraveme astronomique quil deacutechiffrait sur les sculptures du grand portail La scegravene que repreacutesente le bas-relief supeacuterieur de droite est facile agrave expliquer cest leacutepisode du Sacrifice dAbraham Abraham debout devant lautel legraveve le bras pour sacrifier son fils Le petit Isaac qui eacutetait agenouilleacute sur lautel nest plus visible aujourdrsquohui Un ange descendant du ciel arrecircte le bras du patriarche En bas agrave gauche apparaicirct entre un arbuste et les fagots destineacutes au sacrifice le beacutelier qui servira dholocauste Sur le bas-relief situeacute au-dessous figure un guerrier armeacute de pied en cap couvert dune longue cotte eacuteperonneacute casqueacute dun heaume conique et portant leacutecu triangulaire du deacutebut du XIII

e siegravecle Il se dresse au sommet dune tour creacuteneleacutee et lance contre

le soleil dont on voit les rayons en haut agrave gauche un javelot derriegravere lui est une petite tourelle

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surmonteacutee dun docircme sans doute couronnement de lescalier de la tour Ce personnage est Nemrod

son nom mecircme signifie laquo reacutevolte raquo et la Bible (Gen X 9) dit de lui laquo Il fut un violent chasseur contre le Seigneur

[Labbeacute Fillion dans son commentaire de la Sainte Bible t I p52 montre quil faut traduire laquo lifne Elohim raquo par laquo contre le Seigneur raquo et non laquo devant le Seigneur raquo]

Strabon dans sa Glose ordinaire est encore plus explicite [laquo Nemrod qui ultra naturam cœlum penetrare voluit Significat diabolum qui ait Ascundam super astra cœli raquo Nemrod secundum josephum fuit auctor aedificandae turris quae taugeret cœlum raquo Saint Isidore de Seacuteville (Sancti Isidori allegoriae quaedam sacrae scripturae dans Migne t 83 col 103) dit aussi laquo Nemrod gigas diaboli typum expressit qui superbo appetitu culmen divinae celsitudinis appetivit diceus ascendam super altitudinem nubium et ero similis altissimo raquo V de Guilhermy qui a montreacute le premier dans son Itineacuteraire archeacuteologique de Paris (1855 p 46-48) quil fallait voir dans le guerrier ici repreacutesente Nemrod attribuait daccord avec Didron agrave linfluence du Coran le choix fait par lartiste de Nemrod comme symbole de lorgueil et de limpieacuteteacute Le Coran ninsiste pas particuliegraverement sur le caractegravere de Nemrod et nous pensons que les commentateurs de la Bible font assez ressortir son type dimpie et datheacutee]

Nemrod dans un accegraves dorgueil et dimpieacuteteacute lance du haut de la tour quil avait voulu faire eacutelever jusquau ciel un javelot contre lastre de Dieu En pendant de lautre cocircteacute de la porte sont deux autres bas-reliefs disposeacutes comme les premiers celui du haut dans un cadre rectangulaire celui du bas sous une arcade agrave plein cintre La scegravene du haut dun tregraves beau style repreacutesente la Deacuterision de Job Suivant le reacutecit de la Bible Job est assis sur un fumier il est presque nu un lambeau deacutetoffe tombe de ses eacutepaules et ceint ses reins il legraveve les yeux vers le ciel et croise les bras sur la poitrine en signe de soumission des vers repreacutesenteacutes avec un reacutealisme qui eacutetonne presque agrave leacutepoque ougrave a eacuteteacute sculpteacute ce bas-relief rongent son corps (Job II 7-8) Devant lui sa femme conseillegravere de reacutevolte laquo Vous demeurez dans votre simpliciteacute lui crie-t-elle Maudissez Dieu et mourez raquo (Job II 9)

Le saint homme Job reacutepond par un acte de soumission agrave la volonteacute du Seigneur laquo Ses trois amis qui avaient appris les maux qui lui eacutetaient arriveacutes eacutetaient venus chacun de leur pays Eliphaz de Theacuteman Baldad de Suba et Sophar de Naamath Car ils seacutetaient concerteacutes pour venir le voir ensemble et le consoler Et ayant leveacute

les yeux ils ne le reconnurent pas et ils pleuregraverent a haute voix deacutechiregraverent leurs vecirctements et jetegraverent de la poussiegravere en lair au-dessus de leur tecircte raquo (Job II11-12)

Le bas-relief de Notre-Dame est lillustration litteacuterale du texte de la Bible Cette scegravene a dailleurs eacuteteacute tregraves souvent repreacutesenteacutee au moyen acircge aussi bien au portail des catheacutedrales que dans les vitraux et les miniatures des manuscrits

Parfois mecircme comme au portail de la Calende agrave Rouen lhistoire de la Deacuterision de Job occupe plusieurs bas-reliefs on le voit un sur un tas de fumier puis vecirctu injurieacute par sa femme et dans un troisiegraveme bas-relief visiteacute par ses amis

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La scegravene sculpteacutee sous le bas-relief de Job est beaucoup plus difficile agrave identifier Cest un homme debout les jambes nues - elles sont tregraves deacuteteacuterioreacutees mais il semble quelles eacutetaient croiseacutees - vecirctu dune tunique largement fendue et dun manteau drapeacute sur leacutepaule gauche Il incline la tecircte en avant et legraveve le bras droit la main droite briseacutee eacutetait sans doute ouverte de la gauche il sappuie sur un grand bacircton qui est peut-ecirctre une lance A terre pregraves de lui sont un arc et deux flegraveches devant lui coule un ruisseau qui descend dun petit monticule couronneacute par deux arbres sur les branches du plus haut est un oiseau Telle est aussi preacutecise que le permet le mauvais eacutetat de conservation la description de cette scegravene encore tregraves eacutenigmatique

Les auteurs anciens comme Gueffier dans sa Description historique des curiositeacutes de leacuteglise de Paris (Paris 1763 p 211) ne mentionnent pas ce bas-relief

Didron le premier a chercheacute a lidentifier ou du moins agrave en donner le sens [Histoire de lart en France par les monuments La statuaire au XIIIe siegravecle dans la Revue de Paris 1836 t XXXI p 339]

Il voit dans nos quatre bas-reliefs des repreacutesentations historiques des Vices et des Vertus agrave cocircteacute des repreacutesentations alleacutegoriques

Sous Abraham symbolisant lobeacuteissance est un reacutevolteacute qui lance un javelot contre Dieu

Sous Job symbole de la patience et de la confiance en Dieu est la repreacutesentation de la deacutefiance un homme fort et armeacute tremble au bruit dun ruisseau et au croassement dun corbeau

De Guilhermy [op citeacute p 46-48] deacutecrit le bas-relief et avoue que toute explication lui eacutechappe il se fait leacutecho dune hypothegravese qui a eacuteteacute souvent reacutepeacuteteacutee depuis mais qui est inacceptable il faudrait voir ici Job contemplant les ravages des torrents deacutebordeacutes sur ses terres Plus reacutecemment M Enlart a

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donneacute de cette scegravene une explication tregraves inteacuteressante mais qui ne ma paraicirct pas pouvoir ecirctre accepteacutee Deacutecrivant les bas-reliefs des portails de la catheacutedrale dAuxerre du deacutebut du XIV

e siegravecle

[congregraves dAvallon 1907 p 614-616 - le bas-relief dAuxerre est plus endommageacute peut-ecirctre que celui de Paris il nous montre le mecircme personnage tourneacute en sens inverse sappuyant dans une pose pleine de noblesse sur une lance dont on distingue tregraves nettement le fer Son long manteau vole au vent ses jambes sont croiseacutees il paraicirct consideacuterer vers la gauche un monticule couronneacute dun arbuste Nous avons chercheacute mais en vain dans dautres ensembles relatifs agrave lHistoire de lEnfant prodigue la figuration du mecircme personnage ]

M Enlart trouve au milieu des scegravenes de lHistoire de lEnfant prodigue trois meacutedaillons ougrave sont figureacutes la femme aux serpents qui est la concupiscence

Job qui comme lEnfant prodigue a recouvreacute sa condition premiegravere apregraves de grandes tribulations enfin un personnage preacutesentant avec celui qui nous occupe ici les plus grandes ressemblances et que M Enlart identifie avec David David sappuyant sur sa houlette et vecirctu du costume de berger dans lequel il eacutetait arriveacute au camp de Sauumll choisit cinq pierres polies dans le torrent et savance vers Goliath La Bible deacutecrit en effet ainsi la scegravene (Reg XVII 30-40) David vient de refuser leacutepeacutee que Sauumll lui avait donneacutee

laquo il prend le bacircton quil avait toujours agrave la main choisit dans le torrent cinq pierres tregraves polies et les

met dans sa pannetiegravere de berger et tenant agrave la main sa fronde il marche contre le Philistin raquo

Ce qui rend cette hypothegravese impensable cest la preacutesence aux pieds de notre personnage non dune fronde mais dun arc que lon distingue tregraves nettement et de deux flegraveches dont on voit les extreacutemiteacutes empenneacutees et les encoches Malgreacute de longues recherches dans la Bible et dans ses Commentaires du moyen Age dans les manuscrits illustreacutes et dans les repreacutesentations peintes et sculpteacutees je nai pu retrouver lexplication de cette scegravene La preacutesence de larc et des flegraveches qui ne sexplique pas dans lhypothegravese de David allant combattre Goliath fait eacutecarter dautres hypothegraveses auxquelles on pourrait songer comme celle de Moiumlse devant le buisson tenant le bacircton qui sur son ordre se changera en serpent sur le bord du torrent dont leau deviendra du sang ou celle du prophegravete Elie se nourrissant de leau du torrent de Carish et du pain que lui apporte un corbeau Si ces bas-reliefs au lieu decirctre visiblement reacuteemployeacutes se trouvaient en place nous admettrions volontiers la thegravese de Didron qui voyait au-dessous de la repreacutesentation biblique dune vertu la repreacutesentation historique ou simplement en action du vice correspondant Mais rien ne nous

prouve que le bas-relief qui se trouve sous la scegravene de la Deacuterision de Job soit bien celui qui dans la penseacutee du clerc qui a ordonneacute ce portail devait ecirctre agrave cette place

Dans le Breacuteviaire de Charles ler [Bibl nat ms lat 1052 fol 217mdash M Macircle dans son beau livre sur lart religieux de la fin du moyen acircge en France a montreacute tout linteacuterecirct de ce manuscrit] ougrave nous trouvons les repreacutesentations bibliques et historiques des Vertus et des Vices cest Judas symbole du deacutesespoir qui figure en face de Job symbole de lespeacuterance Il nous a paru inteacuteressant de publier ces quatre bas-reliefs encore assez peu connus curieux par les problegravemes iconographiques quils soulegravevent Ce sont un des rares essais au XIII

e siegravecle de figuration des vertus laquo en action raquo

suivant lexpression de M Macircle Tandis que partout agrave cette eacutepoque aux portails de nos catheacutedrales les vertus sont repreacutesenteacutees sous la figure alleacutegorique dune femme portant un eacutecu timbreacute dun attribut nous voyons ici des repreacutesentations veacutecues des vertus

Marcel AUBERT

Commentaires il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant lecteur du Mystegravere des Catheacutedrales du non moins mysteacuterieux Fulcanelli que deux de ces bas-reliefs ont eacuteteacute commenteacutes par le plus grand alchimiste du XX

e siegravecle sur la figure V il sagit des deux bas-reliefs du bas Les deux bas-reliefs du

haut nont point eacuteteacute analyseacutes par Fulcanelli Si lon adopte un point de vue purement historique en se reacutefeacuterant agrave la Bible il est hors de doute que linterpreacutetation laquo exoteacuterique raquo de M Aubert est exacte Le mot exoteacuterique est mis entre guillemets agrave escient Il est bien clair que se rapportant agrave un haut fait de religion on ne saurait gloser de maniegravere rationnelle lagrave-dessus Cela eacutetant entendu nous pouvons

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neacuteanmoins infeacuterer quune interpreacutetation alternative est possible si lon adopte les preacuteceptes de la doctrine hermeacutetique

Aussi peut-on voir dans le bas-relief de gauche Cadmos deacutevoilant la fontaine de jouvence apregraves quil ait triompheacute du dragon [ou du serpent Python] en sorte davoir accegraves agrave leau vive qui est de toute neacutecessiteacute pour lArtiste Il est assez extraordinaire - mais ocirc combien significatif dans le sens dune interpreacutetation hermeacutetique laquo coulant de source raquo pour ainsi dire - que le corbeau soit nommeacute agrave cet endroit Tant il est vrai que cette eau vive est le signe pour lArtiste de lanimation de son Mercure et partant de la fin de la phase de putreacutefaction laquo lœuvre au noir raquo pour citer le roman de Marguerite Yourcenar Nous convenons quune telle interpreacutetation est pour ainsi dire contre nature Mais nous avons toujours dit - suivant en cela les preacuteceptes de Fulcanelli - que toute demeure toute sculpture etc preacutesentant des traits conduisant agrave une possible interpreacutetation hermeacutetique pouvait constituer un preacutetexte ce qui bien sucircr est le cas des deux bas-reliefs qui nous occupent Quant au bas-relief de droite nous avons eu loccasion de lanalyser dans la section du reacutebus de saint Greacutegoire-en-Viegravevre Quant agrave celui de la Deacuterision de Job [bas-relief du haut agrave gauche] il se preacutesente comme une parodie des Rois Mages allant au chevet du Christ deacuteposeacute dans sa litiegravere de paille pratiquement dans le fumier Les Rois Mages sont ici repreacutesenteacutes par Eliphaz Baldad et Sophar la figure christique eacutetant incarneacutee en Job Quant au bas-relief en haut et agrave droite M Aubert nous dit quil repreacutesente le sacrifice dAbraham Comment inteacutegrer le patriarche biblique dans le symbolisme du grand œuvre Nous retiendrons ici ces paroles de saint Paul laquo contra spem in spem credidit raquo que lon peut traduire par laquo pour une aventure sans espoir il puisa lespoir dans sa foi raquo ou bien laquo quand il ny avait plus despeacuterance sa foi lui donna lespoir raquo dougrave cette conclusion lapidaire laquo contre tout espoir il crut agrave lespeacuterance raquo A quoi nous pouvons rajouter cette maxime tireacutee de lIcircle Mysteacuterieuse roman geacutenial de Jules Verne - mais maxime qui serait attribueacutee agrave Ockam - laquo il ne sert agrave rien despeacuterer pour entreprendre ni de reacuteussir pour perseacuteveacuterer raquo En somme en lisiegravere ou en bordure pourrait-on dire du symbolisme propre agrave lalchimie avons-nous lagrave un message qui sadresse agrave lArtisteLes deux autres bas-reliefs ne posent pas de problegraveme celui du bas agrave gauche

FIGURE VI on peut en trouver une repreacutesentation semblable sur lun des caissons de la galerie hermeacutetique du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne le soleil darde ses rayons sur lœuf des philosophes agrave Paris cest lArtiste qui protegravege lathanor des ardeurs des rayons Sagit-il de lavertissement classique des alchimistes qui conseillent de modeacuterer le feu faute de quoi on courrait le risque de brucircler les fleurs Sagit-il dune alleacutegorie sur le feu sacreacute quil faut savoir maicirctriser Ou encore sur la maniegravere de capter le rayon igneacute qui constitue le Soufre rouge sublimeacute dans le Mercure Nous nen saurons pas plus Le bas-relief de gauche est superposable agrave lalleacutegorie de Cadmus qui apregraves avoir tueacute le serpent Python [ou le dragon] fonde la ville de Thegravebes lagrave ougrave le sabot de son cheval laisse jaillir une source deau pure cest cette repreacutesentation que nous voyons ici leau pure jaillissant du checircne que lon aperccediloit agrave

droite du bas-relief reacuteplique semblable agrave lune des figures du Livre dAbraham Juif

Cet article de M Aubert nous a permis dobserver le fait suivant au demeurant bien connu quun tableau lapidaire peut aiseacutement voir son sens deacutetourneacute de mille maniegraveres selon lobservateur mais quil existe des bornes au-delagrave desquelles le sens tombe pour ainsi dire de lui-mecircme nous venons de le voir pour le bas-relief repreacutesentant le sacrifice dAbraham ougrave il nest pratiquement pas possible de deacutefinir une approche hermeacutetique Tel nest plus le cas dautres bas-reliefs du grand pilier de Notre-Dame de Paris qui ont fait lobjet dune eacutetude approfondie de Fulcanelli dans le premier tome de sa trilogie il sagit bien sucircr du Mystegravere des Catheacutedrales Loin de nous le besoin de revenir sur les planches de louvrage pour les reacuteinterpreacuteter Non Nous en avons donneacute quelques-unes dans les sections du site pour servir le propos Mais il est eacutevident que Fulcanelli a ducirc sinspirer du traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant et degraves lors il paraicirct inteacuteressant de chercher en quoi les meacutedaillons des Vices et des Vertus ont pu deacuteterminer chez Fulcanelli lapproche qui fut sienne dans le Mystegravere des Catheacutedrales Nous ne pourrons ici que renvoyer le lecteur agrave un site remarquable sur lart religieux au XIIIe siegravecle reacutesumeacute simplifieacute du livre dEmile Macircle Lart religieux au XIIIe siegravecle Etude

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sur les origines de liconographie du Moyen Age et sur ses sources dinspiration (Armand Colin 1948)

Voici quoi quil en soit quelques reacuteflexions sur cet ouvrage Et aussi dun autre ouvrage consacreacute agrave lart religieux au XIIe siegravecle Ces deux recensions forment une introduction agrave lœuvre dEmile Macircle dont il faut regretter que lon ne trouve pas encore sur le serveur Gallica de la BNF la premiegravere eacutedition de lArt religieux au XIIIe siegravecle Cette introduction est preacutecieuse pour leacutetudiant en hermeacutetisme et alchimie et permet de reacutealiser la liaison entre les vieux sculpteurs bacirctisseurs de catheacutedrales dune part et les alchimistes du XX

e siegravecle qui par delagrave lœuvre dEsprit Gobineau de Montluisant

semployegraverent agrave trouver dans ces tableaux et ces livres muets lapidaires linspiration de leurs singuliegraveres reacuteflexions Nous voici agrave preacutesent en mesure de donner quelques preacutecisions sur la signification exoteacuterique des Vices et des Vertus repreacutesenteacutes sur les meacutedaillons du portail central de Notre-Dame

Les Vices et les Vertus de Notre-Dame de Paris

Nous ne saurions mieux faire que suivre lenseignement du Speculum majus de Vincent de Beauvais pour deacutebuter leacutetude des meacutedaillons de Notre-Dame de Paris Vincent de Beauvais que nous avons rencontreacute agrave de multiples reprises dans nos sections

[Donum Dei Ideacutee alchimique I II Char Triomphal de lAntimoine Chevreul critique de Hoefer I Chimie des Anciens I II Miroir dalchimie prima materia Atalanta fugiens XLII Nouvelle Lumiegravere Chymique Mercure]

FIGURE VII Quatriegraveme tome du Speculum majus de Vincent de Beauvais

eacuted de 1624 Bibliothegraveque nationale de France

Le Speculum majus ouvrage de Vincent de Beauvais est un condenseacute des savoirs de leacutepoque Lœuvre est diviseacutee en quatre parties appeleacutees miroirs

- le miroir de la nature les chapitres de cette partie suivent lordre des jours de la creacuteation Ils comprennent leacutenumeacuteration et la description de tous les eacuteleacutements de la nature en terminant par lhomme - le miroir de la science il raconte lhistoire de la Chute et preacutesente la science comme une des voies de reacutedemption Les sept arts sont consideacutereacutes comme autant de dons du Saint Esprit Toutes les connaissances scientifiques sont passeacutees en revue - le miroir moral il preacutesente une classification des vices et des vertus (dapregraves Saint Thomas dAquin)

- le miroir historique il preacutesente lhistoire de lEglise le reste neacutetant eacutevoqueacute queacutepisodiquement

Cest selon cette reacutepartition en quatre chapitres que les auteurs du site consacreacute agrave lArt religieux au XIIIe siegravecle se sont donneacute pour tacircche deacutetudier liconographie du Moyen Acircge Sans reprendre exactement leurs propos nous ajouterons surtout plusieurs remarques

- sur le miroir de la nature les animaux se voient attribuer une valeur symbolique forte Cest leacutevidence le bestiaire hermeacutetique est dune grande importance [cf par exemple la voliegravere alchimique analyseacutee dans la page du Poegraveme du Pheacutenix] Mais la nature peut ecirctre envisageacutee de faccedilon encore plus large en particulier la geacuteologie appliqueacutee agrave lhermeacutetisme que le lecteur se rapporte au Bergbuumlchlein [commenteacute par Daubreacutee] agrave la Reacuteveacutelation de la teinture des meacutetaux [Bernard Le Treacutevisan] au Traiteacute des Choses naturelles et surnaturelles [attribueacute agrave Basile Valentin] agrave la Philosophie Naturelle restitueacutee [Jean dEspagnet] On peut encore y annexer le Typus Mundi

- sur le miroir de la science laquo Lhomme peut se relever de sa chute par la science raquo (Vincent de Beauvais)

Tout comme le travail manuel affranchit des neacutecessiteacutes du corps la science affranchit de lignorance qui empoisonne lesprit Le travail est tregraves preacutesent dans les vitraux ougrave sont repreacutesenteacutes tous les

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meacutetiers artisanaux et eacutegalement dans les voussures et les soubassements de portail ougrave les travaux agricoles sont souvent mecircleacutes aux signes du zodiaque La science quant agrave elle est incarneacutee par les sept arts qui se composent dun trivium (grammaire rheacutetorique dialectique) et dun quadrivium (arithmeacutetique geacuteomeacutetrie astronomie et musique) La philosophie est consideacutereacutee comme la megravere de tous les arts Les diffeacuterents arts sont souvent repreacutesenteacutes sous forme de jeunes femmes doteacutees dinstruments symboliques On les trouve par exemple aux portails de Chartres et de Laon

Note les photographies des meacutedaillons sont tireacutes du site httparchitecturereligfreefr nous tenons agrave remercier les auteurs [Elisabeth et Vincent Trouveacute] de leur permission dinseacuterer sur cette page ces images des bas-reliefs qui donnent une nouvelle jeunesse au Mystegravere des Catheacutedrales sil est possible

FIGURE VIII la grammaire Limage montre une femme

avec une feacuterule (petite palette avec laquelle on frappait les eacutecoliers au sens figureacute autoriteacute seacutevegravere) et deux enfants agrave ses pieds nous y trouvons leacutequivalent de la sapience agrave laquelle lArtiste doit parvenir afin de preacuteparer ses matiegraveres sous ce rapport les deux enfants pourraient figurer Apollon et Arteacutemis Il sagit agrave tout le moins dapprendre agrave manier le Verbe ce qui en terme de cabale se traduit par un mot lhumour Qui ne sait pas ce quest lhumour bien tempeacutereacute ne sera jamais au fait de lArt Sacreacute Cest-agrave-dire qui ne connaicirct la vertu essentielle et roborative (fortifiante) du mot ESPRIT De lagrave agrave jouer sur les mots il ny a quun pas que lon ne peut franchir si lon na pas compris la SUBTILITE des textes alchimiques Subtiliteacute qui permet den comprendre le VERBE Et comme chacun sait le VERBE sest fait TERRE Nous ne saurions mieux reacutesumer la penseacutee veacutehiculeacutee par lArt dHermegraves

FIGURE IX - la dialectique Repreacutesenteacutee comme une

femme avec un serpent (parfois remplaceacutes par un scorpion) on ne saurait mieux concevoir les eacutechanges deacutenergie qui se produisent au sein du Mercure et quen termes de chimie moderne on qualifie doxydo-reacuteduction lagrave ougrave les Anciens semployaient agrave faire des magistegraveres Newton lui-mecircme sexprimait ainsi laquo Le 18 mai jai perfectionneacute la solution ideacuteale Cest-agrave-dire que deux sels eacutegaux portent Saturne Ensuite il porte la pierre et joint le malleacuteable Jupiter donne eacutegalement [sel ammoniac sophique] et ce dans de telles proportions que Jupiter sempare du sceptre ensuite laigle eacutelegraveve Jupiterraquo (Keynes MS 3975 p122 - citeacute dans Dobbs)

A leacutevidence nous assistons agrave des pheacutenomegravenes de meacutediation ce que Hermegraves ne deacutesavoue point dans sa Table dEmeraude [ougrave il faut lire dans le texte mediatione et non pas meditatione Notez que seuls Fulcanelli et F Hoefer donnent la version correcte du texte] Et lagent de la meacutediation par excellence est le serpent manifestation de lesprit corrompu par lacircme [dougrave le scorpion]

FIGURE X la rheacutetorique (Chartres catheacutedrale)

Il nexiste point de bas-relief repreacutesentant cet art agrave Notre-Dame de Paris La Rheacutetorique embleacutematiseacutee par Ciceacuteron est parfois doteacutee dun faisceau de lances et dun bouclier parfois simplement dun stylet et dune tablette de cire On voit dhabitude une femme faisant un geste oratoire Seul peut-ecirctre Heinrich Schuumltz paraicirct secirctre approprieacute ce quon pourrait nommer la Rheacutetorique des Dieux Ainsi dans les Psalmen Davids (1619) il affirme quil a eacutecrit ces psaumes en stylo recitativo auparavant presque inconnu en Allemagne Schuumltz fait allusion au strict principe rheacutetorique qui gouverne son style choral Sappuyant avec grande imagination sur le rythme de la parole il parvient agrave un rythme musical discontinu freacutequemment interrompu par des cadences et des effets deacutecho reacutealisant ainsi ce que seul Haydn oserait plus tard introduire une asymeacutetrie et une instabiliteacute radicales dans le tissu musical Cela est

dautant plus remarquable sagissant de la monodie Il nest point besoin de beaucoup dimagination

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pour faire voir lanalogie avec le principe formel qui doit guider lArtiste dans le magistegravere qualifieacute par tant de maicirctre dart de la musique mais nous y reviendrons en abordant directement cet art par un exemple des plus reacuteveacutelateurs Par la rheacutetorique nous compleacutetons le trivium ougrave sexprime le ternaire alchimique

FIGURE XI - larithmeacutetique (Chartres catheacutedrale)

Lagrave encore point de bas-relief la repreacutesentant agrave Paris LArithmeacutetique telle quelle est repreacutesenteacutee dans les manuscrits carolingiens deacutevide entre ses doigts une corde agrave boules eacutevocation de la bouillonnante dexteacuteriteacute des doigts computateurs de larithmeacutetique

FIGURE XII- la geacuteomeacutetrie La Geacuteomeacutetrie tient souvent agrave la fois le compas et la sphegravere car elle est la sœur de lAstronomie Elle peut ecirctre munie dun bacircton rappelant sans doute le roseau dor avec lequel dans lApocalypse Jean mesure le temple et lange la Nouvelle Jeacuterusalem Celle que lon voit agrave Paris tient une tablette Point nest besoin dinsister sur limportance de la geacuteomeacutetrie dans le magistegravere A cet eacutegard le lecteur naura quagrave consulter lAtalanta fugiens cap XXI ougrave toutes preacutecisions sont donneacutees Quant au compas un chapitre speacutecial lui est consacreacute dans notre page sur Fontenay-Le-Comte

FIGURE XIII - lastronomie (Chartres catheacutedrale)

LAstronomie ou lAstrologie dont le modegravele est Ptoleacutemeacutee rappelle limportance des horoscopes et eacutevoque lascendant des astres sur la formation de lamour et de la haine Elle peut tenir un cadran solaire un astrolabe ou une sphegravere armillaire et contempler la giration des astres autour de la planegravete Terre Voici ce quen termes exoteacuteriques lon dit dhabitude de lastronomie mais limportance hermeacutetique de lastronomie est consideacuterable pour leacutetudiant en alchimie le lecteur consultera ici notre humide radical meacutetallique notre zodiaque alchimique et les nombreux renvois aux constellations et aux deacutecans qui parsegravement le commentaire de lAtalanta fugiens Sur lastrologie voyez la partie du site qui lui est consacreacutee

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FIGURE XIV - la musique

La Musique illustreacutee par Pythagore inventeur du nombre dor est eacutevidemment le plus souvent munie dun instrument de musique (harpe lyre ou cythare) et saffaire agrave monter la gamme en frappant des clochettes avec un marteau On se souviendra aussi dun grand vieillard que nous preacutesente Fulcanelli dans le Mystegravere des Catheacutedrales qui nest autre que le Mercure Voyez ce que nous avons dit supra des rapports entre la musique et la rheacutetorique qui lui est congeacutenegravere Comme musicien alchimique on pourrait encore eacutevoquer les figures de Monteverdi et de Varegravese Sur Monteverdi cet extrait

laquo Curieusement Monteverdi esprit lucide sil en fut va prendre goucirct [] aux expeacuteriences alchimiques Pour samuser concegravede-t-il et tout en affichant (pour la forme) un certain scepticisme Et

cependant les faits sont lagrave jusque dans les anneacutees heureuses de la peacuteriode veacutenitienne le musicien se livrera au patient travail de ladepte faisant chauffer en les mecirclant les principes du soufre du

mercure et du sel dans lathanor sans en espeacuterer autre chose que le plaisir du jeu avec linsolite [] raquo [Monteverdi Roger Tellart Fayard 1997]

et sur Varegravese

Cette aura magique a pris son origine dans les termes quil emploie volontiers et dans la citation de Paracelse quil inscrivit en exergue de sa partition dArcana Une eacutetoile existe plus haut que tout le reste Celle-ci est leacutetoile de lApocalypse La deuxiegraveme est celle de lascendant La troisiegraveme est celle des eacuteleacutements qui sont quatre il y a donc six eacutetoiles eacutetablies Outre celles-ci il y a encore une autre eacutetoile limagination qui donne naissance agrave une nouvelle eacutetoile et agrave un nouveau ciel Varegravese sest pourtant expliqueacute sur la porteacutee de cette eacutepigraphe Cette phrase eacutequivaut agrave une deacutedicace elle fait de mon poegraveme symphonique un certain hommage agrave celui qui la eacutecrite mais elle ne la pas inspireacute et lœuvre nen est pas le commentaire Il exposa sa penseacutee au New Mexical Sentinel Lart ne prend pas naissance dans la raison Cest le treacutesor enfoui dans linconscient cet inconscient qui a plus de compreacutehension que nen a notre luciditeacute Dans lart un excegraves de raison est mortel La beauteacute ne provient pas dune formule Cest limagination qui donne la forme aux recircves Attireacute par les alchimistes de la Renaissance il reconnut jai surtout lu Paracelse Il eacutetudia les principes de lastronomie hermeacutetique en tira des applications musicales qui stimulaient son imagination Il meacutedita sur les preacuteceptes de la meacutedecine de Paracelse sur lassociation la dissociation et la coagulation agrave propos de laquelle il me cita lAcoustical Terminology La coagulation des ultrasons est le deacutepart de petites particules dans de plus larges agreacutegats par laction des ondes dultrasons Ce fut surtout la transmutation des eacuteleacutements qui le retint il soumit une cellule ou un agglomeacuterat agrave diffeacuterentes tensions agrave des deacutecalages de rythmes agrave diffeacuterentes fonctions de gravitation (attirance et lourdeur) agrave diffeacuterentes dynamiques Il ne chercha ni a deacutevelopper ni a les informer il voulut transmuer Varegravese fut degraves sa jeunesse un fervent de Leacuteonard de Vinci et Kepler le passionnait il pressent tout comme Leacuteonard de Vinci Il reacutefleacutechissait sur les marges derreurs que Kepler essayait dinteacutegrer dans une seacutecuriteacute matheacutematique et quil tentait dexpliquer sans savoir prouver pourquoi elles existaient Varegravese cultivait ces marges derreur de liberteacute plus exactement qui empecircchent la contrainte et donnent la vie II reacutepeacutetait que pour lui la musique eacutetait un art-science comme dans le Quadrivium du Moyen Age ou elle figurait parmi les arts de raison avec larithmeacutetique la geacuteomeacutetrie et lastronomie [Varegravese Odile Vivier Solfegraveges Seuil 1973]

Nous teacutemoignons ici de la justesse absolue des vues de Varegravese Comme Beethoven laffirmait la musique est plus haute que toute sagesse et que toute philosophie elle les comprend toutes et permet agrave lesprit dacceacuteder en conscience au cosmos

La repreacutesentation de la philosophie est plus complexe A Laon on la trouve repreacutesenteacutee assise la tecircte dans les nuages une eacutechelle appuyeacutee contre la poitrine Cette image correspond agrave la description quen fait Boegravece dans la Consolation philosophique Leacutechelle est ce qui permet daller des eacuteleacutements infeacuterieurs vers les eacuteleacutements supeacuterieurs A Sens la philosophie est tout aussi grave mais leacutechelle est remplaceacutee par un simple sceptre Nous avons vu limage de la philosophie de Notre-Dame de Paris supra

- sur le miroir moral cest lagrave quinterviennent les meacutedaillons des Vices et des Vertus

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FIGURE XV - la prudence ( le Mercure philosophique)

Nous voici placeacutes au seuil de la sapience alchimique avec ces meacutedaillons qui ont constitueacute la matiegravere mecircme et le preacutetexte de Fulcanelli dans le premier tome [le Mystegravere des Catheacutedrales Pauvert 1924] de sa trilogie Combien de fois les alchimistes ne nous ont-ils pas avertis que sans prudence lArtiste narriverait agrave rien Ne souhaitant pas ici faire des redites inutiles nous conseillerons au lecteur de visiter la section des Gardes du Corps ougrave les Vertus se trouvent analyseacutees Il est certain que limage du fixe et du volatil sont lindice clair du Mercure preacutepareacute et sublimeacute Ce bas-relief forme la planche VII des Mystegraveres et repreacutesente le Mercure philosophique Nous en sommes bien daccord Nous ajouterons que limage la plus fidegravele de ce Mercure philosophique est formeacutee par le signe zodiacal des Geacutemeaux identique dailleurs - au plan spirituel - avec la figure I du Livre dAbraham Juif dont Fulcanelli a montreacute quil eacutetait mythique Fulcanelli eacutecrit

laquo Cest lagrave ce ver empoisonneacute qui infecte tout par son venin

dont parle lAncienne Guerre des Chevaliers raquo [Mystegravere

p 104]

Ajoutons que ce laquo ver empoisonneacute raquo deacutesigne dhabitude le premier eacutetat du Mercure et quArtephius le nomme dans son Livre Secret le laquo vinaigre tregraves aigre raquo Voilagrave la transition toute trouveacutee avec limage de la folie

FIGURE XVI - la folie ( origine et reacutesultat de la pierre)

Au lieu quici comme nous venons de le dire cest la folie qui se trouve repreacutesenteacutee il sagit de limage du premier Mercure celui dont Fulcanelli nous dit quil est le laquo fou de lœuvre raquo On le repreacutesente souvent torsadeacute et contourneacute un peu comme dans les Ripleys scrowls cf les Douze Portes Nous en avons surtout parleacute agrave la section sur Fontenay quand on la compareacute au pyrophore de Homberg ou de Gay-Lussac Voilagrave quelques notes de Fulcanelli sur la planche XIX

laquo Au second meacutedaillon lInitiateur nous preacutesente dune main un miroir tandis que de lautre il eacutelegraveve la corne dAmaltheacutee agrave ses cocircteacutes se voit lArbre de Vie Le miroir symbolise le deacutebut de louvrage lArbre de Vie en marque la fin et la

corne dabondance le reacutesultat raquo [Mystegraveres p 124]

Bien lapidaire dans son explication le maicirctre de Paris se montrera plus geacuteneacutereux dans la description de ce miroir en citant Moras de Respour voici un extrait que na pas donneacute Fulcanelli pourtant bien plus explicite sinon exoteacuterique que celui quil donne

Cette cendre mineacuterale a en soi tout ce qui est neacutecessaire aux Curieux ceux qui lrsquoont connue ont eu la matiegravere dont on la tire en grande recommandation et de crainte qursquoon sut qui elle eacutetait ils lui ont imposeacute plusieurs noms comme de Lunaire drsquoherbe Saturnienne et autres Quelques uns lrsquoont compareacutee agrave la Salamandre agrave cause qursquoelle vit dans le feu Ils ne lrsquoont jamais mieux deacutepeinte que parlant du Phœnix qui renaicirct de ses cendres drsquoautres lrsquoont nommeacutee Lucifer ou Porte lumiegravere Veacutenus engendreacutee de lrsquoeacutecume de la Mer parce qursquoon la tire en eacutecumant On lrsquoa nomme Dragon agrave cause qursquoelle brucircle comme Salpecirctre Aigle parce que lrsquoon en tire lrsquoArmoniac mercuriel ils ont dit que crsquoest le Roi drsquoautant qursquoil est le plus consideacutereacute entre eux et le Lion agrave cause de sa grande force Ils disent que crsquoest lrsquoacircme meacutetallique agrave cause qursquoelle vivifie tous les Meacutetaux et qursquoelle est corps parce qursquoelle corporifie les esprits Mais communeacutement entre les Philosophes elle est entendue par Miroir de lrsquoart agrave cause que crsquoest principalement par elle que lrsquoon a appris la composition des Meacutetaux dans les veines de la Terre []

Rares Expeacuteriences sur lEsprit mineacuteral Paris Langlois et Barbin 1668

Plusieurs arcanes se trouvent entrelaceacutees dans ce texte mais en fin il y est question en somme dun sel infusible La pratique de lœuvre montre quil nexiste que trois sels infusibles dont lun est geacuteneacuterique et reacutesulte dune transformation au lieu que les deux autres sont speacutecifiques le sel infusible proteacuteiforme est ce que les

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anciens chimistes appelaient la chaux meacutetallique et il y a autant de chaux que de meacutetaux [sept pour rester dans la pure tradition hermeacutetique cf lhumide radical meacutetallique] Le second sel - la Salamandre - est celui que De Respour nomme la Lunaire et qui est confondue dans presque tous les textes avec le premier Mercure aussi la nomme-t-on plus justement le laquo suc de la Lunaire raquo Cest elle que lon appelle encore laquo pierre et non pierre raquo et que certains ont identifieacute au nostoc [Mystegraveres p 171 cf Atalanta XXXVII] Il se trouve que cette substance deacutecrite par Pline possegravede des traits communs avec une autre pierre que lon nomme la pierre de Jeacutesus ou pierre speacuteculaire leur racine est semblable et peut tregraves facilement ecirctre preacutepareacutee en laboratoire il suffit dun vitriol preacutepareacute dun sel que lon trouve chez les riches aussi bien que chez les pauvres [surtout agrave la campagne ne dit-on pas du fou que laquo son esprit bat la campagne raquo Cest lagrave un petit trait dhumour ougrave se signale un important point de science] eacutegalement preacutepareacute et dun feu meacutediocre Quant au pheacutenix ultime eacutetat du Rebis revivifieacute il reacutesulte de la reacuteincrudation de ces substances salines La reacutesurrection du pheacutenix est sous la deacutependance de ce Lucifer ou porte lumiegravere comme leacutecrit si justement De Respour Fulcanelli le nommant christophore [Mystegraveres p

186] et ayant emprunteacute agrave Offerus ses traits pour deacutesigner le Quant agrave lArmoniac mercuriel il ne correspond point agrave notre chlorhydrate mais - comme la vu Berthelot dans la Chimie des Anciens - agrave une sorte de sel fossile Il est appeleacute lagrave encore de bien des maniegraveres selon les Adeptes les uns le nommant le sel ammoniac dautres le sel harmoniac etc Sa principale qualiteacute semble ecirctre de donner un peu de liant agrave la Salamandre pour lempecirccher de seacutechapper du feu au 4

egraveme degreacute de feu cest-agrave-dire vers 1300degC la

salamandre au dire de Marc-Antoine Gaudin devient dun coup fluide comme de leau et se vaporise instantaneacutement Quant agrave lacircme meacutetallique il faut y voir le facteur qui rend compte de la viscositeacute des meacutetaux lorsquon leur impose le calorique et le mecircme quand au bout dun certain temps [cest la peacuteriode ougrave lœuvre est compareacutee agrave un travail de femme - quenouille - ou agrave un jeu denfant - yo-yo bilboquet -] de va-et-vient la cristallisation finit par sopeacuterer dans la masse saline Ce facteur - comburant - est en raison directe de la preacutesence dun agent carburant que les Sages ont nommeacute le Lait de Vierge et sans lequel laccroissement de la Pierre ne serait pas possible cest la corne dAmaltheacutee [cf Atalanta XLVII pour une description et des notes compleacutementaires] LArbre de Vie est lArbori Solare dont nous parlons agrave la section Fontenay

FIGURE XVII - la foi ( les quatre eacuteleacutements et les deux

natures)

Lalchimiste errant ne trouvera son chemin dans le labyrinthe de Salomon que muni du fil dAriane cest ce qui constitue sa foi agrave proprement parler Sur la foi consultez la Chrysopeacutee du Seigneur un apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Sachez que lArtiste en quecircte de son Mercure sera guideacute par une eacutetoile celle qui apparaicirct sur le meacutedaillon de Notre-Dame et que cet astre agrave linstar de celui qui guida les Mages dOrient le conduira dans une eacutetable ougrave il verra un enfant emmailloteacute de langes qui aura la

forme de notre Certains lont compareacute au sel de Pierre dautres au sel gemme Dans ce dernier cas ils lont nommeacute le sel harmoniac dont le rapport avec notre chlorhydrate est du mecircme genre que celui qui existe entre le vif-argent vulgaire et lhydrargyre philosophique Ce bas-relief est la planche XI du Mystegravere Fulcanelli se trompe en la nommant la Philosophie [nous avons vu supra quil sagit de la figure IV ougrave limagier a inscrit leacutechelle de la sapience et deux livres] ou bien alors cest par cabale quil veut ainsi deacutesigner la Foi eacuterigeacutee en forme de

doctrine hermeacutetique Fulcanelli deacutecrit le meacutedaillon comme une monade la croix y deacutesigne le quaternaire des eacuteleacutements mais il faut avoir des yeux de lynceacutee pour distinguer le disque lunaire dont il nous dit quil est marteleacute On croirait un astre quelconque et rien ne vient affirmer la conjecture du grand Adepte Le lecteur verra avec profit lagrave-dessus les dessins de la Monade Hieacuteroglyphique de John Dee car lAdepte parisien seacutetend peu sur la Foi alors que la croix forme lun des symboles les plus fascinants de lœuvre

FIGURE XVIII )- lidolacirctrie ( le sujet des Sages)

Aussi voilagrave qui peut expliquer - du mecircme rapport que la folie qui lui fait pendant - la fausse foi du souffleur qui naura pas su trouver le fil dAriane que nous eacutevoquons plus haut Il croira agrave des miroirs trompeurs au reflet de Narcisse et se complaira dans laquo mille brouilleries raquo pour reprendre lheureuse expression de Nicolas Flamel [Fig Hieacuter] Il croira au rapport de lArt sacreacute avec les cultes infernaux les ceacutereacutemonies dinitiation ougrave lesprit se dissout plus quil nest sublimeacute il succombera aux mystegraveres orphiques dans ce quils ont de plus vulgaire et ce sont les plus viles meacutetamorphoses quil accomplira dans son creuset Il est eacutetrange de voir Fulcanelli comparant lIdolacirctrie au meacutedaillon repreacutesentant la Folie mais cette eacutetrangeteacute est du mecircme rapport

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en musique que celui qui existe entre laccord consonnant et laccord dissonnant ils sont compleacutementaires Ainsi

laquo LAdepte sy retrouve mains jointes dans lattitude de la priegravere et semble adresser des actions de gracircces agrave la Nature figureacutee sous les raits dun buste feacuteminin que reflegravete un miroir Nous reconnaissons

lagrave lhieacuteroglyphe du sujet des Sages miroir dans lequel on voit toute la nature agrave deacutecouvert raquo [Mystegravere p 128]

La priegravere est une indication sur le Soufre [soufre cest-agrave-dire sulfure ou sulfate] agrave cause de

lassonance [soufre - Dieu] Combien de fois les alchimistes nous ont-ils dit quil fallait implorer Dieu pour reacutealiser lœuvre en affirmant - cest une constante dans les texte - que celui-ci eacutetait un laquo don de Dieu raquo Mais si le Christ a souffert la Passion Fulcanelli demande agrave limpeacutetrant une autre action de gracircce qui est celui de laquo potasser pour lXraquo Que lon voit dans cet X une croix anseacutee ou la croix du Christ apregraves tout peu importe car nul na dit que lalchimie eacutetait reacuteserveacutee aux Chreacutetiens quand bien mecircme il est eacutevident que lœuvre agrave partir du Moyen Acircge sest pour ainsi dire nourri de la figure christique en mecircme temps quelle nourrissait dailleurs la musique [cf le Visage du Christ dans la musique baroque Jean-Franccedilois Labie Fayard 1992]

FIGURE XIX - la chariteacute (preacuteparation du dissolvant universel)

Fulcanelli eacutecrit laquo un homme expose limage du Beacutelier et tient de la dextre un objet quil est malheureusement impossible de deacuteterminer aujourdhui Est-ce un mineacuteral un

fragment dattribut raquo

Il est bien difficile de reacutepondre agrave cette question On sait que le Beacutelier comme bien des signes zodiacaux a une nature double il reacutepond agrave Ariegraves et agrave Aregraves Le premier nous signale le signe du Printemps eacutepoque canonique ougrave il convient de deacutebuter les travaux mais qui doit sentendre au figureacute Car les deux premiers signes du zodiaque qui sont respectivement les lieux dexaltation du Soleil et de la Lune reacutepondent aux deux principaux composeacutes du Mercure un vitriol et un sel contenant sous une forme quelconque de lalkali fixe Si lon applique maintenant les regravegles de la

cabale voici ce quon peut dire du laquo fragment dattribut raquo en grec un attribut seacutenonce ou

Remarquons que Fulcanelli fait reacutefeacuterence agrave un fragment Or dans les deux cas le mot se

termine par cest-agrave-dire la fleur la violette Violette noire ou dun bleu sombre Il nest pas besoin den dire plus puisque nous avons deacutejagrave en maintes pages de ce site fait voir toute limportance que prenait dans le magistegravere la sphegravere de la violette chegravere agrave E Canseliet Voyons maintenant la racine

elle se reacutefegravere agrave un objet qui habite ou qui demeure dans sa maison on peut y voir la materia prima qui tient sa reacutesidence ou son gicircte laquo es cavernes de la terre raquo pour reprendre une expression quasi idiomatique dalchimie Et nous pouvons y voir la laquo maison de lor raquo cest-agrave-dire le christophore par lequel sexprime la Toyson dor de Salomon Trismosin Cest aussi la Toyson des Argonautes leur histoire est dune grande proximiteacute par rapport agrave lœuvre ainsi que la bien montreacute Dom Pernety dans ses Fables Egyptiennes et Grecques Ainsi voyons-nous que par laquo fragment dattribut raquo

Fulcanelli entend nous parler du Soufre dissous dans le Mercure [] et du Corps de la Pierre [] La chariteacute enseigne ainsi pour lalchimiste comment le Soufre tend la main au Sel Voilagrave le message que lalchimiste tenait ici agrave faire valoir Ce bas-relief correspond agrave la planche IX du Mystegravere On peut rajouter cette note de Pernety

laquo les Adeptes disent quils tirent leur acier du ventre dAriegraves et ils appellent aussi cet acier leur aimant

raquo [Dictionnaire Mytho-hermeacutetique]

Sur un commentaire de ce reacutebus voyez la section Matiegravere

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1864

FIGURE XX - lavarice( le reacutegime de Saturne)

Limage montre un personnage exteacutenueacute qui sappuie sans doute pour se reposer dune marche trop longue dans le deacutesert Cest lalleacutegorie de lArtiste qui a perdu son fil dAriane mais quel rapport avec lavarice En grec

amour de largent litteacuteralement Saisit-on le rapport Lattention est attireacutee par le cousinage hermeacutetique entre la Lune et largent on sait que la Lune a nulle autre pareille peut-ecirctre est versatile et plurielle dans ses rapports au grand-œuvre Est-elle prise dans son premier quartier on sait quil est question du Mercure Est-elle prise en son dernier quartier alors il sagit du Sel ou du suc de la Lunaire pour ecirctre plus preacutecis Cest donc dun rapport au Mercure agrave lEsprit quil sagit ici Et quel est ce rapport De nous faire valoir que lEau permanente des Sages ne saurait ecirctre eacuteternelle et quil vient un moment ougrave

elle doit commencer agrave se sublimer faute de quoi lArtiste œuvrera dans le deacutesert et finira par desseacutecher sa Pierre agrave force de labreuver Ou si lon preacutefegravere lEsprit doit libeacuterer lAcircme pour quelle descende dans le Corps opeacuteration qui fait lobjet du sens hermeacutetique des signes du Sagittaire et du Scorpion Mais Fulcanelli ne semble pas de cet avis puisquil intule la planche XXII du Mystegravere le Reacutegime de Saturne avec ce commentaire

laquo Un vieillard transi de froid et courbeacute sous larc du meacutedaillon suivant sappuie las et deacutefaillant sur

un bloc de pierre une sorte emanchon enveloppe sa main gauche raquo [Mystegravere p 128]

Le commentaire qui suit ne laisse pas deacutetonner et de se demander si Fulcanelli eacutetait envieux et charitable lorsquil preacutecise

laquo Il est facile de reconnaicirctre ici la premiegravere phase du second œuvre alors que le Rebis hermeacutetique enfermeacute au centre de lAthanor souffre la dislocation de ses parties et tend agrave se mortifier [] Cest le

regravegne de Saturne qui va paraicirctre emblegraveme de la dissolution radicale raquo [idem]

Voilagrave qui laisse perplexe Comment le Rebis pourrait-il se disloquer alors mecircme quil na pas encore pris forme Car qui dit Rebis dit forceacutement union mecircme si elle nest pas radicale [cest alors le terme dAirain qui est employeacute] Et lon ne voit pas que le Rebis constitueacute doive agrave nouveau ecirctre deacutesuni car leacutevolution est continuelle Que par contre il soit question de la mort prochaine du Mercurius senex qui doit laisser place agrave plus jeune que soi certes aussi est-ce dans cette acception que nous ferons correspondre le texte manifestement et exceptionnellement envieux de Fulcanelli Quant au regravegne de Saturne il renvoie au Regravegne de Saturne transformeacute en siegravecle dor lautre titre de lapocryphe dHuginus agrave Barma un grand classique Cest la suite de la citation qui permet cette conjecture

laquo [] Je suis vieil deacutebile et malade lui fait dire Basile Valentin pour cette cause je suis enfermeacute

dans une fosse [] raquo [ibid]

Il sagit dune citation incomplegravete dun des chapitres de lAzoth

laquo Je suis le vieil homme deacutebile amp malade mon surnom est Dragon Pour cette cause je suis enfermeacute dans une fosse afin que je sois reacutecompenseacute de la Couronne Royale amp que jrsquoenrichisse ma famille eacutetant en particulier lieu serviteur fugitif Mais apregraves ces choses nous posseacutederons tous les treacutesors du Royaume le feu me tourmente grandement amp la mort rompt ma chair amp mes os jusqursquoagrave ce que six

semaines passent raquo [Azoth Opeacuteration du mystegravere philosophique]

Comment Fulcaneli a-t-il pu mettre les traits du Rebis sur ce vieil homme lorsque la citation compleacuteteacutee permet de montrer que son surnom est Dragon Et que de surcroicirct il vienne agrave dire quil est le laquo serviteur fugitif raquo La seule explication possible qui permettrait dinclure le Rebis serait de faire de ce vieil homme non pas le Rebis mais le Compost [mixte Rebis - Mercure] mais de toute faccedilon cela nirait pas dans le sens ougrave linterpregravete lAdepte puisquil sagit dune dissolution on peut en dernier recours ajouter que Le Breton a vu quatre dissolutions dans lœuvre [Les Clefs de la Philosophie spagyrique Paris Jombert 1722] et quil ne serait pas impossible de voir dans la dissipation finale du Mercure [qui doit mourir agrave la fin de lœuvre] lultime dissolution mais qui na rien agrave voir avec la putreacutefaction alors que Fulcanelli parle de laquo [] la deacutecomposition et de la couleur noire raquo

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dont le symbolisme sinscrit au deacutebut de la Grande Coction en sa phase humide au lieu quici nous sommes agrave la phase dassation

FIGURE XXI - la patience (- le Soufre philosophique)

Que navons-nous pas parleacute du laquo sel de patience raquo que lArtiste doit neacutecessairement connaicirctre avant de se livrer aux travaux de la Grande Coction Les textes disent que lArtiste doit user de prudence et de patience pour amadouer le vieux dragon dont le feu est cacheacute sous les cendres meacutetalliques cest-agrave-dire dont la ponticiteacute eacuteleacutementaire a eacuteteacute maicirctriseacutee lorsque lalchimiste y a joint les deux colombes qui volent sans ailes dans la forecirct de Diane [ Introiumltus ] Nous avons eu loccasion de montrer dans

dautres sections que le mot patience [] renvoyait agrave la force dacircme ce qui suffit agrave indiquer son sens hermeacutetique Fulcanelli voit dans ce bas-relief - correspondant agrave la planche XVII du Mystegravere - le Soufre philosophique on y distingue un taureau et voici ses commentaires

laquo Comme figure de pratique le taureau et le bœuf eacutetaient consacreacutes au soleil de mecircme que la vache lest agrave la lune il figure le Soufre principe macircle puisque le soleil est dit meacutetaphoriquement par Hermegraves le Pegravere de la pierre [] le soleil et la lune [] deacutesignent les natures primitives contraires

avant leur conjonction natures que lArt extrait de mixtes imparfaits raquo [Myst p 122]

Toutefois le taureau a toujours deacutesigneacute la Lune qui sy trouve exalteacute et ougrave Veacutenus possegravede lune de ses maicirctrises [cf lagrave-dessus le zodiaque alchimique et lhumide radical meacutetallique] Par ailleurs lune

des vaches les plus connues en mythologie deacutesigne agrave la fois le deacutebut du mot et du mot cest-agrave-dire la violette et le venin or ces deux mots sont relatifs au Soufre et non au Mercure stricto sensu [les appellations vulgaires sont la rouille et le vert-de-gris] Ce thegraveme se trouve entiegraverement deacuteveloppeacute dans lAtalanta XXXII

FIGURE XXII - la colegravere

Cest la marque dun Mercure dont la ponticiteacute est excessive Cet excegraves peut ecirctre ducirc soit agrave une quantiteacute de calorique trop important - les Artistes disent alors que lon laquo brucircle les fleurs raquo soit agrave des proportions mal deacutefinies dans la composition du dissolvant Ce meacutedaillon na pas eacuteteacute commenteacute par

Fulcanelli La colegravere [] cest lagitation inteacuterieure qui gonfle lacircme Voyez ici la Chrysopeacutee du Seigneur apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Il semble que lon observe dans ce bas-relief agrave gauche Zeus muni de son foudre et agrave droite un pegravelerin mais ce tableau lapidaire a subi linjure du temps On peut associer agrave la colegravere la tempecircte que lon observe comme blason de lun des deacutecans de la Vierge le 2

egraveme deacutecan Son symbolisme a eacuteteacute analyseacute dans lAtalanta

XLVII

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FIGURE XXIII - la perseacuteveacuterance ( lathanor et la pierre)

Nous navons cesseacute de leacutevoquer cest lun des plus grands arcanes de lœuvre savoir tenir son Mercure en forme

deau mineacuterale le Mercure doit donc sattacher au Soufre agrave la teinture en maniegravere de supplique pressante Cest pourquoi les textes exhortent limpeacutetrant agrave prier avec insistance Dautres textes insistent sur la graisse du vent

mercuriel [ avec de la graisse mais aussi avec teacutenaciteacute ou perseacuteveacuterance] notamment les Figures Hieacuteroglyphiques le Donum Dei et lAtalanta fugiens Fulcanelli voit dans la planche XII du Mystegravere

laquo [] une coupe longitudinale de lAthanor et lappareillage interne destineacute agrave supporter lœuf philosophique de la main

droite le personnage tient une pierre raquo [Myst p 115]

Lagrave encore lusure du temps ne laisse plus voir grandchose du subtil meacutecanisme que deacutecrit lAdepte Le lecteur verra au livre de la Clef du Secret des Secrets de Nicolas de Valois une fort belle coupe de lathanor Fulcanelli sen tient lagrave il aurait pu ajouter que cette pierre contractait peut-ecirctre quelque rapport avec la pierre noire de Pessinonte et que le personnage de la planche XXIII nest autre quune autre version de Cybegravele et que limage de lathanor et de son appareil nest autre que le reacutesumeacute le Mixte lapidaire pourrait-on dire des deux lions qui flanquent le char de la deacuteesse dAsie Mineure Le buis consacreacute agrave Cybegravele et agrave Hadegraves repreacutesente le symbole de la perseacuteveacuterance cf Aureum Seculum Redivivum de Mynsicht

FIGURE XXIV - linconstance (lEntreacutee du Sanctuaire )

Lexamen du septiegraveme meacutedaillon de Notre-Dame de Paris donne agrave Fulcanelli loccasion de nous deacutevoiler le sens preacutecis de la reacuteincrudation

laquo [Le vieillard]vient darracher le veacutelum qui en deacuterobait lentreacutee [au Palais Fermeacute du Roy] aux regards profanes Cest le premier pas accompli dans la pratique la deacutecouverte de lagent capable dopeacuterer la reacuteduction du corps fixe de le reacuteincruder selon lexpression reccedilue en

une forme analogue agrave celle de sa prime substance raquo

Cette citation se rapporte agrave lopeacuteration qui consiste agrave dissoudre les laquo meacutetaux morts raquo cest-agrave-dire les chaux meacutetalliques des anciens chimistes dans un fondant approprieacute cest lagent ou artifice secret queacutevoque

Fulcanelli quand il parle de conjoindre les extreacutemiteacutes du vaisseau de nature Or ce vaisseau il nous est preacutesenteacute agrave la figure XXIII dans le meacutedaillon central cest lathanor philosophique Mais le mystegravere - au sens propre du terme - reste entier qui a deacutetermineacute Fulcanelli agrave poser une identiteacute entre

linconstance et ce vieillard En voici la clef linconstance en grec se dit et a valeur dune chose non fixe mobile et par suite inconstante Cest donc le volatil qui est nommeacute ici et le proceacutedeacute secret dont parle lAdepte parisien va preacuteciseacutement ecirctre de transformer une chose non fixe en chose fixe Mais cela doit sentendre dune matiegravere qui est dans un eacutetat visqueux ou liquide Cest donc bien de la laquo reacuteduction du corps fixe raquo dont parle Fulcanelli et le vellum que lon voit choir au pied gauche du vieillard est semblable agrave une tecircte cest donc dun caput mortuum quil sagit Ce bas-relief est numeacuteroteacute comme la planche XXIV du Mystegravere On voit que Fulcanelli lui a donneacute un titre dont le rapport avec lEntreacutee du Sanctuaire est rien moins que certain Lun de ses commentaires pourra peut-ecirctre nous aider agrave mieux percevoir ce rapport qui se deacuterobe

laquo En effet le vieillard que les textes identifient agrave Saturne - lequel dit-on deacutevorait ses enfants - eacutetait

jadis peint en vert tandis que linteacuterieur du Palais offrait une coloration pourpre raquo [Myst p 129]

Voilagrave qui est deacutejagrave plus clair Mais alors ce meacutedaillon preacutesente des traits congeacutenegraveres agrave celui de lavarice [le reacutegime de Saturne - planche XXII du Mystegravere] linconstance se manifeste ici comme la dissolution deacutefinitive - par sublimation - du dissolvant Toutefois la note de Fulcanelli nous permet

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den deacuteduire que le Lion vert est bien le premier eacutetat du Mercure cest-agrave-dire le laquo vinaigre tregraves aigre raquo dArtephius Et que la coloration pourpre reacutesulte de ce que le Lion rouge [qui correspond alors au Compost] est pousseacutee agrave la couleur purpurine au 4

egraveme degreacute de feu Mais en quoi est-il question laquo

dentreacutee dans le sanctuaire raquo cest-agrave-dire de lEntreacutee deacutesormais ouverte au Palais fermeacute du Roi [Introiumltus Philalegravethe] Cest que lArtiste ruseacute a amalgameacute lagent de dissolution avec sa propre dissolution cest-agrave-dire la sublimation terminale Il est clair en effet que lEntreacutee fermeacutee au Palais du Roi ne peut ecirctre ouverte que par la clef qui donne accegraves au dissolvant cest lobjet du 2

egraveme œuvre en

entier Ce dissolvant dans son premier eacutetat sapparente agrave un char muni de deux taureaux ou de deux lions il neacutecessite un frein un mors permettant de tempeacuterer son acrimonie Celui-ci nous est procureacute par les deux colombes de Diane qui seules peuvent tempeacuterer lardeur du dragon eacutecailleux Ces colombes - les deux Soufres - le transforment en Mercure animeacute cest-agrave-dire dompteacute degraves lors nous sommes dans le Palais du Roi La sortie se trouve du cocircteacute ougrave le Mercure trouve son exitus cest-agrave-dire dans sa chambre mortuaire dans son gisant le lecteur trouvera dans les Gardes du Corps des explications agrave cet eacutegard

FIGURE XXV - la chasteteacute (la salamandre - Calcination)

Ce sont des substances deacutepureacutees que lArtiste doit manipuler qui ont eacuteteacute reacuteduites par le feu qui en a conserveacute la quintessence dougrave cette image de salamandre Cest un sel

fixe qui est eacutevoqueacute par la chasteteacute [] il peut sagir de lalkali fixe [lun des constituants du Mercure] soit de la terre de lalun [le Corps de la Pierre appeleacute Arsenic par Geber et principe Sel depuis Paracelse] Le sens de ce bas-relief est donc - pour une fois - dune pure clarteacute Il figure sur la planche VIII du Mystegravere Voyons le commentaire que Fulcanelli nous a concocteacute pour la circonstance

laquo Ce leacutezard fabuleux ne deacutesigne pas autre chose que le sel central [] que les Anciens ont nommeacute Semence meacutetallique

raquo [Myst p 105]

Sel central voilagrave qui ne pose guegravere de problegraveme Mais laquo semence meacutetallique raquo Diable Fulcanelli preacutevient leacutetudiant quil sagit lagrave dune expression spagyrique - il parle de la calcination et non de la semence meacutetallique - et assure que les vieux auteurs nont eu en vue que leur agent occulte deacutesigneacute expresseacutement comme le laquo feu secret raquo dont la forme geacuteneacuterale appelle la comparaison avec une mer plutocirct quavec un feu Cest sur deux pages que lAdepte seacutetend sur cette notion de feu igneacute quil nomme laquo eau ardente raquo et que daucuns ont cru traduire par laquo eau-de-vie raquo Il est certain que le Ciel philosophique de Freacutedeacuteric Ulstade contient des descriptions approfondies des distillations par lesquelles on preacutepare leau-de-vie mais on ne trouvera point de note touchant au dissolvant qui nen est pas moins une certaine eau-de-vie agrave sa maniegravere Cette substance proteacuteiforme a ceci deacutetonnant quelle procure la mort avant de redonner la vie et les alchimistes ont symboliseacute ces extrecircmes sous les dehors du corbeau [Atalanta XLIII] et du pheacutenix [De ave phoenice] Ces deux oiseaux occupent une part importante de la voliegravere hermeacutetique Mais revenons agrave notre semence meacutetallique Quelle est lideacutee qui occupe lesprit de lAdepte Dabord observons en premier lieu que lorigine de cette semence est le dragon eacutecailleux Car lArtiste nen dispose point il lui faut linfuser dune maniegravere quelconque dans le Mercure disposeacute en son eacutetat primitif Et que cette semence soit dabord pourrie [cf Basile Valentin Douze Clefs de Philosophie] Nous avons au deacutebut de notre quecircte postuleacute que cette semence eacutetait repreacutesenteacutee par la reacutesine de lor alchimique Cette conjecture est-elle probable En quoi se rapproche-t-elle de la reacutesine de lor cest-agrave-dire en un mot du christophore Reacutepondre agrave ces questions cest du mecircme coup toucher au plus haut mystegravere de lœuvre Car la semence meacutetallique est faite du grain dor dont les multiplications ulteacuterieures sont tributaires Or le principe de Raison est inconciliable avec cette ideacutee laquo baroque raquo de multiplication assimileacute au principe de la laquo multiplication des painsraquo lun des Miracles quont signaleacutes les Evangiles La seule hypothegravese conciliable avec cette ideacutee serait celle dune enzyme dont on sait quelle peut deacuteclencher une reacuteaction chimique ad libitum tout en eacutetant reacutegeacuteneacutereacutee Or rien ne permet - hormis quelques expeacuteriences de Sainte Claire Deville faites sur lesprit de sel - de fonder en hypothegravese raisonnable une telle conjecture Ajoutons que la majoriteacute des traiteacutes dalchimie font allusion - et ce assez directement - agrave

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cette multiplication Incapable de pouvoir reacutesoudre cette eacutenigme nous pouvons en revanche nous faire une ideacutee de la faccedilon dont cette semence sera capteacute par lAimant des Sages

FIGURE XXVI - la luxure ( la Connaissance des poids)

La luxure prend ici le sens de deacutemesure ce qui est indiqueacute

par la balance impudence insolence et plus geacuteneacuteralement de mœurs dissolues Tel est le sens eacutesoteacuterique deacutegageacute par cette figure Quant agrave la signification exoteacuterique elle est claire Les alchimistes bien avant Lavoisier avaient eu la notion intuitive du poids des eacuteleacutements quils devaient faire entrer dans leur Mixte cest-agrave-dire leur Airain eacutetat premier du Rebis Non seulement ils avaient eu cette prescience mais encore ils avaient eu lintuition que la combinaison de leurs eacuteleacutements ne pouvait intervenir quen de certains termes par lagrave ils faisaient le distinguo entre ce quils appelaient le laquo poids de lart et le poids de nature raquo Cette image de la balance est omnipreacutesente dans liconographie alchimique agrave commencer par la figure de Theacutemis ou celle de

larchange Gabriel vainqueur du dragon eacutecailleux Fulcanelli nomme ce meacutedaillon la Connaissance des poids [planche XX] On peut citer ce passage

laquo Lauteur des Aphorismes Basiliens ou Canons Hermeacutetiques de lEsprit et de lAcircme eacutecrit au Canon XVI Nous commenccedilons notre œuvre hermeacutetique par la conjonction des trois principes preacutepareacutes sous une certaine proportion laquelle consiste au poids du corps qui doit eacutegaler lesprit et lacircme

presque de sa moitieacute raquo [Myst p 125]

Ces Aphorismes Basiliens sont une oeuvre rare [imprimeacutes nous dit en note E Canseliet agrave la suite des Oeuvres tant Meacutedicinales que Chymiques du RP de Castaigne Paris de la Nove 1681] Comme convenu le poids de lAcircme est de beaucoup infeacuterieur au poids du Corps

FIGURE XXVII 13)- la concorde

( les mateacuteriaux neacutecessaires agrave leacutelaboration du dissolvant)

Pour Fulcanelli voilagrave une figure qui reacutesume la liste des mateacuteriaux du dissolvant Nous savons que cette planche tenue par la deacuteesse ne peut ecirctre que du bois dont eacutetait fait le vaisseau des argonautes les fameux checircnes parlants de loracle de Dodonne [voyez en recherche] Ce bas-relief fait lobjet de la planche XIV du Mystegravere p 80 Cest pour Fulcanelli loccasion de citer la Clef du Cabinet Hermeacutetique dun auteur anonyme

laquo Leau dont nous nous servons [] est une eau qui renferme

toutes les vertus du ciel et de la terre [] raquo [Myst p 118]

Il sagit agrave leacutevidence de leau mineacuterale et meacutetallique qui constitue la fontaine de jouvence bain des astres de la Fontaine du Treacutevisan fontaine du Rosaire des Philosophes Fulcanelli ajoute des reacuteflexions qui ont trait

davantage au Soufre dissous quau Mercure

laquo La racine de nos corps est en lair disent les Sages et leurs chefs en terre raquo [idem]

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FIGURE XXVIII 14)- la discorde ( la Dissolution Combat

des deux Natures)

Et voici ce qui repreacutesente peut-ecirctre le sommet de linterpreacutetation eacutesoteacuterique des bas-reliefs de Notre-Dame par lalchimiste parisien tout de mecircme quun chef dœuvre de lart lapidaire des imagiers du Moyen Acircge Lagrave encore ce bas-relief a eacuteteacute preacutesenteacute plusieurs fois il nous suffira donc de dire que nous tenons lagrave les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature irreacuteductibles ennemis quil suffira dunir par le truchement de deux substances preacutesentes en puissance dans le pot de terre que lon voit entre les pieds du personnage de gauche et dans la pierre que lon voit tomber entre les deux personnages Comme leacutecrit Fulcanelli - cf Atalanta fugiens XXXV -

laquo Il nest guegravere possible deacutecrire avec plus de clarteacute ni de simpliciteacute laction de leau pontique sur la matiegravere grave et

ce meacutedaillon fait grand honneur au maicirctre qui la conccedilu raquo [Myst p 131]

La matiegravere du pot de largile est de celle dont on extrait le Corps de la Pierre quoiquil se preacutesente un autre mineacuteral dans la nature dougrave lon peut lextraire plus aiseacutement Et la pierre est de celle dont on extrait le sel qui formera notre eau mineacuterale comme laffirme avec veacuteheacutemence Alexandre Sethon

laquo Notre matiegravere paraicirct aux yeux de tout le monde et elle nest pas connue Ocirc notre Ciel Ocirc notre Eau Ocirc notre Mercure Ocirc notre Sel nitre qui ecirctes dans la mer du monde Ocirc notre Veacutegeacutetable Ocirc notre Soufre fixe et volatil Ocirc tecircte morte ou fegraveces de notre mer Eau qui ne mouille point sans laquelle

personne au monde ne peut vivre et sans laquelle il ne naicirct et ne sengendre rien en toute la Terre raquo [Nouvelle Lumiegravere Chymique Chapitre XI De la pratique et composition de la Pierre ou Teinture

Physique selon lArt]

Et lon ne saurait ecirctre plus clair sauf agrave passer des bornes que Fulcanelli tenu par le secret na pas cru bon de transgresser Ce bas-relief est disposeacute sur la planche XXV du Mystegravere

FIGURE XXIX - la force (- le Corps fixe)

Cest le lion qui se trouve deacutesigneacute Emblegraveme majeur de lœuvre cest agrave de multiples reprises que nous avons parleacute du lion vert et du lion rouge [recherche] Voyez lAtalanta fugiens et le zodiaque alchimique Que lon comprenne bien ici que leacutepeacutee et le casque sont les attributs de lhomme armeacute La chanson profane LrsquoHomme armeacute dont on attribue la paterniteacute agrave Busnois [preacutecepteur du futur Charles le Teacutemeacuteraire dernier duc de Bourgogne] compte parmi les plus ceacutelegravebres de la fin du Moyen Acircge au point que plus de quarante messes srsquoen inspiregraverent Cet engouement provient-il de sa possible origine bourguignonne en liaison avec lrsquoordre de la Toison drsquoor drsquoune reacuteminiscence des Croisades ou encore drsquoune eacutevocation cacheacutee de Longin le soldat romain qui transperccedila le flanc du Christ Aucune de ces hypothegraveses nrsquoapporte drsquoeacuteclairage satisfaisant sur les

destineacutees drsquoune piegravece dont le texte mecircme reste eacutenigmatique laquo Lrsquohomme armeacute doit on doubter - On a fait partout crier - Que chacun se viegne armer - drsquoun haubregon de fer raquo La coiumlncidence est assez extraordinaire de ce que tant la toison de lor [notre christophore] que la couleur qui sourd de la poitrine du Christ soit de la mecircme couleur blanche Sur la Force voyez les Gardes du Corps Le bas-relief occupe la planche XV du Mystegravere Voici une citation que donne Fulcanelli sur ce lion

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laquo [] Cest ce qui a engageacute Basile Valentin agrave donner ce conseil Dissous et nourris le vray Lion du sang du Lion vert car le sang fixe du Lion rouge est fait du sang volatil du vert parquoy ils sont tous

deux dune mesme nature raquo [Myst p 121]

Lattention est attireacutee par leacutevolution dun processus ougrave la mecircme matiegravere est manifestement ameneacutee agrave un degreacute supeacuterieur de deacutepuration nous sommes ici au reacutegime de Veacutenus ou de Mars

FIGURE XXX- la lacirccheteacute

Ce bas-relief na pas eacuteteacute interpreacuteteacute par Fulcanelli et cest bien dommage Comment en effet expliquer quun simple lapin [lepus] mette en fuite un chevalier [on voit leacutepeacutee tomber derriegravere lui] Et que signifie cet oiseau qui ressemble agrave un rapace percheacute sur larbre Il naura pas eacutechappeacute au cabaliste que le mot lepus puisse ecirctre rapprocheacute de lupus cest-agrave-dire le loup voilagrave deacutejagrave qui se rapproche de lArt sacreacute En quoi Nous laisserons au lecteur le soin de chercher lui-mecircme le rapport dans la section des Principes agrave propos du commentaire dE Canseliet sur le jardin de la villa Palombara agrave Rome [Deux Logis Alchimiques Pauvert 1978] Cest dune fuite quil est question ici cest-agrave-dire dune dissolution ou dune volatilisation or un mot suffit agrave lier ces deux opeacuterations sublimation Notez que Fulcanelli reviendra sur cette laquo gueule de

loup raquo lors de lexamen de la chemineacutee alchimique du chacircteau de Fontenay-Le-Comte

FIGURE XXXI lespeacuterance ( lEvolution - Couleurs et

Reacutegimes du Grand œuvre)

Cest une allusion agrave lun des deux aspects que prend la planegravete Veacutenus lors du creacutepuscule vespeacuteral ougrave les Anciens la nommaient Hesperus Elle signale agrave lArtiste que lœuvre progresse bien et que la Grande Coction

est deacutejagrave bien entameacutee lEspeacuterance [Spes] On sait que ce fut le seul don des dieux qui ne seacutechappa point de la boicircte de Pandore le seul qui fut fixe Aussi les alchimistes lui ont-ils consacreacutes une maxime laquo Spes mea in agno raquo qui fait partie du titre de la Philosophie Naturelle Restitueacutee de Jean dEspagnet [il sagit de lanagramme de son nom] dont on ne dira jamais assez toute limportance tant au plan de la science hermeacutetique quau plan de lhistoire puisque Philalegravethe lui doit beaucoup [cf Oeuvre Secret dHermegraves] On voit ainsi que lEspeacuterance est en fait un

clin dœil agrave lagneau ou si lon preacutefegravere au Beacutelier Il sagit de la planche X du Mystegravere Avec ces remarques du maicirctre

laquo LEvolution succegravede et montre loriflamme aux trois pennons tripliciteacute des Couleurs de lŒuvre que

lon retrouve deacutecrites dans tous les ouvrages classiques raquo [Myst p 107]

Fulcanelli seacutetend ensuite sur 7 pages dans la description et linterpreacutetation des couleurs Il suffira de donner cet extrait qui montre comment relier lhermeacutetisme et lhistoire la plus reculeacutee du genre humain

laquo En Chaldeacutee les Ziguras qui furent ordinairement des tours agrave trois eacutetages et agrave la cateacutegorie desquelles appartenait la fameuse Tour de Babel sont revecirctues de trois couleurs noir blanche et

rouge-pourpre raquo [Myst p 111]

Les couleurs de lœuvre sont lune des eacutenigmes les plus eacutepuisantes dans la quecircte que limpeacutetrant aura agrave mener dans son parcours hermeacutetique Mais enfin il est possible dy voir des correspondances

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relativement simples Ainsi peut-on poser que le noir est la couleur de la TERRE cest-agrave-dire de la cendre notamment celle des meacutetaux et celle de lalkali fixe Cest pourquoi la premiegravere couleur qui se

reacutevegravele agrave lArtiste au deacutebut de lœuvre est celle de la putreacutefaction [mais bien sucircr il ne sagit pas du

deacutebut cest-agrave-dire de la reconnaissance des matiegraveres premiegraveres mais bien du deacutebut de la Grande

Coction au 3egraveme

œuvre] Vient ensuite le blanc cest par tradition la couleur de ce qui est pur il

sagit donc dune couleur qui apparaicirct - en esprit - apregraves quun certain travail aura eacuteteacute meneacute agrave bien avec nos cendres mineacuterales et meacutetalliques Cette couleur blanche est celle de lAIR et indique que les subtances sont dans un eacutetat sublimeacute [ce qui ne veut pas dire aeacuterien] Enfin le rouge-rubis cest la couleur de la conseacutecration de la royauteacute celle par laquelle lArtiste parvient agrave lAdeptat

FIGURE XXXII le deacutesespoir

La logique - qui nest nullement incompatible avec la cabale hermeacutetique bien tempeacutereacutee - voudrait que lon voit dans ce bas-relief le premier eacutetat de la planegravete Veacutenus au creacutepuscule du matin Lucifer Du coup nous voici au deacutebut de lœuvre [nous voulons parler bien sucircr du 3

egraveme œuvre cest-agrave-dire de la Grande Coction]

et en une eacutepoque ougrave la matiegravere prend cet aspect visqueux particulier qui nous a valu les Ripleys Scrowles ou le FOU du

tarot absence de raison emportement Ce bas-relief est eacutevidemment congeacutenegravere de celui consacreacute agrave la FOLIE Voilagrave une indication sur le premier eacutetat du Mercure Observez le double caractegravere de ce premier Mercure il est agrave la fois incontrocircleacute et

indolent [] Cest-agrave-dire quil est mou au lieu que le Mercure animeacute doit ecirctre en forme deau mineacuterale et au vrai fluide comme de leau agrave linstar dun bon

fondant Cest-agrave-dire quil est amorphe le but de la Grande coction eacutetant den faire apparaicirctre []

le eacutetoileacute et cristallin Cette figure na pas eacuteteacute interpreacuteteacutee par Fulcanelli

FIGURE XXXIII - lhumiliteacute ( le Corbeau - Putreacutefaction)

La Patience est lrsquoeacutechelle des Philosophes et lrsquoHumiliteacute est la porte de leur Jardin [ paroles rapporteacutees dans les Douze Clefs de Basile Valentin cest lune des phrases les plus empruntes de poeacutesie de la litteacuterature alchimique ] Le bas-relief montre un corbeau Sait-on que lameacutethyste - que les Evecircques portent - est le symbole de lhumiliteacute parce quelle est de la couleur de la violette Revoyez ce que nous avons dit plus haut au sujet du laquo fragment dattribut raquo Compleacutetez par tous les passages ougrave nous parlons de la violette de la rouille et de la grenade la transition du corbeau au coq naura plus de secret pour vous et de plus vous comprendrez en quoi la noix de galle associeacutee au checircne se rapproche de cet objet curieux quexaminait Fulcanelli en nous disant que de forme lenticulaire il est blanc sur une face noire sur lautre et violet dans sa cassure Voilagrave nommeacute le Soufre rouge

ou teinture de la Pierre Mais il sagit lagrave dun raccourci trop rapide Revenons agrave ce que nous dit Fulcanelli sur ce corbeau qui orne la planche VI du Mystegravere

laquo Selon Le Breton il y a quatre putreacutefactions dans lŒuvre philosophique La premiegravere dans la premiegravere seacuteparation la seconde dans la premiegravere conjonction la troisiegraveme dans la seconde conjonction qui se fait de leau peusante avec son sel la quatriegraveme enfin dans la fixation du

soulphre Dans chacune de ces putreacutefactions la noirceur arrive raquo [Myst p 101]

Nous avons deacutejagrave plusieurs fois citeacute Le Breton qui semble un auteur important On voit que la premiegravere putreacutefaction correspond agrave la preacuteparation de lArcanum duplicatum la terre noire tombe au fond de la cornue cependant que laqua sicca se sublime dans le reacutecipient elle se situe donc au 2

egraveme œuvre [ougrave

la voie humide est exclusive] La seconde survient au tout deacutebut du 3egraveme

œuvre et repreacutesente la noirceur laquo classique raquo celle que deacutecrivent tous les traiteacutes La troisiegraveme pose davantage de problegraveme laquo qui se fait de leau pesante avec son sel raquo Limage qui nous vient immeacutediatement agrave lesprit cest Latone accouchant agrave Deacutelos dArteacutemis dune certaine faccedilon il sagit bien dune seacuteparation qui procegravede dune parturition Encore est-elle incomplegravete elle sera acheveacutee par la quatriegraveme putreacutefaction qui consiste en la fixation du Soufre au Sel Latone accouche dApollon et Arteacutemis lui sert de paregravedre On

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devine que la laquo noirceur raquo est purement une image eideacutetique De combien de souffleurs a-t-elle donc abuseacute A tout cela nous ajouterons que larcane repreacutesenteacute dans leacutecu que nous preacutesente lHumiliteacute garde une partie de son mystegravere en effet nous avons vu que Villard de Hennecourt [XIIIe siegravecle] y voyait une colombe et Fulcanelli un corbeauComment arriver agrave concilier les deux visions lune laquo positive raquo eacutemanant dun maicirctre imagier lautre laquo speacuteculative raquo eacutemanant dun maicirctre hermeacutetiste Voici ce quon peut en dire le voyage des Argonautes est tregraves lieacute on le sait aux mystegraveres orphiques et agrave lalchimie ce nest certes pas une leacutegende alchimique mais les hermeacutetistes Dom Pernety y a beaucoup travailleacute dans ses Fables Egyptiennes et Grecques ont su y deacuteceler des intentions en direction de lArt sacreacute Dans cette leacutegende on sait quagrave un moment Eurysteacutee au passage des roches cyaneacutees ou Symplegades va deacuteclencher louverture du barrage formeacute par ces roches gracircce au lacher de deux colombes notez que cette scegravene intervient agrave la sortie du Pont-Euxin [la Mer Noire] le deacutecors est poseacute le Pont-Euxin nest autre que le symbole de la dissolution des matiegraveres et le lacirccher de colombes la sortie de cette phase Si lon en revient agrave lalchimie on sait que lhieacuteroglyphe du corbeau deacutefinit la phase de putreacutefaction la noirceur cette laquo noirceur raquo est le fait de laction du dissolvant des Sages Mais sur quoi Il ne saurait sagir dune laquo auto-dissolution raquo qui naurait aucun sensPhilalegravethe exceptionnellement va venir agrave notre secours il nous indique en effet [Introiumltus VI] que deux colombes que lon a trouveacutees dans la foret de la vierge Diane suffisent agrave calmer lacrimonie et la ponticiteacute du dissolvant et il ne peut faire de doute que ces deux colombes ne sont autres que les deux Soufres Soufre rouge ou teinture de la Pierre Soufre blanc cest-agrave-dire son Corps

FIGURE XXXIV - lorgueil ( la Cohobation)

Ce bas-relief est ceacutelegravebre pour ceux qui sinteacuteressent agrave lalchimie car Fulcanelli le deacutecrit comme repreacutesentant lun des plus grands mystegraveres de lœuvre la cohobation Cest peut-ecirctre Tripied dans son Vitriol Philosophique qui sest le plus approcheacute de la solution du problegraveme mais alors il faut voir cette opeacuteration au 1

er œuvre cest-agrave-dire lors de la phase de preacuteparation

des matiegraveres chapitre sur lequel les alchimistes sont presque tous muets

laquo un cavalier deacutesarccedilonneacute se cramponnant agrave la criniegravere dun cheval fougueux Cette alleacutegorie a trait agrave lextraction des parties fixes centrales et pures par les volatiles ou

eacutetheacutereacutees dans la dissolution philosophique raquo

Voilagrave ce que nous en dit Fulcanelli p 123 du Mystegravere des Catheacutedrales Il peut sagir aussi dopeacuterations agrave type

de convectionSi nous devions rapprocher ce bas-relief dune leacutegende mythologique cest au char de Phaeacuteton que nous penserions immeacutediatement Voyez cette fable dans notre humide radical meacutetallique Formant la planche XVIII du Mystegravere larcane ne se laisse pas facilement domestiquer agrave linstar du cheval fougueux qui manque de faire choir son cavalier Nous devons renoncer agrave limage dune cohobation classique en cornue pour ne plus penser quau principe de cette opeacuteration la concentration dune substance Cest ce quenseigne le maicirctre

laquo Labsorption du fixe par le volatil seffectue lentement et avec peine Pour y reacuteussir il faut employer beaucoup de patience et de perseacuteveacuterance et reacuteiteacuterer souvent laffusion de leau sur la terre de lesprit

sur le corps raquo [Myst p 123]

Mesure-t-on le degreacute de cabale de ces quelques lignes La patience - si lon sen tient agrave la terminologie de Fulcanelli - correspond agrave la figure XXI cest le Soufre philosophique [ou planche XVII du Mystegravere] Quant agrave la perseacuteveacuterance selon le mecircme principe cest la figure XXIII ou lAthanor et la Pierre [planche XII du Mystegravere] Et nous avons vu que cette derniegravere figure eacutetait rigoureusement superposable au char de Cybegravele qui tient sa pierre noire et est flanqueacutee dAtalante et dHippomeacutenegraves [cf Atalanta fugiens] Nous tenons lagrave les eacuteleacutements du vase de nature et la cohobation correspond agrave la peacuteriode dinstabiliteacute dont nous avons deacutejagrave parleacute ougrave la cristalisation de la matiegravere commence dopeacuterer Quant agrave la peine elle peut par cabale phoneacutetique renvoyer agrave la teinture de la Pierre cest-agrave-dire au Soufre rouge en effet la peine se dit en latin poena [peine tourment souffrance] mais la peine a une autre acception distiller [sudo] elle renvoie ausi agrave aerugo [cupiditeacute qui ronge le coeur rouille de cuivre et par aerumna agrave peines misegravere eacutepreuve]

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FIGURE XXXV lobeacuteissance - Conjonction du Soufre et

du Mercure)

Fulcanelli eacutevoque - agrave la planche XIII du Mystegravere - le griffon incarnation si lon peut dire des Harpyes la leacutegende leur donna lapparence de monstres eacutepouvantables Leur corps de vautour leur bec et leurs ongles crochus lodeur infecte qui les accompagne sont autant de repreacutesentations de monstres impossibles agrave rassasier

laquo Le monstre mythologique dont la tecircte et la poitrine sont celles de laigle et qui emprunte au lion le reste du corps initie linvestigateur aux qualiteacutes contraires quil faut neacutecessairement assembler dans la matiegravere philosophale

raquo

Sur lart et la maniegravere de reacutealiser cette eacutetrange parturition voyez notre commentaire de lAtalanta fugiens Quoi quil en soit le griffon par lintermeacutediaire de ces pattes arriegravere

contracte eacutegalement des rapports avec le dragon Notez aussi que tant le lion que le coq ou le heacuteron

ainsi que le griffon expriment la vigilance Quant agrave la griffe elle peut renvoyer agrave lonyx pierre preacutecieuse ou agrave un coquillage roseacute [meacuterelle et soufre par cabale] Les Grecs en faisaient le gardien de treacutesors [toute la mythologie a employeacute ce symbolisme Wagner dans Siegfried emploie un dragon Fafner qui garde lor des Nibelungen et lanneau magique dAlberich] et la monture dApollon Autrement dit nous devons voir dans ce griffon leacutequivalent strict de Latone Aussi bien sommes-nous daccord avec Fulcanelli lorsquil eacutecrit

laquo Nous trouvons en cette image lhieacuteroglyphe de la premiegravere conjonction laquelle ne sopegravere que peu agrave peu au fur et agrave mesure de ce labeur peacutenible et fastidieux que les Philosophes ont appeleacute leurs

aigles raquo [Myst p 115]

On sest beaucoup pencheacute sur cette eacutenigme des Aigles de Philalegravethe en particulier dans la section Matiegravere Cette premiegravere conjonction en accord avec les vues de Le Breton correspond donc agrave la noirceur traditionnelle On comprend en quoi lObeacuteissance est de concert avec ce griffon auquel dailleurs Fulcanelli aurait pu donner son nom plus commun dAirain

FIGURE XXXVI - la deacutesobeacuteissance

Ce bas-relief na pas eacuteteacute examineacute par Fulcanelli mais on peut en deviner la raison quand on voit les ravages que sept siegravecles de rafale ont imposeacute sur cette partie du grand portail de Notre-Dame

Doit-on voir dans le personnage de droite le deacutepart de lenfant prodigue Il faudrait donc voir le pegravere agrave gauche Le sens hermeacutetique du meacutedaillon serait alors superposable aux gravures du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck on peut voir dans lune le Fils seacuteloigner du Pegravere accompagneacute au sommet dune montagne par le conducteur et dans lautre le Fils redescendu dans le Palais du Roi son Pegravere et pregraves agrave ecirctre deacutevoreacute par lui Cest une parabole sur le Mercure la sublimation du Soufre et la reacuteincrudation

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FIGURE XXXVII 23)- la douceur ( lunion du Fixe et du

Volatil)

Aussi bizarre que cela puisse paraicirctre Fulcanelli voit un laquo coq - renard raquo dans le meacutedaillon de la douceur [planche XVI du Mystegravere] Cest une chimegravere dans les deux sens du terme Voici comment lAdepte voit cette figure

laquo Cest ce superbe manteau avec le Sel des Astres dit [Basile] qui suit ce soulfre ceacuteleste gardeacute soigneusement de peur quil ne se gaste et les faict voller comme un oyseau tant quil sera besoin et le coq mangera le renard et se noyera et estouffera dans leau puis reprenant vie par le feu sera (afin de jouer chacun leur tour) deacutevoreacute par

le renard raquo [Myst p 122]

Fulcanelli donne une citation se rapportant agrave la Clef III des Douze clefs de Basile LAdepte attire lattention sur la

devise favorite des alchimistes laquo Solve et Coagula raquo qui exprime entiegraverement le moyen et le but de lœuvre Cest cette extraction du Soufre rouge que lAdepte compare agrave ce monstre hybride tenant agrave la fois du coq et du renard Notez que lalleacutegorie sera mieux conccedilue et analyseacutee lorsque Fulcanelli examinera le portail central de la catheacutedrale dAmiens [Mystegravere planche XXV]

FIGURE XXXVIII 24)- la dureteacute ( la Reine terrasse le

Mercure Servus Fugitivus)

La dureteacute se situe agrave la planche XXI de louvrage de Fulcanelli Cest lune des figures les plus eacutenigmatiques des Vices et des Vertus Le commentaire quen donne lAdepte est particuliegraverement subtil il eacutevoque la voie du laquo mercure commun raquo pris comme laquo vif-argent vulgaire raquo

laquo Une reine assise sur un trocircne renverse dun coup de pied le valet qui une coupe agrave la main vient lui offrir ses

services raquo [Myst p 126-127]

On ne pourra comprendre lalleacutegorie si lon na pas lu la Clavicule de Ramon Lull Car Fulcanelli joue ici sur une cabale spirituelle entre les expressions mercure vulgaire et mercure commun autrement dit il veut parler ici du premier

Mercure encore appeleacute Mercure des philosophes diffeacuterent du Mercure philosophique Degraves lors tout ce quil dit du laquo vif-argent vulgaire raquo doit ecirctre pris dans un sens charitable Cest agrave cette occasion quil cite un opuscule tregraves rare de Sabine Stuart de Chevalier Discours philosophique sur les Trois Principes ou la clef du Sanctuaire philosophique [Paris Quillau 1781] Et quil complegravete lextrait quil en donne par ce commentaire

laquo Le servus fugitivus dont nous avons besoin est une eau mineacuterale et meacutetallique solide cassante ayant laspect dune pierre et de liqueacutefaction tregraves aiseacutee Cest cette eau coaguleacutee sous forme de

masse pierreuse qui est lAlkaest et le Disssolvant universel [] raquo [Myst p 127]

Le lecteur trouvera dans les sections du Mercure de lArcanum duplicatum dans lhumide radical meacutetallique et dans la reacuteincrudation de quoi faire le tour du problegraveme

Nous avons termineacute leacutetude des meacutedaillons les plus importants de Notre-Dame de Paris en revisitant ce livre tant extraordinaire plein de poeacutesie et deacuterudition de lun des plus ceacutelegravebres alchimistes du XX

e

siegravecle Fulcanelli Dautres meacutedaillons appartenant agrave dautres demeures philosophales attendent decirctre deacutepoussieacutereacutes et revisiteacutes agrave leur tour Cette section eacutetant deacutejagrave deacutemesureacutee nous reacuteserverons donc peut-ecirctre un jour une section speacuteciale qui sattachera agrave leacutetude des derniers tableaux lapidaires de Notre-Dame de Paris qui est loin davoir livreacute tous ses secrets et agrave leacutetude de ceux de la catheacutedrale dAmiens suivant en cela le plan du Mystegravere des Catheacutedrales

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LART RELIGIEUX DU XIIIe SIEgraveCLE EN FRANCE ETUDE SUR LICONOGRAPHIE DU MOYEN

AGE ET SUR SES SOURCES DINSPIRATION par Emile Macircle Paris Armand Colin in-4deg 468 p et fig

FIGURE XXXIX

(portail de Notre-Dame Bourges - deacutetail clicheacute Alain Mauranne)

Il nest jamais trop tard pour rendre compte dun bon livre surtout quand une seconde eacutedition

en consacre toute la valeur M Macircle qui avait fait paraicirctre la premiegravere eacutedition de son

excellent ouvrage en 1808 sest attacheacute agrave le perfectionner en y ajoutant de nouvelles

remarques iconographiques mais il est regrettable que son eacutediteur ne se soit pas imposeacute les

sacrifices neacutecessaires pour lillustration quil eacutetait facile de puiser dans la preacutecieuse collection

de M Martin-Sabon Comme le sous-titre lindique beaucoup mieux que le titre le livre de M

Macircle est une eacutetude densemble sur liconographie des portails et des vitraux de nos grandes

catheacutedrales gothiques Il a donc eu raison de deacutebuter par lexposeacute des caractegraveres de

liconographie du moyen acircge et de la meacutethode agrave suivre pour linterpreacuteter On eacutetait trop porteacute agrave

chercher dans la Leacutegende doreacutee lunique explication dune foule de scegravenes sculpteacutees ou peintes

parles artistes M Macircle qui a mis en relief la valeur de la grande encyclopeacutedie de Vincent de

Beauvais connue sous le nom de Speculum majus et qui lui a emprunteacute les grandes divisions

de son ouvrage restitue agrave Martianus Capella grammairien du Ve siegravecle et agrave Honorius eacutevecircque

dAutun au XIIe siegravecle auteur du Speculum ecclesiae et de lElucidarium la place qui leur

revient dans les sources de linspiration iconographique Les premiers chapitres sont consacreacutes

agrave leacutetude des animaux symboliques des bestiaires des calendriers des sept arts libeacuteraux des

vertus et des vices Lauteur qui seacutelegraveve avec raison contre lexageacuteration du symbolisme

eacutetudie parallegravelement les sources et les repreacutesentations figureacutees en comparant les unes aux

autres les sculptures des grandes eacuteglises gothiques Si les artistes du moyen acircge avaient une

grande liberteacute dinterpreacutetation leurs œuvres deacuterivent cependant de la mecircme inspiration

Dailleurs linfluence du clergeacute sur le programme imposeacute aux sculpteurs et aux peintres

verriers les obligeait agrave rester fidegraveles aux traditions conserveacutees dans les ateliers

Linterpreacutetation symbolique de la Bible et ses origines a fourni agrave M Macircle loccasion

dexpliquer beaucoup de scegravenes peintes sur les vitraux de Bourges de Chartres et du Mans et

de donner la clef des scegravenes sculpteacutees dans les voussures du portail nord de la faccedilade de

Notre-Dame de Laon ougrave le sculpteur sest inspireacute dun sermon dHonorius Les figures et les

attributs des patriarches des prophegravetes et des rois de Juda que lauteur identifie avec les

personnages des galeries de Notre-Dame de Paris dAmiens de Reims et de Chartres sont

eacutetudieacutes avec le plus grand soin ainsi que les scegravenes de la vie du Christ et les paraboles

Abordant ensuite les traditions leacutegendaires sur lancien et le nouveau Testament et sur la

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Vierge qui ont leur source dans les Evangiles apocryphes lauteur commente lhistoire de

Theacuteophile et montre linfluence exerceacutee dans les ateliers par la Vitu Christi de Ludovic le

Chartreux et le De gloria martyrum de Greacutegoire de Tours ce qui lui permet dexpliquer les

scegravenes de plusieurs vitraux de la catheacutedrale du Mans Les caracteacuteristiques des saillis et la

Leacutegende doreacutee linfluence des pegravelerinages sur la populariteacute des saints linfluence des

donateurs et des corporations meacuteritaient un chapitre speacutecial ougrave M Macircle a fait dingeacutenieuses

observations sur linterpreacutetation artistique de lœuvre ceacutelegravebre de Jacques de Voragine Les

artistes du moyen acircge avaient un meacutediocre souci des grands hommes de lantiquiteacute mais ils

ont repreacutesenteacute parfois la belle Campaspe agrave cheval sur Aristote et Virgile dans la corbeille M

Macircle prouve que la seule sibylle reproduite au XIIIe siegravecle fut la sibylle Erythreacutee parce que

saint Augustin lui attribuait les fameux vers acrostiches sur le jugement dernier Il montre

ensuite les erreurs commises par Montfaucon et dautres archeacuteologues qui ont cru reconnaicirctre

des rois de France dans des statues qui repreacutesentent en reacutealiteacute des personnages bibliques ete

siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque nationale sur linspiration des artistes du moyen acircge qui

ont copieacute la bote agrave sept tecirctes la femme nimbeacutee deacutetoiles qui remet son enfant agrave un ange

lapparition divine qui porte une eacutepeacutee dans sa bouche Enfin dans une conclusion dont la

forme litteacuteraire est un veacuteritable modegravele il a montreacute la physionomie de nos grandes catheacutedrales

en prouvant que les artistes eacutetaient les interpregravetes dociles du clergeacute qui reacuteglait lordonnance

des sujets Cette theacuteorie est absolument conforme agrave la veacuteriteacute comme notre confregravere M Mortel

la prouveacute avec documents agrave lappui dans un article du Bulletin Monumental de 1902 De

mecircme M Macircle rectifie encore une fois la theacuteorie de Viollet-le-Duc sur lesprit de reacutevolte des

artistes laiumlques du XIIIe siegravecle contre lart theacuteocratique de leacutepoque romane et il ajoute de

nouveaux arguments agrave la savante reacutefutation de notre confregravere M Anthyme Saint-Paul Il

deacutefinit la catheacutedrale une œuvre de foi et damour et il deacutecouvre dans Notre-Dame de Chartres

la penseacutee mecircme du moyen acircge devenue visible On ne saurait mieux dire Eacutecrit dans un style

eacuteleacutegant et preacutecis louvrage de M Macircle sera le veacuteritable vade-mecum des archeacuteologues qui

veulent eacutetudier liconographie du XIIIe siegravecle en comprendre les sujets et en retrouver les

sources dans les monuments eacutecrits de la litteacuterature dans les livres saints dans les leacutegendaires

mais la grande valeur du texte forme un contraste trop frappant avec la rareteacute des illustrations

qui auraient ducirc ecirctre plus nombreuses et plus soigneacutees Il est impossible dexpliquer

liconographie du moyen acircge avec 127 figures mais chacun sait que les eacutediteurs nont pas sur

ce point les mecircmes ideacutees que les archeacuteologues E LEFEVRE-PONTALlS

LART RELIGIEUX DU XIIe SIECLE EN FRANCE ETUDE SUR LES ORIGINES DE

LICONOGRAPHIE DU MOYEN AGE par Emile Macircle mdash Paris A Colin 1922 in 4deg IV-

459 p et 253 fig

Quand on cherche a se rendre compte des difficulteacutes que dut aborder M Macircle pour reacutesoudre les nombreux problegravemes qui se preacutesentent dans son livre on a limpression que ses deux premiers ouvrages sur le XIII

e siegravecle et sur la fin du moyen acircge eacutetaient tacircche facile agrave cocircteacute de celui-lagrave Cest

quici M Macircle a ducirc rechercher les sources lointaines auxquelles ont puiseacute nos artistes romans qui voulaient deacutecorer leurs eacuteglises de scegravenes religieuses Avec ce don de la clarteacute qursquoil possegravede au plus haut point il a mis en bonne lumiegravere celte question des origines de notre art roman Selon lui lantiquiteacute classique lart gallo romain lart des catacombes de la Rome chreacutetienne nont eu quune action tregraves restreinte sur lart chreacutetien de notre pays au XII

e siegravecle et il confirme dune maniegravere

deacutefinitive lopinion des archeacuteologues de notre temps suivant laquelle cest agrave lOrient chreacutetien que les artistes romans allegraverent demander presque tous leurs modegraveles Mais dans lart quon appelle oriental dun terme trop geacuteneacuteral il distingue avec beaucoup de finesse lart chreacutetien des villes grecques dOrient deacutesigne souvent par un abus de langage sous le nom dart helleacutenistique et lart chreacutetien syrien Ainsi lon trouve en mecircme temps lempreinte dune part des eacuteglises dAlexandrie dAntioche et dEphegravese dautre part celle de lart des eacuteglises de Jeacuterusalem et des eacuteglises de Syrie de Palestine et de Meacutesopotamie auquel M Macircle rattache les œuvres des monastegraveres coptes dEgypte et celles des eacuteglises de Cappadoce Cest donc dun art chreacutetien tregraves ancien des IV

e V

e et VI

e siegravecles que nos

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artistes firent des emprunts il en reacutesulte que la place consideacuterable que lon faisait jusquici agrave lart byzantin agrave lart de Constantinople des IX

e X

e et XI

e siegravecles eacutetait beaucoup trop importante Certes

nos artistes puisegraverent agrave cette source mais moins freacutequemment quon ne la cru Avant leacuteclosion de lart byzantin la Gaule meacuterovingienne et carolingienne avait deacutejagrave reccedilu de lOrient des manuscrits

enlumineacutes et cest lagrave que les artistes avaient chercheacute des inspirations leurs successeurs jusquau XIIe

siegravecle veacutecurent de ce vieux fonds Nous ne pourrons analyser tous les chapitres de louvrage de M Macircle dans lequel on retrouve cette langue harmonieuse sobre et preacutecise ougrave lon devine une note deacutemotion mecircleacutee parfois denthousiasme qui rend si captivante la lecture de ses livres Ceux qui suivent avec inteacuterecirct tout ce quil publie connaissaient deacutejagrave certaines des ideacutees eacutemises dans ce volume par plusieurs articles parus ces derniegraveres anneacutees dans la Revue de Paris la Revue de lart ancien et moderne et la Gazette des Beaux-Arts Lauteur apregraves avoir fait connaicirctre tout ce que lart meacutedieacuteval de nos pays devait agrave lart chreacutetien dOrient eacutetudie quelle part doriginaliteacute nos artistes romans ont pu apporter dans leurs compositions quelles inspirations leur sont venues quels sentiments les ont guideacutes pour leur faire creacuteer des œuvres nouvelles dont tantocirct la puissance et la graviteacute tantocirct la deacutelicatesse et la gracircce provoquent encore notre eacutetonnement et notre admiration Il nous montre successivement comment liconographie sest enrichie par la liturgie et par les drames liturgiques par les textes theacuteologiques par linfluence dhommes tels que Suger qui joignant leacuterudition au goucirct des arts fit pour orner magnifiquement sa basilique de Saint-Denis venir de tous les pays des artistes reacuteputeacutes deacutecida lui-mecircme quelles scegravenes alleacutegoriques seraient repreacutesenteacutees et composa les distiques destineacutes agrave expliquer ces scegravenes Ainsi cest apregraves Suger apregraves lexeacutecution des œuvres merveilleuses de Saint-Denis quun symbolisme savant se reacutepandit dans liconographie symbolisme dont les grands ateliers du nord de la Loire tels que Chartres et Le Mans firent leur profit Dans la suite ces ateliers exercegraverent sur dautres reacutegions notamment sur le midi de la France leur influence dont la trace persistera pendant tout le XIII

e siegravecle Le culte des saints contribua aussi agrave lenrichissement de

liconographie dont on constate que la varieacuteteacute saccroicirct davantage agrave mesure quon avance dans le XIIe siegravecle chaque province ayant ses deacutevotions particuliegraveres les artistes repreacutesentaient plus volontiers dans telle reacutegion les scegravenes de la vie des saints qui y eacutetaient plus speacutecialement veacuteneacutereacutes Les pegravelerinages les grandes routes de Rome de Compostelle et de Terre-Sainte amenegraverent de nombreux eacutechanges dinfluences artistiques entre des reacutegions tregraves eacuteloigneacutees tant en ce qui concerne larchitecture que les arts mineurs Enfin les Ordres monastiques Cluny surtout eurent une part consideacuterable dans le deacuteveloppement et lexpansion des arts Nous avons dit rapidement comment M Macircle avait reacutesolu le problegraveme des origines de liconographie a leacutepoque romane et comment il avait montreacute limportance de lapport personnel de nos artistes dans lenrichissement de cette iconographie M Macircle a encore abordeacute deux questions qui sont intimement lieacutees ensemble Lune delles consiste agrave rechercher dans quelle province de notre pays seacutelabora la renaissance de la sculpture romane et dans quelles reacutegions dans la suite elle se deacuteveloppa progressivement Lautre question a pour objet deacutetablir comment les sculpteurs de la fin du XI

e siegravecle retrouvegraverent un art disparu depuis plus de

quatre siegravecles dont la technique avait eacuteteacute complegravetement oublieacutee dans nos pays et quels furent les modegraveles dont ils sinspiregraverent Pour M Macircle la reacuteponse au premier problegraveme est la suivante cest agrave Toulouse et agrave Moissac quest reacuteapparu lart de la sculpture dans la pierre Une inscription nous apprend que le cloicirctre de Moissac fut construit en lan 1100 du temps de labbeacute Anquetil dans ce cloicirctre se trouvent de nombreux chapiteaux et certains de ses piliers sont deacutecoreacutes de grands panneaux au nombre de dix dont chacun est orneacute dun personnage en bas relief Une chronique de la fin du XIV

e siegravecle nous dit que le magnifique portail dont le tympan contient les figures du Christ en

majesteacute et des vingt quatre vieillards de lApocalypse fut eacuterigeacute par le mecircme abbeacute qui mourut en 1115 Ce tympan que lon voulait jusquici dater dune eacutepoque plus avanceacutee du XII

e siegravecle est le plus ancien

monument de sculpture monumentale que nous posseacutedions Le portail de Beaulieu (Corregraveze) a de grands traits de ressemblance avec celui de Moissac dont il fut inspireacute sans aucun doute Suger raconte lui-mecircme quil fit venir de tregraves loin pour la deacutecoration de sa basilique des artistes nombreux Voumlge avait eacutemis lopinion que parmi ces artistes se trouvaient des sculpteurs du Languedoc Une deacutecouverte de M Macircle vient fortifier cette hypothegravese Le tympan de Saint-Denis moins restaureacute quon ne la cru est orneacute dune scegravene du Jugement dernier qui preacutesente une ressemblance frappante avec le Jugement dernier du tympan de Beaulieu Ainsi trois phases se preacutecisent dans leacutevolution de la statuaire pendant la premiegravere moitieacute du XII

e siegravecle Toulouse et Moissac avant 1115 puis Beaulieu

puis Saint-Denis vers 1135 Suivant M Macircle lœuvre de Saint-Denis eut un retentissement consideacuterable Suger venait de creacuteer cette merveille que fut le portail gothique avec son tympan deacutecoreacute dune grande scegravene bien ordonneacutee ses voussures chargeacutees de personnages faisant cortegravege agrave cette scegravene ses pieacutedroits et ses colonnes ougrave sadossaient des statues qui semblaient accueillir le visiteur precirct a peacuteneacutetrer dans leacuteglise Le type eacutetait fixeacute deacutefinitivement et pendant longtemps on ne seacuteloigna guegravere de ce modegravele Les artistes dIle de France limitegraverent a lenvie puis ceux de reacutegions plus

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eacuteloigneacutees Le Comte de Lasteyrie dans un brillant exposeacute sur leacutevolution de la sculpture romane avait agrave grands traits dessineacute la courbe de cette eacutevolution qui partant du sud-ouest montait vers lIle-de-Franccedile et redescendait vers la Provence M Macircle na pas modifieacute ce traceacute il en a au contraire confirmeacute lexactitude en donnant des preacutecisions nouvelles en montrant les principales eacutetapes suivies par les artistes languedociens en exposant comment un nouveau centre dinfluence seacutetait formeacute ensuite dans le nord gracircce au merveilleux monument eacuteleveacute par Suger En suivant lexposeacute de M Macircle ses deacutemonstrations qui paraissent si satisfaisantes pour lesprit on a limpression que tout seacuteclaire que tout se simplifie et que les deacuteductions senchaicircnent agrave merveille Mais agrave la reacuteflexion on se demande si les arguments preacutesenteacutes sont aussi probants que le pense lauteur sil napporte pas quelquefois dune maniegravere trop absolue des affirmations dans des questions ougrave les teacutemoignages sont si rares ougrave tant de monuments font deacutefaut qui seraient indispensables pour emporter la conviction Toutefois il nous paraicirct que la thegravese si seacuteduisante de M Macircle doit ecirctre retenue dans ses grandes lignes Nous ne ferons que deux observations qui nont dailleurs nullement pour but dinfirmer lensemble de sa theacuteorie Tout dabord nous ne croyons pas que le portail de Moissac appartienne agrave la date que M Macircle lui assigne Dans un meacutemoire eacutecrit avant la publication du livre de M Macircle et qui doit paraicirctre dans le Bulletin archeacuteologique nous exposions les raisons qui nous faisaient consideacuterer que les grands bas-reliefs du cloicirctre et sans doute une partie de ses chapiteaux dataient de labbatiat dAnquetil (1085-1115) Linscription graveacutee en 1100 sur un des piliers atteste quon travaillait alors dans le cloicirctre Une preuve aussi formelle nexiste pas pour le portail dont les sculptures sont dailleurs dun art infiniment plus avanceacute que les bas-reliefs du cloicirctre Le seul teacutemoignage que nous posseacutedions est celui dAimery de Peyrac abbeacute de Moissac de 1377 agrave 1406 qui reacutedigea la chronique de labbaye

FIGURE XL

(portail de Moissac XIe siegravecle)

Les anciennes œuvres dart conserveacutees agrave Moissac et dans ses prieureacutes inteacuteressaient vivement labbeacute Aimery qui en parle comme en parlerait un archeacuteologue de nos jours mais avec moins de prudence et sans aucun discernement Il simprovise successivement critique dart eacutepigraphiste et philologue et il se montre aussi ignorant dans lune ou lautre de ces matiegraveres Ses observations lui font attribuer agrave telle eacutepoque tel monument en sappuyant sur les comparaisons tout agrave fait sans valeur parlant de linscription du cloicirctre graveacutee du temps de labbeacute Anquetil il nous dit quune autre inscription se trouve dans leacuteglise qui rappelle une conseacutecration faite en 1063 et trouvant les caractegraveres eacutepigraphiques semblables il suppose que labbeacute Anquetil fit aussi graver cette inscription Mais nous avons observeacute sur place que les deux inscriptions preacutesentent des diffeacuterences de caractegraveres notables et ne peuvent appartenir agrave la mecircme eacutepoque Cest une comparaison aussi deacutenueacutee de fondement qui fit attribuer par Aimery de Peyrac la deacutecoration du portail agrave labbeacute Anquetil Il avait remarqueacute que des imbrications ornaient certaines faces les piliers du cloicirctre non deacutecoreacutees de bas-reliefs et que ces imbrications se retrouvaient sur le trumeau du portail puis faisant un rapprochement entre le nom dAnsquitilius quil

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appelle Asquilinus et le mot latin squilla qui deacutesigne une espegravece de poisson il deacuteclare que cest Anquetil qui fit graver ces imbrications semblables agrave des eacutecailles de poisson pour rappeler son nom Or lon sait que ce deacutecor Histoire de lArt M Andreacute Michel qui attribue le merveilleux tympan de Moissac au successeur dAnquetil labbeacute Roger (1115-1131) dont la statue fut placeacutee en haut de ce portail sans doute pour commeacutemorer son œuvre Notre seconde observation sera la suivante Suger aurait au portail de Saint-Denis groupeacute trois eacuteleacutements essentiels dont la reacuteunion devait faire le portail gothique un tympan orneacute dune grande scegravene religieuse telle que celle du Jugement dernier dont le modegravele venait du Languedoc des voussures chargeacutees de personnages en union avec cette scegravene semblables aux sculptures dont les artistes du Poitou et de la Saintonge chargeaient les voussures de leurs portails Enfin le troisiegraveme eacuteleacutement les statues-colonnes serait une creacuteation de Suger Or rien ne prouve que les statues-colonnes de Saint-Denis datent du temps de Suger et il nest pas absolument deacutemontreacute non plus quelles aient eacuteteacute les premiegraveres agrave orner un portail Il serait surprenant quon eucirct composeacute du premier coup un ensemble de cette importance Suger qui parle des portes de bronze placeacutees agrave lentreacutee de sa basilique et des scegravenes qui y eacutetaient repreacutesenteacutees ne dit rien de ces statues du portail Il semble que sil avait entiegraverement creacuteeacute cet eacutetrange deacutecor il en aurait fait mention A notre sentiment lideacutee de placer des statues devant les colonnes dun portail de les allonger de les eacutetirer pour quelles fassent corps avec ces colonnes sans en deacutepasser leacutepaisseur est venue progressivement insensiblement Ces statues ont leur origine dans des bas-reliefs de petite dimension superposeacutes sur les montants des portails comme ceux des eacuteglises lombardes dans les figurines placeacutees les unes au-dessus des autres et graveacutees plutocirct que sculpteacutees qui ornent les colonnettes du portail des Orfegravevres agrave Saint-Jacques de Compostelle enfin dans des statuettes fixeacutees contre des colonnes comme les statuettes de Saint-Ouentin-legraves-Beauvais (Museacutee de Beauvais) Le bas-relief sest accentueacute pour devenr une statue la statuette sest allongeacutee pour avoir la taille de la colonne Une autre question poseacutee par M Macircle avait pour but deacutetablir comment les premiers sculpteurs romans avaient retrouveacute leur technique agrave quel art en honneur alors ils avaient demandeacute des modegraveles La reacuteponse de M Macircle nous paraicirct trop absolue et trop exclusive Cest selon lui la miniature qui a joueacute presque uniquement le rocircle dinitiatrice pour les premiers sculpteurs romans Il le dit dune faccedilon tregraves preacutecise

laquo La miniature a joueacute un rocircle deacutecisif Elle explique agrave la fois laspect tourmenteacute de notre sculpture naissante et le caractegravere profondeacutement traditionnel de notre iconographie raquo

Et plus loin

laquoCet art (de la statuaire) comment les artistes lont-ils retrouveacute Tel est le problegraveme quon a sans grand succegraves jusquagrave preacutesent essayeacute de reacutesoudre On a rappeleacute que le culte des reliques avait pris degraves le X

e siegravecle dans la France meacuteridionale une forme singuliegravere on les placcedilait agrave linteacuterieur dune

statue de bois revecirctue dor Lapparition de ces statues agrave la fin de lacircge carolingien est un fait inteacuteressant Mais je nen suis pas moins convaincu que ces effigies hieacuteratiques nont eu aucune influence sur la naissance du grand art monumental Car ce nest pas sous la forme de la statue que la sculpture a reparu mais sous la forme du bas-relief Il se passera bien des anneacutees avant que lon rencontre en France une image deacutetacheacutee du mur Sil en est ainsi il est clair quil ne faut pas aller demander aux statues reliquaires du plateau central le secret des origines de la sculpture Ce secret est ailleurs Je voudrais montrer ici quagrave Moissac aussi bien quen Auvergne en Bourgogne ou en Provence le bas-relief na guegravere eacuteteacute agrave lorigine quune transposition de la miniature raquo

laquo Plusieurs singulariteacutes de notre sculpture primitive les eacutetoffes colleacutees au corps les plis concentriques sur la poitrine et les genoux ne peuvent sexpliquer que par limitation de la miniature qui a donneacute agrave la sculpture du XIIe siegravecle quelque chose de tourmenteacute de calligraphique La miniature ne fut pourtant pas le modegravele unique Nous verrons que les dessins des eacutetoffes persanes byzantines arabes furent eacutegalement imiteacutes Nous devinons dautres modegraveles encore Il se peut que les ivoires qui donnaient le relief aient eacuteteacute parfois consulteacutes Il semble dautre part que les petits bas-reliefs tailleacutes agrave plat sur les dalles encastreacutees dans les murs perpeacutetuent une ancienne tradition Tous ces modegraveles nen doivent pas moins rester au second plan pour nos sculpteurs la vraie source dinspiration fut la miniature raquo

Si les sculpteurs cherchaient dans les manuscrits le secret de la forme humaine il est bien eacutevident quils leur empruntaient aussi les types sacreacutes et les dispositions des scegravenes religieuses Ainsi selon M Macircle cest presque exclusivement dans les miniatures tant pour les scegravenes agrave repreacutesenter que pour lexeacutecution mecircme des figures dans la pierre que les sculpteurs romans cherchegraverent des modegraveles Nous ne partageons pas cette opinion les sculpteurs romans firent dans des proportions tregraves diffeacuterentes il est vrai des emprunts agrave tous les arts IIs sinspiregraverent non seulement des manuscrits et

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des tissus orientaux comme M Macircle la tregraves bien observeacute mais aussi des peintures murales et des mosaiumlques Quelques-uns mecircme copiegraverent des bijoux barbares telle cette pierre de Glanfeuil orneacutee dun oiseau ou ce chapiteau de la crypte de Saint-Beacutenigne de Dijon ougrave lon voit un perroquet semblable agrave ceux des fibules meacuterovingiennes telles ces tecirctes de taureau freacutequentes dans les modillons normands et qui rappellent aussi certaines fibules Ils imitegraverent assureacutement des modegraveles gallo romains et en particulier des sarcophages Les sculptures du tombeau du XI

e siegravecle de

saint Agilbert agrave Jouarre celles de la table dautel de Saint Sernin de Toulouse (vers 1096) celles du tympan de Saint Ursin de Bourges celles du tombeau de Saint-Hilaire (Aude) (XII

e siegravecle) sont

inspireacutees de modegraveles gallo romains Deux des personnages sculpteacutes dans les grands bas-reliets du deacuteambulatoire de Saint Sernin de Toulouse qui apparaissent drapeacutes dans leur toge ne sont-ils pas imiteacutes de quelque statue dorateur rencontreacutee dans les ruines du forum dune ville de Gaule Ce nest pas dans les manuscrits que les artistes cherchegraverent lideacutee de colonnes toises telles que celles du portail dAvaIlon Navaient-ils pas sous les yeux des colonnes semblables agrave celles de Notre-Dame de la Daurade de Toulouse dont quelques unes sont parvenues jusquagrave nous

FIGURE XLI

(le baiser de Judas clicheacute Bernard Delorme - Notre-Dame de la Daurade Toulouse)

Ce nest pas aux manuscrits mais aux sarcophages que les sculpteurs ont pris ces imbrications que lon trouve agrave Moissac et agrave Toulouse II faut constater quici comme en bien dautres circonstances miniaturistes et sculpteurs ont puiseacute agrave la mecircme source Il faut eacutegalement faire place aux influences reacuteciproques aux eacutechanges qui ont pu se faire dun art agrave lautre Les anges soutenant une gloire ronde dans laquelle se trouve une figure divine qui ornent dune faccedilon si gracieuse des tailloirs au cloicirctre de Moissac et au cloicirctre de Tarragone et quon rencontre aussi sur le linteau de la porte nord de Saint-Michel de Pavie se retrouvent sur des ivoires ils sont un souvenir des antiques geacutenies aileacutes supportant un cartouche Bien des thegravemes deacutecoratifs en honneur chez les sculpteurs romans ont eacuteteacute emprunteacutes agrave la grammaire ornementale gallo-romaine Ce nest pas la pourtant que nos artistes prirent principalement leurs modegraveles il faut prendre garde que ces deacutebutants qui tentaient de faire revivre un art abandonneacute depuis plus de quatre siegravecles avaient agrave retrouver le relief et quagrave cette eacutepoque dautres artistes utilisant dautres matiegraveres que la pierre savaient exeacutecuter des figures en relief Nous voulons parler des fondeurs et des orfegravevres cest surtout agrave ceux-ci que nos premiers sculpteurs demandegraverent des leccedilons M Macircle refuse toute influence dans la renaissance de la sculpture agrave ces statues de bois revecirctues de feuilles de meacutetal a ces laquo majesteacutes dor raquo qui eacutetaient en honneur en Auvergne au X

e et au XI

e siegravecle et dont M Louis Breacutehier a montreacute tout linteacuterecirct quelles preacutesentaient

pour larcheacuteologie Il croit trouver un argument absolu pour nier cette influence dans ce fait que ces laquo majesteacutes raquo eacutetaient des statues et que les premiers sculpteurs ne senhardirent tout dabord quagrave exeacutecuter des bas-reliefs Mais nest-il pas logique de penser quils imitegraverent les bas-reliefs quils pouvaient voir exeacutecuter de leur temps Pendant tous les siegravecles du moyen acircge on sculpta des figures de petite dimension dans livoire M Macircle concegravede bien que les objets divoire notamment les coffrets musulmans dEspagne du X

e et du XI

e siegravecle purent jouer leur rocircle mais il ne fait aucune allusion agrave

lart de la fonte aux arts dorfegravevrerie qui ne cessegraverent jamais decirctre pratiqueacutes aux portes de bronze orneacutees de nombreuses scegravenes telles que celles dHildesheim du deacutebut du XI

e siegravecle aux couvertures

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deacutevangeacuteliaires aux reliquaires de formes varieacutees aux chacircsses rehausseacutees de figures de meacutetal aux ciboria aux devants dautel et aux tombeaux que lon couvrait de plaques dargent ou dor orneacutees de personnages en haut relief et dassez grande dimension Les monuments de ce genre qui ont eacuteteacute conserveacutes sont tregraves rares agrave toute eacutepoque on les fit fondre pour tirer parti des meacutetaux preacutecieux dont ils eacutetaient composeacutes Mais les textes viennent dans une certaine mesure suppleacuteer labsence des monuments quand on parcourt les chroniques du VIII

e au XII

e siegravecle on est stupeacutefait de voir la

richesse inouiumle des treacutesors dorfegravevrerie que posseacutedaient certaines eacuteglises au moyen acircge Il neacutetait pas dabbaye importante au deacutebut de leacutepoque romane qui neucirct ses chacircsses et son parement dautel orneacutes de figures dargent ou dor repousseacute Une place importante eacutetait faite dailleurs aux arts du meacutetal dans le ceacutelegravebre ouvrage du moine Theacuteophile qui explique en deacutetail les meacutethodes agrave suivre pour fondre le bronze ou pour exeacutecuter des reliefs dargent ou dor par le proceacutedeacute du repousseacute et les terminer par la ciselure De cette profusion doeuvres dorfegravevrerie que les chroniques nous font connaicirctre quelques magnifiques exemples nous restent tels sont le parement dautel de Saint-Ambroise de Milan (IX

e

siegravecle) et le devant dautel de la catheacutedrale de Bacircle exeacutecuteacute vers 1020 et conserveacute aujourdhui au museacutee de Cluny des dessins du XVII

e et du XVIII

e siegravecle nous ont gardeacute aussi de quelques

monuments ceacutelegravebres un souvenir plus preacutecis que celui auquel peut preacutetendre une description Ces teacutemoins suffisent pour nous donner une preuve certaine des emprunts quont faits les sculpteurs aux monuments dorfegravevrerie Limitation est parfois si eacutevidente quon peut se demander si certains orfegravevres comme aussi certains ivoiriers ne simprovisegraverent pas sculpteurs sur pierre Certaines sculptures ont des reliefs peu accuseacutes qui font penser aux figures obtenues dans le meacutetal par le proceacutedeacute du repousseacute telles sont entre cent autres le Christ de Saint-Amour-Bellevue (Saocircne-et-Loire) les Anges placeacutes aux eacutecoinccedilons du portail de Notre-Dame dEtampes et certaines figures tourmenteacutees de la Porte Mieacutegeville agrave Saint-Sernin de Toulouse dautres telles que les figures des tympans de Saint-Sauveur de Nevers et de Champagne (Ardegraveche) paraissent couleacutees dans le bronze tandis que le tympan de Pompierre (Vosges) avec le curieux encadrement dentrelacs de son linteau paraicirct copieacute sur un coffret divoire Dans nos sculptures romanes le dessin des figures les plis des vecirctements colleacutes au corps et le bas des robes semblant souleveacute par le vent ne sont pas neacutecessairement limitation des proceacutedeacutes de la calligraphie quon jette un coup dœil sur lautel de Bacircle on apercevra ces plis colleacutes au corps sur tous les personnages et lon remarquera le retroussis au bas de la robe du Christ Si lon vient aux deacutetails on trouvera imiteacutees dans la pierre les pacirctes de verre qui encadrent les bas-reliefs de meacutetal sur les couvertures deacutevangeacuteliaires et chose plus curieuse encore les sculpteurs ont parfois imiteacute dune faccedilon si scrupuleuse leurs modegraveles dorfegravevrerie quon rencontre des inscriptions qui au lieu decirctre graveacutees ont leurs lettres en relief semblables agrave celles qui se trouvent en repousseacute sur les feuilles de meacutetal des reliquaires ou sur des plaques de bronze bas-relief agrave Saint-Sernin de Toulouse avec linscription sanctus Saturninus tympans de Marcillac (Lot) et de Mervilliers( Eure-et-Loir) Les sculpteurs ont emprunteacute parfois aux monuments dorfegravevrerie la composition de leurs scegravenes Les textes nous deacutecrivent des devants dautel dor ougrave lon voyait le Christ en majesteacute accompagneacute des quatre animaux et parfois des Apocirctres disposeacutes sous la gloire du Christ ou agrave ses cocircteacutes sur plusieurs registres Les mecircmes figures se retrouvent avec une semblable ordonnance sur nos tympans Celui de Carennac (Lot) nous en fournit un remarquable exemple La disposition dune seacuterie darcades en plein cintre reposant sur des colonnettes et abritant chacune un personnage assis ou debout que lon rencontre si souvent sur nos plus vieilles sculptures romanes (linteaux de Saint-Genis-des-Fontaines de Saint-Andreacute de Soregravede) du plus ancien portail de Charlieu de Chacircteauneuf (Saocircne-et-Loire) puis plus tard linteaux des portails des catheacutedrales du Mans de Bourges de leacuteglise Saint-Loup-de-Naud) est imiteacutee des ivoires des chacircsses (chacircsse du treacutesor de la catheacutedrale de Cividale X

e siegravecle) et des

devants dautel (autel dor de la catheacutedrale de Bacircle) Nos artistes allegraverent plus loin ils sinspiregraverent de ces modegraveles pour deacutecorer des faccedilades entiegraveres deacuteglises et il semble que certaines faccedilades deacuteglises de lOuest en particulier soient une reacuteplique magnifiquement deacuteveloppeacutee de quelque parement dautel Telles sont les faccedilades des eacuteglises de Peacuterignac (Charente-Infeacuterieure) de Notre-Dame la Grande de Poitiers et de la catheacutedrale dAngoulecircme avec leurs seacuteries darcades encadrant chacune un personnage Sil nous reste bien peu de vestiges de ces parements dautel dargent ou dor si nombreux agrave leacutepoque romane nous pouvons nous rendre compte de ce quils eacutetaient par les reacutepliques de ces monuments dorfegravevrerie quon fabriquait eacuteconomiquement en bois sculpteacute ou simplement en couvrant une piegravece de bois de peintures et en encadrant celles-ci dornements de placirctre ou de stuc formant un faible relief Les Museacutees de Vich et de Barcelone conservent deux importantes collections de ces antependia dont M Folch le tregraves distingueacute Directeur des Museacutees de Barcelone publiera prochainement les reproductions en y joignant une eacutetude sur lindustrie de ces inteacuteressants monuments catalans et sur ce proceacutedeacute qui consistait agrave faire des encadrements en relief avec de la laquo pastaraquo appliqueacutee agrave laide dun cornet Lun des antependia du museacutee de Vich eacutetait orneacute lorsquil eacutetait intact de douze figurines de bois dont cinq subsistent repreacutesentant les Apocirctres debout sous douze

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arcades placeacutees sur deux rangs au milieu se trouve le Christ en majesteacute dans une gloire ovale que flanquaient les quatre animaux Les devants dautel chargeacutes de figures de meacutetal neurent pas seulement des reacutepliques de bois sculpteacute dans la suite on exeacutecuta des autels qui eacutetaient orneacutes de bas-reliefs de pierre faits agrave leur imitation Les autels dAirvault (Deux-Segravevres) et dAvenas (Rhocircne) en sont des exemples Le beau tombeau de Saint-Junien (Haute-Vienne) qui est orneacute de bas-reliefs de pierre repreacutesentant le Christ en majesteacute la Vierge avec lEnfant dans une gloire et les Vieillards de lApocalypse rappelle les antependia que nous deacutecrivent les textes il rappelle aussi dailleurs certains tombeaux qui eacutetaient complegravetement recouverts de feuilles de meacutetal orneacutees de bas-reliefs tels que ceux de saint Riquier dans labbaye consacreacutee agrave ce saint et de saint Benoicirct agrave Fleury-sur-Loire Nos premiers sculpteurs durent avoir quelquefois eacutegalement sous les yeux des surfaces sculpteacutees de mecircme apparence et presque de mecircme dimension que les tympans quils allaient deacutecorer nous voulons parier des ciboria portant sur leurs arcades des pignons verticaux couverts de figures en relief Pendant les siegravecles qui preacuteceacutedegraverent immeacutediatement le XII

e siegravecle si les artistes ne se

hasardegraverent pas agrave sculpter des images dans la pierre il semble quils aient quelquefois tenteacute dutiliser des matiegraveres plus tendres telles que le placirctre le stuc et la terre cuite Les figures de stuc de Disentis (Grisons) qui paraissent dater du VIII

e siegravecle en sont un teacutemoignage Des ciboria de mecircme aspect que

ceux de Saint-Ambroise de Milan et de San Pietro al Monte sopra Civate avaient ducirc ecirctre orneacutes de figures de stuc ou de terre cuite agrave cocircteacute de monuments plus riches sur les frontons desquels on appliquait des reliefs dargent doreacute La ressemblance dune des faces de ces ciboria avec un tympan sculpteacute est frappante Ces quelques observations sur lesquelles nous nous proposons de revenir prochainement suffisent pour montrer limportance que purent avoir dans la renaissance de la sculpture les arts ougrave le relief eacutetait pratiqueacute Cest surtout en imitant des modegraveles dorfegravevrerie et divoire que les sculpteurs cherchegraverent agrave retrouver le secret de leur art Le rocircle de la miniature nen fut pas moins consideacuterable cest agrave elle quest ducirc lenrichissement de liconographie religieuse au XII

e siegravecle

Les sculpteurs et les verriers trouvegraverent dans les images des manuscrits une source abondante de sujets ils ne se firent pas faute dy chercher lindication des scegravenes quils voulaient reproduire M Macircle la montreacute dune faccedilon tout agrave fait convaincante En lisant Ies pages de son livre ou bien souvent il avait agrave deacuteplorer la disparition de preacutecieux monuments nous avons penseacute aux lignes eacutemouvantes quil eacutecrivait apregraves lincendie de la catheacutedrale de Reims en septembre 1914

laquo Quand la France apprit que la catheacutedrale de Reims eacutetait en flammes disait-il tous les cœurs se serregraverent le monde entier seacutemut de ce crime on sentit quune eacutetoile avait pacircli que la beauteacute avait diminueacute sur la terre raquo

A cocircteacute des monuments de notre pays mutileacutes par le temps lignorance et la haine il en est beaucoup dautres qui subsistent et quon neacuteglige trop souvent de contempler Le livre de M Macircle contribuera agrave les taire mieux connaicirctre et agrave les faire aimer car il a mis non seulement son eacuterudition profonde mais aussi son cœur au service de cette œuvre qui est le reacutesultat de trente anneacutees defforts

Paul DESCHAMPS

Voici agrave preacutesent un exposeacute sur la repreacutesentation des Saints dans lart du Moyen Acircge Il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant que les alchimistes ont tregraves souvent fait appel aux saints dans leurs alleacutegories le preacutesent traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant eacutetant ici des plus reacuteveacutelateurs Il paraissait donc inteacuteressant de faire le point sur la repreacutesentation de ces saints vers le XII

e et le XIII

e siegravecle Cest

directement en compagnie dEmile Macircle que nous effectuerons ce trajet

LES PREMIEgraveRES REPREacuteSENTATIONS DES SAINTS DANS LART DU MOYEN AGE

En France les images des saints commencent agrave apparaicirctre dans lart monumental du XIIe siegravecle Elles

sont rares encore et ce nest quavec une certaine reacuteserve quelles sintroduisent dans leacuteglise elles nen sont que plus curieuses et il y a un vif inteacuterecirct agrave surprendre agrave ses origines cette glorification des saints par lart Au XII

e siegravecle les saints se montrent rarement dans les portails qui sont laisseacutes au

Christ et aux apocirctres mais ils sont souvent ceacuteleacutebreacutes ailleurs On les voit repreacutesenteacutes aux chapiteaux de leacuteglise et du cloicirctre on les voit peints aux murs du sanctuaire Les orfegravevres les eacutemailleurs racontaient leur histoire sur des chacircsses ou ciselaient leurs bustes pour les autels Quelques verriegraveres deacutejagrave leur eacutetaient consacreacutees Mais de tant doeuvres il ne reste aujourdhui que des deacutebris les cloicirctres et leurs chapiteaux historieacutes ont eacuteteacute deacutetruits les fresques effaceacutees les Vitraux briseacutes les chacircsses fondues Nos pertes ont eacuteteacute immenses car lart du XII

e siegravecle a eacuteteacute beaucoup plus eacuteprouveacute par le

temps et les reacutevolutions que lart du XIIIe et cest au milieu de ces ruines quil faut aller chercher

quelques souvenirs du passeacute Pourtant quand on parcourt la France en interrogeant les pierres on

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retrouve encore ccedila et lagrave avec un singulier plaisir quelques-uns des chapitres de notre vieille histoire religieuse Dans plusieurs de nos provinces lart a conserveacute le souvenir des saints qui les illustregraverent premiers apocirctres de la foi martyrs eacutevecircques solitaires de la montagne ou de la forecirct Car ce ne sont pas les saints connus de la chreacutetienteacute tout entiegravere que repreacutesentent le plus volontiers nos artistes du XII

e siegravecle mais les saints provinciaux les saints locaux de lagrave linteacuterecirct de ces images qui ont pour

nous le charme dune flore indigegravene Cette histoire dailleurs nest bien souvent quune leacutegende Il y eut agrave diverses eacutepoques mais surtout au XI

e siegravecle un grand travail de creacuteation poeacutetique qui donna agrave

la vie de plusieurs de nos saints linteacuterecirct dun roman On fit aborder en France plusieurs personnages illustres de lEacutevangile auxquels on precircta des aventures nouvelles On multiplia les miracles Il se creacutea une sorte deacutepopeacutee chreacutetienne comparable aux Chansons de gestes qui naissaient alors Le geacutenie de cet acircge heacuteroiumlque et avide de merveilles sexprima agrave la fois par la leacutegende latine et par le poegraveme franccedilais Le saint et le heacuteros ces deux exemplaires supeacuterieurs de lhumaniteacute furent ceacuteleacutebreacutes avec la mecircme ferveur Si donc ces reacutecits ne nous apprennent rien sur les saints quils veulent glorifier ils nous apprennent beaucoup sur le moyen acircge lui-mecircme Il nous apparaicirct lagrave avec son profond ideacutealisme son asceacutetisme son deacutedain du reacuteel son ineacutebranlable conviction que la foi est la plus grande force de ce monde Ces leacutegendes aussi poeacutetiques parfois que les inventions de leacutepopeacutee eurent de bien autres conseacutequences elles creacuteegraverent des pegravelerinages elles firent surgir des eacuteglises elles les peuplegraverent dœuvres dart elles mirent en mouvement des millions dhommes Elles furent pour une foule dacircmes une consolation et une espeacuterance elles leur laissegraverent entrevoir degraves ce monde le regravegne de Dieu Commenccedilons par le Midi languedocien le pays de nos plus anciens sculpteurs ce voyage en France agrave la recherche des saints Toulouse avait conserveacute un profond souvenir de son premier apocirctre

FIGURE XLII (porte Miegravegeville - eacuteglise saint Sernin Toulouse)

[site consulteacute httppmaudefreefrSerninpresentationhtm - tympan sculpteacute occupeacute par un thegraveme unique celui

de lAscension Cette œuvre a justement eacuteteacute placeacutee au rang des chefs dœuvre de la sculpture romane Au centre

le Christ debout les mains leveacutees la tecircte tourneacutee vers le ciel est deacuterobeacute agrave la vue de ses disciples par les nueacutees deux anges laident agrave seacutelever tandis que quatre autres lacclament Sur le linteau les douze apocirctres gardent leurs

visages tourneacutes vers le ciel aux extreacutemiteacutes deux anges leur rappellent que lAscension est aussi la promesse du

Retour et du Royaume eacuteternel]

de ce Saturninus qui avait refuseacute lencens aux dieux de Rome un taureau furieux lavait traicircneacute ensanglanteacute sur les marches du Capitule Enseveli hors des murs saint Saturnin ou comme disait le peuple saint Sernin avait fait naicirctre une ville nouvelle autour de son tombeau La colossale eacuteglise Saint-Sernin la plus grande des eacuteglises romanes est le monument du heacuteros Mais on est surpris aujourdhui quand on visite leacuteglise de ny rencontrer aucune œuvre dart ancienne qui rappelle son souvenir Il nen eacutetait pas ainsi autrefois le pegravelerin qui arrivait devant le portail occidental eacutetait

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accueilli par un bas-relief du XIIe siegravecle repreacutesentant le martyr debout avec le taureau sous ses pieds

Mais deacutejagrave la leacutegende avait deacuteformeacute lhistoire Aux Actes de saint Sernin si sobres et dun caractegravere si antique des eacutepisodes nouveaux eacutetaient venus sajouter On racontait quil avait baptiseacute Austris la fille dAntoninus gouverneur de Toulouse qui dans la leacutegende nouvelle est devenu un roi Austris eacutetait leacutepreuse saint Sernin la gueacuterit en la plongeant dans la piscine baptismale On voyait donc au portail de leacuteglise un groupe repreacutesentant la jeune princesse baptiseacutee par saint Sernin Un autre bas-relief montrait le perseacutecuteur de lapocirctre le roi Antoninus assis sur son trocircne Ces œuvres quon peut imaginer fines et nerveuses comme toute la sculpture toulousaine du XII

e siegravecle ont disparu sans

laisser de trace et ne nous sont connues que par une ancienne description A lautre bout de la ville la catheacutedrale Saint-Eacutetienne perpeacutetuait de son cocircteacute le souvenir du premier eacutevecircque de Toulouse Dans le cloicirctre des chanoines un des plus anciens sanctuaires de lart franccedilais miseacuterablement deacutetruit en 1813 des statues du XII

e siegravecle sadossaient aux piliers ceacutetaient celles de saint Pierre de saint

Sernin de saint Exupegravere et dun diacre Saint Sernin eacutetait placeacute pregraves de saint Pierre parce que suivant la tradition qui avait preacutevalu alors lapocirctre de Toulouse avait reccedilu sa mission du premier des papes Ecce Saturninus quem miserat ordo latinus disait linscription laquo Voici saint Sernin envoyeacute par leacuteglise latine raquo Toulouse se donnait donc comme la fille spirituelle de Rome Saint Sernin eacutetait le heacuteros de la foi saint Exupegravere un de ses premiers successeurs eacutetait le heacuteros de la chariteacute En un temps de disette il avait vendu tous les ornements de leacuteglise et mecircme le calice et la pategravene pour nourrir les pauvres Lartiste de Toulouse lavait repreacutesenteacute un calice agrave la main ceacutetait le calice de verre qui avait remplaceacute le calice dargent pregraves de lui un diacre portait une pategravene dosier tresseacute sainte pauvreteacute des temps antiques qui touchait les cœurs Ainsi lart naissant avait voulu eacuteterniser la meacutemoire des deux plus grands saints de Toulouse on les y cherche vainement aujourdhui Mais ce quon ne trouve plus agrave Toulouse on le voit ailleurs car la gloire de saint Sernin rayonnait au loin Entre Carcassonne et lancien eacutevecirccheacute dAlet seacutelegraveve cacheacutee au fond dune valleacutee lancienne abbaye de Saint-Hilaire Ici un preacutecieux monument du passeacute nous a eacuteteacute fidegravelement conserveacute Un sarcophage du XII

e siegravecle sculpteacute sur toutes ses faces raconte le martyre de saint Sernin On le voit saisi par les

paiumlens au moment ougrave il annonce lEacutevangile Puis il est attacheacute au taureau quun bourreau excite de laiguillon des becirctes au visage presque humain grimacent autour du saint et semblent incarner la feacuterociteacute du vieux monde pendant que deux femmes contemplent le martyr avec attendrissement Ce sont les deux vierges saintes laquo les saintes puelles raquo qui vont lensevelir celles-lagrave mecircmes quon honorait sur la route de Carcassonne agrave Toulouse au Mas-Saintes-Puelles Bien loin de Saint-Hilaire de lautre cocircteacute de Toulouse le cloicirctre de Moissac ceacutelegravebre lui aussi la gloire de saint Sernin un chapiteau lui est consacreacute Le juge assis sur son siegravege vient de condamner

FIGURE XLIII (sarcophage ancienne abbaye de saint Hilaire)

[de cette scegravene lhermeacutetiste retiendra quelle sapparente agrave une autre ougrave la leacutegende affirme que Zeacutethos et

Amphion tuegraverent Lycos fils de Cadmos et attachegraverent son eacutepouse Dirceacute par les cheveux aux cornes dun

taureau sauvage qui la traicircna sur les rochers jusquagrave ce que mort sensuive On ajoute quAmphion fut tueacute par les

traits justiciers dApollon et dArteacutemis pour avoir insulteacute leur megravere Leacuteto cf reacutebus de saint Greacutegoire-sur-Viegravevre]

lapocirctre et deacutejagrave il a eacuteteacute attacheacute aux cornes du taureau Le Capitole est repreacutesenteacute sous laspect dune haute tour agrave eacutetages elle fait penser agrave la forteresse qui dominait Toulouse au moyen acircge agrave ce chacircteau narbonnais quon attribuait aux Romains Sur une autre face du chapiteau la main de Dieu sort du ciel pour recueillir lacircme du martyr Il subsiste donc encore on le voit quelques-unes des œuvres que lart du Midi avait consacreacutees agrave saint Sernin Si nous descendons la Garonne vers

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Bordeaux nous peacuteneacutetrons dans une province ougrave reacutegnaient dautres saints LAgenais eacutetait le domaine de sainte Foy de saint Caprais de saint Vincent martyrs de la grande perseacutecution de Diocleacutetien La jeune sainte Foy ameneacutee devant le gouverneur romain refusa de sacrifier cest pourquoi elle fut eacutetendue sur un gril de fer rouge puis deacutecapiteacutee Le courage de cette enfant de douze ans inspira des remords au pasteur du troupeau agrave saint Caprais qui seacutetait reacutefugieacute dans une grotte de la montagne Il assistait de loin au combat de la sainte et voyait dit la leacutegende des anges tenant une couronne au-dessus de sa tecircte Il se preacutesenta donc reacutesolument au gouverneur se proclama chreacutetien et livra sa tecircte au bourreau Quant agrave saint Vincent dont une leacutegende tardive fait le successeur de saint Caprais il voulut mettre fin au culte de Belenus et il arrecircta la roue enflammeacutee symbole du soleil que lon faisait descendre chaque anneacutee sur la pente de la colline Traicircneacute devant le magistrat romain il fut battu de verges et deacutecapiteacute On sattendrait agrave rencontrer agrave Agen au lieu mecircme du martyre de sainte Foy quelque belle œuvre de la sculpture romane consacreacutee agrave la jeune sainte mais au XIe siegravecle ses reliques convoiteacutees depuis longtemps comme un treacutesor sans prix furent deacuterobeacutees par un moine de Conques et emporteacutees dans les montagnes du Rouergue Cest Conques qui va

devenir deacutesormais le centre du culte de sainte Foy et nous allons ly retrouver tout agrave lheure Agen ne nous montre plus aujourdhui quun chapiteau consacre agrave saint Caprais dans leacuteglise qui lui est deacutedieacutee Le saint est deacutecapiteacute devant le gouverneur romain Dacien une inscription deacutesigne chaque personnage par son nom Dacianus miles sanctas Caprasius et un vers latin indique le rocircle de chacun Praecipit occidit moritur cœlestia scandit Dacien est lagrave pour ordonner le soldat pour tuer saint Caprais pour mourir Lart noublia pas non plus saint Vincent Ses reliques furent longtemps conserveacutees dans la ville gallo-romaine de Pompejac qui devint le Mas dAgenais un magnifique sarcophage du V

e siegravecle quon y voit encore passe pour avoir eacuteteacute son tombeau Or dans leacuteglise du

Mas un chapiteau roman repreacutesente un martyr agrave genoux deacutecapiteacute par la main du bourreau Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en ce lieu elle ne saurait repreacutesenter autre chose que la mort de saint Vincent Ses reliques il est vrai neacutetaient plus alors au Mas elles avaient eacuteteacute transporteacutees agrave Conques agrave leacutepoque des incursions normandes toutefois le souvenir de saint Vincent eacutetait demeureacute vivant au Mas dAgenais et son culte continuait agrave y ecirctre ceacuteleacutebreacuteAu temps des rois wisigoths Euric et Alaric la Gascogne eut une nouvelle geacuteneacuteration de martyrs Les Wisigoths eacutetaient ariens et perseacutecutaient les catholiques quils obligeaient agrave se convertir agrave leur symbole sous peine de mort Les vieux livres liturgiques et les leacutegendes populaires perpeacutetuegraverent le souvenir de quelques-uns de ces martyrs Un des plus fameux fut saint Maurin jeune apocirctre qui loin de dissimuler sa foi la proclamait sur la place publique de Lectoure Il fut deacutecapiteacute sur lordre du roi Alaric et la tradition rapportait quon lavait vu porter sa tecircte jusquagrave la fontaine Militane Les artistes nauraient peut-ecirctre jamais illustreacute sa meacutemoire sil ne seacutetait fondeacute aux confins de lAgenais et du Quercy une abbaye sous son nom Leacuteglise de Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) nest plus aujourdhui quune ruine mais deux de ses colonnes sont encore couronneacutees de deux beaux chapiteaux romans ougrave lon retrouve le style de Toulouse et de Moissac Sur lun deux un martyr porte sa tecircte dans ses mains une chreacutetienne inclineacutee devant lui sapprecircte agrave recevoir sa tecircte sur un voile Le vocable de leacuteglise deacutedieacutee agrave Saint-Maurin ne permet pas dheacutesiter sur le sens de la scegravene Voilagrave agrave peu pregraves tout ce que nous offre cette vaste reacutegion du Midi Elle a ducirc ecirctre autrefois incomparablement plus riche en images de saints la grande eacutecole toulousaine yavait sans aucun doute prodigueacute ses chefs-dœuvre mais le temps ne les a pas respecteacutes Aucun pays na eacuteteacute au XII

e siegravecle plus feacutecond que la belle plaine qui se deacuteroule

dans la lumiegravere jusquaux Pyreacuteneacutees sorte de Lombardie de la France mais aucun pays na eacuteteacute plus souvent deacutevasteacute La guerre des Albigeois la guerre de Cent ans les guerres de religion y ont accumuleacute tant de ruines que lon admire quil y reste encore quelques teacutemoignages de ce qua eacuteteacute le geacutenie du Midi II faut aller jusquaux Pyreacuteneacutees pour retrouver les saints Ces poeacutetiques montagnes eurent leur leacutegende doreacutee elles eurent leurs martyrs leurs vieux eacutevecircques leurs ermites Plusieurs sans doute furent ceacuteleacutebreacutes par lart mais bien peu de ces œuvres subsistent aujourdhui A lentreacutee des valleacutees pyreacuteneacuteennes agrave Foix une abbaye jadis ceacutelegravebre portait le nom dun martyr de la perseacutecution arienne saint Volusien Son eacuteglise a eacuteteacute agrave presque entiegraverement refaite et son cloicirctre roman complegravetement deacutetruit Un hasard pourtant nous a rendu un de ses chapiteaux historieacutes Ce chapiteau est fort inteacuteressant car il nous raconte justement un eacutepisode de lhistoire de saint Volusien Volusien eacutevecircque deTours eacutetait le sujet dAlaric roi des Wisigoths dont le vaste royaume seacutetendait jusquagrave la Loire Soupccedilonneacute de favoriser les desseins de Clovis qui preacuteparait une expeacutedition contre les ariens du Midi il fut sur lordre dAlaric arracheacute agrave son siegravege de Tours et conduit agrave Toulouse A Toulouse il fut traiteacute comme un malfaiteur on lui lia les mains et on lemmena vers lEspagne Mais en arrivant au pied des montagnes les soldats qui le conduisaient lui ordonnegraverent de sagenouiller dans un champ et lui tranchegraverent la tecircte Le chapiteau nous montre Volusien les mains lieacutees et la corde au cou entraicircneacute par ses bourreaux On ne voit pas sa mort ni les frecircnes qui poussegraverent

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miraculeusement sur le lieu de son supplice mais on voit la vengeance du ciel Lautre face du chapiteau en effet repreacutesente larmeacutee victorieuse de Clovis assieacutegeant Toulouse plus loin la ville est prise et les vainqueurs en deacutemolissent les murs Ce preacutecieux monument est conserveacute au Museacutee de Foix et il meacuterite de lecirctre car Foix est une creacuteation des reliques de saint Volusien la ville est neacutee autour du monastegravere qui gardait le tombeau du martyr En entrant dans la montagne on voit seacutelever au-dessus

de la valleacutee de Luchon une eacuteglise romane deacutedieacutee agrave saint Aventin Les chapiteaux du portail retracent son histoire Saint Aventin est un ermite du VIII

e siegravecle qui vivait dans la solitude sans autre socieacuteteacute

que celle des ours de la forecirct Parfois il quittait sa cabane pour enseigner leacutevangile aux montagnards toujours attacheacutes agrave leurs anciens dieux tous lentouraient de respect Mais les Arabes qui parcouraient alors le Midi entendirent parler de ce propagateur de la foi chreacutetienne Ils se mirent agrave sa recherche et quand ils eurent deacutecouvert sa retraite ils semparegraverent de lui et lui tranchegraverent la tecircte Les chapiteaux racontent la naissance la vie et la mort du saint ermite comme beaucoup dautres saints il est repreacutesenteacute portant sa tecircte dans ses mains A labside un bas-relief nous montre le taureau qui retrouva le tombeau de saint Aventin dont on avait perdu le souvenir Puissance de lart chreacutetien Une eacuteglise accrocheacutee au rocher perpeacutetue depuis pregraves de huit cents ans la meacutemoire dun pauvre ermite inconnu Cest dans une reacutegion voisine de Luchon que seacutelegraveve au sommet dune acropole la catheacutedrale de Saint-Bertrand-de-Comminges Elle est du XIV

e siegravecle mais le portail et

le rude clocher qui le domine sont du XIIIe Un beau tympan de leacutecole toulousaine repreacutesente

lAdoration des Mages agrave lextreacutemiteacute de ce tympan derriegravere la Vierge un eacutevecircque fait face au spectateur il legraveve la main droite pour beacutenir et tient la crosse de la main gauche Quel est ce mysteacuterieux personnage introduit par lartiste dans une scegravene sacreacutee

FIGURE XLIV (eacuteglise saint Bertrand-de-Comminges tympan)

Les archeacuteologues ont nommeacute agrave tout hasard saint Sernin pourtant en ce lieu un autre nom simpose au souvenir Cest agrave la fin du XI

e siegravecle en effet que le petit-fils des comtes de Toulouse leacutevecircque

saint Bertrand releva de ses ruines la ville antique de Lugdunum Convenarum devenue une solitude il rappela les habitants rebacirctit leacuteglise et fit fleurir le deacutesert Il fut le second fondateur de la citeacute qui prit son nom On ne saurait douter que ce grand eacutevecircque mdash auquel par surcroicirct on attribuait le don des miracles mdash nait eacuteteacute repreacutesenteacute au portail de sa catheacutedrale Saint Bertrand mourut en 1123 Son image dut ecirctre sculpteacutee peu danneacutees apregraves sa mort dans un temps ougrave son souvenir eacutetait encore vivant dans toutes les meacutemoires Elle est certainement anteacuterieure agrave 1179 date de la canonisation du saint car il est repreacutesenteacute sans nimbe Cette effigie dun grand homme qui neacutetait pas encore un saint est fort inteacuteressante il a fallu un vif mouvement denthousiasme pour quon ait oseacute repreacutesenter un contemporain un homme que tous avaient connu agrave cocircteacute de la Vierge et des rois Mages Ces hautes Pyreacuteneacutees neacutetaient pas alors une barriegravere entre la France et lEspagne Les saints franccedilais eacutetaient veacuteneacutereacutes dans lEspagne du nord les saints espagnols dans la France du midi Il est curieux de retrouver ccedila et lagrave des traces de ce culte que les eacuteglises meacuteridionales avaient voueacute aux saints dau delagrave des monts Un chapiteau du cloicirctre de Moissac repreacutesente le martyre des trois saints de Tarragone Fructueux Augure et Euloge Ces illustres chreacutetiens du III

e siegravecle ceacuteleacutebreacutes par saint

Augustin et par Prudence sont repreacutesenteacutes avec le costume du XIIe Leacutevecircque Fructueux porte la

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crosse et la mitre les diacres Auguste et Euloge ont la dalmatique et le manipule Le proconsul Aemilianus gouverneur de la Tarraconaise est assis sur son trocircne et il a pregraves de lui comme un baron feacuteodal un joueur de rote Cest le moment ougrave seacutechangent entre AEmilianus et Fructueux les paroles ceacutelegravebres laquo Je suis eacutevecircque du Christ dit Fructueux mdash Dis que tu las eacuteteacute raquo reacutepond AEmiIianus et il lenvoie au supplice avec ses deux compagnons Une autre face du chapiteau montre les trois saints en priegravere au milieu de leur bucirccher et plus loin les anges emportant leur acircme au ciel dans une gloire La preacutesence dans labbaye de Moissac de quelque insigne relique des martyrs de Tarragone explique sans doute pourquoi les moines voulurent avoir sans cesse sous les yeux leur histoire Des reliques retrouveacutees il y a quelques anneacutees dans lautel de leacuteglise de Valcabregravere (Haute-Garonne) ont fait deviner les noms de trois des statues qui en ornent le portail elles repreacutesentent le diacre saint Eacutetienne et deux saints espagnols saint Just et saint Pasteur Ceacutetaient deux eacutecoliers de Complutum qui sappela plus tard Alcala de Henares au temps de la perseacutecution de Diocleacutetien ils comparurent devant le preacutefet Dacien qui les fit battre de verges et mettre agrave mort Prudence a ceacuteleacutebreacute leur courage Lartiste connaissait fort bien leur histoire car il sest efforceacute de leur donner un air de

jeunesse au-dessus de leur tecircte des chapiteaux racontent leur martyre un des saints est attacheacute a un arbre pour ecirctre flagelleacute lautre est deacutecapiteacute Dans le cloicirctre de marbre dEIne [Pyreacuteneacutees-Orientales] non loin de la grande route romaine qui -conduisait en Espagne on ne seacutetonne pas de rencontrer une sainte espagnole un des chapiteaux repreacutesente le martyre de sainte Eulalie patronne de la catheacutedrale dElne La jeune sainte de Meacuterida eacutetait deacutejagrave ceacutelegravebre en France puisque le plus ancien de nos poegravemes en langue romane lui est consacreacute Voilagrave agrave peu pregraves tout ce qui subsiste dans le Sud-Ouest des œuvres que le XII

e siegravecle avait consacreacutees aux saints de la France meacuteridionale et de

lEspagne

II

En peacuteneacutetrant dans lAquitaine nous entrons dans le royaume de saint Martial Saint Martial fut veacuteneacutereacute de bonne heure comme lapocirctre du Limousin mais jusquau XI

e siegravecle on sut peu de chose de son

histoire Cest alors que fut eacutecrite sa merveilleuse leacutegende On lattribua agrave saint Aureacutelien le premier de ses successeurs cet Aureacutelien dont la chapelle seacutelegraveve aujourdhui au milieu de la rue des Bouchers agrave Limoges Ce reacutecit sembellit encore et il se forma autour de saint Martial tout un cycle de poeacutetiques leacutegendes Il ne fut plus un simple missionnaire il devint un contemporain un disciple du Christ tout enfant il avait entendu sa parole Cest de lui que le Christ avait dit laquo Quiconque ne ressemble pas agrave cet enfant nentrera pas dans le royaume des cieux raquo II avait assisteacute agrave la multiplication des pains au lavement des pieds agrave la Cegravene Plus tard il avait accompagneacute saint Pierre agrave Rome Saint Pierre lui donna son bacircton et lenvoya eacutevangeacuteliser la Gaule avec ce fameux bacircton qui fut longtemps conserveacute dans leacuteglise Saint-Seurin de Bordeaux saint Martial ressuscitait les morts Il entra en conqueacuterant dans lAquitaine partout ougrave il passait une eacuteglise naissait Il fut le fondateur non seulement de leacuteglise de Limoges mais de celles de Bourges de Poitiers de Saintes de Bordeaux de Cahors de Tulle de Rodez dAurillac de Mende du Puy Les premiers eacutevecircques de ces villes quon en avait cru les apocirctres neacutetaient que ses disciples De poeacutetiques personnages accompagnent saint Martial Il eacutetait venu en Gaule - disait-on - avec sainte Veacuteronique qui avait essuyeacute la face du Sauveur sur le chemin du Calvaire et avec saint Amateur que lon confondra plus tard avec le Zacheacutee de lEacutevangile ce Zacheacutee agrave qui le Christ avait parleacute Veacuteronique et Amateur qui avaient vu qui avaient entendu le Verbe ne purent se reacutesigner agrave vivre dans la socieacuteteacute des hommes ils senfermegraverent tous les deux dans la solitude Saint Amateur se retira dans la profonde valleacutee ougrave seacuteleva plus tard le sanctuaire de Rocamadour quant agrave Veacuteronique elle bacirctit son ermitage dans le deacutesert de Soulac au bord de lOceacutean La leacutegende nous montre encore aupregraves de saint Martial une jeune vierge sainte Valeacuterie Elle appartenait agrave une des plus illustres familles du pays des Leacutemovices et eacutetait fianceacutee au proconsul romain mais elle avait entendu saint Martial et reccedilu le baptecircme elle aspirait agrave la perfection Elle refusa deacutepouser le proconsul qui dans sa colegravere la fit mettre agrave mort Un centurion lui trancha la tecircte la sainte la prit dans ses mains et alla la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacuteleacutebrait la messe dans leacuteglise de Limoges Les visiteurs du palais des papes dAvignon connaissent les deacutelicieuses fresques de Matteo de Viterbe ougrave lon voit se deacuterouler toute cette histoire de saint Martial sous un ciel dazur Il ne faut pas attendre du XII

e siegravecle des œuvres dun charme aussi peacuteneacutetrant Dailleurs saint Martial qui a

tenu tant de place dans limagination des hommes du XIIe siegravecle na laisseacute que peu de traces dans

lart de ce temps Beaucoup doeuvres sans aucun doute ont disparu La grande eacuteglise abbatiale de Limoges ougrave seacutelevait son tombeau cette fameuse eacuteglise Saint-Martial qui attirait tant de pegravelerins fut deacutetruite avec toutes ses œuvres dart au temps de la Reacutevolution perte irreacuteparable pourliconographie de saint Martial La fresque y racontait-elle sa leacutegende On peut le croire car dans leacuteglise qui preacuteceacuteda celle-lagrave on pouvait voir au teacutemoignage dAdheacutemar de Chabannes des

peintures murales qui retraccedilaient sa vie Degraves la fin du Xe siegravecle un moine orfegravevre de labbaye avait

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fait pour lautel une statue dor de saint Martial qui le repreacutesentait assis beacutenissant de la main droite et portant le livre de la main gauche Il est probable que dans beaucoup deacuteglises qui se glorifiaient devoir eacuteteacute fondeacutees par saint Martial on voyait quelque œuvre dart rappelant son apostolat A Toulouse la leacutegende allait jusquagrave associer saint Martial agrave saint Sernin dans la preacutedication de lEacutevangile cest pourquoi au portail de leacuteglise Saint-Sernin saint Martial eacutetait repreacutesenteacute sa statue reacutepondait agrave celle de saint Sernin et pregraves delle on lisait cette inscription Hic socius socio subvenit auxilio Ainsi au teacutemoignage mecircme des clercs de Toulouse gardiens du tombeau de saint Sernin leur saint patron avait eacuteteacute secondeacute dans son œuvre par le grand saint Martial disciple du Seigneur A lautre extreacutemiteacute de lAquitaine aux confins du Berryon voit encore dans leacuteglise romane de Meacuteobecq (Indre) une peinture murale du XII

e siegravecle qui repreacutesente saint Martial Les moines de Meacuteobecq en

effet racontaient que saint Martial dans ses voyages eacutevangeacuteliques eacutetait venu jusque-lagrave Il subsiste probablement plus dune œuvre du XII

e siegravecle ougrave nous ne savons plus aujourdhui reconnaicirctre saint

Martial A la faccedilade de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers on voit sous des arcatures agrave cocircteacute des douze apocirctres deux eacutevecircques il est probable que lun deux est saint Martial fondateur suivant la leacutegende de leacuteglise de Poitiers et presque eacutegal en digniteacute aux apocirctres Quelques œuvres de la fin du XIIe siegravecle nous offrent les plus anciennes repreacutesentations de la leacutegende de saint Martial ce sont des chacircsses eacutemailleacutees provenant des ateliers de Limoges Sur lune delles [Collection Marlin-Leroy t I PI XV Le fond vermiculeacute les costumes le style indiquent le XIIe siegravecle] saint Martial ressemble agrave

FIGURE XLV (bible de saint Martial)

un apocirctre et comme les apocirctres il a les pieds nus mdash privilegravege exceptionnel et signe de sa haute mission Il porte agrave la main le fameux bacircton il lui suffit de le preacutesenter agrave un posseacutedeacute aux cheveux heacuterisseacutes pour quaussitocirct le deacutemon seacutechappe par sa bouche Ce miracle frappa dadmiration sainte Valeacuterie et la disposa agrave recevoir le baptecircme Sur lautre face de la chacircsse en effet elle sagenouille devant saint Martial qui la beacutenit mais deacutejagrave le proconsul ordonne au bourreau de la mettre agrave mort Une autre chacircsse du mecircme temps repreacutesente le centurion conduisant sainte Valeacuterie au supplice [Ancienne colleclion Soltykoff voir Rupin lŒuvre de Limoges p 403] La jeune sainte porte encore la robe collante aux manches deacutemesureacutees des plus anciennes statues de Chartres Le bourreau lui tranche la tecircte mais elle la prend dans ses mains et va la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacutelegravebre la messe un ange vole au-dessus delle et par un charmant artifice la tecircte de lange tient la place de la tecircte de la sainte Sainte Valeacuterie est ici lheacuteroiumlne queceacutelegravebre lartiste et cest sans aucun doute une de ses reliques que contenait la chacircsse Sainte Valeacuterie en effet fut presque aussi populaire que saint Martial lui-mecircme Quand les comtes de Poitiers venaient se faire sacrer ducs dAquitaine agrave Limoges leacutevecircque leur preacutesentait la couronne et leacutepeacutee puis le doyen du chapitre leur mettait au doigt lanneau de sainte Valeacuterie ceacutetaient les fianccedilailles du duc et de leacuteglise dAquitaine dont Valeacuterie eacutetait le plus pur symbole Cest pourquoi les œuvres dart qui la repreacutesentent - trop rares aujourdhui - nous touchent comme une poeacutetique image du passeacute Non loin de Bellac lantique eacuteglise Saint-Pierre-de-la-Treacutemouille conserve quelques restes dune fresque du XII

e siegravecle deux saintes apparaissent encore dont on peut

lire les noms ce sont sainte Valeacuterie et sainte Radegonde [Voir un dessin de la fresque dans le Bullet de la Socieacuteteacute des antiq de lOuest 1912 p 633] La leacutegende doreacutee du Poitou sunit lagrave agrave celle du Limousin Le monastegravere de Chambon-sur-Voueyze (Creuse) agrave lextreacutemiteacute de la Marche fut un des foyers du culte de sainte Valeacuterie Il posseacutedait une partie de ses reliques mais le charmant buste dargent qui les contient aujourdhui ne remonte quau XV

e siegravecle il repreacutesente la jeune martyre avec

une couronne et un riche collier Dans la vieille eacuteglise romane de Chambon aucune des œuvres qui furent consacreacutees au XII

e siegravecle agrave sainte Valeacuterie ne sest conserveacutee mais ce quon ne voit plus agrave

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Chambon on le voit un peu plus loin dans leacuteglise abbatiale dEacutebreuil en Bourbonnais Dans la tribune une peinture murale du XII

e siegravecle repreacutesente agrave cocircteacute du martyre de saint Pancrace dont leacuteglise avait

sans doute quelque relique le martyre de sainte Valeacuterie Cest ici la limite ougrave sarrecirctait la gloire de la sainte Les autres compagnons de saint Martial saint Amateur et sainte Veacuteronique ceacutelegravebres degraves le XIIe siegravecle ont inspireacute des oeuvres dart que le temps a presque complegravetement deacutetruites Rocamadour trop souvent saccageacute ne nous montre plus le fondateur du sanctuaire saint Amateur que le peuple appe- lait saint Amadour mais on y voit encore la Vierge de bois recouverte jadis de plaques dargent quon disait faite de sa main [ Elle ne remonte pas plus haut que le XIIIe siegravecle Revue de lart chreacutetien 1892 p 7 et suiv] Un monastegravere seacuteleva agrave Soulac pregraves du tombeau de sainte Veacuteronique Leacuteglise qui contenait les reliques de la sainte sappelait Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres on eacutetait lagrave en effet agrave une des extreacutemiteacutes du monde au bord de linconnu Un vaste deacutesert de sables et la rumeur lointaine du grand Oceacutean alors sans limites donnaient au lieu une religieuse beauteacute La dune pousseacutee par le vent envahit peu agrave peu le monastegravere et finit par le recouvrir En 1860 des fouilles

firent reparaicirctre leacuteglise romane qui sortit de son linceul de sable comme un temple de la Haute-Egypte On remarqua alors deux chapiteaux qui deacutecoraient lentreacutee de la chapelle deacutedieacutee jadis agrave sainte Veacuteronique lun repreacutesente un tombeau lautre des pegravelerins debout des deux cocircteacutes dun autel sur lequel repose une chacircsse Ce sont suivant toutes les vraisemblances le tombeau et la chacircsse de sainte Veacuteronique quiattiraient tant de pegravelerins agrave Soulac Cest ainsi que du Bourbonnais agrave lOceacutean du Berry agrave Toulouse a rayonneacute la leacutegende de saint Martial et de ses compagnons Le centre de lancienne Aquitaine avec ses valleacutees profondes et ses riviegraveres rapides a toutes les beauteacutes dune nature primitive mais cest un pays de granit ougrave la pierre reacutesiste au travail du ciseau Aussi nest-ce pas par les sculpteurs que les saints y furent ceacuteleacutebreacutes mais par les orfegravevres Degraves la fin du X

e siegravecle

plusieurs eacuteglises dAquitaine avaient des images dor dargent ou de cuivre de leurs saints patrons images qui eacutetaient en mecircme temps des reliquaires Eacutecoutons leacutecolacirctre dAngers Bernard qui parcourut le Plateau Central dans les premiegraveres anneacutees du XIe siegravecle

laquo Jusquici dit-il il me semblait que les saints ne devaient recevoir dautres honneurs que ceux du dessin ou de la peinture il me semblait absurde et impie de leur eacutelever des statues Mais tel nest pas le sentiment des habitants de lAuvergne du Rouergue de la reacutegion toulousaine et des pays voisins Chez eux cest une antique habitude que chaque eacuteglise possegravede une statue de son patron Suivant les ressources de leacuteglise cette statue est dor dargent ou dun meacutetal moins preacutecieux on y enferme le chef ou quelque insigne relique du saint [Liber miracul sanctae Fidis publieacute par labbeacute Bouillet Lib I cap XIII] raquo

Ainsi lhomme du Nord en entrant dans le Midi deacutecouvrait une autre France Bernard nous a fait connaicirctre quelques-unes de ces statues Au synode de Rodez on en avait apporteacute plusieurs sur la prairie aux portes de la ville chacune delles sabritait sous une tente et elles formaient une assembleacutee plus imposante que celle des eacutevecircques Ceacutetait laquo la majesteacute dor raquo de saint Marins patron de labbaye de Vabres en Rouergue laquo la majesteacute dor raquo de saint Amand deuxiegraveme eacutevecircque de Rodez laquo la majesteacute dor raquo de sainte Foy de Conques et enfin pregraves de la chacircsse dor de saint Sernin laquo la majesteacute dor raquo de la Vierge En descendant vers le Midi Bernard avait deacutejagrave rencontreacute laquo la majesteacute raquo de saint Geacuteraud ce jeune chevalier devenu moine qui avait donneacute son nom agrave la grande abbaye dAurillac Mais il ne semble pas avoir vu laquo la majesteacute raquo de saint Martial dans labbaye de Limoges Il subsiste encore aujourdhui quelques-unes de ces eacutetranges statues La laquo majesteacuteraquo de sainte Foy est toujours agrave Conques comme au temps de leacutecolacirctre Bernard mais on ne reconnaicirct guegravere dans cette idole doreacutee la jeune martyre dAgen dont nous avons raconteacute lhistoire La sainte assise sur son trocircne eacutetincelle dor et de pierreries elle porte une couronne fermeacutee dune forme tregraves antique de longues boucles doreilles

pendent sur ses eacutepaules de chaque main elle tient deacutelicatement entre deux doigts deux petits tubes ougrave lon mettait des fleurs de beaux cameacutees antiques sont incrusteacutes ccedila et lagrave dans le meacutetal de sa robe Ne pouvant la faire belle lartiste lavait faite si riche quelle inspirait un religieux effroi mais il y avait autour delle une aureacuteole de miracles plus eacuteclatante encore que le rayonnement de lor Un fleacuteau deacutevastait-il les environs un diffeacuterend seacutelevait-il entre deux villes un baron disputait-il agrave labbaye un de ses domaines aussitocirct la statue de la sainte sortait du sanctuaire Elle eacutetait porteacutee par un cheval choisi dont le pas eacutetait tregraves doux Autour delle de jeunes clercs faisaient retentir des cymbales et reacutesonner des cors divoire Elle savanccedilait avec majesteacute comme jadis la Magna Mater au temps ougrave ces montagnes eacutetaient paiumlennes Partout ougrave elle passait elle reacutetablissait la concorde faisait reacutegner la paix les miracles eacuteclataient si nombreux quagrave peine les moines avaient-ils le temps de les eacutecrire La sainte se plaisait surtout agrave deacutelivrer les prisonniers au portail de Conques on la voit

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prosterneacutee devant la main de Dieu elle prie sans aucun doute pour les captifs car des fers sont suspendus en ex-voto derriegravere elle La statue de sainte Foy fut porteacutee bien au delagrave des limites du Rouergue on la vit en Auvergne et dans le pays albigeois On lui dressait tous les soirs une tente et sur la tente on eacutelevait un berceau de verdure Combien il est heureux que laquo la majesteacute raquo de sainte Foy se soit conserveacutee intacte agrave travers tant de siegravecles Comme ce bloc dor nous illumine le haut moyen acircge Comme il nous fait comprendre ce quil y avait de mysteacuterieux et de redoutable dans le pouvoir du saint La statue de sainte Foy est unique de richesse il subsiste dans ces reacutegions deux autres images de saints qui sont plus simples et un peu moins anciennes Lune se conserve dans leacuteglise du Monastier antique abbaye perdue dans les solitudes du Velay Cest une statue agrave mi-corps faite de plaques dargent releveacutee de cabochons elle repreacutesente un saint aux yeux saillants au nom farouche saint Chaffre Chaffre est la forme populaire de Theofredus Saint Chaffre est un martyr du temps de linvasion sarrasine Abbeacute du Monastier il donna agrave ses moines lordre de senfuir et resta seul en face des Arabes Battu de verges il fut laisseacute mourant dans son eacuteglise mais le lendemain se soutenant agrave peine il se preacutesenta au milieu dune fecircte devant les imans et commenccedila agrave leur prouver quils nadoraient pas le vrai Dieu ses bourreaux lachevegraverent Comme celle de sainte Foy la statue de saint Chaffre contenait des reliques qui la rendaient plus veacuteneacuterable

FIGURE XLVI (saint Chaffre)

La statue de saint Chaffre est peut-ecirctre du XIe siegravecle celle de saint Baudime deacutejagrave plus savante doit

ecirctre du XIIe Elle se conserve dans leacuteglise de Saint-Nectaire et perpeacutetue le souvenir dun des

premiers missionnaires de la foi en Auvergne Cest une statue agrave mi-corps comme celle de saint Chaffre elle nest pas en argent mais en cuivre repousseacute ciseleacute et doreacute La chevelure est faite de boucles parallegraveles comme celles dune tecircte grecque archaiumlque les yeux divoire agrave la prunelle de corne donnent agrave lapocirctre un regard seacutevegravere qui intimide Ces œuvres encore eacuteloigneacutees de la vie precirctent aux saints une majesteacute lointaine les entourent de mystegravere elles reacutepondent agrave merveille aux sentiments queacutevoquait alors la sainteteacute Ces statues reliquaires nombreuses jadis dans les provinces montagneuses du centre de la France semblent ecirctre lœuvre dartiste monastiques Il y avait agrave Conques un atelier dorfegravevrerie et cest probablement dans labbaye mecircme que la statue de sainte Foy a eacuteteacute faite au X

e siegravecle Mais vers le milieu du XII

e siegravecle les ateliers de Limoges

commencent agrave prendre la premiegravere place Cest Limoges qui va avoir la charge de ceacuteleacutebrer les saints de lAquitaine et bientocirct dune partie de la chreacutetienteacute alors commence agrave Limoges cette longue liturgie de plusieurs siegravecles en lhonneur des saints qui sexprime par le cuivre et leacutemail Les monuments de lorfegravevrerie limousine du XII

e siegravecle sont rares aujourdhui On voyait avant la Reacutevolution dans la

fameuse abbaye de Grandmont un des chefs-dœuvre de leacutecole une chacircsse eacutemailleacutee qui contenait les reliques de saint Eacutetienne de Muret le fondateur de lordre Toute la vie du saint y eacutetait raconteacutee Saint Eacutetienne neacute en Auvergne agrave Thiers appartenait au Limousin par ses vertus cest en effet dans la forecirct de Muret pregraves de Limoges quil avait veacutecu Il eacutetait naturel quil fucirct ceacuteleacutebreacute par les eacutemailleurs limousins Une plaque deacutemail du XII

e siegravecle aujourdhui au museacutee de Cluny est tregraves probablement un

deacutebris de la chacircsse de Grandmont Saint Eacutetienne de Muret qui avait fait un pegravelerinage agrave Bari voit le grand saint du lieu saint Nicolas lui apparaicirctre une inscription en franccedilais du sud de la Loire explique la scegravene La vie du saint se continuait raconteacutee dans tous ses deacutetails On devait voir comment saint Eacutetienne de Muret au moment ougrave il se consacra agrave la solitude mit un anneau agrave son doigt et placcedila sur sa tecircte lacte de renoncement quil venait deacutecrire laquo Ce sera dit-il mon bouclier au

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jour de ma mort raquo Ce geacutenie symbolique eacutetait en parfaite harmonie avec lart du XIIe siegravecle Nous

avons deacutejagrave parleacute des chacircsses ougrave saint Martial et sainte Valeacuterie sont ceacuteleacutebreacutes Il subsiste encore une magnifique chacircsse de la seconde partie du XII

e siegravecle consacreacutee agrave la gloire dun saint du centre de la

France par les eacutemailleurs limousins elle contient les reliques de saint Calmin et se conserve dans

leacuteglise de Mozat pregraves de Riom Saint Calmin qui fut au VIIe siegravecle gouverneur de lAuvergne du

Velay et du Geacutevaudan descendait de Calminius lami de Sidoine Apollinaire Un voyage agrave Leacuterins lui fit vivement sentir la beauteacute de la vie monastique Il ne fut peut-ecirctre jamais moine mais il fonda des monastegraveres en Velay dabord agrave Calminiacum puis dans le Limousin agrave Tulle enfin en Auvergne agrave Mozat Sa femme sainte Namadie prenait sa part de ses travaux et laidait de ses conseils Cest pourquoi un des eacutemaux nous montre les deux eacutepoux faisant construire Calminiacum qui sappellera plus tard le Monastier cest labbaye quillustrera saint Chaffre On les voit ensuite faisant eacutelever le monastegravere de Tulle puis celui de Mozat des maccedilons preacuteparent le mortier montent agrave leacutechelle Labbaye nest pas encore termineacutee mais deacutejagrave leacuteglise est construite et le calice est sur lautel la maison de Dieu a donc eacuteteacute faite avant celle des moines Leur œuvre acheveacutee Calmin et Namadie meurent saintement leur acircme seacutelegraveve dans une aureacuteole et la main de Dieu sort du ciel Cette œuvre magnifique avive nos regrets Combien de chacircsses semblables ont disparu au temps ougrave ces treacutesors arracheacutes du sanctuaire se vendaient au poids du cuivre et devenaient des chaudrons Les quelques monuments de ce genre qui subsistent sont du XIII

e siegravecle ou des siegravecles suivants Parfois au milieu

des bruyegraveres et des bleacutes noirs en fleurs du Limousin on rencontre dans une eacuteglise de village une chacircsse eacutemailleacutee qui raconte lhistoire de saint Dulcide de saint Psalmet de lermite saint Viance Parfois un buste reliquaire repreacutesente le grave saint Eacutetienne de Muret lesclave saint Theacuteau racheteacute par saint Eacuteloi et orfegravevre comme son maicirctre labbeacute saint Yriex et lexquise sainte Fortunade Nous respirons un instant tout le parfum de passeacute et il y a beaucoup de fastueux chefs-dœuvre qui nous touchent moins que ces humbles merveilles

III

Dans limmense domaine de saint Martial le Poitou occupait une place agrave part il avait eu en effet au IVe siegravecle un des saints les plus illustres de la chreacutetienteacute saint Hilaire Celui-lagrave eacutetait un saint authentique que la leacutegende osa agrave peine effleurer il navait pas veacutecu dans le creacutepuscule des temps meacuterovingiens mais dans ce IVe siegravecle queacuteclaire encore la lumiegravere antique Dabord paiumlen marieacute avant decirctre eacutevecircque il avait eacuteteacute une fois devenu chreacutetien un des plus vaillants deacutefenseurs de lorthodoxie contre larianisme Ses livres mdash dit saint Jeacuterocircme mdash avaient la force irreacutesistible du Rhocircne Exileacute en Orient par un empereur arien il y eacutetudia les ouvrages dOrigegravene et fit connaicirctre agrave lEacuteglise des Gaules lexeacutegegravese alleacutegorique des Alexandrins Un tel saint eacutetait-il bien selon le cœur des pegravelerins du XII

e siegravecle qui passant par Poitiers pour aller agrave Saint-Jacques-

de-Compostelle sarrecirctaient agrave son tombeau On en pourrait douter si on ne savait que de nombreuses merveilles avaient mairfesteacute le pouvoir du saint apregraves sa mort et lui avaient creacuteeacute une leacutegende Cest au-dessus du tombeau de saint Hilaire quapparut cette colonne de feu qui guida Clovis avant la bataille de Vouilleacute Il est probable que ceacutetaient ces miracles qui avaient eacuteteacute peints de preacutefeacuterence dans leacuteglise de Saint-Hilaire de Poitiers un des sanctuaires les plus ceacutelegravebres de la France on pouvait voir il y a quarante ans quelques restes de ces fresques dans les absidioles Un seul monument rappelle aujourdhui dans leacuteglise la meacutemoire du grand docteur un chapiteau qui repreacutesente sa mort Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en un tel lieu on ne peut guegravere douter que le saint qui meurt entoureacute de ses diacres et dont les anges emportent lacircme au ciel ne soit saint Hilaire Dans cette œuvre tregraves gauche encore leacutemotion essaie de sinsinuer Leacuteonnius le disciple favori du saint se penche encore une fois sur le corps de son maicirctre et il exprime sa douleur en portant sa main agrave sa joue comme saint Jean au pied de la croix Mais il y a agrave Poitiers une autre eacuteglise du XII

e siegravecle consacreacutee agrave saint Hilaire Saint-Hilaire-de-la-Celle qui seacutelegraveve suivant la tradition

sur lemplacement de sa maison Vers la fin de sa vie apregraves la mort de sa femme et de sa fille le saint en fit un oratoire ougrave il aimait agrave se retirer Cest lagrave quil mourut en 368 et cest de lagrave quil fut porteacute agrave leacuteglise Saint-Jean-et-Saint-Paul construite au milieu de lantique cimetiegravere chreacutetien et qui prit alors son nom Jusquaux deacutevastations des protestants on vit dans leacuteglise Saint-Hilaire de la Celle un ceacutenotaphe ougrave la vie du saint eacutetait raconteacutee Il nen subsiste plus quun fragment qui repreacutesente la mort de saint Hilaire La scegravene est pleine de majesteacute saint Hilaire eacutetendu dans un sarcophage ouvert est dune taille colossale et semble dune autre race que le reste des hommes Derriegravere lui les clercs de son eacuteglise se tiennent debout aux deux extreacutemiteacutes deux diacres nimbeacutes sont agrave nen pas douter Leacuteonnius et Justus saint Lienne et saint Just comme on les appelait les plus chers disciples du maicirctre Cest agrave lun deux que saint Hilaire demanda avant de mourir si la nuit eacutetait silencieuse Au milieu de lassembleacutee deux anges apparaissent les ailes ouvertes ils sont descendus dans cette nuit religieuse pour recueillir lacircme du mort Cette grande maniegravere de composer et de sentir nous indique

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une eacutepoque deacutejagrave avanceacutee du XIIe siegravecle Mais ne voit-on agrave Poitiers que la mort de saint Hilaire Ny

trouve-t-on aucun trait de sa vie Un bas-relief qui appartient aujourdhui agrave la Socieacuteteacute des antiquaires de lOuest a longtemps deacutecoreacute leacuteglise deacutetruite de Sainte-Triaise Il repreacutesente saint Hilaire la crosse agrave la main consacrant agrave Dieu la vierge Troecia sainte Triaise Saint Hilaire avait pu admirer en Orient les commencements de la vie monastique et Troecia sa fille spirituelle est une des plus anciennes religieuses de la Gaule Elle veacutecut enfermeacutee dans sa cellule au milieu du cimetiegravere chreacutetien de Poitiers parmi les tombeaux comme une recluse de la Theacutebaiumlde La propre fille de saint Hilaire sainte Abra suivit lexemple de Troceia Son pegravere encouragea sa vocation dans une de ses lettres il lui promet une perle plus belle que celle que les vierges reccediloivent de leurs fianceacutes On montre encore dans leacuteglise Saint-Hilaire le couvercle du sarcophage de sainte Abra Ce nest pas en Poitou que lon trouve aujourdhui la plus curieuse repreacutesentation de la vie de saint Hilaire mais en Bourgogne Le sarcophage de sainte Abra (Saocircne-et- Loire) qui lui est deacutedieacutee raconte au linteau du portail le plus beau chapitre de son histoire On voit le saint arrivant au concile de Seacuteleucie pour lutter contres les eacutevecircques ariens Mais ici le moyen acircge a deacutejagrave fait son œuvre et la leacutegende a deacuteformeacute la veacuteriteacute Dans la seconde partie du bas-relief saint Hilaire est assis plus bas que les eacutevecircques cest que les ariens nont pas voulu lui faire de place parmi eux Du haut du ciel un ange lencense et le deacutesigne comme le champion de Dieu Le faux pape Leacuteon quitte le concile en prononccedilant contre le saint des paroles menaccedilantes mais Leacuteon meurt dune mort ignominieuse et les deacutemons semparent de son acircme Ce bas-relief inteacuteressant par son sujet est une œuvre inexpressive ougrave lon ne trouve ni le mouvement ni la vie de la grande sculpture bourguignonne Saint Hilaire que tant de pegravelerins venaient veacuteneacuterer dans son eacuteglise eacutetait le grand saint du Poitou mais beaucoup dautres saints moins illustres avaient inspireacute les artistes de ces reacutegions Si les fresques des abbayes poitevines seacutetaient aussi bien conserveacutees que celles de labbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) nous aurions une veacuteritable histoire eccleacutesiastique de la province

FIGURE XLVII (Larche de Noeacute peinture - abbatiale de saint Savin-sur-Gartempe)

A Saint-Savin en effet de grandes figures peintes dans la tribune non loin des scegravenes de la Passion repreacutesentent les saints eacutevecircques de Poitiers Des inscriptions encore visibles il y a quelques anneacutees deacutesignaient saint Geacutelasius et saint Fortunat le fameux eacutevecircque poegravete Dans la crypte le temps a respecteacute une partie des fresques consacreacutees agrave saint Savin le patron de labbaye et agrave son compagnon saint Cyprien Ce sont deux martyrs En vain furent-ils deacutechireacutes par des ongles de fer attacheacutes agrave la roue exposeacutes aux becirctes chaque fois par un miracle ils eacutechappegraverent agrave la mort Dans laregravene les lions mdash que le peintre a fait aussi inoffensifs que des chiens mdash viennent leur leacutecher les pieds Ce fut non loin de labbaye mdash disait la tradition mdash au bord de la Gartempe que les deux saints furent mis agrave mort par leurs perseacutecuteurs Ainsi les hautes antiquiteacutes du Poitou eacutetaient sans cesse

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preacutesentes aux visiteurs de labbaye Lart ressuscitait le passeacute le faisait vivre dans les imaginations Soyons sucircrs que dans toute leacutetendue du Poitou mdash une des reacutegions de la France ougrave la peinture monumentale a laisseacute le plus de traces mdash il y eut des sanctuaires ougrave lon pouvait comme agrave Saint-Savin apprendre lhistoire des saints de la province Les moines avaient eacuteprouveacute depuis longtemps la vertu eacuteducatrice de la peinture ils savaient sa puissance magique sur les foules illettreacutees Mais agrave Charroux agrave Saint-Jouin-de-Marnes agrave Airvault agrave Maillezais dans toutes ces abbayes illustres du Poitou il ne reste plus rien aujourdhui

IV

Le Berry avec ses plaines indeacutecises fut souvent consideacutereacute comme un fief de saint Martial car ceacutetait lui disait la tradition limousine qui avait fondeacute leacuteglise de Bourges Mais agrave cette leacutegende le Berry en opposait une autre celle de son premier apocirctre saint Ursin Ursin eacutetait le Nathanael de lEacutevangile cest lui qui le premier avait annonceacute la foi nouvelle agrave Bourges et il y avait apporteacute deux reliques sans prix la courroie qui attachait le Christ agrave la colonne et quelques gouttes du sang de saint Eacutetienne car Nathanael avait assisteacute au supplice du saint diacre Saint Ursin devenait donc presque

leacutegal en digniteacute de saint Martial Parmi les successeurs de saint Ursin plusieurs eacutevecircques de Bourges seacutetaient eacuteleveacutes agrave la sainteteacute par leurs vertus Le Berry avait eu aussi ses saints ermites parfois dans ce pays de mareacutecages et de grandes forecircts on rencontrait un homme de Dieu dans la solitude Beaucoup de ces saints qui vivaient dans la meacutemoire du peuple avaient ducirc ecirctre ceacuteleacutebreacutes par lart du XIIe siegravecle Les vieilles eacuteglises du Berry ne sont pas tregraves riches en œuvres de sculpture mais beaucoup de ces eacuteglises eacutetaient peintes Plus dune fresque se cache encore sous le badigeon et lon verra peut-ecirctre reparaicirctre un jour ces saints jadis fameux saint Sulpice saint Patrocle saint Venant saint Leacuteopardin saint Laurian et la bergegravere sainte Solange aussi ceacutelegravebre dans le Berry que sainte Valeacuterie leacutetait dans le Limousin Que nous reste-t-il donc aujourdhui On voit agrave lexteacuterieur de leacuteglise de Chacirctillon-sur-Indre (Indre) un bas-relief du XII

e siegravecle qui deacutecorait jadis le portail et qui est

encastreacute maintenant dans une fenecirctre haute du transept Il repreacutesente le Christ en majesteacute assis entre deux seacuteraphins au-dessous saint Austregisille reccediloit un flambeau de la main de saint Pierre Saint Austregisille que les bergers et les laboureurs appelaient saint Oustrille eacutetait eacutevecircque de Bourges au commencement du VII

e siegravecle Avant son entreacutee dans les ordres on lavait vu se rendre agrave Chalon pour

y combattre en champ clos eacutevecircque il conserva leacutenergie du soldat et il lutta sans cesse contre les rois meacuterovingiens et les agents de leur fisc Sa sainteteacute seacutetait manifesteacutee par de nombreux miracles agrave Chacirctillon un autre bas-relief dont il ne reste plus que linscription le montrait gueacuterissant une posseacutedeacutee Il est facirccheux que larchitecte qui restaura leacuteglise vers 1880 ait si mal placeacute lancien tympan car on ne peut plus distinguer aujourdhui saint Austregisille recevant de saint Pierre cest-agrave-dire de Rome le flambeau de la foi Leacuteglise de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) a heureusement conserveacute agrave leur place les rudes bas-reliefs qui furent consacreacutes agrave la gloire dEusitius ou saint Eusice Il y a plusieursbeaux traits dans la vie de saint Eusice Ses parents eacutetaient si pauvres quils furent obligeacutes de vendre un de leurs enfants comme esclave et ce fut saint Eusice qui se sacrifia pour ses fregraveres Esclave il saffranchit par la sainteteacute Sa reacuteputation eacutetait si grande que Childebert traversant le Berry pour aller combattre les Visigoths dEspagne voulut le voir et linterroger sur lavenir Il lui offrit cinquante sous dor laquo Donne cet argent aux pauvres lui dit Eusitius pour moi il me suffit de prier pour mes peacutecheacutes raquo puis il annonccedila au roi quil reviendrait victorieux Sa preacutediction saccomplit cest pourquoi agrave son retour Childebert sarrecircta pour revoir le saint Apregraves lui avoir donneacute le baiser de paix il lui offrit la moitieacute du butin quil rapportait dEspagne Il y avait dans le cortegravege du roi des prisonniers de guerre laquo lieacutes deux agrave deux dit lhagiographe comme des couples de chiens raquo Pour toute faveur saint Eusice demanda au roi de les deacutelivrer Chose eacutetrange ces beaux eacutepisodes ne figurent pas dans les bas-reliefs qui deacutecorent labside de Selles-sur-Cher Saint Eusice qui fut grand par la chariteacute nous apparaicirct lagrave comme un thaumaturge presque comme un magicien Il oblige les deacutemons agrave se rendre utiles sur son ordre ils sattellent agrave un char et transportent les pierres de leacuteglise Il se sert des

loups pour garder ses troupeaux Rien ne lui est impossible un jour quon lui a voleacute sa pelle de boulanger il entre dans le four brucirclant et y place tranquillement ses pains Voilagrave ce que nous montre labside de Selles-sur-Cher Ces miracles enchantaient le XII

e siegravecle souvent ceacutetait le peuple lui-

mecircme qui creacuteait cette feacuteerie il faisait de la vie des saints une chanson de la veilleacutee un conte dhiver Guibert de Nogent nous rapporte dans son De Pignoribus sanctorum que les femmes en tissant la toile chantaient les louanges de beaucoup de saints dont la vie eacutetait toute fabuleuse a et si lon veut les reprendre ajoute-t-il elles vous menacent de leurs navettes raquo Les bas-reliefs de Selles-sur-Cher teacutemoignent encore de cette passion du XII

e siegravecle pour le merveilleux

V

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Il est peu de saints plus poeacutetiques que les saints de lAuvergne Ce charme leur vient peut-ecirctre de leur premier historien Greacutegoire de Tours artiste sans le savoir qui ne nous montre pas ses heacuteros mais nous les laisse entrevoir dans un demi-jour plein de mystegravere Cest Injuriosus et Scolastica laquo les amants dAuvergne raquo dont un rosier reacuteunit les tombeaux ce sont les solitaires de la caverne et de la forecirct saint Eacutemilien saint Marien saint Lupicin saint Calupan qui renouvellent sous un ciel glaceacute les prodiges des anachoregravetes de lEgypte cest la vierge sainte Georges dont le convoi funegravebre fut escorteacute par un vol de colombes La sauvage nature qui les entoure reacutepand aussi sur eux un peu de son charme mdash ce charme que le deacutesert de la Chaise-Dieu communique agrave saint Robert le haut chacircteau de Mercœur et les laves de la valleacutee de la Couze agrave saint Odilon limmense forecirct du pays de Combrailles la Pontiacensis sylva aux vieux abbeacutes de Menacirct Le voyageur qui parcourt lAuvergne la meacutemoire remplie de la longue histoire de ses saints les cherche dans ses belles eacuteglises romanes mais il nen deacutecouvre quun bien petit nombre car le temps et les hommes nont pas eacuteteacute plus cleacutements agrave lAuvergne quagrave nos autres provinces Lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine reposa dabord dans leacuteglise dIssoire On avait perdu le souvenir de son tombeau lorsque des hommes vecirctus de blanc et portant des cierges qui apparaissaient la nuit dans leacuteglise en firent retrouver la place DIssoire le corps de saint Austremoine fut porteacute agrave Volvic Mais bientocirct ses reliques firent un dernier voyage elles allegraverent reposer dans labbaye de Mozat et Peacutepin le Bref suivant la tradition aurait porteacute lui-mecircme la chacircsse du saint sur ses eacutepaules On sera deacuteccedilu si on chercheagrave Issoire et agrave Volvic la trace de saint Austremoine on ne ly trouvera pas Mais agrave Mozat une œuvre dart rappelle son souvenir Sur un des cocircteacutes de la chacircsse de saint Calmin dont nous avons deacutejagrave parleacute un eacutevecircque la crosse en main est debout cest comme nous lapprend linscription Sanctus Austremonius saint Austremoine Mais il se pourrait que saint Austremoine fucirct repreacutesenteacute ailleurs encore On voit encastreacute dans un des murs de leacuteglise de Mozat le linteau dun ancien portail La Vierge assise en majesteacute est au milieu elle porte lEnfant sur ses genoux et elle ressemble agrave sy meacuteprendre aux vierges de bois des eacuteglises auvergnates saint Pierre est agrave sa droite et saint Jean agrave sa gauche Pregraves de saint Pierre un eacutevecircque est debout Quel peut ecirctre cet eacutevecircque sinon lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine le grand saint dont leacuteglise de Mozat posseacutedait les reliques

FIGURE XLVIII (chacircsse de saint Austremoine leacuteglise Saint-Austremoine Issoire)

Il est on nen saurait douter au nombre des bienheureux car de la main il preacutesente agrave la Vierge un abbeacute prosterneacute Dans ce bas-relief cet abbeacute mdash un des constructeurs de leacuteglise mdash est le seul vivant seul il est encore sur la terre Il nest pas jusquagrave la place donneacutee agrave leacutevecircque aux cocircteacutes de saint Pierre qui ne soit significative car la leacutegende auvergnate jalouse deacutegaler saint Austremoine agrave saint Martial faisait de lui un disciple du prince des apocirctres Cest agrave lextreacutemiteacute de lancienne Auvergne que nous retrouvons encore une fois saint Austremoine Dans leacuteglise dEacutebreuil une fresque du XII

e siegravecle

peinte dans la tribune nous le montre en face de sainte Valeacuterie la grande sainte du Poitou rencontre ici le grand saint de lAuvergneOn racontait que saint Austremoine eacutetant venu de Rome en Gaule avec deux compagnons Nectaire et Baudime leur avait confieacute le soin deacutevangeacuteliser le sud de la Limagne et les reacutegions voisines Aussi leacuteglise de Saint-Nectaire nous montre-t-elle agrave la fois le buste

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de saint Baudime dont nous avons parieacute et un chapiteau consacreacute agrave lhistoire de son saint patron Ce chapiteau raconte quatre eacutepisodes de lhistoire de saint Nectaire Lartiste nous transporte dabord agrave Rome saint Pierre ordonne precirctre saint Nectaire son filleul et aussitocirct commence la lutte du saint et du deacutemon Un jour quil voulait passer le Tibre pour aller prier dans un sanctuaire de lautre rive il reconnut que le rameur qui sapprochait avec sa barque eacutetait Satan lui-mecircme Sans peur il entra dans la barque car un ange envoyeacute par Dieu planait dans le ciel en sorte que Satan fut contraint de le deacuteposer sain et sauf sur lautre bord Leacutegende de demi-jour qui semble nous transporter non dans la Rome de saint Pierre mais dans leacutetrange Rome du moyen acircge Cependant saint Pierre vient denvoyer en Gaule Austremoine Nectaire et Baudime A peine arriveacute agrave Sutri Nectaire tombe malade et meurt Baudime revient agrave Rome annoncer la nouvelle agrave saint Pierre qui accourt il touche le cadavre avec la croix et aussitocirct Nectaire se legraveve de son sarcophage Saint Nectaire qui a traverseacute la mort est devenu tout puissant sur elle Le voici maintenant en Auvergne Un jour quil annonccedilait leacutevangile le cortegravege funegravebre dun Gallo-romain nommeacute Bradulus vint agrave passer pregraves de lendroit ougrave il parlait on le supplie de ressusciter Bradulus Saint Nectaire prend le bras du mort et lui ordonne de se lever Derriegravere le saint se dresse leacuteglise de Saint-Nectaire telle que nous la voyons encore aujourdhui au sommet de son rocher Il a fallu agrave lartiste beaucoup dingeacuteniositeacute pour faire dire tant de choses agrave un chapiteau si condenseacutee que soit son œuvre elle reste claire Ainsi cest moins sous laspect dun apocirctre que sous celui dun puissant thaumaturge quapparaissait saint Nectaire aux pegravelerins qui visitaient son eacuteglise Parmi les successeurs de saint Austremoine au siegravege de Clermont le plus ceacutelegravebre ne fut pas comme on pourrait le croire le vaillant Sidoine Apollinaire mais leacutevecircque Prsejectus Dans la France centrale Prsejectus sappelle saint Priest dans la France du nord saint Prix Il eacutetait deacutejagrave fameux par ses vertus ses aumocircnes ses fondations charitables sa mort fit de lui un saint Il fut assassineacute pregraves de Volvic par les complices dun homme dont il avait deacutenonceacute les crimes agrave Childeacuteric Quelques-unes de ses reliques apporteacutees agrave Flavigny agrave Saint-Quentin agrave Beacutethune reacutepandirent au loin son culte Contemporain de saint Leacuteger assassineacute comme lui il eut alors une renommeacutee presque eacutegale Son corps resta enseveli dans leacuteglise de Volvic ougrave il est veacuteneacutereacute depuis des siegravecles on y conserve aussi leacutepeacutee de lassassin De leacuteglise eacuteleveacutee agrave Volvic au XII

e siegravecle il ne

subsiste plus aujourdhui que le chœur la nef refaite est moderne Un des chapiteaux du chœur est consacreacute non pas agrave la mort de saint Priest qui eacutetait sans doute repreacutesenteacutee ailleurs mais agrave la chacircsse de ses reliques un donateur est debout aupregraves de la chacircsse qui est bien celle du saint eacutevecircque comme une inscription nous lapprend Voilagrave quelques vestiges de lantique histoire religieuse de lAuvergne on souhaiterait den deacutecouvrir davantage On regrette de ne plus rien voir dans leacuteglise de Brioude qui rappelle le martyr saint Julien jadis si fameux Mais cest agrave Menacirct surtout que lon voudrait retrouver quelque souvenir des anciens moines de labbaye qui seacutelevegraverent agrave la sainteteacute saint Brachio le chasseur de sangliers et saint Carilegravephe le compagnon de lauroch dans la forecirct Malheureusement le chœur de leacuteglise de Menacirct ougrave se trouvaient les chapiteaux historieacutes a eacuteteacute deacutetruit Un seul de ces chapiteaux subsiste deacuteposeacute dans un des bas-cocircteacutes Il repreacutesente une scegravene eacutenigmatique dont un moine de Menacirct est probablement le heacuteros on croirait voir saint Meacuteneacuteleacute refusant la fianceacutee que son pegravere lui preacutesente et songeant deacutejagrave agrave aller demander la robe monastique agrave labbeacute de Menacirct que lon aperccediloit plus loin assis sur son siegravege

VI

II faut redescendre vers le Midi Cest en Provence que nous rencontrons la plus merveilleuse de toutes nos leacutegendes On lit dans un manuscrit du XI

e siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque Nationale [t B

N latin 17627] quapregraves la reacutesurrection du Sauveur Marie-Madeleine sa sœur Marthe et son fregravere Lazare fuyant la perseacutecution des Juifs sembarquegraverent et vinrent aborder agrave Marseille Ce sont eux qui apportegraverent la foi en Provence Un reacutecit un peu posteacuterieur fait venir avec eux saint Maximin apocirctre dAix et saint Trophime apocirctre dArles Ainsi cette belle Provence lumineuse comme lOrient devenait une autre Judeacutee Lazare eacutetait sorti du tombeau pour lui annoncer lEacutevangile Marthe et Marie eacutetaient venues lui reacutepeacuteter les paroles quelles avaient recueillies de la bouche du Seigneur Quelle eacuteglise pouvait se glorifier dune plus noble origine Cette leacutegende a-t-elle laisseacute quelque trace dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle A la faccedilade de Saint-Trophime dArles on voit repreacutesenteacute au milieu des

apocirctres saint Trophime lui-mecircme il tient la crosse et deux anges posent la mitre sur sa tecircte comme pour marquer le caractegravere divin de sa mission Dans le cloicirctre on le retrouve encore adosseacute agrave un pilier cette fois il est tecircte nue porte la tunique et le manteau et sil navait les pieds chausseacutes on le prendrait pour un apocirctre Aucun chapiteau historieacute aucun bas-relief naccompagne ces deux images du saint et ne raconte son histoire Vers 1180 les artistes dArles avaient deacutejagrave sans doute entendu raconter que saint Trophime eacutetait venu en Provence avec Lazare Marie-Madeleine et Marthe mais ils nont fait aucune allusion agrave ce reacutecit On dirait mecircme quils en ont suivi un autre en placcedilant saint Trophime aux cocircteacutes de saint Pierre ils semblent avoir voulu donner creacutedit agrave lancienne tradition de

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leacuteglise dArles suivant laquelle saint Trophime aurait eacuteteacute envoyeacute de Rome par le prince des apocirctres Il serait surprenant pourtant quil ny eucirct pas dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle la moindre trace de la

fameuse leacutegende On ly rencontre en effet au moins une fois Il y a au portail lateacuteral de leacuteglise Sainte-Marthe agrave Tarascon une inscription fort bien conserveacutee qui nous donne la date de la deacutedicace de leacuteglise (1er juin 1197) deux petits bas-reliefs laccompagnent Lun repreacutesente la conseacutecration de lautel lautre un eacutevecircque et deux diacres groupeacutes autour dun corps eacutetendu sur la pierre Quel est le sens de cette scegravene On la comprendra si lon se souvient que dix ans auparavant on crut avoir deacutecouvert agrave Tarascon le corps de sainte Marthe et que cest pour recevoir cette insigne relique que lon rebacirctit alors leacuteglise Nous avons donc sous les yeux soit la translation des reliques de sainte Marthe dans son sanctuaire soit ses funeacuterailles Cette derniegravere interpreacutetation me paraicirct ecirctre la meilleure car on voit deux anges emportant au ciel lacircme de la sainte de plus un des assistants est nimbeacute or le reacutecit apocryphe rapportait que saint Front avait eacuteteacute miraculeusement transporteacute agrave Tarascon aupregraves du lit de mort de sainte Marthe Ainsi vers la fin du XII

e siegravecle la leacutegende de

lapostolat de Lazare et de ses sœurs eacutetait bien eacutetablie Le bas-relief de Tarascon est la plus ancienne œuvre dart quelle ait fait naicirctre en Provence mdash premier anneau de la chaicircne qui aboutit au dernier chant de Mireille La Provence avait eacuteteacute un peu lente agrave traduire le leacutegende par lart une autre reacutegion lavait devanceacutee la Bourgogne Cest la Bourgogne en effet nous le savons aujourdhui qui a creacuteeacute la leacutegende Mgr Duchesne en a fort bien expliqueacute lorigine Les moines de Veacutezelay se vantaient depuis le milieu du XI

e siegravecle de posseacuteder les reliques de sainte Marie-Madeleine mais ils eacutetaient

embarrasseacutes pour expliquer aux pegravelerins dougrave leur venait ce preacutecieux treacutesor Cest pourquoi lun deux fit paraicirctre un reacutecit tout nouveau de la vie de Marie-Madeleine Il y eacutetait dit pour la premiegravere fois que la sainte avait abordeacute en Provence quelle y avait veacutecu et quelle y eacutetait morte Lauteur ajoutait quun moine de Veacutezelay voyageant en Provence avait reconnu dans la crypte de Saint-Maximin le sarcophage de marbre ougrave la sainte eacutetait ensevelie il navait pas heacutesiteacute agrave deacuterober ce corps sacreacute et agrave lapporter en Bourgogne Tel fut le reacutecit que les pegravelerins de Veacutezelay recueillirent deacutesormais de la bouche des moines Degraves la fin du XI

e siegravecle de nouveaux eacutepisodes vinrent enrichir la leacutegende

Marthe Lazare et leacutevecircque Maximin furent associeacutes agrave Marie-Madeleine Ainsi cette sorte deacutepopeacutee quon serait tenteacute de croire dorigine provenccedilale a eacuteteacute creacuteeacutee en Bourgogne Elle fut ceacutelegravebre en Bourgogne avant de lecirctre en Provence bien mieux la Bourgogne qui venait de prendre possession des reliques de sainte Madeleine sattribua bientocirct celles de Lazare Degraves le commencement du XIIe siegravecle il fut admis quelles reposaient dans la catheacutedrale dAutun Il semble que le concours de pegravelerins quelles attiraient deacutetermina leacutevecircque agrave entreprendre vers 1120 la construction dune nouvelle eacuteglise cest la belle catheacutedrale que nous voyons aujourdhui Lart bourguignon du XI

e siegravecle sest-il

inspireacute de ces leacutegendes Il est naturel de les chercher dabord agrave Veacutezelay le sanctuaire de Marie-Madeleine mais on ne les y trouvera pas Le portail de la faccedilade est une œuvre moderne qui reproduit avec une preacutetentieuse gaucherie les sujets de lancien tympanet de son linteau [Tympan et linteau existent encore aujourdhui mais les sujets marteleacutes se discernent agrave peine] On y voit la Reacutesurrection de Lazare et les scegravenes de lEacutevangile ougrave Madeleine figure mais rien ny rappelle le fameux voyage de Provence Les chapiteaux de la nef si nombreux et si varieacutes ne nous parlent pas une seule fois de Marie-Madeleine Le chœur il est vrai a eacuteteacute refait agrave leacutepoque gothique et cest lagrave peut-ecirctre autour du tombeau de la sainte queacutetait raconteacutee son histoire apocryphe Aujourdhui aucune œuvre dart ne commeacutemore la leacutegende dans leacuteglise ougrave elle naquit ougrave tant de milliers de pegravelerins lentendirent raconter Serons-nous plus heureux agrave la catheacutedrale dAutun leacuteglise de saint Lazare Leacutetude des chapiteaux et des tympans pourrait nous faire croire que non Lagrave non plus aucune œuvre nest consacreacutee au voyage de Provence mais il nen eacutetait pas ainsi autrefois Jusquau XVIII

e siegravecle on put voir au portail du Jugement dernier trois statues adosseacutees au trumeau elles

montraient aux pegravelerins Lazare entre Marthe et Marie-Madeleine Ce groupement prendra tout son sens quand on saura que Lazare eacutetait vecirctu en eacutevecircque Ainsi on nen saurait douter cest Lazare apocirctre de la Provence que lartiste avait preacutetendu repreacutesenter et pregraves de Lazare il avait mis ses deux sœurs parce quelles avaient eacuteteacute les compagnes de son apostolat Il y avait en Bourgogne une autre eacuteglise deacutedieacutee agrave saint Lazare Saint-Lazare dAvallon Trois magnifiques portails du XII

e siegravecle y

donnaient accegraves il nen subsiste plus que deux aujourdhui priveacutes de leurs statues et de leurs bas-reliefs De meacutediocres dessins publieacutes par dom Plancher dans son Histoire de Bourgogne nous en laissent deviner laspect primitif Au trumeau du portail central un eacutevecircque eacutetait adosseacute ceacutetait saint Lazare le patron de leacuteglise Ainsi agrave Avallon comme agrave Autun les ornements eacutepiscopaux deacutesignaient saint Lazare comme le premier chef de leacuteglise provenccedilale Il est regrettable que ces curieuses statues dAutun et dAvallon ne nous aient pas eacuteteacute conserveacutees elles nous eussent montreacute comment les premiers sculpteurs bourguignons se repreacutesentaient ce mysteacuterieux Lazare qui avait franchi deux fois les portes de la mortLes statues dAutun et de Veacutezelay avaient eacuteteacute visiblement inspireacutees par la leacutegende ce sont les seules dont nous ayons pu retrouver la trace Un bas-relief en Provence deux

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statues en Bourgogne voilagrave tout ce que lhistoire apocryphe de Madeleine de Marthe et de Lazare semble avoir donneacute agrave lart du XII

e siegravecle Cest peu mais ce nest quun commencement il faut songer

quau XIIe siegravecle le reacutecit des moines de Veacutezelay avait agrave peine commenceacute agrave faire la conquecircte des

imaginations Ce nest que dans les siegravecles suivants quil sera accepteacute de tous et deviendra une des sources vives de lart chreacutetien Mais cest par la Provence et non par la Bourgogne que la gloire de Marie-Madeleine peacutenitente sest reacutepandue dans le monde En 1279 en effet les Provenccedilaux annoncegraverent agrave la chreacutetienteacute la deacutecouverte agrave Saint-Maximin du corps de sainte Madeleine que les

moines de Veacutezelay abuseacutes par lerreur dun des leurs avaient cru jusque-lagrave posseacuteder

FIGURE XLIX eacuteglise du Veacutezelay)

La deacutecouverte fut tenue pour authentique et deacutesormais le sanctuaire bourguignon fut deacuteserteacute au profit des lieux saints de la Provence le tombeau de Saint-Maximin et la caverne de la Sainte-Baume Les pegravelerins qui aimegraverent toujours agrave monter vers les cimes en chantant abandonnegraverent la montagne de Veacutezelay pour le haut rocher de la Sainte-Baume Cest alors que les comtes de Provence qui eacutetaient en mecircme temps rois de Naples firent connaicirctre la leacutegende agrave lItalie et lon vit Giotto peindre au Bargello de Florence et dans une des chapelles dAssise Marie-Madeleine dans le deacutesert provenccedilal recevant la communion de la main de saint Maximin La Bourgogne qui ceacuteleacutebrait lapocirctre de la Provence ce Lazare dont elle avait elle-mecircme imagineacute lapostolat noubliait pas son apocirctre agrave elle le martyr saint Beacutenigne Peu de saints avaient en France une plus magnifique seacutepulture son tombeau eacutetait agrave Dijon et les moines de saint Beacutenigne en eacutetaient les gardiens Il eacutetait au centre dune grande rotonde dont la Reacutevolution na laisseacute subsister que la crypte Cette rotonde formait au XII

e siegravecle

lextreacutemiteacute dune eacuteglise romane refaite plus tard Un beau portail orneacute de bas-reliefs et de statues y donnait accegraves il a eacuteteacute deacutetruit mais un dessin de dom Plancher nous en a conserveacute laspect Au trumeau sadosse un eacutevecircque qui porte une crosse archaiumlque en forme de tau et une mitre qui ressemble agrave un bonnet cest saint Beacutenigne Ce costume le deacutesigne comme le chef dune des premiegraveres communauteacutes chreacutetiennes de la Bourgogne La tecircte mutileacutee de lapocirctre se conserve au Museacutee archeacuteologique de Dijon Ainsi dans ce portail ougrave lon voyait des deux cocircteacutes les statues des prophegravetes et des apocirctres saint Beacutenigne occupait la place dhonneur cest agrave lui quallaient dabord les regards Les artistes bourguignons turent les premiers qui attiregraverent ainsi le respect du visiteur sur le patron dune eacuteglise le Saint-Lazare dAutun et le Saint-Jean-Baptiste de Veacutezelay sont les plus anciennes statues adosseacutees agrave un trumeau quil y ait ou quil y ait eu en France Les artistes du Midi si

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novateurs navaient rien imagineacute de pareil Cet hommage rendu agrave saint Beacutenigne ne parut pas suffisant aux moines de labbaye car ils lui consacregraverent encore un tympan jadis encastreacute dans le mur du vestibule Il nexiste plus aujourdhui mais il a eacuteteacute reproduit avec beaucoup de soin par dom Plancher On y voyait le martyre du saint Beacutenigne envoyeacute en Gaule suivant la tradition par le Grec Polycarpe disciple de saint Jean lEacutevangeacuteliste avait refuseacute de sacrifier aux dieux Le gouverneur du Castrum de Dijon Aurelianus assisteacute de son lieutenant Terentius le fit comparaicirctre devant lui et le condamna aux supplices les plus raffineacutes Ce sont ces supplices que nous montre le tympan le saint est debout et deux bourreaux sont occupeacutes agrave sceller ses pieds dans la pierre avec du plomb fondu Les mains du martyr sont briseacutees elles laissaient voir sans doute autrefois les alegravenes enfonceacutees sous chacun de ses ongles Deux autres bourreaux viennent de recevoir lordre den finir avec linvincible athlegravete placeacutes symeacutetriquement agrave sa gauche et agrave sa droite comme le centurion et le porte-eacuteponge sur le Calvaire ils lui enfoncent leur pique dans la poitrine Le saint expire et comme son maicirctre penche la tecircte sur son eacutepaule A ce moment dit la leacutegende les chreacutetiens virent une colombe blanche seacutelever au-dessus de sa tecircte mdash eacutepisode que lartiste na eu garde doublier une main sortant du ciel manifeste la preacutesence de Dieu Le beau caractegravere de lœuvre sa noble symeacutetrie lui assignent une date voisine de la fin du XII

e siegravecle Dijon avait donc dignement ceacuteleacutebreacute son apocirctre La Bourgogne fut

au moyen acircge le pays des grands ordres monastiques et des saints abbeacutes Ce sont ces illustres abbeacutes que nous voudrions voir et que nous ne voyons pas Que saint Bernard qui interdit lart agrave ses moines comme un luxe inutile ne soit repreacutesenteacute nulle part il ne faut pas sen eacutetonner il la voulu ainsi Ce saint Franccedilois dAssise du XII

e siegravecle ne le cegravede agrave lautre que parce quil lui a manqueacute le

sentiment de la beauteacute Un de ses biographes raconte quil marcha une journeacutee entiegravere au bord du lac de Genegraveve et que le soir il demanda ougrave eacutetait le lac Ce nest pas lui qui eucirct composeacute dans un transport denthousiasme le Cantique des creacuteatures Mais ce qui surprend cest de ne rencontrer nulle part en Bourgogne au cœur mecircme de cet immense royaume clunisien limage des premiers abbeacutes de Cluny qui furent tous des saints De Cluny il est vrai presque tout a disparu mais rien ne les rappelle agrave Paray-le-Monial au ils vinrent si souvent rien agrave la Chariteacute-sugraver-Loire un de leurs plus magnifiques prieureacutes Labbaye de Souvigny cette fille cheacuterie de Cluny ougrave saint Maiumleul et saint Odilon furent ensevelis na mecircme pas su garder leur tombeau Leur souvenir y serait entiegraverement aboli si on ne voyait leur image peinte sur la porte dune armoire reliquaire de la fin du moyen acircge Ces noms aperccedilus tout agrave coup Maiumlolus et Odilo remuent profondeacutement la sensibiliteacute on voit en imagination cet eacuteloquent Maiumleul plus grand que les souverains de son temps par lintelligence et par lacircme et ce doux Odilon qui precirctait loreille aux voix de lautre monde et qui creacutea la fecircte des morts Mais si ces grands noms des abbeacutes de Cluny saint Odon saint Maiumleul saint Odilon saint Hugues seffacent si rien aujourdhui ne ramine leur souvenir dans la meacutemoire du visiteur de leurs eacuteglises la faute nen est sans doute pas aux artistes bourguignons du XII

e siegravecle ni aux moines clunisiens si

passionneacutes pour lart si profondeacutement attacheacutes agrave leurs souvenirs mdash mais agrave des geacuteneacuterations sans respect et sans amour qui ont tout aneacuteanti En Bourgogne une seule eacuteglise monastique conserve encore quelques peintures qui commeacutemorent son passeacute cest celle dAnzy-le-Duc (Saocircne-et-Loire) Anzy-le-Duc ne relevait pas de Cluny mais de labbaye de Saint-Martin dAutun que Brunehaut avait fondeacutee et ougrave elle avait son tombeau Des fresques peintes vers la fin du XIIe siegravecle dans labside de leacuteglise dAnzy racontent lhistoire du petit prieureacute fier de ses origines Au-dessous de lAscension du Christ on voit Lethbald et sa femme offrant agrave Dieu vers 876 leur villa dAnzy qui va devenir un monastegravere Un de leurs descendants fut ce Lethbald ce pegravelerin ceacutelegravebre dont le moyen acircge a plusieurs fois raconteacute lhistoire Contemplant Jeacuterusalem du haut du Mont des Oliviers il eut un tel transport de joie quil demanda agrave Dieu de le faire mourir le jour mecircme sa priegravere fut exauceacutee Fondeacute par Lethbald ou saint Lieacutebaud le prieureacute dAnzy-le-Duc fut gouverneacute par un saint saint Hugues dAutun Hugues ami de Bernon fondateur de Cluny eacutetait veacuteneacutereacute de toute la Bourgogne On venait consulter comme un oracle ce vieillard laquo dont la tecircte eacutetait blanche comme le duvet du cygne raquo On le consultait sur toute chose sur les maladies et sur les semailles aussi bien que sur les cas de conscience Les miracles quil faisait pendant sa vie sa chacircsse continua agrave les faire apregraves sa mort et elle attira longtemps les pegravelerins agrave Anzy-le-Duc Les fresques dAnzy racontent quelques traits de son histoire Toutes ces peintures recouvertes dun badigeon ont eacuteteacute retrouveacutees par hasard en 1856 et malheureusement fort restaureacutees elles font revivre un passeacute perdu dans la nuit Voilagrave un exemple de ce que faisaient les moines bourguignons pour perpeacutetuer leurs traditions et pour honorer leurs sainte Si saint Lieacutebaut et saint Hugues dAnzy inconnus aujourdhui ont eacuteteacute ceacuteleacutebreacutes par lart on peut bien croire que les Odilon et les Maiumleul navaient pas eacuteteacute oublieacutes

VII

La Bourgogne nous achemine vers la reacutegion parisienne Au XIIe siegravecle le saint le plus illustre de lIle-

de-Franccedile eacutetait saint Denis Sa gloire avait grandi avec la monarchie franccedilaise Il ne suffisait pas que

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saint Denis eucirct eacuteteacute le premier apocirctre de Paris il lui fallait une leacutegende digne du protecteur des rois de France et du gardien de leur tombeau On racontait donc que saint Denis de Paris eacutetait le mecircme personnage que saint Denis lareacuteopagite converti par saint Paul Il avait observeacute agrave Athegravenes leacuteclipseacute qui obscurcit le soleil agrave lheure ougrave Jeacutesus expira sur le Calvaire et plus tard il eacutecrivit ce livre fameux de la Divine Hieacuterarchie ougrave le ciel est deacutecrit ougrave Dieu apparaicirct dans sa gloire au milieu des cercles concentriques formeacutes par les anges Cest ce savant ce profond penseur qui avait eacuteteacute jugeacute digne deacutevangeacuteliser la ville de la science Son souvenir eacutetait cher aux Parisiens qui veacuteneacuteraient derriegravere Notre-Dame de Paris dans leacuteglise Saint-Denis-du-Pas le lieu ougrave il avait commenceacute son martyre agrave Saint-Denis-de-la-Chartre dans la Citeacute la prison ougrave il avait eacuteteacute enfermeacute et ougrave ses chaicircnes eacutetaient suspendues agrave Montmartre la place quil avait rougie de son sang Labbaye de Saint-Denis eacutetait le terme du pegravelerinage cest lagrave que reposait le martyr aupregraves de ses deux compagnons Rustique et Elcuthegravere Comment lart avait-il honoreacute saint Denis agrave Paris nous lignorons mais agrave labbaye de Saint-Denis nous lentrevoyons encore Le portail qui souvre agrave droite du spectateur dans la faccedilade de la basilique est deacutecoreacute dun bas-relief dont saint Denis est le heacuteros il emplit tout le tympan Il est reccedilu que ce bas-relief est reacutecent et les archeacuteologues passent sans lever les yeux mais ce deacutedain nest quagrave moitieacute justifieacute Assureacutement toutes les tecirctes sont modernes les draperies ont eacuteteacute visiblement retoucheacutees et quelques personnages mecircmes semblent entiegraverement refaits Loeuvre paraicirct ecirctre dhier pourtant le dessin geacuteneacuteral est ancien La composition ne date pas de 1839 elle nest pas du restaurateur Debret elle est bien de 1135 environ et appartient aux artistes de Suger Nous pouvons en croire le baron de Guilhermy qui a suivi avec tant dattention tout ce qui sest fait agrave Saint-Denis dans la premiegravere partie du XIX

e siegravecle A son teacutemoignage une seule chose dans ce portail est

entiegraverement moderne la seconde voussure avec ses personnages Le reste est une restauration dun original ancien La scegravene que Suger avait fait repreacutesenter dans le tympan eacutetait emprunteacutee agrave la leacutegende de saint Denis mais ce neacutetait ni sa conversion par saint Paul ni sa preacutedication ni son martyre on voyait Jeacutesus escorteacute dun vol danges descendant dans la prison ougrave le saint attendait la mort et le faisant communier de sa main Nous ne savons quand cet eacutepisode entra dans la leacutegende de saint Denis tout ce que nous pouvons dire cest que degraves le XI

e siegravecle une miniature dun missel de

labbaye de Saint-Denis le repreacutesente Cest une de ces belles leacutegendes ougrave le moyen acircge sexprime tout entier ougrave il reacutealise son eacuteternel deacutesir dunion avec le ciel Voilagrave limage que contemplait le pegravelerin en entrant dans la basilique et elle lui donnait une plus haute ideacutee de saint Denis que neucirct pu faire son martyre lui-mecircme Suger qui en toute chose est un novateur est le premier qui ait consacreacute un portail agrave la gloire dun saint il ny avait rien de pareil avant lui et apregraves lui on tardera assez longtemps agrave suivre son exemple Cest en effet agrave une eacutepoque assez avanceacutee du XII

e siegravecle

que nous rencontrons dans une reacutegion voisine de lIle-de-Franccedile un portail ougrave a eacuteteacute raconteacutee la leacutegende dun saint Non loin de Provins seacutelegraveve le prieureacute de Saint-Loup de Naud dont la belle eacuteglise remonte au XII

e siegravecle Saint Loup de Naud deacutependait de labbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens aussi

eacutetait-ce un eacutevecircque de Sens qui eacutetait le patron de leacuteglise Saint Loup que dans la reacutegion on appelait saint Leu eacutetait un de ces eacutevecircques du VIIe siegravecle qui tinrent tecircte aux rois meacuterovingiens et supportegraverent courageusement lexil Plein de bonteacute charitable assidu agrave visiter les anciens tombeaux il avait de son vivant la reacuteputation dun saint Mais son histoire ne tarda pas agrave se reacutesoudre tout entiegravere en miracles ces vieux reacutecits enchantegraverent Jacques de Voragine qui les reproduisit plus tard dans sa Leacutegende doreacutee Au portail de Saint-Loup de Naud les eacutepisodes de la vie du saint eacutevecircque ne sont pas sculpteacutes dans le tympan comme agrave Saint-Denis mais dans les voussures

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FIGURE L (leacuteglise de Saint-Loup-de-Naud - tympan)

Cest au portail du Mans quon vit pour la premiegravere fois les scegravenes des voussures former un reacutecit suivi la vie de Jeacutesus-Christ y est raconteacutee Lexemple fut suivi agrave Saint-Loup de Naud mais la leacutegende du saint y remplace lhistoire du Christ deacutejagrave les portails du XIII

e siegravecle sannoncent Le saint eacutevecircque

adosseacute au trumeau accueille les fidegraveles Un chapiteau sculpteacute placeacute au-dessus de sa tecircte le faisait reconnaicirctre agrave ceux qui eacutetaient familiers avec sa leacutegende on y voit un ange laissant tomber une pierre preacutecieuse dans le calice pendant que saint Loup ceacutelegravebre la messe Cette pierre preacutecieuse venue du ciel se conservait disait-on dans le treacutesor royal La leacutegende du saint se continue dans les voussures qui entourent le Christ en majesteacute du tympan On y aperccediloit la cloche de Saint-Eacutetienne de Sens Cette cloche avait un si beau son que le roi Clotaire la fit enlever de la catheacutedrale et transporter agrave Paris mais par la volonteacute de saint Loup elle devint muette soudain de sorte quil fallut la renvoyer agrave Sens ougrave le saint lui rendit sa voix harmonieuse Dautres merveilles se deacutechiffrent dans les voussures des prisonniers sont miraculeusement deacutelivreacutes de leurs liens puis par la toute-puissance de sa parole le saint emprisonne le deacutemon dans un grand vase Ces contes de feacutee prennent autant dimportance quun autre eacutepisode tout humain celui-lagrave et plein de beauteacute on voit le roi Clotaire vaincu par la grandeur morale du saint quil avait envoyeacute en exil sagenouiller devant lui et lui demander pardon Ce meacutelange de pueacuteriliteacute et de noblesse ne choquait alors personne Pour les hommes de ce temps rien nest grand rien nest petit puisquen toute chose se reacutevegravele la preacutesence de Dieu

VIII

Dans la France du Nord et de lOuest Picardie Normandie et Bretagne les eacuteglises romanes ne nous offrent plus rien aujourdhui qui rappelle les saints de ces provinces Au XII

e siegravecle la sculpture

monumentale fut un art agrave peu pregraves eacutetranger agrave ces reacutegions ce nest que par la fresque et par le vitrail quelles purent ceacuteleacutebrer leurs grands eacutevecircques et leurs saints abbeacutes mais fresques et vitraux ont disparu Le Maine a cependant conserveacute un magnifique vitrail du XII

e siegravecle consacreacute agrave lapocirctre de la

province saint Julien Au Mans aucun saint ne fut plus profondeacutement veacuteneacutereacute que saint Julien En 1117 lorsque Foulques comte dAnjou et du Maine assista avec sa femme et son fils agrave la conseacutecration de la catheacutedrale du Mans la ceacutereacutemonie termineacutee il prit entre ses bras son fils encore enfant et le deacuteposa sur lautel de saint Julien Il voulait signifier par lagrave quil le mettait sous la protection du grand saint du Mans tout-puissant aupregraves de Dieu On ne seacutetonne donc pas de rencontrer dans la catheacutedrale du Mans un grand vitrail consacreacute tout entier agrave la vie de saint Julien Saint Julien entre au Mans et y multiplie les miracles Il y fait jaillir une source avec son bacircton prodige sans doute symbolique il convertit et baptise le gouverneur de la citeacute romaine puis il lenvoie eacutevangeacuteliser Angers Chaque fois lapocirctre est repreacutesenteacute avec la mitre et la crosse de leacutevecircque Son œuvre acheveacutee saint Julien meurt paisiblement et les anges emportent son acircme au ciel Ainsi tandis que le Midi ceacuteleacutebrait les saints par la sculpture et lorfegravevrerie le Nord les ceacuteleacutebrait par le vitrail Nous navons encore rien dit de la Touraine et de son illustre saint Martin Cest que saint Martin neacutetait pas le saint dune province mais de la France tout entiegravere Tours il est vrai eacutetait le centre de son culte et cest agrave Tours que les artistes avaient raconteacute pour la premiegravere fois sa vie Un petit poegraveme de saint Paulin de Peacuterigueux prouve quau V

e siegravecle on avait peint ses miracles dans la fameuse basilique qui contenait son

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tombeau Au VIe siegravecle une autre eacuteglise de Tours la catheacutedrale fut deacutecoreacutee de fresques consacreacutees agrave son histoire elles eacutetaient expliqueacutees par des vers de Fortunat qui se sont conserveacutes deacutejagrave lon voyait saint Martin donnant au pauvre la moitieacute de son manteau La catheacutedrale de Tours a eacuteteacute rebacirctie quant agrave la basilique de Saint-Martin plusieurs fois reconstruite elle a eacuteteacute deacutetruite par la Reacutevolution Les peintures et les vitraux quon y voyait perpeacutetuaient peut-ecirctre le souvenir des anciennes fresques Aujourdhui Tours ne conserve aucune œuvre consacreacutee agrave saint Martin qui soit anteacuterieure au XIII

e

siegravecle Mais ce que Tours ne nous montre pas nous le trouvons ailleurs Il y avait en France des centaines deacuteglises deacutedieacutees agrave saint Martin aussi ne seacutetonne-t-on pas de rencontrer son image dans toutes les reacutegions Loeuvre la plus ancienne qui le repreacutesente a eacuteteacute deacutecouverte dans les Pyreacuteneacutees mais sur le versant espagnol cest un panneau peint qui se trouvait jadis dans leacuteglise de Montgrony en Catalogne et qui est aujourdhui au Museacutee eacutepiscopal de Vich Loeuvre est si archaiumlque par le dessin et par le costume quelle peut remonter au XI

e siegravecle Aujourdhui aucun

monument consacreacute agrave lhistoire de saint Martin nest plus ancien Cest lagrave que nous voyons pour la premiegravere fois le saint coupant en deux son manteau pour en donner la moitieacute au pauvre geste que lart reacutepeacutetera de siegravecle en siegravecle et que lartiste catalan avait reccedilu du passeacute Saint Martin porte le long bouclier et la lance agrave gonfanon des barons de la Chanson de Roland Un autre compartiment nous montre le saint sur son lit de mort il est eacutetendu sur le dos car il navait pas voulu se coucher sur le cocircteacute pour calmer ses souffrances laquo Laissez-moi disait-il contempler le ciel raquo au-dessus les anges emportent son acircme Cette histoire de saint Martin sinspirait sans aucun doute dun original franccedilais elle nous prouve que la gloire du saint avait peacuteneacutetreacute jusquau fond des valleacutees les plus reculeacutees Il eacutetait naturel de rencontrer saint Martin dans les grandes abbayes car cest lui qui avait creacuteeacute les premiers monastegraveres de la Gaule et ceacutetait lui qui eacutetait le veacuteritable ancecirctre de tous les moines dOccident Aussi un chapiteau du cloicirctre de Moissac lui est-il consacreacute On y voit pregraves de la porte dAmiens qui souvre entre deux tours le jeune cavalier couper son manteau et en donner la moitieacute au pauvre Aussitocirct le Christ apparaicirct entre deux anges les bras ouverts il eacutetale largement le manteau et semble loffrir agrave ladmiration du ciel Cest alors que saint Martin entendit en recircve ces paroles prononceacutees par le Christ laquo Voyez Martin il nest encore que cateacutechumegravene et il ma revecirctu de son manteau raquo Mais cest dans les reacutegions eacutevangeacuteliseacutees par saint Martin dans le Nivernais et la Bourgogne en particulier que lon doit sattendre agrave rencontrer son image Lagrave son souvenir est resteacute plus vivant quailleurs le Morvan est plein de sources miraculeuses quil a fait jaillir et les paysans montrent encore les empreintes laisseacutees par le pied de sa mule sur la pierre Cest pourquoi plusieurs chapiteaux de leacuteglise de Garchizy dans la Niegravevre eacutetaient consacreacutes agrave saint Martin Ces chapiteaux sont aujourdhui au Museacutee archeacuteologique de Nevers on y voit leacutepisode du manteau que suit lapparition du Christ Labbaye de Veacutezelay qui seacutelegraveve aux confins du Morvan avait gardeacute le souvenir du grand missionnaire des pays eacuteduens Un chapiteau de la nef raconte un eacutepisode de sa leacutegende qui avait deacutejagrave eacuteteacute peint au VI

e siegravecle dans la catheacutedrale de Tours Saint Martin veut faire couper un pin

sacreacute auquel les paiumlens rendaient un culte les paiumlens y consentent agrave la condition que le saint sexpose agrave la chute de larbre Saint Martin nheacutesite pas mais au moment ougrave le pin va leacutecraser il legraveve la main et larbre tombe agrave lopposeacute Le pin de Veacutezelay styliseacute avec un art naiumlf ressemble agrave une plante des tropiques Telles sont disseacutemineacutees dans nos provinces les quelques œuvres consacreacutees aux saints qui ont eacutechappeacute au temps Ce nest plus quun reflet un dernier rayon du soir qui laisse une lueur agrave la faccedilade de leacuteglise un eacuteclair dans le vitrail

LEacuteglise de France eut donc le culte de son passeacute et de bonne heure elle demanda agrave lart de le ceacuteleacutebrer Elle eacutetait fiegravere de ses saints qui formaient une suite ininterrompueune longue frise heacuteroiumlque Les siegravecles les plus steacuteriles ceux qui navaient eu ni eacutecrivains ni poegravetes ni artistes avaient eu leurs saints Ces siegravecles neacutetaient pauvres quen apparence puisque au sentiment des hommes dalors les saints eacutetaient les chefs-dœuvre de lhumaniteacute Comme Pascal lEacuteglise du moyen acircge mettait lordre de la chariteacute bien au-dessus de lordre de lintelligence cest pourquoi le moindre ermite qui dans la solitude avait reacuteussi agrave se vaincre lui-mecircme meacuteritait a ses yeux decirctre eacuteterniseacute par lart Lathlegravete avait eacuteteacute lideacuteal de la Gregravece antique lascegravete devint lideacuteal des temps nouveaux Au Moyen Age les hommes de notre race quand ils ont eacuteteacute grands ont toujours eacuteteacute des ascegravetes toujours ils ont meacutepriseacute le voluptueux Orient ses harems ses parfums la courbe enchanteacutee de ses arabesques Cette longue lutte de lOccident contre lOrient cest la lutte eacuteternelle de lesprit contre les sens La plus haute expression du moyen acircge cest le soldat qui se sacrifie le moine qui prie le saint qui foule aux pieds la nature Le saint voilagrave le vrai heacuteros de cet acircge cest lui qui par lenthousiasme quil excitait soulevait lhumaniteacute larrachait agrave son limon Encore aujourdhui le peuple qui sent instinctivement ce quil y a dextraordinaire dans la sainteteacute conserve la meacutemoire des saints Les paysans du Bourbonnais qui ont oublieacute les noms des rois de France connaissent encore saint Patrocle et saint Marien qui vivaient du temps de Greacutegoire de Tours Et nous aussi le nom dun saint inconnu nous inteacuteresse le lieu ougrave il a veacutecu nous eacutemeut lermitage la cellule le monastegravere habiteacutes par

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le saint conservent quelques chose de religieux comme chez les anciens ces lieux sacres quavait toucheacutes le feu du ciel

EMILE MALE

EXPLICATION TREgraveS CURIEUSE

DES

EacuteNIGMES ET FIGURES HIEacuteROGLYPHIQUES PHYSIQUES

QUI SONT AU GRAND PORTAIL

DE LEacuteGLISE CATHEacuteDRALE ET MEacuteTROPOLITAINE DE NOTRE-DAME DE PARIS

Par

LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT

Le Mercredi 20 de May 1640 veille de la glorieuse Ascension de notre Sauveur Jeacutesus-Christ apregraves avoir prieacute et sa tregraves-sainte Megravere Vierge en lEglise Catheacutedrale Meacutetropolitaine de Paris je sortis de cette belle et grande et consideacuterant attentivement son riche et magnifique Portail dont la structure est tregraves exquise depuis le fondement jusquagrave la sommiteacute de ses deux hautes et admirables Tours je fis les remarques que je vais expliquer Je commence par observer que ce Portail est triple pour former trois principales entreacutees dans ce superbe Temple seul corps de bacirctiment et annoncer la Triniteacute de Personnes en un seul Dieu sous lesquelles par lopeacuteration de son Esprit Saint son Verbe sest incarneacute pour le salut du monde dans les flancs de la Vierge sainte Symbole des trois principes ceacutelestes en uniteacute qui sont les trois principales clefs ouvrantes les principes [cest-agrave-dire le Mercure le Soufre et le Sel] et toutes les portes les avenues et les entreacutees de la nature sublunaire cest-agrave-dire de la segraveve universelle et de tous les corps quelle forme et produit conserve ou reacutegeacutenegravere

1deg La figure poseacutee au premier cercle du Portail vis-agrave vis lHocirctel-Dieu repreacutesente au plus haut Dieu le Pegravere Creacuteateur de lUnivers eacutetendant ses bras et tenant en chacune de ses mains une figure dhomme en forme dAnge Cela repreacutesente que Dieu Tout-Puissant au moment de la creacuteation de toutes choses quil fit de rien seacuteparant la lumiegravere des teacutenegravebres en fit ces nobles Creacuteatures que les Sages appellent Ame Catholique Esprit universel ou Souffre vital incombustible et Mercure de vie cest-agrave-dire lhumide radical geacuteneacuteral lesquels deux principes sont figureacutes par ces deux Anges [on a deacutejagrave eu loccasion de montrer que cet humide radical que Fulcanelli appelle meacutetallique ne peut ecirctre autre chose que des laquo chaux raquo meacutetalliques qui sont initialement incorporeacutees au Mercure sous forme de sulfates]

Dieu le Pegravere les tient en ses deux mains pour faire la distinction du souffre vital son huile de vie quon appelle Ame et du Mercure de vie ou humide premier neacute quon nomme Esprit quoique ce soit termes synonymes [il est remarquable de voir comment Gobineau emploie des termes parfaitement justes pour parler du Soufre et du Mercure lexpression huile de vie caracteacuterise leacutetat second du Mercure ducircment preacutepareacute et animeacute] mais seulement pour faire concevoir que cette Ame et cet Esprit tirent leur principe et leur origine du monde surceacuteleste et archeacutetypique ougrave est le Siegravege et le Trocircne plein de gloire du Tregraves-Haut dougrave il eacutemane surnaturellement et imperceptiblement pour se communiquer comme la premiegravere racine la premiegravere Ame mouvante et la source de vie de tous les Etres en geacuteneacuteral et de toutes les Creacuteatures sublunaires dont lhomme est le chef de preacutedilection Dans le cercle au-dessous du monde surceacuteleste et Archeacutetypique est le Ciel firmamental ou astral dans lequel paraissent deux Anges la tecircte pencheacutee mais couverte et enveloppeacutee

Linclination de ces deux Anges la tecircte en bas

[St-Pierre Fulcanelli le rappelle fut crucifieacute la tecircte en bas lhieacuteroglyphe ceacuteleste de Veacutenus peut de mecircme se voir agrave lendroit ougrave il figure Aphrodite ou agrave lenvers et il deacutesigne alors ce globe crucifegravere que les bons auteurs ont toujours deacutesigneacute comme la stibine ou mieux lalbacirctre des Sages]

nous donne agrave entendre que lAme universelle ou lEsprit Catholique ou pour mieux dire le souffle de la vertu de Dieu cest-agrave-dire les influences spirituelles du Ciel archeacutetypique descendent de lui au Ciel astral qui est le second monde eacutegalement ceacuteleste dit eacutetipique ougrave habitent et regravegnent les planegravetes et les eacutetoiles qui ont leur cours leurs forces et vertus pour laccomplissement de leur destination et de leurs devoirs selon les deacutecrets de la Providence qui les a ainsi ordonneacutes et subordonneacutes afin dopeacuterer par leur ministegravere et leurs influences la naissance et geacuteneacuteration de tous les Etres Spirituels et de toutes choses sublunaires participants de lAme et de lEsprit universel et par les deux Anges la tecircte en bas et qui sont vecirctus nous est deacutesigneacute que la semence universelle et

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spirituelle Catholique ne monte point mais descend toujours [la Roseacutee de mai est ici expresseacutement deacutesigneacutee] et lenveloppe dont elle est voileacutee dans les corps nous enseigne que cette semence ceacuteleste est couverte quelle ne se montre point nue mais quelle se cache avec soin aux yeux des ignorants et des Sophistes et nest point connue du vulgaire

3deg Au-dessous du Firmament est le troisiegraveme Ciel ou leacuteleacutement de lair dans lequel paraissent trois enfants environneacutes de nuagesCes trois enfants signifient les trois premiers eacuteleacutements de toutes choses appeleacutes par les sages principes principians dont les trois principes infeacuterieurs sel souffre et mercure tirent leur origine et quon nomme principes principieacutes pour les distinguer des premiers quoique tous ensemble ils descendent du Ciel archeacutetypique et partent des mains de Dieu qui de sa feacuteconditeacute remplit toute la nature mais toutes les influences spirituelles et ceacutelestes semblent ecirctre eacutemaneacutees des deux premiers Cieux avant de sunir agrave aucun corps sensible ce qui fait que toute eacutemanation spirituelle du premier Ciel ou de lArcheacutetypique est appeleacutee Ame et celle du second Ciel ou Firmament est nommeacutee Esprit

Ce sont donc cette Ame et cet Esprit invisibles et purement spirituels qui remplissent de leurs vertus actives et vivantes le troisiegraveme Ciel appeleacute Eleacutementaire ou le Ciel typique parce que cest le seacutejour des Eleacutements qui mus ordonneacutes et subordonneacutes par les deux mondes supeacuterieurs agissent agrave leur tour par commotion et mouvement descendant ascendant progreacutediant et circulaire sur tous les Etres infeacuterieurs et sur toutes les Creacuteatures sublunaires composes de leurs qualiteacutes mixtes quon nomme les quatre tempeacuteraments

Or cette Ame eacutemaneacutee dans le monde Eleacutementaire quelle remplit de sa lumiegravere vivifiante est appeleacutee souffre et lesprit eacutemaneacute du monde ou Ciel firmamental qui est en principe lhumide radical de toutes choses auquel ce souffre ou la chaleur lumineuse est attacheacute et adheacuterant comme agrave son premier et dernier aliment est appeleacute Mercure ou lhumide premier neacute qui est lhumide radical de toutes choses et par conseacutequent indivisible du souffre ou acircme eacutetheacutereacutee laquelle eacutetant un feu ceacuteleste lumineux et chaud ne peut subsister sans son union intime et indissoluble avec cet esprit son humide radical mais cela est au-dessus de la porteacutee des insenseacutes [Gobineau parle ici de la neacutecesssiteacute que le meacutetal soit reacuteincrudeacute cest-agrave-dire dissous au sein du Mercure]

Cette Ame et cet Esprit unis comme une seule et mecircme essence partant du mecircme principe et ne faisant pour ainsi dire quune mecircme chose puisquils ne sont divisibles que par lesprit ne peuvent ecirctre vus ni toucheacutes mais seulement conccedilus et compris par les sages Investigateurs de la Science de Dieu et de la Nature cette Ame et cet Esprit ne nous deviennent sensibles que par le lien indivisible qui les attache lun agrave lautre or ce lien quon nomme sel [il faut bien ici diffeacuterencier le lien entre les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature quil sagit de conjoindre du lien du Mercure dont nous parlons dans la section des blasons alchimiques] est leffet de leur union et amour mutuel et un corps spirituel qui nous les cache et les enveloppe dans son sein comme ne faisant quune seule et mecircme chose de trois ce que les gens peacutetris de preacutejugeacutes nentendront et ne comprendront point

Ce Sel est celui de la Sapience cest-agrave-dire la copule et le ligament du feu et de leau du chaud et de lhumide en parfaite Homogeacuteneacuteiteacute et qui est le troisiegraveme principe [Gobineau deacutevoile ici un secret de haut lignage il sagit de ce que nous avons appeleacute le sel harmoniac sophique] il ne se rend point visible ni tangible dans lair que nous respirons ougrave il est subtil et fluide et il ne manifeste son corps visible que par son seacutejour et deacutepocirct en reacutesidu dans les mixtes ou composeacutes deacuteleacutements quil fixe et encloue en se mecirclant intimement au Souffre Mercure et Sel qui sont des principes naturels agrave lui fort analogues et Constituteurs des Creacuteatures Sublunaires

Le Sel ceacuteleste est le principe principiant qui procegravede de lAme et de lEsprit cest-agrave-dire de leur action ou pour mieux dire du souffre et du Mercure eacutetheacutereacutes il est le moyen et le milieu qui les unit dans leur action pour se traduire en fluide dans le souffre le Mercure et le Sel de nature sous un corps visible et tangible lors appeleacute par les Sages de toutes sortes de noms tantocirct Sel Alkali Sel Armoniac Salpeacutetre des Philosophes et tantocirct de mille surnoms symboliques ou agrave son origine ou agrave sa descension ou bien agrave son essence corporelle pour prouver queacutetant lAme IEsprit et le Corps universel de la Nature il est susceptible de toutes sortes de deacutetermination quil plaira agrave la Nature ou agrave IArtiste de lui donner selon lArt de la Sagesse [cest au fond ni plus ni moins quun bi-silicate qui est ici deacutesigneacute le secret reacuteside dans le dosage exact des eacuteleacutements accessoires tels la chaux la silice et lagent mineacuteralisateur proprement dit]

Mais il ne faut point perdre de vue que cest du monde surceacuteleste que la source de la vie de toutes choses tire son origine et que cette vie est appeleacutee Ame ou Souffre [cest loxyde qui assure la teinture de la pierre par conseacutequent cest lui qui loriente mais la nature de la terre vitrifiable ou cimolienne intervient aussi] que du monde ceacuteleste ou firmamental procegravede la lumiegravere quon

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appelle Esprit autrement humide ou Mercure et que cette Ame et cet Esprit remplissant de leur feacuteconditeacute vivifique le troisiegraveme monde appeleacute Eleacutementaire leur action eacutenergique et eacutelastique perpeacutetuellement circulaire [cette ideacutee de cercle fondement de lart si lon se reacutefegravere au serpent Ourobouros a trait au caractegravere permanent constant du feu secret] y porte et produit le Feu tout divin analogique de chaleur et dhumide radicaux mais qui est imperceptible et invisible non vulgaire ni grossier et par lequel comme Feu de vie par essence nourrissant Reacuteparateur Conservateur et non Destructeur les choses deviennent palpables et de soliditeacute corporelle [on a dit dans une autre section que laction du dissolvant loin de dissoudre consiste au contraire agrave joindre les deux chaux en une accreacutetion cest lapparition de Deacutelos] Dougrave il faut conclure que ces trois substances Souffre Mercure et Sel universel ceacutelestes sont les vrais principes principians de la geacuteneacuteration de toutes choses et que ces trois substances naturelles et sublunaires dans lesquelles les trois premiegraveres se rendent infuses et corporifieacutees sont les veacuteritables principes principieacutes constituteurs de la geacuteneacuteration des Corps par lencloument et la fixation quils font des qualiteacutes eacuteleacutementaires propres agrave la tempeacuterature des individus selon les Deacutecrets de la Providence

Cest ce qui a fait dire aux Sages que le Sel spirituel qui sert denveloppe et de lien au Souffre et au Mercure ceacutelestes eacutetait la seule et unique matiegravere dont se fait la Pierre des Philosophes et que comme ces trois substances identifieacutees par leur union nen faisaient quune la Pierre neacutetait point faite de plusieurs choses mais dune seule chose composeacutee trine en essence unique de principe et quadrangulaire de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees [cette forme nest autre que le rhomboegravedre tronqueacute forme presque cubique offerte par la Pierre] cependant cela se doit entendre agrave certains eacutegards qui puissent tomber sous lintelligence de lesprit et des sens en mecircme temps cest-agrave-dire quil ne faut pas simaginer que la matiegravere de la Pierre triangulaire et quadrangulaire des Sages se doive ni puisse prendre en son eacutetat de fluide aeacuterien invisible mais il faut entendre quil est neacutecessaire de chercher et trouver cette mecircme matiegravere de fluide aeacuterien infuse et corporifieacutee en une terre Vierge des enfants de la Nature qui en sont les mieux partageacutes les plus hautement et copieusement favoriseacutes et en qui les premiers et les seconds Agents unis ont plus de digniteacute dexcellence et de vertu Car la racine du Souffre des Sages de leur Mercure et de leur Sel est un Esprit ceacuteleste Spirituel et surnaturel qui par le veacutehicule de lair subtil se porte et se condense en air ou vapeur eacutepaissie et fait une matiegravere universelle et lunique de toute procreacuteation

4deg Au-dessous de ces trois enfants placeacutes dans leacuteleacutement de lair est le Globe de lEau et de la Terre sur laquelle paissent des animaux comme un mouton un taureau etc Le Globe de l Eau et de la Terre nous deacutesignent les Eleacutements infeacuterieurs tels que lEau et la Terre dans lesquels le Feu ceacuteleste et lhumide radical tregraves subtil par le moyen de lair sinsinuent jusquau profond et y circulent incessamment par leur propre vertu sous la forme invisible dun Esprit surceacuteleste et de vie qui selon David Psaume18 v 6 7 8 a son Tabernacle dans le Soleil dougrave par sa vertu eacutenergique comme un Epoux qui se legraveve de sa couche nuptiale il seacutelance pour parcourir la voie des Eleacutements ainsi quun

superbe Geacuteant [allusion aux Titans qui deacutesigne de la chaux] qui mesure son eacutelan et ses forces dans la vaste eacutetendue de lair sa sortie est du plus profond des Cieux de lagrave il procegravede peacutenegravetre partout et ne laisse rien priveacute de la chaleur de sa preacutesence vivifiante de lexpression mecircme de Salomon en son Eccleacutesiastes c 1 v 5 6 Cest ce mecircme Esprit divin qui eacuteclaire limmensiteacute de lUnivers qui se poussant et repoussant par vertu eacutenergique et eacutelastique en circuit du centre agrave lexcentre et en la capaciteacute de tout retourne sans cesse et perpeacutetuellement dans les cercles quil deacutecrit par son mouvement et son cours eacuteternel et universel

Cest ainsi que cet Esprit universel par le feu et lhumide nourrit les poissons dans leau les animaux sur la terre et les insectes en terre quil fait veacutegeacuteter les Plantes et produit les Mineacuteraux [cf la section sur le Mercure et les blasons alchimiques] et Meacutetaux au Centre et dans les entrailles de la Terre pourquoi son influence circulante comme Feu vital uni agrave lhumide radical par le Sel de Sapience est la semence universelle qui se congegravele et dont la vapeur seacutepaissit au centre de toutes choses cette semence spirituelle opegravere dans les diffeacuterentes matrices selon leurs dispositions leur nature leur genre leur espegravece et leur forme particuliegravere pour produire toutes les geacuteneacuterations en y mettant le mouvement et la vie

Quant aux deux animaux paissant qui sont le mouton et le taureau cest pour nous dire quau retour du Printemps et dans les deux premiers mois qui sont mars et avril auxquels ces deux animaux dominent en qualiteacute de signes du zodiaque la matiegravere universelle creacuteative et reacutecreacuteative eacutetant plus amoureuse de la Vertu ceacuteleste [allusion agrave la roseacutee de mai] qui y infuse ses proprieacuteteacutes vitales copieusement est plus abondante vertueuse et exalteacutee par conseacutequent aussi plus qualifieacutee quen un autre temps [voir lemblegraveme de Limojon de St-Didier]

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5deg Au-dessous de ces deux animaux on voit un corps comme endormi et coucheacute sur son dos sur lequel descendent de lair deux ampoules le col en bas lune adressant vers le cerveau et lautre vers le cœur de cet homme endormi Ce corps ainsi figureacute nest autre chose que le sel radical et seacuteminal de toutes choses lequel par sa vertu magneacutetique [cest lAimant de Philalegravethe il sagit du dissolvant qui assure la laquo disparition raquo initiale des chaux meacutetalliques cest lune des putreacutefactions de Le Breton] attire agrave soi lacircme et lesprit Catholiques qui lui sont homogegravenes et qui sans cesse sinsinuent et se corporifient dans le sel ce qui est repreacutesenteacute par les deux ampoules ou fioles contenants la chaleur et lhumiditeacute naturelle et radicale et ce sel ayant ainsi attireacute et corporifieacute ces deux substances en lui leur union spirituelle lui ayant acquis de prodigieux degreacutes de force il se pousse et peacutenegravetre dans le point central des individus et duniversel que ce sel eacutetoit il se particularise se corporifie se deacutetermine et devient rose dans le rosier or dans largent vif mineacuteral or dans lor plante dans le veacutegeacutetal roseacutee dans la roseacutee homme dans lhomme dont le cerveau repreacutesente lhumide radical lunaire et le cœur signifie la chaleur naturelle solaire veacutehiculeacutee dans le premier comme sa matrice

6deg Au cocircteacute droit des mecircmes trois enfants un peu plus bas que lair est un escalier par lequel monte agrave genoux un homme ayant les mains jointes et eacuteleveacutees en lair duquel eacuteleacutement il descend une ampoule ou fiole et au haut de lescalier il y a une table couverte dun tapis avec une coupe dessus Lescalier nous apprend quil faut seacutelever agrave Dieu le prier agrave genoux de coeur desprit et dacircme pour avoir ce don qui est le Magistegravere des Sages et vraiment un tregraves grand don de Dieu [assonance en grec entre le soufre et Dieu la matiegravere premiegravere est un sulfate] une gracircce singuliegravere de sa bonteacute et quil ne faut pas ecirctre en des lieux bas [cest tout le contraire lun des eacuteleacutements neacutecessaire agrave la preacuteparation du feu secret ne se trouve que dans les caves et les eacutetables] pour prendre la premiegravere matiegravere universelle qui contient la forme veacutegeacutetale et geacuteneacuterale du monde lampoule qui descend de lair signifie la liqueur ou roseacutee ceacuteleste qui deacutecoule premiegraverement de linfluence surceacuteleste se mecircle ensuite avec la proprieacuteteacute des astres et dicelles mecircleacutees ensemble il se forme comme un tiers entre terrestre et ceacuteleste voilagrave comme se forme la semence et le principe de toutes choses

Pour la coupe qui est sur la table elle repreacutesente le vase avec lequel on doit recevoir la liqueur ceacuteleste [cest le vase dit laquo de nature raquo reportez-vous agrave Cybegravele]

7deg Au cocircteacute gauche de cette mecircme Porte de ce grand portail sont quatre grandes figures de grandeur humaine qui chacune ont un symbole sous leurs pieds La premiegravere la plus proche de la porte a sous ses pieds un dragon volant qui deacutevore sa queue [symbole classique lune des gravures du De lapide philosophorum de Lambsprinck exprime parfaitement lalleacutegorie] La deuxiegraveme a sous ses pieds un lion dont la tecircte est contourneacutee vers le Ciel ce qui lui lait faire un effort de contorsion de col

[cette contorsion preacutesente un inteacuterecirct hermeacutetique majeur le deacutetour se dit en grec dont lune des acceptions est circonvolution mouvement de rotation combien de fois navons-nous pas rencontreacute ce mouvement denroulement ce resserrement Nous donnons cet extrait de nos blasons alchimiques qui permettra au lecteur la facile identification de notre Sujet en sa premiegravere matiegravere

Proche du filet la spirale se retrouve sur des pierres celtiques et lon peut citer avec R Viel la laquo pierre omphaloiumlde de Turoe comteacute de Galway raquo laquelle laquo date de leacutepoque de la Tegravene (300 ans av J-C) raquo Ces spirales repreacutesentent une reacuteserve de forces au plan hermeacutetique La cabale alchimique permet dy deacuteceler des indices de corps astringent qui laquo resserrent ou eacutetreignent raquo possegravedent une odeur stiptyque et sont freacutequemment associeacutes agrave certains symboles ici cest Bacchus qui est mentionneacute et le sujet des Sages est compareacute au lierre (consideacutereacute comme la partie mineacuterale) lagrave cest un arbre scieacute et eacutetreint quon peut observer crsquoest-agrave-dire un arbre mutileacute qui est compareacute au meacutetal dans un des caissons du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne (DM II) Le lierre (hedera) enguirlande le thyrse (javelot) de Bacchus il peut ecirctre compareacute aux serpents enrouleacutes en spirale autour du caduceacutee de Mercure et marque le caractegravere astringent ou styptique dune substance Dans le mecircme ordre drsquoideacutee on peut rapprocher par analogie le lierre dune plante souple qui sert agrave lier la vigne (ampelosdesmos) et notamment la couleuvreacutee (vitis alba) Enserrer lier cest bien cette action quexprime le personnage de la FIGURE XVI ougrave lon peut deviner un vautour expirant Ce vautour ou aigle a la mecircme valeur que le dragon expirant que lon voit sur lune des quatre Vertus au tombeau des Carmes que lon peut visiter dans notre section des Gardes du corps de Franccedilois II cette Vertu cest la Force Ce corps astringent nous lavons nommeacute de nombreuses fois et il est habituellement associeacute au bleacute On lextrait de la terre de Samos ou de la terre de Chio et il repreacutesente la reacutesine de lor Ce corps sapparente au 1

er Mercure ou sel des Sages]

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La troisiegraveme a sous ses pieds la figure dun ridicule qui se rit et se moque des figures quil regarde et qui semblent se preacutesenter agrave lui [il sagit du laquo fou raquo de loeuvre cest le Mercure] Et la quatriegraveme foule aux pieds [la terre agrave foulon est dun inteacuterecirct hermeacutetique majeur reporte-vous agrave la section sur la matiegravere premiegravere] un chien et une chienne qui tous sentremordent vigoureusement et semblent vouloir se deacutevorer lun et lautre [il sagit bien sucircr du chien de Corascegravene et de la chienne dArmeacutenie dArteacutephius ce sont les deux natures meacutetalliques de loeuvre]

Par le dragon volant qui deacutevore sa queue est repreacutesenteacutee la Pierre des Philosophes composeacutee de deux substances ou mercure dune mecircme racine et extraite dune mecircme matiegravere lune desquelles substances est lesprit eacutetheacutereacute humide et volatil et lautre est le souffre ou sel de nature corporel sec et fixe lequel par sa nature et sicciteacute interne [alkali fixe tartre vitrioleacute] deacutevore sa queue glissante de dragon cest-agrave dire dessegraveche lhumiditeacute et la convertit en Pierre aideacute par le feu constant dans la concaviteacute de lesprit eacutetheacutereacute humide siegravege de lacircme Catholique Le lion courbeacute qui regarde vers le Ciel deacutenote le corps ou sel animeacute qui deacutesire reprendre avec aviditeacute son acircme et son esprit

La figure du ridicule repreacutesente les faux Philosophes et Sophistes ignorants qui samusent agrave travailler sur des matiegraveres heacuteteacuterogegravenes et ne rencontrent rien de bon se moquent de la Science hermeacutetique et disent quelle nest pas vraie mais purement illusoire en quoi ils offensent la veacuteriteacute Divine qui a mis ses plus riches treacutesors dans le sujet Le chien et la chienne qui sentre-deacutevorent que les Sages appellent chien dArmeacutenie et chienne de Corascegravene signifient que le combat des deux substances de la Pierre est dune seule racine car lhumide agissant contre le sec se dissout et ensuite le sec agissant contre lhumide qui auparavant avait deacutevoreacute le sec est englouti par le mecircme sec et reacuteduit en eau segraveche [il sagit du Mercure philosophique] et cela sappelle prendre dissolution de corps et congeacutelation de lesprit ce qui est tout le travail de lŒuvre hermeacutetique

8deg Au dessous de ces grandes figures dans un pilier proche le Portail est la figure dun Evecircque [cest le conducteur ou laquo lappariteur raquo de loeuvre on peut lassimiler au sel harmoniac sophique] chargeacute de sa mitre et de sa crosse en posture meacuteditative Cet Evegraveque repreacutesente Guillemus Parisiensis ou bien celui qui a fait construire ce magnifique Portail et qui y a fait mettre les Enigmes [cet eacutevecircque a fait lobjet dun commentaire deacutetailleacute de Fulcanelli dans son Mystegravere des Catheacutedrales cf Cambriel]

9deg Au pilier qui est au milieu et qui seacutepare les deux portes de ce Portail est encore la figure dun Evecircque lequel met sa Crosse dans la gueule dun dragon qui est sous ses pieds et qui semble sortir dun bain ondoyant dans lesquelles ondes parait la tecircte dun Roi agrave triple Couronne qui semble se noyer dans les ondes puis en sortir derechef [cest lalleacutegorie semblable agrave celle de lapparition de Deacutelos qui consacre le deacutebut de laccreacutetion du Soufre agrave la Terre]

Cet eacutevecircque repreacutesente le sage Artiste Chimique lequel fait par son art congeler [voyez le reacutecit de De Cyrano Bergerac combat entre la reacutemore et la salamandre] la substance volatile du dragon mercuriel qui veut seacutelancer et sortir du vase qui le contient sous la forme deau ondoyante cest-agrave dire quil est exciteacute agrave ce mouvement interne par une douce chaleur externe et ce Roi couronneacute est le souffre de nature qui est fait par lunion physique et excentrique des trois substances homogegravenes mais seacutepareacutees par lArtiste de la premiegravere matiegravere Catholique lesquelles trois substances sont lesprit eacutetheacutereacute mercuriel le sel sulfureux ou nitreux et le sel alkali ou fixe et qui conserve son nom de sel entre les trois principes principians et les trois principes principieacutes qui tous trois eacutetaient contenus dans le chaos humide dans lequel ce Roi se noye et semble demander du secours quil nobtient de lArtiste alchimique quapregraves secirctre dissous dans le dissolvant de sa propre substance qui lui est semblable apregraves quoi il aura meacuteriteacute decirctre satisfait en sa demande cest-agrave dire quapregraves quil a eacuteteacute englouti et fait eau par son eau [il sagit dune substance qui se dissout dans son eau de cristallisation] il se congegravele par sa chaleur interne exciteacute par son sel ou sa propre terre par laquelle opeacuteration simple naturelle et sans meacutelange se fait le Magistegravere des Sages qui nest autre chose que dissoudre le corps et congeler lesprit apregraves avoir mis dans loeuf cristallin le poids convenable de lune et lautre substance qui sont triple et une car tout le travail de lŒuvre est de monter et descendre successivement quon appelle ascension et descension jusquagrave ce que de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees contraires homogeacuteneacuteiseacutees lon fasse trois principes constitutifs et ordonnateurs que des trois lon fasse apparaicirctre le feu et leau le sec et lhumide que de ces deux lon fasse un seul parfait peacutetrifieacute en sel qui contient tout le Ciel et la terre en eacutepuration et cuisson des heacuteteacuterogegravenes

10deg Au Portail agrave main droite lon voit les douze signes du Zodiaque diviseacutes en deux parties en ordre selon la science de Dieu et de la nature En la premiegravere partie du cocircteacute droit sont les signes du Verseur deau et des Poissons qui sont hors dœuvre ce quil faut remarquer et noter Puis en oeuvre sont le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux au dessus lun de lautre Et au dessus des Jumeaux

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est le signe du Lion quoique ce ne soit pas son rang car il appartient agrave LEcrevisse mais il faut consideacuterer cela comme mysteacuterieux Les signes du Verseau et des Poissons sont mis hors dœuvre cest expresseacutement pour faire connaicirctre quaux deux mois de janvier et feacutevrier on ne peut avoir ni recueillir la matiegravere universelle [cest purement alleacutegorique les signes zodiacaux sont des hieacuteroglyphes ceacutelestes voila tout] Pour le Beacutelier et le Taureau ainsi que les Jumeaux qui sont en œuvre Lun au-dessus de lautre et qui regravegnent au mois de mars davril et de mai ils apprennent que cest dans ce temps lagrave que le sage Alchimique doit aller au devant de la matiegravere et la prendre agrave linstant quelle descend du Ciel et du fluide aeacuterien ougrave elle ne fait que baiser les legravevres des mixtes et passer par dessus le ventre des Bourgeons et des feuilles Veacutegeacutetables qui lui sont sujettes pour entrer triomphante sous ses trois principes universels dans les corps par leurs portes doreacutees et y devenir la semence de la rose ceacuteleste ce qui sentend par symbole Alors son amour lui fait jeter des larmes qui ne sont rien plus que lumiegravere de laquelle le Soleil est le pegravere revecirctu dune humiditeacute de laquelle la Lune est la megravere et que le vent de lOrient apporte dans son ventre dans cet eacutetat vous lavez universelle et non deacutetermineacutee dautant que vous laurez prise auparavant quelle soit attireacutee par les aimants des individus speacutecifiques et quelle soit speacutecifieacutee en iceux

Au regard du signe du Lion qui est poseacute au-dessus de Jumeaux ougrave devrait ecirctre placeacutee lEcrevisse cest pour faire entendre quil y a quelque changement et une alteacuteration des Saisons contenue dans le travail manuel et physique de la Pierre et qui nest pas si propre pour recevoir et prendre la matiegravere quau temps ougrave regravegnent le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux car en eacuteteacute pendant les grandes chaleurs par lardeur et la pompe du Soleil qui exhale beaucoup dhumide radical pour sa substance son entretien et sa nourriture il se fait une grande dissipation et deacuteperdition des esprits et la plus grande partie de la matiegravere increacutementale et nourriciegravere des corps est convertie dans la spiritualiteacute aeacuterienne dont on ne peut la retirer que par le moyen de laimant physique et phylosophique qui lui est homogegravene cest-agrave-dire par une tempeacuterature assaisonneacutee dhumide qui est son aimant et son enveloppe

11deg Au bas un peu au-dessus du Verseau et vis-agrave-vis des Poissons lon voit un Dragon volant qui semble regarder seulement et fixement Aries Taurus et Gemini cest-agrave-dire les trois figures du Printemps qui sont le Beacutelier le Taureau et les JumeauxCe Dragon volant qui repreacutesente lesprit universel et qui regarde fixement les trois figures semble nous dire affirmativement que ces trois mois sont les seuls dans le cours desquels lon peut recueillir fructueusement cette matiegravere ceacuteleste que lon appelle lumiegravere de vie laquelle se tire des rayons du Soleil et de la Lune par la coopeacuteration de la nature un moyen admirable et un art industrieux mais simple et naturel

12deg Proche et derriegravere ce Dragon volant est figureacute un Ridicule et derriegravere ce Ridicule est un chien assis sur le dos sur lequel chien est poseacute un oiseau Ce Ridicule est un moqueur de la science hermeacutetique en question un rieur meacuteprisant des opeacuterations des vrais Sages et Philosophes et de tous leurs Partisans quil estime insenseacute tout aveugleacute quil est dans lerreur vulgaireLa figure de ce Chien poseacute sur le dos sur lequel est un oiseau nous fait entendre que ce chien est le corps ou le sol de la matiegravere universelle fidegravele agrave lArtiste qui sccedilait la travailler et loiseau repreacutesente lesprit de la mecircme matiegravere lequel y est poseacute cette matiegravere est connue communeacutement sous les noms de souffre et de mercure le sel pour tiers et copule ou liaison y eacutetant compris comme indivisible des deux qui sont le corps et lesprit

13deg En la seconde partie de ce Portail au cocircteacute gauche et tout en haut est le signe de lEcrevisse agrave la place dit Lion qui est de lautre cocircteacute du mecircme PortailSur la mecircme ligne de lEcrevisse sont la Vierge [symbole de la matiegravere primitive Virga paritura] la Balance et le Scorpion [symbole des deux

natures meacutetalliques par son venin ] tous quatre en oeuvre Et ensuite le Sagittaire [qui a des rapports avec Arteacutemis] et le Capricorne [dont Saturne-Cronos est le maicirctre] qui sont hors doeuvre Par lEcrevisse ainsi placeacutee en haut est teacutemoigneacute que la matiegravere Lunaire a eacuteteacute bien abondante mais que labondance nen est plus si grande agrave cause que les Pleiumlades qui sont des constellations humides sen retournent La Vierge la Balance et le Scorpion sont les derniers degreacutes de chaleur pour la coction de loeuvre Phylosophique car en ce temps Automnal la maturiteacute des fruits se parfait par le Sagittaire et le Scorpion qui sont hors doeuvre ce qui deacutemontre leur frigiditeacute et sicciteacute et que ces qualiteacutes conccedilues par lesprit intelligent sont neacuteanmoins invisibles exteacuterieurement en la matiegravere de notre Magistegravere

14deg A droite et agrave gauche de ces douze Signes du Zodiaque qui repreacutesente le cours de lanneacutee sont quatre figures repreacutesentant les quatre Saisons qui sont lHiver le Printemps lEteacute et lAutomne Par ces quatre Saisons il est donneacute agrave entendre que le Composeacute phylosophique doit ecirctre entretenu en lathanor ou fourneau de cuisson pendant un an et plus ce qui fait dix mois hermeacutetiques par les degreacutes dune chaleur qui soit douce et proportionneacutee au commencement et puis un peu plus forte

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sur la fin et cependant lineacuteaire comme pour faire colorer et mucircrir les fruits qui se recueillent pendant trois de ces Saisons agrave savoir le Printemps lEteacute lAutomne moyennant quoi lArtiste acquiert la Meacutedecine au blanc Symbole de la Vierge megravere et Pascale quil peut arrecircter et prendre au cercle citrin comme Meacutedecine lunaire universelle parfaite ou bien continuer sans interruption de travail et pousser jusquau rouge parfait qui en est produit comme Meacutedecine solaire universelle et souveraine accomplie au temps de sa naissance marqueacutee solennellement par les Sages

15deg Au-dessous de huit grandes Figures du mecircme Portail dont il y en a quatre de chaque cocircteacute et tout en bas sont deacutemontreacutees les vraies opeacuterations pour faire et parfaire la Meacutedecine universelle que le Curieux apprenti de cette Oeuvre divine pourra expliquer ou se les faire expliquer mais jamais ne les expliquer par eacutecrit

16deg Lon voit six Figures au Portail du milieu au cocircteacute droit La premiegravere est un Aigle [symbole complexe lun des plus difficiles agrave appreacutehender lAigle a rapport avec la sublimation] la seconde un Caduceacutee entortilleacute de deux serpents [double Mercure] la troisiegraveme un Pheacutenix qui se brille la quatriegraveme un Beacutelier la cinquiegraveme un homme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair et la sixiegraveme est une Croix au trait quarteacute ougrave il se voit dun cocircteacute sur la ligne transversale une larme et sur la mecircme ligne de lautre cocircteacute un calice en cette forme[] Ces six Figures ne sont pour ainsi dire que la reacutepeacutetition de ce qui a deacutejagrave eacuteteacute dit tant de fois sous diffeacuterentes figures et diffeacuterents termes qui sont ineacutepuisables par le peu de travail et la simpliciteacute de la matiegravere qui ne se fait neacuteanmoins connaicirctre quaux vrais Philosophes et non pas aux Sophistes ignorans quelques recherches quils en fassent parce que leur intention est mauvaise et orgueilleuse et que ce Don divin nest accordeacute quaux simples et humbles de coeur meacutepriseacutes du reste du monde insenseacute et assez malheureux en son aveuglement pour ne se repaicirctre que de fables transitoires

1deg Laigle par exemple ne signifie autre chose que lEsprit universel du monde et cest lOiseau dHermegraves et le mouvement perpeacutetuel des Sages

2deg Le Caduceacutee entortilleacute de deux serpents enseigne que la Pierre est composeacutee de deux substances quoique tireacutee du mecircme corps et extraite de la mecircme racine ces deux substances neacuteanmoins semblent ecirctre contraires eu apparence lune eacutetant humide et lautre seiche [segraveche] lune volatile et lautre fixe mais elles sont semblables en essence et en effets parce quelles sont deux de nature venant dun seul principe quoiquelles ne soient reacuteellement quune

3deg Le Pheacutenix qui se brucircle et renaicirct de ses propres cendres nous apprend que ces deux substances apregraves avoir eacuteteacute mises dans loeuf philosophique en lAthanor agissent longtemps et naturellement lune contre lautre quelles se livrent de furieux combats avant de sembrasser et de sunir que la guerre est longue avant de recevoir le baiser de paix que les flots de la Mer philosophique sont longuement agiteacutes par le flux et reflux avant que la bonace et le calme puissent succeacuteder et reacutegner enfin que les travaux sont bien grands auparavant que ces deux substances se reacuteduisent finalement en poudre ou souffre incombustible car cela ne se peut faire quapregraves que lhumide Mercuriel a eacuteteacute consommeacute ou plutocirct desseacutecheacute par la grande activiteacute du chaud et sec interne de la substance corporelle du Sel de nature et que tout le compost est fait semblable Cest apregraves ces brucirclemens ou calcinations philosophiques que cette poudre le vrai Pheacutenix des Sages car il ny a point dans le monde dautre Pheacutenix que celui-lagrave eacutetant dissout derechef dans son lait virginal retourne agrave reprendre naissance par soi-mecircme et de ses propres cendres et continue ainsi agrave renaicirctre et mourir tout autant de fois quil plaicirct agrave lArtiste bien expeacuterimenteacute

4deg Le Beacutelier signifie toujours le commencement de la Saison en laquelle il faut prendre la matiegravere dautant quen ce temps deffervescence lhumide igneacute de lEsprit universel commence agrave monter de la Terre au Ciel et agrave descendre du Ciel en terre bien plus copieusement quen toute autre saison et avec plus de vertu surtout dans les miniegraveres ou le Soleil a fait au moins trente reacutevolutions et non plus de trente-cinq ougrave la Nature mineacuterale commence agrave reacutetrograder pour tendre agrave sa deacutepravation et agrave son deacuteclin

5deg Lhomme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair nous deacutemontre quil faut sccedilavoir ce que cest que lAymant fait par lhomme qui a la puissance dattirer du Ciel du Soleil et de la Lune par sa vertu magneacutetique lEsprit Catholique invisible revecirctu de la pure substance humide eacutetheacutereacutee influence quintessencieacutee pour de ces deux en faire une troisiegraveme substance participant des deux autres individuellement et qui chacune contienne en soi indivisiblement le Sel le Souffre et le Mercure universels lesquels tous trois se congegravelent et sunissent au centre de toutes choses

6deg Quand agrave la Croix ou sur les lignes transversales par les cocircteacutes dicelle sont poseacutes une larme et un Calice cest pour nous faire entendre que ce nest que la Nature eacuteleacutementaire cest-agrave-dire les quatre

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Elemens croiseacutes [le thegraveme de la Croix est omnipreacutesent en alchimie elle figure le creuset et aussi linconnue X de Fulcanelli] figureacutes par les quatre lignes de la Croix en effet cest par le moyen des quatre Elemens que les vertus et les eacutenergies ceacutelestes descendent et sinsinuent incessamment sur tous les Corps visibles et sublunaires Les deux lignes haute et basse repreacutesentent le Feu ceacuteleste et les deux autres lignes traversantes signifient lair et leau La larme qui signifie lhumide de lair pleine de feu vital et poseacutee sur la ligne de lair et de leau doit ecirctre reccedilue dans le Calice qui signifie le reacutecipient et non pas dans les basses valleacutees quoi quelle soit partout mais sur des lieux qui savancent dans lair ougrave elle ne sera pas prise en quantiteacute par ceux qui nont pas la connaissance de laimant physique et philosophique

7deg Proche de la Porte agrave droite il y a dun cocircteacute cinq Vierges sages qui tendent leur Calice ou coupe vers le Ciel et reccediloivent ce qui leur est verseacute den haut par une main qui sort dune nueacutee et au-dessous sy voient et sy remarquent les vraies opeacuterations Alchimiques et Philosophiques Ces cinq Vierges repreacutesentent les vrais Philosophes Hermeacutetiques amis de la nature et qui ayant connaissance de lunique matiegravere dont elle se sert pour travailler dans la magneacutesie des trois regravegnes animal mineacuteral veacutegeacutetal reccediloivent du Ciel cette mecircme et unique matiegravere dans des vases convenables et suivant les opeacuterations de la mecircme nature ils travaillent physiquement et apregraves avoir fait le Mercure ou dissolvant Catholique ou le Sel de nature qui contient son souffre les unissent au poids requis les cuisent en lAthanor et finalement en font lElixir Arabique

8deg De lautre cocircteacute dudit Portail gauche on voit cinq autres Vierges mais folles en ce quelles tiennent cette Coupe renverseacutee contre terre ainsi elles ne peuvent ni ne veulent y recevoir la Lunaire que la nature leur preacutesente et qui est si copieuse quapregraves avoir largement satisfait agrave tout lUnivers il y en a encore plus de reste que demployeacutee et cela se fait en tout et se distribue en tous tems et incessamment parce quainsi la ordonneacute la voulu et le veut le Tregraves-Haut auquel gloire immortelle ineffable soit rendue sur la terre et aux Cieux Par les Vierges folles la Coupe renverseacutee sont repreacutesenteacutees une infiniteacute et presque innombrables dopeacuterations fausses des Sophistes des Chimistes des ignorans et deacutesespeacutereacutes ainsi que des impitoyables Souffleurs et Charlatans [il sagit en fait de lexpression double du symbole de Veacutenus Aphrodite ou Gaiumla]Ces cinq Vierges folles signifient ces faux Philosophes qui ne demandent que hercelets Sophistiques comme rubifications dealbations cohobations amalgamations etc qui meacuteprisent la lecture des bons Auteurs et qui par cette raison ne peuvent avoir connaissance de la vraie matiegravere quoiquil est vrai de dire quils la portent toujours avec eux jusque dans leur sein sur eux alentour deux sous leurs pieds et quils la respirent continuellement mais leur orgueil trop preacutesomptueux leur fait en meacutepriser la meacuteditation et la recherche simaginant stupidement dans leurs grossiegraveres Sophistications et leurs faux preacutejugeacutes la trouver sans la connaissance de la belle et pure nature interpregravete des Mystegraveres divins

En effet cette matiegravere est si commune et dun si vil prix que le pauvre en a autant que le

riche et elle est neacuteanmoins si preacutecieuse que chacun en a besoin et ne peut sen Passer Car

lon ne peut ecirctre vivre et agir Sans elleTout ce que jai remarqueacute en ce triple Portail est agrave la

veacuteriteacute beau et ravissant mais ce sont lettres closes Enigmes et Hieroglifs pleins de mystegraveres

pour les ignorans et choses mystiques pour les sccedilavans pour lesquels jai donneacute cette

Explication quils doivent comme Curieux consideacuterer exactement en levant les voiles qui

leur cachent lentreacutee aux secrets Cabinets de la chaste Diane Hermeacutetique Je nai point lu dans

les Cartes antiques de Paris ni de cette Catheacutedrale pour savoir le nom de celui qui a eacuteteacute le

Fondateur de ce Portail merveilleux mais je crois neacuteanmoins que celui qui a foumi ces

Enigmes Hermeacutetiques ces symboles et ces Hieroglifs mystiques de notre Religion a eacuteteacute ce

grand Docte et pieux Personnage Guillaume Eveacuteque de Paris la profonde Science duquel a

toujours eacuteteacute admireacutee avec raison des plus sccedilavans Philosophes Hermeacutetiques de lAntiquiteacute et

particuliegraverement du bon Bernard Comte de Trevisan sccedilavant adepte Philosophe Hermeacutetique

car il est certain que cet Evecircque a fait et parfait le magistegravere des Sages Or comme il a plu agrave

la divine Providence de me faire la gracircce de me donner quelque lumiegravere et connaissance de la

Philosophie Physique et Hermeacutetique jai tellement travailleacute quapregraves un long temps beaucoup

de soins de lecture des bons Livres et avoir fait quantiteacute de belles et bonnes opeacuterations jai

enfin trouveacute la triple clef par son essence pour ouvrir le sanctuaire des Sages ou plutocirct de la

sage Nature de sorte que je peux fidegravelement expliquer les Ecrits paraboliques et eacutenigmatiques

des Philosophes anciens et modernes ainsi que jai expliqueacute assez clairement les Enigmes

Paraboles et Hieroglifs de ce triple Portail ce que je fais tregraves volontiers pour donner

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contentement aux sccedilavans amateurs de cet Art divin et exciter la curiositeacute des nouveaux

Candidats qui aspirent agrave la connaissance de la Science naturelle et hermeacutetique dont Dieu

soit loueacute et exalteacute agrave jamais Ainsi soit-il Fin

Page 5: EXPLICATION TRÈS CURIEUSE - Tradgloss

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FIGURE III

(portail central)

Le portail central est relatif au Jugement dernier Au linteau on assiste agrave la reacutesurrection des morts au son de lolifant Ceux-ci rois soldats ou autres sortent vecirctus de leur tombeau et restent vecirctus mecircme lorsquils se dirigent vers lenfer (alors que les damneacutes sont tregraves souvent nus comme agrave Autun Bourges) Au registre infeacuterieur larchange St Michel pegravese les acircmes au centre tandis que le diable triche de faccedilon eacutehonteacutee A gauche les eacutelus legravevent le visage vers le Christ qui trocircne au-dessus deux A droite un diable pousse les damneacutes enserreacutes dans une corde vers une gueule denfer Au registre supeacuterieur un Christ en majesteacute est entoureacute danges portant les instruments de la Passion et des intercesseurs habituels la Vierge et Saint Jean Au trumeau on trouve un Beau Dieu Sur les socles on peut voir 6 des sept arts et la philosophie (cf Lart religieux du XIIIe siegravecle selon Emile Macircle) Ci-dessous la philosophie

FIGURE IV

(la Philosophie deacutetail)

Il saute aux yeux de leacutetudiant mecircme peu averti de lalchimie quil sagit lagrave dun des emblegravemes majeurs de lArt sacreacute sur lequel se sont longuement appesantis Fulcanelli et son disciple E Canseliet Lapparition donne agrave voir les deux cocircteacutes de la science dHermegraves le cocircteacute exoteacuterique cest le livre ouvert le cocircteacute eacutesoteacuterique cest le livre fermeacute Ou si lon preacutefegravere pour employer un langage qui ressortit plus directement agrave la cabale hermeacutetique respectivement le laboratoire et loratoire Nous avons eu loccasion deacutecrire ailleurs quune gravure reprenait agrave tregraves peu pregraves le symbolisme de cette alleacutegorie majeure [De Hans Vredemann de Vries in Amphitheatrum sapientiae aeternae Henri

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Kunrath 1609] Nous navons rien agrave ajouter aux commentaires lumineux des deux alchimistes du XXe

siegravecle Nous signalerons neacuteanmoins au lecteur linteacuterecirct que preacutesentent les nueacutees au-dessus de la tecircte de la deacuteesse qui voilent la roseacutee de mai chegravere agrave Altus auteur preacutesumeacute du Mutus Liber Leacutechelle de sapience dont le symbolisme se trouve deacutetailleacute dans les fragments commenteacutes des Douze Clefs de Philoosphie attribueacutees agrave Basile Valentin Le sceptre ou bourdon du pegravelerin jamais eacuteloigneacute de la meacuterelle de Compostelle [sur lexplication geacuteneacuterale de son symbolisme cf Meacutemoire sur le Meacutetamorphisme des roches dAchille Delesse] Des bas-reliefs de ce fameux portail central avaient fait lobjet dun commentaire ducirc agrave Marcel Aubert [Bulletin monumental publ par la Socieacuteteacute franccedilaise darcheacuteologie pour la conservation et la description des monuments historiques 1913 1 Vol 77 - T 77 ] Les voici

QUATRE BAS-RELIEFS DU GRAND PORTAIL DE NOTRE-DAME DE PARIS

Les contreforts de Ia porte du Jugement dernier agrave Notre-Dame de Paris sont orneacutes de quatre bas-reliefs incrusteacutes dans la pierre agrave la suite des meacutedaillons des Vertus et des Vices auxquels ils ne se rattachent ni par leur composition ni par leur facture

[Ces quatre bas-reliefs ont la mecircme hauteur que ceux de la seacuterie des Vertus et des Vices mais ils sont plus eacutetroits Peut-ecirctre avaient-ils eacuteteacute destineacutes primitivement agrave orner les pieacutedroits de la porte ou mecircme les faces des contreforts suivant un systegraveme qui deviendra freacutequent dans la seconde moitieacute du XIII

e siegravecle et au XIV

e siegravecle]

ils paraissent anteacuterieurs de quelques anneacutees et ont du ecirctre exeacutecuteacutes au deacutebut du XIIIe

siegravecle Ils sont dun tregraves beau style et rappellent par la noblesse des attitudes la grandeur des traits malheureusement sauvagement bucirccheacutes lharmonie du costume les plus beaux bas-reliefs antiques Ces quatre bas-reliefs ont depuis longtemps exciteacute la sagaciteacute des iconographes et le sens de lun dentre eux ne nous apparaicirct pas encore tregraves nettement Au XVI

e siegravecle les hermeacutetistes les

interpreacutetaient agrave leur faccedilon

Job que lon voit sur lun deux serait la pierre philosophale qui passe par les eacutepreuves les plus diverses avant dacqueacuterir les vertus finales

Abraham figureacute sur un autre serait lartisan Isaac la matiegravere dans le creuset et lange linstrument de la transformation Un corbeau de pierre aurait lœil fixeacute sur le lieu ougrave sont enterreacutes trois rayons de soleil qui deviendront or au bout de mille ans et diamant au bout de trois mille ans Pendant la Reacutevolution lastronome Dupuis deacutefendit et sauva ces bas-reliefs en expliquant quils faisaient partie de tout un systegraveme astronomique quil deacutechiffrait sur les sculptures du grand portail La scegravene que repreacutesente le bas-relief supeacuterieur de droite est facile agrave expliquer cest leacutepisode du Sacrifice dAbraham Abraham debout devant lautel legraveve le bras pour sacrifier son fils Le petit Isaac qui eacutetait agenouilleacute sur lautel nest plus visible aujourdrsquohui Un ange descendant du ciel arrecircte le bras du patriarche En bas agrave gauche apparaicirct entre un arbuste et les fagots destineacutes au sacrifice le beacutelier qui servira dholocauste Sur le bas-relief situeacute au-dessous figure un guerrier armeacute de pied en cap couvert dune longue cotte eacuteperonneacute casqueacute dun heaume conique et portant leacutecu triangulaire du deacutebut du XIII

e siegravecle Il se dresse au sommet dune tour creacuteneleacutee et lance contre

le soleil dont on voit les rayons en haut agrave gauche un javelot derriegravere lui est une petite tourelle

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surmonteacutee dun docircme sans doute couronnement de lescalier de la tour Ce personnage est Nemrod

son nom mecircme signifie laquo reacutevolte raquo et la Bible (Gen X 9) dit de lui laquo Il fut un violent chasseur contre le Seigneur

[Labbeacute Fillion dans son commentaire de la Sainte Bible t I p52 montre quil faut traduire laquo lifne Elohim raquo par laquo contre le Seigneur raquo et non laquo devant le Seigneur raquo]

Strabon dans sa Glose ordinaire est encore plus explicite [laquo Nemrod qui ultra naturam cœlum penetrare voluit Significat diabolum qui ait Ascundam super astra cœli raquo Nemrod secundum josephum fuit auctor aedificandae turris quae taugeret cœlum raquo Saint Isidore de Seacuteville (Sancti Isidori allegoriae quaedam sacrae scripturae dans Migne t 83 col 103) dit aussi laquo Nemrod gigas diaboli typum expressit qui superbo appetitu culmen divinae celsitudinis appetivit diceus ascendam super altitudinem nubium et ero similis altissimo raquo V de Guilhermy qui a montreacute le premier dans son Itineacuteraire archeacuteologique de Paris (1855 p 46-48) quil fallait voir dans le guerrier ici repreacutesente Nemrod attribuait daccord avec Didron agrave linfluence du Coran le choix fait par lartiste de Nemrod comme symbole de lorgueil et de limpieacuteteacute Le Coran ninsiste pas particuliegraverement sur le caractegravere de Nemrod et nous pensons que les commentateurs de la Bible font assez ressortir son type dimpie et datheacutee]

Nemrod dans un accegraves dorgueil et dimpieacuteteacute lance du haut de la tour quil avait voulu faire eacutelever jusquau ciel un javelot contre lastre de Dieu En pendant de lautre cocircteacute de la porte sont deux autres bas-reliefs disposeacutes comme les premiers celui du haut dans un cadre rectangulaire celui du bas sous une arcade agrave plein cintre La scegravene du haut dun tregraves beau style repreacutesente la Deacuterision de Job Suivant le reacutecit de la Bible Job est assis sur un fumier il est presque nu un lambeau deacutetoffe tombe de ses eacutepaules et ceint ses reins il legraveve les yeux vers le ciel et croise les bras sur la poitrine en signe de soumission des vers repreacutesenteacutes avec un reacutealisme qui eacutetonne presque agrave leacutepoque ougrave a eacuteteacute sculpteacute ce bas-relief rongent son corps (Job II 7-8) Devant lui sa femme conseillegravere de reacutevolte laquo Vous demeurez dans votre simpliciteacute lui crie-t-elle Maudissez Dieu et mourez raquo (Job II 9)

Le saint homme Job reacutepond par un acte de soumission agrave la volonteacute du Seigneur laquo Ses trois amis qui avaient appris les maux qui lui eacutetaient arriveacutes eacutetaient venus chacun de leur pays Eliphaz de Theacuteman Baldad de Suba et Sophar de Naamath Car ils seacutetaient concerteacutes pour venir le voir ensemble et le consoler Et ayant leveacute

les yeux ils ne le reconnurent pas et ils pleuregraverent a haute voix deacutechiregraverent leurs vecirctements et jetegraverent de la poussiegravere en lair au-dessus de leur tecircte raquo (Job II11-12)

Le bas-relief de Notre-Dame est lillustration litteacuterale du texte de la Bible Cette scegravene a dailleurs eacuteteacute tregraves souvent repreacutesenteacutee au moyen acircge aussi bien au portail des catheacutedrales que dans les vitraux et les miniatures des manuscrits

Parfois mecircme comme au portail de la Calende agrave Rouen lhistoire de la Deacuterision de Job occupe plusieurs bas-reliefs on le voit un sur un tas de fumier puis vecirctu injurieacute par sa femme et dans un troisiegraveme bas-relief visiteacute par ses amis

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La scegravene sculpteacutee sous le bas-relief de Job est beaucoup plus difficile agrave identifier Cest un homme debout les jambes nues - elles sont tregraves deacuteteacuterioreacutees mais il semble quelles eacutetaient croiseacutees - vecirctu dune tunique largement fendue et dun manteau drapeacute sur leacutepaule gauche Il incline la tecircte en avant et legraveve le bras droit la main droite briseacutee eacutetait sans doute ouverte de la gauche il sappuie sur un grand bacircton qui est peut-ecirctre une lance A terre pregraves de lui sont un arc et deux flegraveches devant lui coule un ruisseau qui descend dun petit monticule couronneacute par deux arbres sur les branches du plus haut est un oiseau Telle est aussi preacutecise que le permet le mauvais eacutetat de conservation la description de cette scegravene encore tregraves eacutenigmatique

Les auteurs anciens comme Gueffier dans sa Description historique des curiositeacutes de leacuteglise de Paris (Paris 1763 p 211) ne mentionnent pas ce bas-relief

Didron le premier a chercheacute a lidentifier ou du moins agrave en donner le sens [Histoire de lart en France par les monuments La statuaire au XIIIe siegravecle dans la Revue de Paris 1836 t XXXI p 339]

Il voit dans nos quatre bas-reliefs des repreacutesentations historiques des Vices et des Vertus agrave cocircteacute des repreacutesentations alleacutegoriques

Sous Abraham symbolisant lobeacuteissance est un reacutevolteacute qui lance un javelot contre Dieu

Sous Job symbole de la patience et de la confiance en Dieu est la repreacutesentation de la deacutefiance un homme fort et armeacute tremble au bruit dun ruisseau et au croassement dun corbeau

De Guilhermy [op citeacute p 46-48] deacutecrit le bas-relief et avoue que toute explication lui eacutechappe il se fait leacutecho dune hypothegravese qui a eacuteteacute souvent reacutepeacuteteacutee depuis mais qui est inacceptable il faudrait voir ici Job contemplant les ravages des torrents deacutebordeacutes sur ses terres Plus reacutecemment M Enlart a

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donneacute de cette scegravene une explication tregraves inteacuteressante mais qui ne ma paraicirct pas pouvoir ecirctre accepteacutee Deacutecrivant les bas-reliefs des portails de la catheacutedrale dAuxerre du deacutebut du XIV

e siegravecle

[congregraves dAvallon 1907 p 614-616 - le bas-relief dAuxerre est plus endommageacute peut-ecirctre que celui de Paris il nous montre le mecircme personnage tourneacute en sens inverse sappuyant dans une pose pleine de noblesse sur une lance dont on distingue tregraves nettement le fer Son long manteau vole au vent ses jambes sont croiseacutees il paraicirct consideacuterer vers la gauche un monticule couronneacute dun arbuste Nous avons chercheacute mais en vain dans dautres ensembles relatifs agrave lHistoire de lEnfant prodigue la figuration du mecircme personnage ]

M Enlart trouve au milieu des scegravenes de lHistoire de lEnfant prodigue trois meacutedaillons ougrave sont figureacutes la femme aux serpents qui est la concupiscence

Job qui comme lEnfant prodigue a recouvreacute sa condition premiegravere apregraves de grandes tribulations enfin un personnage preacutesentant avec celui qui nous occupe ici les plus grandes ressemblances et que M Enlart identifie avec David David sappuyant sur sa houlette et vecirctu du costume de berger dans lequel il eacutetait arriveacute au camp de Sauumll choisit cinq pierres polies dans le torrent et savance vers Goliath La Bible deacutecrit en effet ainsi la scegravene (Reg XVII 30-40) David vient de refuser leacutepeacutee que Sauumll lui avait donneacutee

laquo il prend le bacircton quil avait toujours agrave la main choisit dans le torrent cinq pierres tregraves polies et les

met dans sa pannetiegravere de berger et tenant agrave la main sa fronde il marche contre le Philistin raquo

Ce qui rend cette hypothegravese impensable cest la preacutesence aux pieds de notre personnage non dune fronde mais dun arc que lon distingue tregraves nettement et de deux flegraveches dont on voit les extreacutemiteacutes empenneacutees et les encoches Malgreacute de longues recherches dans la Bible et dans ses Commentaires du moyen Age dans les manuscrits illustreacutes et dans les repreacutesentations peintes et sculpteacutees je nai pu retrouver lexplication de cette scegravene La preacutesence de larc et des flegraveches qui ne sexplique pas dans lhypothegravese de David allant combattre Goliath fait eacutecarter dautres hypothegraveses auxquelles on pourrait songer comme celle de Moiumlse devant le buisson tenant le bacircton qui sur son ordre se changera en serpent sur le bord du torrent dont leau deviendra du sang ou celle du prophegravete Elie se nourrissant de leau du torrent de Carish et du pain que lui apporte un corbeau Si ces bas-reliefs au lieu decirctre visiblement reacuteemployeacutes se trouvaient en place nous admettrions volontiers la thegravese de Didron qui voyait au-dessous de la repreacutesentation biblique dune vertu la repreacutesentation historique ou simplement en action du vice correspondant Mais rien ne nous

prouve que le bas-relief qui se trouve sous la scegravene de la Deacuterision de Job soit bien celui qui dans la penseacutee du clerc qui a ordonneacute ce portail devait ecirctre agrave cette place

Dans le Breacuteviaire de Charles ler [Bibl nat ms lat 1052 fol 217mdash M Macircle dans son beau livre sur lart religieux de la fin du moyen acircge en France a montreacute tout linteacuterecirct de ce manuscrit] ougrave nous trouvons les repreacutesentations bibliques et historiques des Vertus et des Vices cest Judas symbole du deacutesespoir qui figure en face de Job symbole de lespeacuterance Il nous a paru inteacuteressant de publier ces quatre bas-reliefs encore assez peu connus curieux par les problegravemes iconographiques quils soulegravevent Ce sont un des rares essais au XIII

e siegravecle de figuration des vertus laquo en action raquo

suivant lexpression de M Macircle Tandis que partout agrave cette eacutepoque aux portails de nos catheacutedrales les vertus sont repreacutesenteacutees sous la figure alleacutegorique dune femme portant un eacutecu timbreacute dun attribut nous voyons ici des repreacutesentations veacutecues des vertus

Marcel AUBERT

Commentaires il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant lecteur du Mystegravere des Catheacutedrales du non moins mysteacuterieux Fulcanelli que deux de ces bas-reliefs ont eacuteteacute commenteacutes par le plus grand alchimiste du XX

e siegravecle sur la figure V il sagit des deux bas-reliefs du bas Les deux bas-reliefs du

haut nont point eacuteteacute analyseacutes par Fulcanelli Si lon adopte un point de vue purement historique en se reacutefeacuterant agrave la Bible il est hors de doute que linterpreacutetation laquo exoteacuterique raquo de M Aubert est exacte Le mot exoteacuterique est mis entre guillemets agrave escient Il est bien clair que se rapportant agrave un haut fait de religion on ne saurait gloser de maniegravere rationnelle lagrave-dessus Cela eacutetant entendu nous pouvons

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neacuteanmoins infeacuterer quune interpreacutetation alternative est possible si lon adopte les preacuteceptes de la doctrine hermeacutetique

Aussi peut-on voir dans le bas-relief de gauche Cadmos deacutevoilant la fontaine de jouvence apregraves quil ait triompheacute du dragon [ou du serpent Python] en sorte davoir accegraves agrave leau vive qui est de toute neacutecessiteacute pour lArtiste Il est assez extraordinaire - mais ocirc combien significatif dans le sens dune interpreacutetation hermeacutetique laquo coulant de source raquo pour ainsi dire - que le corbeau soit nommeacute agrave cet endroit Tant il est vrai que cette eau vive est le signe pour lArtiste de lanimation de son Mercure et partant de la fin de la phase de putreacutefaction laquo lœuvre au noir raquo pour citer le roman de Marguerite Yourcenar Nous convenons quune telle interpreacutetation est pour ainsi dire contre nature Mais nous avons toujours dit - suivant en cela les preacuteceptes de Fulcanelli - que toute demeure toute sculpture etc preacutesentant des traits conduisant agrave une possible interpreacutetation hermeacutetique pouvait constituer un preacutetexte ce qui bien sucircr est le cas des deux bas-reliefs qui nous occupent Quant au bas-relief de droite nous avons eu loccasion de lanalyser dans la section du reacutebus de saint Greacutegoire-en-Viegravevre Quant agrave celui de la Deacuterision de Job [bas-relief du haut agrave gauche] il se preacutesente comme une parodie des Rois Mages allant au chevet du Christ deacuteposeacute dans sa litiegravere de paille pratiquement dans le fumier Les Rois Mages sont ici repreacutesenteacutes par Eliphaz Baldad et Sophar la figure christique eacutetant incarneacutee en Job Quant au bas-relief en haut et agrave droite M Aubert nous dit quil repreacutesente le sacrifice dAbraham Comment inteacutegrer le patriarche biblique dans le symbolisme du grand œuvre Nous retiendrons ici ces paroles de saint Paul laquo contra spem in spem credidit raquo que lon peut traduire par laquo pour une aventure sans espoir il puisa lespoir dans sa foi raquo ou bien laquo quand il ny avait plus despeacuterance sa foi lui donna lespoir raquo dougrave cette conclusion lapidaire laquo contre tout espoir il crut agrave lespeacuterance raquo A quoi nous pouvons rajouter cette maxime tireacutee de lIcircle Mysteacuterieuse roman geacutenial de Jules Verne - mais maxime qui serait attribueacutee agrave Ockam - laquo il ne sert agrave rien despeacuterer pour entreprendre ni de reacuteussir pour perseacuteveacuterer raquo En somme en lisiegravere ou en bordure pourrait-on dire du symbolisme propre agrave lalchimie avons-nous lagrave un message qui sadresse agrave lArtisteLes deux autres bas-reliefs ne posent pas de problegraveme celui du bas agrave gauche

FIGURE VI on peut en trouver une repreacutesentation semblable sur lun des caissons de la galerie hermeacutetique du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne le soleil darde ses rayons sur lœuf des philosophes agrave Paris cest lArtiste qui protegravege lathanor des ardeurs des rayons Sagit-il de lavertissement classique des alchimistes qui conseillent de modeacuterer le feu faute de quoi on courrait le risque de brucircler les fleurs Sagit-il dune alleacutegorie sur le feu sacreacute quil faut savoir maicirctriser Ou encore sur la maniegravere de capter le rayon igneacute qui constitue le Soufre rouge sublimeacute dans le Mercure Nous nen saurons pas plus Le bas-relief de gauche est superposable agrave lalleacutegorie de Cadmus qui apregraves avoir tueacute le serpent Python [ou le dragon] fonde la ville de Thegravebes lagrave ougrave le sabot de son cheval laisse jaillir une source deau pure cest cette repreacutesentation que nous voyons ici leau pure jaillissant du checircne que lon aperccediloit agrave

droite du bas-relief reacuteplique semblable agrave lune des figures du Livre dAbraham Juif

Cet article de M Aubert nous a permis dobserver le fait suivant au demeurant bien connu quun tableau lapidaire peut aiseacutement voir son sens deacutetourneacute de mille maniegraveres selon lobservateur mais quil existe des bornes au-delagrave desquelles le sens tombe pour ainsi dire de lui-mecircme nous venons de le voir pour le bas-relief repreacutesentant le sacrifice dAbraham ougrave il nest pratiquement pas possible de deacutefinir une approche hermeacutetique Tel nest plus le cas dautres bas-reliefs du grand pilier de Notre-Dame de Paris qui ont fait lobjet dune eacutetude approfondie de Fulcanelli dans le premier tome de sa trilogie il sagit bien sucircr du Mystegravere des Catheacutedrales Loin de nous le besoin de revenir sur les planches de louvrage pour les reacuteinterpreacuteter Non Nous en avons donneacute quelques-unes dans les sections du site pour servir le propos Mais il est eacutevident que Fulcanelli a ducirc sinspirer du traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant et degraves lors il paraicirct inteacuteressant de chercher en quoi les meacutedaillons des Vices et des Vertus ont pu deacuteterminer chez Fulcanelli lapproche qui fut sienne dans le Mystegravere des Catheacutedrales Nous ne pourrons ici que renvoyer le lecteur agrave un site remarquable sur lart religieux au XIIIe siegravecle reacutesumeacute simplifieacute du livre dEmile Macircle Lart religieux au XIIIe siegravecle Etude

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sur les origines de liconographie du Moyen Age et sur ses sources dinspiration (Armand Colin 1948)

Voici quoi quil en soit quelques reacuteflexions sur cet ouvrage Et aussi dun autre ouvrage consacreacute agrave lart religieux au XIIe siegravecle Ces deux recensions forment une introduction agrave lœuvre dEmile Macircle dont il faut regretter que lon ne trouve pas encore sur le serveur Gallica de la BNF la premiegravere eacutedition de lArt religieux au XIIIe siegravecle Cette introduction est preacutecieuse pour leacutetudiant en hermeacutetisme et alchimie et permet de reacutealiser la liaison entre les vieux sculpteurs bacirctisseurs de catheacutedrales dune part et les alchimistes du XX

e siegravecle qui par delagrave lœuvre dEsprit Gobineau de Montluisant

semployegraverent agrave trouver dans ces tableaux et ces livres muets lapidaires linspiration de leurs singuliegraveres reacuteflexions Nous voici agrave preacutesent en mesure de donner quelques preacutecisions sur la signification exoteacuterique des Vices et des Vertus repreacutesenteacutes sur les meacutedaillons du portail central de Notre-Dame

Les Vices et les Vertus de Notre-Dame de Paris

Nous ne saurions mieux faire que suivre lenseignement du Speculum majus de Vincent de Beauvais pour deacutebuter leacutetude des meacutedaillons de Notre-Dame de Paris Vincent de Beauvais que nous avons rencontreacute agrave de multiples reprises dans nos sections

[Donum Dei Ideacutee alchimique I II Char Triomphal de lAntimoine Chevreul critique de Hoefer I Chimie des Anciens I II Miroir dalchimie prima materia Atalanta fugiens XLII Nouvelle Lumiegravere Chymique Mercure]

FIGURE VII Quatriegraveme tome du Speculum majus de Vincent de Beauvais

eacuted de 1624 Bibliothegraveque nationale de France

Le Speculum majus ouvrage de Vincent de Beauvais est un condenseacute des savoirs de leacutepoque Lœuvre est diviseacutee en quatre parties appeleacutees miroirs

- le miroir de la nature les chapitres de cette partie suivent lordre des jours de la creacuteation Ils comprennent leacutenumeacuteration et la description de tous les eacuteleacutements de la nature en terminant par lhomme - le miroir de la science il raconte lhistoire de la Chute et preacutesente la science comme une des voies de reacutedemption Les sept arts sont consideacutereacutes comme autant de dons du Saint Esprit Toutes les connaissances scientifiques sont passeacutees en revue - le miroir moral il preacutesente une classification des vices et des vertus (dapregraves Saint Thomas dAquin)

- le miroir historique il preacutesente lhistoire de lEglise le reste neacutetant eacutevoqueacute queacutepisodiquement

Cest selon cette reacutepartition en quatre chapitres que les auteurs du site consacreacute agrave lArt religieux au XIIIe siegravecle se sont donneacute pour tacircche deacutetudier liconographie du Moyen Acircge Sans reprendre exactement leurs propos nous ajouterons surtout plusieurs remarques

- sur le miroir de la nature les animaux se voient attribuer une valeur symbolique forte Cest leacutevidence le bestiaire hermeacutetique est dune grande importance [cf par exemple la voliegravere alchimique analyseacutee dans la page du Poegraveme du Pheacutenix] Mais la nature peut ecirctre envisageacutee de faccedilon encore plus large en particulier la geacuteologie appliqueacutee agrave lhermeacutetisme que le lecteur se rapporte au Bergbuumlchlein [commenteacute par Daubreacutee] agrave la Reacuteveacutelation de la teinture des meacutetaux [Bernard Le Treacutevisan] au Traiteacute des Choses naturelles et surnaturelles [attribueacute agrave Basile Valentin] agrave la Philosophie Naturelle restitueacutee [Jean dEspagnet] On peut encore y annexer le Typus Mundi

- sur le miroir de la science laquo Lhomme peut se relever de sa chute par la science raquo (Vincent de Beauvais)

Tout comme le travail manuel affranchit des neacutecessiteacutes du corps la science affranchit de lignorance qui empoisonne lesprit Le travail est tregraves preacutesent dans les vitraux ougrave sont repreacutesenteacutes tous les

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meacutetiers artisanaux et eacutegalement dans les voussures et les soubassements de portail ougrave les travaux agricoles sont souvent mecircleacutes aux signes du zodiaque La science quant agrave elle est incarneacutee par les sept arts qui se composent dun trivium (grammaire rheacutetorique dialectique) et dun quadrivium (arithmeacutetique geacuteomeacutetrie astronomie et musique) La philosophie est consideacutereacutee comme la megravere de tous les arts Les diffeacuterents arts sont souvent repreacutesenteacutes sous forme de jeunes femmes doteacutees dinstruments symboliques On les trouve par exemple aux portails de Chartres et de Laon

Note les photographies des meacutedaillons sont tireacutes du site httparchitecturereligfreefr nous tenons agrave remercier les auteurs [Elisabeth et Vincent Trouveacute] de leur permission dinseacuterer sur cette page ces images des bas-reliefs qui donnent une nouvelle jeunesse au Mystegravere des Catheacutedrales sil est possible

FIGURE VIII la grammaire Limage montre une femme

avec une feacuterule (petite palette avec laquelle on frappait les eacutecoliers au sens figureacute autoriteacute seacutevegravere) et deux enfants agrave ses pieds nous y trouvons leacutequivalent de la sapience agrave laquelle lArtiste doit parvenir afin de preacuteparer ses matiegraveres sous ce rapport les deux enfants pourraient figurer Apollon et Arteacutemis Il sagit agrave tout le moins dapprendre agrave manier le Verbe ce qui en terme de cabale se traduit par un mot lhumour Qui ne sait pas ce quest lhumour bien tempeacutereacute ne sera jamais au fait de lArt Sacreacute Cest-agrave-dire qui ne connaicirct la vertu essentielle et roborative (fortifiante) du mot ESPRIT De lagrave agrave jouer sur les mots il ny a quun pas que lon ne peut franchir si lon na pas compris la SUBTILITE des textes alchimiques Subtiliteacute qui permet den comprendre le VERBE Et comme chacun sait le VERBE sest fait TERRE Nous ne saurions mieux reacutesumer la penseacutee veacutehiculeacutee par lArt dHermegraves

FIGURE IX - la dialectique Repreacutesenteacutee comme une

femme avec un serpent (parfois remplaceacutes par un scorpion) on ne saurait mieux concevoir les eacutechanges deacutenergie qui se produisent au sein du Mercure et quen termes de chimie moderne on qualifie doxydo-reacuteduction lagrave ougrave les Anciens semployaient agrave faire des magistegraveres Newton lui-mecircme sexprimait ainsi laquo Le 18 mai jai perfectionneacute la solution ideacuteale Cest-agrave-dire que deux sels eacutegaux portent Saturne Ensuite il porte la pierre et joint le malleacuteable Jupiter donne eacutegalement [sel ammoniac sophique] et ce dans de telles proportions que Jupiter sempare du sceptre ensuite laigle eacutelegraveve Jupiterraquo (Keynes MS 3975 p122 - citeacute dans Dobbs)

A leacutevidence nous assistons agrave des pheacutenomegravenes de meacutediation ce que Hermegraves ne deacutesavoue point dans sa Table dEmeraude [ougrave il faut lire dans le texte mediatione et non pas meditatione Notez que seuls Fulcanelli et F Hoefer donnent la version correcte du texte] Et lagent de la meacutediation par excellence est le serpent manifestation de lesprit corrompu par lacircme [dougrave le scorpion]

FIGURE X la rheacutetorique (Chartres catheacutedrale)

Il nexiste point de bas-relief repreacutesentant cet art agrave Notre-Dame de Paris La Rheacutetorique embleacutematiseacutee par Ciceacuteron est parfois doteacutee dun faisceau de lances et dun bouclier parfois simplement dun stylet et dune tablette de cire On voit dhabitude une femme faisant un geste oratoire Seul peut-ecirctre Heinrich Schuumltz paraicirct secirctre approprieacute ce quon pourrait nommer la Rheacutetorique des Dieux Ainsi dans les Psalmen Davids (1619) il affirme quil a eacutecrit ces psaumes en stylo recitativo auparavant presque inconnu en Allemagne Schuumltz fait allusion au strict principe rheacutetorique qui gouverne son style choral Sappuyant avec grande imagination sur le rythme de la parole il parvient agrave un rythme musical discontinu freacutequemment interrompu par des cadences et des effets deacutecho reacutealisant ainsi ce que seul Haydn oserait plus tard introduire une asymeacutetrie et une instabiliteacute radicales dans le tissu musical Cela est

dautant plus remarquable sagissant de la monodie Il nest point besoin de beaucoup dimagination

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pour faire voir lanalogie avec le principe formel qui doit guider lArtiste dans le magistegravere qualifieacute par tant de maicirctre dart de la musique mais nous y reviendrons en abordant directement cet art par un exemple des plus reacuteveacutelateurs Par la rheacutetorique nous compleacutetons le trivium ougrave sexprime le ternaire alchimique

FIGURE XI - larithmeacutetique (Chartres catheacutedrale)

Lagrave encore point de bas-relief la repreacutesentant agrave Paris LArithmeacutetique telle quelle est repreacutesenteacutee dans les manuscrits carolingiens deacutevide entre ses doigts une corde agrave boules eacutevocation de la bouillonnante dexteacuteriteacute des doigts computateurs de larithmeacutetique

FIGURE XII- la geacuteomeacutetrie La Geacuteomeacutetrie tient souvent agrave la fois le compas et la sphegravere car elle est la sœur de lAstronomie Elle peut ecirctre munie dun bacircton rappelant sans doute le roseau dor avec lequel dans lApocalypse Jean mesure le temple et lange la Nouvelle Jeacuterusalem Celle que lon voit agrave Paris tient une tablette Point nest besoin dinsister sur limportance de la geacuteomeacutetrie dans le magistegravere A cet eacutegard le lecteur naura quagrave consulter lAtalanta fugiens cap XXI ougrave toutes preacutecisions sont donneacutees Quant au compas un chapitre speacutecial lui est consacreacute dans notre page sur Fontenay-Le-Comte

FIGURE XIII - lastronomie (Chartres catheacutedrale)

LAstronomie ou lAstrologie dont le modegravele est Ptoleacutemeacutee rappelle limportance des horoscopes et eacutevoque lascendant des astres sur la formation de lamour et de la haine Elle peut tenir un cadran solaire un astrolabe ou une sphegravere armillaire et contempler la giration des astres autour de la planegravete Terre Voici ce quen termes exoteacuteriques lon dit dhabitude de lastronomie mais limportance hermeacutetique de lastronomie est consideacuterable pour leacutetudiant en alchimie le lecteur consultera ici notre humide radical meacutetallique notre zodiaque alchimique et les nombreux renvois aux constellations et aux deacutecans qui parsegravement le commentaire de lAtalanta fugiens Sur lastrologie voyez la partie du site qui lui est consacreacutee

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FIGURE XIV - la musique

La Musique illustreacutee par Pythagore inventeur du nombre dor est eacutevidemment le plus souvent munie dun instrument de musique (harpe lyre ou cythare) et saffaire agrave monter la gamme en frappant des clochettes avec un marteau On se souviendra aussi dun grand vieillard que nous preacutesente Fulcanelli dans le Mystegravere des Catheacutedrales qui nest autre que le Mercure Voyez ce que nous avons dit supra des rapports entre la musique et la rheacutetorique qui lui est congeacutenegravere Comme musicien alchimique on pourrait encore eacutevoquer les figures de Monteverdi et de Varegravese Sur Monteverdi cet extrait

laquo Curieusement Monteverdi esprit lucide sil en fut va prendre goucirct [] aux expeacuteriences alchimiques Pour samuser concegravede-t-il et tout en affichant (pour la forme) un certain scepticisme Et

cependant les faits sont lagrave jusque dans les anneacutees heureuses de la peacuteriode veacutenitienne le musicien se livrera au patient travail de ladepte faisant chauffer en les mecirclant les principes du soufre du

mercure et du sel dans lathanor sans en espeacuterer autre chose que le plaisir du jeu avec linsolite [] raquo [Monteverdi Roger Tellart Fayard 1997]

et sur Varegravese

Cette aura magique a pris son origine dans les termes quil emploie volontiers et dans la citation de Paracelse quil inscrivit en exergue de sa partition dArcana Une eacutetoile existe plus haut que tout le reste Celle-ci est leacutetoile de lApocalypse La deuxiegraveme est celle de lascendant La troisiegraveme est celle des eacuteleacutements qui sont quatre il y a donc six eacutetoiles eacutetablies Outre celles-ci il y a encore une autre eacutetoile limagination qui donne naissance agrave une nouvelle eacutetoile et agrave un nouveau ciel Varegravese sest pourtant expliqueacute sur la porteacutee de cette eacutepigraphe Cette phrase eacutequivaut agrave une deacutedicace elle fait de mon poegraveme symphonique un certain hommage agrave celui qui la eacutecrite mais elle ne la pas inspireacute et lœuvre nen est pas le commentaire Il exposa sa penseacutee au New Mexical Sentinel Lart ne prend pas naissance dans la raison Cest le treacutesor enfoui dans linconscient cet inconscient qui a plus de compreacutehension que nen a notre luciditeacute Dans lart un excegraves de raison est mortel La beauteacute ne provient pas dune formule Cest limagination qui donne la forme aux recircves Attireacute par les alchimistes de la Renaissance il reconnut jai surtout lu Paracelse Il eacutetudia les principes de lastronomie hermeacutetique en tira des applications musicales qui stimulaient son imagination Il meacutedita sur les preacuteceptes de la meacutedecine de Paracelse sur lassociation la dissociation et la coagulation agrave propos de laquelle il me cita lAcoustical Terminology La coagulation des ultrasons est le deacutepart de petites particules dans de plus larges agreacutegats par laction des ondes dultrasons Ce fut surtout la transmutation des eacuteleacutements qui le retint il soumit une cellule ou un agglomeacuterat agrave diffeacuterentes tensions agrave des deacutecalages de rythmes agrave diffeacuterentes fonctions de gravitation (attirance et lourdeur) agrave diffeacuterentes dynamiques Il ne chercha ni a deacutevelopper ni a les informer il voulut transmuer Varegravese fut degraves sa jeunesse un fervent de Leacuteonard de Vinci et Kepler le passionnait il pressent tout comme Leacuteonard de Vinci Il reacutefleacutechissait sur les marges derreurs que Kepler essayait dinteacutegrer dans une seacutecuriteacute matheacutematique et quil tentait dexpliquer sans savoir prouver pourquoi elles existaient Varegravese cultivait ces marges derreur de liberteacute plus exactement qui empecircchent la contrainte et donnent la vie II reacutepeacutetait que pour lui la musique eacutetait un art-science comme dans le Quadrivium du Moyen Age ou elle figurait parmi les arts de raison avec larithmeacutetique la geacuteomeacutetrie et lastronomie [Varegravese Odile Vivier Solfegraveges Seuil 1973]

Nous teacutemoignons ici de la justesse absolue des vues de Varegravese Comme Beethoven laffirmait la musique est plus haute que toute sagesse et que toute philosophie elle les comprend toutes et permet agrave lesprit dacceacuteder en conscience au cosmos

La repreacutesentation de la philosophie est plus complexe A Laon on la trouve repreacutesenteacutee assise la tecircte dans les nuages une eacutechelle appuyeacutee contre la poitrine Cette image correspond agrave la description quen fait Boegravece dans la Consolation philosophique Leacutechelle est ce qui permet daller des eacuteleacutements infeacuterieurs vers les eacuteleacutements supeacuterieurs A Sens la philosophie est tout aussi grave mais leacutechelle est remplaceacutee par un simple sceptre Nous avons vu limage de la philosophie de Notre-Dame de Paris supra

- sur le miroir moral cest lagrave quinterviennent les meacutedaillons des Vices et des Vertus

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FIGURE XV - la prudence ( le Mercure philosophique)

Nous voici placeacutes au seuil de la sapience alchimique avec ces meacutedaillons qui ont constitueacute la matiegravere mecircme et le preacutetexte de Fulcanelli dans le premier tome [le Mystegravere des Catheacutedrales Pauvert 1924] de sa trilogie Combien de fois les alchimistes ne nous ont-ils pas avertis que sans prudence lArtiste narriverait agrave rien Ne souhaitant pas ici faire des redites inutiles nous conseillerons au lecteur de visiter la section des Gardes du Corps ougrave les Vertus se trouvent analyseacutees Il est certain que limage du fixe et du volatil sont lindice clair du Mercure preacutepareacute et sublimeacute Ce bas-relief forme la planche VII des Mystegraveres et repreacutesente le Mercure philosophique Nous en sommes bien daccord Nous ajouterons que limage la plus fidegravele de ce Mercure philosophique est formeacutee par le signe zodiacal des Geacutemeaux identique dailleurs - au plan spirituel - avec la figure I du Livre dAbraham Juif dont Fulcanelli a montreacute quil eacutetait mythique Fulcanelli eacutecrit

laquo Cest lagrave ce ver empoisonneacute qui infecte tout par son venin

dont parle lAncienne Guerre des Chevaliers raquo [Mystegravere

p 104]

Ajoutons que ce laquo ver empoisonneacute raquo deacutesigne dhabitude le premier eacutetat du Mercure et quArtephius le nomme dans son Livre Secret le laquo vinaigre tregraves aigre raquo Voilagrave la transition toute trouveacutee avec limage de la folie

FIGURE XVI - la folie ( origine et reacutesultat de la pierre)

Au lieu quici comme nous venons de le dire cest la folie qui se trouve repreacutesenteacutee il sagit de limage du premier Mercure celui dont Fulcanelli nous dit quil est le laquo fou de lœuvre raquo On le repreacutesente souvent torsadeacute et contourneacute un peu comme dans les Ripleys scrowls cf les Douze Portes Nous en avons surtout parleacute agrave la section sur Fontenay quand on la compareacute au pyrophore de Homberg ou de Gay-Lussac Voilagrave quelques notes de Fulcanelli sur la planche XIX

laquo Au second meacutedaillon lInitiateur nous preacutesente dune main un miroir tandis que de lautre il eacutelegraveve la corne dAmaltheacutee agrave ses cocircteacutes se voit lArbre de Vie Le miroir symbolise le deacutebut de louvrage lArbre de Vie en marque la fin et la

corne dabondance le reacutesultat raquo [Mystegraveres p 124]

Bien lapidaire dans son explication le maicirctre de Paris se montrera plus geacuteneacutereux dans la description de ce miroir en citant Moras de Respour voici un extrait que na pas donneacute Fulcanelli pourtant bien plus explicite sinon exoteacuterique que celui quil donne

Cette cendre mineacuterale a en soi tout ce qui est neacutecessaire aux Curieux ceux qui lrsquoont connue ont eu la matiegravere dont on la tire en grande recommandation et de crainte qursquoon sut qui elle eacutetait ils lui ont imposeacute plusieurs noms comme de Lunaire drsquoherbe Saturnienne et autres Quelques uns lrsquoont compareacutee agrave la Salamandre agrave cause qursquoelle vit dans le feu Ils ne lrsquoont jamais mieux deacutepeinte que parlant du Phœnix qui renaicirct de ses cendres drsquoautres lrsquoont nommeacutee Lucifer ou Porte lumiegravere Veacutenus engendreacutee de lrsquoeacutecume de la Mer parce qursquoon la tire en eacutecumant On lrsquoa nomme Dragon agrave cause qursquoelle brucircle comme Salpecirctre Aigle parce que lrsquoon en tire lrsquoArmoniac mercuriel ils ont dit que crsquoest le Roi drsquoautant qursquoil est le plus consideacutereacute entre eux et le Lion agrave cause de sa grande force Ils disent que crsquoest lrsquoacircme meacutetallique agrave cause qursquoelle vivifie tous les Meacutetaux et qursquoelle est corps parce qursquoelle corporifie les esprits Mais communeacutement entre les Philosophes elle est entendue par Miroir de lrsquoart agrave cause que crsquoest principalement par elle que lrsquoon a appris la composition des Meacutetaux dans les veines de la Terre []

Rares Expeacuteriences sur lEsprit mineacuteral Paris Langlois et Barbin 1668

Plusieurs arcanes se trouvent entrelaceacutees dans ce texte mais en fin il y est question en somme dun sel infusible La pratique de lœuvre montre quil nexiste que trois sels infusibles dont lun est geacuteneacuterique et reacutesulte dune transformation au lieu que les deux autres sont speacutecifiques le sel infusible proteacuteiforme est ce que les

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anciens chimistes appelaient la chaux meacutetallique et il y a autant de chaux que de meacutetaux [sept pour rester dans la pure tradition hermeacutetique cf lhumide radical meacutetallique] Le second sel - la Salamandre - est celui que De Respour nomme la Lunaire et qui est confondue dans presque tous les textes avec le premier Mercure aussi la nomme-t-on plus justement le laquo suc de la Lunaire raquo Cest elle que lon appelle encore laquo pierre et non pierre raquo et que certains ont identifieacute au nostoc [Mystegraveres p 171 cf Atalanta XXXVII] Il se trouve que cette substance deacutecrite par Pline possegravede des traits communs avec une autre pierre que lon nomme la pierre de Jeacutesus ou pierre speacuteculaire leur racine est semblable et peut tregraves facilement ecirctre preacutepareacutee en laboratoire il suffit dun vitriol preacutepareacute dun sel que lon trouve chez les riches aussi bien que chez les pauvres [surtout agrave la campagne ne dit-on pas du fou que laquo son esprit bat la campagne raquo Cest lagrave un petit trait dhumour ougrave se signale un important point de science] eacutegalement preacutepareacute et dun feu meacutediocre Quant au pheacutenix ultime eacutetat du Rebis revivifieacute il reacutesulte de la reacuteincrudation de ces substances salines La reacutesurrection du pheacutenix est sous la deacutependance de ce Lucifer ou porte lumiegravere comme leacutecrit si justement De Respour Fulcanelli le nommant christophore [Mystegraveres p

186] et ayant emprunteacute agrave Offerus ses traits pour deacutesigner le Quant agrave lArmoniac mercuriel il ne correspond point agrave notre chlorhydrate mais - comme la vu Berthelot dans la Chimie des Anciens - agrave une sorte de sel fossile Il est appeleacute lagrave encore de bien des maniegraveres selon les Adeptes les uns le nommant le sel ammoniac dautres le sel harmoniac etc Sa principale qualiteacute semble ecirctre de donner un peu de liant agrave la Salamandre pour lempecirccher de seacutechapper du feu au 4

egraveme degreacute de feu cest-agrave-dire vers 1300degC la

salamandre au dire de Marc-Antoine Gaudin devient dun coup fluide comme de leau et se vaporise instantaneacutement Quant agrave lacircme meacutetallique il faut y voir le facteur qui rend compte de la viscositeacute des meacutetaux lorsquon leur impose le calorique et le mecircme quand au bout dun certain temps [cest la peacuteriode ougrave lœuvre est compareacutee agrave un travail de femme - quenouille - ou agrave un jeu denfant - yo-yo bilboquet -] de va-et-vient la cristallisation finit par sopeacuterer dans la masse saline Ce facteur - comburant - est en raison directe de la preacutesence dun agent carburant que les Sages ont nommeacute le Lait de Vierge et sans lequel laccroissement de la Pierre ne serait pas possible cest la corne dAmaltheacutee [cf Atalanta XLVII pour une description et des notes compleacutementaires] LArbre de Vie est lArbori Solare dont nous parlons agrave la section Fontenay

FIGURE XVII - la foi ( les quatre eacuteleacutements et les deux

natures)

Lalchimiste errant ne trouvera son chemin dans le labyrinthe de Salomon que muni du fil dAriane cest ce qui constitue sa foi agrave proprement parler Sur la foi consultez la Chrysopeacutee du Seigneur un apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Sachez que lArtiste en quecircte de son Mercure sera guideacute par une eacutetoile celle qui apparaicirct sur le meacutedaillon de Notre-Dame et que cet astre agrave linstar de celui qui guida les Mages dOrient le conduira dans une eacutetable ougrave il verra un enfant emmailloteacute de langes qui aura la

forme de notre Certains lont compareacute au sel de Pierre dautres au sel gemme Dans ce dernier cas ils lont nommeacute le sel harmoniac dont le rapport avec notre chlorhydrate est du mecircme genre que celui qui existe entre le vif-argent vulgaire et lhydrargyre philosophique Ce bas-relief est la planche XI du Mystegravere Fulcanelli se trompe en la nommant la Philosophie [nous avons vu supra quil sagit de la figure IV ougrave limagier a inscrit leacutechelle de la sapience et deux livres] ou bien alors cest par cabale quil veut ainsi deacutesigner la Foi eacuterigeacutee en forme de

doctrine hermeacutetique Fulcanelli deacutecrit le meacutedaillon comme une monade la croix y deacutesigne le quaternaire des eacuteleacutements mais il faut avoir des yeux de lynceacutee pour distinguer le disque lunaire dont il nous dit quil est marteleacute On croirait un astre quelconque et rien ne vient affirmer la conjecture du grand Adepte Le lecteur verra avec profit lagrave-dessus les dessins de la Monade Hieacuteroglyphique de John Dee car lAdepte parisien seacutetend peu sur la Foi alors que la croix forme lun des symboles les plus fascinants de lœuvre

FIGURE XVIII )- lidolacirctrie ( le sujet des Sages)

Aussi voilagrave qui peut expliquer - du mecircme rapport que la folie qui lui fait pendant - la fausse foi du souffleur qui naura pas su trouver le fil dAriane que nous eacutevoquons plus haut Il croira agrave des miroirs trompeurs au reflet de Narcisse et se complaira dans laquo mille brouilleries raquo pour reprendre lheureuse expression de Nicolas Flamel [Fig Hieacuter] Il croira au rapport de lArt sacreacute avec les cultes infernaux les ceacutereacutemonies dinitiation ougrave lesprit se dissout plus quil nest sublimeacute il succombera aux mystegraveres orphiques dans ce quils ont de plus vulgaire et ce sont les plus viles meacutetamorphoses quil accomplira dans son creuset Il est eacutetrange de voir Fulcanelli comparant lIdolacirctrie au meacutedaillon repreacutesentant la Folie mais cette eacutetrangeteacute est du mecircme rapport

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en musique que celui qui existe entre laccord consonnant et laccord dissonnant ils sont compleacutementaires Ainsi

laquo LAdepte sy retrouve mains jointes dans lattitude de la priegravere et semble adresser des actions de gracircces agrave la Nature figureacutee sous les raits dun buste feacuteminin que reflegravete un miroir Nous reconnaissons

lagrave lhieacuteroglyphe du sujet des Sages miroir dans lequel on voit toute la nature agrave deacutecouvert raquo [Mystegravere p 128]

La priegravere est une indication sur le Soufre [soufre cest-agrave-dire sulfure ou sulfate] agrave cause de

lassonance [soufre - Dieu] Combien de fois les alchimistes nous ont-ils dit quil fallait implorer Dieu pour reacutealiser lœuvre en affirmant - cest une constante dans les texte - que celui-ci eacutetait un laquo don de Dieu raquo Mais si le Christ a souffert la Passion Fulcanelli demande agrave limpeacutetrant une autre action de gracircce qui est celui de laquo potasser pour lXraquo Que lon voit dans cet X une croix anseacutee ou la croix du Christ apregraves tout peu importe car nul na dit que lalchimie eacutetait reacuteserveacutee aux Chreacutetiens quand bien mecircme il est eacutevident que lœuvre agrave partir du Moyen Acircge sest pour ainsi dire nourri de la figure christique en mecircme temps quelle nourrissait dailleurs la musique [cf le Visage du Christ dans la musique baroque Jean-Franccedilois Labie Fayard 1992]

FIGURE XIX - la chariteacute (preacuteparation du dissolvant universel)

Fulcanelli eacutecrit laquo un homme expose limage du Beacutelier et tient de la dextre un objet quil est malheureusement impossible de deacuteterminer aujourdhui Est-ce un mineacuteral un

fragment dattribut raquo

Il est bien difficile de reacutepondre agrave cette question On sait que le Beacutelier comme bien des signes zodiacaux a une nature double il reacutepond agrave Ariegraves et agrave Aregraves Le premier nous signale le signe du Printemps eacutepoque canonique ougrave il convient de deacutebuter les travaux mais qui doit sentendre au figureacute Car les deux premiers signes du zodiaque qui sont respectivement les lieux dexaltation du Soleil et de la Lune reacutepondent aux deux principaux composeacutes du Mercure un vitriol et un sel contenant sous une forme quelconque de lalkali fixe Si lon applique maintenant les regravegles de la

cabale voici ce quon peut dire du laquo fragment dattribut raquo en grec un attribut seacutenonce ou

Remarquons que Fulcanelli fait reacutefeacuterence agrave un fragment Or dans les deux cas le mot se

termine par cest-agrave-dire la fleur la violette Violette noire ou dun bleu sombre Il nest pas besoin den dire plus puisque nous avons deacutejagrave en maintes pages de ce site fait voir toute limportance que prenait dans le magistegravere la sphegravere de la violette chegravere agrave E Canseliet Voyons maintenant la racine

elle se reacutefegravere agrave un objet qui habite ou qui demeure dans sa maison on peut y voir la materia prima qui tient sa reacutesidence ou son gicircte laquo es cavernes de la terre raquo pour reprendre une expression quasi idiomatique dalchimie Et nous pouvons y voir la laquo maison de lor raquo cest-agrave-dire le christophore par lequel sexprime la Toyson dor de Salomon Trismosin Cest aussi la Toyson des Argonautes leur histoire est dune grande proximiteacute par rapport agrave lœuvre ainsi que la bien montreacute Dom Pernety dans ses Fables Egyptiennes et Grecques Ainsi voyons-nous que par laquo fragment dattribut raquo

Fulcanelli entend nous parler du Soufre dissous dans le Mercure [] et du Corps de la Pierre [] La chariteacute enseigne ainsi pour lalchimiste comment le Soufre tend la main au Sel Voilagrave le message que lalchimiste tenait ici agrave faire valoir Ce bas-relief correspond agrave la planche IX du Mystegravere On peut rajouter cette note de Pernety

laquo les Adeptes disent quils tirent leur acier du ventre dAriegraves et ils appellent aussi cet acier leur aimant

raquo [Dictionnaire Mytho-hermeacutetique]

Sur un commentaire de ce reacutebus voyez la section Matiegravere

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FIGURE XX - lavarice( le reacutegime de Saturne)

Limage montre un personnage exteacutenueacute qui sappuie sans doute pour se reposer dune marche trop longue dans le deacutesert Cest lalleacutegorie de lArtiste qui a perdu son fil dAriane mais quel rapport avec lavarice En grec

amour de largent litteacuteralement Saisit-on le rapport Lattention est attireacutee par le cousinage hermeacutetique entre la Lune et largent on sait que la Lune a nulle autre pareille peut-ecirctre est versatile et plurielle dans ses rapports au grand-œuvre Est-elle prise dans son premier quartier on sait quil est question du Mercure Est-elle prise en son dernier quartier alors il sagit du Sel ou du suc de la Lunaire pour ecirctre plus preacutecis Cest donc dun rapport au Mercure agrave lEsprit quil sagit ici Et quel est ce rapport De nous faire valoir que lEau permanente des Sages ne saurait ecirctre eacuteternelle et quil vient un moment ougrave

elle doit commencer agrave se sublimer faute de quoi lArtiste œuvrera dans le deacutesert et finira par desseacutecher sa Pierre agrave force de labreuver Ou si lon preacutefegravere lEsprit doit libeacuterer lAcircme pour quelle descende dans le Corps opeacuteration qui fait lobjet du sens hermeacutetique des signes du Sagittaire et du Scorpion Mais Fulcanelli ne semble pas de cet avis puisquil intule la planche XXII du Mystegravere le Reacutegime de Saturne avec ce commentaire

laquo Un vieillard transi de froid et courbeacute sous larc du meacutedaillon suivant sappuie las et deacutefaillant sur

un bloc de pierre une sorte emanchon enveloppe sa main gauche raquo [Mystegravere p 128]

Le commentaire qui suit ne laisse pas deacutetonner et de se demander si Fulcanelli eacutetait envieux et charitable lorsquil preacutecise

laquo Il est facile de reconnaicirctre ici la premiegravere phase du second œuvre alors que le Rebis hermeacutetique enfermeacute au centre de lAthanor souffre la dislocation de ses parties et tend agrave se mortifier [] Cest le

regravegne de Saturne qui va paraicirctre emblegraveme de la dissolution radicale raquo [idem]

Voilagrave qui laisse perplexe Comment le Rebis pourrait-il se disloquer alors mecircme quil na pas encore pris forme Car qui dit Rebis dit forceacutement union mecircme si elle nest pas radicale [cest alors le terme dAirain qui est employeacute] Et lon ne voit pas que le Rebis constitueacute doive agrave nouveau ecirctre deacutesuni car leacutevolution est continuelle Que par contre il soit question de la mort prochaine du Mercurius senex qui doit laisser place agrave plus jeune que soi certes aussi est-ce dans cette acception que nous ferons correspondre le texte manifestement et exceptionnellement envieux de Fulcanelli Quant au regravegne de Saturne il renvoie au Regravegne de Saturne transformeacute en siegravecle dor lautre titre de lapocryphe dHuginus agrave Barma un grand classique Cest la suite de la citation qui permet cette conjecture

laquo [] Je suis vieil deacutebile et malade lui fait dire Basile Valentin pour cette cause je suis enfermeacute

dans une fosse [] raquo [ibid]

Il sagit dune citation incomplegravete dun des chapitres de lAzoth

laquo Je suis le vieil homme deacutebile amp malade mon surnom est Dragon Pour cette cause je suis enfermeacute dans une fosse afin que je sois reacutecompenseacute de la Couronne Royale amp que jrsquoenrichisse ma famille eacutetant en particulier lieu serviteur fugitif Mais apregraves ces choses nous posseacutederons tous les treacutesors du Royaume le feu me tourmente grandement amp la mort rompt ma chair amp mes os jusqursquoagrave ce que six

semaines passent raquo [Azoth Opeacuteration du mystegravere philosophique]

Comment Fulcaneli a-t-il pu mettre les traits du Rebis sur ce vieil homme lorsque la citation compleacuteteacutee permet de montrer que son surnom est Dragon Et que de surcroicirct il vienne agrave dire quil est le laquo serviteur fugitif raquo La seule explication possible qui permettrait dinclure le Rebis serait de faire de ce vieil homme non pas le Rebis mais le Compost [mixte Rebis - Mercure] mais de toute faccedilon cela nirait pas dans le sens ougrave linterpregravete lAdepte puisquil sagit dune dissolution on peut en dernier recours ajouter que Le Breton a vu quatre dissolutions dans lœuvre [Les Clefs de la Philosophie spagyrique Paris Jombert 1722] et quil ne serait pas impossible de voir dans la dissipation finale du Mercure [qui doit mourir agrave la fin de lœuvre] lultime dissolution mais qui na rien agrave voir avec la putreacutefaction alors que Fulcanelli parle de laquo [] la deacutecomposition et de la couleur noire raquo

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dont le symbolisme sinscrit au deacutebut de la Grande Coction en sa phase humide au lieu quici nous sommes agrave la phase dassation

FIGURE XXI - la patience (- le Soufre philosophique)

Que navons-nous pas parleacute du laquo sel de patience raquo que lArtiste doit neacutecessairement connaicirctre avant de se livrer aux travaux de la Grande Coction Les textes disent que lArtiste doit user de prudence et de patience pour amadouer le vieux dragon dont le feu est cacheacute sous les cendres meacutetalliques cest-agrave-dire dont la ponticiteacute eacuteleacutementaire a eacuteteacute maicirctriseacutee lorsque lalchimiste y a joint les deux colombes qui volent sans ailes dans la forecirct de Diane [ Introiumltus ] Nous avons eu loccasion de montrer dans

dautres sections que le mot patience [] renvoyait agrave la force dacircme ce qui suffit agrave indiquer son sens hermeacutetique Fulcanelli voit dans ce bas-relief - correspondant agrave la planche XVII du Mystegravere - le Soufre philosophique on y distingue un taureau et voici ses commentaires

laquo Comme figure de pratique le taureau et le bœuf eacutetaient consacreacutes au soleil de mecircme que la vache lest agrave la lune il figure le Soufre principe macircle puisque le soleil est dit meacutetaphoriquement par Hermegraves le Pegravere de la pierre [] le soleil et la lune [] deacutesignent les natures primitives contraires

avant leur conjonction natures que lArt extrait de mixtes imparfaits raquo [Myst p 122]

Toutefois le taureau a toujours deacutesigneacute la Lune qui sy trouve exalteacute et ougrave Veacutenus possegravede lune de ses maicirctrises [cf lagrave-dessus le zodiaque alchimique et lhumide radical meacutetallique] Par ailleurs lune

des vaches les plus connues en mythologie deacutesigne agrave la fois le deacutebut du mot et du mot cest-agrave-dire la violette et le venin or ces deux mots sont relatifs au Soufre et non au Mercure stricto sensu [les appellations vulgaires sont la rouille et le vert-de-gris] Ce thegraveme se trouve entiegraverement deacuteveloppeacute dans lAtalanta XXXII

FIGURE XXII - la colegravere

Cest la marque dun Mercure dont la ponticiteacute est excessive Cet excegraves peut ecirctre ducirc soit agrave une quantiteacute de calorique trop important - les Artistes disent alors que lon laquo brucircle les fleurs raquo soit agrave des proportions mal deacutefinies dans la composition du dissolvant Ce meacutedaillon na pas eacuteteacute commenteacute par

Fulcanelli La colegravere [] cest lagitation inteacuterieure qui gonfle lacircme Voyez ici la Chrysopeacutee du Seigneur apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Il semble que lon observe dans ce bas-relief agrave gauche Zeus muni de son foudre et agrave droite un pegravelerin mais ce tableau lapidaire a subi linjure du temps On peut associer agrave la colegravere la tempecircte que lon observe comme blason de lun des deacutecans de la Vierge le 2

egraveme deacutecan Son symbolisme a eacuteteacute analyseacute dans lAtalanta

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FIGURE XXIII - la perseacuteveacuterance ( lathanor et la pierre)

Nous navons cesseacute de leacutevoquer cest lun des plus grands arcanes de lœuvre savoir tenir son Mercure en forme

deau mineacuterale le Mercure doit donc sattacher au Soufre agrave la teinture en maniegravere de supplique pressante Cest pourquoi les textes exhortent limpeacutetrant agrave prier avec insistance Dautres textes insistent sur la graisse du vent

mercuriel [ avec de la graisse mais aussi avec teacutenaciteacute ou perseacuteveacuterance] notamment les Figures Hieacuteroglyphiques le Donum Dei et lAtalanta fugiens Fulcanelli voit dans la planche XII du Mystegravere

laquo [] une coupe longitudinale de lAthanor et lappareillage interne destineacute agrave supporter lœuf philosophique de la main

droite le personnage tient une pierre raquo [Myst p 115]

Lagrave encore lusure du temps ne laisse plus voir grandchose du subtil meacutecanisme que deacutecrit lAdepte Le lecteur verra au livre de la Clef du Secret des Secrets de Nicolas de Valois une fort belle coupe de lathanor Fulcanelli sen tient lagrave il aurait pu ajouter que cette pierre contractait peut-ecirctre quelque rapport avec la pierre noire de Pessinonte et que le personnage de la planche XXIII nest autre quune autre version de Cybegravele et que limage de lathanor et de son appareil nest autre que le reacutesumeacute le Mixte lapidaire pourrait-on dire des deux lions qui flanquent le char de la deacuteesse dAsie Mineure Le buis consacreacute agrave Cybegravele et agrave Hadegraves repreacutesente le symbole de la perseacuteveacuterance cf Aureum Seculum Redivivum de Mynsicht

FIGURE XXIV - linconstance (lEntreacutee du Sanctuaire )

Lexamen du septiegraveme meacutedaillon de Notre-Dame de Paris donne agrave Fulcanelli loccasion de nous deacutevoiler le sens preacutecis de la reacuteincrudation

laquo [Le vieillard]vient darracher le veacutelum qui en deacuterobait lentreacutee [au Palais Fermeacute du Roy] aux regards profanes Cest le premier pas accompli dans la pratique la deacutecouverte de lagent capable dopeacuterer la reacuteduction du corps fixe de le reacuteincruder selon lexpression reccedilue en

une forme analogue agrave celle de sa prime substance raquo

Cette citation se rapporte agrave lopeacuteration qui consiste agrave dissoudre les laquo meacutetaux morts raquo cest-agrave-dire les chaux meacutetalliques des anciens chimistes dans un fondant approprieacute cest lagent ou artifice secret queacutevoque

Fulcanelli quand il parle de conjoindre les extreacutemiteacutes du vaisseau de nature Or ce vaisseau il nous est preacutesenteacute agrave la figure XXIII dans le meacutedaillon central cest lathanor philosophique Mais le mystegravere - au sens propre du terme - reste entier qui a deacutetermineacute Fulcanelli agrave poser une identiteacute entre

linconstance et ce vieillard En voici la clef linconstance en grec se dit et a valeur dune chose non fixe mobile et par suite inconstante Cest donc le volatil qui est nommeacute ici et le proceacutedeacute secret dont parle lAdepte parisien va preacuteciseacutement ecirctre de transformer une chose non fixe en chose fixe Mais cela doit sentendre dune matiegravere qui est dans un eacutetat visqueux ou liquide Cest donc bien de la laquo reacuteduction du corps fixe raquo dont parle Fulcanelli et le vellum que lon voit choir au pied gauche du vieillard est semblable agrave une tecircte cest donc dun caput mortuum quil sagit Ce bas-relief est numeacuteroteacute comme la planche XXIV du Mystegravere On voit que Fulcanelli lui a donneacute un titre dont le rapport avec lEntreacutee du Sanctuaire est rien moins que certain Lun de ses commentaires pourra peut-ecirctre nous aider agrave mieux percevoir ce rapport qui se deacuterobe

laquo En effet le vieillard que les textes identifient agrave Saturne - lequel dit-on deacutevorait ses enfants - eacutetait

jadis peint en vert tandis que linteacuterieur du Palais offrait une coloration pourpre raquo [Myst p 129]

Voilagrave qui est deacutejagrave plus clair Mais alors ce meacutedaillon preacutesente des traits congeacutenegraveres agrave celui de lavarice [le reacutegime de Saturne - planche XXII du Mystegravere] linconstance se manifeste ici comme la dissolution deacutefinitive - par sublimation - du dissolvant Toutefois la note de Fulcanelli nous permet

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den deacuteduire que le Lion vert est bien le premier eacutetat du Mercure cest-agrave-dire le laquo vinaigre tregraves aigre raquo dArtephius Et que la coloration pourpre reacutesulte de ce que le Lion rouge [qui correspond alors au Compost] est pousseacutee agrave la couleur purpurine au 4

egraveme degreacute de feu Mais en quoi est-il question laquo

dentreacutee dans le sanctuaire raquo cest-agrave-dire de lEntreacutee deacutesormais ouverte au Palais fermeacute du Roi [Introiumltus Philalegravethe] Cest que lArtiste ruseacute a amalgameacute lagent de dissolution avec sa propre dissolution cest-agrave-dire la sublimation terminale Il est clair en effet que lEntreacutee fermeacutee au Palais du Roi ne peut ecirctre ouverte que par la clef qui donne accegraves au dissolvant cest lobjet du 2

egraveme œuvre en

entier Ce dissolvant dans son premier eacutetat sapparente agrave un char muni de deux taureaux ou de deux lions il neacutecessite un frein un mors permettant de tempeacuterer son acrimonie Celui-ci nous est procureacute par les deux colombes de Diane qui seules peuvent tempeacuterer lardeur du dragon eacutecailleux Ces colombes - les deux Soufres - le transforment en Mercure animeacute cest-agrave-dire dompteacute degraves lors nous sommes dans le Palais du Roi La sortie se trouve du cocircteacute ougrave le Mercure trouve son exitus cest-agrave-dire dans sa chambre mortuaire dans son gisant le lecteur trouvera dans les Gardes du Corps des explications agrave cet eacutegard

FIGURE XXV - la chasteteacute (la salamandre - Calcination)

Ce sont des substances deacutepureacutees que lArtiste doit manipuler qui ont eacuteteacute reacuteduites par le feu qui en a conserveacute la quintessence dougrave cette image de salamandre Cest un sel

fixe qui est eacutevoqueacute par la chasteteacute [] il peut sagir de lalkali fixe [lun des constituants du Mercure] soit de la terre de lalun [le Corps de la Pierre appeleacute Arsenic par Geber et principe Sel depuis Paracelse] Le sens de ce bas-relief est donc - pour une fois - dune pure clarteacute Il figure sur la planche VIII du Mystegravere Voyons le commentaire que Fulcanelli nous a concocteacute pour la circonstance

laquo Ce leacutezard fabuleux ne deacutesigne pas autre chose que le sel central [] que les Anciens ont nommeacute Semence meacutetallique

raquo [Myst p 105]

Sel central voilagrave qui ne pose guegravere de problegraveme Mais laquo semence meacutetallique raquo Diable Fulcanelli preacutevient leacutetudiant quil sagit lagrave dune expression spagyrique - il parle de la calcination et non de la semence meacutetallique - et assure que les vieux auteurs nont eu en vue que leur agent occulte deacutesigneacute expresseacutement comme le laquo feu secret raquo dont la forme geacuteneacuterale appelle la comparaison avec une mer plutocirct quavec un feu Cest sur deux pages que lAdepte seacutetend sur cette notion de feu igneacute quil nomme laquo eau ardente raquo et que daucuns ont cru traduire par laquo eau-de-vie raquo Il est certain que le Ciel philosophique de Freacutedeacuteric Ulstade contient des descriptions approfondies des distillations par lesquelles on preacutepare leau-de-vie mais on ne trouvera point de note touchant au dissolvant qui nen est pas moins une certaine eau-de-vie agrave sa maniegravere Cette substance proteacuteiforme a ceci deacutetonnant quelle procure la mort avant de redonner la vie et les alchimistes ont symboliseacute ces extrecircmes sous les dehors du corbeau [Atalanta XLIII] et du pheacutenix [De ave phoenice] Ces deux oiseaux occupent une part importante de la voliegravere hermeacutetique Mais revenons agrave notre semence meacutetallique Quelle est lideacutee qui occupe lesprit de lAdepte Dabord observons en premier lieu que lorigine de cette semence est le dragon eacutecailleux Car lArtiste nen dispose point il lui faut linfuser dune maniegravere quelconque dans le Mercure disposeacute en son eacutetat primitif Et que cette semence soit dabord pourrie [cf Basile Valentin Douze Clefs de Philosophie] Nous avons au deacutebut de notre quecircte postuleacute que cette semence eacutetait repreacutesenteacutee par la reacutesine de lor alchimique Cette conjecture est-elle probable En quoi se rapproche-t-elle de la reacutesine de lor cest-agrave-dire en un mot du christophore Reacutepondre agrave ces questions cest du mecircme coup toucher au plus haut mystegravere de lœuvre Car la semence meacutetallique est faite du grain dor dont les multiplications ulteacuterieures sont tributaires Or le principe de Raison est inconciliable avec cette ideacutee laquo baroque raquo de multiplication assimileacute au principe de la laquo multiplication des painsraquo lun des Miracles quont signaleacutes les Evangiles La seule hypothegravese conciliable avec cette ideacutee serait celle dune enzyme dont on sait quelle peut deacuteclencher une reacuteaction chimique ad libitum tout en eacutetant reacutegeacuteneacutereacutee Or rien ne permet - hormis quelques expeacuteriences de Sainte Claire Deville faites sur lesprit de sel - de fonder en hypothegravese raisonnable une telle conjecture Ajoutons que la majoriteacute des traiteacutes dalchimie font allusion - et ce assez directement - agrave

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cette multiplication Incapable de pouvoir reacutesoudre cette eacutenigme nous pouvons en revanche nous faire une ideacutee de la faccedilon dont cette semence sera capteacute par lAimant des Sages

FIGURE XXVI - la luxure ( la Connaissance des poids)

La luxure prend ici le sens de deacutemesure ce qui est indiqueacute

par la balance impudence insolence et plus geacuteneacuteralement de mœurs dissolues Tel est le sens eacutesoteacuterique deacutegageacute par cette figure Quant agrave la signification exoteacuterique elle est claire Les alchimistes bien avant Lavoisier avaient eu la notion intuitive du poids des eacuteleacutements quils devaient faire entrer dans leur Mixte cest-agrave-dire leur Airain eacutetat premier du Rebis Non seulement ils avaient eu cette prescience mais encore ils avaient eu lintuition que la combinaison de leurs eacuteleacutements ne pouvait intervenir quen de certains termes par lagrave ils faisaient le distinguo entre ce quils appelaient le laquo poids de lart et le poids de nature raquo Cette image de la balance est omnipreacutesente dans liconographie alchimique agrave commencer par la figure de Theacutemis ou celle de

larchange Gabriel vainqueur du dragon eacutecailleux Fulcanelli nomme ce meacutedaillon la Connaissance des poids [planche XX] On peut citer ce passage

laquo Lauteur des Aphorismes Basiliens ou Canons Hermeacutetiques de lEsprit et de lAcircme eacutecrit au Canon XVI Nous commenccedilons notre œuvre hermeacutetique par la conjonction des trois principes preacutepareacutes sous une certaine proportion laquelle consiste au poids du corps qui doit eacutegaler lesprit et lacircme

presque de sa moitieacute raquo [Myst p 125]

Ces Aphorismes Basiliens sont une oeuvre rare [imprimeacutes nous dit en note E Canseliet agrave la suite des Oeuvres tant Meacutedicinales que Chymiques du RP de Castaigne Paris de la Nove 1681] Comme convenu le poids de lAcircme est de beaucoup infeacuterieur au poids du Corps

FIGURE XXVII 13)- la concorde

( les mateacuteriaux neacutecessaires agrave leacutelaboration du dissolvant)

Pour Fulcanelli voilagrave une figure qui reacutesume la liste des mateacuteriaux du dissolvant Nous savons que cette planche tenue par la deacuteesse ne peut ecirctre que du bois dont eacutetait fait le vaisseau des argonautes les fameux checircnes parlants de loracle de Dodonne [voyez en recherche] Ce bas-relief fait lobjet de la planche XIV du Mystegravere p 80 Cest pour Fulcanelli loccasion de citer la Clef du Cabinet Hermeacutetique dun auteur anonyme

laquo Leau dont nous nous servons [] est une eau qui renferme

toutes les vertus du ciel et de la terre [] raquo [Myst p 118]

Il sagit agrave leacutevidence de leau mineacuterale et meacutetallique qui constitue la fontaine de jouvence bain des astres de la Fontaine du Treacutevisan fontaine du Rosaire des Philosophes Fulcanelli ajoute des reacuteflexions qui ont trait

davantage au Soufre dissous quau Mercure

laquo La racine de nos corps est en lair disent les Sages et leurs chefs en terre raquo [idem]

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FIGURE XXVIII 14)- la discorde ( la Dissolution Combat

des deux Natures)

Et voici ce qui repreacutesente peut-ecirctre le sommet de linterpreacutetation eacutesoteacuterique des bas-reliefs de Notre-Dame par lalchimiste parisien tout de mecircme quun chef dœuvre de lart lapidaire des imagiers du Moyen Acircge Lagrave encore ce bas-relief a eacuteteacute preacutesenteacute plusieurs fois il nous suffira donc de dire que nous tenons lagrave les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature irreacuteductibles ennemis quil suffira dunir par le truchement de deux substances preacutesentes en puissance dans le pot de terre que lon voit entre les pieds du personnage de gauche et dans la pierre que lon voit tomber entre les deux personnages Comme leacutecrit Fulcanelli - cf Atalanta fugiens XXXV -

laquo Il nest guegravere possible deacutecrire avec plus de clarteacute ni de simpliciteacute laction de leau pontique sur la matiegravere grave et

ce meacutedaillon fait grand honneur au maicirctre qui la conccedilu raquo [Myst p 131]

La matiegravere du pot de largile est de celle dont on extrait le Corps de la Pierre quoiquil se preacutesente un autre mineacuteral dans la nature dougrave lon peut lextraire plus aiseacutement Et la pierre est de celle dont on extrait le sel qui formera notre eau mineacuterale comme laffirme avec veacuteheacutemence Alexandre Sethon

laquo Notre matiegravere paraicirct aux yeux de tout le monde et elle nest pas connue Ocirc notre Ciel Ocirc notre Eau Ocirc notre Mercure Ocirc notre Sel nitre qui ecirctes dans la mer du monde Ocirc notre Veacutegeacutetable Ocirc notre Soufre fixe et volatil Ocirc tecircte morte ou fegraveces de notre mer Eau qui ne mouille point sans laquelle

personne au monde ne peut vivre et sans laquelle il ne naicirct et ne sengendre rien en toute la Terre raquo [Nouvelle Lumiegravere Chymique Chapitre XI De la pratique et composition de la Pierre ou Teinture

Physique selon lArt]

Et lon ne saurait ecirctre plus clair sauf agrave passer des bornes que Fulcanelli tenu par le secret na pas cru bon de transgresser Ce bas-relief est disposeacute sur la planche XXV du Mystegravere

FIGURE XXIX - la force (- le Corps fixe)

Cest le lion qui se trouve deacutesigneacute Emblegraveme majeur de lœuvre cest agrave de multiples reprises que nous avons parleacute du lion vert et du lion rouge [recherche] Voyez lAtalanta fugiens et le zodiaque alchimique Que lon comprenne bien ici que leacutepeacutee et le casque sont les attributs de lhomme armeacute La chanson profane LrsquoHomme armeacute dont on attribue la paterniteacute agrave Busnois [preacutecepteur du futur Charles le Teacutemeacuteraire dernier duc de Bourgogne] compte parmi les plus ceacutelegravebres de la fin du Moyen Acircge au point que plus de quarante messes srsquoen inspiregraverent Cet engouement provient-il de sa possible origine bourguignonne en liaison avec lrsquoordre de la Toison drsquoor drsquoune reacuteminiscence des Croisades ou encore drsquoune eacutevocation cacheacutee de Longin le soldat romain qui transperccedila le flanc du Christ Aucune de ces hypothegraveses nrsquoapporte drsquoeacuteclairage satisfaisant sur les

destineacutees drsquoune piegravece dont le texte mecircme reste eacutenigmatique laquo Lrsquohomme armeacute doit on doubter - On a fait partout crier - Que chacun se viegne armer - drsquoun haubregon de fer raquo La coiumlncidence est assez extraordinaire de ce que tant la toison de lor [notre christophore] que la couleur qui sourd de la poitrine du Christ soit de la mecircme couleur blanche Sur la Force voyez les Gardes du Corps Le bas-relief occupe la planche XV du Mystegravere Voici une citation que donne Fulcanelli sur ce lion

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laquo [] Cest ce qui a engageacute Basile Valentin agrave donner ce conseil Dissous et nourris le vray Lion du sang du Lion vert car le sang fixe du Lion rouge est fait du sang volatil du vert parquoy ils sont tous

deux dune mesme nature raquo [Myst p 121]

Lattention est attireacutee par leacutevolution dun processus ougrave la mecircme matiegravere est manifestement ameneacutee agrave un degreacute supeacuterieur de deacutepuration nous sommes ici au reacutegime de Veacutenus ou de Mars

FIGURE XXX- la lacirccheteacute

Ce bas-relief na pas eacuteteacute interpreacuteteacute par Fulcanelli et cest bien dommage Comment en effet expliquer quun simple lapin [lepus] mette en fuite un chevalier [on voit leacutepeacutee tomber derriegravere lui] Et que signifie cet oiseau qui ressemble agrave un rapace percheacute sur larbre Il naura pas eacutechappeacute au cabaliste que le mot lepus puisse ecirctre rapprocheacute de lupus cest-agrave-dire le loup voilagrave deacutejagrave qui se rapproche de lArt sacreacute En quoi Nous laisserons au lecteur le soin de chercher lui-mecircme le rapport dans la section des Principes agrave propos du commentaire dE Canseliet sur le jardin de la villa Palombara agrave Rome [Deux Logis Alchimiques Pauvert 1978] Cest dune fuite quil est question ici cest-agrave-dire dune dissolution ou dune volatilisation or un mot suffit agrave lier ces deux opeacuterations sublimation Notez que Fulcanelli reviendra sur cette laquo gueule de

loup raquo lors de lexamen de la chemineacutee alchimique du chacircteau de Fontenay-Le-Comte

FIGURE XXXI lespeacuterance ( lEvolution - Couleurs et

Reacutegimes du Grand œuvre)

Cest une allusion agrave lun des deux aspects que prend la planegravete Veacutenus lors du creacutepuscule vespeacuteral ougrave les Anciens la nommaient Hesperus Elle signale agrave lArtiste que lœuvre progresse bien et que la Grande Coction

est deacutejagrave bien entameacutee lEspeacuterance [Spes] On sait que ce fut le seul don des dieux qui ne seacutechappa point de la boicircte de Pandore le seul qui fut fixe Aussi les alchimistes lui ont-ils consacreacutes une maxime laquo Spes mea in agno raquo qui fait partie du titre de la Philosophie Naturelle Restitueacutee de Jean dEspagnet [il sagit de lanagramme de son nom] dont on ne dira jamais assez toute limportance tant au plan de la science hermeacutetique quau plan de lhistoire puisque Philalegravethe lui doit beaucoup [cf Oeuvre Secret dHermegraves] On voit ainsi que lEspeacuterance est en fait un

clin dœil agrave lagneau ou si lon preacutefegravere au Beacutelier Il sagit de la planche X du Mystegravere Avec ces remarques du maicirctre

laquo LEvolution succegravede et montre loriflamme aux trois pennons tripliciteacute des Couleurs de lŒuvre que

lon retrouve deacutecrites dans tous les ouvrages classiques raquo [Myst p 107]

Fulcanelli seacutetend ensuite sur 7 pages dans la description et linterpreacutetation des couleurs Il suffira de donner cet extrait qui montre comment relier lhermeacutetisme et lhistoire la plus reculeacutee du genre humain

laquo En Chaldeacutee les Ziguras qui furent ordinairement des tours agrave trois eacutetages et agrave la cateacutegorie desquelles appartenait la fameuse Tour de Babel sont revecirctues de trois couleurs noir blanche et

rouge-pourpre raquo [Myst p 111]

Les couleurs de lœuvre sont lune des eacutenigmes les plus eacutepuisantes dans la quecircte que limpeacutetrant aura agrave mener dans son parcours hermeacutetique Mais enfin il est possible dy voir des correspondances

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relativement simples Ainsi peut-on poser que le noir est la couleur de la TERRE cest-agrave-dire de la cendre notamment celle des meacutetaux et celle de lalkali fixe Cest pourquoi la premiegravere couleur qui se

reacutevegravele agrave lArtiste au deacutebut de lœuvre est celle de la putreacutefaction [mais bien sucircr il ne sagit pas du

deacutebut cest-agrave-dire de la reconnaissance des matiegraveres premiegraveres mais bien du deacutebut de la Grande

Coction au 3egraveme

œuvre] Vient ensuite le blanc cest par tradition la couleur de ce qui est pur il

sagit donc dune couleur qui apparaicirct - en esprit - apregraves quun certain travail aura eacuteteacute meneacute agrave bien avec nos cendres mineacuterales et meacutetalliques Cette couleur blanche est celle de lAIR et indique que les subtances sont dans un eacutetat sublimeacute [ce qui ne veut pas dire aeacuterien] Enfin le rouge-rubis cest la couleur de la conseacutecration de la royauteacute celle par laquelle lArtiste parvient agrave lAdeptat

FIGURE XXXII le deacutesespoir

La logique - qui nest nullement incompatible avec la cabale hermeacutetique bien tempeacutereacutee - voudrait que lon voit dans ce bas-relief le premier eacutetat de la planegravete Veacutenus au creacutepuscule du matin Lucifer Du coup nous voici au deacutebut de lœuvre [nous voulons parler bien sucircr du 3

egraveme œuvre cest-agrave-dire de la Grande Coction]

et en une eacutepoque ougrave la matiegravere prend cet aspect visqueux particulier qui nous a valu les Ripleys Scrowles ou le FOU du

tarot absence de raison emportement Ce bas-relief est eacutevidemment congeacutenegravere de celui consacreacute agrave la FOLIE Voilagrave une indication sur le premier eacutetat du Mercure Observez le double caractegravere de ce premier Mercure il est agrave la fois incontrocircleacute et

indolent [] Cest-agrave-dire quil est mou au lieu que le Mercure animeacute doit ecirctre en forme deau mineacuterale et au vrai fluide comme de leau agrave linstar dun bon

fondant Cest-agrave-dire quil est amorphe le but de la Grande coction eacutetant den faire apparaicirctre []

le eacutetoileacute et cristallin Cette figure na pas eacuteteacute interpreacuteteacutee par Fulcanelli

FIGURE XXXIII - lhumiliteacute ( le Corbeau - Putreacutefaction)

La Patience est lrsquoeacutechelle des Philosophes et lrsquoHumiliteacute est la porte de leur Jardin [ paroles rapporteacutees dans les Douze Clefs de Basile Valentin cest lune des phrases les plus empruntes de poeacutesie de la litteacuterature alchimique ] Le bas-relief montre un corbeau Sait-on que lameacutethyste - que les Evecircques portent - est le symbole de lhumiliteacute parce quelle est de la couleur de la violette Revoyez ce que nous avons dit plus haut au sujet du laquo fragment dattribut raquo Compleacutetez par tous les passages ougrave nous parlons de la violette de la rouille et de la grenade la transition du corbeau au coq naura plus de secret pour vous et de plus vous comprendrez en quoi la noix de galle associeacutee au checircne se rapproche de cet objet curieux quexaminait Fulcanelli en nous disant que de forme lenticulaire il est blanc sur une face noire sur lautre et violet dans sa cassure Voilagrave nommeacute le Soufre rouge

ou teinture de la Pierre Mais il sagit lagrave dun raccourci trop rapide Revenons agrave ce que nous dit Fulcanelli sur ce corbeau qui orne la planche VI du Mystegravere

laquo Selon Le Breton il y a quatre putreacutefactions dans lŒuvre philosophique La premiegravere dans la premiegravere seacuteparation la seconde dans la premiegravere conjonction la troisiegraveme dans la seconde conjonction qui se fait de leau peusante avec son sel la quatriegraveme enfin dans la fixation du

soulphre Dans chacune de ces putreacutefactions la noirceur arrive raquo [Myst p 101]

Nous avons deacutejagrave plusieurs fois citeacute Le Breton qui semble un auteur important On voit que la premiegravere putreacutefaction correspond agrave la preacuteparation de lArcanum duplicatum la terre noire tombe au fond de la cornue cependant que laqua sicca se sublime dans le reacutecipient elle se situe donc au 2

egraveme œuvre [ougrave

la voie humide est exclusive] La seconde survient au tout deacutebut du 3egraveme

œuvre et repreacutesente la noirceur laquo classique raquo celle que deacutecrivent tous les traiteacutes La troisiegraveme pose davantage de problegraveme laquo qui se fait de leau pesante avec son sel raquo Limage qui nous vient immeacutediatement agrave lesprit cest Latone accouchant agrave Deacutelos dArteacutemis dune certaine faccedilon il sagit bien dune seacuteparation qui procegravede dune parturition Encore est-elle incomplegravete elle sera acheveacutee par la quatriegraveme putreacutefaction qui consiste en la fixation du Soufre au Sel Latone accouche dApollon et Arteacutemis lui sert de paregravedre On

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devine que la laquo noirceur raquo est purement une image eideacutetique De combien de souffleurs a-t-elle donc abuseacute A tout cela nous ajouterons que larcane repreacutesenteacute dans leacutecu que nous preacutesente lHumiliteacute garde une partie de son mystegravere en effet nous avons vu que Villard de Hennecourt [XIIIe siegravecle] y voyait une colombe et Fulcanelli un corbeauComment arriver agrave concilier les deux visions lune laquo positive raquo eacutemanant dun maicirctre imagier lautre laquo speacuteculative raquo eacutemanant dun maicirctre hermeacutetiste Voici ce quon peut en dire le voyage des Argonautes est tregraves lieacute on le sait aux mystegraveres orphiques et agrave lalchimie ce nest certes pas une leacutegende alchimique mais les hermeacutetistes Dom Pernety y a beaucoup travailleacute dans ses Fables Egyptiennes et Grecques ont su y deacuteceler des intentions en direction de lArt sacreacute Dans cette leacutegende on sait quagrave un moment Eurysteacutee au passage des roches cyaneacutees ou Symplegades va deacuteclencher louverture du barrage formeacute par ces roches gracircce au lacher de deux colombes notez que cette scegravene intervient agrave la sortie du Pont-Euxin [la Mer Noire] le deacutecors est poseacute le Pont-Euxin nest autre que le symbole de la dissolution des matiegraveres et le lacirccher de colombes la sortie de cette phase Si lon en revient agrave lalchimie on sait que lhieacuteroglyphe du corbeau deacutefinit la phase de putreacutefaction la noirceur cette laquo noirceur raquo est le fait de laction du dissolvant des Sages Mais sur quoi Il ne saurait sagir dune laquo auto-dissolution raquo qui naurait aucun sensPhilalegravethe exceptionnellement va venir agrave notre secours il nous indique en effet [Introiumltus VI] que deux colombes que lon a trouveacutees dans la foret de la vierge Diane suffisent agrave calmer lacrimonie et la ponticiteacute du dissolvant et il ne peut faire de doute que ces deux colombes ne sont autres que les deux Soufres Soufre rouge ou teinture de la Pierre Soufre blanc cest-agrave-dire son Corps

FIGURE XXXIV - lorgueil ( la Cohobation)

Ce bas-relief est ceacutelegravebre pour ceux qui sinteacuteressent agrave lalchimie car Fulcanelli le deacutecrit comme repreacutesentant lun des plus grands mystegraveres de lœuvre la cohobation Cest peut-ecirctre Tripied dans son Vitriol Philosophique qui sest le plus approcheacute de la solution du problegraveme mais alors il faut voir cette opeacuteration au 1

er œuvre cest-agrave-dire lors de la phase de preacuteparation

des matiegraveres chapitre sur lequel les alchimistes sont presque tous muets

laquo un cavalier deacutesarccedilonneacute se cramponnant agrave la criniegravere dun cheval fougueux Cette alleacutegorie a trait agrave lextraction des parties fixes centrales et pures par les volatiles ou

eacutetheacutereacutees dans la dissolution philosophique raquo

Voilagrave ce que nous en dit Fulcanelli p 123 du Mystegravere des Catheacutedrales Il peut sagir aussi dopeacuterations agrave type

de convectionSi nous devions rapprocher ce bas-relief dune leacutegende mythologique cest au char de Phaeacuteton que nous penserions immeacutediatement Voyez cette fable dans notre humide radical meacutetallique Formant la planche XVIII du Mystegravere larcane ne se laisse pas facilement domestiquer agrave linstar du cheval fougueux qui manque de faire choir son cavalier Nous devons renoncer agrave limage dune cohobation classique en cornue pour ne plus penser quau principe de cette opeacuteration la concentration dune substance Cest ce quenseigne le maicirctre

laquo Labsorption du fixe par le volatil seffectue lentement et avec peine Pour y reacuteussir il faut employer beaucoup de patience et de perseacuteveacuterance et reacuteiteacuterer souvent laffusion de leau sur la terre de lesprit

sur le corps raquo [Myst p 123]

Mesure-t-on le degreacute de cabale de ces quelques lignes La patience - si lon sen tient agrave la terminologie de Fulcanelli - correspond agrave la figure XXI cest le Soufre philosophique [ou planche XVII du Mystegravere] Quant agrave la perseacuteveacuterance selon le mecircme principe cest la figure XXIII ou lAthanor et la Pierre [planche XII du Mystegravere] Et nous avons vu que cette derniegravere figure eacutetait rigoureusement superposable au char de Cybegravele qui tient sa pierre noire et est flanqueacutee dAtalante et dHippomeacutenegraves [cf Atalanta fugiens] Nous tenons lagrave les eacuteleacutements du vase de nature et la cohobation correspond agrave la peacuteriode dinstabiliteacute dont nous avons deacutejagrave parleacute ougrave la cristalisation de la matiegravere commence dopeacuterer Quant agrave la peine elle peut par cabale phoneacutetique renvoyer agrave la teinture de la Pierre cest-agrave-dire au Soufre rouge en effet la peine se dit en latin poena [peine tourment souffrance] mais la peine a une autre acception distiller [sudo] elle renvoie ausi agrave aerugo [cupiditeacute qui ronge le coeur rouille de cuivre et par aerumna agrave peines misegravere eacutepreuve]

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FIGURE XXXV lobeacuteissance - Conjonction du Soufre et

du Mercure)

Fulcanelli eacutevoque - agrave la planche XIII du Mystegravere - le griffon incarnation si lon peut dire des Harpyes la leacutegende leur donna lapparence de monstres eacutepouvantables Leur corps de vautour leur bec et leurs ongles crochus lodeur infecte qui les accompagne sont autant de repreacutesentations de monstres impossibles agrave rassasier

laquo Le monstre mythologique dont la tecircte et la poitrine sont celles de laigle et qui emprunte au lion le reste du corps initie linvestigateur aux qualiteacutes contraires quil faut neacutecessairement assembler dans la matiegravere philosophale

raquo

Sur lart et la maniegravere de reacutealiser cette eacutetrange parturition voyez notre commentaire de lAtalanta fugiens Quoi quil en soit le griffon par lintermeacutediaire de ces pattes arriegravere

contracte eacutegalement des rapports avec le dragon Notez aussi que tant le lion que le coq ou le heacuteron

ainsi que le griffon expriment la vigilance Quant agrave la griffe elle peut renvoyer agrave lonyx pierre preacutecieuse ou agrave un coquillage roseacute [meacuterelle et soufre par cabale] Les Grecs en faisaient le gardien de treacutesors [toute la mythologie a employeacute ce symbolisme Wagner dans Siegfried emploie un dragon Fafner qui garde lor des Nibelungen et lanneau magique dAlberich] et la monture dApollon Autrement dit nous devons voir dans ce griffon leacutequivalent strict de Latone Aussi bien sommes-nous daccord avec Fulcanelli lorsquil eacutecrit

laquo Nous trouvons en cette image lhieacuteroglyphe de la premiegravere conjonction laquelle ne sopegravere que peu agrave peu au fur et agrave mesure de ce labeur peacutenible et fastidieux que les Philosophes ont appeleacute leurs

aigles raquo [Myst p 115]

On sest beaucoup pencheacute sur cette eacutenigme des Aigles de Philalegravethe en particulier dans la section Matiegravere Cette premiegravere conjonction en accord avec les vues de Le Breton correspond donc agrave la noirceur traditionnelle On comprend en quoi lObeacuteissance est de concert avec ce griffon auquel dailleurs Fulcanelli aurait pu donner son nom plus commun dAirain

FIGURE XXXVI - la deacutesobeacuteissance

Ce bas-relief na pas eacuteteacute examineacute par Fulcanelli mais on peut en deviner la raison quand on voit les ravages que sept siegravecles de rafale ont imposeacute sur cette partie du grand portail de Notre-Dame

Doit-on voir dans le personnage de droite le deacutepart de lenfant prodigue Il faudrait donc voir le pegravere agrave gauche Le sens hermeacutetique du meacutedaillon serait alors superposable aux gravures du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck on peut voir dans lune le Fils seacuteloigner du Pegravere accompagneacute au sommet dune montagne par le conducteur et dans lautre le Fils redescendu dans le Palais du Roi son Pegravere et pregraves agrave ecirctre deacutevoreacute par lui Cest une parabole sur le Mercure la sublimation du Soufre et la reacuteincrudation

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FIGURE XXXVII 23)- la douceur ( lunion du Fixe et du

Volatil)

Aussi bizarre que cela puisse paraicirctre Fulcanelli voit un laquo coq - renard raquo dans le meacutedaillon de la douceur [planche XVI du Mystegravere] Cest une chimegravere dans les deux sens du terme Voici comment lAdepte voit cette figure

laquo Cest ce superbe manteau avec le Sel des Astres dit [Basile] qui suit ce soulfre ceacuteleste gardeacute soigneusement de peur quil ne se gaste et les faict voller comme un oyseau tant quil sera besoin et le coq mangera le renard et se noyera et estouffera dans leau puis reprenant vie par le feu sera (afin de jouer chacun leur tour) deacutevoreacute par

le renard raquo [Myst p 122]

Fulcanelli donne une citation se rapportant agrave la Clef III des Douze clefs de Basile LAdepte attire lattention sur la

devise favorite des alchimistes laquo Solve et Coagula raquo qui exprime entiegraverement le moyen et le but de lœuvre Cest cette extraction du Soufre rouge que lAdepte compare agrave ce monstre hybride tenant agrave la fois du coq et du renard Notez que lalleacutegorie sera mieux conccedilue et analyseacutee lorsque Fulcanelli examinera le portail central de la catheacutedrale dAmiens [Mystegravere planche XXV]

FIGURE XXXVIII 24)- la dureteacute ( la Reine terrasse le

Mercure Servus Fugitivus)

La dureteacute se situe agrave la planche XXI de louvrage de Fulcanelli Cest lune des figures les plus eacutenigmatiques des Vices et des Vertus Le commentaire quen donne lAdepte est particuliegraverement subtil il eacutevoque la voie du laquo mercure commun raquo pris comme laquo vif-argent vulgaire raquo

laquo Une reine assise sur un trocircne renverse dun coup de pied le valet qui une coupe agrave la main vient lui offrir ses

services raquo [Myst p 126-127]

On ne pourra comprendre lalleacutegorie si lon na pas lu la Clavicule de Ramon Lull Car Fulcanelli joue ici sur une cabale spirituelle entre les expressions mercure vulgaire et mercure commun autrement dit il veut parler ici du premier

Mercure encore appeleacute Mercure des philosophes diffeacuterent du Mercure philosophique Degraves lors tout ce quil dit du laquo vif-argent vulgaire raquo doit ecirctre pris dans un sens charitable Cest agrave cette occasion quil cite un opuscule tregraves rare de Sabine Stuart de Chevalier Discours philosophique sur les Trois Principes ou la clef du Sanctuaire philosophique [Paris Quillau 1781] Et quil complegravete lextrait quil en donne par ce commentaire

laquo Le servus fugitivus dont nous avons besoin est une eau mineacuterale et meacutetallique solide cassante ayant laspect dune pierre et de liqueacutefaction tregraves aiseacutee Cest cette eau coaguleacutee sous forme de

masse pierreuse qui est lAlkaest et le Disssolvant universel [] raquo [Myst p 127]

Le lecteur trouvera dans les sections du Mercure de lArcanum duplicatum dans lhumide radical meacutetallique et dans la reacuteincrudation de quoi faire le tour du problegraveme

Nous avons termineacute leacutetude des meacutedaillons les plus importants de Notre-Dame de Paris en revisitant ce livre tant extraordinaire plein de poeacutesie et deacuterudition de lun des plus ceacutelegravebres alchimistes du XX

e

siegravecle Fulcanelli Dautres meacutedaillons appartenant agrave dautres demeures philosophales attendent decirctre deacutepoussieacutereacutes et revisiteacutes agrave leur tour Cette section eacutetant deacutejagrave deacutemesureacutee nous reacuteserverons donc peut-ecirctre un jour une section speacuteciale qui sattachera agrave leacutetude des derniers tableaux lapidaires de Notre-Dame de Paris qui est loin davoir livreacute tous ses secrets et agrave leacutetude de ceux de la catheacutedrale dAmiens suivant en cela le plan du Mystegravere des Catheacutedrales

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LART RELIGIEUX DU XIIIe SIEgraveCLE EN FRANCE ETUDE SUR LICONOGRAPHIE DU MOYEN

AGE ET SUR SES SOURCES DINSPIRATION par Emile Macircle Paris Armand Colin in-4deg 468 p et fig

FIGURE XXXIX

(portail de Notre-Dame Bourges - deacutetail clicheacute Alain Mauranne)

Il nest jamais trop tard pour rendre compte dun bon livre surtout quand une seconde eacutedition

en consacre toute la valeur M Macircle qui avait fait paraicirctre la premiegravere eacutedition de son

excellent ouvrage en 1808 sest attacheacute agrave le perfectionner en y ajoutant de nouvelles

remarques iconographiques mais il est regrettable que son eacutediteur ne se soit pas imposeacute les

sacrifices neacutecessaires pour lillustration quil eacutetait facile de puiser dans la preacutecieuse collection

de M Martin-Sabon Comme le sous-titre lindique beaucoup mieux que le titre le livre de M

Macircle est une eacutetude densemble sur liconographie des portails et des vitraux de nos grandes

catheacutedrales gothiques Il a donc eu raison de deacutebuter par lexposeacute des caractegraveres de

liconographie du moyen acircge et de la meacutethode agrave suivre pour linterpreacuteter On eacutetait trop porteacute agrave

chercher dans la Leacutegende doreacutee lunique explication dune foule de scegravenes sculpteacutees ou peintes

parles artistes M Macircle qui a mis en relief la valeur de la grande encyclopeacutedie de Vincent de

Beauvais connue sous le nom de Speculum majus et qui lui a emprunteacute les grandes divisions

de son ouvrage restitue agrave Martianus Capella grammairien du Ve siegravecle et agrave Honorius eacutevecircque

dAutun au XIIe siegravecle auteur du Speculum ecclesiae et de lElucidarium la place qui leur

revient dans les sources de linspiration iconographique Les premiers chapitres sont consacreacutes

agrave leacutetude des animaux symboliques des bestiaires des calendriers des sept arts libeacuteraux des

vertus et des vices Lauteur qui seacutelegraveve avec raison contre lexageacuteration du symbolisme

eacutetudie parallegravelement les sources et les repreacutesentations figureacutees en comparant les unes aux

autres les sculptures des grandes eacuteglises gothiques Si les artistes du moyen acircge avaient une

grande liberteacute dinterpreacutetation leurs œuvres deacuterivent cependant de la mecircme inspiration

Dailleurs linfluence du clergeacute sur le programme imposeacute aux sculpteurs et aux peintres

verriers les obligeait agrave rester fidegraveles aux traditions conserveacutees dans les ateliers

Linterpreacutetation symbolique de la Bible et ses origines a fourni agrave M Macircle loccasion

dexpliquer beaucoup de scegravenes peintes sur les vitraux de Bourges de Chartres et du Mans et

de donner la clef des scegravenes sculpteacutees dans les voussures du portail nord de la faccedilade de

Notre-Dame de Laon ougrave le sculpteur sest inspireacute dun sermon dHonorius Les figures et les

attributs des patriarches des prophegravetes et des rois de Juda que lauteur identifie avec les

personnages des galeries de Notre-Dame de Paris dAmiens de Reims et de Chartres sont

eacutetudieacutes avec le plus grand soin ainsi que les scegravenes de la vie du Christ et les paraboles

Abordant ensuite les traditions leacutegendaires sur lancien et le nouveau Testament et sur la

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Vierge qui ont leur source dans les Evangiles apocryphes lauteur commente lhistoire de

Theacuteophile et montre linfluence exerceacutee dans les ateliers par la Vitu Christi de Ludovic le

Chartreux et le De gloria martyrum de Greacutegoire de Tours ce qui lui permet dexpliquer les

scegravenes de plusieurs vitraux de la catheacutedrale du Mans Les caracteacuteristiques des saillis et la

Leacutegende doreacutee linfluence des pegravelerinages sur la populariteacute des saints linfluence des

donateurs et des corporations meacuteritaient un chapitre speacutecial ougrave M Macircle a fait dingeacutenieuses

observations sur linterpreacutetation artistique de lœuvre ceacutelegravebre de Jacques de Voragine Les

artistes du moyen acircge avaient un meacutediocre souci des grands hommes de lantiquiteacute mais ils

ont repreacutesenteacute parfois la belle Campaspe agrave cheval sur Aristote et Virgile dans la corbeille M

Macircle prouve que la seule sibylle reproduite au XIIIe siegravecle fut la sibylle Erythreacutee parce que

saint Augustin lui attribuait les fameux vers acrostiches sur le jugement dernier Il montre

ensuite les erreurs commises par Montfaucon et dautres archeacuteologues qui ont cru reconnaicirctre

des rois de France dans des statues qui repreacutesentent en reacutealiteacute des personnages bibliques ete

siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque nationale sur linspiration des artistes du moyen acircge qui

ont copieacute la bote agrave sept tecirctes la femme nimbeacutee deacutetoiles qui remet son enfant agrave un ange

lapparition divine qui porte une eacutepeacutee dans sa bouche Enfin dans une conclusion dont la

forme litteacuteraire est un veacuteritable modegravele il a montreacute la physionomie de nos grandes catheacutedrales

en prouvant que les artistes eacutetaient les interpregravetes dociles du clergeacute qui reacuteglait lordonnance

des sujets Cette theacuteorie est absolument conforme agrave la veacuteriteacute comme notre confregravere M Mortel

la prouveacute avec documents agrave lappui dans un article du Bulletin Monumental de 1902 De

mecircme M Macircle rectifie encore une fois la theacuteorie de Viollet-le-Duc sur lesprit de reacutevolte des

artistes laiumlques du XIIIe siegravecle contre lart theacuteocratique de leacutepoque romane et il ajoute de

nouveaux arguments agrave la savante reacutefutation de notre confregravere M Anthyme Saint-Paul Il

deacutefinit la catheacutedrale une œuvre de foi et damour et il deacutecouvre dans Notre-Dame de Chartres

la penseacutee mecircme du moyen acircge devenue visible On ne saurait mieux dire Eacutecrit dans un style

eacuteleacutegant et preacutecis louvrage de M Macircle sera le veacuteritable vade-mecum des archeacuteologues qui

veulent eacutetudier liconographie du XIIIe siegravecle en comprendre les sujets et en retrouver les

sources dans les monuments eacutecrits de la litteacuterature dans les livres saints dans les leacutegendaires

mais la grande valeur du texte forme un contraste trop frappant avec la rareteacute des illustrations

qui auraient ducirc ecirctre plus nombreuses et plus soigneacutees Il est impossible dexpliquer

liconographie du moyen acircge avec 127 figures mais chacun sait que les eacutediteurs nont pas sur

ce point les mecircmes ideacutees que les archeacuteologues E LEFEVRE-PONTALlS

LART RELIGIEUX DU XIIe SIECLE EN FRANCE ETUDE SUR LES ORIGINES DE

LICONOGRAPHIE DU MOYEN AGE par Emile Macircle mdash Paris A Colin 1922 in 4deg IV-

459 p et 253 fig

Quand on cherche a se rendre compte des difficulteacutes que dut aborder M Macircle pour reacutesoudre les nombreux problegravemes qui se preacutesentent dans son livre on a limpression que ses deux premiers ouvrages sur le XIII

e siegravecle et sur la fin du moyen acircge eacutetaient tacircche facile agrave cocircteacute de celui-lagrave Cest

quici M Macircle a ducirc rechercher les sources lointaines auxquelles ont puiseacute nos artistes romans qui voulaient deacutecorer leurs eacuteglises de scegravenes religieuses Avec ce don de la clarteacute qursquoil possegravede au plus haut point il a mis en bonne lumiegravere celte question des origines de notre art roman Selon lui lantiquiteacute classique lart gallo romain lart des catacombes de la Rome chreacutetienne nont eu quune action tregraves restreinte sur lart chreacutetien de notre pays au XII

e siegravecle et il confirme dune maniegravere

deacutefinitive lopinion des archeacuteologues de notre temps suivant laquelle cest agrave lOrient chreacutetien que les artistes romans allegraverent demander presque tous leurs modegraveles Mais dans lart quon appelle oriental dun terme trop geacuteneacuteral il distingue avec beaucoup de finesse lart chreacutetien des villes grecques dOrient deacutesigne souvent par un abus de langage sous le nom dart helleacutenistique et lart chreacutetien syrien Ainsi lon trouve en mecircme temps lempreinte dune part des eacuteglises dAlexandrie dAntioche et dEphegravese dautre part celle de lart des eacuteglises de Jeacuterusalem et des eacuteglises de Syrie de Palestine et de Meacutesopotamie auquel M Macircle rattache les œuvres des monastegraveres coptes dEgypte et celles des eacuteglises de Cappadoce Cest donc dun art chreacutetien tregraves ancien des IV

e V

e et VI

e siegravecles que nos

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artistes firent des emprunts il en reacutesulte que la place consideacuterable que lon faisait jusquici agrave lart byzantin agrave lart de Constantinople des IX

e X

e et XI

e siegravecles eacutetait beaucoup trop importante Certes

nos artistes puisegraverent agrave cette source mais moins freacutequemment quon ne la cru Avant leacuteclosion de lart byzantin la Gaule meacuterovingienne et carolingienne avait deacutejagrave reccedilu de lOrient des manuscrits

enlumineacutes et cest lagrave que les artistes avaient chercheacute des inspirations leurs successeurs jusquau XIIe

siegravecle veacutecurent de ce vieux fonds Nous ne pourrons analyser tous les chapitres de louvrage de M Macircle dans lequel on retrouve cette langue harmonieuse sobre et preacutecise ougrave lon devine une note deacutemotion mecircleacutee parfois denthousiasme qui rend si captivante la lecture de ses livres Ceux qui suivent avec inteacuterecirct tout ce quil publie connaissaient deacutejagrave certaines des ideacutees eacutemises dans ce volume par plusieurs articles parus ces derniegraveres anneacutees dans la Revue de Paris la Revue de lart ancien et moderne et la Gazette des Beaux-Arts Lauteur apregraves avoir fait connaicirctre tout ce que lart meacutedieacuteval de nos pays devait agrave lart chreacutetien dOrient eacutetudie quelle part doriginaliteacute nos artistes romans ont pu apporter dans leurs compositions quelles inspirations leur sont venues quels sentiments les ont guideacutes pour leur faire creacuteer des œuvres nouvelles dont tantocirct la puissance et la graviteacute tantocirct la deacutelicatesse et la gracircce provoquent encore notre eacutetonnement et notre admiration Il nous montre successivement comment liconographie sest enrichie par la liturgie et par les drames liturgiques par les textes theacuteologiques par linfluence dhommes tels que Suger qui joignant leacuterudition au goucirct des arts fit pour orner magnifiquement sa basilique de Saint-Denis venir de tous les pays des artistes reacuteputeacutes deacutecida lui-mecircme quelles scegravenes alleacutegoriques seraient repreacutesenteacutees et composa les distiques destineacutes agrave expliquer ces scegravenes Ainsi cest apregraves Suger apregraves lexeacutecution des œuvres merveilleuses de Saint-Denis quun symbolisme savant se reacutepandit dans liconographie symbolisme dont les grands ateliers du nord de la Loire tels que Chartres et Le Mans firent leur profit Dans la suite ces ateliers exercegraverent sur dautres reacutegions notamment sur le midi de la France leur influence dont la trace persistera pendant tout le XIII

e siegravecle Le culte des saints contribua aussi agrave lenrichissement de

liconographie dont on constate que la varieacuteteacute saccroicirct davantage agrave mesure quon avance dans le XIIe siegravecle chaque province ayant ses deacutevotions particuliegraveres les artistes repreacutesentaient plus volontiers dans telle reacutegion les scegravenes de la vie des saints qui y eacutetaient plus speacutecialement veacuteneacutereacutes Les pegravelerinages les grandes routes de Rome de Compostelle et de Terre-Sainte amenegraverent de nombreux eacutechanges dinfluences artistiques entre des reacutegions tregraves eacuteloigneacutees tant en ce qui concerne larchitecture que les arts mineurs Enfin les Ordres monastiques Cluny surtout eurent une part consideacuterable dans le deacuteveloppement et lexpansion des arts Nous avons dit rapidement comment M Macircle avait reacutesolu le problegraveme des origines de liconographie a leacutepoque romane et comment il avait montreacute limportance de lapport personnel de nos artistes dans lenrichissement de cette iconographie M Macircle a encore abordeacute deux questions qui sont intimement lieacutees ensemble Lune delles consiste agrave rechercher dans quelle province de notre pays seacutelabora la renaissance de la sculpture romane et dans quelles reacutegions dans la suite elle se deacuteveloppa progressivement Lautre question a pour objet deacutetablir comment les sculpteurs de la fin du XI

e siegravecle retrouvegraverent un art disparu depuis plus de

quatre siegravecles dont la technique avait eacuteteacute complegravetement oublieacutee dans nos pays et quels furent les modegraveles dont ils sinspiregraverent Pour M Macircle la reacuteponse au premier problegraveme est la suivante cest agrave Toulouse et agrave Moissac quest reacuteapparu lart de la sculpture dans la pierre Une inscription nous apprend que le cloicirctre de Moissac fut construit en lan 1100 du temps de labbeacute Anquetil dans ce cloicirctre se trouvent de nombreux chapiteaux et certains de ses piliers sont deacutecoreacutes de grands panneaux au nombre de dix dont chacun est orneacute dun personnage en bas relief Une chronique de la fin du XIV

e siegravecle nous dit que le magnifique portail dont le tympan contient les figures du Christ en

majesteacute et des vingt quatre vieillards de lApocalypse fut eacuterigeacute par le mecircme abbeacute qui mourut en 1115 Ce tympan que lon voulait jusquici dater dune eacutepoque plus avanceacutee du XII

e siegravecle est le plus ancien

monument de sculpture monumentale que nous posseacutedions Le portail de Beaulieu (Corregraveze) a de grands traits de ressemblance avec celui de Moissac dont il fut inspireacute sans aucun doute Suger raconte lui-mecircme quil fit venir de tregraves loin pour la deacutecoration de sa basilique des artistes nombreux Voumlge avait eacutemis lopinion que parmi ces artistes se trouvaient des sculpteurs du Languedoc Une deacutecouverte de M Macircle vient fortifier cette hypothegravese Le tympan de Saint-Denis moins restaureacute quon ne la cru est orneacute dune scegravene du Jugement dernier qui preacutesente une ressemblance frappante avec le Jugement dernier du tympan de Beaulieu Ainsi trois phases se preacutecisent dans leacutevolution de la statuaire pendant la premiegravere moitieacute du XII

e siegravecle Toulouse et Moissac avant 1115 puis Beaulieu

puis Saint-Denis vers 1135 Suivant M Macircle lœuvre de Saint-Denis eut un retentissement consideacuterable Suger venait de creacuteer cette merveille que fut le portail gothique avec son tympan deacutecoreacute dune grande scegravene bien ordonneacutee ses voussures chargeacutees de personnages faisant cortegravege agrave cette scegravene ses pieacutedroits et ses colonnes ougrave sadossaient des statues qui semblaient accueillir le visiteur precirct a peacuteneacutetrer dans leacuteglise Le type eacutetait fixeacute deacutefinitivement et pendant longtemps on ne seacuteloigna guegravere de ce modegravele Les artistes dIle de France limitegraverent a lenvie puis ceux de reacutegions plus

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eacuteloigneacutees Le Comte de Lasteyrie dans un brillant exposeacute sur leacutevolution de la sculpture romane avait agrave grands traits dessineacute la courbe de cette eacutevolution qui partant du sud-ouest montait vers lIle-de-Franccedile et redescendait vers la Provence M Macircle na pas modifieacute ce traceacute il en a au contraire confirmeacute lexactitude en donnant des preacutecisions nouvelles en montrant les principales eacutetapes suivies par les artistes languedociens en exposant comment un nouveau centre dinfluence seacutetait formeacute ensuite dans le nord gracircce au merveilleux monument eacuteleveacute par Suger En suivant lexposeacute de M Macircle ses deacutemonstrations qui paraissent si satisfaisantes pour lesprit on a limpression que tout seacuteclaire que tout se simplifie et que les deacuteductions senchaicircnent agrave merveille Mais agrave la reacuteflexion on se demande si les arguments preacutesenteacutes sont aussi probants que le pense lauteur sil napporte pas quelquefois dune maniegravere trop absolue des affirmations dans des questions ougrave les teacutemoignages sont si rares ougrave tant de monuments font deacutefaut qui seraient indispensables pour emporter la conviction Toutefois il nous paraicirct que la thegravese si seacuteduisante de M Macircle doit ecirctre retenue dans ses grandes lignes Nous ne ferons que deux observations qui nont dailleurs nullement pour but dinfirmer lensemble de sa theacuteorie Tout dabord nous ne croyons pas que le portail de Moissac appartienne agrave la date que M Macircle lui assigne Dans un meacutemoire eacutecrit avant la publication du livre de M Macircle et qui doit paraicirctre dans le Bulletin archeacuteologique nous exposions les raisons qui nous faisaient consideacuterer que les grands bas-reliefs du cloicirctre et sans doute une partie de ses chapiteaux dataient de labbatiat dAnquetil (1085-1115) Linscription graveacutee en 1100 sur un des piliers atteste quon travaillait alors dans le cloicirctre Une preuve aussi formelle nexiste pas pour le portail dont les sculptures sont dailleurs dun art infiniment plus avanceacute que les bas-reliefs du cloicirctre Le seul teacutemoignage que nous posseacutedions est celui dAimery de Peyrac abbeacute de Moissac de 1377 agrave 1406 qui reacutedigea la chronique de labbaye

FIGURE XL

(portail de Moissac XIe siegravecle)

Les anciennes œuvres dart conserveacutees agrave Moissac et dans ses prieureacutes inteacuteressaient vivement labbeacute Aimery qui en parle comme en parlerait un archeacuteologue de nos jours mais avec moins de prudence et sans aucun discernement Il simprovise successivement critique dart eacutepigraphiste et philologue et il se montre aussi ignorant dans lune ou lautre de ces matiegraveres Ses observations lui font attribuer agrave telle eacutepoque tel monument en sappuyant sur les comparaisons tout agrave fait sans valeur parlant de linscription du cloicirctre graveacutee du temps de labbeacute Anquetil il nous dit quune autre inscription se trouve dans leacuteglise qui rappelle une conseacutecration faite en 1063 et trouvant les caractegraveres eacutepigraphiques semblables il suppose que labbeacute Anquetil fit aussi graver cette inscription Mais nous avons observeacute sur place que les deux inscriptions preacutesentent des diffeacuterences de caractegraveres notables et ne peuvent appartenir agrave la mecircme eacutepoque Cest une comparaison aussi deacutenueacutee de fondement qui fit attribuer par Aimery de Peyrac la deacutecoration du portail agrave labbeacute Anquetil Il avait remarqueacute que des imbrications ornaient certaines faces les piliers du cloicirctre non deacutecoreacutees de bas-reliefs et que ces imbrications se retrouvaient sur le trumeau du portail puis faisant un rapprochement entre le nom dAnsquitilius quil

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appelle Asquilinus et le mot latin squilla qui deacutesigne une espegravece de poisson il deacuteclare que cest Anquetil qui fit graver ces imbrications semblables agrave des eacutecailles de poisson pour rappeler son nom Or lon sait que ce deacutecor Histoire de lArt M Andreacute Michel qui attribue le merveilleux tympan de Moissac au successeur dAnquetil labbeacute Roger (1115-1131) dont la statue fut placeacutee en haut de ce portail sans doute pour commeacutemorer son œuvre Notre seconde observation sera la suivante Suger aurait au portail de Saint-Denis groupeacute trois eacuteleacutements essentiels dont la reacuteunion devait faire le portail gothique un tympan orneacute dune grande scegravene religieuse telle que celle du Jugement dernier dont le modegravele venait du Languedoc des voussures chargeacutees de personnages en union avec cette scegravene semblables aux sculptures dont les artistes du Poitou et de la Saintonge chargeaient les voussures de leurs portails Enfin le troisiegraveme eacuteleacutement les statues-colonnes serait une creacuteation de Suger Or rien ne prouve que les statues-colonnes de Saint-Denis datent du temps de Suger et il nest pas absolument deacutemontreacute non plus quelles aient eacuteteacute les premiegraveres agrave orner un portail Il serait surprenant quon eucirct composeacute du premier coup un ensemble de cette importance Suger qui parle des portes de bronze placeacutees agrave lentreacutee de sa basilique et des scegravenes qui y eacutetaient repreacutesenteacutees ne dit rien de ces statues du portail Il semble que sil avait entiegraverement creacuteeacute cet eacutetrange deacutecor il en aurait fait mention A notre sentiment lideacutee de placer des statues devant les colonnes dun portail de les allonger de les eacutetirer pour quelles fassent corps avec ces colonnes sans en deacutepasser leacutepaisseur est venue progressivement insensiblement Ces statues ont leur origine dans des bas-reliefs de petite dimension superposeacutes sur les montants des portails comme ceux des eacuteglises lombardes dans les figurines placeacutees les unes au-dessus des autres et graveacutees plutocirct que sculpteacutees qui ornent les colonnettes du portail des Orfegravevres agrave Saint-Jacques de Compostelle enfin dans des statuettes fixeacutees contre des colonnes comme les statuettes de Saint-Ouentin-legraves-Beauvais (Museacutee de Beauvais) Le bas-relief sest accentueacute pour devenr une statue la statuette sest allongeacutee pour avoir la taille de la colonne Une autre question poseacutee par M Macircle avait pour but deacutetablir comment les premiers sculpteurs romans avaient retrouveacute leur technique agrave quel art en honneur alors ils avaient demandeacute des modegraveles La reacuteponse de M Macircle nous paraicirct trop absolue et trop exclusive Cest selon lui la miniature qui a joueacute presque uniquement le rocircle dinitiatrice pour les premiers sculpteurs romans Il le dit dune faccedilon tregraves preacutecise

laquo La miniature a joueacute un rocircle deacutecisif Elle explique agrave la fois laspect tourmenteacute de notre sculpture naissante et le caractegravere profondeacutement traditionnel de notre iconographie raquo

Et plus loin

laquoCet art (de la statuaire) comment les artistes lont-ils retrouveacute Tel est le problegraveme quon a sans grand succegraves jusquagrave preacutesent essayeacute de reacutesoudre On a rappeleacute que le culte des reliques avait pris degraves le X

e siegravecle dans la France meacuteridionale une forme singuliegravere on les placcedilait agrave linteacuterieur dune

statue de bois revecirctue dor Lapparition de ces statues agrave la fin de lacircge carolingien est un fait inteacuteressant Mais je nen suis pas moins convaincu que ces effigies hieacuteratiques nont eu aucune influence sur la naissance du grand art monumental Car ce nest pas sous la forme de la statue que la sculpture a reparu mais sous la forme du bas-relief Il se passera bien des anneacutees avant que lon rencontre en France une image deacutetacheacutee du mur Sil en est ainsi il est clair quil ne faut pas aller demander aux statues reliquaires du plateau central le secret des origines de la sculpture Ce secret est ailleurs Je voudrais montrer ici quagrave Moissac aussi bien quen Auvergne en Bourgogne ou en Provence le bas-relief na guegravere eacuteteacute agrave lorigine quune transposition de la miniature raquo

laquo Plusieurs singulariteacutes de notre sculpture primitive les eacutetoffes colleacutees au corps les plis concentriques sur la poitrine et les genoux ne peuvent sexpliquer que par limitation de la miniature qui a donneacute agrave la sculpture du XIIe siegravecle quelque chose de tourmenteacute de calligraphique La miniature ne fut pourtant pas le modegravele unique Nous verrons que les dessins des eacutetoffes persanes byzantines arabes furent eacutegalement imiteacutes Nous devinons dautres modegraveles encore Il se peut que les ivoires qui donnaient le relief aient eacuteteacute parfois consulteacutes Il semble dautre part que les petits bas-reliefs tailleacutes agrave plat sur les dalles encastreacutees dans les murs perpeacutetuent une ancienne tradition Tous ces modegraveles nen doivent pas moins rester au second plan pour nos sculpteurs la vraie source dinspiration fut la miniature raquo

Si les sculpteurs cherchaient dans les manuscrits le secret de la forme humaine il est bien eacutevident quils leur empruntaient aussi les types sacreacutes et les dispositions des scegravenes religieuses Ainsi selon M Macircle cest presque exclusivement dans les miniatures tant pour les scegravenes agrave repreacutesenter que pour lexeacutecution mecircme des figures dans la pierre que les sculpteurs romans cherchegraverent des modegraveles Nous ne partageons pas cette opinion les sculpteurs romans firent dans des proportions tregraves diffeacuterentes il est vrai des emprunts agrave tous les arts IIs sinspiregraverent non seulement des manuscrits et

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des tissus orientaux comme M Macircle la tregraves bien observeacute mais aussi des peintures murales et des mosaiumlques Quelques-uns mecircme copiegraverent des bijoux barbares telle cette pierre de Glanfeuil orneacutee dun oiseau ou ce chapiteau de la crypte de Saint-Beacutenigne de Dijon ougrave lon voit un perroquet semblable agrave ceux des fibules meacuterovingiennes telles ces tecirctes de taureau freacutequentes dans les modillons normands et qui rappellent aussi certaines fibules Ils imitegraverent assureacutement des modegraveles gallo romains et en particulier des sarcophages Les sculptures du tombeau du XI

e siegravecle de

saint Agilbert agrave Jouarre celles de la table dautel de Saint Sernin de Toulouse (vers 1096) celles du tympan de Saint Ursin de Bourges celles du tombeau de Saint-Hilaire (Aude) (XII

e siegravecle) sont

inspireacutees de modegraveles gallo romains Deux des personnages sculpteacutes dans les grands bas-reliets du deacuteambulatoire de Saint Sernin de Toulouse qui apparaissent drapeacutes dans leur toge ne sont-ils pas imiteacutes de quelque statue dorateur rencontreacutee dans les ruines du forum dune ville de Gaule Ce nest pas dans les manuscrits que les artistes cherchegraverent lideacutee de colonnes toises telles que celles du portail dAvaIlon Navaient-ils pas sous les yeux des colonnes semblables agrave celles de Notre-Dame de la Daurade de Toulouse dont quelques unes sont parvenues jusquagrave nous

FIGURE XLI

(le baiser de Judas clicheacute Bernard Delorme - Notre-Dame de la Daurade Toulouse)

Ce nest pas aux manuscrits mais aux sarcophages que les sculpteurs ont pris ces imbrications que lon trouve agrave Moissac et agrave Toulouse II faut constater quici comme en bien dautres circonstances miniaturistes et sculpteurs ont puiseacute agrave la mecircme source Il faut eacutegalement faire place aux influences reacuteciproques aux eacutechanges qui ont pu se faire dun art agrave lautre Les anges soutenant une gloire ronde dans laquelle se trouve une figure divine qui ornent dune faccedilon si gracieuse des tailloirs au cloicirctre de Moissac et au cloicirctre de Tarragone et quon rencontre aussi sur le linteau de la porte nord de Saint-Michel de Pavie se retrouvent sur des ivoires ils sont un souvenir des antiques geacutenies aileacutes supportant un cartouche Bien des thegravemes deacutecoratifs en honneur chez les sculpteurs romans ont eacuteteacute emprunteacutes agrave la grammaire ornementale gallo-romaine Ce nest pas la pourtant que nos artistes prirent principalement leurs modegraveles il faut prendre garde que ces deacutebutants qui tentaient de faire revivre un art abandonneacute depuis plus de quatre siegravecles avaient agrave retrouver le relief et quagrave cette eacutepoque dautres artistes utilisant dautres matiegraveres que la pierre savaient exeacutecuter des figures en relief Nous voulons parler des fondeurs et des orfegravevres cest surtout agrave ceux-ci que nos premiers sculpteurs demandegraverent des leccedilons M Macircle refuse toute influence dans la renaissance de la sculpture agrave ces statues de bois revecirctues de feuilles de meacutetal a ces laquo majesteacutes dor raquo qui eacutetaient en honneur en Auvergne au X

e et au XI

e siegravecle et dont M Louis Breacutehier a montreacute tout linteacuterecirct quelles preacutesentaient

pour larcheacuteologie Il croit trouver un argument absolu pour nier cette influence dans ce fait que ces laquo majesteacutes raquo eacutetaient des statues et que les premiers sculpteurs ne senhardirent tout dabord quagrave exeacutecuter des bas-reliefs Mais nest-il pas logique de penser quils imitegraverent les bas-reliefs quils pouvaient voir exeacutecuter de leur temps Pendant tous les siegravecles du moyen acircge on sculpta des figures de petite dimension dans livoire M Macircle concegravede bien que les objets divoire notamment les coffrets musulmans dEspagne du X

e et du XI

e siegravecle purent jouer leur rocircle mais il ne fait aucune allusion agrave

lart de la fonte aux arts dorfegravevrerie qui ne cessegraverent jamais decirctre pratiqueacutes aux portes de bronze orneacutees de nombreuses scegravenes telles que celles dHildesheim du deacutebut du XI

e siegravecle aux couvertures

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deacutevangeacuteliaires aux reliquaires de formes varieacutees aux chacircsses rehausseacutees de figures de meacutetal aux ciboria aux devants dautel et aux tombeaux que lon couvrait de plaques dargent ou dor orneacutees de personnages en haut relief et dassez grande dimension Les monuments de ce genre qui ont eacuteteacute conserveacutes sont tregraves rares agrave toute eacutepoque on les fit fondre pour tirer parti des meacutetaux preacutecieux dont ils eacutetaient composeacutes Mais les textes viennent dans une certaine mesure suppleacuteer labsence des monuments quand on parcourt les chroniques du VIII

e au XII

e siegravecle on est stupeacutefait de voir la

richesse inouiumle des treacutesors dorfegravevrerie que posseacutedaient certaines eacuteglises au moyen acircge Il neacutetait pas dabbaye importante au deacutebut de leacutepoque romane qui neucirct ses chacircsses et son parement dautel orneacutes de figures dargent ou dor repousseacute Une place importante eacutetait faite dailleurs aux arts du meacutetal dans le ceacutelegravebre ouvrage du moine Theacuteophile qui explique en deacutetail les meacutethodes agrave suivre pour fondre le bronze ou pour exeacutecuter des reliefs dargent ou dor par le proceacutedeacute du repousseacute et les terminer par la ciselure De cette profusion doeuvres dorfegravevrerie que les chroniques nous font connaicirctre quelques magnifiques exemples nous restent tels sont le parement dautel de Saint-Ambroise de Milan (IX

e

siegravecle) et le devant dautel de la catheacutedrale de Bacircle exeacutecuteacute vers 1020 et conserveacute aujourdhui au museacutee de Cluny des dessins du XVII

e et du XVIII

e siegravecle nous ont gardeacute aussi de quelques

monuments ceacutelegravebres un souvenir plus preacutecis que celui auquel peut preacutetendre une description Ces teacutemoins suffisent pour nous donner une preuve certaine des emprunts quont faits les sculpteurs aux monuments dorfegravevrerie Limitation est parfois si eacutevidente quon peut se demander si certains orfegravevres comme aussi certains ivoiriers ne simprovisegraverent pas sculpteurs sur pierre Certaines sculptures ont des reliefs peu accuseacutes qui font penser aux figures obtenues dans le meacutetal par le proceacutedeacute du repousseacute telles sont entre cent autres le Christ de Saint-Amour-Bellevue (Saocircne-et-Loire) les Anges placeacutes aux eacutecoinccedilons du portail de Notre-Dame dEtampes et certaines figures tourmenteacutees de la Porte Mieacutegeville agrave Saint-Sernin de Toulouse dautres telles que les figures des tympans de Saint-Sauveur de Nevers et de Champagne (Ardegraveche) paraissent couleacutees dans le bronze tandis que le tympan de Pompierre (Vosges) avec le curieux encadrement dentrelacs de son linteau paraicirct copieacute sur un coffret divoire Dans nos sculptures romanes le dessin des figures les plis des vecirctements colleacutes au corps et le bas des robes semblant souleveacute par le vent ne sont pas neacutecessairement limitation des proceacutedeacutes de la calligraphie quon jette un coup dœil sur lautel de Bacircle on apercevra ces plis colleacutes au corps sur tous les personnages et lon remarquera le retroussis au bas de la robe du Christ Si lon vient aux deacutetails on trouvera imiteacutees dans la pierre les pacirctes de verre qui encadrent les bas-reliefs de meacutetal sur les couvertures deacutevangeacuteliaires et chose plus curieuse encore les sculpteurs ont parfois imiteacute dune faccedilon si scrupuleuse leurs modegraveles dorfegravevrerie quon rencontre des inscriptions qui au lieu decirctre graveacutees ont leurs lettres en relief semblables agrave celles qui se trouvent en repousseacute sur les feuilles de meacutetal des reliquaires ou sur des plaques de bronze bas-relief agrave Saint-Sernin de Toulouse avec linscription sanctus Saturninus tympans de Marcillac (Lot) et de Mervilliers( Eure-et-Loir) Les sculpteurs ont emprunteacute parfois aux monuments dorfegravevrerie la composition de leurs scegravenes Les textes nous deacutecrivent des devants dautel dor ougrave lon voyait le Christ en majesteacute accompagneacute des quatre animaux et parfois des Apocirctres disposeacutes sous la gloire du Christ ou agrave ses cocircteacutes sur plusieurs registres Les mecircmes figures se retrouvent avec une semblable ordonnance sur nos tympans Celui de Carennac (Lot) nous en fournit un remarquable exemple La disposition dune seacuterie darcades en plein cintre reposant sur des colonnettes et abritant chacune un personnage assis ou debout que lon rencontre si souvent sur nos plus vieilles sculptures romanes (linteaux de Saint-Genis-des-Fontaines de Saint-Andreacute de Soregravede) du plus ancien portail de Charlieu de Chacircteauneuf (Saocircne-et-Loire) puis plus tard linteaux des portails des catheacutedrales du Mans de Bourges de leacuteglise Saint-Loup-de-Naud) est imiteacutee des ivoires des chacircsses (chacircsse du treacutesor de la catheacutedrale de Cividale X

e siegravecle) et des

devants dautel (autel dor de la catheacutedrale de Bacircle) Nos artistes allegraverent plus loin ils sinspiregraverent de ces modegraveles pour deacutecorer des faccedilades entiegraveres deacuteglises et il semble que certaines faccedilades deacuteglises de lOuest en particulier soient une reacuteplique magnifiquement deacuteveloppeacutee de quelque parement dautel Telles sont les faccedilades des eacuteglises de Peacuterignac (Charente-Infeacuterieure) de Notre-Dame la Grande de Poitiers et de la catheacutedrale dAngoulecircme avec leurs seacuteries darcades encadrant chacune un personnage Sil nous reste bien peu de vestiges de ces parements dautel dargent ou dor si nombreux agrave leacutepoque romane nous pouvons nous rendre compte de ce quils eacutetaient par les reacutepliques de ces monuments dorfegravevrerie quon fabriquait eacuteconomiquement en bois sculpteacute ou simplement en couvrant une piegravece de bois de peintures et en encadrant celles-ci dornements de placirctre ou de stuc formant un faible relief Les Museacutees de Vich et de Barcelone conservent deux importantes collections de ces antependia dont M Folch le tregraves distingueacute Directeur des Museacutees de Barcelone publiera prochainement les reproductions en y joignant une eacutetude sur lindustrie de ces inteacuteressants monuments catalans et sur ce proceacutedeacute qui consistait agrave faire des encadrements en relief avec de la laquo pastaraquo appliqueacutee agrave laide dun cornet Lun des antependia du museacutee de Vich eacutetait orneacute lorsquil eacutetait intact de douze figurines de bois dont cinq subsistent repreacutesentant les Apocirctres debout sous douze

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arcades placeacutees sur deux rangs au milieu se trouve le Christ en majesteacute dans une gloire ovale que flanquaient les quatre animaux Les devants dautel chargeacutes de figures de meacutetal neurent pas seulement des reacutepliques de bois sculpteacute dans la suite on exeacutecuta des autels qui eacutetaient orneacutes de bas-reliefs de pierre faits agrave leur imitation Les autels dAirvault (Deux-Segravevres) et dAvenas (Rhocircne) en sont des exemples Le beau tombeau de Saint-Junien (Haute-Vienne) qui est orneacute de bas-reliefs de pierre repreacutesentant le Christ en majesteacute la Vierge avec lEnfant dans une gloire et les Vieillards de lApocalypse rappelle les antependia que nous deacutecrivent les textes il rappelle aussi dailleurs certains tombeaux qui eacutetaient complegravetement recouverts de feuilles de meacutetal orneacutees de bas-reliefs tels que ceux de saint Riquier dans labbaye consacreacutee agrave ce saint et de saint Benoicirct agrave Fleury-sur-Loire Nos premiers sculpteurs durent avoir quelquefois eacutegalement sous les yeux des surfaces sculpteacutees de mecircme apparence et presque de mecircme dimension que les tympans quils allaient deacutecorer nous voulons parier des ciboria portant sur leurs arcades des pignons verticaux couverts de figures en relief Pendant les siegravecles qui preacuteceacutedegraverent immeacutediatement le XII

e siegravecle si les artistes ne se

hasardegraverent pas agrave sculpter des images dans la pierre il semble quils aient quelquefois tenteacute dutiliser des matiegraveres plus tendres telles que le placirctre le stuc et la terre cuite Les figures de stuc de Disentis (Grisons) qui paraissent dater du VIII

e siegravecle en sont un teacutemoignage Des ciboria de mecircme aspect que

ceux de Saint-Ambroise de Milan et de San Pietro al Monte sopra Civate avaient ducirc ecirctre orneacutes de figures de stuc ou de terre cuite agrave cocircteacute de monuments plus riches sur les frontons desquels on appliquait des reliefs dargent doreacute La ressemblance dune des faces de ces ciboria avec un tympan sculpteacute est frappante Ces quelques observations sur lesquelles nous nous proposons de revenir prochainement suffisent pour montrer limportance que purent avoir dans la renaissance de la sculpture les arts ougrave le relief eacutetait pratiqueacute Cest surtout en imitant des modegraveles dorfegravevrerie et divoire que les sculpteurs cherchegraverent agrave retrouver le secret de leur art Le rocircle de la miniature nen fut pas moins consideacuterable cest agrave elle quest ducirc lenrichissement de liconographie religieuse au XII

e siegravecle

Les sculpteurs et les verriers trouvegraverent dans les images des manuscrits une source abondante de sujets ils ne se firent pas faute dy chercher lindication des scegravenes quils voulaient reproduire M Macircle la montreacute dune faccedilon tout agrave fait convaincante En lisant Ies pages de son livre ou bien souvent il avait agrave deacuteplorer la disparition de preacutecieux monuments nous avons penseacute aux lignes eacutemouvantes quil eacutecrivait apregraves lincendie de la catheacutedrale de Reims en septembre 1914

laquo Quand la France apprit que la catheacutedrale de Reims eacutetait en flammes disait-il tous les cœurs se serregraverent le monde entier seacutemut de ce crime on sentit quune eacutetoile avait pacircli que la beauteacute avait diminueacute sur la terre raquo

A cocircteacute des monuments de notre pays mutileacutes par le temps lignorance et la haine il en est beaucoup dautres qui subsistent et quon neacuteglige trop souvent de contempler Le livre de M Macircle contribuera agrave les taire mieux connaicirctre et agrave les faire aimer car il a mis non seulement son eacuterudition profonde mais aussi son cœur au service de cette œuvre qui est le reacutesultat de trente anneacutees defforts

Paul DESCHAMPS

Voici agrave preacutesent un exposeacute sur la repreacutesentation des Saints dans lart du Moyen Acircge Il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant que les alchimistes ont tregraves souvent fait appel aux saints dans leurs alleacutegories le preacutesent traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant eacutetant ici des plus reacuteveacutelateurs Il paraissait donc inteacuteressant de faire le point sur la repreacutesentation de ces saints vers le XII

e et le XIII

e siegravecle Cest

directement en compagnie dEmile Macircle que nous effectuerons ce trajet

LES PREMIEgraveRES REPREacuteSENTATIONS DES SAINTS DANS LART DU MOYEN AGE

En France les images des saints commencent agrave apparaicirctre dans lart monumental du XIIe siegravecle Elles

sont rares encore et ce nest quavec une certaine reacuteserve quelles sintroduisent dans leacuteglise elles nen sont que plus curieuses et il y a un vif inteacuterecirct agrave surprendre agrave ses origines cette glorification des saints par lart Au XII

e siegravecle les saints se montrent rarement dans les portails qui sont laisseacutes au

Christ et aux apocirctres mais ils sont souvent ceacuteleacutebreacutes ailleurs On les voit repreacutesenteacutes aux chapiteaux de leacuteglise et du cloicirctre on les voit peints aux murs du sanctuaire Les orfegravevres les eacutemailleurs racontaient leur histoire sur des chacircsses ou ciselaient leurs bustes pour les autels Quelques verriegraveres deacutejagrave leur eacutetaient consacreacutees Mais de tant doeuvres il ne reste aujourdhui que des deacutebris les cloicirctres et leurs chapiteaux historieacutes ont eacuteteacute deacutetruits les fresques effaceacutees les Vitraux briseacutes les chacircsses fondues Nos pertes ont eacuteteacute immenses car lart du XII

e siegravecle a eacuteteacute beaucoup plus eacuteprouveacute par le

temps et les reacutevolutions que lart du XIIIe et cest au milieu de ces ruines quil faut aller chercher

quelques souvenirs du passeacute Pourtant quand on parcourt la France en interrogeant les pierres on

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retrouve encore ccedila et lagrave avec un singulier plaisir quelques-uns des chapitres de notre vieille histoire religieuse Dans plusieurs de nos provinces lart a conserveacute le souvenir des saints qui les illustregraverent premiers apocirctres de la foi martyrs eacutevecircques solitaires de la montagne ou de la forecirct Car ce ne sont pas les saints connus de la chreacutetienteacute tout entiegravere que repreacutesentent le plus volontiers nos artistes du XII

e siegravecle mais les saints provinciaux les saints locaux de lagrave linteacuterecirct de ces images qui ont pour

nous le charme dune flore indigegravene Cette histoire dailleurs nest bien souvent quune leacutegende Il y eut agrave diverses eacutepoques mais surtout au XI

e siegravecle un grand travail de creacuteation poeacutetique qui donna agrave

la vie de plusieurs de nos saints linteacuterecirct dun roman On fit aborder en France plusieurs personnages illustres de lEacutevangile auxquels on precircta des aventures nouvelles On multiplia les miracles Il se creacutea une sorte deacutepopeacutee chreacutetienne comparable aux Chansons de gestes qui naissaient alors Le geacutenie de cet acircge heacuteroiumlque et avide de merveilles sexprima agrave la fois par la leacutegende latine et par le poegraveme franccedilais Le saint et le heacuteros ces deux exemplaires supeacuterieurs de lhumaniteacute furent ceacuteleacutebreacutes avec la mecircme ferveur Si donc ces reacutecits ne nous apprennent rien sur les saints quils veulent glorifier ils nous apprennent beaucoup sur le moyen acircge lui-mecircme Il nous apparaicirct lagrave avec son profond ideacutealisme son asceacutetisme son deacutedain du reacuteel son ineacutebranlable conviction que la foi est la plus grande force de ce monde Ces leacutegendes aussi poeacutetiques parfois que les inventions de leacutepopeacutee eurent de bien autres conseacutequences elles creacuteegraverent des pegravelerinages elles firent surgir des eacuteglises elles les peuplegraverent dœuvres dart elles mirent en mouvement des millions dhommes Elles furent pour une foule dacircmes une consolation et une espeacuterance elles leur laissegraverent entrevoir degraves ce monde le regravegne de Dieu Commenccedilons par le Midi languedocien le pays de nos plus anciens sculpteurs ce voyage en France agrave la recherche des saints Toulouse avait conserveacute un profond souvenir de son premier apocirctre

FIGURE XLII (porte Miegravegeville - eacuteglise saint Sernin Toulouse)

[site consulteacute httppmaudefreefrSerninpresentationhtm - tympan sculpteacute occupeacute par un thegraveme unique celui

de lAscension Cette œuvre a justement eacuteteacute placeacutee au rang des chefs dœuvre de la sculpture romane Au centre

le Christ debout les mains leveacutees la tecircte tourneacutee vers le ciel est deacuterobeacute agrave la vue de ses disciples par les nueacutees deux anges laident agrave seacutelever tandis que quatre autres lacclament Sur le linteau les douze apocirctres gardent leurs

visages tourneacutes vers le ciel aux extreacutemiteacutes deux anges leur rappellent que lAscension est aussi la promesse du

Retour et du Royaume eacuteternel]

de ce Saturninus qui avait refuseacute lencens aux dieux de Rome un taureau furieux lavait traicircneacute ensanglanteacute sur les marches du Capitule Enseveli hors des murs saint Saturnin ou comme disait le peuple saint Sernin avait fait naicirctre une ville nouvelle autour de son tombeau La colossale eacuteglise Saint-Sernin la plus grande des eacuteglises romanes est le monument du heacuteros Mais on est surpris aujourdhui quand on visite leacuteglise de ny rencontrer aucune œuvre dart ancienne qui rappelle son souvenir Il nen eacutetait pas ainsi autrefois le pegravelerin qui arrivait devant le portail occidental eacutetait

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accueilli par un bas-relief du XIIe siegravecle repreacutesentant le martyr debout avec le taureau sous ses pieds

Mais deacutejagrave la leacutegende avait deacuteformeacute lhistoire Aux Actes de saint Sernin si sobres et dun caractegravere si antique des eacutepisodes nouveaux eacutetaient venus sajouter On racontait quil avait baptiseacute Austris la fille dAntoninus gouverneur de Toulouse qui dans la leacutegende nouvelle est devenu un roi Austris eacutetait leacutepreuse saint Sernin la gueacuterit en la plongeant dans la piscine baptismale On voyait donc au portail de leacuteglise un groupe repreacutesentant la jeune princesse baptiseacutee par saint Sernin Un autre bas-relief montrait le perseacutecuteur de lapocirctre le roi Antoninus assis sur son trocircne Ces œuvres quon peut imaginer fines et nerveuses comme toute la sculpture toulousaine du XII

e siegravecle ont disparu sans

laisser de trace et ne nous sont connues que par une ancienne description A lautre bout de la ville la catheacutedrale Saint-Eacutetienne perpeacutetuait de son cocircteacute le souvenir du premier eacutevecircque de Toulouse Dans le cloicirctre des chanoines un des plus anciens sanctuaires de lart franccedilais miseacuterablement deacutetruit en 1813 des statues du XII

e siegravecle sadossaient aux piliers ceacutetaient celles de saint Pierre de saint

Sernin de saint Exupegravere et dun diacre Saint Sernin eacutetait placeacute pregraves de saint Pierre parce que suivant la tradition qui avait preacutevalu alors lapocirctre de Toulouse avait reccedilu sa mission du premier des papes Ecce Saturninus quem miserat ordo latinus disait linscription laquo Voici saint Sernin envoyeacute par leacuteglise latine raquo Toulouse se donnait donc comme la fille spirituelle de Rome Saint Sernin eacutetait le heacuteros de la foi saint Exupegravere un de ses premiers successeurs eacutetait le heacuteros de la chariteacute En un temps de disette il avait vendu tous les ornements de leacuteglise et mecircme le calice et la pategravene pour nourrir les pauvres Lartiste de Toulouse lavait repreacutesenteacute un calice agrave la main ceacutetait le calice de verre qui avait remplaceacute le calice dargent pregraves de lui un diacre portait une pategravene dosier tresseacute sainte pauvreteacute des temps antiques qui touchait les cœurs Ainsi lart naissant avait voulu eacuteterniser la meacutemoire des deux plus grands saints de Toulouse on les y cherche vainement aujourdhui Mais ce quon ne trouve plus agrave Toulouse on le voit ailleurs car la gloire de saint Sernin rayonnait au loin Entre Carcassonne et lancien eacutevecirccheacute dAlet seacutelegraveve cacheacutee au fond dune valleacutee lancienne abbaye de Saint-Hilaire Ici un preacutecieux monument du passeacute nous a eacuteteacute fidegravelement conserveacute Un sarcophage du XII

e siegravecle sculpteacute sur toutes ses faces raconte le martyre de saint Sernin On le voit saisi par les

paiumlens au moment ougrave il annonce lEacutevangile Puis il est attacheacute au taureau quun bourreau excite de laiguillon des becirctes au visage presque humain grimacent autour du saint et semblent incarner la feacuterociteacute du vieux monde pendant que deux femmes contemplent le martyr avec attendrissement Ce sont les deux vierges saintes laquo les saintes puelles raquo qui vont lensevelir celles-lagrave mecircmes quon honorait sur la route de Carcassonne agrave Toulouse au Mas-Saintes-Puelles Bien loin de Saint-Hilaire de lautre cocircteacute de Toulouse le cloicirctre de Moissac ceacutelegravebre lui aussi la gloire de saint Sernin un chapiteau lui est consacreacute Le juge assis sur son siegravege vient de condamner

FIGURE XLIII (sarcophage ancienne abbaye de saint Hilaire)

[de cette scegravene lhermeacutetiste retiendra quelle sapparente agrave une autre ougrave la leacutegende affirme que Zeacutethos et

Amphion tuegraverent Lycos fils de Cadmos et attachegraverent son eacutepouse Dirceacute par les cheveux aux cornes dun

taureau sauvage qui la traicircna sur les rochers jusquagrave ce que mort sensuive On ajoute quAmphion fut tueacute par les

traits justiciers dApollon et dArteacutemis pour avoir insulteacute leur megravere Leacuteto cf reacutebus de saint Greacutegoire-sur-Viegravevre]

lapocirctre et deacutejagrave il a eacuteteacute attacheacute aux cornes du taureau Le Capitole est repreacutesenteacute sous laspect dune haute tour agrave eacutetages elle fait penser agrave la forteresse qui dominait Toulouse au moyen acircge agrave ce chacircteau narbonnais quon attribuait aux Romains Sur une autre face du chapiteau la main de Dieu sort du ciel pour recueillir lacircme du martyr Il subsiste donc encore on le voit quelques-unes des œuvres que lart du Midi avait consacreacutees agrave saint Sernin Si nous descendons la Garonne vers

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Bordeaux nous peacuteneacutetrons dans une province ougrave reacutegnaient dautres saints LAgenais eacutetait le domaine de sainte Foy de saint Caprais de saint Vincent martyrs de la grande perseacutecution de Diocleacutetien La jeune sainte Foy ameneacutee devant le gouverneur romain refusa de sacrifier cest pourquoi elle fut eacutetendue sur un gril de fer rouge puis deacutecapiteacutee Le courage de cette enfant de douze ans inspira des remords au pasteur du troupeau agrave saint Caprais qui seacutetait reacutefugieacute dans une grotte de la montagne Il assistait de loin au combat de la sainte et voyait dit la leacutegende des anges tenant une couronne au-dessus de sa tecircte Il se preacutesenta donc reacutesolument au gouverneur se proclama chreacutetien et livra sa tecircte au bourreau Quant agrave saint Vincent dont une leacutegende tardive fait le successeur de saint Caprais il voulut mettre fin au culte de Belenus et il arrecircta la roue enflammeacutee symbole du soleil que lon faisait descendre chaque anneacutee sur la pente de la colline Traicircneacute devant le magistrat romain il fut battu de verges et deacutecapiteacute On sattendrait agrave rencontrer agrave Agen au lieu mecircme du martyre de sainte Foy quelque belle œuvre de la sculpture romane consacreacutee agrave la jeune sainte mais au XIe siegravecle ses reliques convoiteacutees depuis longtemps comme un treacutesor sans prix furent deacuterobeacutees par un moine de Conques et emporteacutees dans les montagnes du Rouergue Cest Conques qui va

devenir deacutesormais le centre du culte de sainte Foy et nous allons ly retrouver tout agrave lheure Agen ne nous montre plus aujourdhui quun chapiteau consacre agrave saint Caprais dans leacuteglise qui lui est deacutedieacutee Le saint est deacutecapiteacute devant le gouverneur romain Dacien une inscription deacutesigne chaque personnage par son nom Dacianus miles sanctas Caprasius et un vers latin indique le rocircle de chacun Praecipit occidit moritur cœlestia scandit Dacien est lagrave pour ordonner le soldat pour tuer saint Caprais pour mourir Lart noublia pas non plus saint Vincent Ses reliques furent longtemps conserveacutees dans la ville gallo-romaine de Pompejac qui devint le Mas dAgenais un magnifique sarcophage du V

e siegravecle quon y voit encore passe pour avoir eacuteteacute son tombeau Or dans leacuteglise du

Mas un chapiteau roman repreacutesente un martyr agrave genoux deacutecapiteacute par la main du bourreau Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en ce lieu elle ne saurait repreacutesenter autre chose que la mort de saint Vincent Ses reliques il est vrai neacutetaient plus alors au Mas elles avaient eacuteteacute transporteacutees agrave Conques agrave leacutepoque des incursions normandes toutefois le souvenir de saint Vincent eacutetait demeureacute vivant au Mas dAgenais et son culte continuait agrave y ecirctre ceacuteleacutebreacuteAu temps des rois wisigoths Euric et Alaric la Gascogne eut une nouvelle geacuteneacuteration de martyrs Les Wisigoths eacutetaient ariens et perseacutecutaient les catholiques quils obligeaient agrave se convertir agrave leur symbole sous peine de mort Les vieux livres liturgiques et les leacutegendes populaires perpeacutetuegraverent le souvenir de quelques-uns de ces martyrs Un des plus fameux fut saint Maurin jeune apocirctre qui loin de dissimuler sa foi la proclamait sur la place publique de Lectoure Il fut deacutecapiteacute sur lordre du roi Alaric et la tradition rapportait quon lavait vu porter sa tecircte jusquagrave la fontaine Militane Les artistes nauraient peut-ecirctre jamais illustreacute sa meacutemoire sil ne seacutetait fondeacute aux confins de lAgenais et du Quercy une abbaye sous son nom Leacuteglise de Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) nest plus aujourdhui quune ruine mais deux de ses colonnes sont encore couronneacutees de deux beaux chapiteaux romans ougrave lon retrouve le style de Toulouse et de Moissac Sur lun deux un martyr porte sa tecircte dans ses mains une chreacutetienne inclineacutee devant lui sapprecircte agrave recevoir sa tecircte sur un voile Le vocable de leacuteglise deacutedieacutee agrave Saint-Maurin ne permet pas dheacutesiter sur le sens de la scegravene Voilagrave agrave peu pregraves tout ce que nous offre cette vaste reacutegion du Midi Elle a ducirc ecirctre autrefois incomparablement plus riche en images de saints la grande eacutecole toulousaine yavait sans aucun doute prodigueacute ses chefs-dœuvre mais le temps ne les a pas respecteacutes Aucun pays na eacuteteacute au XII

e siegravecle plus feacutecond que la belle plaine qui se deacuteroule

dans la lumiegravere jusquaux Pyreacuteneacutees sorte de Lombardie de la France mais aucun pays na eacuteteacute plus souvent deacutevasteacute La guerre des Albigeois la guerre de Cent ans les guerres de religion y ont accumuleacute tant de ruines que lon admire quil y reste encore quelques teacutemoignages de ce qua eacuteteacute le geacutenie du Midi II faut aller jusquaux Pyreacuteneacutees pour retrouver les saints Ces poeacutetiques montagnes eurent leur leacutegende doreacutee elles eurent leurs martyrs leurs vieux eacutevecircques leurs ermites Plusieurs sans doute furent ceacuteleacutebreacutes par lart mais bien peu de ces œuvres subsistent aujourdhui A lentreacutee des valleacutees pyreacuteneacuteennes agrave Foix une abbaye jadis ceacutelegravebre portait le nom dun martyr de la perseacutecution arienne saint Volusien Son eacuteglise a eacuteteacute agrave presque entiegraverement refaite et son cloicirctre roman complegravetement deacutetruit Un hasard pourtant nous a rendu un de ses chapiteaux historieacutes Ce chapiteau est fort inteacuteressant car il nous raconte justement un eacutepisode de lhistoire de saint Volusien Volusien eacutevecircque deTours eacutetait le sujet dAlaric roi des Wisigoths dont le vaste royaume seacutetendait jusquagrave la Loire Soupccedilonneacute de favoriser les desseins de Clovis qui preacuteparait une expeacutedition contre les ariens du Midi il fut sur lordre dAlaric arracheacute agrave son siegravege de Tours et conduit agrave Toulouse A Toulouse il fut traiteacute comme un malfaiteur on lui lia les mains et on lemmena vers lEspagne Mais en arrivant au pied des montagnes les soldats qui le conduisaient lui ordonnegraverent de sagenouiller dans un champ et lui tranchegraverent la tecircte Le chapiteau nous montre Volusien les mains lieacutees et la corde au cou entraicircneacute par ses bourreaux On ne voit pas sa mort ni les frecircnes qui poussegraverent

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miraculeusement sur le lieu de son supplice mais on voit la vengeance du ciel Lautre face du chapiteau en effet repreacutesente larmeacutee victorieuse de Clovis assieacutegeant Toulouse plus loin la ville est prise et les vainqueurs en deacutemolissent les murs Ce preacutecieux monument est conserveacute au Museacutee de Foix et il meacuterite de lecirctre car Foix est une creacuteation des reliques de saint Volusien la ville est neacutee autour du monastegravere qui gardait le tombeau du martyr En entrant dans la montagne on voit seacutelever au-dessus

de la valleacutee de Luchon une eacuteglise romane deacutedieacutee agrave saint Aventin Les chapiteaux du portail retracent son histoire Saint Aventin est un ermite du VIII

e siegravecle qui vivait dans la solitude sans autre socieacuteteacute

que celle des ours de la forecirct Parfois il quittait sa cabane pour enseigner leacutevangile aux montagnards toujours attacheacutes agrave leurs anciens dieux tous lentouraient de respect Mais les Arabes qui parcouraient alors le Midi entendirent parler de ce propagateur de la foi chreacutetienne Ils se mirent agrave sa recherche et quand ils eurent deacutecouvert sa retraite ils semparegraverent de lui et lui tranchegraverent la tecircte Les chapiteaux racontent la naissance la vie et la mort du saint ermite comme beaucoup dautres saints il est repreacutesenteacute portant sa tecircte dans ses mains A labside un bas-relief nous montre le taureau qui retrouva le tombeau de saint Aventin dont on avait perdu le souvenir Puissance de lart chreacutetien Une eacuteglise accrocheacutee au rocher perpeacutetue depuis pregraves de huit cents ans la meacutemoire dun pauvre ermite inconnu Cest dans une reacutegion voisine de Luchon que seacutelegraveve au sommet dune acropole la catheacutedrale de Saint-Bertrand-de-Comminges Elle est du XIV

e siegravecle mais le portail et

le rude clocher qui le domine sont du XIIIe Un beau tympan de leacutecole toulousaine repreacutesente

lAdoration des Mages agrave lextreacutemiteacute de ce tympan derriegravere la Vierge un eacutevecircque fait face au spectateur il legraveve la main droite pour beacutenir et tient la crosse de la main gauche Quel est ce mysteacuterieux personnage introduit par lartiste dans une scegravene sacreacutee

FIGURE XLIV (eacuteglise saint Bertrand-de-Comminges tympan)

Les archeacuteologues ont nommeacute agrave tout hasard saint Sernin pourtant en ce lieu un autre nom simpose au souvenir Cest agrave la fin du XI

e siegravecle en effet que le petit-fils des comtes de Toulouse leacutevecircque

saint Bertrand releva de ses ruines la ville antique de Lugdunum Convenarum devenue une solitude il rappela les habitants rebacirctit leacuteglise et fit fleurir le deacutesert Il fut le second fondateur de la citeacute qui prit son nom On ne saurait douter que ce grand eacutevecircque mdash auquel par surcroicirct on attribuait le don des miracles mdash nait eacuteteacute repreacutesenteacute au portail de sa catheacutedrale Saint Bertrand mourut en 1123 Son image dut ecirctre sculpteacutee peu danneacutees apregraves sa mort dans un temps ougrave son souvenir eacutetait encore vivant dans toutes les meacutemoires Elle est certainement anteacuterieure agrave 1179 date de la canonisation du saint car il est repreacutesenteacute sans nimbe Cette effigie dun grand homme qui neacutetait pas encore un saint est fort inteacuteressante il a fallu un vif mouvement denthousiasme pour quon ait oseacute repreacutesenter un contemporain un homme que tous avaient connu agrave cocircteacute de la Vierge et des rois Mages Ces hautes Pyreacuteneacutees neacutetaient pas alors une barriegravere entre la France et lEspagne Les saints franccedilais eacutetaient veacuteneacutereacutes dans lEspagne du nord les saints espagnols dans la France du midi Il est curieux de retrouver ccedila et lagrave des traces de ce culte que les eacuteglises meacuteridionales avaient voueacute aux saints dau delagrave des monts Un chapiteau du cloicirctre de Moissac repreacutesente le martyre des trois saints de Tarragone Fructueux Augure et Euloge Ces illustres chreacutetiens du III

e siegravecle ceacuteleacutebreacutes par saint

Augustin et par Prudence sont repreacutesenteacutes avec le costume du XIIe Leacutevecircque Fructueux porte la

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crosse et la mitre les diacres Auguste et Euloge ont la dalmatique et le manipule Le proconsul Aemilianus gouverneur de la Tarraconaise est assis sur son trocircne et il a pregraves de lui comme un baron feacuteodal un joueur de rote Cest le moment ougrave seacutechangent entre AEmilianus et Fructueux les paroles ceacutelegravebres laquo Je suis eacutevecircque du Christ dit Fructueux mdash Dis que tu las eacuteteacute raquo reacutepond AEmiIianus et il lenvoie au supplice avec ses deux compagnons Une autre face du chapiteau montre les trois saints en priegravere au milieu de leur bucirccher et plus loin les anges emportant leur acircme au ciel dans une gloire La preacutesence dans labbaye de Moissac de quelque insigne relique des martyrs de Tarragone explique sans doute pourquoi les moines voulurent avoir sans cesse sous les yeux leur histoire Des reliques retrouveacutees il y a quelques anneacutees dans lautel de leacuteglise de Valcabregravere (Haute-Garonne) ont fait deviner les noms de trois des statues qui en ornent le portail elles repreacutesentent le diacre saint Eacutetienne et deux saints espagnols saint Just et saint Pasteur Ceacutetaient deux eacutecoliers de Complutum qui sappela plus tard Alcala de Henares au temps de la perseacutecution de Diocleacutetien ils comparurent devant le preacutefet Dacien qui les fit battre de verges et mettre agrave mort Prudence a ceacuteleacutebreacute leur courage Lartiste connaissait fort bien leur histoire car il sest efforceacute de leur donner un air de

jeunesse au-dessus de leur tecircte des chapiteaux racontent leur martyre un des saints est attacheacute a un arbre pour ecirctre flagelleacute lautre est deacutecapiteacute Dans le cloicirctre de marbre dEIne [Pyreacuteneacutees-Orientales] non loin de la grande route romaine qui -conduisait en Espagne on ne seacutetonne pas de rencontrer une sainte espagnole un des chapiteaux repreacutesente le martyre de sainte Eulalie patronne de la catheacutedrale dElne La jeune sainte de Meacuterida eacutetait deacutejagrave ceacutelegravebre en France puisque le plus ancien de nos poegravemes en langue romane lui est consacreacute Voilagrave agrave peu pregraves tout ce qui subsiste dans le Sud-Ouest des œuvres que le XII

e siegravecle avait consacreacutees aux saints de la France meacuteridionale et de

lEspagne

II

En peacuteneacutetrant dans lAquitaine nous entrons dans le royaume de saint Martial Saint Martial fut veacuteneacutereacute de bonne heure comme lapocirctre du Limousin mais jusquau XI

e siegravecle on sut peu de chose de son

histoire Cest alors que fut eacutecrite sa merveilleuse leacutegende On lattribua agrave saint Aureacutelien le premier de ses successeurs cet Aureacutelien dont la chapelle seacutelegraveve aujourdhui au milieu de la rue des Bouchers agrave Limoges Ce reacutecit sembellit encore et il se forma autour de saint Martial tout un cycle de poeacutetiques leacutegendes Il ne fut plus un simple missionnaire il devint un contemporain un disciple du Christ tout enfant il avait entendu sa parole Cest de lui que le Christ avait dit laquo Quiconque ne ressemble pas agrave cet enfant nentrera pas dans le royaume des cieux raquo II avait assisteacute agrave la multiplication des pains au lavement des pieds agrave la Cegravene Plus tard il avait accompagneacute saint Pierre agrave Rome Saint Pierre lui donna son bacircton et lenvoya eacutevangeacuteliser la Gaule avec ce fameux bacircton qui fut longtemps conserveacute dans leacuteglise Saint-Seurin de Bordeaux saint Martial ressuscitait les morts Il entra en conqueacuterant dans lAquitaine partout ougrave il passait une eacuteglise naissait Il fut le fondateur non seulement de leacuteglise de Limoges mais de celles de Bourges de Poitiers de Saintes de Bordeaux de Cahors de Tulle de Rodez dAurillac de Mende du Puy Les premiers eacutevecircques de ces villes quon en avait cru les apocirctres neacutetaient que ses disciples De poeacutetiques personnages accompagnent saint Martial Il eacutetait venu en Gaule - disait-on - avec sainte Veacuteronique qui avait essuyeacute la face du Sauveur sur le chemin du Calvaire et avec saint Amateur que lon confondra plus tard avec le Zacheacutee de lEacutevangile ce Zacheacutee agrave qui le Christ avait parleacute Veacuteronique et Amateur qui avaient vu qui avaient entendu le Verbe ne purent se reacutesigner agrave vivre dans la socieacuteteacute des hommes ils senfermegraverent tous les deux dans la solitude Saint Amateur se retira dans la profonde valleacutee ougrave seacuteleva plus tard le sanctuaire de Rocamadour quant agrave Veacuteronique elle bacirctit son ermitage dans le deacutesert de Soulac au bord de lOceacutean La leacutegende nous montre encore aupregraves de saint Martial une jeune vierge sainte Valeacuterie Elle appartenait agrave une des plus illustres familles du pays des Leacutemovices et eacutetait fianceacutee au proconsul romain mais elle avait entendu saint Martial et reccedilu le baptecircme elle aspirait agrave la perfection Elle refusa deacutepouser le proconsul qui dans sa colegravere la fit mettre agrave mort Un centurion lui trancha la tecircte la sainte la prit dans ses mains et alla la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacuteleacutebrait la messe dans leacuteglise de Limoges Les visiteurs du palais des papes dAvignon connaissent les deacutelicieuses fresques de Matteo de Viterbe ougrave lon voit se deacuterouler toute cette histoire de saint Martial sous un ciel dazur Il ne faut pas attendre du XII

e siegravecle des œuvres dun charme aussi peacuteneacutetrant Dailleurs saint Martial qui a

tenu tant de place dans limagination des hommes du XIIe siegravecle na laisseacute que peu de traces dans

lart de ce temps Beaucoup doeuvres sans aucun doute ont disparu La grande eacuteglise abbatiale de Limoges ougrave seacutelevait son tombeau cette fameuse eacuteglise Saint-Martial qui attirait tant de pegravelerins fut deacutetruite avec toutes ses œuvres dart au temps de la Reacutevolution perte irreacuteparable pourliconographie de saint Martial La fresque y racontait-elle sa leacutegende On peut le croire car dans leacuteglise qui preacuteceacuteda celle-lagrave on pouvait voir au teacutemoignage dAdheacutemar de Chabannes des

peintures murales qui retraccedilaient sa vie Degraves la fin du Xe siegravecle un moine orfegravevre de labbaye avait

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fait pour lautel une statue dor de saint Martial qui le repreacutesentait assis beacutenissant de la main droite et portant le livre de la main gauche Il est probable que dans beaucoup deacuteglises qui se glorifiaient devoir eacuteteacute fondeacutees par saint Martial on voyait quelque œuvre dart rappelant son apostolat A Toulouse la leacutegende allait jusquagrave associer saint Martial agrave saint Sernin dans la preacutedication de lEacutevangile cest pourquoi au portail de leacuteglise Saint-Sernin saint Martial eacutetait repreacutesenteacute sa statue reacutepondait agrave celle de saint Sernin et pregraves delle on lisait cette inscription Hic socius socio subvenit auxilio Ainsi au teacutemoignage mecircme des clercs de Toulouse gardiens du tombeau de saint Sernin leur saint patron avait eacuteteacute secondeacute dans son œuvre par le grand saint Martial disciple du Seigneur A lautre extreacutemiteacute de lAquitaine aux confins du Berryon voit encore dans leacuteglise romane de Meacuteobecq (Indre) une peinture murale du XII

e siegravecle qui repreacutesente saint Martial Les moines de Meacuteobecq en

effet racontaient que saint Martial dans ses voyages eacutevangeacuteliques eacutetait venu jusque-lagrave Il subsiste probablement plus dune œuvre du XII

e siegravecle ougrave nous ne savons plus aujourdhui reconnaicirctre saint

Martial A la faccedilade de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers on voit sous des arcatures agrave cocircteacute des douze apocirctres deux eacutevecircques il est probable que lun deux est saint Martial fondateur suivant la leacutegende de leacuteglise de Poitiers et presque eacutegal en digniteacute aux apocirctres Quelques œuvres de la fin du XIIe siegravecle nous offrent les plus anciennes repreacutesentations de la leacutegende de saint Martial ce sont des chacircsses eacutemailleacutees provenant des ateliers de Limoges Sur lune delles [Collection Marlin-Leroy t I PI XV Le fond vermiculeacute les costumes le style indiquent le XIIe siegravecle] saint Martial ressemble agrave

FIGURE XLV (bible de saint Martial)

un apocirctre et comme les apocirctres il a les pieds nus mdash privilegravege exceptionnel et signe de sa haute mission Il porte agrave la main le fameux bacircton il lui suffit de le preacutesenter agrave un posseacutedeacute aux cheveux heacuterisseacutes pour quaussitocirct le deacutemon seacutechappe par sa bouche Ce miracle frappa dadmiration sainte Valeacuterie et la disposa agrave recevoir le baptecircme Sur lautre face de la chacircsse en effet elle sagenouille devant saint Martial qui la beacutenit mais deacutejagrave le proconsul ordonne au bourreau de la mettre agrave mort Une autre chacircsse du mecircme temps repreacutesente le centurion conduisant sainte Valeacuterie au supplice [Ancienne colleclion Soltykoff voir Rupin lŒuvre de Limoges p 403] La jeune sainte porte encore la robe collante aux manches deacutemesureacutees des plus anciennes statues de Chartres Le bourreau lui tranche la tecircte mais elle la prend dans ses mains et va la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacutelegravebre la messe un ange vole au-dessus delle et par un charmant artifice la tecircte de lange tient la place de la tecircte de la sainte Sainte Valeacuterie est ici lheacuteroiumlne queceacutelegravebre lartiste et cest sans aucun doute une de ses reliques que contenait la chacircsse Sainte Valeacuterie en effet fut presque aussi populaire que saint Martial lui-mecircme Quand les comtes de Poitiers venaient se faire sacrer ducs dAquitaine agrave Limoges leacutevecircque leur preacutesentait la couronne et leacutepeacutee puis le doyen du chapitre leur mettait au doigt lanneau de sainte Valeacuterie ceacutetaient les fianccedilailles du duc et de leacuteglise dAquitaine dont Valeacuterie eacutetait le plus pur symbole Cest pourquoi les œuvres dart qui la repreacutesentent - trop rares aujourdhui - nous touchent comme une poeacutetique image du passeacute Non loin de Bellac lantique eacuteglise Saint-Pierre-de-la-Treacutemouille conserve quelques restes dune fresque du XII

e siegravecle deux saintes apparaissent encore dont on peut

lire les noms ce sont sainte Valeacuterie et sainte Radegonde [Voir un dessin de la fresque dans le Bullet de la Socieacuteteacute des antiq de lOuest 1912 p 633] La leacutegende doreacutee du Poitou sunit lagrave agrave celle du Limousin Le monastegravere de Chambon-sur-Voueyze (Creuse) agrave lextreacutemiteacute de la Marche fut un des foyers du culte de sainte Valeacuterie Il posseacutedait une partie de ses reliques mais le charmant buste dargent qui les contient aujourdhui ne remonte quau XV

e siegravecle il repreacutesente la jeune martyre avec

une couronne et un riche collier Dans la vieille eacuteglise romane de Chambon aucune des œuvres qui furent consacreacutees au XII

e siegravecle agrave sainte Valeacuterie ne sest conserveacutee mais ce quon ne voit plus agrave

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Chambon on le voit un peu plus loin dans leacuteglise abbatiale dEacutebreuil en Bourbonnais Dans la tribune une peinture murale du XII

e siegravecle repreacutesente agrave cocircteacute du martyre de saint Pancrace dont leacuteglise avait

sans doute quelque relique le martyre de sainte Valeacuterie Cest ici la limite ougrave sarrecirctait la gloire de la sainte Les autres compagnons de saint Martial saint Amateur et sainte Veacuteronique ceacutelegravebres degraves le XIIe siegravecle ont inspireacute des oeuvres dart que le temps a presque complegravetement deacutetruites Rocamadour trop souvent saccageacute ne nous montre plus le fondateur du sanctuaire saint Amateur que le peuple appe- lait saint Amadour mais on y voit encore la Vierge de bois recouverte jadis de plaques dargent quon disait faite de sa main [ Elle ne remonte pas plus haut que le XIIIe siegravecle Revue de lart chreacutetien 1892 p 7 et suiv] Un monastegravere seacuteleva agrave Soulac pregraves du tombeau de sainte Veacuteronique Leacuteglise qui contenait les reliques de la sainte sappelait Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres on eacutetait lagrave en effet agrave une des extreacutemiteacutes du monde au bord de linconnu Un vaste deacutesert de sables et la rumeur lointaine du grand Oceacutean alors sans limites donnaient au lieu une religieuse beauteacute La dune pousseacutee par le vent envahit peu agrave peu le monastegravere et finit par le recouvrir En 1860 des fouilles

firent reparaicirctre leacuteglise romane qui sortit de son linceul de sable comme un temple de la Haute-Egypte On remarqua alors deux chapiteaux qui deacutecoraient lentreacutee de la chapelle deacutedieacutee jadis agrave sainte Veacuteronique lun repreacutesente un tombeau lautre des pegravelerins debout des deux cocircteacutes dun autel sur lequel repose une chacircsse Ce sont suivant toutes les vraisemblances le tombeau et la chacircsse de sainte Veacuteronique quiattiraient tant de pegravelerins agrave Soulac Cest ainsi que du Bourbonnais agrave lOceacutean du Berry agrave Toulouse a rayonneacute la leacutegende de saint Martial et de ses compagnons Le centre de lancienne Aquitaine avec ses valleacutees profondes et ses riviegraveres rapides a toutes les beauteacutes dune nature primitive mais cest un pays de granit ougrave la pierre reacutesiste au travail du ciseau Aussi nest-ce pas par les sculpteurs que les saints y furent ceacuteleacutebreacutes mais par les orfegravevres Degraves la fin du X

e siegravecle

plusieurs eacuteglises dAquitaine avaient des images dor dargent ou de cuivre de leurs saints patrons images qui eacutetaient en mecircme temps des reliquaires Eacutecoutons leacutecolacirctre dAngers Bernard qui parcourut le Plateau Central dans les premiegraveres anneacutees du XIe siegravecle

laquo Jusquici dit-il il me semblait que les saints ne devaient recevoir dautres honneurs que ceux du dessin ou de la peinture il me semblait absurde et impie de leur eacutelever des statues Mais tel nest pas le sentiment des habitants de lAuvergne du Rouergue de la reacutegion toulousaine et des pays voisins Chez eux cest une antique habitude que chaque eacuteglise possegravede une statue de son patron Suivant les ressources de leacuteglise cette statue est dor dargent ou dun meacutetal moins preacutecieux on y enferme le chef ou quelque insigne relique du saint [Liber miracul sanctae Fidis publieacute par labbeacute Bouillet Lib I cap XIII] raquo

Ainsi lhomme du Nord en entrant dans le Midi deacutecouvrait une autre France Bernard nous a fait connaicirctre quelques-unes de ces statues Au synode de Rodez on en avait apporteacute plusieurs sur la prairie aux portes de la ville chacune delles sabritait sous une tente et elles formaient une assembleacutee plus imposante que celle des eacutevecircques Ceacutetait laquo la majesteacute dor raquo de saint Marins patron de labbaye de Vabres en Rouergue laquo la majesteacute dor raquo de saint Amand deuxiegraveme eacutevecircque de Rodez laquo la majesteacute dor raquo de sainte Foy de Conques et enfin pregraves de la chacircsse dor de saint Sernin laquo la majesteacute dor raquo de la Vierge En descendant vers le Midi Bernard avait deacutejagrave rencontreacute laquo la majesteacute raquo de saint Geacuteraud ce jeune chevalier devenu moine qui avait donneacute son nom agrave la grande abbaye dAurillac Mais il ne semble pas avoir vu laquo la majesteacute raquo de saint Martial dans labbaye de Limoges Il subsiste encore aujourdhui quelques-unes de ces eacutetranges statues La laquo majesteacuteraquo de sainte Foy est toujours agrave Conques comme au temps de leacutecolacirctre Bernard mais on ne reconnaicirct guegravere dans cette idole doreacutee la jeune martyre dAgen dont nous avons raconteacute lhistoire La sainte assise sur son trocircne eacutetincelle dor et de pierreries elle porte une couronne fermeacutee dune forme tregraves antique de longues boucles doreilles

pendent sur ses eacutepaules de chaque main elle tient deacutelicatement entre deux doigts deux petits tubes ougrave lon mettait des fleurs de beaux cameacutees antiques sont incrusteacutes ccedila et lagrave dans le meacutetal de sa robe Ne pouvant la faire belle lartiste lavait faite si riche quelle inspirait un religieux effroi mais il y avait autour delle une aureacuteole de miracles plus eacuteclatante encore que le rayonnement de lor Un fleacuteau deacutevastait-il les environs un diffeacuterend seacutelevait-il entre deux villes un baron disputait-il agrave labbaye un de ses domaines aussitocirct la statue de la sainte sortait du sanctuaire Elle eacutetait porteacutee par un cheval choisi dont le pas eacutetait tregraves doux Autour delle de jeunes clercs faisaient retentir des cymbales et reacutesonner des cors divoire Elle savanccedilait avec majesteacute comme jadis la Magna Mater au temps ougrave ces montagnes eacutetaient paiumlennes Partout ougrave elle passait elle reacutetablissait la concorde faisait reacutegner la paix les miracles eacuteclataient si nombreux quagrave peine les moines avaient-ils le temps de les eacutecrire La sainte se plaisait surtout agrave deacutelivrer les prisonniers au portail de Conques on la voit

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prosterneacutee devant la main de Dieu elle prie sans aucun doute pour les captifs car des fers sont suspendus en ex-voto derriegravere elle La statue de sainte Foy fut porteacutee bien au delagrave des limites du Rouergue on la vit en Auvergne et dans le pays albigeois On lui dressait tous les soirs une tente et sur la tente on eacutelevait un berceau de verdure Combien il est heureux que laquo la majesteacute raquo de sainte Foy se soit conserveacutee intacte agrave travers tant de siegravecles Comme ce bloc dor nous illumine le haut moyen acircge Comme il nous fait comprendre ce quil y avait de mysteacuterieux et de redoutable dans le pouvoir du saint La statue de sainte Foy est unique de richesse il subsiste dans ces reacutegions deux autres images de saints qui sont plus simples et un peu moins anciennes Lune se conserve dans leacuteglise du Monastier antique abbaye perdue dans les solitudes du Velay Cest une statue agrave mi-corps faite de plaques dargent releveacutee de cabochons elle repreacutesente un saint aux yeux saillants au nom farouche saint Chaffre Chaffre est la forme populaire de Theofredus Saint Chaffre est un martyr du temps de linvasion sarrasine Abbeacute du Monastier il donna agrave ses moines lordre de senfuir et resta seul en face des Arabes Battu de verges il fut laisseacute mourant dans son eacuteglise mais le lendemain se soutenant agrave peine il se preacutesenta au milieu dune fecircte devant les imans et commenccedila agrave leur prouver quils nadoraient pas le vrai Dieu ses bourreaux lachevegraverent Comme celle de sainte Foy la statue de saint Chaffre contenait des reliques qui la rendaient plus veacuteneacuterable

FIGURE XLVI (saint Chaffre)

La statue de saint Chaffre est peut-ecirctre du XIe siegravecle celle de saint Baudime deacutejagrave plus savante doit

ecirctre du XIIe Elle se conserve dans leacuteglise de Saint-Nectaire et perpeacutetue le souvenir dun des

premiers missionnaires de la foi en Auvergne Cest une statue agrave mi-corps comme celle de saint Chaffre elle nest pas en argent mais en cuivre repousseacute ciseleacute et doreacute La chevelure est faite de boucles parallegraveles comme celles dune tecircte grecque archaiumlque les yeux divoire agrave la prunelle de corne donnent agrave lapocirctre un regard seacutevegravere qui intimide Ces œuvres encore eacuteloigneacutees de la vie precirctent aux saints une majesteacute lointaine les entourent de mystegravere elles reacutepondent agrave merveille aux sentiments queacutevoquait alors la sainteteacute Ces statues reliquaires nombreuses jadis dans les provinces montagneuses du centre de la France semblent ecirctre lœuvre dartiste monastiques Il y avait agrave Conques un atelier dorfegravevrerie et cest probablement dans labbaye mecircme que la statue de sainte Foy a eacuteteacute faite au X

e siegravecle Mais vers le milieu du XII

e siegravecle les ateliers de Limoges

commencent agrave prendre la premiegravere place Cest Limoges qui va avoir la charge de ceacuteleacutebrer les saints de lAquitaine et bientocirct dune partie de la chreacutetienteacute alors commence agrave Limoges cette longue liturgie de plusieurs siegravecles en lhonneur des saints qui sexprime par le cuivre et leacutemail Les monuments de lorfegravevrerie limousine du XII

e siegravecle sont rares aujourdhui On voyait avant la Reacutevolution dans la

fameuse abbaye de Grandmont un des chefs-dœuvre de leacutecole une chacircsse eacutemailleacutee qui contenait les reliques de saint Eacutetienne de Muret le fondateur de lordre Toute la vie du saint y eacutetait raconteacutee Saint Eacutetienne neacute en Auvergne agrave Thiers appartenait au Limousin par ses vertus cest en effet dans la forecirct de Muret pregraves de Limoges quil avait veacutecu Il eacutetait naturel quil fucirct ceacuteleacutebreacute par les eacutemailleurs limousins Une plaque deacutemail du XII

e siegravecle aujourdhui au museacutee de Cluny est tregraves probablement un

deacutebris de la chacircsse de Grandmont Saint Eacutetienne de Muret qui avait fait un pegravelerinage agrave Bari voit le grand saint du lieu saint Nicolas lui apparaicirctre une inscription en franccedilais du sud de la Loire explique la scegravene La vie du saint se continuait raconteacutee dans tous ses deacutetails On devait voir comment saint Eacutetienne de Muret au moment ougrave il se consacra agrave la solitude mit un anneau agrave son doigt et placcedila sur sa tecircte lacte de renoncement quil venait deacutecrire laquo Ce sera dit-il mon bouclier au

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jour de ma mort raquo Ce geacutenie symbolique eacutetait en parfaite harmonie avec lart du XIIe siegravecle Nous

avons deacutejagrave parleacute des chacircsses ougrave saint Martial et sainte Valeacuterie sont ceacuteleacutebreacutes Il subsiste encore une magnifique chacircsse de la seconde partie du XII

e siegravecle consacreacutee agrave la gloire dun saint du centre de la

France par les eacutemailleurs limousins elle contient les reliques de saint Calmin et se conserve dans

leacuteglise de Mozat pregraves de Riom Saint Calmin qui fut au VIIe siegravecle gouverneur de lAuvergne du

Velay et du Geacutevaudan descendait de Calminius lami de Sidoine Apollinaire Un voyage agrave Leacuterins lui fit vivement sentir la beauteacute de la vie monastique Il ne fut peut-ecirctre jamais moine mais il fonda des monastegraveres en Velay dabord agrave Calminiacum puis dans le Limousin agrave Tulle enfin en Auvergne agrave Mozat Sa femme sainte Namadie prenait sa part de ses travaux et laidait de ses conseils Cest pourquoi un des eacutemaux nous montre les deux eacutepoux faisant construire Calminiacum qui sappellera plus tard le Monastier cest labbaye quillustrera saint Chaffre On les voit ensuite faisant eacutelever le monastegravere de Tulle puis celui de Mozat des maccedilons preacuteparent le mortier montent agrave leacutechelle Labbaye nest pas encore termineacutee mais deacutejagrave leacuteglise est construite et le calice est sur lautel la maison de Dieu a donc eacuteteacute faite avant celle des moines Leur œuvre acheveacutee Calmin et Namadie meurent saintement leur acircme seacutelegraveve dans une aureacuteole et la main de Dieu sort du ciel Cette œuvre magnifique avive nos regrets Combien de chacircsses semblables ont disparu au temps ougrave ces treacutesors arracheacutes du sanctuaire se vendaient au poids du cuivre et devenaient des chaudrons Les quelques monuments de ce genre qui subsistent sont du XIII

e siegravecle ou des siegravecles suivants Parfois au milieu

des bruyegraveres et des bleacutes noirs en fleurs du Limousin on rencontre dans une eacuteglise de village une chacircsse eacutemailleacutee qui raconte lhistoire de saint Dulcide de saint Psalmet de lermite saint Viance Parfois un buste reliquaire repreacutesente le grave saint Eacutetienne de Muret lesclave saint Theacuteau racheteacute par saint Eacuteloi et orfegravevre comme son maicirctre labbeacute saint Yriex et lexquise sainte Fortunade Nous respirons un instant tout le parfum de passeacute et il y a beaucoup de fastueux chefs-dœuvre qui nous touchent moins que ces humbles merveilles

III

Dans limmense domaine de saint Martial le Poitou occupait une place agrave part il avait eu en effet au IVe siegravecle un des saints les plus illustres de la chreacutetienteacute saint Hilaire Celui-lagrave eacutetait un saint authentique que la leacutegende osa agrave peine effleurer il navait pas veacutecu dans le creacutepuscule des temps meacuterovingiens mais dans ce IVe siegravecle queacuteclaire encore la lumiegravere antique Dabord paiumlen marieacute avant decirctre eacutevecircque il avait eacuteteacute une fois devenu chreacutetien un des plus vaillants deacutefenseurs de lorthodoxie contre larianisme Ses livres mdash dit saint Jeacuterocircme mdash avaient la force irreacutesistible du Rhocircne Exileacute en Orient par un empereur arien il y eacutetudia les ouvrages dOrigegravene et fit connaicirctre agrave lEacuteglise des Gaules lexeacutegegravese alleacutegorique des Alexandrins Un tel saint eacutetait-il bien selon le cœur des pegravelerins du XII

e siegravecle qui passant par Poitiers pour aller agrave Saint-Jacques-

de-Compostelle sarrecirctaient agrave son tombeau On en pourrait douter si on ne savait que de nombreuses merveilles avaient mairfesteacute le pouvoir du saint apregraves sa mort et lui avaient creacuteeacute une leacutegende Cest au-dessus du tombeau de saint Hilaire quapparut cette colonne de feu qui guida Clovis avant la bataille de Vouilleacute Il est probable que ceacutetaient ces miracles qui avaient eacuteteacute peints de preacutefeacuterence dans leacuteglise de Saint-Hilaire de Poitiers un des sanctuaires les plus ceacutelegravebres de la France on pouvait voir il y a quarante ans quelques restes de ces fresques dans les absidioles Un seul monument rappelle aujourdhui dans leacuteglise la meacutemoire du grand docteur un chapiteau qui repreacutesente sa mort Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en un tel lieu on ne peut guegravere douter que le saint qui meurt entoureacute de ses diacres et dont les anges emportent lacircme au ciel ne soit saint Hilaire Dans cette œuvre tregraves gauche encore leacutemotion essaie de sinsinuer Leacuteonnius le disciple favori du saint se penche encore une fois sur le corps de son maicirctre et il exprime sa douleur en portant sa main agrave sa joue comme saint Jean au pied de la croix Mais il y a agrave Poitiers une autre eacuteglise du XII

e siegravecle consacreacutee agrave saint Hilaire Saint-Hilaire-de-la-Celle qui seacutelegraveve suivant la tradition

sur lemplacement de sa maison Vers la fin de sa vie apregraves la mort de sa femme et de sa fille le saint en fit un oratoire ougrave il aimait agrave se retirer Cest lagrave quil mourut en 368 et cest de lagrave quil fut porteacute agrave leacuteglise Saint-Jean-et-Saint-Paul construite au milieu de lantique cimetiegravere chreacutetien et qui prit alors son nom Jusquaux deacutevastations des protestants on vit dans leacuteglise Saint-Hilaire de la Celle un ceacutenotaphe ougrave la vie du saint eacutetait raconteacutee Il nen subsiste plus quun fragment qui repreacutesente la mort de saint Hilaire La scegravene est pleine de majesteacute saint Hilaire eacutetendu dans un sarcophage ouvert est dune taille colossale et semble dune autre race que le reste des hommes Derriegravere lui les clercs de son eacuteglise se tiennent debout aux deux extreacutemiteacutes deux diacres nimbeacutes sont agrave nen pas douter Leacuteonnius et Justus saint Lienne et saint Just comme on les appelait les plus chers disciples du maicirctre Cest agrave lun deux que saint Hilaire demanda avant de mourir si la nuit eacutetait silencieuse Au milieu de lassembleacutee deux anges apparaissent les ailes ouvertes ils sont descendus dans cette nuit religieuse pour recueillir lacircme du mort Cette grande maniegravere de composer et de sentir nous indique

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une eacutepoque deacutejagrave avanceacutee du XIIe siegravecle Mais ne voit-on agrave Poitiers que la mort de saint Hilaire Ny

trouve-t-on aucun trait de sa vie Un bas-relief qui appartient aujourdhui agrave la Socieacuteteacute des antiquaires de lOuest a longtemps deacutecoreacute leacuteglise deacutetruite de Sainte-Triaise Il repreacutesente saint Hilaire la crosse agrave la main consacrant agrave Dieu la vierge Troecia sainte Triaise Saint Hilaire avait pu admirer en Orient les commencements de la vie monastique et Troecia sa fille spirituelle est une des plus anciennes religieuses de la Gaule Elle veacutecut enfermeacutee dans sa cellule au milieu du cimetiegravere chreacutetien de Poitiers parmi les tombeaux comme une recluse de la Theacutebaiumlde La propre fille de saint Hilaire sainte Abra suivit lexemple de Troceia Son pegravere encouragea sa vocation dans une de ses lettres il lui promet une perle plus belle que celle que les vierges reccediloivent de leurs fianceacutes On montre encore dans leacuteglise Saint-Hilaire le couvercle du sarcophage de sainte Abra Ce nest pas en Poitou que lon trouve aujourdhui la plus curieuse repreacutesentation de la vie de saint Hilaire mais en Bourgogne Le sarcophage de sainte Abra (Saocircne-et- Loire) qui lui est deacutedieacutee raconte au linteau du portail le plus beau chapitre de son histoire On voit le saint arrivant au concile de Seacuteleucie pour lutter contres les eacutevecircques ariens Mais ici le moyen acircge a deacutejagrave fait son œuvre et la leacutegende a deacuteformeacute la veacuteriteacute Dans la seconde partie du bas-relief saint Hilaire est assis plus bas que les eacutevecircques cest que les ariens nont pas voulu lui faire de place parmi eux Du haut du ciel un ange lencense et le deacutesigne comme le champion de Dieu Le faux pape Leacuteon quitte le concile en prononccedilant contre le saint des paroles menaccedilantes mais Leacuteon meurt dune mort ignominieuse et les deacutemons semparent de son acircme Ce bas-relief inteacuteressant par son sujet est une œuvre inexpressive ougrave lon ne trouve ni le mouvement ni la vie de la grande sculpture bourguignonne Saint Hilaire que tant de pegravelerins venaient veacuteneacuterer dans son eacuteglise eacutetait le grand saint du Poitou mais beaucoup dautres saints moins illustres avaient inspireacute les artistes de ces reacutegions Si les fresques des abbayes poitevines seacutetaient aussi bien conserveacutees que celles de labbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) nous aurions une veacuteritable histoire eccleacutesiastique de la province

FIGURE XLVII (Larche de Noeacute peinture - abbatiale de saint Savin-sur-Gartempe)

A Saint-Savin en effet de grandes figures peintes dans la tribune non loin des scegravenes de la Passion repreacutesentent les saints eacutevecircques de Poitiers Des inscriptions encore visibles il y a quelques anneacutees deacutesignaient saint Geacutelasius et saint Fortunat le fameux eacutevecircque poegravete Dans la crypte le temps a respecteacute une partie des fresques consacreacutees agrave saint Savin le patron de labbaye et agrave son compagnon saint Cyprien Ce sont deux martyrs En vain furent-ils deacutechireacutes par des ongles de fer attacheacutes agrave la roue exposeacutes aux becirctes chaque fois par un miracle ils eacutechappegraverent agrave la mort Dans laregravene les lions mdash que le peintre a fait aussi inoffensifs que des chiens mdash viennent leur leacutecher les pieds Ce fut non loin de labbaye mdash disait la tradition mdash au bord de la Gartempe que les deux saints furent mis agrave mort par leurs perseacutecuteurs Ainsi les hautes antiquiteacutes du Poitou eacutetaient sans cesse

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preacutesentes aux visiteurs de labbaye Lart ressuscitait le passeacute le faisait vivre dans les imaginations Soyons sucircrs que dans toute leacutetendue du Poitou mdash une des reacutegions de la France ougrave la peinture monumentale a laisseacute le plus de traces mdash il y eut des sanctuaires ougrave lon pouvait comme agrave Saint-Savin apprendre lhistoire des saints de la province Les moines avaient eacuteprouveacute depuis longtemps la vertu eacuteducatrice de la peinture ils savaient sa puissance magique sur les foules illettreacutees Mais agrave Charroux agrave Saint-Jouin-de-Marnes agrave Airvault agrave Maillezais dans toutes ces abbayes illustres du Poitou il ne reste plus rien aujourdhui

IV

Le Berry avec ses plaines indeacutecises fut souvent consideacutereacute comme un fief de saint Martial car ceacutetait lui disait la tradition limousine qui avait fondeacute leacuteglise de Bourges Mais agrave cette leacutegende le Berry en opposait une autre celle de son premier apocirctre saint Ursin Ursin eacutetait le Nathanael de lEacutevangile cest lui qui le premier avait annonceacute la foi nouvelle agrave Bourges et il y avait apporteacute deux reliques sans prix la courroie qui attachait le Christ agrave la colonne et quelques gouttes du sang de saint Eacutetienne car Nathanael avait assisteacute au supplice du saint diacre Saint Ursin devenait donc presque

leacutegal en digniteacute de saint Martial Parmi les successeurs de saint Ursin plusieurs eacutevecircques de Bourges seacutetaient eacuteleveacutes agrave la sainteteacute par leurs vertus Le Berry avait eu aussi ses saints ermites parfois dans ce pays de mareacutecages et de grandes forecircts on rencontrait un homme de Dieu dans la solitude Beaucoup de ces saints qui vivaient dans la meacutemoire du peuple avaient ducirc ecirctre ceacuteleacutebreacutes par lart du XIIe siegravecle Les vieilles eacuteglises du Berry ne sont pas tregraves riches en œuvres de sculpture mais beaucoup de ces eacuteglises eacutetaient peintes Plus dune fresque se cache encore sous le badigeon et lon verra peut-ecirctre reparaicirctre un jour ces saints jadis fameux saint Sulpice saint Patrocle saint Venant saint Leacuteopardin saint Laurian et la bergegravere sainte Solange aussi ceacutelegravebre dans le Berry que sainte Valeacuterie leacutetait dans le Limousin Que nous reste-t-il donc aujourdhui On voit agrave lexteacuterieur de leacuteglise de Chacirctillon-sur-Indre (Indre) un bas-relief du XII

e siegravecle qui deacutecorait jadis le portail et qui est

encastreacute maintenant dans une fenecirctre haute du transept Il repreacutesente le Christ en majesteacute assis entre deux seacuteraphins au-dessous saint Austregisille reccediloit un flambeau de la main de saint Pierre Saint Austregisille que les bergers et les laboureurs appelaient saint Oustrille eacutetait eacutevecircque de Bourges au commencement du VII

e siegravecle Avant son entreacutee dans les ordres on lavait vu se rendre agrave Chalon pour

y combattre en champ clos eacutevecircque il conserva leacutenergie du soldat et il lutta sans cesse contre les rois meacuterovingiens et les agents de leur fisc Sa sainteteacute seacutetait manifesteacutee par de nombreux miracles agrave Chacirctillon un autre bas-relief dont il ne reste plus que linscription le montrait gueacuterissant une posseacutedeacutee Il est facirccheux que larchitecte qui restaura leacuteglise vers 1880 ait si mal placeacute lancien tympan car on ne peut plus distinguer aujourdhui saint Austregisille recevant de saint Pierre cest-agrave-dire de Rome le flambeau de la foi Leacuteglise de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) a heureusement conserveacute agrave leur place les rudes bas-reliefs qui furent consacreacutes agrave la gloire dEusitius ou saint Eusice Il y a plusieursbeaux traits dans la vie de saint Eusice Ses parents eacutetaient si pauvres quils furent obligeacutes de vendre un de leurs enfants comme esclave et ce fut saint Eusice qui se sacrifia pour ses fregraveres Esclave il saffranchit par la sainteteacute Sa reacuteputation eacutetait si grande que Childebert traversant le Berry pour aller combattre les Visigoths dEspagne voulut le voir et linterroger sur lavenir Il lui offrit cinquante sous dor laquo Donne cet argent aux pauvres lui dit Eusitius pour moi il me suffit de prier pour mes peacutecheacutes raquo puis il annonccedila au roi quil reviendrait victorieux Sa preacutediction saccomplit cest pourquoi agrave son retour Childebert sarrecircta pour revoir le saint Apregraves lui avoir donneacute le baiser de paix il lui offrit la moitieacute du butin quil rapportait dEspagne Il y avait dans le cortegravege du roi des prisonniers de guerre laquo lieacutes deux agrave deux dit lhagiographe comme des couples de chiens raquo Pour toute faveur saint Eusice demanda au roi de les deacutelivrer Chose eacutetrange ces beaux eacutepisodes ne figurent pas dans les bas-reliefs qui deacutecorent labside de Selles-sur-Cher Saint Eusice qui fut grand par la chariteacute nous apparaicirct lagrave comme un thaumaturge presque comme un magicien Il oblige les deacutemons agrave se rendre utiles sur son ordre ils sattellent agrave un char et transportent les pierres de leacuteglise Il se sert des

loups pour garder ses troupeaux Rien ne lui est impossible un jour quon lui a voleacute sa pelle de boulanger il entre dans le four brucirclant et y place tranquillement ses pains Voilagrave ce que nous montre labside de Selles-sur-Cher Ces miracles enchantaient le XII

e siegravecle souvent ceacutetait le peuple lui-

mecircme qui creacuteait cette feacuteerie il faisait de la vie des saints une chanson de la veilleacutee un conte dhiver Guibert de Nogent nous rapporte dans son De Pignoribus sanctorum que les femmes en tissant la toile chantaient les louanges de beaucoup de saints dont la vie eacutetait toute fabuleuse a et si lon veut les reprendre ajoute-t-il elles vous menacent de leurs navettes raquo Les bas-reliefs de Selles-sur-Cher teacutemoignent encore de cette passion du XII

e siegravecle pour le merveilleux

V

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Il est peu de saints plus poeacutetiques que les saints de lAuvergne Ce charme leur vient peut-ecirctre de leur premier historien Greacutegoire de Tours artiste sans le savoir qui ne nous montre pas ses heacuteros mais nous les laisse entrevoir dans un demi-jour plein de mystegravere Cest Injuriosus et Scolastica laquo les amants dAuvergne raquo dont un rosier reacuteunit les tombeaux ce sont les solitaires de la caverne et de la forecirct saint Eacutemilien saint Marien saint Lupicin saint Calupan qui renouvellent sous un ciel glaceacute les prodiges des anachoregravetes de lEgypte cest la vierge sainte Georges dont le convoi funegravebre fut escorteacute par un vol de colombes La sauvage nature qui les entoure reacutepand aussi sur eux un peu de son charme mdash ce charme que le deacutesert de la Chaise-Dieu communique agrave saint Robert le haut chacircteau de Mercœur et les laves de la valleacutee de la Couze agrave saint Odilon limmense forecirct du pays de Combrailles la Pontiacensis sylva aux vieux abbeacutes de Menacirct Le voyageur qui parcourt lAuvergne la meacutemoire remplie de la longue histoire de ses saints les cherche dans ses belles eacuteglises romanes mais il nen deacutecouvre quun bien petit nombre car le temps et les hommes nont pas eacuteteacute plus cleacutements agrave lAuvergne quagrave nos autres provinces Lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine reposa dabord dans leacuteglise dIssoire On avait perdu le souvenir de son tombeau lorsque des hommes vecirctus de blanc et portant des cierges qui apparaissaient la nuit dans leacuteglise en firent retrouver la place DIssoire le corps de saint Austremoine fut porteacute agrave Volvic Mais bientocirct ses reliques firent un dernier voyage elles allegraverent reposer dans labbaye de Mozat et Peacutepin le Bref suivant la tradition aurait porteacute lui-mecircme la chacircsse du saint sur ses eacutepaules On sera deacuteccedilu si on chercheagrave Issoire et agrave Volvic la trace de saint Austremoine on ne ly trouvera pas Mais agrave Mozat une œuvre dart rappelle son souvenir Sur un des cocircteacutes de la chacircsse de saint Calmin dont nous avons deacutejagrave parleacute un eacutevecircque la crosse en main est debout cest comme nous lapprend linscription Sanctus Austremonius saint Austremoine Mais il se pourrait que saint Austremoine fucirct repreacutesenteacute ailleurs encore On voit encastreacute dans un des murs de leacuteglise de Mozat le linteau dun ancien portail La Vierge assise en majesteacute est au milieu elle porte lEnfant sur ses genoux et elle ressemble agrave sy meacuteprendre aux vierges de bois des eacuteglises auvergnates saint Pierre est agrave sa droite et saint Jean agrave sa gauche Pregraves de saint Pierre un eacutevecircque est debout Quel peut ecirctre cet eacutevecircque sinon lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine le grand saint dont leacuteglise de Mozat posseacutedait les reliques

FIGURE XLVIII (chacircsse de saint Austremoine leacuteglise Saint-Austremoine Issoire)

Il est on nen saurait douter au nombre des bienheureux car de la main il preacutesente agrave la Vierge un abbeacute prosterneacute Dans ce bas-relief cet abbeacute mdash un des constructeurs de leacuteglise mdash est le seul vivant seul il est encore sur la terre Il nest pas jusquagrave la place donneacutee agrave leacutevecircque aux cocircteacutes de saint Pierre qui ne soit significative car la leacutegende auvergnate jalouse deacutegaler saint Austremoine agrave saint Martial faisait de lui un disciple du prince des apocirctres Cest agrave lextreacutemiteacute de lancienne Auvergne que nous retrouvons encore une fois saint Austremoine Dans leacuteglise dEacutebreuil une fresque du XII

e siegravecle

peinte dans la tribune nous le montre en face de sainte Valeacuterie la grande sainte du Poitou rencontre ici le grand saint de lAuvergneOn racontait que saint Austremoine eacutetant venu de Rome en Gaule avec deux compagnons Nectaire et Baudime leur avait confieacute le soin deacutevangeacuteliser le sud de la Limagne et les reacutegions voisines Aussi leacuteglise de Saint-Nectaire nous montre-t-elle agrave la fois le buste

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de saint Baudime dont nous avons parieacute et un chapiteau consacreacute agrave lhistoire de son saint patron Ce chapiteau raconte quatre eacutepisodes de lhistoire de saint Nectaire Lartiste nous transporte dabord agrave Rome saint Pierre ordonne precirctre saint Nectaire son filleul et aussitocirct commence la lutte du saint et du deacutemon Un jour quil voulait passer le Tibre pour aller prier dans un sanctuaire de lautre rive il reconnut que le rameur qui sapprochait avec sa barque eacutetait Satan lui-mecircme Sans peur il entra dans la barque car un ange envoyeacute par Dieu planait dans le ciel en sorte que Satan fut contraint de le deacuteposer sain et sauf sur lautre bord Leacutegende de demi-jour qui semble nous transporter non dans la Rome de saint Pierre mais dans leacutetrange Rome du moyen acircge Cependant saint Pierre vient denvoyer en Gaule Austremoine Nectaire et Baudime A peine arriveacute agrave Sutri Nectaire tombe malade et meurt Baudime revient agrave Rome annoncer la nouvelle agrave saint Pierre qui accourt il touche le cadavre avec la croix et aussitocirct Nectaire se legraveve de son sarcophage Saint Nectaire qui a traverseacute la mort est devenu tout puissant sur elle Le voici maintenant en Auvergne Un jour quil annonccedilait leacutevangile le cortegravege funegravebre dun Gallo-romain nommeacute Bradulus vint agrave passer pregraves de lendroit ougrave il parlait on le supplie de ressusciter Bradulus Saint Nectaire prend le bras du mort et lui ordonne de se lever Derriegravere le saint se dresse leacuteglise de Saint-Nectaire telle que nous la voyons encore aujourdhui au sommet de son rocher Il a fallu agrave lartiste beaucoup dingeacuteniositeacute pour faire dire tant de choses agrave un chapiteau si condenseacutee que soit son œuvre elle reste claire Ainsi cest moins sous laspect dun apocirctre que sous celui dun puissant thaumaturge quapparaissait saint Nectaire aux pegravelerins qui visitaient son eacuteglise Parmi les successeurs de saint Austremoine au siegravege de Clermont le plus ceacutelegravebre ne fut pas comme on pourrait le croire le vaillant Sidoine Apollinaire mais leacutevecircque Prsejectus Dans la France centrale Prsejectus sappelle saint Priest dans la France du nord saint Prix Il eacutetait deacutejagrave fameux par ses vertus ses aumocircnes ses fondations charitables sa mort fit de lui un saint Il fut assassineacute pregraves de Volvic par les complices dun homme dont il avait deacutenonceacute les crimes agrave Childeacuteric Quelques-unes de ses reliques apporteacutees agrave Flavigny agrave Saint-Quentin agrave Beacutethune reacutepandirent au loin son culte Contemporain de saint Leacuteger assassineacute comme lui il eut alors une renommeacutee presque eacutegale Son corps resta enseveli dans leacuteglise de Volvic ougrave il est veacuteneacutereacute depuis des siegravecles on y conserve aussi leacutepeacutee de lassassin De leacuteglise eacuteleveacutee agrave Volvic au XII

e siegravecle il ne

subsiste plus aujourdhui que le chœur la nef refaite est moderne Un des chapiteaux du chœur est consacreacute non pas agrave la mort de saint Priest qui eacutetait sans doute repreacutesenteacutee ailleurs mais agrave la chacircsse de ses reliques un donateur est debout aupregraves de la chacircsse qui est bien celle du saint eacutevecircque comme une inscription nous lapprend Voilagrave quelques vestiges de lantique histoire religieuse de lAuvergne on souhaiterait den deacutecouvrir davantage On regrette de ne plus rien voir dans leacuteglise de Brioude qui rappelle le martyr saint Julien jadis si fameux Mais cest agrave Menacirct surtout que lon voudrait retrouver quelque souvenir des anciens moines de labbaye qui seacutelevegraverent agrave la sainteteacute saint Brachio le chasseur de sangliers et saint Carilegravephe le compagnon de lauroch dans la forecirct Malheureusement le chœur de leacuteglise de Menacirct ougrave se trouvaient les chapiteaux historieacutes a eacuteteacute deacutetruit Un seul de ces chapiteaux subsiste deacuteposeacute dans un des bas-cocircteacutes Il repreacutesente une scegravene eacutenigmatique dont un moine de Menacirct est probablement le heacuteros on croirait voir saint Meacuteneacuteleacute refusant la fianceacutee que son pegravere lui preacutesente et songeant deacutejagrave agrave aller demander la robe monastique agrave labbeacute de Menacirct que lon aperccediloit plus loin assis sur son siegravege

VI

II faut redescendre vers le Midi Cest en Provence que nous rencontrons la plus merveilleuse de toutes nos leacutegendes On lit dans un manuscrit du XI

e siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque Nationale [t B

N latin 17627] quapregraves la reacutesurrection du Sauveur Marie-Madeleine sa sœur Marthe et son fregravere Lazare fuyant la perseacutecution des Juifs sembarquegraverent et vinrent aborder agrave Marseille Ce sont eux qui apportegraverent la foi en Provence Un reacutecit un peu posteacuterieur fait venir avec eux saint Maximin apocirctre dAix et saint Trophime apocirctre dArles Ainsi cette belle Provence lumineuse comme lOrient devenait une autre Judeacutee Lazare eacutetait sorti du tombeau pour lui annoncer lEacutevangile Marthe et Marie eacutetaient venues lui reacutepeacuteter les paroles quelles avaient recueillies de la bouche du Seigneur Quelle eacuteglise pouvait se glorifier dune plus noble origine Cette leacutegende a-t-elle laisseacute quelque trace dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle A la faccedilade de Saint-Trophime dArles on voit repreacutesenteacute au milieu des

apocirctres saint Trophime lui-mecircme il tient la crosse et deux anges posent la mitre sur sa tecircte comme pour marquer le caractegravere divin de sa mission Dans le cloicirctre on le retrouve encore adosseacute agrave un pilier cette fois il est tecircte nue porte la tunique et le manteau et sil navait les pieds chausseacutes on le prendrait pour un apocirctre Aucun chapiteau historieacute aucun bas-relief naccompagne ces deux images du saint et ne raconte son histoire Vers 1180 les artistes dArles avaient deacutejagrave sans doute entendu raconter que saint Trophime eacutetait venu en Provence avec Lazare Marie-Madeleine et Marthe mais ils nont fait aucune allusion agrave ce reacutecit On dirait mecircme quils en ont suivi un autre en placcedilant saint Trophime aux cocircteacutes de saint Pierre ils semblent avoir voulu donner creacutedit agrave lancienne tradition de

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leacuteglise dArles suivant laquelle saint Trophime aurait eacuteteacute envoyeacute de Rome par le prince des apocirctres Il serait surprenant pourtant quil ny eucirct pas dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle la moindre trace de la

fameuse leacutegende On ly rencontre en effet au moins une fois Il y a au portail lateacuteral de leacuteglise Sainte-Marthe agrave Tarascon une inscription fort bien conserveacutee qui nous donne la date de la deacutedicace de leacuteglise (1er juin 1197) deux petits bas-reliefs laccompagnent Lun repreacutesente la conseacutecration de lautel lautre un eacutevecircque et deux diacres groupeacutes autour dun corps eacutetendu sur la pierre Quel est le sens de cette scegravene On la comprendra si lon se souvient que dix ans auparavant on crut avoir deacutecouvert agrave Tarascon le corps de sainte Marthe et que cest pour recevoir cette insigne relique que lon rebacirctit alors leacuteglise Nous avons donc sous les yeux soit la translation des reliques de sainte Marthe dans son sanctuaire soit ses funeacuterailles Cette derniegravere interpreacutetation me paraicirct ecirctre la meilleure car on voit deux anges emportant au ciel lacircme de la sainte de plus un des assistants est nimbeacute or le reacutecit apocryphe rapportait que saint Front avait eacuteteacute miraculeusement transporteacute agrave Tarascon aupregraves du lit de mort de sainte Marthe Ainsi vers la fin du XII

e siegravecle la leacutegende de

lapostolat de Lazare et de ses sœurs eacutetait bien eacutetablie Le bas-relief de Tarascon est la plus ancienne œuvre dart quelle ait fait naicirctre en Provence mdash premier anneau de la chaicircne qui aboutit au dernier chant de Mireille La Provence avait eacuteteacute un peu lente agrave traduire le leacutegende par lart une autre reacutegion lavait devanceacutee la Bourgogne Cest la Bourgogne en effet nous le savons aujourdhui qui a creacuteeacute la leacutegende Mgr Duchesne en a fort bien expliqueacute lorigine Les moines de Veacutezelay se vantaient depuis le milieu du XI

e siegravecle de posseacuteder les reliques de sainte Marie-Madeleine mais ils eacutetaient

embarrasseacutes pour expliquer aux pegravelerins dougrave leur venait ce preacutecieux treacutesor Cest pourquoi lun deux fit paraicirctre un reacutecit tout nouveau de la vie de Marie-Madeleine Il y eacutetait dit pour la premiegravere fois que la sainte avait abordeacute en Provence quelle y avait veacutecu et quelle y eacutetait morte Lauteur ajoutait quun moine de Veacutezelay voyageant en Provence avait reconnu dans la crypte de Saint-Maximin le sarcophage de marbre ougrave la sainte eacutetait ensevelie il navait pas heacutesiteacute agrave deacuterober ce corps sacreacute et agrave lapporter en Bourgogne Tel fut le reacutecit que les pegravelerins de Veacutezelay recueillirent deacutesormais de la bouche des moines Degraves la fin du XI

e siegravecle de nouveaux eacutepisodes vinrent enrichir la leacutegende

Marthe Lazare et leacutevecircque Maximin furent associeacutes agrave Marie-Madeleine Ainsi cette sorte deacutepopeacutee quon serait tenteacute de croire dorigine provenccedilale a eacuteteacute creacuteeacutee en Bourgogne Elle fut ceacutelegravebre en Bourgogne avant de lecirctre en Provence bien mieux la Bourgogne qui venait de prendre possession des reliques de sainte Madeleine sattribua bientocirct celles de Lazare Degraves le commencement du XIIe siegravecle il fut admis quelles reposaient dans la catheacutedrale dAutun Il semble que le concours de pegravelerins quelles attiraient deacutetermina leacutevecircque agrave entreprendre vers 1120 la construction dune nouvelle eacuteglise cest la belle catheacutedrale que nous voyons aujourdhui Lart bourguignon du XI

e siegravecle sest-il

inspireacute de ces leacutegendes Il est naturel de les chercher dabord agrave Veacutezelay le sanctuaire de Marie-Madeleine mais on ne les y trouvera pas Le portail de la faccedilade est une œuvre moderne qui reproduit avec une preacutetentieuse gaucherie les sujets de lancien tympanet de son linteau [Tympan et linteau existent encore aujourdhui mais les sujets marteleacutes se discernent agrave peine] On y voit la Reacutesurrection de Lazare et les scegravenes de lEacutevangile ougrave Madeleine figure mais rien ny rappelle le fameux voyage de Provence Les chapiteaux de la nef si nombreux et si varieacutes ne nous parlent pas une seule fois de Marie-Madeleine Le chœur il est vrai a eacuteteacute refait agrave leacutepoque gothique et cest lagrave peut-ecirctre autour du tombeau de la sainte queacutetait raconteacutee son histoire apocryphe Aujourdhui aucune œuvre dart ne commeacutemore la leacutegende dans leacuteglise ougrave elle naquit ougrave tant de milliers de pegravelerins lentendirent raconter Serons-nous plus heureux agrave la catheacutedrale dAutun leacuteglise de saint Lazare Leacutetude des chapiteaux et des tympans pourrait nous faire croire que non Lagrave non plus aucune œuvre nest consacreacutee au voyage de Provence mais il nen eacutetait pas ainsi autrefois Jusquau XVIII

e siegravecle on put voir au portail du Jugement dernier trois statues adosseacutees au trumeau elles

montraient aux pegravelerins Lazare entre Marthe et Marie-Madeleine Ce groupement prendra tout son sens quand on saura que Lazare eacutetait vecirctu en eacutevecircque Ainsi on nen saurait douter cest Lazare apocirctre de la Provence que lartiste avait preacutetendu repreacutesenter et pregraves de Lazare il avait mis ses deux sœurs parce quelles avaient eacuteteacute les compagnes de son apostolat Il y avait en Bourgogne une autre eacuteglise deacutedieacutee agrave saint Lazare Saint-Lazare dAvallon Trois magnifiques portails du XII

e siegravecle y

donnaient accegraves il nen subsiste plus que deux aujourdhui priveacutes de leurs statues et de leurs bas-reliefs De meacutediocres dessins publieacutes par dom Plancher dans son Histoire de Bourgogne nous en laissent deviner laspect primitif Au trumeau du portail central un eacutevecircque eacutetait adosseacute ceacutetait saint Lazare le patron de leacuteglise Ainsi agrave Avallon comme agrave Autun les ornements eacutepiscopaux deacutesignaient saint Lazare comme le premier chef de leacuteglise provenccedilale Il est regrettable que ces curieuses statues dAutun et dAvallon ne nous aient pas eacuteteacute conserveacutees elles nous eussent montreacute comment les premiers sculpteurs bourguignons se repreacutesentaient ce mysteacuterieux Lazare qui avait franchi deux fois les portes de la mortLes statues dAutun et de Veacutezelay avaient eacuteteacute visiblement inspireacutees par la leacutegende ce sont les seules dont nous ayons pu retrouver la trace Un bas-relief en Provence deux

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statues en Bourgogne voilagrave tout ce que lhistoire apocryphe de Madeleine de Marthe et de Lazare semble avoir donneacute agrave lart du XII

e siegravecle Cest peu mais ce nest quun commencement il faut songer

quau XIIe siegravecle le reacutecit des moines de Veacutezelay avait agrave peine commenceacute agrave faire la conquecircte des

imaginations Ce nest que dans les siegravecles suivants quil sera accepteacute de tous et deviendra une des sources vives de lart chreacutetien Mais cest par la Provence et non par la Bourgogne que la gloire de Marie-Madeleine peacutenitente sest reacutepandue dans le monde En 1279 en effet les Provenccedilaux annoncegraverent agrave la chreacutetienteacute la deacutecouverte agrave Saint-Maximin du corps de sainte Madeleine que les

moines de Veacutezelay abuseacutes par lerreur dun des leurs avaient cru jusque-lagrave posseacuteder

FIGURE XLIX eacuteglise du Veacutezelay)

La deacutecouverte fut tenue pour authentique et deacutesormais le sanctuaire bourguignon fut deacuteserteacute au profit des lieux saints de la Provence le tombeau de Saint-Maximin et la caverne de la Sainte-Baume Les pegravelerins qui aimegraverent toujours agrave monter vers les cimes en chantant abandonnegraverent la montagne de Veacutezelay pour le haut rocher de la Sainte-Baume Cest alors que les comtes de Provence qui eacutetaient en mecircme temps rois de Naples firent connaicirctre la leacutegende agrave lItalie et lon vit Giotto peindre au Bargello de Florence et dans une des chapelles dAssise Marie-Madeleine dans le deacutesert provenccedilal recevant la communion de la main de saint Maximin La Bourgogne qui ceacuteleacutebrait lapocirctre de la Provence ce Lazare dont elle avait elle-mecircme imagineacute lapostolat noubliait pas son apocirctre agrave elle le martyr saint Beacutenigne Peu de saints avaient en France une plus magnifique seacutepulture son tombeau eacutetait agrave Dijon et les moines de saint Beacutenigne en eacutetaient les gardiens Il eacutetait au centre dune grande rotonde dont la Reacutevolution na laisseacute subsister que la crypte Cette rotonde formait au XII

e siegravecle

lextreacutemiteacute dune eacuteglise romane refaite plus tard Un beau portail orneacute de bas-reliefs et de statues y donnait accegraves il a eacuteteacute deacutetruit mais un dessin de dom Plancher nous en a conserveacute laspect Au trumeau sadosse un eacutevecircque qui porte une crosse archaiumlque en forme de tau et une mitre qui ressemble agrave un bonnet cest saint Beacutenigne Ce costume le deacutesigne comme le chef dune des premiegraveres communauteacutes chreacutetiennes de la Bourgogne La tecircte mutileacutee de lapocirctre se conserve au Museacutee archeacuteologique de Dijon Ainsi dans ce portail ougrave lon voyait des deux cocircteacutes les statues des prophegravetes et des apocirctres saint Beacutenigne occupait la place dhonneur cest agrave lui quallaient dabord les regards Les artistes bourguignons turent les premiers qui attiregraverent ainsi le respect du visiteur sur le patron dune eacuteglise le Saint-Lazare dAutun et le Saint-Jean-Baptiste de Veacutezelay sont les plus anciennes statues adosseacutees agrave un trumeau quil y ait ou quil y ait eu en France Les artistes du Midi si

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novateurs navaient rien imagineacute de pareil Cet hommage rendu agrave saint Beacutenigne ne parut pas suffisant aux moines de labbaye car ils lui consacregraverent encore un tympan jadis encastreacute dans le mur du vestibule Il nexiste plus aujourdhui mais il a eacuteteacute reproduit avec beaucoup de soin par dom Plancher On y voyait le martyre du saint Beacutenigne envoyeacute en Gaule suivant la tradition par le Grec Polycarpe disciple de saint Jean lEacutevangeacuteliste avait refuseacute de sacrifier aux dieux Le gouverneur du Castrum de Dijon Aurelianus assisteacute de son lieutenant Terentius le fit comparaicirctre devant lui et le condamna aux supplices les plus raffineacutes Ce sont ces supplices que nous montre le tympan le saint est debout et deux bourreaux sont occupeacutes agrave sceller ses pieds dans la pierre avec du plomb fondu Les mains du martyr sont briseacutees elles laissaient voir sans doute autrefois les alegravenes enfonceacutees sous chacun de ses ongles Deux autres bourreaux viennent de recevoir lordre den finir avec linvincible athlegravete placeacutes symeacutetriquement agrave sa gauche et agrave sa droite comme le centurion et le porte-eacuteponge sur le Calvaire ils lui enfoncent leur pique dans la poitrine Le saint expire et comme son maicirctre penche la tecircte sur son eacutepaule A ce moment dit la leacutegende les chreacutetiens virent une colombe blanche seacutelever au-dessus de sa tecircte mdash eacutepisode que lartiste na eu garde doublier une main sortant du ciel manifeste la preacutesence de Dieu Le beau caractegravere de lœuvre sa noble symeacutetrie lui assignent une date voisine de la fin du XII

e siegravecle Dijon avait donc dignement ceacuteleacutebreacute son apocirctre La Bourgogne fut

au moyen acircge le pays des grands ordres monastiques et des saints abbeacutes Ce sont ces illustres abbeacutes que nous voudrions voir et que nous ne voyons pas Que saint Bernard qui interdit lart agrave ses moines comme un luxe inutile ne soit repreacutesenteacute nulle part il ne faut pas sen eacutetonner il la voulu ainsi Ce saint Franccedilois dAssise du XII

e siegravecle ne le cegravede agrave lautre que parce quil lui a manqueacute le

sentiment de la beauteacute Un de ses biographes raconte quil marcha une journeacutee entiegravere au bord du lac de Genegraveve et que le soir il demanda ougrave eacutetait le lac Ce nest pas lui qui eucirct composeacute dans un transport denthousiasme le Cantique des creacuteatures Mais ce qui surprend cest de ne rencontrer nulle part en Bourgogne au cœur mecircme de cet immense royaume clunisien limage des premiers abbeacutes de Cluny qui furent tous des saints De Cluny il est vrai presque tout a disparu mais rien ne les rappelle agrave Paray-le-Monial au ils vinrent si souvent rien agrave la Chariteacute-sugraver-Loire un de leurs plus magnifiques prieureacutes Labbaye de Souvigny cette fille cheacuterie de Cluny ougrave saint Maiumleul et saint Odilon furent ensevelis na mecircme pas su garder leur tombeau Leur souvenir y serait entiegraverement aboli si on ne voyait leur image peinte sur la porte dune armoire reliquaire de la fin du moyen acircge Ces noms aperccedilus tout agrave coup Maiumlolus et Odilo remuent profondeacutement la sensibiliteacute on voit en imagination cet eacuteloquent Maiumleul plus grand que les souverains de son temps par lintelligence et par lacircme et ce doux Odilon qui precirctait loreille aux voix de lautre monde et qui creacutea la fecircte des morts Mais si ces grands noms des abbeacutes de Cluny saint Odon saint Maiumleul saint Odilon saint Hugues seffacent si rien aujourdhui ne ramine leur souvenir dans la meacutemoire du visiteur de leurs eacuteglises la faute nen est sans doute pas aux artistes bourguignons du XII

e siegravecle ni aux moines clunisiens si

passionneacutes pour lart si profondeacutement attacheacutes agrave leurs souvenirs mdash mais agrave des geacuteneacuterations sans respect et sans amour qui ont tout aneacuteanti En Bourgogne une seule eacuteglise monastique conserve encore quelques peintures qui commeacutemorent son passeacute cest celle dAnzy-le-Duc (Saocircne-et-Loire) Anzy-le-Duc ne relevait pas de Cluny mais de labbaye de Saint-Martin dAutun que Brunehaut avait fondeacutee et ougrave elle avait son tombeau Des fresques peintes vers la fin du XIIe siegravecle dans labside de leacuteglise dAnzy racontent lhistoire du petit prieureacute fier de ses origines Au-dessous de lAscension du Christ on voit Lethbald et sa femme offrant agrave Dieu vers 876 leur villa dAnzy qui va devenir un monastegravere Un de leurs descendants fut ce Lethbald ce pegravelerin ceacutelegravebre dont le moyen acircge a plusieurs fois raconteacute lhistoire Contemplant Jeacuterusalem du haut du Mont des Oliviers il eut un tel transport de joie quil demanda agrave Dieu de le faire mourir le jour mecircme sa priegravere fut exauceacutee Fondeacute par Lethbald ou saint Lieacutebaud le prieureacute dAnzy-le-Duc fut gouverneacute par un saint saint Hugues dAutun Hugues ami de Bernon fondateur de Cluny eacutetait veacuteneacutereacute de toute la Bourgogne On venait consulter comme un oracle ce vieillard laquo dont la tecircte eacutetait blanche comme le duvet du cygne raquo On le consultait sur toute chose sur les maladies et sur les semailles aussi bien que sur les cas de conscience Les miracles quil faisait pendant sa vie sa chacircsse continua agrave les faire apregraves sa mort et elle attira longtemps les pegravelerins agrave Anzy-le-Duc Les fresques dAnzy racontent quelques traits de son histoire Toutes ces peintures recouvertes dun badigeon ont eacuteteacute retrouveacutees par hasard en 1856 et malheureusement fort restaureacutees elles font revivre un passeacute perdu dans la nuit Voilagrave un exemple de ce que faisaient les moines bourguignons pour perpeacutetuer leurs traditions et pour honorer leurs sainte Si saint Lieacutebaut et saint Hugues dAnzy inconnus aujourdhui ont eacuteteacute ceacuteleacutebreacutes par lart on peut bien croire que les Odilon et les Maiumleul navaient pas eacuteteacute oublieacutes

VII

La Bourgogne nous achemine vers la reacutegion parisienne Au XIIe siegravecle le saint le plus illustre de lIle-

de-Franccedile eacutetait saint Denis Sa gloire avait grandi avec la monarchie franccedilaise Il ne suffisait pas que

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saint Denis eucirct eacuteteacute le premier apocirctre de Paris il lui fallait une leacutegende digne du protecteur des rois de France et du gardien de leur tombeau On racontait donc que saint Denis de Paris eacutetait le mecircme personnage que saint Denis lareacuteopagite converti par saint Paul Il avait observeacute agrave Athegravenes leacuteclipseacute qui obscurcit le soleil agrave lheure ougrave Jeacutesus expira sur le Calvaire et plus tard il eacutecrivit ce livre fameux de la Divine Hieacuterarchie ougrave le ciel est deacutecrit ougrave Dieu apparaicirct dans sa gloire au milieu des cercles concentriques formeacutes par les anges Cest ce savant ce profond penseur qui avait eacuteteacute jugeacute digne deacutevangeacuteliser la ville de la science Son souvenir eacutetait cher aux Parisiens qui veacuteneacuteraient derriegravere Notre-Dame de Paris dans leacuteglise Saint-Denis-du-Pas le lieu ougrave il avait commenceacute son martyre agrave Saint-Denis-de-la-Chartre dans la Citeacute la prison ougrave il avait eacuteteacute enfermeacute et ougrave ses chaicircnes eacutetaient suspendues agrave Montmartre la place quil avait rougie de son sang Labbaye de Saint-Denis eacutetait le terme du pegravelerinage cest lagrave que reposait le martyr aupregraves de ses deux compagnons Rustique et Elcuthegravere Comment lart avait-il honoreacute saint Denis agrave Paris nous lignorons mais agrave labbaye de Saint-Denis nous lentrevoyons encore Le portail qui souvre agrave droite du spectateur dans la faccedilade de la basilique est deacutecoreacute dun bas-relief dont saint Denis est le heacuteros il emplit tout le tympan Il est reccedilu que ce bas-relief est reacutecent et les archeacuteologues passent sans lever les yeux mais ce deacutedain nest quagrave moitieacute justifieacute Assureacutement toutes les tecirctes sont modernes les draperies ont eacuteteacute visiblement retoucheacutees et quelques personnages mecircmes semblent entiegraverement refaits Loeuvre paraicirct ecirctre dhier pourtant le dessin geacuteneacuteral est ancien La composition ne date pas de 1839 elle nest pas du restaurateur Debret elle est bien de 1135 environ et appartient aux artistes de Suger Nous pouvons en croire le baron de Guilhermy qui a suivi avec tant dattention tout ce qui sest fait agrave Saint-Denis dans la premiegravere partie du XIX

e siegravecle A son teacutemoignage une seule chose dans ce portail est

entiegraverement moderne la seconde voussure avec ses personnages Le reste est une restauration dun original ancien La scegravene que Suger avait fait repreacutesenter dans le tympan eacutetait emprunteacutee agrave la leacutegende de saint Denis mais ce neacutetait ni sa conversion par saint Paul ni sa preacutedication ni son martyre on voyait Jeacutesus escorteacute dun vol danges descendant dans la prison ougrave le saint attendait la mort et le faisant communier de sa main Nous ne savons quand cet eacutepisode entra dans la leacutegende de saint Denis tout ce que nous pouvons dire cest que degraves le XI

e siegravecle une miniature dun missel de

labbaye de Saint-Denis le repreacutesente Cest une de ces belles leacutegendes ougrave le moyen acircge sexprime tout entier ougrave il reacutealise son eacuteternel deacutesir dunion avec le ciel Voilagrave limage que contemplait le pegravelerin en entrant dans la basilique et elle lui donnait une plus haute ideacutee de saint Denis que neucirct pu faire son martyre lui-mecircme Suger qui en toute chose est un novateur est le premier qui ait consacreacute un portail agrave la gloire dun saint il ny avait rien de pareil avant lui et apregraves lui on tardera assez longtemps agrave suivre son exemple Cest en effet agrave une eacutepoque assez avanceacutee du XII

e siegravecle

que nous rencontrons dans une reacutegion voisine de lIle-de-Franccedile un portail ougrave a eacuteteacute raconteacutee la leacutegende dun saint Non loin de Provins seacutelegraveve le prieureacute de Saint-Loup de Naud dont la belle eacuteglise remonte au XII

e siegravecle Saint Loup de Naud deacutependait de labbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens aussi

eacutetait-ce un eacutevecircque de Sens qui eacutetait le patron de leacuteglise Saint Loup que dans la reacutegion on appelait saint Leu eacutetait un de ces eacutevecircques du VIIe siegravecle qui tinrent tecircte aux rois meacuterovingiens et supportegraverent courageusement lexil Plein de bonteacute charitable assidu agrave visiter les anciens tombeaux il avait de son vivant la reacuteputation dun saint Mais son histoire ne tarda pas agrave se reacutesoudre tout entiegravere en miracles ces vieux reacutecits enchantegraverent Jacques de Voragine qui les reproduisit plus tard dans sa Leacutegende doreacutee Au portail de Saint-Loup de Naud les eacutepisodes de la vie du saint eacutevecircque ne sont pas sculpteacutes dans le tympan comme agrave Saint-Denis mais dans les voussures

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FIGURE L (leacuteglise de Saint-Loup-de-Naud - tympan)

Cest au portail du Mans quon vit pour la premiegravere fois les scegravenes des voussures former un reacutecit suivi la vie de Jeacutesus-Christ y est raconteacutee Lexemple fut suivi agrave Saint-Loup de Naud mais la leacutegende du saint y remplace lhistoire du Christ deacutejagrave les portails du XIII

e siegravecle sannoncent Le saint eacutevecircque

adosseacute au trumeau accueille les fidegraveles Un chapiteau sculpteacute placeacute au-dessus de sa tecircte le faisait reconnaicirctre agrave ceux qui eacutetaient familiers avec sa leacutegende on y voit un ange laissant tomber une pierre preacutecieuse dans le calice pendant que saint Loup ceacutelegravebre la messe Cette pierre preacutecieuse venue du ciel se conservait disait-on dans le treacutesor royal La leacutegende du saint se continue dans les voussures qui entourent le Christ en majesteacute du tympan On y aperccediloit la cloche de Saint-Eacutetienne de Sens Cette cloche avait un si beau son que le roi Clotaire la fit enlever de la catheacutedrale et transporter agrave Paris mais par la volonteacute de saint Loup elle devint muette soudain de sorte quil fallut la renvoyer agrave Sens ougrave le saint lui rendit sa voix harmonieuse Dautres merveilles se deacutechiffrent dans les voussures des prisonniers sont miraculeusement deacutelivreacutes de leurs liens puis par la toute-puissance de sa parole le saint emprisonne le deacutemon dans un grand vase Ces contes de feacutee prennent autant dimportance quun autre eacutepisode tout humain celui-lagrave et plein de beauteacute on voit le roi Clotaire vaincu par la grandeur morale du saint quil avait envoyeacute en exil sagenouiller devant lui et lui demander pardon Ce meacutelange de pueacuteriliteacute et de noblesse ne choquait alors personne Pour les hommes de ce temps rien nest grand rien nest petit puisquen toute chose se reacutevegravele la preacutesence de Dieu

VIII

Dans la France du Nord et de lOuest Picardie Normandie et Bretagne les eacuteglises romanes ne nous offrent plus rien aujourdhui qui rappelle les saints de ces provinces Au XII

e siegravecle la sculpture

monumentale fut un art agrave peu pregraves eacutetranger agrave ces reacutegions ce nest que par la fresque et par le vitrail quelles purent ceacuteleacutebrer leurs grands eacutevecircques et leurs saints abbeacutes mais fresques et vitraux ont disparu Le Maine a cependant conserveacute un magnifique vitrail du XII

e siegravecle consacreacute agrave lapocirctre de la

province saint Julien Au Mans aucun saint ne fut plus profondeacutement veacuteneacutereacute que saint Julien En 1117 lorsque Foulques comte dAnjou et du Maine assista avec sa femme et son fils agrave la conseacutecration de la catheacutedrale du Mans la ceacutereacutemonie termineacutee il prit entre ses bras son fils encore enfant et le deacuteposa sur lautel de saint Julien Il voulait signifier par lagrave quil le mettait sous la protection du grand saint du Mans tout-puissant aupregraves de Dieu On ne seacutetonne donc pas de rencontrer dans la catheacutedrale du Mans un grand vitrail consacreacute tout entier agrave la vie de saint Julien Saint Julien entre au Mans et y multiplie les miracles Il y fait jaillir une source avec son bacircton prodige sans doute symbolique il convertit et baptise le gouverneur de la citeacute romaine puis il lenvoie eacutevangeacuteliser Angers Chaque fois lapocirctre est repreacutesenteacute avec la mitre et la crosse de leacutevecircque Son œuvre acheveacutee saint Julien meurt paisiblement et les anges emportent son acircme au ciel Ainsi tandis que le Midi ceacuteleacutebrait les saints par la sculpture et lorfegravevrerie le Nord les ceacuteleacutebrait par le vitrail Nous navons encore rien dit de la Touraine et de son illustre saint Martin Cest que saint Martin neacutetait pas le saint dune province mais de la France tout entiegravere Tours il est vrai eacutetait le centre de son culte et cest agrave Tours que les artistes avaient raconteacute pour la premiegravere fois sa vie Un petit poegraveme de saint Paulin de Peacuterigueux prouve quau V

e siegravecle on avait peint ses miracles dans la fameuse basilique qui contenait son

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tombeau Au VIe siegravecle une autre eacuteglise de Tours la catheacutedrale fut deacutecoreacutee de fresques consacreacutees agrave son histoire elles eacutetaient expliqueacutees par des vers de Fortunat qui se sont conserveacutes deacutejagrave lon voyait saint Martin donnant au pauvre la moitieacute de son manteau La catheacutedrale de Tours a eacuteteacute rebacirctie quant agrave la basilique de Saint-Martin plusieurs fois reconstruite elle a eacuteteacute deacutetruite par la Reacutevolution Les peintures et les vitraux quon y voyait perpeacutetuaient peut-ecirctre le souvenir des anciennes fresques Aujourdhui Tours ne conserve aucune œuvre consacreacutee agrave saint Martin qui soit anteacuterieure au XIII

e

siegravecle Mais ce que Tours ne nous montre pas nous le trouvons ailleurs Il y avait en France des centaines deacuteglises deacutedieacutees agrave saint Martin aussi ne seacutetonne-t-on pas de rencontrer son image dans toutes les reacutegions Loeuvre la plus ancienne qui le repreacutesente a eacuteteacute deacutecouverte dans les Pyreacuteneacutees mais sur le versant espagnol cest un panneau peint qui se trouvait jadis dans leacuteglise de Montgrony en Catalogne et qui est aujourdhui au Museacutee eacutepiscopal de Vich Loeuvre est si archaiumlque par le dessin et par le costume quelle peut remonter au XI

e siegravecle Aujourdhui aucun

monument consacreacute agrave lhistoire de saint Martin nest plus ancien Cest lagrave que nous voyons pour la premiegravere fois le saint coupant en deux son manteau pour en donner la moitieacute au pauvre geste que lart reacutepeacutetera de siegravecle en siegravecle et que lartiste catalan avait reccedilu du passeacute Saint Martin porte le long bouclier et la lance agrave gonfanon des barons de la Chanson de Roland Un autre compartiment nous montre le saint sur son lit de mort il est eacutetendu sur le dos car il navait pas voulu se coucher sur le cocircteacute pour calmer ses souffrances laquo Laissez-moi disait-il contempler le ciel raquo au-dessus les anges emportent son acircme Cette histoire de saint Martin sinspirait sans aucun doute dun original franccedilais elle nous prouve que la gloire du saint avait peacuteneacutetreacute jusquau fond des valleacutees les plus reculeacutees Il eacutetait naturel de rencontrer saint Martin dans les grandes abbayes car cest lui qui avait creacuteeacute les premiers monastegraveres de la Gaule et ceacutetait lui qui eacutetait le veacuteritable ancecirctre de tous les moines dOccident Aussi un chapiteau du cloicirctre de Moissac lui est-il consacreacute On y voit pregraves de la porte dAmiens qui souvre entre deux tours le jeune cavalier couper son manteau et en donner la moitieacute au pauvre Aussitocirct le Christ apparaicirct entre deux anges les bras ouverts il eacutetale largement le manteau et semble loffrir agrave ladmiration du ciel Cest alors que saint Martin entendit en recircve ces paroles prononceacutees par le Christ laquo Voyez Martin il nest encore que cateacutechumegravene et il ma revecirctu de son manteau raquo Mais cest dans les reacutegions eacutevangeacuteliseacutees par saint Martin dans le Nivernais et la Bourgogne en particulier que lon doit sattendre agrave rencontrer son image Lagrave son souvenir est resteacute plus vivant quailleurs le Morvan est plein de sources miraculeuses quil a fait jaillir et les paysans montrent encore les empreintes laisseacutees par le pied de sa mule sur la pierre Cest pourquoi plusieurs chapiteaux de leacuteglise de Garchizy dans la Niegravevre eacutetaient consacreacutes agrave saint Martin Ces chapiteaux sont aujourdhui au Museacutee archeacuteologique de Nevers on y voit leacutepisode du manteau que suit lapparition du Christ Labbaye de Veacutezelay qui seacutelegraveve aux confins du Morvan avait gardeacute le souvenir du grand missionnaire des pays eacuteduens Un chapiteau de la nef raconte un eacutepisode de sa leacutegende qui avait deacutejagrave eacuteteacute peint au VI

e siegravecle dans la catheacutedrale de Tours Saint Martin veut faire couper un pin

sacreacute auquel les paiumlens rendaient un culte les paiumlens y consentent agrave la condition que le saint sexpose agrave la chute de larbre Saint Martin nheacutesite pas mais au moment ougrave le pin va leacutecraser il legraveve la main et larbre tombe agrave lopposeacute Le pin de Veacutezelay styliseacute avec un art naiumlf ressemble agrave une plante des tropiques Telles sont disseacutemineacutees dans nos provinces les quelques œuvres consacreacutees aux saints qui ont eacutechappeacute au temps Ce nest plus quun reflet un dernier rayon du soir qui laisse une lueur agrave la faccedilade de leacuteglise un eacuteclair dans le vitrail

LEacuteglise de France eut donc le culte de son passeacute et de bonne heure elle demanda agrave lart de le ceacuteleacutebrer Elle eacutetait fiegravere de ses saints qui formaient une suite ininterrompueune longue frise heacuteroiumlque Les siegravecles les plus steacuteriles ceux qui navaient eu ni eacutecrivains ni poegravetes ni artistes avaient eu leurs saints Ces siegravecles neacutetaient pauvres quen apparence puisque au sentiment des hommes dalors les saints eacutetaient les chefs-dœuvre de lhumaniteacute Comme Pascal lEacuteglise du moyen acircge mettait lordre de la chariteacute bien au-dessus de lordre de lintelligence cest pourquoi le moindre ermite qui dans la solitude avait reacuteussi agrave se vaincre lui-mecircme meacuteritait a ses yeux decirctre eacuteterniseacute par lart Lathlegravete avait eacuteteacute lideacuteal de la Gregravece antique lascegravete devint lideacuteal des temps nouveaux Au Moyen Age les hommes de notre race quand ils ont eacuteteacute grands ont toujours eacuteteacute des ascegravetes toujours ils ont meacutepriseacute le voluptueux Orient ses harems ses parfums la courbe enchanteacutee de ses arabesques Cette longue lutte de lOccident contre lOrient cest la lutte eacuteternelle de lesprit contre les sens La plus haute expression du moyen acircge cest le soldat qui se sacrifie le moine qui prie le saint qui foule aux pieds la nature Le saint voilagrave le vrai heacuteros de cet acircge cest lui qui par lenthousiasme quil excitait soulevait lhumaniteacute larrachait agrave son limon Encore aujourdhui le peuple qui sent instinctivement ce quil y a dextraordinaire dans la sainteteacute conserve la meacutemoire des saints Les paysans du Bourbonnais qui ont oublieacute les noms des rois de France connaissent encore saint Patrocle et saint Marien qui vivaient du temps de Greacutegoire de Tours Et nous aussi le nom dun saint inconnu nous inteacuteresse le lieu ougrave il a veacutecu nous eacutemeut lermitage la cellule le monastegravere habiteacutes par

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le saint conservent quelques chose de religieux comme chez les anciens ces lieux sacres quavait toucheacutes le feu du ciel

EMILE MALE

EXPLICATION TREgraveS CURIEUSE

DES

EacuteNIGMES ET FIGURES HIEacuteROGLYPHIQUES PHYSIQUES

QUI SONT AU GRAND PORTAIL

DE LEacuteGLISE CATHEacuteDRALE ET MEacuteTROPOLITAINE DE NOTRE-DAME DE PARIS

Par

LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT

Le Mercredi 20 de May 1640 veille de la glorieuse Ascension de notre Sauveur Jeacutesus-Christ apregraves avoir prieacute et sa tregraves-sainte Megravere Vierge en lEglise Catheacutedrale Meacutetropolitaine de Paris je sortis de cette belle et grande et consideacuterant attentivement son riche et magnifique Portail dont la structure est tregraves exquise depuis le fondement jusquagrave la sommiteacute de ses deux hautes et admirables Tours je fis les remarques que je vais expliquer Je commence par observer que ce Portail est triple pour former trois principales entreacutees dans ce superbe Temple seul corps de bacirctiment et annoncer la Triniteacute de Personnes en un seul Dieu sous lesquelles par lopeacuteration de son Esprit Saint son Verbe sest incarneacute pour le salut du monde dans les flancs de la Vierge sainte Symbole des trois principes ceacutelestes en uniteacute qui sont les trois principales clefs ouvrantes les principes [cest-agrave-dire le Mercure le Soufre et le Sel] et toutes les portes les avenues et les entreacutees de la nature sublunaire cest-agrave-dire de la segraveve universelle et de tous les corps quelle forme et produit conserve ou reacutegeacutenegravere

1deg La figure poseacutee au premier cercle du Portail vis-agrave vis lHocirctel-Dieu repreacutesente au plus haut Dieu le Pegravere Creacuteateur de lUnivers eacutetendant ses bras et tenant en chacune de ses mains une figure dhomme en forme dAnge Cela repreacutesente que Dieu Tout-Puissant au moment de la creacuteation de toutes choses quil fit de rien seacuteparant la lumiegravere des teacutenegravebres en fit ces nobles Creacuteatures que les Sages appellent Ame Catholique Esprit universel ou Souffre vital incombustible et Mercure de vie cest-agrave-dire lhumide radical geacuteneacuteral lesquels deux principes sont figureacutes par ces deux Anges [on a deacutejagrave eu loccasion de montrer que cet humide radical que Fulcanelli appelle meacutetallique ne peut ecirctre autre chose que des laquo chaux raquo meacutetalliques qui sont initialement incorporeacutees au Mercure sous forme de sulfates]

Dieu le Pegravere les tient en ses deux mains pour faire la distinction du souffre vital son huile de vie quon appelle Ame et du Mercure de vie ou humide premier neacute quon nomme Esprit quoique ce soit termes synonymes [il est remarquable de voir comment Gobineau emploie des termes parfaitement justes pour parler du Soufre et du Mercure lexpression huile de vie caracteacuterise leacutetat second du Mercure ducircment preacutepareacute et animeacute] mais seulement pour faire concevoir que cette Ame et cet Esprit tirent leur principe et leur origine du monde surceacuteleste et archeacutetypique ougrave est le Siegravege et le Trocircne plein de gloire du Tregraves-Haut dougrave il eacutemane surnaturellement et imperceptiblement pour se communiquer comme la premiegravere racine la premiegravere Ame mouvante et la source de vie de tous les Etres en geacuteneacuteral et de toutes les Creacuteatures sublunaires dont lhomme est le chef de preacutedilection Dans le cercle au-dessous du monde surceacuteleste et Archeacutetypique est le Ciel firmamental ou astral dans lequel paraissent deux Anges la tecircte pencheacutee mais couverte et enveloppeacutee

Linclination de ces deux Anges la tecircte en bas

[St-Pierre Fulcanelli le rappelle fut crucifieacute la tecircte en bas lhieacuteroglyphe ceacuteleste de Veacutenus peut de mecircme se voir agrave lendroit ougrave il figure Aphrodite ou agrave lenvers et il deacutesigne alors ce globe crucifegravere que les bons auteurs ont toujours deacutesigneacute comme la stibine ou mieux lalbacirctre des Sages]

nous donne agrave entendre que lAme universelle ou lEsprit Catholique ou pour mieux dire le souffle de la vertu de Dieu cest-agrave-dire les influences spirituelles du Ciel archeacutetypique descendent de lui au Ciel astral qui est le second monde eacutegalement ceacuteleste dit eacutetipique ougrave habitent et regravegnent les planegravetes et les eacutetoiles qui ont leur cours leurs forces et vertus pour laccomplissement de leur destination et de leurs devoirs selon les deacutecrets de la Providence qui les a ainsi ordonneacutes et subordonneacutes afin dopeacuterer par leur ministegravere et leurs influences la naissance et geacuteneacuteration de tous les Etres Spirituels et de toutes choses sublunaires participants de lAme et de lEsprit universel et par les deux Anges la tecircte en bas et qui sont vecirctus nous est deacutesigneacute que la semence universelle et

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spirituelle Catholique ne monte point mais descend toujours [la Roseacutee de mai est ici expresseacutement deacutesigneacutee] et lenveloppe dont elle est voileacutee dans les corps nous enseigne que cette semence ceacuteleste est couverte quelle ne se montre point nue mais quelle se cache avec soin aux yeux des ignorants et des Sophistes et nest point connue du vulgaire

3deg Au-dessous du Firmament est le troisiegraveme Ciel ou leacuteleacutement de lair dans lequel paraissent trois enfants environneacutes de nuagesCes trois enfants signifient les trois premiers eacuteleacutements de toutes choses appeleacutes par les sages principes principians dont les trois principes infeacuterieurs sel souffre et mercure tirent leur origine et quon nomme principes principieacutes pour les distinguer des premiers quoique tous ensemble ils descendent du Ciel archeacutetypique et partent des mains de Dieu qui de sa feacuteconditeacute remplit toute la nature mais toutes les influences spirituelles et ceacutelestes semblent ecirctre eacutemaneacutees des deux premiers Cieux avant de sunir agrave aucun corps sensible ce qui fait que toute eacutemanation spirituelle du premier Ciel ou de lArcheacutetypique est appeleacutee Ame et celle du second Ciel ou Firmament est nommeacutee Esprit

Ce sont donc cette Ame et cet Esprit invisibles et purement spirituels qui remplissent de leurs vertus actives et vivantes le troisiegraveme Ciel appeleacute Eleacutementaire ou le Ciel typique parce que cest le seacutejour des Eleacutements qui mus ordonneacutes et subordonneacutes par les deux mondes supeacuterieurs agissent agrave leur tour par commotion et mouvement descendant ascendant progreacutediant et circulaire sur tous les Etres infeacuterieurs et sur toutes les Creacuteatures sublunaires composes de leurs qualiteacutes mixtes quon nomme les quatre tempeacuteraments

Or cette Ame eacutemaneacutee dans le monde Eleacutementaire quelle remplit de sa lumiegravere vivifiante est appeleacutee souffre et lesprit eacutemaneacute du monde ou Ciel firmamental qui est en principe lhumide radical de toutes choses auquel ce souffre ou la chaleur lumineuse est attacheacute et adheacuterant comme agrave son premier et dernier aliment est appeleacute Mercure ou lhumide premier neacute qui est lhumide radical de toutes choses et par conseacutequent indivisible du souffre ou acircme eacutetheacutereacutee laquelle eacutetant un feu ceacuteleste lumineux et chaud ne peut subsister sans son union intime et indissoluble avec cet esprit son humide radical mais cela est au-dessus de la porteacutee des insenseacutes [Gobineau parle ici de la neacutecesssiteacute que le meacutetal soit reacuteincrudeacute cest-agrave-dire dissous au sein du Mercure]

Cette Ame et cet Esprit unis comme une seule et mecircme essence partant du mecircme principe et ne faisant pour ainsi dire quune mecircme chose puisquils ne sont divisibles que par lesprit ne peuvent ecirctre vus ni toucheacutes mais seulement conccedilus et compris par les sages Investigateurs de la Science de Dieu et de la Nature cette Ame et cet Esprit ne nous deviennent sensibles que par le lien indivisible qui les attache lun agrave lautre or ce lien quon nomme sel [il faut bien ici diffeacuterencier le lien entre les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature quil sagit de conjoindre du lien du Mercure dont nous parlons dans la section des blasons alchimiques] est leffet de leur union et amour mutuel et un corps spirituel qui nous les cache et les enveloppe dans son sein comme ne faisant quune seule et mecircme chose de trois ce que les gens peacutetris de preacutejugeacutes nentendront et ne comprendront point

Ce Sel est celui de la Sapience cest-agrave-dire la copule et le ligament du feu et de leau du chaud et de lhumide en parfaite Homogeacuteneacuteiteacute et qui est le troisiegraveme principe [Gobineau deacutevoile ici un secret de haut lignage il sagit de ce que nous avons appeleacute le sel harmoniac sophique] il ne se rend point visible ni tangible dans lair que nous respirons ougrave il est subtil et fluide et il ne manifeste son corps visible que par son seacutejour et deacutepocirct en reacutesidu dans les mixtes ou composeacutes deacuteleacutements quil fixe et encloue en se mecirclant intimement au Souffre Mercure et Sel qui sont des principes naturels agrave lui fort analogues et Constituteurs des Creacuteatures Sublunaires

Le Sel ceacuteleste est le principe principiant qui procegravede de lAme et de lEsprit cest-agrave-dire de leur action ou pour mieux dire du souffre et du Mercure eacutetheacutereacutes il est le moyen et le milieu qui les unit dans leur action pour se traduire en fluide dans le souffre le Mercure et le Sel de nature sous un corps visible et tangible lors appeleacute par les Sages de toutes sortes de noms tantocirct Sel Alkali Sel Armoniac Salpeacutetre des Philosophes et tantocirct de mille surnoms symboliques ou agrave son origine ou agrave sa descension ou bien agrave son essence corporelle pour prouver queacutetant lAme IEsprit et le Corps universel de la Nature il est susceptible de toutes sortes de deacutetermination quil plaira agrave la Nature ou agrave IArtiste de lui donner selon lArt de la Sagesse [cest au fond ni plus ni moins quun bi-silicate qui est ici deacutesigneacute le secret reacuteside dans le dosage exact des eacuteleacutements accessoires tels la chaux la silice et lagent mineacuteralisateur proprement dit]

Mais il ne faut point perdre de vue que cest du monde surceacuteleste que la source de la vie de toutes choses tire son origine et que cette vie est appeleacutee Ame ou Souffre [cest loxyde qui assure la teinture de la pierre par conseacutequent cest lui qui loriente mais la nature de la terre vitrifiable ou cimolienne intervient aussi] que du monde ceacuteleste ou firmamental procegravede la lumiegravere quon

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appelle Esprit autrement humide ou Mercure et que cette Ame et cet Esprit remplissant de leur feacuteconditeacute vivifique le troisiegraveme monde appeleacute Eleacutementaire leur action eacutenergique et eacutelastique perpeacutetuellement circulaire [cette ideacutee de cercle fondement de lart si lon se reacutefegravere au serpent Ourobouros a trait au caractegravere permanent constant du feu secret] y porte et produit le Feu tout divin analogique de chaleur et dhumide radicaux mais qui est imperceptible et invisible non vulgaire ni grossier et par lequel comme Feu de vie par essence nourrissant Reacuteparateur Conservateur et non Destructeur les choses deviennent palpables et de soliditeacute corporelle [on a dit dans une autre section que laction du dissolvant loin de dissoudre consiste au contraire agrave joindre les deux chaux en une accreacutetion cest lapparition de Deacutelos] Dougrave il faut conclure que ces trois substances Souffre Mercure et Sel universel ceacutelestes sont les vrais principes principians de la geacuteneacuteration de toutes choses et que ces trois substances naturelles et sublunaires dans lesquelles les trois premiegraveres se rendent infuses et corporifieacutees sont les veacuteritables principes principieacutes constituteurs de la geacuteneacuteration des Corps par lencloument et la fixation quils font des qualiteacutes eacuteleacutementaires propres agrave la tempeacuterature des individus selon les Deacutecrets de la Providence

Cest ce qui a fait dire aux Sages que le Sel spirituel qui sert denveloppe et de lien au Souffre et au Mercure ceacutelestes eacutetait la seule et unique matiegravere dont se fait la Pierre des Philosophes et que comme ces trois substances identifieacutees par leur union nen faisaient quune la Pierre neacutetait point faite de plusieurs choses mais dune seule chose composeacutee trine en essence unique de principe et quadrangulaire de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees [cette forme nest autre que le rhomboegravedre tronqueacute forme presque cubique offerte par la Pierre] cependant cela se doit entendre agrave certains eacutegards qui puissent tomber sous lintelligence de lesprit et des sens en mecircme temps cest-agrave-dire quil ne faut pas simaginer que la matiegravere de la Pierre triangulaire et quadrangulaire des Sages se doive ni puisse prendre en son eacutetat de fluide aeacuterien invisible mais il faut entendre quil est neacutecessaire de chercher et trouver cette mecircme matiegravere de fluide aeacuterien infuse et corporifieacutee en une terre Vierge des enfants de la Nature qui en sont les mieux partageacutes les plus hautement et copieusement favoriseacutes et en qui les premiers et les seconds Agents unis ont plus de digniteacute dexcellence et de vertu Car la racine du Souffre des Sages de leur Mercure et de leur Sel est un Esprit ceacuteleste Spirituel et surnaturel qui par le veacutehicule de lair subtil se porte et se condense en air ou vapeur eacutepaissie et fait une matiegravere universelle et lunique de toute procreacuteation

4deg Au-dessous de ces trois enfants placeacutes dans leacuteleacutement de lair est le Globe de lEau et de la Terre sur laquelle paissent des animaux comme un mouton un taureau etc Le Globe de l Eau et de la Terre nous deacutesignent les Eleacutements infeacuterieurs tels que lEau et la Terre dans lesquels le Feu ceacuteleste et lhumide radical tregraves subtil par le moyen de lair sinsinuent jusquau profond et y circulent incessamment par leur propre vertu sous la forme invisible dun Esprit surceacuteleste et de vie qui selon David Psaume18 v 6 7 8 a son Tabernacle dans le Soleil dougrave par sa vertu eacutenergique comme un Epoux qui se legraveve de sa couche nuptiale il seacutelance pour parcourir la voie des Eleacutements ainsi quun

superbe Geacuteant [allusion aux Titans qui deacutesigne de la chaux] qui mesure son eacutelan et ses forces dans la vaste eacutetendue de lair sa sortie est du plus profond des Cieux de lagrave il procegravede peacutenegravetre partout et ne laisse rien priveacute de la chaleur de sa preacutesence vivifiante de lexpression mecircme de Salomon en son Eccleacutesiastes c 1 v 5 6 Cest ce mecircme Esprit divin qui eacuteclaire limmensiteacute de lUnivers qui se poussant et repoussant par vertu eacutenergique et eacutelastique en circuit du centre agrave lexcentre et en la capaciteacute de tout retourne sans cesse et perpeacutetuellement dans les cercles quil deacutecrit par son mouvement et son cours eacuteternel et universel

Cest ainsi que cet Esprit universel par le feu et lhumide nourrit les poissons dans leau les animaux sur la terre et les insectes en terre quil fait veacutegeacuteter les Plantes et produit les Mineacuteraux [cf la section sur le Mercure et les blasons alchimiques] et Meacutetaux au Centre et dans les entrailles de la Terre pourquoi son influence circulante comme Feu vital uni agrave lhumide radical par le Sel de Sapience est la semence universelle qui se congegravele et dont la vapeur seacutepaissit au centre de toutes choses cette semence spirituelle opegravere dans les diffeacuterentes matrices selon leurs dispositions leur nature leur genre leur espegravece et leur forme particuliegravere pour produire toutes les geacuteneacuterations en y mettant le mouvement et la vie

Quant aux deux animaux paissant qui sont le mouton et le taureau cest pour nous dire quau retour du Printemps et dans les deux premiers mois qui sont mars et avril auxquels ces deux animaux dominent en qualiteacute de signes du zodiaque la matiegravere universelle creacuteative et reacutecreacuteative eacutetant plus amoureuse de la Vertu ceacuteleste [allusion agrave la roseacutee de mai] qui y infuse ses proprieacuteteacutes vitales copieusement est plus abondante vertueuse et exalteacutee par conseacutequent aussi plus qualifieacutee quen un autre temps [voir lemblegraveme de Limojon de St-Didier]

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5deg Au-dessous de ces deux animaux on voit un corps comme endormi et coucheacute sur son dos sur lequel descendent de lair deux ampoules le col en bas lune adressant vers le cerveau et lautre vers le cœur de cet homme endormi Ce corps ainsi figureacute nest autre chose que le sel radical et seacuteminal de toutes choses lequel par sa vertu magneacutetique [cest lAimant de Philalegravethe il sagit du dissolvant qui assure la laquo disparition raquo initiale des chaux meacutetalliques cest lune des putreacutefactions de Le Breton] attire agrave soi lacircme et lesprit Catholiques qui lui sont homogegravenes et qui sans cesse sinsinuent et se corporifient dans le sel ce qui est repreacutesenteacute par les deux ampoules ou fioles contenants la chaleur et lhumiditeacute naturelle et radicale et ce sel ayant ainsi attireacute et corporifieacute ces deux substances en lui leur union spirituelle lui ayant acquis de prodigieux degreacutes de force il se pousse et peacutenegravetre dans le point central des individus et duniversel que ce sel eacutetoit il se particularise se corporifie se deacutetermine et devient rose dans le rosier or dans largent vif mineacuteral or dans lor plante dans le veacutegeacutetal roseacutee dans la roseacutee homme dans lhomme dont le cerveau repreacutesente lhumide radical lunaire et le cœur signifie la chaleur naturelle solaire veacutehiculeacutee dans le premier comme sa matrice

6deg Au cocircteacute droit des mecircmes trois enfants un peu plus bas que lair est un escalier par lequel monte agrave genoux un homme ayant les mains jointes et eacuteleveacutees en lair duquel eacuteleacutement il descend une ampoule ou fiole et au haut de lescalier il y a une table couverte dun tapis avec une coupe dessus Lescalier nous apprend quil faut seacutelever agrave Dieu le prier agrave genoux de coeur desprit et dacircme pour avoir ce don qui est le Magistegravere des Sages et vraiment un tregraves grand don de Dieu [assonance en grec entre le soufre et Dieu la matiegravere premiegravere est un sulfate] une gracircce singuliegravere de sa bonteacute et quil ne faut pas ecirctre en des lieux bas [cest tout le contraire lun des eacuteleacutements neacutecessaire agrave la preacuteparation du feu secret ne se trouve que dans les caves et les eacutetables] pour prendre la premiegravere matiegravere universelle qui contient la forme veacutegeacutetale et geacuteneacuterale du monde lampoule qui descend de lair signifie la liqueur ou roseacutee ceacuteleste qui deacutecoule premiegraverement de linfluence surceacuteleste se mecircle ensuite avec la proprieacuteteacute des astres et dicelles mecircleacutees ensemble il se forme comme un tiers entre terrestre et ceacuteleste voilagrave comme se forme la semence et le principe de toutes choses

Pour la coupe qui est sur la table elle repreacutesente le vase avec lequel on doit recevoir la liqueur ceacuteleste [cest le vase dit laquo de nature raquo reportez-vous agrave Cybegravele]

7deg Au cocircteacute gauche de cette mecircme Porte de ce grand portail sont quatre grandes figures de grandeur humaine qui chacune ont un symbole sous leurs pieds La premiegravere la plus proche de la porte a sous ses pieds un dragon volant qui deacutevore sa queue [symbole classique lune des gravures du De lapide philosophorum de Lambsprinck exprime parfaitement lalleacutegorie] La deuxiegraveme a sous ses pieds un lion dont la tecircte est contourneacutee vers le Ciel ce qui lui lait faire un effort de contorsion de col

[cette contorsion preacutesente un inteacuterecirct hermeacutetique majeur le deacutetour se dit en grec dont lune des acceptions est circonvolution mouvement de rotation combien de fois navons-nous pas rencontreacute ce mouvement denroulement ce resserrement Nous donnons cet extrait de nos blasons alchimiques qui permettra au lecteur la facile identification de notre Sujet en sa premiegravere matiegravere

Proche du filet la spirale se retrouve sur des pierres celtiques et lon peut citer avec R Viel la laquo pierre omphaloiumlde de Turoe comteacute de Galway raquo laquelle laquo date de leacutepoque de la Tegravene (300 ans av J-C) raquo Ces spirales repreacutesentent une reacuteserve de forces au plan hermeacutetique La cabale alchimique permet dy deacuteceler des indices de corps astringent qui laquo resserrent ou eacutetreignent raquo possegravedent une odeur stiptyque et sont freacutequemment associeacutes agrave certains symboles ici cest Bacchus qui est mentionneacute et le sujet des Sages est compareacute au lierre (consideacutereacute comme la partie mineacuterale) lagrave cest un arbre scieacute et eacutetreint quon peut observer crsquoest-agrave-dire un arbre mutileacute qui est compareacute au meacutetal dans un des caissons du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne (DM II) Le lierre (hedera) enguirlande le thyrse (javelot) de Bacchus il peut ecirctre compareacute aux serpents enrouleacutes en spirale autour du caduceacutee de Mercure et marque le caractegravere astringent ou styptique dune substance Dans le mecircme ordre drsquoideacutee on peut rapprocher par analogie le lierre dune plante souple qui sert agrave lier la vigne (ampelosdesmos) et notamment la couleuvreacutee (vitis alba) Enserrer lier cest bien cette action quexprime le personnage de la FIGURE XVI ougrave lon peut deviner un vautour expirant Ce vautour ou aigle a la mecircme valeur que le dragon expirant que lon voit sur lune des quatre Vertus au tombeau des Carmes que lon peut visiter dans notre section des Gardes du corps de Franccedilois II cette Vertu cest la Force Ce corps astringent nous lavons nommeacute de nombreuses fois et il est habituellement associeacute au bleacute On lextrait de la terre de Samos ou de la terre de Chio et il repreacutesente la reacutesine de lor Ce corps sapparente au 1

er Mercure ou sel des Sages]

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La troisiegraveme a sous ses pieds la figure dun ridicule qui se rit et se moque des figures quil regarde et qui semblent se preacutesenter agrave lui [il sagit du laquo fou raquo de loeuvre cest le Mercure] Et la quatriegraveme foule aux pieds [la terre agrave foulon est dun inteacuterecirct hermeacutetique majeur reporte-vous agrave la section sur la matiegravere premiegravere] un chien et une chienne qui tous sentremordent vigoureusement et semblent vouloir se deacutevorer lun et lautre [il sagit bien sucircr du chien de Corascegravene et de la chienne dArmeacutenie dArteacutephius ce sont les deux natures meacutetalliques de loeuvre]

Par le dragon volant qui deacutevore sa queue est repreacutesenteacutee la Pierre des Philosophes composeacutee de deux substances ou mercure dune mecircme racine et extraite dune mecircme matiegravere lune desquelles substances est lesprit eacutetheacutereacute humide et volatil et lautre est le souffre ou sel de nature corporel sec et fixe lequel par sa nature et sicciteacute interne [alkali fixe tartre vitrioleacute] deacutevore sa queue glissante de dragon cest-agrave dire dessegraveche lhumiditeacute et la convertit en Pierre aideacute par le feu constant dans la concaviteacute de lesprit eacutetheacutereacute humide siegravege de lacircme Catholique Le lion courbeacute qui regarde vers le Ciel deacutenote le corps ou sel animeacute qui deacutesire reprendre avec aviditeacute son acircme et son esprit

La figure du ridicule repreacutesente les faux Philosophes et Sophistes ignorants qui samusent agrave travailler sur des matiegraveres heacuteteacuterogegravenes et ne rencontrent rien de bon se moquent de la Science hermeacutetique et disent quelle nest pas vraie mais purement illusoire en quoi ils offensent la veacuteriteacute Divine qui a mis ses plus riches treacutesors dans le sujet Le chien et la chienne qui sentre-deacutevorent que les Sages appellent chien dArmeacutenie et chienne de Corascegravene signifient que le combat des deux substances de la Pierre est dune seule racine car lhumide agissant contre le sec se dissout et ensuite le sec agissant contre lhumide qui auparavant avait deacutevoreacute le sec est englouti par le mecircme sec et reacuteduit en eau segraveche [il sagit du Mercure philosophique] et cela sappelle prendre dissolution de corps et congeacutelation de lesprit ce qui est tout le travail de lŒuvre hermeacutetique

8deg Au dessous de ces grandes figures dans un pilier proche le Portail est la figure dun Evecircque [cest le conducteur ou laquo lappariteur raquo de loeuvre on peut lassimiler au sel harmoniac sophique] chargeacute de sa mitre et de sa crosse en posture meacuteditative Cet Evegraveque repreacutesente Guillemus Parisiensis ou bien celui qui a fait construire ce magnifique Portail et qui y a fait mettre les Enigmes [cet eacutevecircque a fait lobjet dun commentaire deacutetailleacute de Fulcanelli dans son Mystegravere des Catheacutedrales cf Cambriel]

9deg Au pilier qui est au milieu et qui seacutepare les deux portes de ce Portail est encore la figure dun Evecircque lequel met sa Crosse dans la gueule dun dragon qui est sous ses pieds et qui semble sortir dun bain ondoyant dans lesquelles ondes parait la tecircte dun Roi agrave triple Couronne qui semble se noyer dans les ondes puis en sortir derechef [cest lalleacutegorie semblable agrave celle de lapparition de Deacutelos qui consacre le deacutebut de laccreacutetion du Soufre agrave la Terre]

Cet eacutevecircque repreacutesente le sage Artiste Chimique lequel fait par son art congeler [voyez le reacutecit de De Cyrano Bergerac combat entre la reacutemore et la salamandre] la substance volatile du dragon mercuriel qui veut seacutelancer et sortir du vase qui le contient sous la forme deau ondoyante cest-agrave dire quil est exciteacute agrave ce mouvement interne par une douce chaleur externe et ce Roi couronneacute est le souffre de nature qui est fait par lunion physique et excentrique des trois substances homogegravenes mais seacutepareacutees par lArtiste de la premiegravere matiegravere Catholique lesquelles trois substances sont lesprit eacutetheacutereacute mercuriel le sel sulfureux ou nitreux et le sel alkali ou fixe et qui conserve son nom de sel entre les trois principes principians et les trois principes principieacutes qui tous trois eacutetaient contenus dans le chaos humide dans lequel ce Roi se noye et semble demander du secours quil nobtient de lArtiste alchimique quapregraves secirctre dissous dans le dissolvant de sa propre substance qui lui est semblable apregraves quoi il aura meacuteriteacute decirctre satisfait en sa demande cest-agrave dire quapregraves quil a eacuteteacute englouti et fait eau par son eau [il sagit dune substance qui se dissout dans son eau de cristallisation] il se congegravele par sa chaleur interne exciteacute par son sel ou sa propre terre par laquelle opeacuteration simple naturelle et sans meacutelange se fait le Magistegravere des Sages qui nest autre chose que dissoudre le corps et congeler lesprit apregraves avoir mis dans loeuf cristallin le poids convenable de lune et lautre substance qui sont triple et une car tout le travail de lŒuvre est de monter et descendre successivement quon appelle ascension et descension jusquagrave ce que de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees contraires homogeacuteneacuteiseacutees lon fasse trois principes constitutifs et ordonnateurs que des trois lon fasse apparaicirctre le feu et leau le sec et lhumide que de ces deux lon fasse un seul parfait peacutetrifieacute en sel qui contient tout le Ciel et la terre en eacutepuration et cuisson des heacuteteacuterogegravenes

10deg Au Portail agrave main droite lon voit les douze signes du Zodiaque diviseacutes en deux parties en ordre selon la science de Dieu et de la nature En la premiegravere partie du cocircteacute droit sont les signes du Verseur deau et des Poissons qui sont hors dœuvre ce quil faut remarquer et noter Puis en oeuvre sont le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux au dessus lun de lautre Et au dessus des Jumeaux

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est le signe du Lion quoique ce ne soit pas son rang car il appartient agrave LEcrevisse mais il faut consideacuterer cela comme mysteacuterieux Les signes du Verseau et des Poissons sont mis hors dœuvre cest expresseacutement pour faire connaicirctre quaux deux mois de janvier et feacutevrier on ne peut avoir ni recueillir la matiegravere universelle [cest purement alleacutegorique les signes zodiacaux sont des hieacuteroglyphes ceacutelestes voila tout] Pour le Beacutelier et le Taureau ainsi que les Jumeaux qui sont en œuvre Lun au-dessus de lautre et qui regravegnent au mois de mars davril et de mai ils apprennent que cest dans ce temps lagrave que le sage Alchimique doit aller au devant de la matiegravere et la prendre agrave linstant quelle descend du Ciel et du fluide aeacuterien ougrave elle ne fait que baiser les legravevres des mixtes et passer par dessus le ventre des Bourgeons et des feuilles Veacutegeacutetables qui lui sont sujettes pour entrer triomphante sous ses trois principes universels dans les corps par leurs portes doreacutees et y devenir la semence de la rose ceacuteleste ce qui sentend par symbole Alors son amour lui fait jeter des larmes qui ne sont rien plus que lumiegravere de laquelle le Soleil est le pegravere revecirctu dune humiditeacute de laquelle la Lune est la megravere et que le vent de lOrient apporte dans son ventre dans cet eacutetat vous lavez universelle et non deacutetermineacutee dautant que vous laurez prise auparavant quelle soit attireacutee par les aimants des individus speacutecifiques et quelle soit speacutecifieacutee en iceux

Au regard du signe du Lion qui est poseacute au-dessus de Jumeaux ougrave devrait ecirctre placeacutee lEcrevisse cest pour faire entendre quil y a quelque changement et une alteacuteration des Saisons contenue dans le travail manuel et physique de la Pierre et qui nest pas si propre pour recevoir et prendre la matiegravere quau temps ougrave regravegnent le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux car en eacuteteacute pendant les grandes chaleurs par lardeur et la pompe du Soleil qui exhale beaucoup dhumide radical pour sa substance son entretien et sa nourriture il se fait une grande dissipation et deacuteperdition des esprits et la plus grande partie de la matiegravere increacutementale et nourriciegravere des corps est convertie dans la spiritualiteacute aeacuterienne dont on ne peut la retirer que par le moyen de laimant physique et phylosophique qui lui est homogegravene cest-agrave-dire par une tempeacuterature assaisonneacutee dhumide qui est son aimant et son enveloppe

11deg Au bas un peu au-dessus du Verseau et vis-agrave-vis des Poissons lon voit un Dragon volant qui semble regarder seulement et fixement Aries Taurus et Gemini cest-agrave-dire les trois figures du Printemps qui sont le Beacutelier le Taureau et les JumeauxCe Dragon volant qui repreacutesente lesprit universel et qui regarde fixement les trois figures semble nous dire affirmativement que ces trois mois sont les seuls dans le cours desquels lon peut recueillir fructueusement cette matiegravere ceacuteleste que lon appelle lumiegravere de vie laquelle se tire des rayons du Soleil et de la Lune par la coopeacuteration de la nature un moyen admirable et un art industrieux mais simple et naturel

12deg Proche et derriegravere ce Dragon volant est figureacute un Ridicule et derriegravere ce Ridicule est un chien assis sur le dos sur lequel chien est poseacute un oiseau Ce Ridicule est un moqueur de la science hermeacutetique en question un rieur meacuteprisant des opeacuterations des vrais Sages et Philosophes et de tous leurs Partisans quil estime insenseacute tout aveugleacute quil est dans lerreur vulgaireLa figure de ce Chien poseacute sur le dos sur lequel est un oiseau nous fait entendre que ce chien est le corps ou le sol de la matiegravere universelle fidegravele agrave lArtiste qui sccedilait la travailler et loiseau repreacutesente lesprit de la mecircme matiegravere lequel y est poseacute cette matiegravere est connue communeacutement sous les noms de souffre et de mercure le sel pour tiers et copule ou liaison y eacutetant compris comme indivisible des deux qui sont le corps et lesprit

13deg En la seconde partie de ce Portail au cocircteacute gauche et tout en haut est le signe de lEcrevisse agrave la place dit Lion qui est de lautre cocircteacute du mecircme PortailSur la mecircme ligne de lEcrevisse sont la Vierge [symbole de la matiegravere primitive Virga paritura] la Balance et le Scorpion [symbole des deux

natures meacutetalliques par son venin ] tous quatre en oeuvre Et ensuite le Sagittaire [qui a des rapports avec Arteacutemis] et le Capricorne [dont Saturne-Cronos est le maicirctre] qui sont hors doeuvre Par lEcrevisse ainsi placeacutee en haut est teacutemoigneacute que la matiegravere Lunaire a eacuteteacute bien abondante mais que labondance nen est plus si grande agrave cause que les Pleiumlades qui sont des constellations humides sen retournent La Vierge la Balance et le Scorpion sont les derniers degreacutes de chaleur pour la coction de loeuvre Phylosophique car en ce temps Automnal la maturiteacute des fruits se parfait par le Sagittaire et le Scorpion qui sont hors doeuvre ce qui deacutemontre leur frigiditeacute et sicciteacute et que ces qualiteacutes conccedilues par lesprit intelligent sont neacuteanmoins invisibles exteacuterieurement en la matiegravere de notre Magistegravere

14deg A droite et agrave gauche de ces douze Signes du Zodiaque qui repreacutesente le cours de lanneacutee sont quatre figures repreacutesentant les quatre Saisons qui sont lHiver le Printemps lEteacute et lAutomne Par ces quatre Saisons il est donneacute agrave entendre que le Composeacute phylosophique doit ecirctre entretenu en lathanor ou fourneau de cuisson pendant un an et plus ce qui fait dix mois hermeacutetiques par les degreacutes dune chaleur qui soit douce et proportionneacutee au commencement et puis un peu plus forte

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sur la fin et cependant lineacuteaire comme pour faire colorer et mucircrir les fruits qui se recueillent pendant trois de ces Saisons agrave savoir le Printemps lEteacute lAutomne moyennant quoi lArtiste acquiert la Meacutedecine au blanc Symbole de la Vierge megravere et Pascale quil peut arrecircter et prendre au cercle citrin comme Meacutedecine lunaire universelle parfaite ou bien continuer sans interruption de travail et pousser jusquau rouge parfait qui en est produit comme Meacutedecine solaire universelle et souveraine accomplie au temps de sa naissance marqueacutee solennellement par les Sages

15deg Au-dessous de huit grandes Figures du mecircme Portail dont il y en a quatre de chaque cocircteacute et tout en bas sont deacutemontreacutees les vraies opeacuterations pour faire et parfaire la Meacutedecine universelle que le Curieux apprenti de cette Oeuvre divine pourra expliquer ou se les faire expliquer mais jamais ne les expliquer par eacutecrit

16deg Lon voit six Figures au Portail du milieu au cocircteacute droit La premiegravere est un Aigle [symbole complexe lun des plus difficiles agrave appreacutehender lAigle a rapport avec la sublimation] la seconde un Caduceacutee entortilleacute de deux serpents [double Mercure] la troisiegraveme un Pheacutenix qui se brille la quatriegraveme un Beacutelier la cinquiegraveme un homme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair et la sixiegraveme est une Croix au trait quarteacute ougrave il se voit dun cocircteacute sur la ligne transversale une larme et sur la mecircme ligne de lautre cocircteacute un calice en cette forme[] Ces six Figures ne sont pour ainsi dire que la reacutepeacutetition de ce qui a deacutejagrave eacuteteacute dit tant de fois sous diffeacuterentes figures et diffeacuterents termes qui sont ineacutepuisables par le peu de travail et la simpliciteacute de la matiegravere qui ne se fait neacuteanmoins connaicirctre quaux vrais Philosophes et non pas aux Sophistes ignorans quelques recherches quils en fassent parce que leur intention est mauvaise et orgueilleuse et que ce Don divin nest accordeacute quaux simples et humbles de coeur meacutepriseacutes du reste du monde insenseacute et assez malheureux en son aveuglement pour ne se repaicirctre que de fables transitoires

1deg Laigle par exemple ne signifie autre chose que lEsprit universel du monde et cest lOiseau dHermegraves et le mouvement perpeacutetuel des Sages

2deg Le Caduceacutee entortilleacute de deux serpents enseigne que la Pierre est composeacutee de deux substances quoique tireacutee du mecircme corps et extraite de la mecircme racine ces deux substances neacuteanmoins semblent ecirctre contraires eu apparence lune eacutetant humide et lautre seiche [segraveche] lune volatile et lautre fixe mais elles sont semblables en essence et en effets parce quelles sont deux de nature venant dun seul principe quoiquelles ne soient reacuteellement quune

3deg Le Pheacutenix qui se brucircle et renaicirct de ses propres cendres nous apprend que ces deux substances apregraves avoir eacuteteacute mises dans loeuf philosophique en lAthanor agissent longtemps et naturellement lune contre lautre quelles se livrent de furieux combats avant de sembrasser et de sunir que la guerre est longue avant de recevoir le baiser de paix que les flots de la Mer philosophique sont longuement agiteacutes par le flux et reflux avant que la bonace et le calme puissent succeacuteder et reacutegner enfin que les travaux sont bien grands auparavant que ces deux substances se reacuteduisent finalement en poudre ou souffre incombustible car cela ne se peut faire quapregraves que lhumide Mercuriel a eacuteteacute consommeacute ou plutocirct desseacutecheacute par la grande activiteacute du chaud et sec interne de la substance corporelle du Sel de nature et que tout le compost est fait semblable Cest apregraves ces brucirclemens ou calcinations philosophiques que cette poudre le vrai Pheacutenix des Sages car il ny a point dans le monde dautre Pheacutenix que celui-lagrave eacutetant dissout derechef dans son lait virginal retourne agrave reprendre naissance par soi-mecircme et de ses propres cendres et continue ainsi agrave renaicirctre et mourir tout autant de fois quil plaicirct agrave lArtiste bien expeacuterimenteacute

4deg Le Beacutelier signifie toujours le commencement de la Saison en laquelle il faut prendre la matiegravere dautant quen ce temps deffervescence lhumide igneacute de lEsprit universel commence agrave monter de la Terre au Ciel et agrave descendre du Ciel en terre bien plus copieusement quen toute autre saison et avec plus de vertu surtout dans les miniegraveres ou le Soleil a fait au moins trente reacutevolutions et non plus de trente-cinq ougrave la Nature mineacuterale commence agrave reacutetrograder pour tendre agrave sa deacutepravation et agrave son deacuteclin

5deg Lhomme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair nous deacutemontre quil faut sccedilavoir ce que cest que lAymant fait par lhomme qui a la puissance dattirer du Ciel du Soleil et de la Lune par sa vertu magneacutetique lEsprit Catholique invisible revecirctu de la pure substance humide eacutetheacutereacutee influence quintessencieacutee pour de ces deux en faire une troisiegraveme substance participant des deux autres individuellement et qui chacune contienne en soi indivisiblement le Sel le Souffre et le Mercure universels lesquels tous trois se congegravelent et sunissent au centre de toutes choses

6deg Quand agrave la Croix ou sur les lignes transversales par les cocircteacutes dicelle sont poseacutes une larme et un Calice cest pour nous faire entendre que ce nest que la Nature eacuteleacutementaire cest-agrave-dire les quatre

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Elemens croiseacutes [le thegraveme de la Croix est omnipreacutesent en alchimie elle figure le creuset et aussi linconnue X de Fulcanelli] figureacutes par les quatre lignes de la Croix en effet cest par le moyen des quatre Elemens que les vertus et les eacutenergies ceacutelestes descendent et sinsinuent incessamment sur tous les Corps visibles et sublunaires Les deux lignes haute et basse repreacutesentent le Feu ceacuteleste et les deux autres lignes traversantes signifient lair et leau La larme qui signifie lhumide de lair pleine de feu vital et poseacutee sur la ligne de lair et de leau doit ecirctre reccedilue dans le Calice qui signifie le reacutecipient et non pas dans les basses valleacutees quoi quelle soit partout mais sur des lieux qui savancent dans lair ougrave elle ne sera pas prise en quantiteacute par ceux qui nont pas la connaissance de laimant physique et philosophique

7deg Proche de la Porte agrave droite il y a dun cocircteacute cinq Vierges sages qui tendent leur Calice ou coupe vers le Ciel et reccediloivent ce qui leur est verseacute den haut par une main qui sort dune nueacutee et au-dessous sy voient et sy remarquent les vraies opeacuterations Alchimiques et Philosophiques Ces cinq Vierges repreacutesentent les vrais Philosophes Hermeacutetiques amis de la nature et qui ayant connaissance de lunique matiegravere dont elle se sert pour travailler dans la magneacutesie des trois regravegnes animal mineacuteral veacutegeacutetal reccediloivent du Ciel cette mecircme et unique matiegravere dans des vases convenables et suivant les opeacuterations de la mecircme nature ils travaillent physiquement et apregraves avoir fait le Mercure ou dissolvant Catholique ou le Sel de nature qui contient son souffre les unissent au poids requis les cuisent en lAthanor et finalement en font lElixir Arabique

8deg De lautre cocircteacute dudit Portail gauche on voit cinq autres Vierges mais folles en ce quelles tiennent cette Coupe renverseacutee contre terre ainsi elles ne peuvent ni ne veulent y recevoir la Lunaire que la nature leur preacutesente et qui est si copieuse quapregraves avoir largement satisfait agrave tout lUnivers il y en a encore plus de reste que demployeacutee et cela se fait en tout et se distribue en tous tems et incessamment parce quainsi la ordonneacute la voulu et le veut le Tregraves-Haut auquel gloire immortelle ineffable soit rendue sur la terre et aux Cieux Par les Vierges folles la Coupe renverseacutee sont repreacutesenteacutees une infiniteacute et presque innombrables dopeacuterations fausses des Sophistes des Chimistes des ignorans et deacutesespeacutereacutes ainsi que des impitoyables Souffleurs et Charlatans [il sagit en fait de lexpression double du symbole de Veacutenus Aphrodite ou Gaiumla]Ces cinq Vierges folles signifient ces faux Philosophes qui ne demandent que hercelets Sophistiques comme rubifications dealbations cohobations amalgamations etc qui meacuteprisent la lecture des bons Auteurs et qui par cette raison ne peuvent avoir connaissance de la vraie matiegravere quoiquil est vrai de dire quils la portent toujours avec eux jusque dans leur sein sur eux alentour deux sous leurs pieds et quils la respirent continuellement mais leur orgueil trop preacutesomptueux leur fait en meacutepriser la meacuteditation et la recherche simaginant stupidement dans leurs grossiegraveres Sophistications et leurs faux preacutejugeacutes la trouver sans la connaissance de la belle et pure nature interpregravete des Mystegraveres divins

En effet cette matiegravere est si commune et dun si vil prix que le pauvre en a autant que le

riche et elle est neacuteanmoins si preacutecieuse que chacun en a besoin et ne peut sen Passer Car

lon ne peut ecirctre vivre et agir Sans elleTout ce que jai remarqueacute en ce triple Portail est agrave la

veacuteriteacute beau et ravissant mais ce sont lettres closes Enigmes et Hieroglifs pleins de mystegraveres

pour les ignorans et choses mystiques pour les sccedilavans pour lesquels jai donneacute cette

Explication quils doivent comme Curieux consideacuterer exactement en levant les voiles qui

leur cachent lentreacutee aux secrets Cabinets de la chaste Diane Hermeacutetique Je nai point lu dans

les Cartes antiques de Paris ni de cette Catheacutedrale pour savoir le nom de celui qui a eacuteteacute le

Fondateur de ce Portail merveilleux mais je crois neacuteanmoins que celui qui a foumi ces

Enigmes Hermeacutetiques ces symboles et ces Hieroglifs mystiques de notre Religion a eacuteteacute ce

grand Docte et pieux Personnage Guillaume Eveacuteque de Paris la profonde Science duquel a

toujours eacuteteacute admireacutee avec raison des plus sccedilavans Philosophes Hermeacutetiques de lAntiquiteacute et

particuliegraverement du bon Bernard Comte de Trevisan sccedilavant adepte Philosophe Hermeacutetique

car il est certain que cet Evecircque a fait et parfait le magistegravere des Sages Or comme il a plu agrave

la divine Providence de me faire la gracircce de me donner quelque lumiegravere et connaissance de la

Philosophie Physique et Hermeacutetique jai tellement travailleacute quapregraves un long temps beaucoup

de soins de lecture des bons Livres et avoir fait quantiteacute de belles et bonnes opeacuterations jai

enfin trouveacute la triple clef par son essence pour ouvrir le sanctuaire des Sages ou plutocirct de la

sage Nature de sorte que je peux fidegravelement expliquer les Ecrits paraboliques et eacutenigmatiques

des Philosophes anciens et modernes ainsi que jai expliqueacute assez clairement les Enigmes

Paraboles et Hieroglifs de ce triple Portail ce que je fais tregraves volontiers pour donner

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contentement aux sccedilavans amateurs de cet Art divin et exciter la curiositeacute des nouveaux

Candidats qui aspirent agrave la connaissance de la Science naturelle et hermeacutetique dont Dieu

soit loueacute et exalteacute agrave jamais Ainsi soit-il Fin

Page 6: EXPLICATION TRÈS CURIEUSE - Tradgloss

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Kunrath 1609] Nous navons rien agrave ajouter aux commentaires lumineux des deux alchimistes du XXe

siegravecle Nous signalerons neacuteanmoins au lecteur linteacuterecirct que preacutesentent les nueacutees au-dessus de la tecircte de la deacuteesse qui voilent la roseacutee de mai chegravere agrave Altus auteur preacutesumeacute du Mutus Liber Leacutechelle de sapience dont le symbolisme se trouve deacutetailleacute dans les fragments commenteacutes des Douze Clefs de Philoosphie attribueacutees agrave Basile Valentin Le sceptre ou bourdon du pegravelerin jamais eacuteloigneacute de la meacuterelle de Compostelle [sur lexplication geacuteneacuterale de son symbolisme cf Meacutemoire sur le Meacutetamorphisme des roches dAchille Delesse] Des bas-reliefs de ce fameux portail central avaient fait lobjet dun commentaire ducirc agrave Marcel Aubert [Bulletin monumental publ par la Socieacuteteacute franccedilaise darcheacuteologie pour la conservation et la description des monuments historiques 1913 1 Vol 77 - T 77 ] Les voici

QUATRE BAS-RELIEFS DU GRAND PORTAIL DE NOTRE-DAME DE PARIS

Les contreforts de Ia porte du Jugement dernier agrave Notre-Dame de Paris sont orneacutes de quatre bas-reliefs incrusteacutes dans la pierre agrave la suite des meacutedaillons des Vertus et des Vices auxquels ils ne se rattachent ni par leur composition ni par leur facture

[Ces quatre bas-reliefs ont la mecircme hauteur que ceux de la seacuterie des Vertus et des Vices mais ils sont plus eacutetroits Peut-ecirctre avaient-ils eacuteteacute destineacutes primitivement agrave orner les pieacutedroits de la porte ou mecircme les faces des contreforts suivant un systegraveme qui deviendra freacutequent dans la seconde moitieacute du XIII

e siegravecle et au XIV

e siegravecle]

ils paraissent anteacuterieurs de quelques anneacutees et ont du ecirctre exeacutecuteacutes au deacutebut du XIIIe

siegravecle Ils sont dun tregraves beau style et rappellent par la noblesse des attitudes la grandeur des traits malheureusement sauvagement bucirccheacutes lharmonie du costume les plus beaux bas-reliefs antiques Ces quatre bas-reliefs ont depuis longtemps exciteacute la sagaciteacute des iconographes et le sens de lun dentre eux ne nous apparaicirct pas encore tregraves nettement Au XVI

e siegravecle les hermeacutetistes les

interpreacutetaient agrave leur faccedilon

Job que lon voit sur lun deux serait la pierre philosophale qui passe par les eacutepreuves les plus diverses avant dacqueacuterir les vertus finales

Abraham figureacute sur un autre serait lartisan Isaac la matiegravere dans le creuset et lange linstrument de la transformation Un corbeau de pierre aurait lœil fixeacute sur le lieu ougrave sont enterreacutes trois rayons de soleil qui deviendront or au bout de mille ans et diamant au bout de trois mille ans Pendant la Reacutevolution lastronome Dupuis deacutefendit et sauva ces bas-reliefs en expliquant quils faisaient partie de tout un systegraveme astronomique quil deacutechiffrait sur les sculptures du grand portail La scegravene que repreacutesente le bas-relief supeacuterieur de droite est facile agrave expliquer cest leacutepisode du Sacrifice dAbraham Abraham debout devant lautel legraveve le bras pour sacrifier son fils Le petit Isaac qui eacutetait agenouilleacute sur lautel nest plus visible aujourdrsquohui Un ange descendant du ciel arrecircte le bras du patriarche En bas agrave gauche apparaicirct entre un arbuste et les fagots destineacutes au sacrifice le beacutelier qui servira dholocauste Sur le bas-relief situeacute au-dessous figure un guerrier armeacute de pied en cap couvert dune longue cotte eacuteperonneacute casqueacute dun heaume conique et portant leacutecu triangulaire du deacutebut du XIII

e siegravecle Il se dresse au sommet dune tour creacuteneleacutee et lance contre

le soleil dont on voit les rayons en haut agrave gauche un javelot derriegravere lui est une petite tourelle

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surmonteacutee dun docircme sans doute couronnement de lescalier de la tour Ce personnage est Nemrod

son nom mecircme signifie laquo reacutevolte raquo et la Bible (Gen X 9) dit de lui laquo Il fut un violent chasseur contre le Seigneur

[Labbeacute Fillion dans son commentaire de la Sainte Bible t I p52 montre quil faut traduire laquo lifne Elohim raquo par laquo contre le Seigneur raquo et non laquo devant le Seigneur raquo]

Strabon dans sa Glose ordinaire est encore plus explicite [laquo Nemrod qui ultra naturam cœlum penetrare voluit Significat diabolum qui ait Ascundam super astra cœli raquo Nemrod secundum josephum fuit auctor aedificandae turris quae taugeret cœlum raquo Saint Isidore de Seacuteville (Sancti Isidori allegoriae quaedam sacrae scripturae dans Migne t 83 col 103) dit aussi laquo Nemrod gigas diaboli typum expressit qui superbo appetitu culmen divinae celsitudinis appetivit diceus ascendam super altitudinem nubium et ero similis altissimo raquo V de Guilhermy qui a montreacute le premier dans son Itineacuteraire archeacuteologique de Paris (1855 p 46-48) quil fallait voir dans le guerrier ici repreacutesente Nemrod attribuait daccord avec Didron agrave linfluence du Coran le choix fait par lartiste de Nemrod comme symbole de lorgueil et de limpieacuteteacute Le Coran ninsiste pas particuliegraverement sur le caractegravere de Nemrod et nous pensons que les commentateurs de la Bible font assez ressortir son type dimpie et datheacutee]

Nemrod dans un accegraves dorgueil et dimpieacuteteacute lance du haut de la tour quil avait voulu faire eacutelever jusquau ciel un javelot contre lastre de Dieu En pendant de lautre cocircteacute de la porte sont deux autres bas-reliefs disposeacutes comme les premiers celui du haut dans un cadre rectangulaire celui du bas sous une arcade agrave plein cintre La scegravene du haut dun tregraves beau style repreacutesente la Deacuterision de Job Suivant le reacutecit de la Bible Job est assis sur un fumier il est presque nu un lambeau deacutetoffe tombe de ses eacutepaules et ceint ses reins il legraveve les yeux vers le ciel et croise les bras sur la poitrine en signe de soumission des vers repreacutesenteacutes avec un reacutealisme qui eacutetonne presque agrave leacutepoque ougrave a eacuteteacute sculpteacute ce bas-relief rongent son corps (Job II 7-8) Devant lui sa femme conseillegravere de reacutevolte laquo Vous demeurez dans votre simpliciteacute lui crie-t-elle Maudissez Dieu et mourez raquo (Job II 9)

Le saint homme Job reacutepond par un acte de soumission agrave la volonteacute du Seigneur laquo Ses trois amis qui avaient appris les maux qui lui eacutetaient arriveacutes eacutetaient venus chacun de leur pays Eliphaz de Theacuteman Baldad de Suba et Sophar de Naamath Car ils seacutetaient concerteacutes pour venir le voir ensemble et le consoler Et ayant leveacute

les yeux ils ne le reconnurent pas et ils pleuregraverent a haute voix deacutechiregraverent leurs vecirctements et jetegraverent de la poussiegravere en lair au-dessus de leur tecircte raquo (Job II11-12)

Le bas-relief de Notre-Dame est lillustration litteacuterale du texte de la Bible Cette scegravene a dailleurs eacuteteacute tregraves souvent repreacutesenteacutee au moyen acircge aussi bien au portail des catheacutedrales que dans les vitraux et les miniatures des manuscrits

Parfois mecircme comme au portail de la Calende agrave Rouen lhistoire de la Deacuterision de Job occupe plusieurs bas-reliefs on le voit un sur un tas de fumier puis vecirctu injurieacute par sa femme et dans un troisiegraveme bas-relief visiteacute par ses amis

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La scegravene sculpteacutee sous le bas-relief de Job est beaucoup plus difficile agrave identifier Cest un homme debout les jambes nues - elles sont tregraves deacuteteacuterioreacutees mais il semble quelles eacutetaient croiseacutees - vecirctu dune tunique largement fendue et dun manteau drapeacute sur leacutepaule gauche Il incline la tecircte en avant et legraveve le bras droit la main droite briseacutee eacutetait sans doute ouverte de la gauche il sappuie sur un grand bacircton qui est peut-ecirctre une lance A terre pregraves de lui sont un arc et deux flegraveches devant lui coule un ruisseau qui descend dun petit monticule couronneacute par deux arbres sur les branches du plus haut est un oiseau Telle est aussi preacutecise que le permet le mauvais eacutetat de conservation la description de cette scegravene encore tregraves eacutenigmatique

Les auteurs anciens comme Gueffier dans sa Description historique des curiositeacutes de leacuteglise de Paris (Paris 1763 p 211) ne mentionnent pas ce bas-relief

Didron le premier a chercheacute a lidentifier ou du moins agrave en donner le sens [Histoire de lart en France par les monuments La statuaire au XIIIe siegravecle dans la Revue de Paris 1836 t XXXI p 339]

Il voit dans nos quatre bas-reliefs des repreacutesentations historiques des Vices et des Vertus agrave cocircteacute des repreacutesentations alleacutegoriques

Sous Abraham symbolisant lobeacuteissance est un reacutevolteacute qui lance un javelot contre Dieu

Sous Job symbole de la patience et de la confiance en Dieu est la repreacutesentation de la deacutefiance un homme fort et armeacute tremble au bruit dun ruisseau et au croassement dun corbeau

De Guilhermy [op citeacute p 46-48] deacutecrit le bas-relief et avoue que toute explication lui eacutechappe il se fait leacutecho dune hypothegravese qui a eacuteteacute souvent reacutepeacuteteacutee depuis mais qui est inacceptable il faudrait voir ici Job contemplant les ravages des torrents deacutebordeacutes sur ses terres Plus reacutecemment M Enlart a

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donneacute de cette scegravene une explication tregraves inteacuteressante mais qui ne ma paraicirct pas pouvoir ecirctre accepteacutee Deacutecrivant les bas-reliefs des portails de la catheacutedrale dAuxerre du deacutebut du XIV

e siegravecle

[congregraves dAvallon 1907 p 614-616 - le bas-relief dAuxerre est plus endommageacute peut-ecirctre que celui de Paris il nous montre le mecircme personnage tourneacute en sens inverse sappuyant dans une pose pleine de noblesse sur une lance dont on distingue tregraves nettement le fer Son long manteau vole au vent ses jambes sont croiseacutees il paraicirct consideacuterer vers la gauche un monticule couronneacute dun arbuste Nous avons chercheacute mais en vain dans dautres ensembles relatifs agrave lHistoire de lEnfant prodigue la figuration du mecircme personnage ]

M Enlart trouve au milieu des scegravenes de lHistoire de lEnfant prodigue trois meacutedaillons ougrave sont figureacutes la femme aux serpents qui est la concupiscence

Job qui comme lEnfant prodigue a recouvreacute sa condition premiegravere apregraves de grandes tribulations enfin un personnage preacutesentant avec celui qui nous occupe ici les plus grandes ressemblances et que M Enlart identifie avec David David sappuyant sur sa houlette et vecirctu du costume de berger dans lequel il eacutetait arriveacute au camp de Sauumll choisit cinq pierres polies dans le torrent et savance vers Goliath La Bible deacutecrit en effet ainsi la scegravene (Reg XVII 30-40) David vient de refuser leacutepeacutee que Sauumll lui avait donneacutee

laquo il prend le bacircton quil avait toujours agrave la main choisit dans le torrent cinq pierres tregraves polies et les

met dans sa pannetiegravere de berger et tenant agrave la main sa fronde il marche contre le Philistin raquo

Ce qui rend cette hypothegravese impensable cest la preacutesence aux pieds de notre personnage non dune fronde mais dun arc que lon distingue tregraves nettement et de deux flegraveches dont on voit les extreacutemiteacutes empenneacutees et les encoches Malgreacute de longues recherches dans la Bible et dans ses Commentaires du moyen Age dans les manuscrits illustreacutes et dans les repreacutesentations peintes et sculpteacutees je nai pu retrouver lexplication de cette scegravene La preacutesence de larc et des flegraveches qui ne sexplique pas dans lhypothegravese de David allant combattre Goliath fait eacutecarter dautres hypothegraveses auxquelles on pourrait songer comme celle de Moiumlse devant le buisson tenant le bacircton qui sur son ordre se changera en serpent sur le bord du torrent dont leau deviendra du sang ou celle du prophegravete Elie se nourrissant de leau du torrent de Carish et du pain que lui apporte un corbeau Si ces bas-reliefs au lieu decirctre visiblement reacuteemployeacutes se trouvaient en place nous admettrions volontiers la thegravese de Didron qui voyait au-dessous de la repreacutesentation biblique dune vertu la repreacutesentation historique ou simplement en action du vice correspondant Mais rien ne nous

prouve que le bas-relief qui se trouve sous la scegravene de la Deacuterision de Job soit bien celui qui dans la penseacutee du clerc qui a ordonneacute ce portail devait ecirctre agrave cette place

Dans le Breacuteviaire de Charles ler [Bibl nat ms lat 1052 fol 217mdash M Macircle dans son beau livre sur lart religieux de la fin du moyen acircge en France a montreacute tout linteacuterecirct de ce manuscrit] ougrave nous trouvons les repreacutesentations bibliques et historiques des Vertus et des Vices cest Judas symbole du deacutesespoir qui figure en face de Job symbole de lespeacuterance Il nous a paru inteacuteressant de publier ces quatre bas-reliefs encore assez peu connus curieux par les problegravemes iconographiques quils soulegravevent Ce sont un des rares essais au XIII

e siegravecle de figuration des vertus laquo en action raquo

suivant lexpression de M Macircle Tandis que partout agrave cette eacutepoque aux portails de nos catheacutedrales les vertus sont repreacutesenteacutees sous la figure alleacutegorique dune femme portant un eacutecu timbreacute dun attribut nous voyons ici des repreacutesentations veacutecues des vertus

Marcel AUBERT

Commentaires il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant lecteur du Mystegravere des Catheacutedrales du non moins mysteacuterieux Fulcanelli que deux de ces bas-reliefs ont eacuteteacute commenteacutes par le plus grand alchimiste du XX

e siegravecle sur la figure V il sagit des deux bas-reliefs du bas Les deux bas-reliefs du

haut nont point eacuteteacute analyseacutes par Fulcanelli Si lon adopte un point de vue purement historique en se reacutefeacuterant agrave la Bible il est hors de doute que linterpreacutetation laquo exoteacuterique raquo de M Aubert est exacte Le mot exoteacuterique est mis entre guillemets agrave escient Il est bien clair que se rapportant agrave un haut fait de religion on ne saurait gloser de maniegravere rationnelle lagrave-dessus Cela eacutetant entendu nous pouvons

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neacuteanmoins infeacuterer quune interpreacutetation alternative est possible si lon adopte les preacuteceptes de la doctrine hermeacutetique

Aussi peut-on voir dans le bas-relief de gauche Cadmos deacutevoilant la fontaine de jouvence apregraves quil ait triompheacute du dragon [ou du serpent Python] en sorte davoir accegraves agrave leau vive qui est de toute neacutecessiteacute pour lArtiste Il est assez extraordinaire - mais ocirc combien significatif dans le sens dune interpreacutetation hermeacutetique laquo coulant de source raquo pour ainsi dire - que le corbeau soit nommeacute agrave cet endroit Tant il est vrai que cette eau vive est le signe pour lArtiste de lanimation de son Mercure et partant de la fin de la phase de putreacutefaction laquo lœuvre au noir raquo pour citer le roman de Marguerite Yourcenar Nous convenons quune telle interpreacutetation est pour ainsi dire contre nature Mais nous avons toujours dit - suivant en cela les preacuteceptes de Fulcanelli - que toute demeure toute sculpture etc preacutesentant des traits conduisant agrave une possible interpreacutetation hermeacutetique pouvait constituer un preacutetexte ce qui bien sucircr est le cas des deux bas-reliefs qui nous occupent Quant au bas-relief de droite nous avons eu loccasion de lanalyser dans la section du reacutebus de saint Greacutegoire-en-Viegravevre Quant agrave celui de la Deacuterision de Job [bas-relief du haut agrave gauche] il se preacutesente comme une parodie des Rois Mages allant au chevet du Christ deacuteposeacute dans sa litiegravere de paille pratiquement dans le fumier Les Rois Mages sont ici repreacutesenteacutes par Eliphaz Baldad et Sophar la figure christique eacutetant incarneacutee en Job Quant au bas-relief en haut et agrave droite M Aubert nous dit quil repreacutesente le sacrifice dAbraham Comment inteacutegrer le patriarche biblique dans le symbolisme du grand œuvre Nous retiendrons ici ces paroles de saint Paul laquo contra spem in spem credidit raquo que lon peut traduire par laquo pour une aventure sans espoir il puisa lespoir dans sa foi raquo ou bien laquo quand il ny avait plus despeacuterance sa foi lui donna lespoir raquo dougrave cette conclusion lapidaire laquo contre tout espoir il crut agrave lespeacuterance raquo A quoi nous pouvons rajouter cette maxime tireacutee de lIcircle Mysteacuterieuse roman geacutenial de Jules Verne - mais maxime qui serait attribueacutee agrave Ockam - laquo il ne sert agrave rien despeacuterer pour entreprendre ni de reacuteussir pour perseacuteveacuterer raquo En somme en lisiegravere ou en bordure pourrait-on dire du symbolisme propre agrave lalchimie avons-nous lagrave un message qui sadresse agrave lArtisteLes deux autres bas-reliefs ne posent pas de problegraveme celui du bas agrave gauche

FIGURE VI on peut en trouver une repreacutesentation semblable sur lun des caissons de la galerie hermeacutetique du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne le soleil darde ses rayons sur lœuf des philosophes agrave Paris cest lArtiste qui protegravege lathanor des ardeurs des rayons Sagit-il de lavertissement classique des alchimistes qui conseillent de modeacuterer le feu faute de quoi on courrait le risque de brucircler les fleurs Sagit-il dune alleacutegorie sur le feu sacreacute quil faut savoir maicirctriser Ou encore sur la maniegravere de capter le rayon igneacute qui constitue le Soufre rouge sublimeacute dans le Mercure Nous nen saurons pas plus Le bas-relief de gauche est superposable agrave lalleacutegorie de Cadmus qui apregraves avoir tueacute le serpent Python [ou le dragon] fonde la ville de Thegravebes lagrave ougrave le sabot de son cheval laisse jaillir une source deau pure cest cette repreacutesentation que nous voyons ici leau pure jaillissant du checircne que lon aperccediloit agrave

droite du bas-relief reacuteplique semblable agrave lune des figures du Livre dAbraham Juif

Cet article de M Aubert nous a permis dobserver le fait suivant au demeurant bien connu quun tableau lapidaire peut aiseacutement voir son sens deacutetourneacute de mille maniegraveres selon lobservateur mais quil existe des bornes au-delagrave desquelles le sens tombe pour ainsi dire de lui-mecircme nous venons de le voir pour le bas-relief repreacutesentant le sacrifice dAbraham ougrave il nest pratiquement pas possible de deacutefinir une approche hermeacutetique Tel nest plus le cas dautres bas-reliefs du grand pilier de Notre-Dame de Paris qui ont fait lobjet dune eacutetude approfondie de Fulcanelli dans le premier tome de sa trilogie il sagit bien sucircr du Mystegravere des Catheacutedrales Loin de nous le besoin de revenir sur les planches de louvrage pour les reacuteinterpreacuteter Non Nous en avons donneacute quelques-unes dans les sections du site pour servir le propos Mais il est eacutevident que Fulcanelli a ducirc sinspirer du traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant et degraves lors il paraicirct inteacuteressant de chercher en quoi les meacutedaillons des Vices et des Vertus ont pu deacuteterminer chez Fulcanelli lapproche qui fut sienne dans le Mystegravere des Catheacutedrales Nous ne pourrons ici que renvoyer le lecteur agrave un site remarquable sur lart religieux au XIIIe siegravecle reacutesumeacute simplifieacute du livre dEmile Macircle Lart religieux au XIIIe siegravecle Etude

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sur les origines de liconographie du Moyen Age et sur ses sources dinspiration (Armand Colin 1948)

Voici quoi quil en soit quelques reacuteflexions sur cet ouvrage Et aussi dun autre ouvrage consacreacute agrave lart religieux au XIIe siegravecle Ces deux recensions forment une introduction agrave lœuvre dEmile Macircle dont il faut regretter que lon ne trouve pas encore sur le serveur Gallica de la BNF la premiegravere eacutedition de lArt religieux au XIIIe siegravecle Cette introduction est preacutecieuse pour leacutetudiant en hermeacutetisme et alchimie et permet de reacutealiser la liaison entre les vieux sculpteurs bacirctisseurs de catheacutedrales dune part et les alchimistes du XX

e siegravecle qui par delagrave lœuvre dEsprit Gobineau de Montluisant

semployegraverent agrave trouver dans ces tableaux et ces livres muets lapidaires linspiration de leurs singuliegraveres reacuteflexions Nous voici agrave preacutesent en mesure de donner quelques preacutecisions sur la signification exoteacuterique des Vices et des Vertus repreacutesenteacutes sur les meacutedaillons du portail central de Notre-Dame

Les Vices et les Vertus de Notre-Dame de Paris

Nous ne saurions mieux faire que suivre lenseignement du Speculum majus de Vincent de Beauvais pour deacutebuter leacutetude des meacutedaillons de Notre-Dame de Paris Vincent de Beauvais que nous avons rencontreacute agrave de multiples reprises dans nos sections

[Donum Dei Ideacutee alchimique I II Char Triomphal de lAntimoine Chevreul critique de Hoefer I Chimie des Anciens I II Miroir dalchimie prima materia Atalanta fugiens XLII Nouvelle Lumiegravere Chymique Mercure]

FIGURE VII Quatriegraveme tome du Speculum majus de Vincent de Beauvais

eacuted de 1624 Bibliothegraveque nationale de France

Le Speculum majus ouvrage de Vincent de Beauvais est un condenseacute des savoirs de leacutepoque Lœuvre est diviseacutee en quatre parties appeleacutees miroirs

- le miroir de la nature les chapitres de cette partie suivent lordre des jours de la creacuteation Ils comprennent leacutenumeacuteration et la description de tous les eacuteleacutements de la nature en terminant par lhomme - le miroir de la science il raconte lhistoire de la Chute et preacutesente la science comme une des voies de reacutedemption Les sept arts sont consideacutereacutes comme autant de dons du Saint Esprit Toutes les connaissances scientifiques sont passeacutees en revue - le miroir moral il preacutesente une classification des vices et des vertus (dapregraves Saint Thomas dAquin)

- le miroir historique il preacutesente lhistoire de lEglise le reste neacutetant eacutevoqueacute queacutepisodiquement

Cest selon cette reacutepartition en quatre chapitres que les auteurs du site consacreacute agrave lArt religieux au XIIIe siegravecle se sont donneacute pour tacircche deacutetudier liconographie du Moyen Acircge Sans reprendre exactement leurs propos nous ajouterons surtout plusieurs remarques

- sur le miroir de la nature les animaux se voient attribuer une valeur symbolique forte Cest leacutevidence le bestiaire hermeacutetique est dune grande importance [cf par exemple la voliegravere alchimique analyseacutee dans la page du Poegraveme du Pheacutenix] Mais la nature peut ecirctre envisageacutee de faccedilon encore plus large en particulier la geacuteologie appliqueacutee agrave lhermeacutetisme que le lecteur se rapporte au Bergbuumlchlein [commenteacute par Daubreacutee] agrave la Reacuteveacutelation de la teinture des meacutetaux [Bernard Le Treacutevisan] au Traiteacute des Choses naturelles et surnaturelles [attribueacute agrave Basile Valentin] agrave la Philosophie Naturelle restitueacutee [Jean dEspagnet] On peut encore y annexer le Typus Mundi

- sur le miroir de la science laquo Lhomme peut se relever de sa chute par la science raquo (Vincent de Beauvais)

Tout comme le travail manuel affranchit des neacutecessiteacutes du corps la science affranchit de lignorance qui empoisonne lesprit Le travail est tregraves preacutesent dans les vitraux ougrave sont repreacutesenteacutes tous les

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meacutetiers artisanaux et eacutegalement dans les voussures et les soubassements de portail ougrave les travaux agricoles sont souvent mecircleacutes aux signes du zodiaque La science quant agrave elle est incarneacutee par les sept arts qui se composent dun trivium (grammaire rheacutetorique dialectique) et dun quadrivium (arithmeacutetique geacuteomeacutetrie astronomie et musique) La philosophie est consideacutereacutee comme la megravere de tous les arts Les diffeacuterents arts sont souvent repreacutesenteacutes sous forme de jeunes femmes doteacutees dinstruments symboliques On les trouve par exemple aux portails de Chartres et de Laon

Note les photographies des meacutedaillons sont tireacutes du site httparchitecturereligfreefr nous tenons agrave remercier les auteurs [Elisabeth et Vincent Trouveacute] de leur permission dinseacuterer sur cette page ces images des bas-reliefs qui donnent une nouvelle jeunesse au Mystegravere des Catheacutedrales sil est possible

FIGURE VIII la grammaire Limage montre une femme

avec une feacuterule (petite palette avec laquelle on frappait les eacutecoliers au sens figureacute autoriteacute seacutevegravere) et deux enfants agrave ses pieds nous y trouvons leacutequivalent de la sapience agrave laquelle lArtiste doit parvenir afin de preacuteparer ses matiegraveres sous ce rapport les deux enfants pourraient figurer Apollon et Arteacutemis Il sagit agrave tout le moins dapprendre agrave manier le Verbe ce qui en terme de cabale se traduit par un mot lhumour Qui ne sait pas ce quest lhumour bien tempeacutereacute ne sera jamais au fait de lArt Sacreacute Cest-agrave-dire qui ne connaicirct la vertu essentielle et roborative (fortifiante) du mot ESPRIT De lagrave agrave jouer sur les mots il ny a quun pas que lon ne peut franchir si lon na pas compris la SUBTILITE des textes alchimiques Subtiliteacute qui permet den comprendre le VERBE Et comme chacun sait le VERBE sest fait TERRE Nous ne saurions mieux reacutesumer la penseacutee veacutehiculeacutee par lArt dHermegraves

FIGURE IX - la dialectique Repreacutesenteacutee comme une

femme avec un serpent (parfois remplaceacutes par un scorpion) on ne saurait mieux concevoir les eacutechanges deacutenergie qui se produisent au sein du Mercure et quen termes de chimie moderne on qualifie doxydo-reacuteduction lagrave ougrave les Anciens semployaient agrave faire des magistegraveres Newton lui-mecircme sexprimait ainsi laquo Le 18 mai jai perfectionneacute la solution ideacuteale Cest-agrave-dire que deux sels eacutegaux portent Saturne Ensuite il porte la pierre et joint le malleacuteable Jupiter donne eacutegalement [sel ammoniac sophique] et ce dans de telles proportions que Jupiter sempare du sceptre ensuite laigle eacutelegraveve Jupiterraquo (Keynes MS 3975 p122 - citeacute dans Dobbs)

A leacutevidence nous assistons agrave des pheacutenomegravenes de meacutediation ce que Hermegraves ne deacutesavoue point dans sa Table dEmeraude [ougrave il faut lire dans le texte mediatione et non pas meditatione Notez que seuls Fulcanelli et F Hoefer donnent la version correcte du texte] Et lagent de la meacutediation par excellence est le serpent manifestation de lesprit corrompu par lacircme [dougrave le scorpion]

FIGURE X la rheacutetorique (Chartres catheacutedrale)

Il nexiste point de bas-relief repreacutesentant cet art agrave Notre-Dame de Paris La Rheacutetorique embleacutematiseacutee par Ciceacuteron est parfois doteacutee dun faisceau de lances et dun bouclier parfois simplement dun stylet et dune tablette de cire On voit dhabitude une femme faisant un geste oratoire Seul peut-ecirctre Heinrich Schuumltz paraicirct secirctre approprieacute ce quon pourrait nommer la Rheacutetorique des Dieux Ainsi dans les Psalmen Davids (1619) il affirme quil a eacutecrit ces psaumes en stylo recitativo auparavant presque inconnu en Allemagne Schuumltz fait allusion au strict principe rheacutetorique qui gouverne son style choral Sappuyant avec grande imagination sur le rythme de la parole il parvient agrave un rythme musical discontinu freacutequemment interrompu par des cadences et des effets deacutecho reacutealisant ainsi ce que seul Haydn oserait plus tard introduire une asymeacutetrie et une instabiliteacute radicales dans le tissu musical Cela est

dautant plus remarquable sagissant de la monodie Il nest point besoin de beaucoup dimagination

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pour faire voir lanalogie avec le principe formel qui doit guider lArtiste dans le magistegravere qualifieacute par tant de maicirctre dart de la musique mais nous y reviendrons en abordant directement cet art par un exemple des plus reacuteveacutelateurs Par la rheacutetorique nous compleacutetons le trivium ougrave sexprime le ternaire alchimique

FIGURE XI - larithmeacutetique (Chartres catheacutedrale)

Lagrave encore point de bas-relief la repreacutesentant agrave Paris LArithmeacutetique telle quelle est repreacutesenteacutee dans les manuscrits carolingiens deacutevide entre ses doigts une corde agrave boules eacutevocation de la bouillonnante dexteacuteriteacute des doigts computateurs de larithmeacutetique

FIGURE XII- la geacuteomeacutetrie La Geacuteomeacutetrie tient souvent agrave la fois le compas et la sphegravere car elle est la sœur de lAstronomie Elle peut ecirctre munie dun bacircton rappelant sans doute le roseau dor avec lequel dans lApocalypse Jean mesure le temple et lange la Nouvelle Jeacuterusalem Celle que lon voit agrave Paris tient une tablette Point nest besoin dinsister sur limportance de la geacuteomeacutetrie dans le magistegravere A cet eacutegard le lecteur naura quagrave consulter lAtalanta fugiens cap XXI ougrave toutes preacutecisions sont donneacutees Quant au compas un chapitre speacutecial lui est consacreacute dans notre page sur Fontenay-Le-Comte

FIGURE XIII - lastronomie (Chartres catheacutedrale)

LAstronomie ou lAstrologie dont le modegravele est Ptoleacutemeacutee rappelle limportance des horoscopes et eacutevoque lascendant des astres sur la formation de lamour et de la haine Elle peut tenir un cadran solaire un astrolabe ou une sphegravere armillaire et contempler la giration des astres autour de la planegravete Terre Voici ce quen termes exoteacuteriques lon dit dhabitude de lastronomie mais limportance hermeacutetique de lastronomie est consideacuterable pour leacutetudiant en alchimie le lecteur consultera ici notre humide radical meacutetallique notre zodiaque alchimique et les nombreux renvois aux constellations et aux deacutecans qui parsegravement le commentaire de lAtalanta fugiens Sur lastrologie voyez la partie du site qui lui est consacreacutee

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FIGURE XIV - la musique

La Musique illustreacutee par Pythagore inventeur du nombre dor est eacutevidemment le plus souvent munie dun instrument de musique (harpe lyre ou cythare) et saffaire agrave monter la gamme en frappant des clochettes avec un marteau On se souviendra aussi dun grand vieillard que nous preacutesente Fulcanelli dans le Mystegravere des Catheacutedrales qui nest autre que le Mercure Voyez ce que nous avons dit supra des rapports entre la musique et la rheacutetorique qui lui est congeacutenegravere Comme musicien alchimique on pourrait encore eacutevoquer les figures de Monteverdi et de Varegravese Sur Monteverdi cet extrait

laquo Curieusement Monteverdi esprit lucide sil en fut va prendre goucirct [] aux expeacuteriences alchimiques Pour samuser concegravede-t-il et tout en affichant (pour la forme) un certain scepticisme Et

cependant les faits sont lagrave jusque dans les anneacutees heureuses de la peacuteriode veacutenitienne le musicien se livrera au patient travail de ladepte faisant chauffer en les mecirclant les principes du soufre du

mercure et du sel dans lathanor sans en espeacuterer autre chose que le plaisir du jeu avec linsolite [] raquo [Monteverdi Roger Tellart Fayard 1997]

et sur Varegravese

Cette aura magique a pris son origine dans les termes quil emploie volontiers et dans la citation de Paracelse quil inscrivit en exergue de sa partition dArcana Une eacutetoile existe plus haut que tout le reste Celle-ci est leacutetoile de lApocalypse La deuxiegraveme est celle de lascendant La troisiegraveme est celle des eacuteleacutements qui sont quatre il y a donc six eacutetoiles eacutetablies Outre celles-ci il y a encore une autre eacutetoile limagination qui donne naissance agrave une nouvelle eacutetoile et agrave un nouveau ciel Varegravese sest pourtant expliqueacute sur la porteacutee de cette eacutepigraphe Cette phrase eacutequivaut agrave une deacutedicace elle fait de mon poegraveme symphonique un certain hommage agrave celui qui la eacutecrite mais elle ne la pas inspireacute et lœuvre nen est pas le commentaire Il exposa sa penseacutee au New Mexical Sentinel Lart ne prend pas naissance dans la raison Cest le treacutesor enfoui dans linconscient cet inconscient qui a plus de compreacutehension que nen a notre luciditeacute Dans lart un excegraves de raison est mortel La beauteacute ne provient pas dune formule Cest limagination qui donne la forme aux recircves Attireacute par les alchimistes de la Renaissance il reconnut jai surtout lu Paracelse Il eacutetudia les principes de lastronomie hermeacutetique en tira des applications musicales qui stimulaient son imagination Il meacutedita sur les preacuteceptes de la meacutedecine de Paracelse sur lassociation la dissociation et la coagulation agrave propos de laquelle il me cita lAcoustical Terminology La coagulation des ultrasons est le deacutepart de petites particules dans de plus larges agreacutegats par laction des ondes dultrasons Ce fut surtout la transmutation des eacuteleacutements qui le retint il soumit une cellule ou un agglomeacuterat agrave diffeacuterentes tensions agrave des deacutecalages de rythmes agrave diffeacuterentes fonctions de gravitation (attirance et lourdeur) agrave diffeacuterentes dynamiques Il ne chercha ni a deacutevelopper ni a les informer il voulut transmuer Varegravese fut degraves sa jeunesse un fervent de Leacuteonard de Vinci et Kepler le passionnait il pressent tout comme Leacuteonard de Vinci Il reacutefleacutechissait sur les marges derreurs que Kepler essayait dinteacutegrer dans une seacutecuriteacute matheacutematique et quil tentait dexpliquer sans savoir prouver pourquoi elles existaient Varegravese cultivait ces marges derreur de liberteacute plus exactement qui empecircchent la contrainte et donnent la vie II reacutepeacutetait que pour lui la musique eacutetait un art-science comme dans le Quadrivium du Moyen Age ou elle figurait parmi les arts de raison avec larithmeacutetique la geacuteomeacutetrie et lastronomie [Varegravese Odile Vivier Solfegraveges Seuil 1973]

Nous teacutemoignons ici de la justesse absolue des vues de Varegravese Comme Beethoven laffirmait la musique est plus haute que toute sagesse et que toute philosophie elle les comprend toutes et permet agrave lesprit dacceacuteder en conscience au cosmos

La repreacutesentation de la philosophie est plus complexe A Laon on la trouve repreacutesenteacutee assise la tecircte dans les nuages une eacutechelle appuyeacutee contre la poitrine Cette image correspond agrave la description quen fait Boegravece dans la Consolation philosophique Leacutechelle est ce qui permet daller des eacuteleacutements infeacuterieurs vers les eacuteleacutements supeacuterieurs A Sens la philosophie est tout aussi grave mais leacutechelle est remplaceacutee par un simple sceptre Nous avons vu limage de la philosophie de Notre-Dame de Paris supra

- sur le miroir moral cest lagrave quinterviennent les meacutedaillons des Vices et des Vertus

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FIGURE XV - la prudence ( le Mercure philosophique)

Nous voici placeacutes au seuil de la sapience alchimique avec ces meacutedaillons qui ont constitueacute la matiegravere mecircme et le preacutetexte de Fulcanelli dans le premier tome [le Mystegravere des Catheacutedrales Pauvert 1924] de sa trilogie Combien de fois les alchimistes ne nous ont-ils pas avertis que sans prudence lArtiste narriverait agrave rien Ne souhaitant pas ici faire des redites inutiles nous conseillerons au lecteur de visiter la section des Gardes du Corps ougrave les Vertus se trouvent analyseacutees Il est certain que limage du fixe et du volatil sont lindice clair du Mercure preacutepareacute et sublimeacute Ce bas-relief forme la planche VII des Mystegraveres et repreacutesente le Mercure philosophique Nous en sommes bien daccord Nous ajouterons que limage la plus fidegravele de ce Mercure philosophique est formeacutee par le signe zodiacal des Geacutemeaux identique dailleurs - au plan spirituel - avec la figure I du Livre dAbraham Juif dont Fulcanelli a montreacute quil eacutetait mythique Fulcanelli eacutecrit

laquo Cest lagrave ce ver empoisonneacute qui infecte tout par son venin

dont parle lAncienne Guerre des Chevaliers raquo [Mystegravere

p 104]

Ajoutons que ce laquo ver empoisonneacute raquo deacutesigne dhabitude le premier eacutetat du Mercure et quArtephius le nomme dans son Livre Secret le laquo vinaigre tregraves aigre raquo Voilagrave la transition toute trouveacutee avec limage de la folie

FIGURE XVI - la folie ( origine et reacutesultat de la pierre)

Au lieu quici comme nous venons de le dire cest la folie qui se trouve repreacutesenteacutee il sagit de limage du premier Mercure celui dont Fulcanelli nous dit quil est le laquo fou de lœuvre raquo On le repreacutesente souvent torsadeacute et contourneacute un peu comme dans les Ripleys scrowls cf les Douze Portes Nous en avons surtout parleacute agrave la section sur Fontenay quand on la compareacute au pyrophore de Homberg ou de Gay-Lussac Voilagrave quelques notes de Fulcanelli sur la planche XIX

laquo Au second meacutedaillon lInitiateur nous preacutesente dune main un miroir tandis que de lautre il eacutelegraveve la corne dAmaltheacutee agrave ses cocircteacutes se voit lArbre de Vie Le miroir symbolise le deacutebut de louvrage lArbre de Vie en marque la fin et la

corne dabondance le reacutesultat raquo [Mystegraveres p 124]

Bien lapidaire dans son explication le maicirctre de Paris se montrera plus geacuteneacutereux dans la description de ce miroir en citant Moras de Respour voici un extrait que na pas donneacute Fulcanelli pourtant bien plus explicite sinon exoteacuterique que celui quil donne

Cette cendre mineacuterale a en soi tout ce qui est neacutecessaire aux Curieux ceux qui lrsquoont connue ont eu la matiegravere dont on la tire en grande recommandation et de crainte qursquoon sut qui elle eacutetait ils lui ont imposeacute plusieurs noms comme de Lunaire drsquoherbe Saturnienne et autres Quelques uns lrsquoont compareacutee agrave la Salamandre agrave cause qursquoelle vit dans le feu Ils ne lrsquoont jamais mieux deacutepeinte que parlant du Phœnix qui renaicirct de ses cendres drsquoautres lrsquoont nommeacutee Lucifer ou Porte lumiegravere Veacutenus engendreacutee de lrsquoeacutecume de la Mer parce qursquoon la tire en eacutecumant On lrsquoa nomme Dragon agrave cause qursquoelle brucircle comme Salpecirctre Aigle parce que lrsquoon en tire lrsquoArmoniac mercuriel ils ont dit que crsquoest le Roi drsquoautant qursquoil est le plus consideacutereacute entre eux et le Lion agrave cause de sa grande force Ils disent que crsquoest lrsquoacircme meacutetallique agrave cause qursquoelle vivifie tous les Meacutetaux et qursquoelle est corps parce qursquoelle corporifie les esprits Mais communeacutement entre les Philosophes elle est entendue par Miroir de lrsquoart agrave cause que crsquoest principalement par elle que lrsquoon a appris la composition des Meacutetaux dans les veines de la Terre []

Rares Expeacuteriences sur lEsprit mineacuteral Paris Langlois et Barbin 1668

Plusieurs arcanes se trouvent entrelaceacutees dans ce texte mais en fin il y est question en somme dun sel infusible La pratique de lœuvre montre quil nexiste que trois sels infusibles dont lun est geacuteneacuterique et reacutesulte dune transformation au lieu que les deux autres sont speacutecifiques le sel infusible proteacuteiforme est ce que les

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anciens chimistes appelaient la chaux meacutetallique et il y a autant de chaux que de meacutetaux [sept pour rester dans la pure tradition hermeacutetique cf lhumide radical meacutetallique] Le second sel - la Salamandre - est celui que De Respour nomme la Lunaire et qui est confondue dans presque tous les textes avec le premier Mercure aussi la nomme-t-on plus justement le laquo suc de la Lunaire raquo Cest elle que lon appelle encore laquo pierre et non pierre raquo et que certains ont identifieacute au nostoc [Mystegraveres p 171 cf Atalanta XXXVII] Il se trouve que cette substance deacutecrite par Pline possegravede des traits communs avec une autre pierre que lon nomme la pierre de Jeacutesus ou pierre speacuteculaire leur racine est semblable et peut tregraves facilement ecirctre preacutepareacutee en laboratoire il suffit dun vitriol preacutepareacute dun sel que lon trouve chez les riches aussi bien que chez les pauvres [surtout agrave la campagne ne dit-on pas du fou que laquo son esprit bat la campagne raquo Cest lagrave un petit trait dhumour ougrave se signale un important point de science] eacutegalement preacutepareacute et dun feu meacutediocre Quant au pheacutenix ultime eacutetat du Rebis revivifieacute il reacutesulte de la reacuteincrudation de ces substances salines La reacutesurrection du pheacutenix est sous la deacutependance de ce Lucifer ou porte lumiegravere comme leacutecrit si justement De Respour Fulcanelli le nommant christophore [Mystegraveres p

186] et ayant emprunteacute agrave Offerus ses traits pour deacutesigner le Quant agrave lArmoniac mercuriel il ne correspond point agrave notre chlorhydrate mais - comme la vu Berthelot dans la Chimie des Anciens - agrave une sorte de sel fossile Il est appeleacute lagrave encore de bien des maniegraveres selon les Adeptes les uns le nommant le sel ammoniac dautres le sel harmoniac etc Sa principale qualiteacute semble ecirctre de donner un peu de liant agrave la Salamandre pour lempecirccher de seacutechapper du feu au 4

egraveme degreacute de feu cest-agrave-dire vers 1300degC la

salamandre au dire de Marc-Antoine Gaudin devient dun coup fluide comme de leau et se vaporise instantaneacutement Quant agrave lacircme meacutetallique il faut y voir le facteur qui rend compte de la viscositeacute des meacutetaux lorsquon leur impose le calorique et le mecircme quand au bout dun certain temps [cest la peacuteriode ougrave lœuvre est compareacutee agrave un travail de femme - quenouille - ou agrave un jeu denfant - yo-yo bilboquet -] de va-et-vient la cristallisation finit par sopeacuterer dans la masse saline Ce facteur - comburant - est en raison directe de la preacutesence dun agent carburant que les Sages ont nommeacute le Lait de Vierge et sans lequel laccroissement de la Pierre ne serait pas possible cest la corne dAmaltheacutee [cf Atalanta XLVII pour une description et des notes compleacutementaires] LArbre de Vie est lArbori Solare dont nous parlons agrave la section Fontenay

FIGURE XVII - la foi ( les quatre eacuteleacutements et les deux

natures)

Lalchimiste errant ne trouvera son chemin dans le labyrinthe de Salomon que muni du fil dAriane cest ce qui constitue sa foi agrave proprement parler Sur la foi consultez la Chrysopeacutee du Seigneur un apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Sachez que lArtiste en quecircte de son Mercure sera guideacute par une eacutetoile celle qui apparaicirct sur le meacutedaillon de Notre-Dame et que cet astre agrave linstar de celui qui guida les Mages dOrient le conduira dans une eacutetable ougrave il verra un enfant emmailloteacute de langes qui aura la

forme de notre Certains lont compareacute au sel de Pierre dautres au sel gemme Dans ce dernier cas ils lont nommeacute le sel harmoniac dont le rapport avec notre chlorhydrate est du mecircme genre que celui qui existe entre le vif-argent vulgaire et lhydrargyre philosophique Ce bas-relief est la planche XI du Mystegravere Fulcanelli se trompe en la nommant la Philosophie [nous avons vu supra quil sagit de la figure IV ougrave limagier a inscrit leacutechelle de la sapience et deux livres] ou bien alors cest par cabale quil veut ainsi deacutesigner la Foi eacuterigeacutee en forme de

doctrine hermeacutetique Fulcanelli deacutecrit le meacutedaillon comme une monade la croix y deacutesigne le quaternaire des eacuteleacutements mais il faut avoir des yeux de lynceacutee pour distinguer le disque lunaire dont il nous dit quil est marteleacute On croirait un astre quelconque et rien ne vient affirmer la conjecture du grand Adepte Le lecteur verra avec profit lagrave-dessus les dessins de la Monade Hieacuteroglyphique de John Dee car lAdepte parisien seacutetend peu sur la Foi alors que la croix forme lun des symboles les plus fascinants de lœuvre

FIGURE XVIII )- lidolacirctrie ( le sujet des Sages)

Aussi voilagrave qui peut expliquer - du mecircme rapport que la folie qui lui fait pendant - la fausse foi du souffleur qui naura pas su trouver le fil dAriane que nous eacutevoquons plus haut Il croira agrave des miroirs trompeurs au reflet de Narcisse et se complaira dans laquo mille brouilleries raquo pour reprendre lheureuse expression de Nicolas Flamel [Fig Hieacuter] Il croira au rapport de lArt sacreacute avec les cultes infernaux les ceacutereacutemonies dinitiation ougrave lesprit se dissout plus quil nest sublimeacute il succombera aux mystegraveres orphiques dans ce quils ont de plus vulgaire et ce sont les plus viles meacutetamorphoses quil accomplira dans son creuset Il est eacutetrange de voir Fulcanelli comparant lIdolacirctrie au meacutedaillon repreacutesentant la Folie mais cette eacutetrangeteacute est du mecircme rapport

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en musique que celui qui existe entre laccord consonnant et laccord dissonnant ils sont compleacutementaires Ainsi

laquo LAdepte sy retrouve mains jointes dans lattitude de la priegravere et semble adresser des actions de gracircces agrave la Nature figureacutee sous les raits dun buste feacuteminin que reflegravete un miroir Nous reconnaissons

lagrave lhieacuteroglyphe du sujet des Sages miroir dans lequel on voit toute la nature agrave deacutecouvert raquo [Mystegravere p 128]

La priegravere est une indication sur le Soufre [soufre cest-agrave-dire sulfure ou sulfate] agrave cause de

lassonance [soufre - Dieu] Combien de fois les alchimistes nous ont-ils dit quil fallait implorer Dieu pour reacutealiser lœuvre en affirmant - cest une constante dans les texte - que celui-ci eacutetait un laquo don de Dieu raquo Mais si le Christ a souffert la Passion Fulcanelli demande agrave limpeacutetrant une autre action de gracircce qui est celui de laquo potasser pour lXraquo Que lon voit dans cet X une croix anseacutee ou la croix du Christ apregraves tout peu importe car nul na dit que lalchimie eacutetait reacuteserveacutee aux Chreacutetiens quand bien mecircme il est eacutevident que lœuvre agrave partir du Moyen Acircge sest pour ainsi dire nourri de la figure christique en mecircme temps quelle nourrissait dailleurs la musique [cf le Visage du Christ dans la musique baroque Jean-Franccedilois Labie Fayard 1992]

FIGURE XIX - la chariteacute (preacuteparation du dissolvant universel)

Fulcanelli eacutecrit laquo un homme expose limage du Beacutelier et tient de la dextre un objet quil est malheureusement impossible de deacuteterminer aujourdhui Est-ce un mineacuteral un

fragment dattribut raquo

Il est bien difficile de reacutepondre agrave cette question On sait que le Beacutelier comme bien des signes zodiacaux a une nature double il reacutepond agrave Ariegraves et agrave Aregraves Le premier nous signale le signe du Printemps eacutepoque canonique ougrave il convient de deacutebuter les travaux mais qui doit sentendre au figureacute Car les deux premiers signes du zodiaque qui sont respectivement les lieux dexaltation du Soleil et de la Lune reacutepondent aux deux principaux composeacutes du Mercure un vitriol et un sel contenant sous une forme quelconque de lalkali fixe Si lon applique maintenant les regravegles de la

cabale voici ce quon peut dire du laquo fragment dattribut raquo en grec un attribut seacutenonce ou

Remarquons que Fulcanelli fait reacutefeacuterence agrave un fragment Or dans les deux cas le mot se

termine par cest-agrave-dire la fleur la violette Violette noire ou dun bleu sombre Il nest pas besoin den dire plus puisque nous avons deacutejagrave en maintes pages de ce site fait voir toute limportance que prenait dans le magistegravere la sphegravere de la violette chegravere agrave E Canseliet Voyons maintenant la racine

elle se reacutefegravere agrave un objet qui habite ou qui demeure dans sa maison on peut y voir la materia prima qui tient sa reacutesidence ou son gicircte laquo es cavernes de la terre raquo pour reprendre une expression quasi idiomatique dalchimie Et nous pouvons y voir la laquo maison de lor raquo cest-agrave-dire le christophore par lequel sexprime la Toyson dor de Salomon Trismosin Cest aussi la Toyson des Argonautes leur histoire est dune grande proximiteacute par rapport agrave lœuvre ainsi que la bien montreacute Dom Pernety dans ses Fables Egyptiennes et Grecques Ainsi voyons-nous que par laquo fragment dattribut raquo

Fulcanelli entend nous parler du Soufre dissous dans le Mercure [] et du Corps de la Pierre [] La chariteacute enseigne ainsi pour lalchimiste comment le Soufre tend la main au Sel Voilagrave le message que lalchimiste tenait ici agrave faire valoir Ce bas-relief correspond agrave la planche IX du Mystegravere On peut rajouter cette note de Pernety

laquo les Adeptes disent quils tirent leur acier du ventre dAriegraves et ils appellent aussi cet acier leur aimant

raquo [Dictionnaire Mytho-hermeacutetique]

Sur un commentaire de ce reacutebus voyez la section Matiegravere

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FIGURE XX - lavarice( le reacutegime de Saturne)

Limage montre un personnage exteacutenueacute qui sappuie sans doute pour se reposer dune marche trop longue dans le deacutesert Cest lalleacutegorie de lArtiste qui a perdu son fil dAriane mais quel rapport avec lavarice En grec

amour de largent litteacuteralement Saisit-on le rapport Lattention est attireacutee par le cousinage hermeacutetique entre la Lune et largent on sait que la Lune a nulle autre pareille peut-ecirctre est versatile et plurielle dans ses rapports au grand-œuvre Est-elle prise dans son premier quartier on sait quil est question du Mercure Est-elle prise en son dernier quartier alors il sagit du Sel ou du suc de la Lunaire pour ecirctre plus preacutecis Cest donc dun rapport au Mercure agrave lEsprit quil sagit ici Et quel est ce rapport De nous faire valoir que lEau permanente des Sages ne saurait ecirctre eacuteternelle et quil vient un moment ougrave

elle doit commencer agrave se sublimer faute de quoi lArtiste œuvrera dans le deacutesert et finira par desseacutecher sa Pierre agrave force de labreuver Ou si lon preacutefegravere lEsprit doit libeacuterer lAcircme pour quelle descende dans le Corps opeacuteration qui fait lobjet du sens hermeacutetique des signes du Sagittaire et du Scorpion Mais Fulcanelli ne semble pas de cet avis puisquil intule la planche XXII du Mystegravere le Reacutegime de Saturne avec ce commentaire

laquo Un vieillard transi de froid et courbeacute sous larc du meacutedaillon suivant sappuie las et deacutefaillant sur

un bloc de pierre une sorte emanchon enveloppe sa main gauche raquo [Mystegravere p 128]

Le commentaire qui suit ne laisse pas deacutetonner et de se demander si Fulcanelli eacutetait envieux et charitable lorsquil preacutecise

laquo Il est facile de reconnaicirctre ici la premiegravere phase du second œuvre alors que le Rebis hermeacutetique enfermeacute au centre de lAthanor souffre la dislocation de ses parties et tend agrave se mortifier [] Cest le

regravegne de Saturne qui va paraicirctre emblegraveme de la dissolution radicale raquo [idem]

Voilagrave qui laisse perplexe Comment le Rebis pourrait-il se disloquer alors mecircme quil na pas encore pris forme Car qui dit Rebis dit forceacutement union mecircme si elle nest pas radicale [cest alors le terme dAirain qui est employeacute] Et lon ne voit pas que le Rebis constitueacute doive agrave nouveau ecirctre deacutesuni car leacutevolution est continuelle Que par contre il soit question de la mort prochaine du Mercurius senex qui doit laisser place agrave plus jeune que soi certes aussi est-ce dans cette acception que nous ferons correspondre le texte manifestement et exceptionnellement envieux de Fulcanelli Quant au regravegne de Saturne il renvoie au Regravegne de Saturne transformeacute en siegravecle dor lautre titre de lapocryphe dHuginus agrave Barma un grand classique Cest la suite de la citation qui permet cette conjecture

laquo [] Je suis vieil deacutebile et malade lui fait dire Basile Valentin pour cette cause je suis enfermeacute

dans une fosse [] raquo [ibid]

Il sagit dune citation incomplegravete dun des chapitres de lAzoth

laquo Je suis le vieil homme deacutebile amp malade mon surnom est Dragon Pour cette cause je suis enfermeacute dans une fosse afin que je sois reacutecompenseacute de la Couronne Royale amp que jrsquoenrichisse ma famille eacutetant en particulier lieu serviteur fugitif Mais apregraves ces choses nous posseacutederons tous les treacutesors du Royaume le feu me tourmente grandement amp la mort rompt ma chair amp mes os jusqursquoagrave ce que six

semaines passent raquo [Azoth Opeacuteration du mystegravere philosophique]

Comment Fulcaneli a-t-il pu mettre les traits du Rebis sur ce vieil homme lorsque la citation compleacuteteacutee permet de montrer que son surnom est Dragon Et que de surcroicirct il vienne agrave dire quil est le laquo serviteur fugitif raquo La seule explication possible qui permettrait dinclure le Rebis serait de faire de ce vieil homme non pas le Rebis mais le Compost [mixte Rebis - Mercure] mais de toute faccedilon cela nirait pas dans le sens ougrave linterpregravete lAdepte puisquil sagit dune dissolution on peut en dernier recours ajouter que Le Breton a vu quatre dissolutions dans lœuvre [Les Clefs de la Philosophie spagyrique Paris Jombert 1722] et quil ne serait pas impossible de voir dans la dissipation finale du Mercure [qui doit mourir agrave la fin de lœuvre] lultime dissolution mais qui na rien agrave voir avec la putreacutefaction alors que Fulcanelli parle de laquo [] la deacutecomposition et de la couleur noire raquo

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dont le symbolisme sinscrit au deacutebut de la Grande Coction en sa phase humide au lieu quici nous sommes agrave la phase dassation

FIGURE XXI - la patience (- le Soufre philosophique)

Que navons-nous pas parleacute du laquo sel de patience raquo que lArtiste doit neacutecessairement connaicirctre avant de se livrer aux travaux de la Grande Coction Les textes disent que lArtiste doit user de prudence et de patience pour amadouer le vieux dragon dont le feu est cacheacute sous les cendres meacutetalliques cest-agrave-dire dont la ponticiteacute eacuteleacutementaire a eacuteteacute maicirctriseacutee lorsque lalchimiste y a joint les deux colombes qui volent sans ailes dans la forecirct de Diane [ Introiumltus ] Nous avons eu loccasion de montrer dans

dautres sections que le mot patience [] renvoyait agrave la force dacircme ce qui suffit agrave indiquer son sens hermeacutetique Fulcanelli voit dans ce bas-relief - correspondant agrave la planche XVII du Mystegravere - le Soufre philosophique on y distingue un taureau et voici ses commentaires

laquo Comme figure de pratique le taureau et le bœuf eacutetaient consacreacutes au soleil de mecircme que la vache lest agrave la lune il figure le Soufre principe macircle puisque le soleil est dit meacutetaphoriquement par Hermegraves le Pegravere de la pierre [] le soleil et la lune [] deacutesignent les natures primitives contraires

avant leur conjonction natures que lArt extrait de mixtes imparfaits raquo [Myst p 122]

Toutefois le taureau a toujours deacutesigneacute la Lune qui sy trouve exalteacute et ougrave Veacutenus possegravede lune de ses maicirctrises [cf lagrave-dessus le zodiaque alchimique et lhumide radical meacutetallique] Par ailleurs lune

des vaches les plus connues en mythologie deacutesigne agrave la fois le deacutebut du mot et du mot cest-agrave-dire la violette et le venin or ces deux mots sont relatifs au Soufre et non au Mercure stricto sensu [les appellations vulgaires sont la rouille et le vert-de-gris] Ce thegraveme se trouve entiegraverement deacuteveloppeacute dans lAtalanta XXXII

FIGURE XXII - la colegravere

Cest la marque dun Mercure dont la ponticiteacute est excessive Cet excegraves peut ecirctre ducirc soit agrave une quantiteacute de calorique trop important - les Artistes disent alors que lon laquo brucircle les fleurs raquo soit agrave des proportions mal deacutefinies dans la composition du dissolvant Ce meacutedaillon na pas eacuteteacute commenteacute par

Fulcanelli La colegravere [] cest lagitation inteacuterieure qui gonfle lacircme Voyez ici la Chrysopeacutee du Seigneur apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Il semble que lon observe dans ce bas-relief agrave gauche Zeus muni de son foudre et agrave droite un pegravelerin mais ce tableau lapidaire a subi linjure du temps On peut associer agrave la colegravere la tempecircte que lon observe comme blason de lun des deacutecans de la Vierge le 2

egraveme deacutecan Son symbolisme a eacuteteacute analyseacute dans lAtalanta

XLVII

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FIGURE XXIII - la perseacuteveacuterance ( lathanor et la pierre)

Nous navons cesseacute de leacutevoquer cest lun des plus grands arcanes de lœuvre savoir tenir son Mercure en forme

deau mineacuterale le Mercure doit donc sattacher au Soufre agrave la teinture en maniegravere de supplique pressante Cest pourquoi les textes exhortent limpeacutetrant agrave prier avec insistance Dautres textes insistent sur la graisse du vent

mercuriel [ avec de la graisse mais aussi avec teacutenaciteacute ou perseacuteveacuterance] notamment les Figures Hieacuteroglyphiques le Donum Dei et lAtalanta fugiens Fulcanelli voit dans la planche XII du Mystegravere

laquo [] une coupe longitudinale de lAthanor et lappareillage interne destineacute agrave supporter lœuf philosophique de la main

droite le personnage tient une pierre raquo [Myst p 115]

Lagrave encore lusure du temps ne laisse plus voir grandchose du subtil meacutecanisme que deacutecrit lAdepte Le lecteur verra au livre de la Clef du Secret des Secrets de Nicolas de Valois une fort belle coupe de lathanor Fulcanelli sen tient lagrave il aurait pu ajouter que cette pierre contractait peut-ecirctre quelque rapport avec la pierre noire de Pessinonte et que le personnage de la planche XXIII nest autre quune autre version de Cybegravele et que limage de lathanor et de son appareil nest autre que le reacutesumeacute le Mixte lapidaire pourrait-on dire des deux lions qui flanquent le char de la deacuteesse dAsie Mineure Le buis consacreacute agrave Cybegravele et agrave Hadegraves repreacutesente le symbole de la perseacuteveacuterance cf Aureum Seculum Redivivum de Mynsicht

FIGURE XXIV - linconstance (lEntreacutee du Sanctuaire )

Lexamen du septiegraveme meacutedaillon de Notre-Dame de Paris donne agrave Fulcanelli loccasion de nous deacutevoiler le sens preacutecis de la reacuteincrudation

laquo [Le vieillard]vient darracher le veacutelum qui en deacuterobait lentreacutee [au Palais Fermeacute du Roy] aux regards profanes Cest le premier pas accompli dans la pratique la deacutecouverte de lagent capable dopeacuterer la reacuteduction du corps fixe de le reacuteincruder selon lexpression reccedilue en

une forme analogue agrave celle de sa prime substance raquo

Cette citation se rapporte agrave lopeacuteration qui consiste agrave dissoudre les laquo meacutetaux morts raquo cest-agrave-dire les chaux meacutetalliques des anciens chimistes dans un fondant approprieacute cest lagent ou artifice secret queacutevoque

Fulcanelli quand il parle de conjoindre les extreacutemiteacutes du vaisseau de nature Or ce vaisseau il nous est preacutesenteacute agrave la figure XXIII dans le meacutedaillon central cest lathanor philosophique Mais le mystegravere - au sens propre du terme - reste entier qui a deacutetermineacute Fulcanelli agrave poser une identiteacute entre

linconstance et ce vieillard En voici la clef linconstance en grec se dit et a valeur dune chose non fixe mobile et par suite inconstante Cest donc le volatil qui est nommeacute ici et le proceacutedeacute secret dont parle lAdepte parisien va preacuteciseacutement ecirctre de transformer une chose non fixe en chose fixe Mais cela doit sentendre dune matiegravere qui est dans un eacutetat visqueux ou liquide Cest donc bien de la laquo reacuteduction du corps fixe raquo dont parle Fulcanelli et le vellum que lon voit choir au pied gauche du vieillard est semblable agrave une tecircte cest donc dun caput mortuum quil sagit Ce bas-relief est numeacuteroteacute comme la planche XXIV du Mystegravere On voit que Fulcanelli lui a donneacute un titre dont le rapport avec lEntreacutee du Sanctuaire est rien moins que certain Lun de ses commentaires pourra peut-ecirctre nous aider agrave mieux percevoir ce rapport qui se deacuterobe

laquo En effet le vieillard que les textes identifient agrave Saturne - lequel dit-on deacutevorait ses enfants - eacutetait

jadis peint en vert tandis que linteacuterieur du Palais offrait une coloration pourpre raquo [Myst p 129]

Voilagrave qui est deacutejagrave plus clair Mais alors ce meacutedaillon preacutesente des traits congeacutenegraveres agrave celui de lavarice [le reacutegime de Saturne - planche XXII du Mystegravere] linconstance se manifeste ici comme la dissolution deacutefinitive - par sublimation - du dissolvant Toutefois la note de Fulcanelli nous permet

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den deacuteduire que le Lion vert est bien le premier eacutetat du Mercure cest-agrave-dire le laquo vinaigre tregraves aigre raquo dArtephius Et que la coloration pourpre reacutesulte de ce que le Lion rouge [qui correspond alors au Compost] est pousseacutee agrave la couleur purpurine au 4

egraveme degreacute de feu Mais en quoi est-il question laquo

dentreacutee dans le sanctuaire raquo cest-agrave-dire de lEntreacutee deacutesormais ouverte au Palais fermeacute du Roi [Introiumltus Philalegravethe] Cest que lArtiste ruseacute a amalgameacute lagent de dissolution avec sa propre dissolution cest-agrave-dire la sublimation terminale Il est clair en effet que lEntreacutee fermeacutee au Palais du Roi ne peut ecirctre ouverte que par la clef qui donne accegraves au dissolvant cest lobjet du 2

egraveme œuvre en

entier Ce dissolvant dans son premier eacutetat sapparente agrave un char muni de deux taureaux ou de deux lions il neacutecessite un frein un mors permettant de tempeacuterer son acrimonie Celui-ci nous est procureacute par les deux colombes de Diane qui seules peuvent tempeacuterer lardeur du dragon eacutecailleux Ces colombes - les deux Soufres - le transforment en Mercure animeacute cest-agrave-dire dompteacute degraves lors nous sommes dans le Palais du Roi La sortie se trouve du cocircteacute ougrave le Mercure trouve son exitus cest-agrave-dire dans sa chambre mortuaire dans son gisant le lecteur trouvera dans les Gardes du Corps des explications agrave cet eacutegard

FIGURE XXV - la chasteteacute (la salamandre - Calcination)

Ce sont des substances deacutepureacutees que lArtiste doit manipuler qui ont eacuteteacute reacuteduites par le feu qui en a conserveacute la quintessence dougrave cette image de salamandre Cest un sel

fixe qui est eacutevoqueacute par la chasteteacute [] il peut sagir de lalkali fixe [lun des constituants du Mercure] soit de la terre de lalun [le Corps de la Pierre appeleacute Arsenic par Geber et principe Sel depuis Paracelse] Le sens de ce bas-relief est donc - pour une fois - dune pure clarteacute Il figure sur la planche VIII du Mystegravere Voyons le commentaire que Fulcanelli nous a concocteacute pour la circonstance

laquo Ce leacutezard fabuleux ne deacutesigne pas autre chose que le sel central [] que les Anciens ont nommeacute Semence meacutetallique

raquo [Myst p 105]

Sel central voilagrave qui ne pose guegravere de problegraveme Mais laquo semence meacutetallique raquo Diable Fulcanelli preacutevient leacutetudiant quil sagit lagrave dune expression spagyrique - il parle de la calcination et non de la semence meacutetallique - et assure que les vieux auteurs nont eu en vue que leur agent occulte deacutesigneacute expresseacutement comme le laquo feu secret raquo dont la forme geacuteneacuterale appelle la comparaison avec une mer plutocirct quavec un feu Cest sur deux pages que lAdepte seacutetend sur cette notion de feu igneacute quil nomme laquo eau ardente raquo et que daucuns ont cru traduire par laquo eau-de-vie raquo Il est certain que le Ciel philosophique de Freacutedeacuteric Ulstade contient des descriptions approfondies des distillations par lesquelles on preacutepare leau-de-vie mais on ne trouvera point de note touchant au dissolvant qui nen est pas moins une certaine eau-de-vie agrave sa maniegravere Cette substance proteacuteiforme a ceci deacutetonnant quelle procure la mort avant de redonner la vie et les alchimistes ont symboliseacute ces extrecircmes sous les dehors du corbeau [Atalanta XLIII] et du pheacutenix [De ave phoenice] Ces deux oiseaux occupent une part importante de la voliegravere hermeacutetique Mais revenons agrave notre semence meacutetallique Quelle est lideacutee qui occupe lesprit de lAdepte Dabord observons en premier lieu que lorigine de cette semence est le dragon eacutecailleux Car lArtiste nen dispose point il lui faut linfuser dune maniegravere quelconque dans le Mercure disposeacute en son eacutetat primitif Et que cette semence soit dabord pourrie [cf Basile Valentin Douze Clefs de Philosophie] Nous avons au deacutebut de notre quecircte postuleacute que cette semence eacutetait repreacutesenteacutee par la reacutesine de lor alchimique Cette conjecture est-elle probable En quoi se rapproche-t-elle de la reacutesine de lor cest-agrave-dire en un mot du christophore Reacutepondre agrave ces questions cest du mecircme coup toucher au plus haut mystegravere de lœuvre Car la semence meacutetallique est faite du grain dor dont les multiplications ulteacuterieures sont tributaires Or le principe de Raison est inconciliable avec cette ideacutee laquo baroque raquo de multiplication assimileacute au principe de la laquo multiplication des painsraquo lun des Miracles quont signaleacutes les Evangiles La seule hypothegravese conciliable avec cette ideacutee serait celle dune enzyme dont on sait quelle peut deacuteclencher une reacuteaction chimique ad libitum tout en eacutetant reacutegeacuteneacutereacutee Or rien ne permet - hormis quelques expeacuteriences de Sainte Claire Deville faites sur lesprit de sel - de fonder en hypothegravese raisonnable une telle conjecture Ajoutons que la majoriteacute des traiteacutes dalchimie font allusion - et ce assez directement - agrave

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cette multiplication Incapable de pouvoir reacutesoudre cette eacutenigme nous pouvons en revanche nous faire une ideacutee de la faccedilon dont cette semence sera capteacute par lAimant des Sages

FIGURE XXVI - la luxure ( la Connaissance des poids)

La luxure prend ici le sens de deacutemesure ce qui est indiqueacute

par la balance impudence insolence et plus geacuteneacuteralement de mœurs dissolues Tel est le sens eacutesoteacuterique deacutegageacute par cette figure Quant agrave la signification exoteacuterique elle est claire Les alchimistes bien avant Lavoisier avaient eu la notion intuitive du poids des eacuteleacutements quils devaient faire entrer dans leur Mixte cest-agrave-dire leur Airain eacutetat premier du Rebis Non seulement ils avaient eu cette prescience mais encore ils avaient eu lintuition que la combinaison de leurs eacuteleacutements ne pouvait intervenir quen de certains termes par lagrave ils faisaient le distinguo entre ce quils appelaient le laquo poids de lart et le poids de nature raquo Cette image de la balance est omnipreacutesente dans liconographie alchimique agrave commencer par la figure de Theacutemis ou celle de

larchange Gabriel vainqueur du dragon eacutecailleux Fulcanelli nomme ce meacutedaillon la Connaissance des poids [planche XX] On peut citer ce passage

laquo Lauteur des Aphorismes Basiliens ou Canons Hermeacutetiques de lEsprit et de lAcircme eacutecrit au Canon XVI Nous commenccedilons notre œuvre hermeacutetique par la conjonction des trois principes preacutepareacutes sous une certaine proportion laquelle consiste au poids du corps qui doit eacutegaler lesprit et lacircme

presque de sa moitieacute raquo [Myst p 125]

Ces Aphorismes Basiliens sont une oeuvre rare [imprimeacutes nous dit en note E Canseliet agrave la suite des Oeuvres tant Meacutedicinales que Chymiques du RP de Castaigne Paris de la Nove 1681] Comme convenu le poids de lAcircme est de beaucoup infeacuterieur au poids du Corps

FIGURE XXVII 13)- la concorde

( les mateacuteriaux neacutecessaires agrave leacutelaboration du dissolvant)

Pour Fulcanelli voilagrave une figure qui reacutesume la liste des mateacuteriaux du dissolvant Nous savons que cette planche tenue par la deacuteesse ne peut ecirctre que du bois dont eacutetait fait le vaisseau des argonautes les fameux checircnes parlants de loracle de Dodonne [voyez en recherche] Ce bas-relief fait lobjet de la planche XIV du Mystegravere p 80 Cest pour Fulcanelli loccasion de citer la Clef du Cabinet Hermeacutetique dun auteur anonyme

laquo Leau dont nous nous servons [] est une eau qui renferme

toutes les vertus du ciel et de la terre [] raquo [Myst p 118]

Il sagit agrave leacutevidence de leau mineacuterale et meacutetallique qui constitue la fontaine de jouvence bain des astres de la Fontaine du Treacutevisan fontaine du Rosaire des Philosophes Fulcanelli ajoute des reacuteflexions qui ont trait

davantage au Soufre dissous quau Mercure

laquo La racine de nos corps est en lair disent les Sages et leurs chefs en terre raquo [idem]

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FIGURE XXVIII 14)- la discorde ( la Dissolution Combat

des deux Natures)

Et voici ce qui repreacutesente peut-ecirctre le sommet de linterpreacutetation eacutesoteacuterique des bas-reliefs de Notre-Dame par lalchimiste parisien tout de mecircme quun chef dœuvre de lart lapidaire des imagiers du Moyen Acircge Lagrave encore ce bas-relief a eacuteteacute preacutesenteacute plusieurs fois il nous suffira donc de dire que nous tenons lagrave les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature irreacuteductibles ennemis quil suffira dunir par le truchement de deux substances preacutesentes en puissance dans le pot de terre que lon voit entre les pieds du personnage de gauche et dans la pierre que lon voit tomber entre les deux personnages Comme leacutecrit Fulcanelli - cf Atalanta fugiens XXXV -

laquo Il nest guegravere possible deacutecrire avec plus de clarteacute ni de simpliciteacute laction de leau pontique sur la matiegravere grave et

ce meacutedaillon fait grand honneur au maicirctre qui la conccedilu raquo [Myst p 131]

La matiegravere du pot de largile est de celle dont on extrait le Corps de la Pierre quoiquil se preacutesente un autre mineacuteral dans la nature dougrave lon peut lextraire plus aiseacutement Et la pierre est de celle dont on extrait le sel qui formera notre eau mineacuterale comme laffirme avec veacuteheacutemence Alexandre Sethon

laquo Notre matiegravere paraicirct aux yeux de tout le monde et elle nest pas connue Ocirc notre Ciel Ocirc notre Eau Ocirc notre Mercure Ocirc notre Sel nitre qui ecirctes dans la mer du monde Ocirc notre Veacutegeacutetable Ocirc notre Soufre fixe et volatil Ocirc tecircte morte ou fegraveces de notre mer Eau qui ne mouille point sans laquelle

personne au monde ne peut vivre et sans laquelle il ne naicirct et ne sengendre rien en toute la Terre raquo [Nouvelle Lumiegravere Chymique Chapitre XI De la pratique et composition de la Pierre ou Teinture

Physique selon lArt]

Et lon ne saurait ecirctre plus clair sauf agrave passer des bornes que Fulcanelli tenu par le secret na pas cru bon de transgresser Ce bas-relief est disposeacute sur la planche XXV du Mystegravere

FIGURE XXIX - la force (- le Corps fixe)

Cest le lion qui se trouve deacutesigneacute Emblegraveme majeur de lœuvre cest agrave de multiples reprises que nous avons parleacute du lion vert et du lion rouge [recherche] Voyez lAtalanta fugiens et le zodiaque alchimique Que lon comprenne bien ici que leacutepeacutee et le casque sont les attributs de lhomme armeacute La chanson profane LrsquoHomme armeacute dont on attribue la paterniteacute agrave Busnois [preacutecepteur du futur Charles le Teacutemeacuteraire dernier duc de Bourgogne] compte parmi les plus ceacutelegravebres de la fin du Moyen Acircge au point que plus de quarante messes srsquoen inspiregraverent Cet engouement provient-il de sa possible origine bourguignonne en liaison avec lrsquoordre de la Toison drsquoor drsquoune reacuteminiscence des Croisades ou encore drsquoune eacutevocation cacheacutee de Longin le soldat romain qui transperccedila le flanc du Christ Aucune de ces hypothegraveses nrsquoapporte drsquoeacuteclairage satisfaisant sur les

destineacutees drsquoune piegravece dont le texte mecircme reste eacutenigmatique laquo Lrsquohomme armeacute doit on doubter - On a fait partout crier - Que chacun se viegne armer - drsquoun haubregon de fer raquo La coiumlncidence est assez extraordinaire de ce que tant la toison de lor [notre christophore] que la couleur qui sourd de la poitrine du Christ soit de la mecircme couleur blanche Sur la Force voyez les Gardes du Corps Le bas-relief occupe la planche XV du Mystegravere Voici une citation que donne Fulcanelli sur ce lion

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laquo [] Cest ce qui a engageacute Basile Valentin agrave donner ce conseil Dissous et nourris le vray Lion du sang du Lion vert car le sang fixe du Lion rouge est fait du sang volatil du vert parquoy ils sont tous

deux dune mesme nature raquo [Myst p 121]

Lattention est attireacutee par leacutevolution dun processus ougrave la mecircme matiegravere est manifestement ameneacutee agrave un degreacute supeacuterieur de deacutepuration nous sommes ici au reacutegime de Veacutenus ou de Mars

FIGURE XXX- la lacirccheteacute

Ce bas-relief na pas eacuteteacute interpreacuteteacute par Fulcanelli et cest bien dommage Comment en effet expliquer quun simple lapin [lepus] mette en fuite un chevalier [on voit leacutepeacutee tomber derriegravere lui] Et que signifie cet oiseau qui ressemble agrave un rapace percheacute sur larbre Il naura pas eacutechappeacute au cabaliste que le mot lepus puisse ecirctre rapprocheacute de lupus cest-agrave-dire le loup voilagrave deacutejagrave qui se rapproche de lArt sacreacute En quoi Nous laisserons au lecteur le soin de chercher lui-mecircme le rapport dans la section des Principes agrave propos du commentaire dE Canseliet sur le jardin de la villa Palombara agrave Rome [Deux Logis Alchimiques Pauvert 1978] Cest dune fuite quil est question ici cest-agrave-dire dune dissolution ou dune volatilisation or un mot suffit agrave lier ces deux opeacuterations sublimation Notez que Fulcanelli reviendra sur cette laquo gueule de

loup raquo lors de lexamen de la chemineacutee alchimique du chacircteau de Fontenay-Le-Comte

FIGURE XXXI lespeacuterance ( lEvolution - Couleurs et

Reacutegimes du Grand œuvre)

Cest une allusion agrave lun des deux aspects que prend la planegravete Veacutenus lors du creacutepuscule vespeacuteral ougrave les Anciens la nommaient Hesperus Elle signale agrave lArtiste que lœuvre progresse bien et que la Grande Coction

est deacutejagrave bien entameacutee lEspeacuterance [Spes] On sait que ce fut le seul don des dieux qui ne seacutechappa point de la boicircte de Pandore le seul qui fut fixe Aussi les alchimistes lui ont-ils consacreacutes une maxime laquo Spes mea in agno raquo qui fait partie du titre de la Philosophie Naturelle Restitueacutee de Jean dEspagnet [il sagit de lanagramme de son nom] dont on ne dira jamais assez toute limportance tant au plan de la science hermeacutetique quau plan de lhistoire puisque Philalegravethe lui doit beaucoup [cf Oeuvre Secret dHermegraves] On voit ainsi que lEspeacuterance est en fait un

clin dœil agrave lagneau ou si lon preacutefegravere au Beacutelier Il sagit de la planche X du Mystegravere Avec ces remarques du maicirctre

laquo LEvolution succegravede et montre loriflamme aux trois pennons tripliciteacute des Couleurs de lŒuvre que

lon retrouve deacutecrites dans tous les ouvrages classiques raquo [Myst p 107]

Fulcanelli seacutetend ensuite sur 7 pages dans la description et linterpreacutetation des couleurs Il suffira de donner cet extrait qui montre comment relier lhermeacutetisme et lhistoire la plus reculeacutee du genre humain

laquo En Chaldeacutee les Ziguras qui furent ordinairement des tours agrave trois eacutetages et agrave la cateacutegorie desquelles appartenait la fameuse Tour de Babel sont revecirctues de trois couleurs noir blanche et

rouge-pourpre raquo [Myst p 111]

Les couleurs de lœuvre sont lune des eacutenigmes les plus eacutepuisantes dans la quecircte que limpeacutetrant aura agrave mener dans son parcours hermeacutetique Mais enfin il est possible dy voir des correspondances

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relativement simples Ainsi peut-on poser que le noir est la couleur de la TERRE cest-agrave-dire de la cendre notamment celle des meacutetaux et celle de lalkali fixe Cest pourquoi la premiegravere couleur qui se

reacutevegravele agrave lArtiste au deacutebut de lœuvre est celle de la putreacutefaction [mais bien sucircr il ne sagit pas du

deacutebut cest-agrave-dire de la reconnaissance des matiegraveres premiegraveres mais bien du deacutebut de la Grande

Coction au 3egraveme

œuvre] Vient ensuite le blanc cest par tradition la couleur de ce qui est pur il

sagit donc dune couleur qui apparaicirct - en esprit - apregraves quun certain travail aura eacuteteacute meneacute agrave bien avec nos cendres mineacuterales et meacutetalliques Cette couleur blanche est celle de lAIR et indique que les subtances sont dans un eacutetat sublimeacute [ce qui ne veut pas dire aeacuterien] Enfin le rouge-rubis cest la couleur de la conseacutecration de la royauteacute celle par laquelle lArtiste parvient agrave lAdeptat

FIGURE XXXII le deacutesespoir

La logique - qui nest nullement incompatible avec la cabale hermeacutetique bien tempeacutereacutee - voudrait que lon voit dans ce bas-relief le premier eacutetat de la planegravete Veacutenus au creacutepuscule du matin Lucifer Du coup nous voici au deacutebut de lœuvre [nous voulons parler bien sucircr du 3

egraveme œuvre cest-agrave-dire de la Grande Coction]

et en une eacutepoque ougrave la matiegravere prend cet aspect visqueux particulier qui nous a valu les Ripleys Scrowles ou le FOU du

tarot absence de raison emportement Ce bas-relief est eacutevidemment congeacutenegravere de celui consacreacute agrave la FOLIE Voilagrave une indication sur le premier eacutetat du Mercure Observez le double caractegravere de ce premier Mercure il est agrave la fois incontrocircleacute et

indolent [] Cest-agrave-dire quil est mou au lieu que le Mercure animeacute doit ecirctre en forme deau mineacuterale et au vrai fluide comme de leau agrave linstar dun bon

fondant Cest-agrave-dire quil est amorphe le but de la Grande coction eacutetant den faire apparaicirctre []

le eacutetoileacute et cristallin Cette figure na pas eacuteteacute interpreacuteteacutee par Fulcanelli

FIGURE XXXIII - lhumiliteacute ( le Corbeau - Putreacutefaction)

La Patience est lrsquoeacutechelle des Philosophes et lrsquoHumiliteacute est la porte de leur Jardin [ paroles rapporteacutees dans les Douze Clefs de Basile Valentin cest lune des phrases les plus empruntes de poeacutesie de la litteacuterature alchimique ] Le bas-relief montre un corbeau Sait-on que lameacutethyste - que les Evecircques portent - est le symbole de lhumiliteacute parce quelle est de la couleur de la violette Revoyez ce que nous avons dit plus haut au sujet du laquo fragment dattribut raquo Compleacutetez par tous les passages ougrave nous parlons de la violette de la rouille et de la grenade la transition du corbeau au coq naura plus de secret pour vous et de plus vous comprendrez en quoi la noix de galle associeacutee au checircne se rapproche de cet objet curieux quexaminait Fulcanelli en nous disant que de forme lenticulaire il est blanc sur une face noire sur lautre et violet dans sa cassure Voilagrave nommeacute le Soufre rouge

ou teinture de la Pierre Mais il sagit lagrave dun raccourci trop rapide Revenons agrave ce que nous dit Fulcanelli sur ce corbeau qui orne la planche VI du Mystegravere

laquo Selon Le Breton il y a quatre putreacutefactions dans lŒuvre philosophique La premiegravere dans la premiegravere seacuteparation la seconde dans la premiegravere conjonction la troisiegraveme dans la seconde conjonction qui se fait de leau peusante avec son sel la quatriegraveme enfin dans la fixation du

soulphre Dans chacune de ces putreacutefactions la noirceur arrive raquo [Myst p 101]

Nous avons deacutejagrave plusieurs fois citeacute Le Breton qui semble un auteur important On voit que la premiegravere putreacutefaction correspond agrave la preacuteparation de lArcanum duplicatum la terre noire tombe au fond de la cornue cependant que laqua sicca se sublime dans le reacutecipient elle se situe donc au 2

egraveme œuvre [ougrave

la voie humide est exclusive] La seconde survient au tout deacutebut du 3egraveme

œuvre et repreacutesente la noirceur laquo classique raquo celle que deacutecrivent tous les traiteacutes La troisiegraveme pose davantage de problegraveme laquo qui se fait de leau pesante avec son sel raquo Limage qui nous vient immeacutediatement agrave lesprit cest Latone accouchant agrave Deacutelos dArteacutemis dune certaine faccedilon il sagit bien dune seacuteparation qui procegravede dune parturition Encore est-elle incomplegravete elle sera acheveacutee par la quatriegraveme putreacutefaction qui consiste en la fixation du Soufre au Sel Latone accouche dApollon et Arteacutemis lui sert de paregravedre On

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devine que la laquo noirceur raquo est purement une image eideacutetique De combien de souffleurs a-t-elle donc abuseacute A tout cela nous ajouterons que larcane repreacutesenteacute dans leacutecu que nous preacutesente lHumiliteacute garde une partie de son mystegravere en effet nous avons vu que Villard de Hennecourt [XIIIe siegravecle] y voyait une colombe et Fulcanelli un corbeauComment arriver agrave concilier les deux visions lune laquo positive raquo eacutemanant dun maicirctre imagier lautre laquo speacuteculative raquo eacutemanant dun maicirctre hermeacutetiste Voici ce quon peut en dire le voyage des Argonautes est tregraves lieacute on le sait aux mystegraveres orphiques et agrave lalchimie ce nest certes pas une leacutegende alchimique mais les hermeacutetistes Dom Pernety y a beaucoup travailleacute dans ses Fables Egyptiennes et Grecques ont su y deacuteceler des intentions en direction de lArt sacreacute Dans cette leacutegende on sait quagrave un moment Eurysteacutee au passage des roches cyaneacutees ou Symplegades va deacuteclencher louverture du barrage formeacute par ces roches gracircce au lacher de deux colombes notez que cette scegravene intervient agrave la sortie du Pont-Euxin [la Mer Noire] le deacutecors est poseacute le Pont-Euxin nest autre que le symbole de la dissolution des matiegraveres et le lacirccher de colombes la sortie de cette phase Si lon en revient agrave lalchimie on sait que lhieacuteroglyphe du corbeau deacutefinit la phase de putreacutefaction la noirceur cette laquo noirceur raquo est le fait de laction du dissolvant des Sages Mais sur quoi Il ne saurait sagir dune laquo auto-dissolution raquo qui naurait aucun sensPhilalegravethe exceptionnellement va venir agrave notre secours il nous indique en effet [Introiumltus VI] que deux colombes que lon a trouveacutees dans la foret de la vierge Diane suffisent agrave calmer lacrimonie et la ponticiteacute du dissolvant et il ne peut faire de doute que ces deux colombes ne sont autres que les deux Soufres Soufre rouge ou teinture de la Pierre Soufre blanc cest-agrave-dire son Corps

FIGURE XXXIV - lorgueil ( la Cohobation)

Ce bas-relief est ceacutelegravebre pour ceux qui sinteacuteressent agrave lalchimie car Fulcanelli le deacutecrit comme repreacutesentant lun des plus grands mystegraveres de lœuvre la cohobation Cest peut-ecirctre Tripied dans son Vitriol Philosophique qui sest le plus approcheacute de la solution du problegraveme mais alors il faut voir cette opeacuteration au 1

er œuvre cest-agrave-dire lors de la phase de preacuteparation

des matiegraveres chapitre sur lequel les alchimistes sont presque tous muets

laquo un cavalier deacutesarccedilonneacute se cramponnant agrave la criniegravere dun cheval fougueux Cette alleacutegorie a trait agrave lextraction des parties fixes centrales et pures par les volatiles ou

eacutetheacutereacutees dans la dissolution philosophique raquo

Voilagrave ce que nous en dit Fulcanelli p 123 du Mystegravere des Catheacutedrales Il peut sagir aussi dopeacuterations agrave type

de convectionSi nous devions rapprocher ce bas-relief dune leacutegende mythologique cest au char de Phaeacuteton que nous penserions immeacutediatement Voyez cette fable dans notre humide radical meacutetallique Formant la planche XVIII du Mystegravere larcane ne se laisse pas facilement domestiquer agrave linstar du cheval fougueux qui manque de faire choir son cavalier Nous devons renoncer agrave limage dune cohobation classique en cornue pour ne plus penser quau principe de cette opeacuteration la concentration dune substance Cest ce quenseigne le maicirctre

laquo Labsorption du fixe par le volatil seffectue lentement et avec peine Pour y reacuteussir il faut employer beaucoup de patience et de perseacuteveacuterance et reacuteiteacuterer souvent laffusion de leau sur la terre de lesprit

sur le corps raquo [Myst p 123]

Mesure-t-on le degreacute de cabale de ces quelques lignes La patience - si lon sen tient agrave la terminologie de Fulcanelli - correspond agrave la figure XXI cest le Soufre philosophique [ou planche XVII du Mystegravere] Quant agrave la perseacuteveacuterance selon le mecircme principe cest la figure XXIII ou lAthanor et la Pierre [planche XII du Mystegravere] Et nous avons vu que cette derniegravere figure eacutetait rigoureusement superposable au char de Cybegravele qui tient sa pierre noire et est flanqueacutee dAtalante et dHippomeacutenegraves [cf Atalanta fugiens] Nous tenons lagrave les eacuteleacutements du vase de nature et la cohobation correspond agrave la peacuteriode dinstabiliteacute dont nous avons deacutejagrave parleacute ougrave la cristalisation de la matiegravere commence dopeacuterer Quant agrave la peine elle peut par cabale phoneacutetique renvoyer agrave la teinture de la Pierre cest-agrave-dire au Soufre rouge en effet la peine se dit en latin poena [peine tourment souffrance] mais la peine a une autre acception distiller [sudo] elle renvoie ausi agrave aerugo [cupiditeacute qui ronge le coeur rouille de cuivre et par aerumna agrave peines misegravere eacutepreuve]

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FIGURE XXXV lobeacuteissance - Conjonction du Soufre et

du Mercure)

Fulcanelli eacutevoque - agrave la planche XIII du Mystegravere - le griffon incarnation si lon peut dire des Harpyes la leacutegende leur donna lapparence de monstres eacutepouvantables Leur corps de vautour leur bec et leurs ongles crochus lodeur infecte qui les accompagne sont autant de repreacutesentations de monstres impossibles agrave rassasier

laquo Le monstre mythologique dont la tecircte et la poitrine sont celles de laigle et qui emprunte au lion le reste du corps initie linvestigateur aux qualiteacutes contraires quil faut neacutecessairement assembler dans la matiegravere philosophale

raquo

Sur lart et la maniegravere de reacutealiser cette eacutetrange parturition voyez notre commentaire de lAtalanta fugiens Quoi quil en soit le griffon par lintermeacutediaire de ces pattes arriegravere

contracte eacutegalement des rapports avec le dragon Notez aussi que tant le lion que le coq ou le heacuteron

ainsi que le griffon expriment la vigilance Quant agrave la griffe elle peut renvoyer agrave lonyx pierre preacutecieuse ou agrave un coquillage roseacute [meacuterelle et soufre par cabale] Les Grecs en faisaient le gardien de treacutesors [toute la mythologie a employeacute ce symbolisme Wagner dans Siegfried emploie un dragon Fafner qui garde lor des Nibelungen et lanneau magique dAlberich] et la monture dApollon Autrement dit nous devons voir dans ce griffon leacutequivalent strict de Latone Aussi bien sommes-nous daccord avec Fulcanelli lorsquil eacutecrit

laquo Nous trouvons en cette image lhieacuteroglyphe de la premiegravere conjonction laquelle ne sopegravere que peu agrave peu au fur et agrave mesure de ce labeur peacutenible et fastidieux que les Philosophes ont appeleacute leurs

aigles raquo [Myst p 115]

On sest beaucoup pencheacute sur cette eacutenigme des Aigles de Philalegravethe en particulier dans la section Matiegravere Cette premiegravere conjonction en accord avec les vues de Le Breton correspond donc agrave la noirceur traditionnelle On comprend en quoi lObeacuteissance est de concert avec ce griffon auquel dailleurs Fulcanelli aurait pu donner son nom plus commun dAirain

FIGURE XXXVI - la deacutesobeacuteissance

Ce bas-relief na pas eacuteteacute examineacute par Fulcanelli mais on peut en deviner la raison quand on voit les ravages que sept siegravecles de rafale ont imposeacute sur cette partie du grand portail de Notre-Dame

Doit-on voir dans le personnage de droite le deacutepart de lenfant prodigue Il faudrait donc voir le pegravere agrave gauche Le sens hermeacutetique du meacutedaillon serait alors superposable aux gravures du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck on peut voir dans lune le Fils seacuteloigner du Pegravere accompagneacute au sommet dune montagne par le conducteur et dans lautre le Fils redescendu dans le Palais du Roi son Pegravere et pregraves agrave ecirctre deacutevoreacute par lui Cest une parabole sur le Mercure la sublimation du Soufre et la reacuteincrudation

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FIGURE XXXVII 23)- la douceur ( lunion du Fixe et du

Volatil)

Aussi bizarre que cela puisse paraicirctre Fulcanelli voit un laquo coq - renard raquo dans le meacutedaillon de la douceur [planche XVI du Mystegravere] Cest une chimegravere dans les deux sens du terme Voici comment lAdepte voit cette figure

laquo Cest ce superbe manteau avec le Sel des Astres dit [Basile] qui suit ce soulfre ceacuteleste gardeacute soigneusement de peur quil ne se gaste et les faict voller comme un oyseau tant quil sera besoin et le coq mangera le renard et se noyera et estouffera dans leau puis reprenant vie par le feu sera (afin de jouer chacun leur tour) deacutevoreacute par

le renard raquo [Myst p 122]

Fulcanelli donne une citation se rapportant agrave la Clef III des Douze clefs de Basile LAdepte attire lattention sur la

devise favorite des alchimistes laquo Solve et Coagula raquo qui exprime entiegraverement le moyen et le but de lœuvre Cest cette extraction du Soufre rouge que lAdepte compare agrave ce monstre hybride tenant agrave la fois du coq et du renard Notez que lalleacutegorie sera mieux conccedilue et analyseacutee lorsque Fulcanelli examinera le portail central de la catheacutedrale dAmiens [Mystegravere planche XXV]

FIGURE XXXVIII 24)- la dureteacute ( la Reine terrasse le

Mercure Servus Fugitivus)

La dureteacute se situe agrave la planche XXI de louvrage de Fulcanelli Cest lune des figures les plus eacutenigmatiques des Vices et des Vertus Le commentaire quen donne lAdepte est particuliegraverement subtil il eacutevoque la voie du laquo mercure commun raquo pris comme laquo vif-argent vulgaire raquo

laquo Une reine assise sur un trocircne renverse dun coup de pied le valet qui une coupe agrave la main vient lui offrir ses

services raquo [Myst p 126-127]

On ne pourra comprendre lalleacutegorie si lon na pas lu la Clavicule de Ramon Lull Car Fulcanelli joue ici sur une cabale spirituelle entre les expressions mercure vulgaire et mercure commun autrement dit il veut parler ici du premier

Mercure encore appeleacute Mercure des philosophes diffeacuterent du Mercure philosophique Degraves lors tout ce quil dit du laquo vif-argent vulgaire raquo doit ecirctre pris dans un sens charitable Cest agrave cette occasion quil cite un opuscule tregraves rare de Sabine Stuart de Chevalier Discours philosophique sur les Trois Principes ou la clef du Sanctuaire philosophique [Paris Quillau 1781] Et quil complegravete lextrait quil en donne par ce commentaire

laquo Le servus fugitivus dont nous avons besoin est une eau mineacuterale et meacutetallique solide cassante ayant laspect dune pierre et de liqueacutefaction tregraves aiseacutee Cest cette eau coaguleacutee sous forme de

masse pierreuse qui est lAlkaest et le Disssolvant universel [] raquo [Myst p 127]

Le lecteur trouvera dans les sections du Mercure de lArcanum duplicatum dans lhumide radical meacutetallique et dans la reacuteincrudation de quoi faire le tour du problegraveme

Nous avons termineacute leacutetude des meacutedaillons les plus importants de Notre-Dame de Paris en revisitant ce livre tant extraordinaire plein de poeacutesie et deacuterudition de lun des plus ceacutelegravebres alchimistes du XX

e

siegravecle Fulcanelli Dautres meacutedaillons appartenant agrave dautres demeures philosophales attendent decirctre deacutepoussieacutereacutes et revisiteacutes agrave leur tour Cette section eacutetant deacutejagrave deacutemesureacutee nous reacuteserverons donc peut-ecirctre un jour une section speacuteciale qui sattachera agrave leacutetude des derniers tableaux lapidaires de Notre-Dame de Paris qui est loin davoir livreacute tous ses secrets et agrave leacutetude de ceux de la catheacutedrale dAmiens suivant en cela le plan du Mystegravere des Catheacutedrales

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LART RELIGIEUX DU XIIIe SIEgraveCLE EN FRANCE ETUDE SUR LICONOGRAPHIE DU MOYEN

AGE ET SUR SES SOURCES DINSPIRATION par Emile Macircle Paris Armand Colin in-4deg 468 p et fig

FIGURE XXXIX

(portail de Notre-Dame Bourges - deacutetail clicheacute Alain Mauranne)

Il nest jamais trop tard pour rendre compte dun bon livre surtout quand une seconde eacutedition

en consacre toute la valeur M Macircle qui avait fait paraicirctre la premiegravere eacutedition de son

excellent ouvrage en 1808 sest attacheacute agrave le perfectionner en y ajoutant de nouvelles

remarques iconographiques mais il est regrettable que son eacutediteur ne se soit pas imposeacute les

sacrifices neacutecessaires pour lillustration quil eacutetait facile de puiser dans la preacutecieuse collection

de M Martin-Sabon Comme le sous-titre lindique beaucoup mieux que le titre le livre de M

Macircle est une eacutetude densemble sur liconographie des portails et des vitraux de nos grandes

catheacutedrales gothiques Il a donc eu raison de deacutebuter par lexposeacute des caractegraveres de

liconographie du moyen acircge et de la meacutethode agrave suivre pour linterpreacuteter On eacutetait trop porteacute agrave

chercher dans la Leacutegende doreacutee lunique explication dune foule de scegravenes sculpteacutees ou peintes

parles artistes M Macircle qui a mis en relief la valeur de la grande encyclopeacutedie de Vincent de

Beauvais connue sous le nom de Speculum majus et qui lui a emprunteacute les grandes divisions

de son ouvrage restitue agrave Martianus Capella grammairien du Ve siegravecle et agrave Honorius eacutevecircque

dAutun au XIIe siegravecle auteur du Speculum ecclesiae et de lElucidarium la place qui leur

revient dans les sources de linspiration iconographique Les premiers chapitres sont consacreacutes

agrave leacutetude des animaux symboliques des bestiaires des calendriers des sept arts libeacuteraux des

vertus et des vices Lauteur qui seacutelegraveve avec raison contre lexageacuteration du symbolisme

eacutetudie parallegravelement les sources et les repreacutesentations figureacutees en comparant les unes aux

autres les sculptures des grandes eacuteglises gothiques Si les artistes du moyen acircge avaient une

grande liberteacute dinterpreacutetation leurs œuvres deacuterivent cependant de la mecircme inspiration

Dailleurs linfluence du clergeacute sur le programme imposeacute aux sculpteurs et aux peintres

verriers les obligeait agrave rester fidegraveles aux traditions conserveacutees dans les ateliers

Linterpreacutetation symbolique de la Bible et ses origines a fourni agrave M Macircle loccasion

dexpliquer beaucoup de scegravenes peintes sur les vitraux de Bourges de Chartres et du Mans et

de donner la clef des scegravenes sculpteacutees dans les voussures du portail nord de la faccedilade de

Notre-Dame de Laon ougrave le sculpteur sest inspireacute dun sermon dHonorius Les figures et les

attributs des patriarches des prophegravetes et des rois de Juda que lauteur identifie avec les

personnages des galeries de Notre-Dame de Paris dAmiens de Reims et de Chartres sont

eacutetudieacutes avec le plus grand soin ainsi que les scegravenes de la vie du Christ et les paraboles

Abordant ensuite les traditions leacutegendaires sur lancien et le nouveau Testament et sur la

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Vierge qui ont leur source dans les Evangiles apocryphes lauteur commente lhistoire de

Theacuteophile et montre linfluence exerceacutee dans les ateliers par la Vitu Christi de Ludovic le

Chartreux et le De gloria martyrum de Greacutegoire de Tours ce qui lui permet dexpliquer les

scegravenes de plusieurs vitraux de la catheacutedrale du Mans Les caracteacuteristiques des saillis et la

Leacutegende doreacutee linfluence des pegravelerinages sur la populariteacute des saints linfluence des

donateurs et des corporations meacuteritaient un chapitre speacutecial ougrave M Macircle a fait dingeacutenieuses

observations sur linterpreacutetation artistique de lœuvre ceacutelegravebre de Jacques de Voragine Les

artistes du moyen acircge avaient un meacutediocre souci des grands hommes de lantiquiteacute mais ils

ont repreacutesenteacute parfois la belle Campaspe agrave cheval sur Aristote et Virgile dans la corbeille M

Macircle prouve que la seule sibylle reproduite au XIIIe siegravecle fut la sibylle Erythreacutee parce que

saint Augustin lui attribuait les fameux vers acrostiches sur le jugement dernier Il montre

ensuite les erreurs commises par Montfaucon et dautres archeacuteologues qui ont cru reconnaicirctre

des rois de France dans des statues qui repreacutesentent en reacutealiteacute des personnages bibliques ete

siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque nationale sur linspiration des artistes du moyen acircge qui

ont copieacute la bote agrave sept tecirctes la femme nimbeacutee deacutetoiles qui remet son enfant agrave un ange

lapparition divine qui porte une eacutepeacutee dans sa bouche Enfin dans une conclusion dont la

forme litteacuteraire est un veacuteritable modegravele il a montreacute la physionomie de nos grandes catheacutedrales

en prouvant que les artistes eacutetaient les interpregravetes dociles du clergeacute qui reacuteglait lordonnance

des sujets Cette theacuteorie est absolument conforme agrave la veacuteriteacute comme notre confregravere M Mortel

la prouveacute avec documents agrave lappui dans un article du Bulletin Monumental de 1902 De

mecircme M Macircle rectifie encore une fois la theacuteorie de Viollet-le-Duc sur lesprit de reacutevolte des

artistes laiumlques du XIIIe siegravecle contre lart theacuteocratique de leacutepoque romane et il ajoute de

nouveaux arguments agrave la savante reacutefutation de notre confregravere M Anthyme Saint-Paul Il

deacutefinit la catheacutedrale une œuvre de foi et damour et il deacutecouvre dans Notre-Dame de Chartres

la penseacutee mecircme du moyen acircge devenue visible On ne saurait mieux dire Eacutecrit dans un style

eacuteleacutegant et preacutecis louvrage de M Macircle sera le veacuteritable vade-mecum des archeacuteologues qui

veulent eacutetudier liconographie du XIIIe siegravecle en comprendre les sujets et en retrouver les

sources dans les monuments eacutecrits de la litteacuterature dans les livres saints dans les leacutegendaires

mais la grande valeur du texte forme un contraste trop frappant avec la rareteacute des illustrations

qui auraient ducirc ecirctre plus nombreuses et plus soigneacutees Il est impossible dexpliquer

liconographie du moyen acircge avec 127 figures mais chacun sait que les eacutediteurs nont pas sur

ce point les mecircmes ideacutees que les archeacuteologues E LEFEVRE-PONTALlS

LART RELIGIEUX DU XIIe SIECLE EN FRANCE ETUDE SUR LES ORIGINES DE

LICONOGRAPHIE DU MOYEN AGE par Emile Macircle mdash Paris A Colin 1922 in 4deg IV-

459 p et 253 fig

Quand on cherche a se rendre compte des difficulteacutes que dut aborder M Macircle pour reacutesoudre les nombreux problegravemes qui se preacutesentent dans son livre on a limpression que ses deux premiers ouvrages sur le XIII

e siegravecle et sur la fin du moyen acircge eacutetaient tacircche facile agrave cocircteacute de celui-lagrave Cest

quici M Macircle a ducirc rechercher les sources lointaines auxquelles ont puiseacute nos artistes romans qui voulaient deacutecorer leurs eacuteglises de scegravenes religieuses Avec ce don de la clarteacute qursquoil possegravede au plus haut point il a mis en bonne lumiegravere celte question des origines de notre art roman Selon lui lantiquiteacute classique lart gallo romain lart des catacombes de la Rome chreacutetienne nont eu quune action tregraves restreinte sur lart chreacutetien de notre pays au XII

e siegravecle et il confirme dune maniegravere

deacutefinitive lopinion des archeacuteologues de notre temps suivant laquelle cest agrave lOrient chreacutetien que les artistes romans allegraverent demander presque tous leurs modegraveles Mais dans lart quon appelle oriental dun terme trop geacuteneacuteral il distingue avec beaucoup de finesse lart chreacutetien des villes grecques dOrient deacutesigne souvent par un abus de langage sous le nom dart helleacutenistique et lart chreacutetien syrien Ainsi lon trouve en mecircme temps lempreinte dune part des eacuteglises dAlexandrie dAntioche et dEphegravese dautre part celle de lart des eacuteglises de Jeacuterusalem et des eacuteglises de Syrie de Palestine et de Meacutesopotamie auquel M Macircle rattache les œuvres des monastegraveres coptes dEgypte et celles des eacuteglises de Cappadoce Cest donc dun art chreacutetien tregraves ancien des IV

e V

e et VI

e siegravecles que nos

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artistes firent des emprunts il en reacutesulte que la place consideacuterable que lon faisait jusquici agrave lart byzantin agrave lart de Constantinople des IX

e X

e et XI

e siegravecles eacutetait beaucoup trop importante Certes

nos artistes puisegraverent agrave cette source mais moins freacutequemment quon ne la cru Avant leacuteclosion de lart byzantin la Gaule meacuterovingienne et carolingienne avait deacutejagrave reccedilu de lOrient des manuscrits

enlumineacutes et cest lagrave que les artistes avaient chercheacute des inspirations leurs successeurs jusquau XIIe

siegravecle veacutecurent de ce vieux fonds Nous ne pourrons analyser tous les chapitres de louvrage de M Macircle dans lequel on retrouve cette langue harmonieuse sobre et preacutecise ougrave lon devine une note deacutemotion mecircleacutee parfois denthousiasme qui rend si captivante la lecture de ses livres Ceux qui suivent avec inteacuterecirct tout ce quil publie connaissaient deacutejagrave certaines des ideacutees eacutemises dans ce volume par plusieurs articles parus ces derniegraveres anneacutees dans la Revue de Paris la Revue de lart ancien et moderne et la Gazette des Beaux-Arts Lauteur apregraves avoir fait connaicirctre tout ce que lart meacutedieacuteval de nos pays devait agrave lart chreacutetien dOrient eacutetudie quelle part doriginaliteacute nos artistes romans ont pu apporter dans leurs compositions quelles inspirations leur sont venues quels sentiments les ont guideacutes pour leur faire creacuteer des œuvres nouvelles dont tantocirct la puissance et la graviteacute tantocirct la deacutelicatesse et la gracircce provoquent encore notre eacutetonnement et notre admiration Il nous montre successivement comment liconographie sest enrichie par la liturgie et par les drames liturgiques par les textes theacuteologiques par linfluence dhommes tels que Suger qui joignant leacuterudition au goucirct des arts fit pour orner magnifiquement sa basilique de Saint-Denis venir de tous les pays des artistes reacuteputeacutes deacutecida lui-mecircme quelles scegravenes alleacutegoriques seraient repreacutesenteacutees et composa les distiques destineacutes agrave expliquer ces scegravenes Ainsi cest apregraves Suger apregraves lexeacutecution des œuvres merveilleuses de Saint-Denis quun symbolisme savant se reacutepandit dans liconographie symbolisme dont les grands ateliers du nord de la Loire tels que Chartres et Le Mans firent leur profit Dans la suite ces ateliers exercegraverent sur dautres reacutegions notamment sur le midi de la France leur influence dont la trace persistera pendant tout le XIII

e siegravecle Le culte des saints contribua aussi agrave lenrichissement de

liconographie dont on constate que la varieacuteteacute saccroicirct davantage agrave mesure quon avance dans le XIIe siegravecle chaque province ayant ses deacutevotions particuliegraveres les artistes repreacutesentaient plus volontiers dans telle reacutegion les scegravenes de la vie des saints qui y eacutetaient plus speacutecialement veacuteneacutereacutes Les pegravelerinages les grandes routes de Rome de Compostelle et de Terre-Sainte amenegraverent de nombreux eacutechanges dinfluences artistiques entre des reacutegions tregraves eacuteloigneacutees tant en ce qui concerne larchitecture que les arts mineurs Enfin les Ordres monastiques Cluny surtout eurent une part consideacuterable dans le deacuteveloppement et lexpansion des arts Nous avons dit rapidement comment M Macircle avait reacutesolu le problegraveme des origines de liconographie a leacutepoque romane et comment il avait montreacute limportance de lapport personnel de nos artistes dans lenrichissement de cette iconographie M Macircle a encore abordeacute deux questions qui sont intimement lieacutees ensemble Lune delles consiste agrave rechercher dans quelle province de notre pays seacutelabora la renaissance de la sculpture romane et dans quelles reacutegions dans la suite elle se deacuteveloppa progressivement Lautre question a pour objet deacutetablir comment les sculpteurs de la fin du XI

e siegravecle retrouvegraverent un art disparu depuis plus de

quatre siegravecles dont la technique avait eacuteteacute complegravetement oublieacutee dans nos pays et quels furent les modegraveles dont ils sinspiregraverent Pour M Macircle la reacuteponse au premier problegraveme est la suivante cest agrave Toulouse et agrave Moissac quest reacuteapparu lart de la sculpture dans la pierre Une inscription nous apprend que le cloicirctre de Moissac fut construit en lan 1100 du temps de labbeacute Anquetil dans ce cloicirctre se trouvent de nombreux chapiteaux et certains de ses piliers sont deacutecoreacutes de grands panneaux au nombre de dix dont chacun est orneacute dun personnage en bas relief Une chronique de la fin du XIV

e siegravecle nous dit que le magnifique portail dont le tympan contient les figures du Christ en

majesteacute et des vingt quatre vieillards de lApocalypse fut eacuterigeacute par le mecircme abbeacute qui mourut en 1115 Ce tympan que lon voulait jusquici dater dune eacutepoque plus avanceacutee du XII

e siegravecle est le plus ancien

monument de sculpture monumentale que nous posseacutedions Le portail de Beaulieu (Corregraveze) a de grands traits de ressemblance avec celui de Moissac dont il fut inspireacute sans aucun doute Suger raconte lui-mecircme quil fit venir de tregraves loin pour la deacutecoration de sa basilique des artistes nombreux Voumlge avait eacutemis lopinion que parmi ces artistes se trouvaient des sculpteurs du Languedoc Une deacutecouverte de M Macircle vient fortifier cette hypothegravese Le tympan de Saint-Denis moins restaureacute quon ne la cru est orneacute dune scegravene du Jugement dernier qui preacutesente une ressemblance frappante avec le Jugement dernier du tympan de Beaulieu Ainsi trois phases se preacutecisent dans leacutevolution de la statuaire pendant la premiegravere moitieacute du XII

e siegravecle Toulouse et Moissac avant 1115 puis Beaulieu

puis Saint-Denis vers 1135 Suivant M Macircle lœuvre de Saint-Denis eut un retentissement consideacuterable Suger venait de creacuteer cette merveille que fut le portail gothique avec son tympan deacutecoreacute dune grande scegravene bien ordonneacutee ses voussures chargeacutees de personnages faisant cortegravege agrave cette scegravene ses pieacutedroits et ses colonnes ougrave sadossaient des statues qui semblaient accueillir le visiteur precirct a peacuteneacutetrer dans leacuteglise Le type eacutetait fixeacute deacutefinitivement et pendant longtemps on ne seacuteloigna guegravere de ce modegravele Les artistes dIle de France limitegraverent a lenvie puis ceux de reacutegions plus

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eacuteloigneacutees Le Comte de Lasteyrie dans un brillant exposeacute sur leacutevolution de la sculpture romane avait agrave grands traits dessineacute la courbe de cette eacutevolution qui partant du sud-ouest montait vers lIle-de-Franccedile et redescendait vers la Provence M Macircle na pas modifieacute ce traceacute il en a au contraire confirmeacute lexactitude en donnant des preacutecisions nouvelles en montrant les principales eacutetapes suivies par les artistes languedociens en exposant comment un nouveau centre dinfluence seacutetait formeacute ensuite dans le nord gracircce au merveilleux monument eacuteleveacute par Suger En suivant lexposeacute de M Macircle ses deacutemonstrations qui paraissent si satisfaisantes pour lesprit on a limpression que tout seacuteclaire que tout se simplifie et que les deacuteductions senchaicircnent agrave merveille Mais agrave la reacuteflexion on se demande si les arguments preacutesenteacutes sont aussi probants que le pense lauteur sil napporte pas quelquefois dune maniegravere trop absolue des affirmations dans des questions ougrave les teacutemoignages sont si rares ougrave tant de monuments font deacutefaut qui seraient indispensables pour emporter la conviction Toutefois il nous paraicirct que la thegravese si seacuteduisante de M Macircle doit ecirctre retenue dans ses grandes lignes Nous ne ferons que deux observations qui nont dailleurs nullement pour but dinfirmer lensemble de sa theacuteorie Tout dabord nous ne croyons pas que le portail de Moissac appartienne agrave la date que M Macircle lui assigne Dans un meacutemoire eacutecrit avant la publication du livre de M Macircle et qui doit paraicirctre dans le Bulletin archeacuteologique nous exposions les raisons qui nous faisaient consideacuterer que les grands bas-reliefs du cloicirctre et sans doute une partie de ses chapiteaux dataient de labbatiat dAnquetil (1085-1115) Linscription graveacutee en 1100 sur un des piliers atteste quon travaillait alors dans le cloicirctre Une preuve aussi formelle nexiste pas pour le portail dont les sculptures sont dailleurs dun art infiniment plus avanceacute que les bas-reliefs du cloicirctre Le seul teacutemoignage que nous posseacutedions est celui dAimery de Peyrac abbeacute de Moissac de 1377 agrave 1406 qui reacutedigea la chronique de labbaye

FIGURE XL

(portail de Moissac XIe siegravecle)

Les anciennes œuvres dart conserveacutees agrave Moissac et dans ses prieureacutes inteacuteressaient vivement labbeacute Aimery qui en parle comme en parlerait un archeacuteologue de nos jours mais avec moins de prudence et sans aucun discernement Il simprovise successivement critique dart eacutepigraphiste et philologue et il se montre aussi ignorant dans lune ou lautre de ces matiegraveres Ses observations lui font attribuer agrave telle eacutepoque tel monument en sappuyant sur les comparaisons tout agrave fait sans valeur parlant de linscription du cloicirctre graveacutee du temps de labbeacute Anquetil il nous dit quune autre inscription se trouve dans leacuteglise qui rappelle une conseacutecration faite en 1063 et trouvant les caractegraveres eacutepigraphiques semblables il suppose que labbeacute Anquetil fit aussi graver cette inscription Mais nous avons observeacute sur place que les deux inscriptions preacutesentent des diffeacuterences de caractegraveres notables et ne peuvent appartenir agrave la mecircme eacutepoque Cest une comparaison aussi deacutenueacutee de fondement qui fit attribuer par Aimery de Peyrac la deacutecoration du portail agrave labbeacute Anquetil Il avait remarqueacute que des imbrications ornaient certaines faces les piliers du cloicirctre non deacutecoreacutees de bas-reliefs et que ces imbrications se retrouvaient sur le trumeau du portail puis faisant un rapprochement entre le nom dAnsquitilius quil

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appelle Asquilinus et le mot latin squilla qui deacutesigne une espegravece de poisson il deacuteclare que cest Anquetil qui fit graver ces imbrications semblables agrave des eacutecailles de poisson pour rappeler son nom Or lon sait que ce deacutecor Histoire de lArt M Andreacute Michel qui attribue le merveilleux tympan de Moissac au successeur dAnquetil labbeacute Roger (1115-1131) dont la statue fut placeacutee en haut de ce portail sans doute pour commeacutemorer son œuvre Notre seconde observation sera la suivante Suger aurait au portail de Saint-Denis groupeacute trois eacuteleacutements essentiels dont la reacuteunion devait faire le portail gothique un tympan orneacute dune grande scegravene religieuse telle que celle du Jugement dernier dont le modegravele venait du Languedoc des voussures chargeacutees de personnages en union avec cette scegravene semblables aux sculptures dont les artistes du Poitou et de la Saintonge chargeaient les voussures de leurs portails Enfin le troisiegraveme eacuteleacutement les statues-colonnes serait une creacuteation de Suger Or rien ne prouve que les statues-colonnes de Saint-Denis datent du temps de Suger et il nest pas absolument deacutemontreacute non plus quelles aient eacuteteacute les premiegraveres agrave orner un portail Il serait surprenant quon eucirct composeacute du premier coup un ensemble de cette importance Suger qui parle des portes de bronze placeacutees agrave lentreacutee de sa basilique et des scegravenes qui y eacutetaient repreacutesenteacutees ne dit rien de ces statues du portail Il semble que sil avait entiegraverement creacuteeacute cet eacutetrange deacutecor il en aurait fait mention A notre sentiment lideacutee de placer des statues devant les colonnes dun portail de les allonger de les eacutetirer pour quelles fassent corps avec ces colonnes sans en deacutepasser leacutepaisseur est venue progressivement insensiblement Ces statues ont leur origine dans des bas-reliefs de petite dimension superposeacutes sur les montants des portails comme ceux des eacuteglises lombardes dans les figurines placeacutees les unes au-dessus des autres et graveacutees plutocirct que sculpteacutees qui ornent les colonnettes du portail des Orfegravevres agrave Saint-Jacques de Compostelle enfin dans des statuettes fixeacutees contre des colonnes comme les statuettes de Saint-Ouentin-legraves-Beauvais (Museacutee de Beauvais) Le bas-relief sest accentueacute pour devenr une statue la statuette sest allongeacutee pour avoir la taille de la colonne Une autre question poseacutee par M Macircle avait pour but deacutetablir comment les premiers sculpteurs romans avaient retrouveacute leur technique agrave quel art en honneur alors ils avaient demandeacute des modegraveles La reacuteponse de M Macircle nous paraicirct trop absolue et trop exclusive Cest selon lui la miniature qui a joueacute presque uniquement le rocircle dinitiatrice pour les premiers sculpteurs romans Il le dit dune faccedilon tregraves preacutecise

laquo La miniature a joueacute un rocircle deacutecisif Elle explique agrave la fois laspect tourmenteacute de notre sculpture naissante et le caractegravere profondeacutement traditionnel de notre iconographie raquo

Et plus loin

laquoCet art (de la statuaire) comment les artistes lont-ils retrouveacute Tel est le problegraveme quon a sans grand succegraves jusquagrave preacutesent essayeacute de reacutesoudre On a rappeleacute que le culte des reliques avait pris degraves le X

e siegravecle dans la France meacuteridionale une forme singuliegravere on les placcedilait agrave linteacuterieur dune

statue de bois revecirctue dor Lapparition de ces statues agrave la fin de lacircge carolingien est un fait inteacuteressant Mais je nen suis pas moins convaincu que ces effigies hieacuteratiques nont eu aucune influence sur la naissance du grand art monumental Car ce nest pas sous la forme de la statue que la sculpture a reparu mais sous la forme du bas-relief Il se passera bien des anneacutees avant que lon rencontre en France une image deacutetacheacutee du mur Sil en est ainsi il est clair quil ne faut pas aller demander aux statues reliquaires du plateau central le secret des origines de la sculpture Ce secret est ailleurs Je voudrais montrer ici quagrave Moissac aussi bien quen Auvergne en Bourgogne ou en Provence le bas-relief na guegravere eacuteteacute agrave lorigine quune transposition de la miniature raquo

laquo Plusieurs singulariteacutes de notre sculpture primitive les eacutetoffes colleacutees au corps les plis concentriques sur la poitrine et les genoux ne peuvent sexpliquer que par limitation de la miniature qui a donneacute agrave la sculpture du XIIe siegravecle quelque chose de tourmenteacute de calligraphique La miniature ne fut pourtant pas le modegravele unique Nous verrons que les dessins des eacutetoffes persanes byzantines arabes furent eacutegalement imiteacutes Nous devinons dautres modegraveles encore Il se peut que les ivoires qui donnaient le relief aient eacuteteacute parfois consulteacutes Il semble dautre part que les petits bas-reliefs tailleacutes agrave plat sur les dalles encastreacutees dans les murs perpeacutetuent une ancienne tradition Tous ces modegraveles nen doivent pas moins rester au second plan pour nos sculpteurs la vraie source dinspiration fut la miniature raquo

Si les sculpteurs cherchaient dans les manuscrits le secret de la forme humaine il est bien eacutevident quils leur empruntaient aussi les types sacreacutes et les dispositions des scegravenes religieuses Ainsi selon M Macircle cest presque exclusivement dans les miniatures tant pour les scegravenes agrave repreacutesenter que pour lexeacutecution mecircme des figures dans la pierre que les sculpteurs romans cherchegraverent des modegraveles Nous ne partageons pas cette opinion les sculpteurs romans firent dans des proportions tregraves diffeacuterentes il est vrai des emprunts agrave tous les arts IIs sinspiregraverent non seulement des manuscrits et

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des tissus orientaux comme M Macircle la tregraves bien observeacute mais aussi des peintures murales et des mosaiumlques Quelques-uns mecircme copiegraverent des bijoux barbares telle cette pierre de Glanfeuil orneacutee dun oiseau ou ce chapiteau de la crypte de Saint-Beacutenigne de Dijon ougrave lon voit un perroquet semblable agrave ceux des fibules meacuterovingiennes telles ces tecirctes de taureau freacutequentes dans les modillons normands et qui rappellent aussi certaines fibules Ils imitegraverent assureacutement des modegraveles gallo romains et en particulier des sarcophages Les sculptures du tombeau du XI

e siegravecle de

saint Agilbert agrave Jouarre celles de la table dautel de Saint Sernin de Toulouse (vers 1096) celles du tympan de Saint Ursin de Bourges celles du tombeau de Saint-Hilaire (Aude) (XII

e siegravecle) sont

inspireacutees de modegraveles gallo romains Deux des personnages sculpteacutes dans les grands bas-reliets du deacuteambulatoire de Saint Sernin de Toulouse qui apparaissent drapeacutes dans leur toge ne sont-ils pas imiteacutes de quelque statue dorateur rencontreacutee dans les ruines du forum dune ville de Gaule Ce nest pas dans les manuscrits que les artistes cherchegraverent lideacutee de colonnes toises telles que celles du portail dAvaIlon Navaient-ils pas sous les yeux des colonnes semblables agrave celles de Notre-Dame de la Daurade de Toulouse dont quelques unes sont parvenues jusquagrave nous

FIGURE XLI

(le baiser de Judas clicheacute Bernard Delorme - Notre-Dame de la Daurade Toulouse)

Ce nest pas aux manuscrits mais aux sarcophages que les sculpteurs ont pris ces imbrications que lon trouve agrave Moissac et agrave Toulouse II faut constater quici comme en bien dautres circonstances miniaturistes et sculpteurs ont puiseacute agrave la mecircme source Il faut eacutegalement faire place aux influences reacuteciproques aux eacutechanges qui ont pu se faire dun art agrave lautre Les anges soutenant une gloire ronde dans laquelle se trouve une figure divine qui ornent dune faccedilon si gracieuse des tailloirs au cloicirctre de Moissac et au cloicirctre de Tarragone et quon rencontre aussi sur le linteau de la porte nord de Saint-Michel de Pavie se retrouvent sur des ivoires ils sont un souvenir des antiques geacutenies aileacutes supportant un cartouche Bien des thegravemes deacutecoratifs en honneur chez les sculpteurs romans ont eacuteteacute emprunteacutes agrave la grammaire ornementale gallo-romaine Ce nest pas la pourtant que nos artistes prirent principalement leurs modegraveles il faut prendre garde que ces deacutebutants qui tentaient de faire revivre un art abandonneacute depuis plus de quatre siegravecles avaient agrave retrouver le relief et quagrave cette eacutepoque dautres artistes utilisant dautres matiegraveres que la pierre savaient exeacutecuter des figures en relief Nous voulons parler des fondeurs et des orfegravevres cest surtout agrave ceux-ci que nos premiers sculpteurs demandegraverent des leccedilons M Macircle refuse toute influence dans la renaissance de la sculpture agrave ces statues de bois revecirctues de feuilles de meacutetal a ces laquo majesteacutes dor raquo qui eacutetaient en honneur en Auvergne au X

e et au XI

e siegravecle et dont M Louis Breacutehier a montreacute tout linteacuterecirct quelles preacutesentaient

pour larcheacuteologie Il croit trouver un argument absolu pour nier cette influence dans ce fait que ces laquo majesteacutes raquo eacutetaient des statues et que les premiers sculpteurs ne senhardirent tout dabord quagrave exeacutecuter des bas-reliefs Mais nest-il pas logique de penser quils imitegraverent les bas-reliefs quils pouvaient voir exeacutecuter de leur temps Pendant tous les siegravecles du moyen acircge on sculpta des figures de petite dimension dans livoire M Macircle concegravede bien que les objets divoire notamment les coffrets musulmans dEspagne du X

e et du XI

e siegravecle purent jouer leur rocircle mais il ne fait aucune allusion agrave

lart de la fonte aux arts dorfegravevrerie qui ne cessegraverent jamais decirctre pratiqueacutes aux portes de bronze orneacutees de nombreuses scegravenes telles que celles dHildesheim du deacutebut du XI

e siegravecle aux couvertures

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deacutevangeacuteliaires aux reliquaires de formes varieacutees aux chacircsses rehausseacutees de figures de meacutetal aux ciboria aux devants dautel et aux tombeaux que lon couvrait de plaques dargent ou dor orneacutees de personnages en haut relief et dassez grande dimension Les monuments de ce genre qui ont eacuteteacute conserveacutes sont tregraves rares agrave toute eacutepoque on les fit fondre pour tirer parti des meacutetaux preacutecieux dont ils eacutetaient composeacutes Mais les textes viennent dans une certaine mesure suppleacuteer labsence des monuments quand on parcourt les chroniques du VIII

e au XII

e siegravecle on est stupeacutefait de voir la

richesse inouiumle des treacutesors dorfegravevrerie que posseacutedaient certaines eacuteglises au moyen acircge Il neacutetait pas dabbaye importante au deacutebut de leacutepoque romane qui neucirct ses chacircsses et son parement dautel orneacutes de figures dargent ou dor repousseacute Une place importante eacutetait faite dailleurs aux arts du meacutetal dans le ceacutelegravebre ouvrage du moine Theacuteophile qui explique en deacutetail les meacutethodes agrave suivre pour fondre le bronze ou pour exeacutecuter des reliefs dargent ou dor par le proceacutedeacute du repousseacute et les terminer par la ciselure De cette profusion doeuvres dorfegravevrerie que les chroniques nous font connaicirctre quelques magnifiques exemples nous restent tels sont le parement dautel de Saint-Ambroise de Milan (IX

e

siegravecle) et le devant dautel de la catheacutedrale de Bacircle exeacutecuteacute vers 1020 et conserveacute aujourdhui au museacutee de Cluny des dessins du XVII

e et du XVIII

e siegravecle nous ont gardeacute aussi de quelques

monuments ceacutelegravebres un souvenir plus preacutecis que celui auquel peut preacutetendre une description Ces teacutemoins suffisent pour nous donner une preuve certaine des emprunts quont faits les sculpteurs aux monuments dorfegravevrerie Limitation est parfois si eacutevidente quon peut se demander si certains orfegravevres comme aussi certains ivoiriers ne simprovisegraverent pas sculpteurs sur pierre Certaines sculptures ont des reliefs peu accuseacutes qui font penser aux figures obtenues dans le meacutetal par le proceacutedeacute du repousseacute telles sont entre cent autres le Christ de Saint-Amour-Bellevue (Saocircne-et-Loire) les Anges placeacutes aux eacutecoinccedilons du portail de Notre-Dame dEtampes et certaines figures tourmenteacutees de la Porte Mieacutegeville agrave Saint-Sernin de Toulouse dautres telles que les figures des tympans de Saint-Sauveur de Nevers et de Champagne (Ardegraveche) paraissent couleacutees dans le bronze tandis que le tympan de Pompierre (Vosges) avec le curieux encadrement dentrelacs de son linteau paraicirct copieacute sur un coffret divoire Dans nos sculptures romanes le dessin des figures les plis des vecirctements colleacutes au corps et le bas des robes semblant souleveacute par le vent ne sont pas neacutecessairement limitation des proceacutedeacutes de la calligraphie quon jette un coup dœil sur lautel de Bacircle on apercevra ces plis colleacutes au corps sur tous les personnages et lon remarquera le retroussis au bas de la robe du Christ Si lon vient aux deacutetails on trouvera imiteacutees dans la pierre les pacirctes de verre qui encadrent les bas-reliefs de meacutetal sur les couvertures deacutevangeacuteliaires et chose plus curieuse encore les sculpteurs ont parfois imiteacute dune faccedilon si scrupuleuse leurs modegraveles dorfegravevrerie quon rencontre des inscriptions qui au lieu decirctre graveacutees ont leurs lettres en relief semblables agrave celles qui se trouvent en repousseacute sur les feuilles de meacutetal des reliquaires ou sur des plaques de bronze bas-relief agrave Saint-Sernin de Toulouse avec linscription sanctus Saturninus tympans de Marcillac (Lot) et de Mervilliers( Eure-et-Loir) Les sculpteurs ont emprunteacute parfois aux monuments dorfegravevrerie la composition de leurs scegravenes Les textes nous deacutecrivent des devants dautel dor ougrave lon voyait le Christ en majesteacute accompagneacute des quatre animaux et parfois des Apocirctres disposeacutes sous la gloire du Christ ou agrave ses cocircteacutes sur plusieurs registres Les mecircmes figures se retrouvent avec une semblable ordonnance sur nos tympans Celui de Carennac (Lot) nous en fournit un remarquable exemple La disposition dune seacuterie darcades en plein cintre reposant sur des colonnettes et abritant chacune un personnage assis ou debout que lon rencontre si souvent sur nos plus vieilles sculptures romanes (linteaux de Saint-Genis-des-Fontaines de Saint-Andreacute de Soregravede) du plus ancien portail de Charlieu de Chacircteauneuf (Saocircne-et-Loire) puis plus tard linteaux des portails des catheacutedrales du Mans de Bourges de leacuteglise Saint-Loup-de-Naud) est imiteacutee des ivoires des chacircsses (chacircsse du treacutesor de la catheacutedrale de Cividale X

e siegravecle) et des

devants dautel (autel dor de la catheacutedrale de Bacircle) Nos artistes allegraverent plus loin ils sinspiregraverent de ces modegraveles pour deacutecorer des faccedilades entiegraveres deacuteglises et il semble que certaines faccedilades deacuteglises de lOuest en particulier soient une reacuteplique magnifiquement deacuteveloppeacutee de quelque parement dautel Telles sont les faccedilades des eacuteglises de Peacuterignac (Charente-Infeacuterieure) de Notre-Dame la Grande de Poitiers et de la catheacutedrale dAngoulecircme avec leurs seacuteries darcades encadrant chacune un personnage Sil nous reste bien peu de vestiges de ces parements dautel dargent ou dor si nombreux agrave leacutepoque romane nous pouvons nous rendre compte de ce quils eacutetaient par les reacutepliques de ces monuments dorfegravevrerie quon fabriquait eacuteconomiquement en bois sculpteacute ou simplement en couvrant une piegravece de bois de peintures et en encadrant celles-ci dornements de placirctre ou de stuc formant un faible relief Les Museacutees de Vich et de Barcelone conservent deux importantes collections de ces antependia dont M Folch le tregraves distingueacute Directeur des Museacutees de Barcelone publiera prochainement les reproductions en y joignant une eacutetude sur lindustrie de ces inteacuteressants monuments catalans et sur ce proceacutedeacute qui consistait agrave faire des encadrements en relief avec de la laquo pastaraquo appliqueacutee agrave laide dun cornet Lun des antependia du museacutee de Vich eacutetait orneacute lorsquil eacutetait intact de douze figurines de bois dont cinq subsistent repreacutesentant les Apocirctres debout sous douze

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arcades placeacutees sur deux rangs au milieu se trouve le Christ en majesteacute dans une gloire ovale que flanquaient les quatre animaux Les devants dautel chargeacutes de figures de meacutetal neurent pas seulement des reacutepliques de bois sculpteacute dans la suite on exeacutecuta des autels qui eacutetaient orneacutes de bas-reliefs de pierre faits agrave leur imitation Les autels dAirvault (Deux-Segravevres) et dAvenas (Rhocircne) en sont des exemples Le beau tombeau de Saint-Junien (Haute-Vienne) qui est orneacute de bas-reliefs de pierre repreacutesentant le Christ en majesteacute la Vierge avec lEnfant dans une gloire et les Vieillards de lApocalypse rappelle les antependia que nous deacutecrivent les textes il rappelle aussi dailleurs certains tombeaux qui eacutetaient complegravetement recouverts de feuilles de meacutetal orneacutees de bas-reliefs tels que ceux de saint Riquier dans labbaye consacreacutee agrave ce saint et de saint Benoicirct agrave Fleury-sur-Loire Nos premiers sculpteurs durent avoir quelquefois eacutegalement sous les yeux des surfaces sculpteacutees de mecircme apparence et presque de mecircme dimension que les tympans quils allaient deacutecorer nous voulons parier des ciboria portant sur leurs arcades des pignons verticaux couverts de figures en relief Pendant les siegravecles qui preacuteceacutedegraverent immeacutediatement le XII

e siegravecle si les artistes ne se

hasardegraverent pas agrave sculpter des images dans la pierre il semble quils aient quelquefois tenteacute dutiliser des matiegraveres plus tendres telles que le placirctre le stuc et la terre cuite Les figures de stuc de Disentis (Grisons) qui paraissent dater du VIII

e siegravecle en sont un teacutemoignage Des ciboria de mecircme aspect que

ceux de Saint-Ambroise de Milan et de San Pietro al Monte sopra Civate avaient ducirc ecirctre orneacutes de figures de stuc ou de terre cuite agrave cocircteacute de monuments plus riches sur les frontons desquels on appliquait des reliefs dargent doreacute La ressemblance dune des faces de ces ciboria avec un tympan sculpteacute est frappante Ces quelques observations sur lesquelles nous nous proposons de revenir prochainement suffisent pour montrer limportance que purent avoir dans la renaissance de la sculpture les arts ougrave le relief eacutetait pratiqueacute Cest surtout en imitant des modegraveles dorfegravevrerie et divoire que les sculpteurs cherchegraverent agrave retrouver le secret de leur art Le rocircle de la miniature nen fut pas moins consideacuterable cest agrave elle quest ducirc lenrichissement de liconographie religieuse au XII

e siegravecle

Les sculpteurs et les verriers trouvegraverent dans les images des manuscrits une source abondante de sujets ils ne se firent pas faute dy chercher lindication des scegravenes quils voulaient reproduire M Macircle la montreacute dune faccedilon tout agrave fait convaincante En lisant Ies pages de son livre ou bien souvent il avait agrave deacuteplorer la disparition de preacutecieux monuments nous avons penseacute aux lignes eacutemouvantes quil eacutecrivait apregraves lincendie de la catheacutedrale de Reims en septembre 1914

laquo Quand la France apprit que la catheacutedrale de Reims eacutetait en flammes disait-il tous les cœurs se serregraverent le monde entier seacutemut de ce crime on sentit quune eacutetoile avait pacircli que la beauteacute avait diminueacute sur la terre raquo

A cocircteacute des monuments de notre pays mutileacutes par le temps lignorance et la haine il en est beaucoup dautres qui subsistent et quon neacuteglige trop souvent de contempler Le livre de M Macircle contribuera agrave les taire mieux connaicirctre et agrave les faire aimer car il a mis non seulement son eacuterudition profonde mais aussi son cœur au service de cette œuvre qui est le reacutesultat de trente anneacutees defforts

Paul DESCHAMPS

Voici agrave preacutesent un exposeacute sur la repreacutesentation des Saints dans lart du Moyen Acircge Il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant que les alchimistes ont tregraves souvent fait appel aux saints dans leurs alleacutegories le preacutesent traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant eacutetant ici des plus reacuteveacutelateurs Il paraissait donc inteacuteressant de faire le point sur la repreacutesentation de ces saints vers le XII

e et le XIII

e siegravecle Cest

directement en compagnie dEmile Macircle que nous effectuerons ce trajet

LES PREMIEgraveRES REPREacuteSENTATIONS DES SAINTS DANS LART DU MOYEN AGE

En France les images des saints commencent agrave apparaicirctre dans lart monumental du XIIe siegravecle Elles

sont rares encore et ce nest quavec une certaine reacuteserve quelles sintroduisent dans leacuteglise elles nen sont que plus curieuses et il y a un vif inteacuterecirct agrave surprendre agrave ses origines cette glorification des saints par lart Au XII

e siegravecle les saints se montrent rarement dans les portails qui sont laisseacutes au

Christ et aux apocirctres mais ils sont souvent ceacuteleacutebreacutes ailleurs On les voit repreacutesenteacutes aux chapiteaux de leacuteglise et du cloicirctre on les voit peints aux murs du sanctuaire Les orfegravevres les eacutemailleurs racontaient leur histoire sur des chacircsses ou ciselaient leurs bustes pour les autels Quelques verriegraveres deacutejagrave leur eacutetaient consacreacutees Mais de tant doeuvres il ne reste aujourdhui que des deacutebris les cloicirctres et leurs chapiteaux historieacutes ont eacuteteacute deacutetruits les fresques effaceacutees les Vitraux briseacutes les chacircsses fondues Nos pertes ont eacuteteacute immenses car lart du XII

e siegravecle a eacuteteacute beaucoup plus eacuteprouveacute par le

temps et les reacutevolutions que lart du XIIIe et cest au milieu de ces ruines quil faut aller chercher

quelques souvenirs du passeacute Pourtant quand on parcourt la France en interrogeant les pierres on

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retrouve encore ccedila et lagrave avec un singulier plaisir quelques-uns des chapitres de notre vieille histoire religieuse Dans plusieurs de nos provinces lart a conserveacute le souvenir des saints qui les illustregraverent premiers apocirctres de la foi martyrs eacutevecircques solitaires de la montagne ou de la forecirct Car ce ne sont pas les saints connus de la chreacutetienteacute tout entiegravere que repreacutesentent le plus volontiers nos artistes du XII

e siegravecle mais les saints provinciaux les saints locaux de lagrave linteacuterecirct de ces images qui ont pour

nous le charme dune flore indigegravene Cette histoire dailleurs nest bien souvent quune leacutegende Il y eut agrave diverses eacutepoques mais surtout au XI

e siegravecle un grand travail de creacuteation poeacutetique qui donna agrave

la vie de plusieurs de nos saints linteacuterecirct dun roman On fit aborder en France plusieurs personnages illustres de lEacutevangile auxquels on precircta des aventures nouvelles On multiplia les miracles Il se creacutea une sorte deacutepopeacutee chreacutetienne comparable aux Chansons de gestes qui naissaient alors Le geacutenie de cet acircge heacuteroiumlque et avide de merveilles sexprima agrave la fois par la leacutegende latine et par le poegraveme franccedilais Le saint et le heacuteros ces deux exemplaires supeacuterieurs de lhumaniteacute furent ceacuteleacutebreacutes avec la mecircme ferveur Si donc ces reacutecits ne nous apprennent rien sur les saints quils veulent glorifier ils nous apprennent beaucoup sur le moyen acircge lui-mecircme Il nous apparaicirct lagrave avec son profond ideacutealisme son asceacutetisme son deacutedain du reacuteel son ineacutebranlable conviction que la foi est la plus grande force de ce monde Ces leacutegendes aussi poeacutetiques parfois que les inventions de leacutepopeacutee eurent de bien autres conseacutequences elles creacuteegraverent des pegravelerinages elles firent surgir des eacuteglises elles les peuplegraverent dœuvres dart elles mirent en mouvement des millions dhommes Elles furent pour une foule dacircmes une consolation et une espeacuterance elles leur laissegraverent entrevoir degraves ce monde le regravegne de Dieu Commenccedilons par le Midi languedocien le pays de nos plus anciens sculpteurs ce voyage en France agrave la recherche des saints Toulouse avait conserveacute un profond souvenir de son premier apocirctre

FIGURE XLII (porte Miegravegeville - eacuteglise saint Sernin Toulouse)

[site consulteacute httppmaudefreefrSerninpresentationhtm - tympan sculpteacute occupeacute par un thegraveme unique celui

de lAscension Cette œuvre a justement eacuteteacute placeacutee au rang des chefs dœuvre de la sculpture romane Au centre

le Christ debout les mains leveacutees la tecircte tourneacutee vers le ciel est deacuterobeacute agrave la vue de ses disciples par les nueacutees deux anges laident agrave seacutelever tandis que quatre autres lacclament Sur le linteau les douze apocirctres gardent leurs

visages tourneacutes vers le ciel aux extreacutemiteacutes deux anges leur rappellent que lAscension est aussi la promesse du

Retour et du Royaume eacuteternel]

de ce Saturninus qui avait refuseacute lencens aux dieux de Rome un taureau furieux lavait traicircneacute ensanglanteacute sur les marches du Capitule Enseveli hors des murs saint Saturnin ou comme disait le peuple saint Sernin avait fait naicirctre une ville nouvelle autour de son tombeau La colossale eacuteglise Saint-Sernin la plus grande des eacuteglises romanes est le monument du heacuteros Mais on est surpris aujourdhui quand on visite leacuteglise de ny rencontrer aucune œuvre dart ancienne qui rappelle son souvenir Il nen eacutetait pas ainsi autrefois le pegravelerin qui arrivait devant le portail occidental eacutetait

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accueilli par un bas-relief du XIIe siegravecle repreacutesentant le martyr debout avec le taureau sous ses pieds

Mais deacutejagrave la leacutegende avait deacuteformeacute lhistoire Aux Actes de saint Sernin si sobres et dun caractegravere si antique des eacutepisodes nouveaux eacutetaient venus sajouter On racontait quil avait baptiseacute Austris la fille dAntoninus gouverneur de Toulouse qui dans la leacutegende nouvelle est devenu un roi Austris eacutetait leacutepreuse saint Sernin la gueacuterit en la plongeant dans la piscine baptismale On voyait donc au portail de leacuteglise un groupe repreacutesentant la jeune princesse baptiseacutee par saint Sernin Un autre bas-relief montrait le perseacutecuteur de lapocirctre le roi Antoninus assis sur son trocircne Ces œuvres quon peut imaginer fines et nerveuses comme toute la sculpture toulousaine du XII

e siegravecle ont disparu sans

laisser de trace et ne nous sont connues que par une ancienne description A lautre bout de la ville la catheacutedrale Saint-Eacutetienne perpeacutetuait de son cocircteacute le souvenir du premier eacutevecircque de Toulouse Dans le cloicirctre des chanoines un des plus anciens sanctuaires de lart franccedilais miseacuterablement deacutetruit en 1813 des statues du XII

e siegravecle sadossaient aux piliers ceacutetaient celles de saint Pierre de saint

Sernin de saint Exupegravere et dun diacre Saint Sernin eacutetait placeacute pregraves de saint Pierre parce que suivant la tradition qui avait preacutevalu alors lapocirctre de Toulouse avait reccedilu sa mission du premier des papes Ecce Saturninus quem miserat ordo latinus disait linscription laquo Voici saint Sernin envoyeacute par leacuteglise latine raquo Toulouse se donnait donc comme la fille spirituelle de Rome Saint Sernin eacutetait le heacuteros de la foi saint Exupegravere un de ses premiers successeurs eacutetait le heacuteros de la chariteacute En un temps de disette il avait vendu tous les ornements de leacuteglise et mecircme le calice et la pategravene pour nourrir les pauvres Lartiste de Toulouse lavait repreacutesenteacute un calice agrave la main ceacutetait le calice de verre qui avait remplaceacute le calice dargent pregraves de lui un diacre portait une pategravene dosier tresseacute sainte pauvreteacute des temps antiques qui touchait les cœurs Ainsi lart naissant avait voulu eacuteterniser la meacutemoire des deux plus grands saints de Toulouse on les y cherche vainement aujourdhui Mais ce quon ne trouve plus agrave Toulouse on le voit ailleurs car la gloire de saint Sernin rayonnait au loin Entre Carcassonne et lancien eacutevecirccheacute dAlet seacutelegraveve cacheacutee au fond dune valleacutee lancienne abbaye de Saint-Hilaire Ici un preacutecieux monument du passeacute nous a eacuteteacute fidegravelement conserveacute Un sarcophage du XII

e siegravecle sculpteacute sur toutes ses faces raconte le martyre de saint Sernin On le voit saisi par les

paiumlens au moment ougrave il annonce lEacutevangile Puis il est attacheacute au taureau quun bourreau excite de laiguillon des becirctes au visage presque humain grimacent autour du saint et semblent incarner la feacuterociteacute du vieux monde pendant que deux femmes contemplent le martyr avec attendrissement Ce sont les deux vierges saintes laquo les saintes puelles raquo qui vont lensevelir celles-lagrave mecircmes quon honorait sur la route de Carcassonne agrave Toulouse au Mas-Saintes-Puelles Bien loin de Saint-Hilaire de lautre cocircteacute de Toulouse le cloicirctre de Moissac ceacutelegravebre lui aussi la gloire de saint Sernin un chapiteau lui est consacreacute Le juge assis sur son siegravege vient de condamner

FIGURE XLIII (sarcophage ancienne abbaye de saint Hilaire)

[de cette scegravene lhermeacutetiste retiendra quelle sapparente agrave une autre ougrave la leacutegende affirme que Zeacutethos et

Amphion tuegraverent Lycos fils de Cadmos et attachegraverent son eacutepouse Dirceacute par les cheveux aux cornes dun

taureau sauvage qui la traicircna sur les rochers jusquagrave ce que mort sensuive On ajoute quAmphion fut tueacute par les

traits justiciers dApollon et dArteacutemis pour avoir insulteacute leur megravere Leacuteto cf reacutebus de saint Greacutegoire-sur-Viegravevre]

lapocirctre et deacutejagrave il a eacuteteacute attacheacute aux cornes du taureau Le Capitole est repreacutesenteacute sous laspect dune haute tour agrave eacutetages elle fait penser agrave la forteresse qui dominait Toulouse au moyen acircge agrave ce chacircteau narbonnais quon attribuait aux Romains Sur une autre face du chapiteau la main de Dieu sort du ciel pour recueillir lacircme du martyr Il subsiste donc encore on le voit quelques-unes des œuvres que lart du Midi avait consacreacutees agrave saint Sernin Si nous descendons la Garonne vers

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Bordeaux nous peacuteneacutetrons dans une province ougrave reacutegnaient dautres saints LAgenais eacutetait le domaine de sainte Foy de saint Caprais de saint Vincent martyrs de la grande perseacutecution de Diocleacutetien La jeune sainte Foy ameneacutee devant le gouverneur romain refusa de sacrifier cest pourquoi elle fut eacutetendue sur un gril de fer rouge puis deacutecapiteacutee Le courage de cette enfant de douze ans inspira des remords au pasteur du troupeau agrave saint Caprais qui seacutetait reacutefugieacute dans une grotte de la montagne Il assistait de loin au combat de la sainte et voyait dit la leacutegende des anges tenant une couronne au-dessus de sa tecircte Il se preacutesenta donc reacutesolument au gouverneur se proclama chreacutetien et livra sa tecircte au bourreau Quant agrave saint Vincent dont une leacutegende tardive fait le successeur de saint Caprais il voulut mettre fin au culte de Belenus et il arrecircta la roue enflammeacutee symbole du soleil que lon faisait descendre chaque anneacutee sur la pente de la colline Traicircneacute devant le magistrat romain il fut battu de verges et deacutecapiteacute On sattendrait agrave rencontrer agrave Agen au lieu mecircme du martyre de sainte Foy quelque belle œuvre de la sculpture romane consacreacutee agrave la jeune sainte mais au XIe siegravecle ses reliques convoiteacutees depuis longtemps comme un treacutesor sans prix furent deacuterobeacutees par un moine de Conques et emporteacutees dans les montagnes du Rouergue Cest Conques qui va

devenir deacutesormais le centre du culte de sainte Foy et nous allons ly retrouver tout agrave lheure Agen ne nous montre plus aujourdhui quun chapiteau consacre agrave saint Caprais dans leacuteglise qui lui est deacutedieacutee Le saint est deacutecapiteacute devant le gouverneur romain Dacien une inscription deacutesigne chaque personnage par son nom Dacianus miles sanctas Caprasius et un vers latin indique le rocircle de chacun Praecipit occidit moritur cœlestia scandit Dacien est lagrave pour ordonner le soldat pour tuer saint Caprais pour mourir Lart noublia pas non plus saint Vincent Ses reliques furent longtemps conserveacutees dans la ville gallo-romaine de Pompejac qui devint le Mas dAgenais un magnifique sarcophage du V

e siegravecle quon y voit encore passe pour avoir eacuteteacute son tombeau Or dans leacuteglise du

Mas un chapiteau roman repreacutesente un martyr agrave genoux deacutecapiteacute par la main du bourreau Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en ce lieu elle ne saurait repreacutesenter autre chose que la mort de saint Vincent Ses reliques il est vrai neacutetaient plus alors au Mas elles avaient eacuteteacute transporteacutees agrave Conques agrave leacutepoque des incursions normandes toutefois le souvenir de saint Vincent eacutetait demeureacute vivant au Mas dAgenais et son culte continuait agrave y ecirctre ceacuteleacutebreacuteAu temps des rois wisigoths Euric et Alaric la Gascogne eut une nouvelle geacuteneacuteration de martyrs Les Wisigoths eacutetaient ariens et perseacutecutaient les catholiques quils obligeaient agrave se convertir agrave leur symbole sous peine de mort Les vieux livres liturgiques et les leacutegendes populaires perpeacutetuegraverent le souvenir de quelques-uns de ces martyrs Un des plus fameux fut saint Maurin jeune apocirctre qui loin de dissimuler sa foi la proclamait sur la place publique de Lectoure Il fut deacutecapiteacute sur lordre du roi Alaric et la tradition rapportait quon lavait vu porter sa tecircte jusquagrave la fontaine Militane Les artistes nauraient peut-ecirctre jamais illustreacute sa meacutemoire sil ne seacutetait fondeacute aux confins de lAgenais et du Quercy une abbaye sous son nom Leacuteglise de Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) nest plus aujourdhui quune ruine mais deux de ses colonnes sont encore couronneacutees de deux beaux chapiteaux romans ougrave lon retrouve le style de Toulouse et de Moissac Sur lun deux un martyr porte sa tecircte dans ses mains une chreacutetienne inclineacutee devant lui sapprecircte agrave recevoir sa tecircte sur un voile Le vocable de leacuteglise deacutedieacutee agrave Saint-Maurin ne permet pas dheacutesiter sur le sens de la scegravene Voilagrave agrave peu pregraves tout ce que nous offre cette vaste reacutegion du Midi Elle a ducirc ecirctre autrefois incomparablement plus riche en images de saints la grande eacutecole toulousaine yavait sans aucun doute prodigueacute ses chefs-dœuvre mais le temps ne les a pas respecteacutes Aucun pays na eacuteteacute au XII

e siegravecle plus feacutecond que la belle plaine qui se deacuteroule

dans la lumiegravere jusquaux Pyreacuteneacutees sorte de Lombardie de la France mais aucun pays na eacuteteacute plus souvent deacutevasteacute La guerre des Albigeois la guerre de Cent ans les guerres de religion y ont accumuleacute tant de ruines que lon admire quil y reste encore quelques teacutemoignages de ce qua eacuteteacute le geacutenie du Midi II faut aller jusquaux Pyreacuteneacutees pour retrouver les saints Ces poeacutetiques montagnes eurent leur leacutegende doreacutee elles eurent leurs martyrs leurs vieux eacutevecircques leurs ermites Plusieurs sans doute furent ceacuteleacutebreacutes par lart mais bien peu de ces œuvres subsistent aujourdhui A lentreacutee des valleacutees pyreacuteneacuteennes agrave Foix une abbaye jadis ceacutelegravebre portait le nom dun martyr de la perseacutecution arienne saint Volusien Son eacuteglise a eacuteteacute agrave presque entiegraverement refaite et son cloicirctre roman complegravetement deacutetruit Un hasard pourtant nous a rendu un de ses chapiteaux historieacutes Ce chapiteau est fort inteacuteressant car il nous raconte justement un eacutepisode de lhistoire de saint Volusien Volusien eacutevecircque deTours eacutetait le sujet dAlaric roi des Wisigoths dont le vaste royaume seacutetendait jusquagrave la Loire Soupccedilonneacute de favoriser les desseins de Clovis qui preacuteparait une expeacutedition contre les ariens du Midi il fut sur lordre dAlaric arracheacute agrave son siegravege de Tours et conduit agrave Toulouse A Toulouse il fut traiteacute comme un malfaiteur on lui lia les mains et on lemmena vers lEspagne Mais en arrivant au pied des montagnes les soldats qui le conduisaient lui ordonnegraverent de sagenouiller dans un champ et lui tranchegraverent la tecircte Le chapiteau nous montre Volusien les mains lieacutees et la corde au cou entraicircneacute par ses bourreaux On ne voit pas sa mort ni les frecircnes qui poussegraverent

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miraculeusement sur le lieu de son supplice mais on voit la vengeance du ciel Lautre face du chapiteau en effet repreacutesente larmeacutee victorieuse de Clovis assieacutegeant Toulouse plus loin la ville est prise et les vainqueurs en deacutemolissent les murs Ce preacutecieux monument est conserveacute au Museacutee de Foix et il meacuterite de lecirctre car Foix est une creacuteation des reliques de saint Volusien la ville est neacutee autour du monastegravere qui gardait le tombeau du martyr En entrant dans la montagne on voit seacutelever au-dessus

de la valleacutee de Luchon une eacuteglise romane deacutedieacutee agrave saint Aventin Les chapiteaux du portail retracent son histoire Saint Aventin est un ermite du VIII

e siegravecle qui vivait dans la solitude sans autre socieacuteteacute

que celle des ours de la forecirct Parfois il quittait sa cabane pour enseigner leacutevangile aux montagnards toujours attacheacutes agrave leurs anciens dieux tous lentouraient de respect Mais les Arabes qui parcouraient alors le Midi entendirent parler de ce propagateur de la foi chreacutetienne Ils se mirent agrave sa recherche et quand ils eurent deacutecouvert sa retraite ils semparegraverent de lui et lui tranchegraverent la tecircte Les chapiteaux racontent la naissance la vie et la mort du saint ermite comme beaucoup dautres saints il est repreacutesenteacute portant sa tecircte dans ses mains A labside un bas-relief nous montre le taureau qui retrouva le tombeau de saint Aventin dont on avait perdu le souvenir Puissance de lart chreacutetien Une eacuteglise accrocheacutee au rocher perpeacutetue depuis pregraves de huit cents ans la meacutemoire dun pauvre ermite inconnu Cest dans une reacutegion voisine de Luchon que seacutelegraveve au sommet dune acropole la catheacutedrale de Saint-Bertrand-de-Comminges Elle est du XIV

e siegravecle mais le portail et

le rude clocher qui le domine sont du XIIIe Un beau tympan de leacutecole toulousaine repreacutesente

lAdoration des Mages agrave lextreacutemiteacute de ce tympan derriegravere la Vierge un eacutevecircque fait face au spectateur il legraveve la main droite pour beacutenir et tient la crosse de la main gauche Quel est ce mysteacuterieux personnage introduit par lartiste dans une scegravene sacreacutee

FIGURE XLIV (eacuteglise saint Bertrand-de-Comminges tympan)

Les archeacuteologues ont nommeacute agrave tout hasard saint Sernin pourtant en ce lieu un autre nom simpose au souvenir Cest agrave la fin du XI

e siegravecle en effet que le petit-fils des comtes de Toulouse leacutevecircque

saint Bertrand releva de ses ruines la ville antique de Lugdunum Convenarum devenue une solitude il rappela les habitants rebacirctit leacuteglise et fit fleurir le deacutesert Il fut le second fondateur de la citeacute qui prit son nom On ne saurait douter que ce grand eacutevecircque mdash auquel par surcroicirct on attribuait le don des miracles mdash nait eacuteteacute repreacutesenteacute au portail de sa catheacutedrale Saint Bertrand mourut en 1123 Son image dut ecirctre sculpteacutee peu danneacutees apregraves sa mort dans un temps ougrave son souvenir eacutetait encore vivant dans toutes les meacutemoires Elle est certainement anteacuterieure agrave 1179 date de la canonisation du saint car il est repreacutesenteacute sans nimbe Cette effigie dun grand homme qui neacutetait pas encore un saint est fort inteacuteressante il a fallu un vif mouvement denthousiasme pour quon ait oseacute repreacutesenter un contemporain un homme que tous avaient connu agrave cocircteacute de la Vierge et des rois Mages Ces hautes Pyreacuteneacutees neacutetaient pas alors une barriegravere entre la France et lEspagne Les saints franccedilais eacutetaient veacuteneacutereacutes dans lEspagne du nord les saints espagnols dans la France du midi Il est curieux de retrouver ccedila et lagrave des traces de ce culte que les eacuteglises meacuteridionales avaient voueacute aux saints dau delagrave des monts Un chapiteau du cloicirctre de Moissac repreacutesente le martyre des trois saints de Tarragone Fructueux Augure et Euloge Ces illustres chreacutetiens du III

e siegravecle ceacuteleacutebreacutes par saint

Augustin et par Prudence sont repreacutesenteacutes avec le costume du XIIe Leacutevecircque Fructueux porte la

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crosse et la mitre les diacres Auguste et Euloge ont la dalmatique et le manipule Le proconsul Aemilianus gouverneur de la Tarraconaise est assis sur son trocircne et il a pregraves de lui comme un baron feacuteodal un joueur de rote Cest le moment ougrave seacutechangent entre AEmilianus et Fructueux les paroles ceacutelegravebres laquo Je suis eacutevecircque du Christ dit Fructueux mdash Dis que tu las eacuteteacute raquo reacutepond AEmiIianus et il lenvoie au supplice avec ses deux compagnons Une autre face du chapiteau montre les trois saints en priegravere au milieu de leur bucirccher et plus loin les anges emportant leur acircme au ciel dans une gloire La preacutesence dans labbaye de Moissac de quelque insigne relique des martyrs de Tarragone explique sans doute pourquoi les moines voulurent avoir sans cesse sous les yeux leur histoire Des reliques retrouveacutees il y a quelques anneacutees dans lautel de leacuteglise de Valcabregravere (Haute-Garonne) ont fait deviner les noms de trois des statues qui en ornent le portail elles repreacutesentent le diacre saint Eacutetienne et deux saints espagnols saint Just et saint Pasteur Ceacutetaient deux eacutecoliers de Complutum qui sappela plus tard Alcala de Henares au temps de la perseacutecution de Diocleacutetien ils comparurent devant le preacutefet Dacien qui les fit battre de verges et mettre agrave mort Prudence a ceacuteleacutebreacute leur courage Lartiste connaissait fort bien leur histoire car il sest efforceacute de leur donner un air de

jeunesse au-dessus de leur tecircte des chapiteaux racontent leur martyre un des saints est attacheacute a un arbre pour ecirctre flagelleacute lautre est deacutecapiteacute Dans le cloicirctre de marbre dEIne [Pyreacuteneacutees-Orientales] non loin de la grande route romaine qui -conduisait en Espagne on ne seacutetonne pas de rencontrer une sainte espagnole un des chapiteaux repreacutesente le martyre de sainte Eulalie patronne de la catheacutedrale dElne La jeune sainte de Meacuterida eacutetait deacutejagrave ceacutelegravebre en France puisque le plus ancien de nos poegravemes en langue romane lui est consacreacute Voilagrave agrave peu pregraves tout ce qui subsiste dans le Sud-Ouest des œuvres que le XII

e siegravecle avait consacreacutees aux saints de la France meacuteridionale et de

lEspagne

II

En peacuteneacutetrant dans lAquitaine nous entrons dans le royaume de saint Martial Saint Martial fut veacuteneacutereacute de bonne heure comme lapocirctre du Limousin mais jusquau XI

e siegravecle on sut peu de chose de son

histoire Cest alors que fut eacutecrite sa merveilleuse leacutegende On lattribua agrave saint Aureacutelien le premier de ses successeurs cet Aureacutelien dont la chapelle seacutelegraveve aujourdhui au milieu de la rue des Bouchers agrave Limoges Ce reacutecit sembellit encore et il se forma autour de saint Martial tout un cycle de poeacutetiques leacutegendes Il ne fut plus un simple missionnaire il devint un contemporain un disciple du Christ tout enfant il avait entendu sa parole Cest de lui que le Christ avait dit laquo Quiconque ne ressemble pas agrave cet enfant nentrera pas dans le royaume des cieux raquo II avait assisteacute agrave la multiplication des pains au lavement des pieds agrave la Cegravene Plus tard il avait accompagneacute saint Pierre agrave Rome Saint Pierre lui donna son bacircton et lenvoya eacutevangeacuteliser la Gaule avec ce fameux bacircton qui fut longtemps conserveacute dans leacuteglise Saint-Seurin de Bordeaux saint Martial ressuscitait les morts Il entra en conqueacuterant dans lAquitaine partout ougrave il passait une eacuteglise naissait Il fut le fondateur non seulement de leacuteglise de Limoges mais de celles de Bourges de Poitiers de Saintes de Bordeaux de Cahors de Tulle de Rodez dAurillac de Mende du Puy Les premiers eacutevecircques de ces villes quon en avait cru les apocirctres neacutetaient que ses disciples De poeacutetiques personnages accompagnent saint Martial Il eacutetait venu en Gaule - disait-on - avec sainte Veacuteronique qui avait essuyeacute la face du Sauveur sur le chemin du Calvaire et avec saint Amateur que lon confondra plus tard avec le Zacheacutee de lEacutevangile ce Zacheacutee agrave qui le Christ avait parleacute Veacuteronique et Amateur qui avaient vu qui avaient entendu le Verbe ne purent se reacutesigner agrave vivre dans la socieacuteteacute des hommes ils senfermegraverent tous les deux dans la solitude Saint Amateur se retira dans la profonde valleacutee ougrave seacuteleva plus tard le sanctuaire de Rocamadour quant agrave Veacuteronique elle bacirctit son ermitage dans le deacutesert de Soulac au bord de lOceacutean La leacutegende nous montre encore aupregraves de saint Martial une jeune vierge sainte Valeacuterie Elle appartenait agrave une des plus illustres familles du pays des Leacutemovices et eacutetait fianceacutee au proconsul romain mais elle avait entendu saint Martial et reccedilu le baptecircme elle aspirait agrave la perfection Elle refusa deacutepouser le proconsul qui dans sa colegravere la fit mettre agrave mort Un centurion lui trancha la tecircte la sainte la prit dans ses mains et alla la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacuteleacutebrait la messe dans leacuteglise de Limoges Les visiteurs du palais des papes dAvignon connaissent les deacutelicieuses fresques de Matteo de Viterbe ougrave lon voit se deacuterouler toute cette histoire de saint Martial sous un ciel dazur Il ne faut pas attendre du XII

e siegravecle des œuvres dun charme aussi peacuteneacutetrant Dailleurs saint Martial qui a

tenu tant de place dans limagination des hommes du XIIe siegravecle na laisseacute que peu de traces dans

lart de ce temps Beaucoup doeuvres sans aucun doute ont disparu La grande eacuteglise abbatiale de Limoges ougrave seacutelevait son tombeau cette fameuse eacuteglise Saint-Martial qui attirait tant de pegravelerins fut deacutetruite avec toutes ses œuvres dart au temps de la Reacutevolution perte irreacuteparable pourliconographie de saint Martial La fresque y racontait-elle sa leacutegende On peut le croire car dans leacuteglise qui preacuteceacuteda celle-lagrave on pouvait voir au teacutemoignage dAdheacutemar de Chabannes des

peintures murales qui retraccedilaient sa vie Degraves la fin du Xe siegravecle un moine orfegravevre de labbaye avait

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fait pour lautel une statue dor de saint Martial qui le repreacutesentait assis beacutenissant de la main droite et portant le livre de la main gauche Il est probable que dans beaucoup deacuteglises qui se glorifiaient devoir eacuteteacute fondeacutees par saint Martial on voyait quelque œuvre dart rappelant son apostolat A Toulouse la leacutegende allait jusquagrave associer saint Martial agrave saint Sernin dans la preacutedication de lEacutevangile cest pourquoi au portail de leacuteglise Saint-Sernin saint Martial eacutetait repreacutesenteacute sa statue reacutepondait agrave celle de saint Sernin et pregraves delle on lisait cette inscription Hic socius socio subvenit auxilio Ainsi au teacutemoignage mecircme des clercs de Toulouse gardiens du tombeau de saint Sernin leur saint patron avait eacuteteacute secondeacute dans son œuvre par le grand saint Martial disciple du Seigneur A lautre extreacutemiteacute de lAquitaine aux confins du Berryon voit encore dans leacuteglise romane de Meacuteobecq (Indre) une peinture murale du XII

e siegravecle qui repreacutesente saint Martial Les moines de Meacuteobecq en

effet racontaient que saint Martial dans ses voyages eacutevangeacuteliques eacutetait venu jusque-lagrave Il subsiste probablement plus dune œuvre du XII

e siegravecle ougrave nous ne savons plus aujourdhui reconnaicirctre saint

Martial A la faccedilade de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers on voit sous des arcatures agrave cocircteacute des douze apocirctres deux eacutevecircques il est probable que lun deux est saint Martial fondateur suivant la leacutegende de leacuteglise de Poitiers et presque eacutegal en digniteacute aux apocirctres Quelques œuvres de la fin du XIIe siegravecle nous offrent les plus anciennes repreacutesentations de la leacutegende de saint Martial ce sont des chacircsses eacutemailleacutees provenant des ateliers de Limoges Sur lune delles [Collection Marlin-Leroy t I PI XV Le fond vermiculeacute les costumes le style indiquent le XIIe siegravecle] saint Martial ressemble agrave

FIGURE XLV (bible de saint Martial)

un apocirctre et comme les apocirctres il a les pieds nus mdash privilegravege exceptionnel et signe de sa haute mission Il porte agrave la main le fameux bacircton il lui suffit de le preacutesenter agrave un posseacutedeacute aux cheveux heacuterisseacutes pour quaussitocirct le deacutemon seacutechappe par sa bouche Ce miracle frappa dadmiration sainte Valeacuterie et la disposa agrave recevoir le baptecircme Sur lautre face de la chacircsse en effet elle sagenouille devant saint Martial qui la beacutenit mais deacutejagrave le proconsul ordonne au bourreau de la mettre agrave mort Une autre chacircsse du mecircme temps repreacutesente le centurion conduisant sainte Valeacuterie au supplice [Ancienne colleclion Soltykoff voir Rupin lŒuvre de Limoges p 403] La jeune sainte porte encore la robe collante aux manches deacutemesureacutees des plus anciennes statues de Chartres Le bourreau lui tranche la tecircte mais elle la prend dans ses mains et va la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacutelegravebre la messe un ange vole au-dessus delle et par un charmant artifice la tecircte de lange tient la place de la tecircte de la sainte Sainte Valeacuterie est ici lheacuteroiumlne queceacutelegravebre lartiste et cest sans aucun doute une de ses reliques que contenait la chacircsse Sainte Valeacuterie en effet fut presque aussi populaire que saint Martial lui-mecircme Quand les comtes de Poitiers venaient se faire sacrer ducs dAquitaine agrave Limoges leacutevecircque leur preacutesentait la couronne et leacutepeacutee puis le doyen du chapitre leur mettait au doigt lanneau de sainte Valeacuterie ceacutetaient les fianccedilailles du duc et de leacuteglise dAquitaine dont Valeacuterie eacutetait le plus pur symbole Cest pourquoi les œuvres dart qui la repreacutesentent - trop rares aujourdhui - nous touchent comme une poeacutetique image du passeacute Non loin de Bellac lantique eacuteglise Saint-Pierre-de-la-Treacutemouille conserve quelques restes dune fresque du XII

e siegravecle deux saintes apparaissent encore dont on peut

lire les noms ce sont sainte Valeacuterie et sainte Radegonde [Voir un dessin de la fresque dans le Bullet de la Socieacuteteacute des antiq de lOuest 1912 p 633] La leacutegende doreacutee du Poitou sunit lagrave agrave celle du Limousin Le monastegravere de Chambon-sur-Voueyze (Creuse) agrave lextreacutemiteacute de la Marche fut un des foyers du culte de sainte Valeacuterie Il posseacutedait une partie de ses reliques mais le charmant buste dargent qui les contient aujourdhui ne remonte quau XV

e siegravecle il repreacutesente la jeune martyre avec

une couronne et un riche collier Dans la vieille eacuteglise romane de Chambon aucune des œuvres qui furent consacreacutees au XII

e siegravecle agrave sainte Valeacuterie ne sest conserveacutee mais ce quon ne voit plus agrave

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Chambon on le voit un peu plus loin dans leacuteglise abbatiale dEacutebreuil en Bourbonnais Dans la tribune une peinture murale du XII

e siegravecle repreacutesente agrave cocircteacute du martyre de saint Pancrace dont leacuteglise avait

sans doute quelque relique le martyre de sainte Valeacuterie Cest ici la limite ougrave sarrecirctait la gloire de la sainte Les autres compagnons de saint Martial saint Amateur et sainte Veacuteronique ceacutelegravebres degraves le XIIe siegravecle ont inspireacute des oeuvres dart que le temps a presque complegravetement deacutetruites Rocamadour trop souvent saccageacute ne nous montre plus le fondateur du sanctuaire saint Amateur que le peuple appe- lait saint Amadour mais on y voit encore la Vierge de bois recouverte jadis de plaques dargent quon disait faite de sa main [ Elle ne remonte pas plus haut que le XIIIe siegravecle Revue de lart chreacutetien 1892 p 7 et suiv] Un monastegravere seacuteleva agrave Soulac pregraves du tombeau de sainte Veacuteronique Leacuteglise qui contenait les reliques de la sainte sappelait Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres on eacutetait lagrave en effet agrave une des extreacutemiteacutes du monde au bord de linconnu Un vaste deacutesert de sables et la rumeur lointaine du grand Oceacutean alors sans limites donnaient au lieu une religieuse beauteacute La dune pousseacutee par le vent envahit peu agrave peu le monastegravere et finit par le recouvrir En 1860 des fouilles

firent reparaicirctre leacuteglise romane qui sortit de son linceul de sable comme un temple de la Haute-Egypte On remarqua alors deux chapiteaux qui deacutecoraient lentreacutee de la chapelle deacutedieacutee jadis agrave sainte Veacuteronique lun repreacutesente un tombeau lautre des pegravelerins debout des deux cocircteacutes dun autel sur lequel repose une chacircsse Ce sont suivant toutes les vraisemblances le tombeau et la chacircsse de sainte Veacuteronique quiattiraient tant de pegravelerins agrave Soulac Cest ainsi que du Bourbonnais agrave lOceacutean du Berry agrave Toulouse a rayonneacute la leacutegende de saint Martial et de ses compagnons Le centre de lancienne Aquitaine avec ses valleacutees profondes et ses riviegraveres rapides a toutes les beauteacutes dune nature primitive mais cest un pays de granit ougrave la pierre reacutesiste au travail du ciseau Aussi nest-ce pas par les sculpteurs que les saints y furent ceacuteleacutebreacutes mais par les orfegravevres Degraves la fin du X

e siegravecle

plusieurs eacuteglises dAquitaine avaient des images dor dargent ou de cuivre de leurs saints patrons images qui eacutetaient en mecircme temps des reliquaires Eacutecoutons leacutecolacirctre dAngers Bernard qui parcourut le Plateau Central dans les premiegraveres anneacutees du XIe siegravecle

laquo Jusquici dit-il il me semblait que les saints ne devaient recevoir dautres honneurs que ceux du dessin ou de la peinture il me semblait absurde et impie de leur eacutelever des statues Mais tel nest pas le sentiment des habitants de lAuvergne du Rouergue de la reacutegion toulousaine et des pays voisins Chez eux cest une antique habitude que chaque eacuteglise possegravede une statue de son patron Suivant les ressources de leacuteglise cette statue est dor dargent ou dun meacutetal moins preacutecieux on y enferme le chef ou quelque insigne relique du saint [Liber miracul sanctae Fidis publieacute par labbeacute Bouillet Lib I cap XIII] raquo

Ainsi lhomme du Nord en entrant dans le Midi deacutecouvrait une autre France Bernard nous a fait connaicirctre quelques-unes de ces statues Au synode de Rodez on en avait apporteacute plusieurs sur la prairie aux portes de la ville chacune delles sabritait sous une tente et elles formaient une assembleacutee plus imposante que celle des eacutevecircques Ceacutetait laquo la majesteacute dor raquo de saint Marins patron de labbaye de Vabres en Rouergue laquo la majesteacute dor raquo de saint Amand deuxiegraveme eacutevecircque de Rodez laquo la majesteacute dor raquo de sainte Foy de Conques et enfin pregraves de la chacircsse dor de saint Sernin laquo la majesteacute dor raquo de la Vierge En descendant vers le Midi Bernard avait deacutejagrave rencontreacute laquo la majesteacute raquo de saint Geacuteraud ce jeune chevalier devenu moine qui avait donneacute son nom agrave la grande abbaye dAurillac Mais il ne semble pas avoir vu laquo la majesteacute raquo de saint Martial dans labbaye de Limoges Il subsiste encore aujourdhui quelques-unes de ces eacutetranges statues La laquo majesteacuteraquo de sainte Foy est toujours agrave Conques comme au temps de leacutecolacirctre Bernard mais on ne reconnaicirct guegravere dans cette idole doreacutee la jeune martyre dAgen dont nous avons raconteacute lhistoire La sainte assise sur son trocircne eacutetincelle dor et de pierreries elle porte une couronne fermeacutee dune forme tregraves antique de longues boucles doreilles

pendent sur ses eacutepaules de chaque main elle tient deacutelicatement entre deux doigts deux petits tubes ougrave lon mettait des fleurs de beaux cameacutees antiques sont incrusteacutes ccedila et lagrave dans le meacutetal de sa robe Ne pouvant la faire belle lartiste lavait faite si riche quelle inspirait un religieux effroi mais il y avait autour delle une aureacuteole de miracles plus eacuteclatante encore que le rayonnement de lor Un fleacuteau deacutevastait-il les environs un diffeacuterend seacutelevait-il entre deux villes un baron disputait-il agrave labbaye un de ses domaines aussitocirct la statue de la sainte sortait du sanctuaire Elle eacutetait porteacutee par un cheval choisi dont le pas eacutetait tregraves doux Autour delle de jeunes clercs faisaient retentir des cymbales et reacutesonner des cors divoire Elle savanccedilait avec majesteacute comme jadis la Magna Mater au temps ougrave ces montagnes eacutetaient paiumlennes Partout ougrave elle passait elle reacutetablissait la concorde faisait reacutegner la paix les miracles eacuteclataient si nombreux quagrave peine les moines avaient-ils le temps de les eacutecrire La sainte se plaisait surtout agrave deacutelivrer les prisonniers au portail de Conques on la voit

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prosterneacutee devant la main de Dieu elle prie sans aucun doute pour les captifs car des fers sont suspendus en ex-voto derriegravere elle La statue de sainte Foy fut porteacutee bien au delagrave des limites du Rouergue on la vit en Auvergne et dans le pays albigeois On lui dressait tous les soirs une tente et sur la tente on eacutelevait un berceau de verdure Combien il est heureux que laquo la majesteacute raquo de sainte Foy se soit conserveacutee intacte agrave travers tant de siegravecles Comme ce bloc dor nous illumine le haut moyen acircge Comme il nous fait comprendre ce quil y avait de mysteacuterieux et de redoutable dans le pouvoir du saint La statue de sainte Foy est unique de richesse il subsiste dans ces reacutegions deux autres images de saints qui sont plus simples et un peu moins anciennes Lune se conserve dans leacuteglise du Monastier antique abbaye perdue dans les solitudes du Velay Cest une statue agrave mi-corps faite de plaques dargent releveacutee de cabochons elle repreacutesente un saint aux yeux saillants au nom farouche saint Chaffre Chaffre est la forme populaire de Theofredus Saint Chaffre est un martyr du temps de linvasion sarrasine Abbeacute du Monastier il donna agrave ses moines lordre de senfuir et resta seul en face des Arabes Battu de verges il fut laisseacute mourant dans son eacuteglise mais le lendemain se soutenant agrave peine il se preacutesenta au milieu dune fecircte devant les imans et commenccedila agrave leur prouver quils nadoraient pas le vrai Dieu ses bourreaux lachevegraverent Comme celle de sainte Foy la statue de saint Chaffre contenait des reliques qui la rendaient plus veacuteneacuterable

FIGURE XLVI (saint Chaffre)

La statue de saint Chaffre est peut-ecirctre du XIe siegravecle celle de saint Baudime deacutejagrave plus savante doit

ecirctre du XIIe Elle se conserve dans leacuteglise de Saint-Nectaire et perpeacutetue le souvenir dun des

premiers missionnaires de la foi en Auvergne Cest une statue agrave mi-corps comme celle de saint Chaffre elle nest pas en argent mais en cuivre repousseacute ciseleacute et doreacute La chevelure est faite de boucles parallegraveles comme celles dune tecircte grecque archaiumlque les yeux divoire agrave la prunelle de corne donnent agrave lapocirctre un regard seacutevegravere qui intimide Ces œuvres encore eacuteloigneacutees de la vie precirctent aux saints une majesteacute lointaine les entourent de mystegravere elles reacutepondent agrave merveille aux sentiments queacutevoquait alors la sainteteacute Ces statues reliquaires nombreuses jadis dans les provinces montagneuses du centre de la France semblent ecirctre lœuvre dartiste monastiques Il y avait agrave Conques un atelier dorfegravevrerie et cest probablement dans labbaye mecircme que la statue de sainte Foy a eacuteteacute faite au X

e siegravecle Mais vers le milieu du XII

e siegravecle les ateliers de Limoges

commencent agrave prendre la premiegravere place Cest Limoges qui va avoir la charge de ceacuteleacutebrer les saints de lAquitaine et bientocirct dune partie de la chreacutetienteacute alors commence agrave Limoges cette longue liturgie de plusieurs siegravecles en lhonneur des saints qui sexprime par le cuivre et leacutemail Les monuments de lorfegravevrerie limousine du XII

e siegravecle sont rares aujourdhui On voyait avant la Reacutevolution dans la

fameuse abbaye de Grandmont un des chefs-dœuvre de leacutecole une chacircsse eacutemailleacutee qui contenait les reliques de saint Eacutetienne de Muret le fondateur de lordre Toute la vie du saint y eacutetait raconteacutee Saint Eacutetienne neacute en Auvergne agrave Thiers appartenait au Limousin par ses vertus cest en effet dans la forecirct de Muret pregraves de Limoges quil avait veacutecu Il eacutetait naturel quil fucirct ceacuteleacutebreacute par les eacutemailleurs limousins Une plaque deacutemail du XII

e siegravecle aujourdhui au museacutee de Cluny est tregraves probablement un

deacutebris de la chacircsse de Grandmont Saint Eacutetienne de Muret qui avait fait un pegravelerinage agrave Bari voit le grand saint du lieu saint Nicolas lui apparaicirctre une inscription en franccedilais du sud de la Loire explique la scegravene La vie du saint se continuait raconteacutee dans tous ses deacutetails On devait voir comment saint Eacutetienne de Muret au moment ougrave il se consacra agrave la solitude mit un anneau agrave son doigt et placcedila sur sa tecircte lacte de renoncement quil venait deacutecrire laquo Ce sera dit-il mon bouclier au

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jour de ma mort raquo Ce geacutenie symbolique eacutetait en parfaite harmonie avec lart du XIIe siegravecle Nous

avons deacutejagrave parleacute des chacircsses ougrave saint Martial et sainte Valeacuterie sont ceacuteleacutebreacutes Il subsiste encore une magnifique chacircsse de la seconde partie du XII

e siegravecle consacreacutee agrave la gloire dun saint du centre de la

France par les eacutemailleurs limousins elle contient les reliques de saint Calmin et se conserve dans

leacuteglise de Mozat pregraves de Riom Saint Calmin qui fut au VIIe siegravecle gouverneur de lAuvergne du

Velay et du Geacutevaudan descendait de Calminius lami de Sidoine Apollinaire Un voyage agrave Leacuterins lui fit vivement sentir la beauteacute de la vie monastique Il ne fut peut-ecirctre jamais moine mais il fonda des monastegraveres en Velay dabord agrave Calminiacum puis dans le Limousin agrave Tulle enfin en Auvergne agrave Mozat Sa femme sainte Namadie prenait sa part de ses travaux et laidait de ses conseils Cest pourquoi un des eacutemaux nous montre les deux eacutepoux faisant construire Calminiacum qui sappellera plus tard le Monastier cest labbaye quillustrera saint Chaffre On les voit ensuite faisant eacutelever le monastegravere de Tulle puis celui de Mozat des maccedilons preacuteparent le mortier montent agrave leacutechelle Labbaye nest pas encore termineacutee mais deacutejagrave leacuteglise est construite et le calice est sur lautel la maison de Dieu a donc eacuteteacute faite avant celle des moines Leur œuvre acheveacutee Calmin et Namadie meurent saintement leur acircme seacutelegraveve dans une aureacuteole et la main de Dieu sort du ciel Cette œuvre magnifique avive nos regrets Combien de chacircsses semblables ont disparu au temps ougrave ces treacutesors arracheacutes du sanctuaire se vendaient au poids du cuivre et devenaient des chaudrons Les quelques monuments de ce genre qui subsistent sont du XIII

e siegravecle ou des siegravecles suivants Parfois au milieu

des bruyegraveres et des bleacutes noirs en fleurs du Limousin on rencontre dans une eacuteglise de village une chacircsse eacutemailleacutee qui raconte lhistoire de saint Dulcide de saint Psalmet de lermite saint Viance Parfois un buste reliquaire repreacutesente le grave saint Eacutetienne de Muret lesclave saint Theacuteau racheteacute par saint Eacuteloi et orfegravevre comme son maicirctre labbeacute saint Yriex et lexquise sainte Fortunade Nous respirons un instant tout le parfum de passeacute et il y a beaucoup de fastueux chefs-dœuvre qui nous touchent moins que ces humbles merveilles

III

Dans limmense domaine de saint Martial le Poitou occupait une place agrave part il avait eu en effet au IVe siegravecle un des saints les plus illustres de la chreacutetienteacute saint Hilaire Celui-lagrave eacutetait un saint authentique que la leacutegende osa agrave peine effleurer il navait pas veacutecu dans le creacutepuscule des temps meacuterovingiens mais dans ce IVe siegravecle queacuteclaire encore la lumiegravere antique Dabord paiumlen marieacute avant decirctre eacutevecircque il avait eacuteteacute une fois devenu chreacutetien un des plus vaillants deacutefenseurs de lorthodoxie contre larianisme Ses livres mdash dit saint Jeacuterocircme mdash avaient la force irreacutesistible du Rhocircne Exileacute en Orient par un empereur arien il y eacutetudia les ouvrages dOrigegravene et fit connaicirctre agrave lEacuteglise des Gaules lexeacutegegravese alleacutegorique des Alexandrins Un tel saint eacutetait-il bien selon le cœur des pegravelerins du XII

e siegravecle qui passant par Poitiers pour aller agrave Saint-Jacques-

de-Compostelle sarrecirctaient agrave son tombeau On en pourrait douter si on ne savait que de nombreuses merveilles avaient mairfesteacute le pouvoir du saint apregraves sa mort et lui avaient creacuteeacute une leacutegende Cest au-dessus du tombeau de saint Hilaire quapparut cette colonne de feu qui guida Clovis avant la bataille de Vouilleacute Il est probable que ceacutetaient ces miracles qui avaient eacuteteacute peints de preacutefeacuterence dans leacuteglise de Saint-Hilaire de Poitiers un des sanctuaires les plus ceacutelegravebres de la France on pouvait voir il y a quarante ans quelques restes de ces fresques dans les absidioles Un seul monument rappelle aujourdhui dans leacuteglise la meacutemoire du grand docteur un chapiteau qui repreacutesente sa mort Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en un tel lieu on ne peut guegravere douter que le saint qui meurt entoureacute de ses diacres et dont les anges emportent lacircme au ciel ne soit saint Hilaire Dans cette œuvre tregraves gauche encore leacutemotion essaie de sinsinuer Leacuteonnius le disciple favori du saint se penche encore une fois sur le corps de son maicirctre et il exprime sa douleur en portant sa main agrave sa joue comme saint Jean au pied de la croix Mais il y a agrave Poitiers une autre eacuteglise du XII

e siegravecle consacreacutee agrave saint Hilaire Saint-Hilaire-de-la-Celle qui seacutelegraveve suivant la tradition

sur lemplacement de sa maison Vers la fin de sa vie apregraves la mort de sa femme et de sa fille le saint en fit un oratoire ougrave il aimait agrave se retirer Cest lagrave quil mourut en 368 et cest de lagrave quil fut porteacute agrave leacuteglise Saint-Jean-et-Saint-Paul construite au milieu de lantique cimetiegravere chreacutetien et qui prit alors son nom Jusquaux deacutevastations des protestants on vit dans leacuteglise Saint-Hilaire de la Celle un ceacutenotaphe ougrave la vie du saint eacutetait raconteacutee Il nen subsiste plus quun fragment qui repreacutesente la mort de saint Hilaire La scegravene est pleine de majesteacute saint Hilaire eacutetendu dans un sarcophage ouvert est dune taille colossale et semble dune autre race que le reste des hommes Derriegravere lui les clercs de son eacuteglise se tiennent debout aux deux extreacutemiteacutes deux diacres nimbeacutes sont agrave nen pas douter Leacuteonnius et Justus saint Lienne et saint Just comme on les appelait les plus chers disciples du maicirctre Cest agrave lun deux que saint Hilaire demanda avant de mourir si la nuit eacutetait silencieuse Au milieu de lassembleacutee deux anges apparaissent les ailes ouvertes ils sont descendus dans cette nuit religieuse pour recueillir lacircme du mort Cette grande maniegravere de composer et de sentir nous indique

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une eacutepoque deacutejagrave avanceacutee du XIIe siegravecle Mais ne voit-on agrave Poitiers que la mort de saint Hilaire Ny

trouve-t-on aucun trait de sa vie Un bas-relief qui appartient aujourdhui agrave la Socieacuteteacute des antiquaires de lOuest a longtemps deacutecoreacute leacuteglise deacutetruite de Sainte-Triaise Il repreacutesente saint Hilaire la crosse agrave la main consacrant agrave Dieu la vierge Troecia sainte Triaise Saint Hilaire avait pu admirer en Orient les commencements de la vie monastique et Troecia sa fille spirituelle est une des plus anciennes religieuses de la Gaule Elle veacutecut enfermeacutee dans sa cellule au milieu du cimetiegravere chreacutetien de Poitiers parmi les tombeaux comme une recluse de la Theacutebaiumlde La propre fille de saint Hilaire sainte Abra suivit lexemple de Troceia Son pegravere encouragea sa vocation dans une de ses lettres il lui promet une perle plus belle que celle que les vierges reccediloivent de leurs fianceacutes On montre encore dans leacuteglise Saint-Hilaire le couvercle du sarcophage de sainte Abra Ce nest pas en Poitou que lon trouve aujourdhui la plus curieuse repreacutesentation de la vie de saint Hilaire mais en Bourgogne Le sarcophage de sainte Abra (Saocircne-et- Loire) qui lui est deacutedieacutee raconte au linteau du portail le plus beau chapitre de son histoire On voit le saint arrivant au concile de Seacuteleucie pour lutter contres les eacutevecircques ariens Mais ici le moyen acircge a deacutejagrave fait son œuvre et la leacutegende a deacuteformeacute la veacuteriteacute Dans la seconde partie du bas-relief saint Hilaire est assis plus bas que les eacutevecircques cest que les ariens nont pas voulu lui faire de place parmi eux Du haut du ciel un ange lencense et le deacutesigne comme le champion de Dieu Le faux pape Leacuteon quitte le concile en prononccedilant contre le saint des paroles menaccedilantes mais Leacuteon meurt dune mort ignominieuse et les deacutemons semparent de son acircme Ce bas-relief inteacuteressant par son sujet est une œuvre inexpressive ougrave lon ne trouve ni le mouvement ni la vie de la grande sculpture bourguignonne Saint Hilaire que tant de pegravelerins venaient veacuteneacuterer dans son eacuteglise eacutetait le grand saint du Poitou mais beaucoup dautres saints moins illustres avaient inspireacute les artistes de ces reacutegions Si les fresques des abbayes poitevines seacutetaient aussi bien conserveacutees que celles de labbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) nous aurions une veacuteritable histoire eccleacutesiastique de la province

FIGURE XLVII (Larche de Noeacute peinture - abbatiale de saint Savin-sur-Gartempe)

A Saint-Savin en effet de grandes figures peintes dans la tribune non loin des scegravenes de la Passion repreacutesentent les saints eacutevecircques de Poitiers Des inscriptions encore visibles il y a quelques anneacutees deacutesignaient saint Geacutelasius et saint Fortunat le fameux eacutevecircque poegravete Dans la crypte le temps a respecteacute une partie des fresques consacreacutees agrave saint Savin le patron de labbaye et agrave son compagnon saint Cyprien Ce sont deux martyrs En vain furent-ils deacutechireacutes par des ongles de fer attacheacutes agrave la roue exposeacutes aux becirctes chaque fois par un miracle ils eacutechappegraverent agrave la mort Dans laregravene les lions mdash que le peintre a fait aussi inoffensifs que des chiens mdash viennent leur leacutecher les pieds Ce fut non loin de labbaye mdash disait la tradition mdash au bord de la Gartempe que les deux saints furent mis agrave mort par leurs perseacutecuteurs Ainsi les hautes antiquiteacutes du Poitou eacutetaient sans cesse

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preacutesentes aux visiteurs de labbaye Lart ressuscitait le passeacute le faisait vivre dans les imaginations Soyons sucircrs que dans toute leacutetendue du Poitou mdash une des reacutegions de la France ougrave la peinture monumentale a laisseacute le plus de traces mdash il y eut des sanctuaires ougrave lon pouvait comme agrave Saint-Savin apprendre lhistoire des saints de la province Les moines avaient eacuteprouveacute depuis longtemps la vertu eacuteducatrice de la peinture ils savaient sa puissance magique sur les foules illettreacutees Mais agrave Charroux agrave Saint-Jouin-de-Marnes agrave Airvault agrave Maillezais dans toutes ces abbayes illustres du Poitou il ne reste plus rien aujourdhui

IV

Le Berry avec ses plaines indeacutecises fut souvent consideacutereacute comme un fief de saint Martial car ceacutetait lui disait la tradition limousine qui avait fondeacute leacuteglise de Bourges Mais agrave cette leacutegende le Berry en opposait une autre celle de son premier apocirctre saint Ursin Ursin eacutetait le Nathanael de lEacutevangile cest lui qui le premier avait annonceacute la foi nouvelle agrave Bourges et il y avait apporteacute deux reliques sans prix la courroie qui attachait le Christ agrave la colonne et quelques gouttes du sang de saint Eacutetienne car Nathanael avait assisteacute au supplice du saint diacre Saint Ursin devenait donc presque

leacutegal en digniteacute de saint Martial Parmi les successeurs de saint Ursin plusieurs eacutevecircques de Bourges seacutetaient eacuteleveacutes agrave la sainteteacute par leurs vertus Le Berry avait eu aussi ses saints ermites parfois dans ce pays de mareacutecages et de grandes forecircts on rencontrait un homme de Dieu dans la solitude Beaucoup de ces saints qui vivaient dans la meacutemoire du peuple avaient ducirc ecirctre ceacuteleacutebreacutes par lart du XIIe siegravecle Les vieilles eacuteglises du Berry ne sont pas tregraves riches en œuvres de sculpture mais beaucoup de ces eacuteglises eacutetaient peintes Plus dune fresque se cache encore sous le badigeon et lon verra peut-ecirctre reparaicirctre un jour ces saints jadis fameux saint Sulpice saint Patrocle saint Venant saint Leacuteopardin saint Laurian et la bergegravere sainte Solange aussi ceacutelegravebre dans le Berry que sainte Valeacuterie leacutetait dans le Limousin Que nous reste-t-il donc aujourdhui On voit agrave lexteacuterieur de leacuteglise de Chacirctillon-sur-Indre (Indre) un bas-relief du XII

e siegravecle qui deacutecorait jadis le portail et qui est

encastreacute maintenant dans une fenecirctre haute du transept Il repreacutesente le Christ en majesteacute assis entre deux seacuteraphins au-dessous saint Austregisille reccediloit un flambeau de la main de saint Pierre Saint Austregisille que les bergers et les laboureurs appelaient saint Oustrille eacutetait eacutevecircque de Bourges au commencement du VII

e siegravecle Avant son entreacutee dans les ordres on lavait vu se rendre agrave Chalon pour

y combattre en champ clos eacutevecircque il conserva leacutenergie du soldat et il lutta sans cesse contre les rois meacuterovingiens et les agents de leur fisc Sa sainteteacute seacutetait manifesteacutee par de nombreux miracles agrave Chacirctillon un autre bas-relief dont il ne reste plus que linscription le montrait gueacuterissant une posseacutedeacutee Il est facirccheux que larchitecte qui restaura leacuteglise vers 1880 ait si mal placeacute lancien tympan car on ne peut plus distinguer aujourdhui saint Austregisille recevant de saint Pierre cest-agrave-dire de Rome le flambeau de la foi Leacuteglise de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) a heureusement conserveacute agrave leur place les rudes bas-reliefs qui furent consacreacutes agrave la gloire dEusitius ou saint Eusice Il y a plusieursbeaux traits dans la vie de saint Eusice Ses parents eacutetaient si pauvres quils furent obligeacutes de vendre un de leurs enfants comme esclave et ce fut saint Eusice qui se sacrifia pour ses fregraveres Esclave il saffranchit par la sainteteacute Sa reacuteputation eacutetait si grande que Childebert traversant le Berry pour aller combattre les Visigoths dEspagne voulut le voir et linterroger sur lavenir Il lui offrit cinquante sous dor laquo Donne cet argent aux pauvres lui dit Eusitius pour moi il me suffit de prier pour mes peacutecheacutes raquo puis il annonccedila au roi quil reviendrait victorieux Sa preacutediction saccomplit cest pourquoi agrave son retour Childebert sarrecircta pour revoir le saint Apregraves lui avoir donneacute le baiser de paix il lui offrit la moitieacute du butin quil rapportait dEspagne Il y avait dans le cortegravege du roi des prisonniers de guerre laquo lieacutes deux agrave deux dit lhagiographe comme des couples de chiens raquo Pour toute faveur saint Eusice demanda au roi de les deacutelivrer Chose eacutetrange ces beaux eacutepisodes ne figurent pas dans les bas-reliefs qui deacutecorent labside de Selles-sur-Cher Saint Eusice qui fut grand par la chariteacute nous apparaicirct lagrave comme un thaumaturge presque comme un magicien Il oblige les deacutemons agrave se rendre utiles sur son ordre ils sattellent agrave un char et transportent les pierres de leacuteglise Il se sert des

loups pour garder ses troupeaux Rien ne lui est impossible un jour quon lui a voleacute sa pelle de boulanger il entre dans le four brucirclant et y place tranquillement ses pains Voilagrave ce que nous montre labside de Selles-sur-Cher Ces miracles enchantaient le XII

e siegravecle souvent ceacutetait le peuple lui-

mecircme qui creacuteait cette feacuteerie il faisait de la vie des saints une chanson de la veilleacutee un conte dhiver Guibert de Nogent nous rapporte dans son De Pignoribus sanctorum que les femmes en tissant la toile chantaient les louanges de beaucoup de saints dont la vie eacutetait toute fabuleuse a et si lon veut les reprendre ajoute-t-il elles vous menacent de leurs navettes raquo Les bas-reliefs de Selles-sur-Cher teacutemoignent encore de cette passion du XII

e siegravecle pour le merveilleux

V

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Il est peu de saints plus poeacutetiques que les saints de lAuvergne Ce charme leur vient peut-ecirctre de leur premier historien Greacutegoire de Tours artiste sans le savoir qui ne nous montre pas ses heacuteros mais nous les laisse entrevoir dans un demi-jour plein de mystegravere Cest Injuriosus et Scolastica laquo les amants dAuvergne raquo dont un rosier reacuteunit les tombeaux ce sont les solitaires de la caverne et de la forecirct saint Eacutemilien saint Marien saint Lupicin saint Calupan qui renouvellent sous un ciel glaceacute les prodiges des anachoregravetes de lEgypte cest la vierge sainte Georges dont le convoi funegravebre fut escorteacute par un vol de colombes La sauvage nature qui les entoure reacutepand aussi sur eux un peu de son charme mdash ce charme que le deacutesert de la Chaise-Dieu communique agrave saint Robert le haut chacircteau de Mercœur et les laves de la valleacutee de la Couze agrave saint Odilon limmense forecirct du pays de Combrailles la Pontiacensis sylva aux vieux abbeacutes de Menacirct Le voyageur qui parcourt lAuvergne la meacutemoire remplie de la longue histoire de ses saints les cherche dans ses belles eacuteglises romanes mais il nen deacutecouvre quun bien petit nombre car le temps et les hommes nont pas eacuteteacute plus cleacutements agrave lAuvergne quagrave nos autres provinces Lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine reposa dabord dans leacuteglise dIssoire On avait perdu le souvenir de son tombeau lorsque des hommes vecirctus de blanc et portant des cierges qui apparaissaient la nuit dans leacuteglise en firent retrouver la place DIssoire le corps de saint Austremoine fut porteacute agrave Volvic Mais bientocirct ses reliques firent un dernier voyage elles allegraverent reposer dans labbaye de Mozat et Peacutepin le Bref suivant la tradition aurait porteacute lui-mecircme la chacircsse du saint sur ses eacutepaules On sera deacuteccedilu si on chercheagrave Issoire et agrave Volvic la trace de saint Austremoine on ne ly trouvera pas Mais agrave Mozat une œuvre dart rappelle son souvenir Sur un des cocircteacutes de la chacircsse de saint Calmin dont nous avons deacutejagrave parleacute un eacutevecircque la crosse en main est debout cest comme nous lapprend linscription Sanctus Austremonius saint Austremoine Mais il se pourrait que saint Austremoine fucirct repreacutesenteacute ailleurs encore On voit encastreacute dans un des murs de leacuteglise de Mozat le linteau dun ancien portail La Vierge assise en majesteacute est au milieu elle porte lEnfant sur ses genoux et elle ressemble agrave sy meacuteprendre aux vierges de bois des eacuteglises auvergnates saint Pierre est agrave sa droite et saint Jean agrave sa gauche Pregraves de saint Pierre un eacutevecircque est debout Quel peut ecirctre cet eacutevecircque sinon lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine le grand saint dont leacuteglise de Mozat posseacutedait les reliques

FIGURE XLVIII (chacircsse de saint Austremoine leacuteglise Saint-Austremoine Issoire)

Il est on nen saurait douter au nombre des bienheureux car de la main il preacutesente agrave la Vierge un abbeacute prosterneacute Dans ce bas-relief cet abbeacute mdash un des constructeurs de leacuteglise mdash est le seul vivant seul il est encore sur la terre Il nest pas jusquagrave la place donneacutee agrave leacutevecircque aux cocircteacutes de saint Pierre qui ne soit significative car la leacutegende auvergnate jalouse deacutegaler saint Austremoine agrave saint Martial faisait de lui un disciple du prince des apocirctres Cest agrave lextreacutemiteacute de lancienne Auvergne que nous retrouvons encore une fois saint Austremoine Dans leacuteglise dEacutebreuil une fresque du XII

e siegravecle

peinte dans la tribune nous le montre en face de sainte Valeacuterie la grande sainte du Poitou rencontre ici le grand saint de lAuvergneOn racontait que saint Austremoine eacutetant venu de Rome en Gaule avec deux compagnons Nectaire et Baudime leur avait confieacute le soin deacutevangeacuteliser le sud de la Limagne et les reacutegions voisines Aussi leacuteglise de Saint-Nectaire nous montre-t-elle agrave la fois le buste

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de saint Baudime dont nous avons parieacute et un chapiteau consacreacute agrave lhistoire de son saint patron Ce chapiteau raconte quatre eacutepisodes de lhistoire de saint Nectaire Lartiste nous transporte dabord agrave Rome saint Pierre ordonne precirctre saint Nectaire son filleul et aussitocirct commence la lutte du saint et du deacutemon Un jour quil voulait passer le Tibre pour aller prier dans un sanctuaire de lautre rive il reconnut que le rameur qui sapprochait avec sa barque eacutetait Satan lui-mecircme Sans peur il entra dans la barque car un ange envoyeacute par Dieu planait dans le ciel en sorte que Satan fut contraint de le deacuteposer sain et sauf sur lautre bord Leacutegende de demi-jour qui semble nous transporter non dans la Rome de saint Pierre mais dans leacutetrange Rome du moyen acircge Cependant saint Pierre vient denvoyer en Gaule Austremoine Nectaire et Baudime A peine arriveacute agrave Sutri Nectaire tombe malade et meurt Baudime revient agrave Rome annoncer la nouvelle agrave saint Pierre qui accourt il touche le cadavre avec la croix et aussitocirct Nectaire se legraveve de son sarcophage Saint Nectaire qui a traverseacute la mort est devenu tout puissant sur elle Le voici maintenant en Auvergne Un jour quil annonccedilait leacutevangile le cortegravege funegravebre dun Gallo-romain nommeacute Bradulus vint agrave passer pregraves de lendroit ougrave il parlait on le supplie de ressusciter Bradulus Saint Nectaire prend le bras du mort et lui ordonne de se lever Derriegravere le saint se dresse leacuteglise de Saint-Nectaire telle que nous la voyons encore aujourdhui au sommet de son rocher Il a fallu agrave lartiste beaucoup dingeacuteniositeacute pour faire dire tant de choses agrave un chapiteau si condenseacutee que soit son œuvre elle reste claire Ainsi cest moins sous laspect dun apocirctre que sous celui dun puissant thaumaturge quapparaissait saint Nectaire aux pegravelerins qui visitaient son eacuteglise Parmi les successeurs de saint Austremoine au siegravege de Clermont le plus ceacutelegravebre ne fut pas comme on pourrait le croire le vaillant Sidoine Apollinaire mais leacutevecircque Prsejectus Dans la France centrale Prsejectus sappelle saint Priest dans la France du nord saint Prix Il eacutetait deacutejagrave fameux par ses vertus ses aumocircnes ses fondations charitables sa mort fit de lui un saint Il fut assassineacute pregraves de Volvic par les complices dun homme dont il avait deacutenonceacute les crimes agrave Childeacuteric Quelques-unes de ses reliques apporteacutees agrave Flavigny agrave Saint-Quentin agrave Beacutethune reacutepandirent au loin son culte Contemporain de saint Leacuteger assassineacute comme lui il eut alors une renommeacutee presque eacutegale Son corps resta enseveli dans leacuteglise de Volvic ougrave il est veacuteneacutereacute depuis des siegravecles on y conserve aussi leacutepeacutee de lassassin De leacuteglise eacuteleveacutee agrave Volvic au XII

e siegravecle il ne

subsiste plus aujourdhui que le chœur la nef refaite est moderne Un des chapiteaux du chœur est consacreacute non pas agrave la mort de saint Priest qui eacutetait sans doute repreacutesenteacutee ailleurs mais agrave la chacircsse de ses reliques un donateur est debout aupregraves de la chacircsse qui est bien celle du saint eacutevecircque comme une inscription nous lapprend Voilagrave quelques vestiges de lantique histoire religieuse de lAuvergne on souhaiterait den deacutecouvrir davantage On regrette de ne plus rien voir dans leacuteglise de Brioude qui rappelle le martyr saint Julien jadis si fameux Mais cest agrave Menacirct surtout que lon voudrait retrouver quelque souvenir des anciens moines de labbaye qui seacutelevegraverent agrave la sainteteacute saint Brachio le chasseur de sangliers et saint Carilegravephe le compagnon de lauroch dans la forecirct Malheureusement le chœur de leacuteglise de Menacirct ougrave se trouvaient les chapiteaux historieacutes a eacuteteacute deacutetruit Un seul de ces chapiteaux subsiste deacuteposeacute dans un des bas-cocircteacutes Il repreacutesente une scegravene eacutenigmatique dont un moine de Menacirct est probablement le heacuteros on croirait voir saint Meacuteneacuteleacute refusant la fianceacutee que son pegravere lui preacutesente et songeant deacutejagrave agrave aller demander la robe monastique agrave labbeacute de Menacirct que lon aperccediloit plus loin assis sur son siegravege

VI

II faut redescendre vers le Midi Cest en Provence que nous rencontrons la plus merveilleuse de toutes nos leacutegendes On lit dans un manuscrit du XI

e siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque Nationale [t B

N latin 17627] quapregraves la reacutesurrection du Sauveur Marie-Madeleine sa sœur Marthe et son fregravere Lazare fuyant la perseacutecution des Juifs sembarquegraverent et vinrent aborder agrave Marseille Ce sont eux qui apportegraverent la foi en Provence Un reacutecit un peu posteacuterieur fait venir avec eux saint Maximin apocirctre dAix et saint Trophime apocirctre dArles Ainsi cette belle Provence lumineuse comme lOrient devenait une autre Judeacutee Lazare eacutetait sorti du tombeau pour lui annoncer lEacutevangile Marthe et Marie eacutetaient venues lui reacutepeacuteter les paroles quelles avaient recueillies de la bouche du Seigneur Quelle eacuteglise pouvait se glorifier dune plus noble origine Cette leacutegende a-t-elle laisseacute quelque trace dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle A la faccedilade de Saint-Trophime dArles on voit repreacutesenteacute au milieu des

apocirctres saint Trophime lui-mecircme il tient la crosse et deux anges posent la mitre sur sa tecircte comme pour marquer le caractegravere divin de sa mission Dans le cloicirctre on le retrouve encore adosseacute agrave un pilier cette fois il est tecircte nue porte la tunique et le manteau et sil navait les pieds chausseacutes on le prendrait pour un apocirctre Aucun chapiteau historieacute aucun bas-relief naccompagne ces deux images du saint et ne raconte son histoire Vers 1180 les artistes dArles avaient deacutejagrave sans doute entendu raconter que saint Trophime eacutetait venu en Provence avec Lazare Marie-Madeleine et Marthe mais ils nont fait aucune allusion agrave ce reacutecit On dirait mecircme quils en ont suivi un autre en placcedilant saint Trophime aux cocircteacutes de saint Pierre ils semblent avoir voulu donner creacutedit agrave lancienne tradition de

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leacuteglise dArles suivant laquelle saint Trophime aurait eacuteteacute envoyeacute de Rome par le prince des apocirctres Il serait surprenant pourtant quil ny eucirct pas dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle la moindre trace de la

fameuse leacutegende On ly rencontre en effet au moins une fois Il y a au portail lateacuteral de leacuteglise Sainte-Marthe agrave Tarascon une inscription fort bien conserveacutee qui nous donne la date de la deacutedicace de leacuteglise (1er juin 1197) deux petits bas-reliefs laccompagnent Lun repreacutesente la conseacutecration de lautel lautre un eacutevecircque et deux diacres groupeacutes autour dun corps eacutetendu sur la pierre Quel est le sens de cette scegravene On la comprendra si lon se souvient que dix ans auparavant on crut avoir deacutecouvert agrave Tarascon le corps de sainte Marthe et que cest pour recevoir cette insigne relique que lon rebacirctit alors leacuteglise Nous avons donc sous les yeux soit la translation des reliques de sainte Marthe dans son sanctuaire soit ses funeacuterailles Cette derniegravere interpreacutetation me paraicirct ecirctre la meilleure car on voit deux anges emportant au ciel lacircme de la sainte de plus un des assistants est nimbeacute or le reacutecit apocryphe rapportait que saint Front avait eacuteteacute miraculeusement transporteacute agrave Tarascon aupregraves du lit de mort de sainte Marthe Ainsi vers la fin du XII

e siegravecle la leacutegende de

lapostolat de Lazare et de ses sœurs eacutetait bien eacutetablie Le bas-relief de Tarascon est la plus ancienne œuvre dart quelle ait fait naicirctre en Provence mdash premier anneau de la chaicircne qui aboutit au dernier chant de Mireille La Provence avait eacuteteacute un peu lente agrave traduire le leacutegende par lart une autre reacutegion lavait devanceacutee la Bourgogne Cest la Bourgogne en effet nous le savons aujourdhui qui a creacuteeacute la leacutegende Mgr Duchesne en a fort bien expliqueacute lorigine Les moines de Veacutezelay se vantaient depuis le milieu du XI

e siegravecle de posseacuteder les reliques de sainte Marie-Madeleine mais ils eacutetaient

embarrasseacutes pour expliquer aux pegravelerins dougrave leur venait ce preacutecieux treacutesor Cest pourquoi lun deux fit paraicirctre un reacutecit tout nouveau de la vie de Marie-Madeleine Il y eacutetait dit pour la premiegravere fois que la sainte avait abordeacute en Provence quelle y avait veacutecu et quelle y eacutetait morte Lauteur ajoutait quun moine de Veacutezelay voyageant en Provence avait reconnu dans la crypte de Saint-Maximin le sarcophage de marbre ougrave la sainte eacutetait ensevelie il navait pas heacutesiteacute agrave deacuterober ce corps sacreacute et agrave lapporter en Bourgogne Tel fut le reacutecit que les pegravelerins de Veacutezelay recueillirent deacutesormais de la bouche des moines Degraves la fin du XI

e siegravecle de nouveaux eacutepisodes vinrent enrichir la leacutegende

Marthe Lazare et leacutevecircque Maximin furent associeacutes agrave Marie-Madeleine Ainsi cette sorte deacutepopeacutee quon serait tenteacute de croire dorigine provenccedilale a eacuteteacute creacuteeacutee en Bourgogne Elle fut ceacutelegravebre en Bourgogne avant de lecirctre en Provence bien mieux la Bourgogne qui venait de prendre possession des reliques de sainte Madeleine sattribua bientocirct celles de Lazare Degraves le commencement du XIIe siegravecle il fut admis quelles reposaient dans la catheacutedrale dAutun Il semble que le concours de pegravelerins quelles attiraient deacutetermina leacutevecircque agrave entreprendre vers 1120 la construction dune nouvelle eacuteglise cest la belle catheacutedrale que nous voyons aujourdhui Lart bourguignon du XI

e siegravecle sest-il

inspireacute de ces leacutegendes Il est naturel de les chercher dabord agrave Veacutezelay le sanctuaire de Marie-Madeleine mais on ne les y trouvera pas Le portail de la faccedilade est une œuvre moderne qui reproduit avec une preacutetentieuse gaucherie les sujets de lancien tympanet de son linteau [Tympan et linteau existent encore aujourdhui mais les sujets marteleacutes se discernent agrave peine] On y voit la Reacutesurrection de Lazare et les scegravenes de lEacutevangile ougrave Madeleine figure mais rien ny rappelle le fameux voyage de Provence Les chapiteaux de la nef si nombreux et si varieacutes ne nous parlent pas une seule fois de Marie-Madeleine Le chœur il est vrai a eacuteteacute refait agrave leacutepoque gothique et cest lagrave peut-ecirctre autour du tombeau de la sainte queacutetait raconteacutee son histoire apocryphe Aujourdhui aucune œuvre dart ne commeacutemore la leacutegende dans leacuteglise ougrave elle naquit ougrave tant de milliers de pegravelerins lentendirent raconter Serons-nous plus heureux agrave la catheacutedrale dAutun leacuteglise de saint Lazare Leacutetude des chapiteaux et des tympans pourrait nous faire croire que non Lagrave non plus aucune œuvre nest consacreacutee au voyage de Provence mais il nen eacutetait pas ainsi autrefois Jusquau XVIII

e siegravecle on put voir au portail du Jugement dernier trois statues adosseacutees au trumeau elles

montraient aux pegravelerins Lazare entre Marthe et Marie-Madeleine Ce groupement prendra tout son sens quand on saura que Lazare eacutetait vecirctu en eacutevecircque Ainsi on nen saurait douter cest Lazare apocirctre de la Provence que lartiste avait preacutetendu repreacutesenter et pregraves de Lazare il avait mis ses deux sœurs parce quelles avaient eacuteteacute les compagnes de son apostolat Il y avait en Bourgogne une autre eacuteglise deacutedieacutee agrave saint Lazare Saint-Lazare dAvallon Trois magnifiques portails du XII

e siegravecle y

donnaient accegraves il nen subsiste plus que deux aujourdhui priveacutes de leurs statues et de leurs bas-reliefs De meacutediocres dessins publieacutes par dom Plancher dans son Histoire de Bourgogne nous en laissent deviner laspect primitif Au trumeau du portail central un eacutevecircque eacutetait adosseacute ceacutetait saint Lazare le patron de leacuteglise Ainsi agrave Avallon comme agrave Autun les ornements eacutepiscopaux deacutesignaient saint Lazare comme le premier chef de leacuteglise provenccedilale Il est regrettable que ces curieuses statues dAutun et dAvallon ne nous aient pas eacuteteacute conserveacutees elles nous eussent montreacute comment les premiers sculpteurs bourguignons se repreacutesentaient ce mysteacuterieux Lazare qui avait franchi deux fois les portes de la mortLes statues dAutun et de Veacutezelay avaient eacuteteacute visiblement inspireacutees par la leacutegende ce sont les seules dont nous ayons pu retrouver la trace Un bas-relief en Provence deux

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statues en Bourgogne voilagrave tout ce que lhistoire apocryphe de Madeleine de Marthe et de Lazare semble avoir donneacute agrave lart du XII

e siegravecle Cest peu mais ce nest quun commencement il faut songer

quau XIIe siegravecle le reacutecit des moines de Veacutezelay avait agrave peine commenceacute agrave faire la conquecircte des

imaginations Ce nest que dans les siegravecles suivants quil sera accepteacute de tous et deviendra une des sources vives de lart chreacutetien Mais cest par la Provence et non par la Bourgogne que la gloire de Marie-Madeleine peacutenitente sest reacutepandue dans le monde En 1279 en effet les Provenccedilaux annoncegraverent agrave la chreacutetienteacute la deacutecouverte agrave Saint-Maximin du corps de sainte Madeleine que les

moines de Veacutezelay abuseacutes par lerreur dun des leurs avaient cru jusque-lagrave posseacuteder

FIGURE XLIX eacuteglise du Veacutezelay)

La deacutecouverte fut tenue pour authentique et deacutesormais le sanctuaire bourguignon fut deacuteserteacute au profit des lieux saints de la Provence le tombeau de Saint-Maximin et la caverne de la Sainte-Baume Les pegravelerins qui aimegraverent toujours agrave monter vers les cimes en chantant abandonnegraverent la montagne de Veacutezelay pour le haut rocher de la Sainte-Baume Cest alors que les comtes de Provence qui eacutetaient en mecircme temps rois de Naples firent connaicirctre la leacutegende agrave lItalie et lon vit Giotto peindre au Bargello de Florence et dans une des chapelles dAssise Marie-Madeleine dans le deacutesert provenccedilal recevant la communion de la main de saint Maximin La Bourgogne qui ceacuteleacutebrait lapocirctre de la Provence ce Lazare dont elle avait elle-mecircme imagineacute lapostolat noubliait pas son apocirctre agrave elle le martyr saint Beacutenigne Peu de saints avaient en France une plus magnifique seacutepulture son tombeau eacutetait agrave Dijon et les moines de saint Beacutenigne en eacutetaient les gardiens Il eacutetait au centre dune grande rotonde dont la Reacutevolution na laisseacute subsister que la crypte Cette rotonde formait au XII

e siegravecle

lextreacutemiteacute dune eacuteglise romane refaite plus tard Un beau portail orneacute de bas-reliefs et de statues y donnait accegraves il a eacuteteacute deacutetruit mais un dessin de dom Plancher nous en a conserveacute laspect Au trumeau sadosse un eacutevecircque qui porte une crosse archaiumlque en forme de tau et une mitre qui ressemble agrave un bonnet cest saint Beacutenigne Ce costume le deacutesigne comme le chef dune des premiegraveres communauteacutes chreacutetiennes de la Bourgogne La tecircte mutileacutee de lapocirctre se conserve au Museacutee archeacuteologique de Dijon Ainsi dans ce portail ougrave lon voyait des deux cocircteacutes les statues des prophegravetes et des apocirctres saint Beacutenigne occupait la place dhonneur cest agrave lui quallaient dabord les regards Les artistes bourguignons turent les premiers qui attiregraverent ainsi le respect du visiteur sur le patron dune eacuteglise le Saint-Lazare dAutun et le Saint-Jean-Baptiste de Veacutezelay sont les plus anciennes statues adosseacutees agrave un trumeau quil y ait ou quil y ait eu en France Les artistes du Midi si

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novateurs navaient rien imagineacute de pareil Cet hommage rendu agrave saint Beacutenigne ne parut pas suffisant aux moines de labbaye car ils lui consacregraverent encore un tympan jadis encastreacute dans le mur du vestibule Il nexiste plus aujourdhui mais il a eacuteteacute reproduit avec beaucoup de soin par dom Plancher On y voyait le martyre du saint Beacutenigne envoyeacute en Gaule suivant la tradition par le Grec Polycarpe disciple de saint Jean lEacutevangeacuteliste avait refuseacute de sacrifier aux dieux Le gouverneur du Castrum de Dijon Aurelianus assisteacute de son lieutenant Terentius le fit comparaicirctre devant lui et le condamna aux supplices les plus raffineacutes Ce sont ces supplices que nous montre le tympan le saint est debout et deux bourreaux sont occupeacutes agrave sceller ses pieds dans la pierre avec du plomb fondu Les mains du martyr sont briseacutees elles laissaient voir sans doute autrefois les alegravenes enfonceacutees sous chacun de ses ongles Deux autres bourreaux viennent de recevoir lordre den finir avec linvincible athlegravete placeacutes symeacutetriquement agrave sa gauche et agrave sa droite comme le centurion et le porte-eacuteponge sur le Calvaire ils lui enfoncent leur pique dans la poitrine Le saint expire et comme son maicirctre penche la tecircte sur son eacutepaule A ce moment dit la leacutegende les chreacutetiens virent une colombe blanche seacutelever au-dessus de sa tecircte mdash eacutepisode que lartiste na eu garde doublier une main sortant du ciel manifeste la preacutesence de Dieu Le beau caractegravere de lœuvre sa noble symeacutetrie lui assignent une date voisine de la fin du XII

e siegravecle Dijon avait donc dignement ceacuteleacutebreacute son apocirctre La Bourgogne fut

au moyen acircge le pays des grands ordres monastiques et des saints abbeacutes Ce sont ces illustres abbeacutes que nous voudrions voir et que nous ne voyons pas Que saint Bernard qui interdit lart agrave ses moines comme un luxe inutile ne soit repreacutesenteacute nulle part il ne faut pas sen eacutetonner il la voulu ainsi Ce saint Franccedilois dAssise du XII

e siegravecle ne le cegravede agrave lautre que parce quil lui a manqueacute le

sentiment de la beauteacute Un de ses biographes raconte quil marcha une journeacutee entiegravere au bord du lac de Genegraveve et que le soir il demanda ougrave eacutetait le lac Ce nest pas lui qui eucirct composeacute dans un transport denthousiasme le Cantique des creacuteatures Mais ce qui surprend cest de ne rencontrer nulle part en Bourgogne au cœur mecircme de cet immense royaume clunisien limage des premiers abbeacutes de Cluny qui furent tous des saints De Cluny il est vrai presque tout a disparu mais rien ne les rappelle agrave Paray-le-Monial au ils vinrent si souvent rien agrave la Chariteacute-sugraver-Loire un de leurs plus magnifiques prieureacutes Labbaye de Souvigny cette fille cheacuterie de Cluny ougrave saint Maiumleul et saint Odilon furent ensevelis na mecircme pas su garder leur tombeau Leur souvenir y serait entiegraverement aboli si on ne voyait leur image peinte sur la porte dune armoire reliquaire de la fin du moyen acircge Ces noms aperccedilus tout agrave coup Maiumlolus et Odilo remuent profondeacutement la sensibiliteacute on voit en imagination cet eacuteloquent Maiumleul plus grand que les souverains de son temps par lintelligence et par lacircme et ce doux Odilon qui precirctait loreille aux voix de lautre monde et qui creacutea la fecircte des morts Mais si ces grands noms des abbeacutes de Cluny saint Odon saint Maiumleul saint Odilon saint Hugues seffacent si rien aujourdhui ne ramine leur souvenir dans la meacutemoire du visiteur de leurs eacuteglises la faute nen est sans doute pas aux artistes bourguignons du XII

e siegravecle ni aux moines clunisiens si

passionneacutes pour lart si profondeacutement attacheacutes agrave leurs souvenirs mdash mais agrave des geacuteneacuterations sans respect et sans amour qui ont tout aneacuteanti En Bourgogne une seule eacuteglise monastique conserve encore quelques peintures qui commeacutemorent son passeacute cest celle dAnzy-le-Duc (Saocircne-et-Loire) Anzy-le-Duc ne relevait pas de Cluny mais de labbaye de Saint-Martin dAutun que Brunehaut avait fondeacutee et ougrave elle avait son tombeau Des fresques peintes vers la fin du XIIe siegravecle dans labside de leacuteglise dAnzy racontent lhistoire du petit prieureacute fier de ses origines Au-dessous de lAscension du Christ on voit Lethbald et sa femme offrant agrave Dieu vers 876 leur villa dAnzy qui va devenir un monastegravere Un de leurs descendants fut ce Lethbald ce pegravelerin ceacutelegravebre dont le moyen acircge a plusieurs fois raconteacute lhistoire Contemplant Jeacuterusalem du haut du Mont des Oliviers il eut un tel transport de joie quil demanda agrave Dieu de le faire mourir le jour mecircme sa priegravere fut exauceacutee Fondeacute par Lethbald ou saint Lieacutebaud le prieureacute dAnzy-le-Duc fut gouverneacute par un saint saint Hugues dAutun Hugues ami de Bernon fondateur de Cluny eacutetait veacuteneacutereacute de toute la Bourgogne On venait consulter comme un oracle ce vieillard laquo dont la tecircte eacutetait blanche comme le duvet du cygne raquo On le consultait sur toute chose sur les maladies et sur les semailles aussi bien que sur les cas de conscience Les miracles quil faisait pendant sa vie sa chacircsse continua agrave les faire apregraves sa mort et elle attira longtemps les pegravelerins agrave Anzy-le-Duc Les fresques dAnzy racontent quelques traits de son histoire Toutes ces peintures recouvertes dun badigeon ont eacuteteacute retrouveacutees par hasard en 1856 et malheureusement fort restaureacutees elles font revivre un passeacute perdu dans la nuit Voilagrave un exemple de ce que faisaient les moines bourguignons pour perpeacutetuer leurs traditions et pour honorer leurs sainte Si saint Lieacutebaut et saint Hugues dAnzy inconnus aujourdhui ont eacuteteacute ceacuteleacutebreacutes par lart on peut bien croire que les Odilon et les Maiumleul navaient pas eacuteteacute oublieacutes

VII

La Bourgogne nous achemine vers la reacutegion parisienne Au XIIe siegravecle le saint le plus illustre de lIle-

de-Franccedile eacutetait saint Denis Sa gloire avait grandi avec la monarchie franccedilaise Il ne suffisait pas que

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saint Denis eucirct eacuteteacute le premier apocirctre de Paris il lui fallait une leacutegende digne du protecteur des rois de France et du gardien de leur tombeau On racontait donc que saint Denis de Paris eacutetait le mecircme personnage que saint Denis lareacuteopagite converti par saint Paul Il avait observeacute agrave Athegravenes leacuteclipseacute qui obscurcit le soleil agrave lheure ougrave Jeacutesus expira sur le Calvaire et plus tard il eacutecrivit ce livre fameux de la Divine Hieacuterarchie ougrave le ciel est deacutecrit ougrave Dieu apparaicirct dans sa gloire au milieu des cercles concentriques formeacutes par les anges Cest ce savant ce profond penseur qui avait eacuteteacute jugeacute digne deacutevangeacuteliser la ville de la science Son souvenir eacutetait cher aux Parisiens qui veacuteneacuteraient derriegravere Notre-Dame de Paris dans leacuteglise Saint-Denis-du-Pas le lieu ougrave il avait commenceacute son martyre agrave Saint-Denis-de-la-Chartre dans la Citeacute la prison ougrave il avait eacuteteacute enfermeacute et ougrave ses chaicircnes eacutetaient suspendues agrave Montmartre la place quil avait rougie de son sang Labbaye de Saint-Denis eacutetait le terme du pegravelerinage cest lagrave que reposait le martyr aupregraves de ses deux compagnons Rustique et Elcuthegravere Comment lart avait-il honoreacute saint Denis agrave Paris nous lignorons mais agrave labbaye de Saint-Denis nous lentrevoyons encore Le portail qui souvre agrave droite du spectateur dans la faccedilade de la basilique est deacutecoreacute dun bas-relief dont saint Denis est le heacuteros il emplit tout le tympan Il est reccedilu que ce bas-relief est reacutecent et les archeacuteologues passent sans lever les yeux mais ce deacutedain nest quagrave moitieacute justifieacute Assureacutement toutes les tecirctes sont modernes les draperies ont eacuteteacute visiblement retoucheacutees et quelques personnages mecircmes semblent entiegraverement refaits Loeuvre paraicirct ecirctre dhier pourtant le dessin geacuteneacuteral est ancien La composition ne date pas de 1839 elle nest pas du restaurateur Debret elle est bien de 1135 environ et appartient aux artistes de Suger Nous pouvons en croire le baron de Guilhermy qui a suivi avec tant dattention tout ce qui sest fait agrave Saint-Denis dans la premiegravere partie du XIX

e siegravecle A son teacutemoignage une seule chose dans ce portail est

entiegraverement moderne la seconde voussure avec ses personnages Le reste est une restauration dun original ancien La scegravene que Suger avait fait repreacutesenter dans le tympan eacutetait emprunteacutee agrave la leacutegende de saint Denis mais ce neacutetait ni sa conversion par saint Paul ni sa preacutedication ni son martyre on voyait Jeacutesus escorteacute dun vol danges descendant dans la prison ougrave le saint attendait la mort et le faisant communier de sa main Nous ne savons quand cet eacutepisode entra dans la leacutegende de saint Denis tout ce que nous pouvons dire cest que degraves le XI

e siegravecle une miniature dun missel de

labbaye de Saint-Denis le repreacutesente Cest une de ces belles leacutegendes ougrave le moyen acircge sexprime tout entier ougrave il reacutealise son eacuteternel deacutesir dunion avec le ciel Voilagrave limage que contemplait le pegravelerin en entrant dans la basilique et elle lui donnait une plus haute ideacutee de saint Denis que neucirct pu faire son martyre lui-mecircme Suger qui en toute chose est un novateur est le premier qui ait consacreacute un portail agrave la gloire dun saint il ny avait rien de pareil avant lui et apregraves lui on tardera assez longtemps agrave suivre son exemple Cest en effet agrave une eacutepoque assez avanceacutee du XII

e siegravecle

que nous rencontrons dans une reacutegion voisine de lIle-de-Franccedile un portail ougrave a eacuteteacute raconteacutee la leacutegende dun saint Non loin de Provins seacutelegraveve le prieureacute de Saint-Loup de Naud dont la belle eacuteglise remonte au XII

e siegravecle Saint Loup de Naud deacutependait de labbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens aussi

eacutetait-ce un eacutevecircque de Sens qui eacutetait le patron de leacuteglise Saint Loup que dans la reacutegion on appelait saint Leu eacutetait un de ces eacutevecircques du VIIe siegravecle qui tinrent tecircte aux rois meacuterovingiens et supportegraverent courageusement lexil Plein de bonteacute charitable assidu agrave visiter les anciens tombeaux il avait de son vivant la reacuteputation dun saint Mais son histoire ne tarda pas agrave se reacutesoudre tout entiegravere en miracles ces vieux reacutecits enchantegraverent Jacques de Voragine qui les reproduisit plus tard dans sa Leacutegende doreacutee Au portail de Saint-Loup de Naud les eacutepisodes de la vie du saint eacutevecircque ne sont pas sculpteacutes dans le tympan comme agrave Saint-Denis mais dans les voussures

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FIGURE L (leacuteglise de Saint-Loup-de-Naud - tympan)

Cest au portail du Mans quon vit pour la premiegravere fois les scegravenes des voussures former un reacutecit suivi la vie de Jeacutesus-Christ y est raconteacutee Lexemple fut suivi agrave Saint-Loup de Naud mais la leacutegende du saint y remplace lhistoire du Christ deacutejagrave les portails du XIII

e siegravecle sannoncent Le saint eacutevecircque

adosseacute au trumeau accueille les fidegraveles Un chapiteau sculpteacute placeacute au-dessus de sa tecircte le faisait reconnaicirctre agrave ceux qui eacutetaient familiers avec sa leacutegende on y voit un ange laissant tomber une pierre preacutecieuse dans le calice pendant que saint Loup ceacutelegravebre la messe Cette pierre preacutecieuse venue du ciel se conservait disait-on dans le treacutesor royal La leacutegende du saint se continue dans les voussures qui entourent le Christ en majesteacute du tympan On y aperccediloit la cloche de Saint-Eacutetienne de Sens Cette cloche avait un si beau son que le roi Clotaire la fit enlever de la catheacutedrale et transporter agrave Paris mais par la volonteacute de saint Loup elle devint muette soudain de sorte quil fallut la renvoyer agrave Sens ougrave le saint lui rendit sa voix harmonieuse Dautres merveilles se deacutechiffrent dans les voussures des prisonniers sont miraculeusement deacutelivreacutes de leurs liens puis par la toute-puissance de sa parole le saint emprisonne le deacutemon dans un grand vase Ces contes de feacutee prennent autant dimportance quun autre eacutepisode tout humain celui-lagrave et plein de beauteacute on voit le roi Clotaire vaincu par la grandeur morale du saint quil avait envoyeacute en exil sagenouiller devant lui et lui demander pardon Ce meacutelange de pueacuteriliteacute et de noblesse ne choquait alors personne Pour les hommes de ce temps rien nest grand rien nest petit puisquen toute chose se reacutevegravele la preacutesence de Dieu

VIII

Dans la France du Nord et de lOuest Picardie Normandie et Bretagne les eacuteglises romanes ne nous offrent plus rien aujourdhui qui rappelle les saints de ces provinces Au XII

e siegravecle la sculpture

monumentale fut un art agrave peu pregraves eacutetranger agrave ces reacutegions ce nest que par la fresque et par le vitrail quelles purent ceacuteleacutebrer leurs grands eacutevecircques et leurs saints abbeacutes mais fresques et vitraux ont disparu Le Maine a cependant conserveacute un magnifique vitrail du XII

e siegravecle consacreacute agrave lapocirctre de la

province saint Julien Au Mans aucun saint ne fut plus profondeacutement veacuteneacutereacute que saint Julien En 1117 lorsque Foulques comte dAnjou et du Maine assista avec sa femme et son fils agrave la conseacutecration de la catheacutedrale du Mans la ceacutereacutemonie termineacutee il prit entre ses bras son fils encore enfant et le deacuteposa sur lautel de saint Julien Il voulait signifier par lagrave quil le mettait sous la protection du grand saint du Mans tout-puissant aupregraves de Dieu On ne seacutetonne donc pas de rencontrer dans la catheacutedrale du Mans un grand vitrail consacreacute tout entier agrave la vie de saint Julien Saint Julien entre au Mans et y multiplie les miracles Il y fait jaillir une source avec son bacircton prodige sans doute symbolique il convertit et baptise le gouverneur de la citeacute romaine puis il lenvoie eacutevangeacuteliser Angers Chaque fois lapocirctre est repreacutesenteacute avec la mitre et la crosse de leacutevecircque Son œuvre acheveacutee saint Julien meurt paisiblement et les anges emportent son acircme au ciel Ainsi tandis que le Midi ceacuteleacutebrait les saints par la sculpture et lorfegravevrerie le Nord les ceacuteleacutebrait par le vitrail Nous navons encore rien dit de la Touraine et de son illustre saint Martin Cest que saint Martin neacutetait pas le saint dune province mais de la France tout entiegravere Tours il est vrai eacutetait le centre de son culte et cest agrave Tours que les artistes avaient raconteacute pour la premiegravere fois sa vie Un petit poegraveme de saint Paulin de Peacuterigueux prouve quau V

e siegravecle on avait peint ses miracles dans la fameuse basilique qui contenait son

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tombeau Au VIe siegravecle une autre eacuteglise de Tours la catheacutedrale fut deacutecoreacutee de fresques consacreacutees agrave son histoire elles eacutetaient expliqueacutees par des vers de Fortunat qui se sont conserveacutes deacutejagrave lon voyait saint Martin donnant au pauvre la moitieacute de son manteau La catheacutedrale de Tours a eacuteteacute rebacirctie quant agrave la basilique de Saint-Martin plusieurs fois reconstruite elle a eacuteteacute deacutetruite par la Reacutevolution Les peintures et les vitraux quon y voyait perpeacutetuaient peut-ecirctre le souvenir des anciennes fresques Aujourdhui Tours ne conserve aucune œuvre consacreacutee agrave saint Martin qui soit anteacuterieure au XIII

e

siegravecle Mais ce que Tours ne nous montre pas nous le trouvons ailleurs Il y avait en France des centaines deacuteglises deacutedieacutees agrave saint Martin aussi ne seacutetonne-t-on pas de rencontrer son image dans toutes les reacutegions Loeuvre la plus ancienne qui le repreacutesente a eacuteteacute deacutecouverte dans les Pyreacuteneacutees mais sur le versant espagnol cest un panneau peint qui se trouvait jadis dans leacuteglise de Montgrony en Catalogne et qui est aujourdhui au Museacutee eacutepiscopal de Vich Loeuvre est si archaiumlque par le dessin et par le costume quelle peut remonter au XI

e siegravecle Aujourdhui aucun

monument consacreacute agrave lhistoire de saint Martin nest plus ancien Cest lagrave que nous voyons pour la premiegravere fois le saint coupant en deux son manteau pour en donner la moitieacute au pauvre geste que lart reacutepeacutetera de siegravecle en siegravecle et que lartiste catalan avait reccedilu du passeacute Saint Martin porte le long bouclier et la lance agrave gonfanon des barons de la Chanson de Roland Un autre compartiment nous montre le saint sur son lit de mort il est eacutetendu sur le dos car il navait pas voulu se coucher sur le cocircteacute pour calmer ses souffrances laquo Laissez-moi disait-il contempler le ciel raquo au-dessus les anges emportent son acircme Cette histoire de saint Martin sinspirait sans aucun doute dun original franccedilais elle nous prouve que la gloire du saint avait peacuteneacutetreacute jusquau fond des valleacutees les plus reculeacutees Il eacutetait naturel de rencontrer saint Martin dans les grandes abbayes car cest lui qui avait creacuteeacute les premiers monastegraveres de la Gaule et ceacutetait lui qui eacutetait le veacuteritable ancecirctre de tous les moines dOccident Aussi un chapiteau du cloicirctre de Moissac lui est-il consacreacute On y voit pregraves de la porte dAmiens qui souvre entre deux tours le jeune cavalier couper son manteau et en donner la moitieacute au pauvre Aussitocirct le Christ apparaicirct entre deux anges les bras ouverts il eacutetale largement le manteau et semble loffrir agrave ladmiration du ciel Cest alors que saint Martin entendit en recircve ces paroles prononceacutees par le Christ laquo Voyez Martin il nest encore que cateacutechumegravene et il ma revecirctu de son manteau raquo Mais cest dans les reacutegions eacutevangeacuteliseacutees par saint Martin dans le Nivernais et la Bourgogne en particulier que lon doit sattendre agrave rencontrer son image Lagrave son souvenir est resteacute plus vivant quailleurs le Morvan est plein de sources miraculeuses quil a fait jaillir et les paysans montrent encore les empreintes laisseacutees par le pied de sa mule sur la pierre Cest pourquoi plusieurs chapiteaux de leacuteglise de Garchizy dans la Niegravevre eacutetaient consacreacutes agrave saint Martin Ces chapiteaux sont aujourdhui au Museacutee archeacuteologique de Nevers on y voit leacutepisode du manteau que suit lapparition du Christ Labbaye de Veacutezelay qui seacutelegraveve aux confins du Morvan avait gardeacute le souvenir du grand missionnaire des pays eacuteduens Un chapiteau de la nef raconte un eacutepisode de sa leacutegende qui avait deacutejagrave eacuteteacute peint au VI

e siegravecle dans la catheacutedrale de Tours Saint Martin veut faire couper un pin

sacreacute auquel les paiumlens rendaient un culte les paiumlens y consentent agrave la condition que le saint sexpose agrave la chute de larbre Saint Martin nheacutesite pas mais au moment ougrave le pin va leacutecraser il legraveve la main et larbre tombe agrave lopposeacute Le pin de Veacutezelay styliseacute avec un art naiumlf ressemble agrave une plante des tropiques Telles sont disseacutemineacutees dans nos provinces les quelques œuvres consacreacutees aux saints qui ont eacutechappeacute au temps Ce nest plus quun reflet un dernier rayon du soir qui laisse une lueur agrave la faccedilade de leacuteglise un eacuteclair dans le vitrail

LEacuteglise de France eut donc le culte de son passeacute et de bonne heure elle demanda agrave lart de le ceacuteleacutebrer Elle eacutetait fiegravere de ses saints qui formaient une suite ininterrompueune longue frise heacuteroiumlque Les siegravecles les plus steacuteriles ceux qui navaient eu ni eacutecrivains ni poegravetes ni artistes avaient eu leurs saints Ces siegravecles neacutetaient pauvres quen apparence puisque au sentiment des hommes dalors les saints eacutetaient les chefs-dœuvre de lhumaniteacute Comme Pascal lEacuteglise du moyen acircge mettait lordre de la chariteacute bien au-dessus de lordre de lintelligence cest pourquoi le moindre ermite qui dans la solitude avait reacuteussi agrave se vaincre lui-mecircme meacuteritait a ses yeux decirctre eacuteterniseacute par lart Lathlegravete avait eacuteteacute lideacuteal de la Gregravece antique lascegravete devint lideacuteal des temps nouveaux Au Moyen Age les hommes de notre race quand ils ont eacuteteacute grands ont toujours eacuteteacute des ascegravetes toujours ils ont meacutepriseacute le voluptueux Orient ses harems ses parfums la courbe enchanteacutee de ses arabesques Cette longue lutte de lOccident contre lOrient cest la lutte eacuteternelle de lesprit contre les sens La plus haute expression du moyen acircge cest le soldat qui se sacrifie le moine qui prie le saint qui foule aux pieds la nature Le saint voilagrave le vrai heacuteros de cet acircge cest lui qui par lenthousiasme quil excitait soulevait lhumaniteacute larrachait agrave son limon Encore aujourdhui le peuple qui sent instinctivement ce quil y a dextraordinaire dans la sainteteacute conserve la meacutemoire des saints Les paysans du Bourbonnais qui ont oublieacute les noms des rois de France connaissent encore saint Patrocle et saint Marien qui vivaient du temps de Greacutegoire de Tours Et nous aussi le nom dun saint inconnu nous inteacuteresse le lieu ougrave il a veacutecu nous eacutemeut lermitage la cellule le monastegravere habiteacutes par

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le saint conservent quelques chose de religieux comme chez les anciens ces lieux sacres quavait toucheacutes le feu du ciel

EMILE MALE

EXPLICATION TREgraveS CURIEUSE

DES

EacuteNIGMES ET FIGURES HIEacuteROGLYPHIQUES PHYSIQUES

QUI SONT AU GRAND PORTAIL

DE LEacuteGLISE CATHEacuteDRALE ET MEacuteTROPOLITAINE DE NOTRE-DAME DE PARIS

Par

LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT

Le Mercredi 20 de May 1640 veille de la glorieuse Ascension de notre Sauveur Jeacutesus-Christ apregraves avoir prieacute et sa tregraves-sainte Megravere Vierge en lEglise Catheacutedrale Meacutetropolitaine de Paris je sortis de cette belle et grande et consideacuterant attentivement son riche et magnifique Portail dont la structure est tregraves exquise depuis le fondement jusquagrave la sommiteacute de ses deux hautes et admirables Tours je fis les remarques que je vais expliquer Je commence par observer que ce Portail est triple pour former trois principales entreacutees dans ce superbe Temple seul corps de bacirctiment et annoncer la Triniteacute de Personnes en un seul Dieu sous lesquelles par lopeacuteration de son Esprit Saint son Verbe sest incarneacute pour le salut du monde dans les flancs de la Vierge sainte Symbole des trois principes ceacutelestes en uniteacute qui sont les trois principales clefs ouvrantes les principes [cest-agrave-dire le Mercure le Soufre et le Sel] et toutes les portes les avenues et les entreacutees de la nature sublunaire cest-agrave-dire de la segraveve universelle et de tous les corps quelle forme et produit conserve ou reacutegeacutenegravere

1deg La figure poseacutee au premier cercle du Portail vis-agrave vis lHocirctel-Dieu repreacutesente au plus haut Dieu le Pegravere Creacuteateur de lUnivers eacutetendant ses bras et tenant en chacune de ses mains une figure dhomme en forme dAnge Cela repreacutesente que Dieu Tout-Puissant au moment de la creacuteation de toutes choses quil fit de rien seacuteparant la lumiegravere des teacutenegravebres en fit ces nobles Creacuteatures que les Sages appellent Ame Catholique Esprit universel ou Souffre vital incombustible et Mercure de vie cest-agrave-dire lhumide radical geacuteneacuteral lesquels deux principes sont figureacutes par ces deux Anges [on a deacutejagrave eu loccasion de montrer que cet humide radical que Fulcanelli appelle meacutetallique ne peut ecirctre autre chose que des laquo chaux raquo meacutetalliques qui sont initialement incorporeacutees au Mercure sous forme de sulfates]

Dieu le Pegravere les tient en ses deux mains pour faire la distinction du souffre vital son huile de vie quon appelle Ame et du Mercure de vie ou humide premier neacute quon nomme Esprit quoique ce soit termes synonymes [il est remarquable de voir comment Gobineau emploie des termes parfaitement justes pour parler du Soufre et du Mercure lexpression huile de vie caracteacuterise leacutetat second du Mercure ducircment preacutepareacute et animeacute] mais seulement pour faire concevoir que cette Ame et cet Esprit tirent leur principe et leur origine du monde surceacuteleste et archeacutetypique ougrave est le Siegravege et le Trocircne plein de gloire du Tregraves-Haut dougrave il eacutemane surnaturellement et imperceptiblement pour se communiquer comme la premiegravere racine la premiegravere Ame mouvante et la source de vie de tous les Etres en geacuteneacuteral et de toutes les Creacuteatures sublunaires dont lhomme est le chef de preacutedilection Dans le cercle au-dessous du monde surceacuteleste et Archeacutetypique est le Ciel firmamental ou astral dans lequel paraissent deux Anges la tecircte pencheacutee mais couverte et enveloppeacutee

Linclination de ces deux Anges la tecircte en bas

[St-Pierre Fulcanelli le rappelle fut crucifieacute la tecircte en bas lhieacuteroglyphe ceacuteleste de Veacutenus peut de mecircme se voir agrave lendroit ougrave il figure Aphrodite ou agrave lenvers et il deacutesigne alors ce globe crucifegravere que les bons auteurs ont toujours deacutesigneacute comme la stibine ou mieux lalbacirctre des Sages]

nous donne agrave entendre que lAme universelle ou lEsprit Catholique ou pour mieux dire le souffle de la vertu de Dieu cest-agrave-dire les influences spirituelles du Ciel archeacutetypique descendent de lui au Ciel astral qui est le second monde eacutegalement ceacuteleste dit eacutetipique ougrave habitent et regravegnent les planegravetes et les eacutetoiles qui ont leur cours leurs forces et vertus pour laccomplissement de leur destination et de leurs devoirs selon les deacutecrets de la Providence qui les a ainsi ordonneacutes et subordonneacutes afin dopeacuterer par leur ministegravere et leurs influences la naissance et geacuteneacuteration de tous les Etres Spirituels et de toutes choses sublunaires participants de lAme et de lEsprit universel et par les deux Anges la tecircte en bas et qui sont vecirctus nous est deacutesigneacute que la semence universelle et

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spirituelle Catholique ne monte point mais descend toujours [la Roseacutee de mai est ici expresseacutement deacutesigneacutee] et lenveloppe dont elle est voileacutee dans les corps nous enseigne que cette semence ceacuteleste est couverte quelle ne se montre point nue mais quelle se cache avec soin aux yeux des ignorants et des Sophistes et nest point connue du vulgaire

3deg Au-dessous du Firmament est le troisiegraveme Ciel ou leacuteleacutement de lair dans lequel paraissent trois enfants environneacutes de nuagesCes trois enfants signifient les trois premiers eacuteleacutements de toutes choses appeleacutes par les sages principes principians dont les trois principes infeacuterieurs sel souffre et mercure tirent leur origine et quon nomme principes principieacutes pour les distinguer des premiers quoique tous ensemble ils descendent du Ciel archeacutetypique et partent des mains de Dieu qui de sa feacuteconditeacute remplit toute la nature mais toutes les influences spirituelles et ceacutelestes semblent ecirctre eacutemaneacutees des deux premiers Cieux avant de sunir agrave aucun corps sensible ce qui fait que toute eacutemanation spirituelle du premier Ciel ou de lArcheacutetypique est appeleacutee Ame et celle du second Ciel ou Firmament est nommeacutee Esprit

Ce sont donc cette Ame et cet Esprit invisibles et purement spirituels qui remplissent de leurs vertus actives et vivantes le troisiegraveme Ciel appeleacute Eleacutementaire ou le Ciel typique parce que cest le seacutejour des Eleacutements qui mus ordonneacutes et subordonneacutes par les deux mondes supeacuterieurs agissent agrave leur tour par commotion et mouvement descendant ascendant progreacutediant et circulaire sur tous les Etres infeacuterieurs et sur toutes les Creacuteatures sublunaires composes de leurs qualiteacutes mixtes quon nomme les quatre tempeacuteraments

Or cette Ame eacutemaneacutee dans le monde Eleacutementaire quelle remplit de sa lumiegravere vivifiante est appeleacutee souffre et lesprit eacutemaneacute du monde ou Ciel firmamental qui est en principe lhumide radical de toutes choses auquel ce souffre ou la chaleur lumineuse est attacheacute et adheacuterant comme agrave son premier et dernier aliment est appeleacute Mercure ou lhumide premier neacute qui est lhumide radical de toutes choses et par conseacutequent indivisible du souffre ou acircme eacutetheacutereacutee laquelle eacutetant un feu ceacuteleste lumineux et chaud ne peut subsister sans son union intime et indissoluble avec cet esprit son humide radical mais cela est au-dessus de la porteacutee des insenseacutes [Gobineau parle ici de la neacutecesssiteacute que le meacutetal soit reacuteincrudeacute cest-agrave-dire dissous au sein du Mercure]

Cette Ame et cet Esprit unis comme une seule et mecircme essence partant du mecircme principe et ne faisant pour ainsi dire quune mecircme chose puisquils ne sont divisibles que par lesprit ne peuvent ecirctre vus ni toucheacutes mais seulement conccedilus et compris par les sages Investigateurs de la Science de Dieu et de la Nature cette Ame et cet Esprit ne nous deviennent sensibles que par le lien indivisible qui les attache lun agrave lautre or ce lien quon nomme sel [il faut bien ici diffeacuterencier le lien entre les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature quil sagit de conjoindre du lien du Mercure dont nous parlons dans la section des blasons alchimiques] est leffet de leur union et amour mutuel et un corps spirituel qui nous les cache et les enveloppe dans son sein comme ne faisant quune seule et mecircme chose de trois ce que les gens peacutetris de preacutejugeacutes nentendront et ne comprendront point

Ce Sel est celui de la Sapience cest-agrave-dire la copule et le ligament du feu et de leau du chaud et de lhumide en parfaite Homogeacuteneacuteiteacute et qui est le troisiegraveme principe [Gobineau deacutevoile ici un secret de haut lignage il sagit de ce que nous avons appeleacute le sel harmoniac sophique] il ne se rend point visible ni tangible dans lair que nous respirons ougrave il est subtil et fluide et il ne manifeste son corps visible que par son seacutejour et deacutepocirct en reacutesidu dans les mixtes ou composeacutes deacuteleacutements quil fixe et encloue en se mecirclant intimement au Souffre Mercure et Sel qui sont des principes naturels agrave lui fort analogues et Constituteurs des Creacuteatures Sublunaires

Le Sel ceacuteleste est le principe principiant qui procegravede de lAme et de lEsprit cest-agrave-dire de leur action ou pour mieux dire du souffre et du Mercure eacutetheacutereacutes il est le moyen et le milieu qui les unit dans leur action pour se traduire en fluide dans le souffre le Mercure et le Sel de nature sous un corps visible et tangible lors appeleacute par les Sages de toutes sortes de noms tantocirct Sel Alkali Sel Armoniac Salpeacutetre des Philosophes et tantocirct de mille surnoms symboliques ou agrave son origine ou agrave sa descension ou bien agrave son essence corporelle pour prouver queacutetant lAme IEsprit et le Corps universel de la Nature il est susceptible de toutes sortes de deacutetermination quil plaira agrave la Nature ou agrave IArtiste de lui donner selon lArt de la Sagesse [cest au fond ni plus ni moins quun bi-silicate qui est ici deacutesigneacute le secret reacuteside dans le dosage exact des eacuteleacutements accessoires tels la chaux la silice et lagent mineacuteralisateur proprement dit]

Mais il ne faut point perdre de vue que cest du monde surceacuteleste que la source de la vie de toutes choses tire son origine et que cette vie est appeleacutee Ame ou Souffre [cest loxyde qui assure la teinture de la pierre par conseacutequent cest lui qui loriente mais la nature de la terre vitrifiable ou cimolienne intervient aussi] que du monde ceacuteleste ou firmamental procegravede la lumiegravere quon

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appelle Esprit autrement humide ou Mercure et que cette Ame et cet Esprit remplissant de leur feacuteconditeacute vivifique le troisiegraveme monde appeleacute Eleacutementaire leur action eacutenergique et eacutelastique perpeacutetuellement circulaire [cette ideacutee de cercle fondement de lart si lon se reacutefegravere au serpent Ourobouros a trait au caractegravere permanent constant du feu secret] y porte et produit le Feu tout divin analogique de chaleur et dhumide radicaux mais qui est imperceptible et invisible non vulgaire ni grossier et par lequel comme Feu de vie par essence nourrissant Reacuteparateur Conservateur et non Destructeur les choses deviennent palpables et de soliditeacute corporelle [on a dit dans une autre section que laction du dissolvant loin de dissoudre consiste au contraire agrave joindre les deux chaux en une accreacutetion cest lapparition de Deacutelos] Dougrave il faut conclure que ces trois substances Souffre Mercure et Sel universel ceacutelestes sont les vrais principes principians de la geacuteneacuteration de toutes choses et que ces trois substances naturelles et sublunaires dans lesquelles les trois premiegraveres se rendent infuses et corporifieacutees sont les veacuteritables principes principieacutes constituteurs de la geacuteneacuteration des Corps par lencloument et la fixation quils font des qualiteacutes eacuteleacutementaires propres agrave la tempeacuterature des individus selon les Deacutecrets de la Providence

Cest ce qui a fait dire aux Sages que le Sel spirituel qui sert denveloppe et de lien au Souffre et au Mercure ceacutelestes eacutetait la seule et unique matiegravere dont se fait la Pierre des Philosophes et que comme ces trois substances identifieacutees par leur union nen faisaient quune la Pierre neacutetait point faite de plusieurs choses mais dune seule chose composeacutee trine en essence unique de principe et quadrangulaire de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees [cette forme nest autre que le rhomboegravedre tronqueacute forme presque cubique offerte par la Pierre] cependant cela se doit entendre agrave certains eacutegards qui puissent tomber sous lintelligence de lesprit et des sens en mecircme temps cest-agrave-dire quil ne faut pas simaginer que la matiegravere de la Pierre triangulaire et quadrangulaire des Sages se doive ni puisse prendre en son eacutetat de fluide aeacuterien invisible mais il faut entendre quil est neacutecessaire de chercher et trouver cette mecircme matiegravere de fluide aeacuterien infuse et corporifieacutee en une terre Vierge des enfants de la Nature qui en sont les mieux partageacutes les plus hautement et copieusement favoriseacutes et en qui les premiers et les seconds Agents unis ont plus de digniteacute dexcellence et de vertu Car la racine du Souffre des Sages de leur Mercure et de leur Sel est un Esprit ceacuteleste Spirituel et surnaturel qui par le veacutehicule de lair subtil se porte et se condense en air ou vapeur eacutepaissie et fait une matiegravere universelle et lunique de toute procreacuteation

4deg Au-dessous de ces trois enfants placeacutes dans leacuteleacutement de lair est le Globe de lEau et de la Terre sur laquelle paissent des animaux comme un mouton un taureau etc Le Globe de l Eau et de la Terre nous deacutesignent les Eleacutements infeacuterieurs tels que lEau et la Terre dans lesquels le Feu ceacuteleste et lhumide radical tregraves subtil par le moyen de lair sinsinuent jusquau profond et y circulent incessamment par leur propre vertu sous la forme invisible dun Esprit surceacuteleste et de vie qui selon David Psaume18 v 6 7 8 a son Tabernacle dans le Soleil dougrave par sa vertu eacutenergique comme un Epoux qui se legraveve de sa couche nuptiale il seacutelance pour parcourir la voie des Eleacutements ainsi quun

superbe Geacuteant [allusion aux Titans qui deacutesigne de la chaux] qui mesure son eacutelan et ses forces dans la vaste eacutetendue de lair sa sortie est du plus profond des Cieux de lagrave il procegravede peacutenegravetre partout et ne laisse rien priveacute de la chaleur de sa preacutesence vivifiante de lexpression mecircme de Salomon en son Eccleacutesiastes c 1 v 5 6 Cest ce mecircme Esprit divin qui eacuteclaire limmensiteacute de lUnivers qui se poussant et repoussant par vertu eacutenergique et eacutelastique en circuit du centre agrave lexcentre et en la capaciteacute de tout retourne sans cesse et perpeacutetuellement dans les cercles quil deacutecrit par son mouvement et son cours eacuteternel et universel

Cest ainsi que cet Esprit universel par le feu et lhumide nourrit les poissons dans leau les animaux sur la terre et les insectes en terre quil fait veacutegeacuteter les Plantes et produit les Mineacuteraux [cf la section sur le Mercure et les blasons alchimiques] et Meacutetaux au Centre et dans les entrailles de la Terre pourquoi son influence circulante comme Feu vital uni agrave lhumide radical par le Sel de Sapience est la semence universelle qui se congegravele et dont la vapeur seacutepaissit au centre de toutes choses cette semence spirituelle opegravere dans les diffeacuterentes matrices selon leurs dispositions leur nature leur genre leur espegravece et leur forme particuliegravere pour produire toutes les geacuteneacuterations en y mettant le mouvement et la vie

Quant aux deux animaux paissant qui sont le mouton et le taureau cest pour nous dire quau retour du Printemps et dans les deux premiers mois qui sont mars et avril auxquels ces deux animaux dominent en qualiteacute de signes du zodiaque la matiegravere universelle creacuteative et reacutecreacuteative eacutetant plus amoureuse de la Vertu ceacuteleste [allusion agrave la roseacutee de mai] qui y infuse ses proprieacuteteacutes vitales copieusement est plus abondante vertueuse et exalteacutee par conseacutequent aussi plus qualifieacutee quen un autre temps [voir lemblegraveme de Limojon de St-Didier]

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5deg Au-dessous de ces deux animaux on voit un corps comme endormi et coucheacute sur son dos sur lequel descendent de lair deux ampoules le col en bas lune adressant vers le cerveau et lautre vers le cœur de cet homme endormi Ce corps ainsi figureacute nest autre chose que le sel radical et seacuteminal de toutes choses lequel par sa vertu magneacutetique [cest lAimant de Philalegravethe il sagit du dissolvant qui assure la laquo disparition raquo initiale des chaux meacutetalliques cest lune des putreacutefactions de Le Breton] attire agrave soi lacircme et lesprit Catholiques qui lui sont homogegravenes et qui sans cesse sinsinuent et se corporifient dans le sel ce qui est repreacutesenteacute par les deux ampoules ou fioles contenants la chaleur et lhumiditeacute naturelle et radicale et ce sel ayant ainsi attireacute et corporifieacute ces deux substances en lui leur union spirituelle lui ayant acquis de prodigieux degreacutes de force il se pousse et peacutenegravetre dans le point central des individus et duniversel que ce sel eacutetoit il se particularise se corporifie se deacutetermine et devient rose dans le rosier or dans largent vif mineacuteral or dans lor plante dans le veacutegeacutetal roseacutee dans la roseacutee homme dans lhomme dont le cerveau repreacutesente lhumide radical lunaire et le cœur signifie la chaleur naturelle solaire veacutehiculeacutee dans le premier comme sa matrice

6deg Au cocircteacute droit des mecircmes trois enfants un peu plus bas que lair est un escalier par lequel monte agrave genoux un homme ayant les mains jointes et eacuteleveacutees en lair duquel eacuteleacutement il descend une ampoule ou fiole et au haut de lescalier il y a une table couverte dun tapis avec une coupe dessus Lescalier nous apprend quil faut seacutelever agrave Dieu le prier agrave genoux de coeur desprit et dacircme pour avoir ce don qui est le Magistegravere des Sages et vraiment un tregraves grand don de Dieu [assonance en grec entre le soufre et Dieu la matiegravere premiegravere est un sulfate] une gracircce singuliegravere de sa bonteacute et quil ne faut pas ecirctre en des lieux bas [cest tout le contraire lun des eacuteleacutements neacutecessaire agrave la preacuteparation du feu secret ne se trouve que dans les caves et les eacutetables] pour prendre la premiegravere matiegravere universelle qui contient la forme veacutegeacutetale et geacuteneacuterale du monde lampoule qui descend de lair signifie la liqueur ou roseacutee ceacuteleste qui deacutecoule premiegraverement de linfluence surceacuteleste se mecircle ensuite avec la proprieacuteteacute des astres et dicelles mecircleacutees ensemble il se forme comme un tiers entre terrestre et ceacuteleste voilagrave comme se forme la semence et le principe de toutes choses

Pour la coupe qui est sur la table elle repreacutesente le vase avec lequel on doit recevoir la liqueur ceacuteleste [cest le vase dit laquo de nature raquo reportez-vous agrave Cybegravele]

7deg Au cocircteacute gauche de cette mecircme Porte de ce grand portail sont quatre grandes figures de grandeur humaine qui chacune ont un symbole sous leurs pieds La premiegravere la plus proche de la porte a sous ses pieds un dragon volant qui deacutevore sa queue [symbole classique lune des gravures du De lapide philosophorum de Lambsprinck exprime parfaitement lalleacutegorie] La deuxiegraveme a sous ses pieds un lion dont la tecircte est contourneacutee vers le Ciel ce qui lui lait faire un effort de contorsion de col

[cette contorsion preacutesente un inteacuterecirct hermeacutetique majeur le deacutetour se dit en grec dont lune des acceptions est circonvolution mouvement de rotation combien de fois navons-nous pas rencontreacute ce mouvement denroulement ce resserrement Nous donnons cet extrait de nos blasons alchimiques qui permettra au lecteur la facile identification de notre Sujet en sa premiegravere matiegravere

Proche du filet la spirale se retrouve sur des pierres celtiques et lon peut citer avec R Viel la laquo pierre omphaloiumlde de Turoe comteacute de Galway raquo laquelle laquo date de leacutepoque de la Tegravene (300 ans av J-C) raquo Ces spirales repreacutesentent une reacuteserve de forces au plan hermeacutetique La cabale alchimique permet dy deacuteceler des indices de corps astringent qui laquo resserrent ou eacutetreignent raquo possegravedent une odeur stiptyque et sont freacutequemment associeacutes agrave certains symboles ici cest Bacchus qui est mentionneacute et le sujet des Sages est compareacute au lierre (consideacutereacute comme la partie mineacuterale) lagrave cest un arbre scieacute et eacutetreint quon peut observer crsquoest-agrave-dire un arbre mutileacute qui est compareacute au meacutetal dans un des caissons du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne (DM II) Le lierre (hedera) enguirlande le thyrse (javelot) de Bacchus il peut ecirctre compareacute aux serpents enrouleacutes en spirale autour du caduceacutee de Mercure et marque le caractegravere astringent ou styptique dune substance Dans le mecircme ordre drsquoideacutee on peut rapprocher par analogie le lierre dune plante souple qui sert agrave lier la vigne (ampelosdesmos) et notamment la couleuvreacutee (vitis alba) Enserrer lier cest bien cette action quexprime le personnage de la FIGURE XVI ougrave lon peut deviner un vautour expirant Ce vautour ou aigle a la mecircme valeur que le dragon expirant que lon voit sur lune des quatre Vertus au tombeau des Carmes que lon peut visiter dans notre section des Gardes du corps de Franccedilois II cette Vertu cest la Force Ce corps astringent nous lavons nommeacute de nombreuses fois et il est habituellement associeacute au bleacute On lextrait de la terre de Samos ou de la terre de Chio et il repreacutesente la reacutesine de lor Ce corps sapparente au 1

er Mercure ou sel des Sages]

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La troisiegraveme a sous ses pieds la figure dun ridicule qui se rit et se moque des figures quil regarde et qui semblent se preacutesenter agrave lui [il sagit du laquo fou raquo de loeuvre cest le Mercure] Et la quatriegraveme foule aux pieds [la terre agrave foulon est dun inteacuterecirct hermeacutetique majeur reporte-vous agrave la section sur la matiegravere premiegravere] un chien et une chienne qui tous sentremordent vigoureusement et semblent vouloir se deacutevorer lun et lautre [il sagit bien sucircr du chien de Corascegravene et de la chienne dArmeacutenie dArteacutephius ce sont les deux natures meacutetalliques de loeuvre]

Par le dragon volant qui deacutevore sa queue est repreacutesenteacutee la Pierre des Philosophes composeacutee de deux substances ou mercure dune mecircme racine et extraite dune mecircme matiegravere lune desquelles substances est lesprit eacutetheacutereacute humide et volatil et lautre est le souffre ou sel de nature corporel sec et fixe lequel par sa nature et sicciteacute interne [alkali fixe tartre vitrioleacute] deacutevore sa queue glissante de dragon cest-agrave dire dessegraveche lhumiditeacute et la convertit en Pierre aideacute par le feu constant dans la concaviteacute de lesprit eacutetheacutereacute humide siegravege de lacircme Catholique Le lion courbeacute qui regarde vers le Ciel deacutenote le corps ou sel animeacute qui deacutesire reprendre avec aviditeacute son acircme et son esprit

La figure du ridicule repreacutesente les faux Philosophes et Sophistes ignorants qui samusent agrave travailler sur des matiegraveres heacuteteacuterogegravenes et ne rencontrent rien de bon se moquent de la Science hermeacutetique et disent quelle nest pas vraie mais purement illusoire en quoi ils offensent la veacuteriteacute Divine qui a mis ses plus riches treacutesors dans le sujet Le chien et la chienne qui sentre-deacutevorent que les Sages appellent chien dArmeacutenie et chienne de Corascegravene signifient que le combat des deux substances de la Pierre est dune seule racine car lhumide agissant contre le sec se dissout et ensuite le sec agissant contre lhumide qui auparavant avait deacutevoreacute le sec est englouti par le mecircme sec et reacuteduit en eau segraveche [il sagit du Mercure philosophique] et cela sappelle prendre dissolution de corps et congeacutelation de lesprit ce qui est tout le travail de lŒuvre hermeacutetique

8deg Au dessous de ces grandes figures dans un pilier proche le Portail est la figure dun Evecircque [cest le conducteur ou laquo lappariteur raquo de loeuvre on peut lassimiler au sel harmoniac sophique] chargeacute de sa mitre et de sa crosse en posture meacuteditative Cet Evegraveque repreacutesente Guillemus Parisiensis ou bien celui qui a fait construire ce magnifique Portail et qui y a fait mettre les Enigmes [cet eacutevecircque a fait lobjet dun commentaire deacutetailleacute de Fulcanelli dans son Mystegravere des Catheacutedrales cf Cambriel]

9deg Au pilier qui est au milieu et qui seacutepare les deux portes de ce Portail est encore la figure dun Evecircque lequel met sa Crosse dans la gueule dun dragon qui est sous ses pieds et qui semble sortir dun bain ondoyant dans lesquelles ondes parait la tecircte dun Roi agrave triple Couronne qui semble se noyer dans les ondes puis en sortir derechef [cest lalleacutegorie semblable agrave celle de lapparition de Deacutelos qui consacre le deacutebut de laccreacutetion du Soufre agrave la Terre]

Cet eacutevecircque repreacutesente le sage Artiste Chimique lequel fait par son art congeler [voyez le reacutecit de De Cyrano Bergerac combat entre la reacutemore et la salamandre] la substance volatile du dragon mercuriel qui veut seacutelancer et sortir du vase qui le contient sous la forme deau ondoyante cest-agrave dire quil est exciteacute agrave ce mouvement interne par une douce chaleur externe et ce Roi couronneacute est le souffre de nature qui est fait par lunion physique et excentrique des trois substances homogegravenes mais seacutepareacutees par lArtiste de la premiegravere matiegravere Catholique lesquelles trois substances sont lesprit eacutetheacutereacute mercuriel le sel sulfureux ou nitreux et le sel alkali ou fixe et qui conserve son nom de sel entre les trois principes principians et les trois principes principieacutes qui tous trois eacutetaient contenus dans le chaos humide dans lequel ce Roi se noye et semble demander du secours quil nobtient de lArtiste alchimique quapregraves secirctre dissous dans le dissolvant de sa propre substance qui lui est semblable apregraves quoi il aura meacuteriteacute decirctre satisfait en sa demande cest-agrave dire quapregraves quil a eacuteteacute englouti et fait eau par son eau [il sagit dune substance qui se dissout dans son eau de cristallisation] il se congegravele par sa chaleur interne exciteacute par son sel ou sa propre terre par laquelle opeacuteration simple naturelle et sans meacutelange se fait le Magistegravere des Sages qui nest autre chose que dissoudre le corps et congeler lesprit apregraves avoir mis dans loeuf cristallin le poids convenable de lune et lautre substance qui sont triple et une car tout le travail de lŒuvre est de monter et descendre successivement quon appelle ascension et descension jusquagrave ce que de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees contraires homogeacuteneacuteiseacutees lon fasse trois principes constitutifs et ordonnateurs que des trois lon fasse apparaicirctre le feu et leau le sec et lhumide que de ces deux lon fasse un seul parfait peacutetrifieacute en sel qui contient tout le Ciel et la terre en eacutepuration et cuisson des heacuteteacuterogegravenes

10deg Au Portail agrave main droite lon voit les douze signes du Zodiaque diviseacutes en deux parties en ordre selon la science de Dieu et de la nature En la premiegravere partie du cocircteacute droit sont les signes du Verseur deau et des Poissons qui sont hors dœuvre ce quil faut remarquer et noter Puis en oeuvre sont le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux au dessus lun de lautre Et au dessus des Jumeaux

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est le signe du Lion quoique ce ne soit pas son rang car il appartient agrave LEcrevisse mais il faut consideacuterer cela comme mysteacuterieux Les signes du Verseau et des Poissons sont mis hors dœuvre cest expresseacutement pour faire connaicirctre quaux deux mois de janvier et feacutevrier on ne peut avoir ni recueillir la matiegravere universelle [cest purement alleacutegorique les signes zodiacaux sont des hieacuteroglyphes ceacutelestes voila tout] Pour le Beacutelier et le Taureau ainsi que les Jumeaux qui sont en œuvre Lun au-dessus de lautre et qui regravegnent au mois de mars davril et de mai ils apprennent que cest dans ce temps lagrave que le sage Alchimique doit aller au devant de la matiegravere et la prendre agrave linstant quelle descend du Ciel et du fluide aeacuterien ougrave elle ne fait que baiser les legravevres des mixtes et passer par dessus le ventre des Bourgeons et des feuilles Veacutegeacutetables qui lui sont sujettes pour entrer triomphante sous ses trois principes universels dans les corps par leurs portes doreacutees et y devenir la semence de la rose ceacuteleste ce qui sentend par symbole Alors son amour lui fait jeter des larmes qui ne sont rien plus que lumiegravere de laquelle le Soleil est le pegravere revecirctu dune humiditeacute de laquelle la Lune est la megravere et que le vent de lOrient apporte dans son ventre dans cet eacutetat vous lavez universelle et non deacutetermineacutee dautant que vous laurez prise auparavant quelle soit attireacutee par les aimants des individus speacutecifiques et quelle soit speacutecifieacutee en iceux

Au regard du signe du Lion qui est poseacute au-dessus de Jumeaux ougrave devrait ecirctre placeacutee lEcrevisse cest pour faire entendre quil y a quelque changement et une alteacuteration des Saisons contenue dans le travail manuel et physique de la Pierre et qui nest pas si propre pour recevoir et prendre la matiegravere quau temps ougrave regravegnent le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux car en eacuteteacute pendant les grandes chaleurs par lardeur et la pompe du Soleil qui exhale beaucoup dhumide radical pour sa substance son entretien et sa nourriture il se fait une grande dissipation et deacuteperdition des esprits et la plus grande partie de la matiegravere increacutementale et nourriciegravere des corps est convertie dans la spiritualiteacute aeacuterienne dont on ne peut la retirer que par le moyen de laimant physique et phylosophique qui lui est homogegravene cest-agrave-dire par une tempeacuterature assaisonneacutee dhumide qui est son aimant et son enveloppe

11deg Au bas un peu au-dessus du Verseau et vis-agrave-vis des Poissons lon voit un Dragon volant qui semble regarder seulement et fixement Aries Taurus et Gemini cest-agrave-dire les trois figures du Printemps qui sont le Beacutelier le Taureau et les JumeauxCe Dragon volant qui repreacutesente lesprit universel et qui regarde fixement les trois figures semble nous dire affirmativement que ces trois mois sont les seuls dans le cours desquels lon peut recueillir fructueusement cette matiegravere ceacuteleste que lon appelle lumiegravere de vie laquelle se tire des rayons du Soleil et de la Lune par la coopeacuteration de la nature un moyen admirable et un art industrieux mais simple et naturel

12deg Proche et derriegravere ce Dragon volant est figureacute un Ridicule et derriegravere ce Ridicule est un chien assis sur le dos sur lequel chien est poseacute un oiseau Ce Ridicule est un moqueur de la science hermeacutetique en question un rieur meacuteprisant des opeacuterations des vrais Sages et Philosophes et de tous leurs Partisans quil estime insenseacute tout aveugleacute quil est dans lerreur vulgaireLa figure de ce Chien poseacute sur le dos sur lequel est un oiseau nous fait entendre que ce chien est le corps ou le sol de la matiegravere universelle fidegravele agrave lArtiste qui sccedilait la travailler et loiseau repreacutesente lesprit de la mecircme matiegravere lequel y est poseacute cette matiegravere est connue communeacutement sous les noms de souffre et de mercure le sel pour tiers et copule ou liaison y eacutetant compris comme indivisible des deux qui sont le corps et lesprit

13deg En la seconde partie de ce Portail au cocircteacute gauche et tout en haut est le signe de lEcrevisse agrave la place dit Lion qui est de lautre cocircteacute du mecircme PortailSur la mecircme ligne de lEcrevisse sont la Vierge [symbole de la matiegravere primitive Virga paritura] la Balance et le Scorpion [symbole des deux

natures meacutetalliques par son venin ] tous quatre en oeuvre Et ensuite le Sagittaire [qui a des rapports avec Arteacutemis] et le Capricorne [dont Saturne-Cronos est le maicirctre] qui sont hors doeuvre Par lEcrevisse ainsi placeacutee en haut est teacutemoigneacute que la matiegravere Lunaire a eacuteteacute bien abondante mais que labondance nen est plus si grande agrave cause que les Pleiumlades qui sont des constellations humides sen retournent La Vierge la Balance et le Scorpion sont les derniers degreacutes de chaleur pour la coction de loeuvre Phylosophique car en ce temps Automnal la maturiteacute des fruits se parfait par le Sagittaire et le Scorpion qui sont hors doeuvre ce qui deacutemontre leur frigiditeacute et sicciteacute et que ces qualiteacutes conccedilues par lesprit intelligent sont neacuteanmoins invisibles exteacuterieurement en la matiegravere de notre Magistegravere

14deg A droite et agrave gauche de ces douze Signes du Zodiaque qui repreacutesente le cours de lanneacutee sont quatre figures repreacutesentant les quatre Saisons qui sont lHiver le Printemps lEteacute et lAutomne Par ces quatre Saisons il est donneacute agrave entendre que le Composeacute phylosophique doit ecirctre entretenu en lathanor ou fourneau de cuisson pendant un an et plus ce qui fait dix mois hermeacutetiques par les degreacutes dune chaleur qui soit douce et proportionneacutee au commencement et puis un peu plus forte

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sur la fin et cependant lineacuteaire comme pour faire colorer et mucircrir les fruits qui se recueillent pendant trois de ces Saisons agrave savoir le Printemps lEteacute lAutomne moyennant quoi lArtiste acquiert la Meacutedecine au blanc Symbole de la Vierge megravere et Pascale quil peut arrecircter et prendre au cercle citrin comme Meacutedecine lunaire universelle parfaite ou bien continuer sans interruption de travail et pousser jusquau rouge parfait qui en est produit comme Meacutedecine solaire universelle et souveraine accomplie au temps de sa naissance marqueacutee solennellement par les Sages

15deg Au-dessous de huit grandes Figures du mecircme Portail dont il y en a quatre de chaque cocircteacute et tout en bas sont deacutemontreacutees les vraies opeacuterations pour faire et parfaire la Meacutedecine universelle que le Curieux apprenti de cette Oeuvre divine pourra expliquer ou se les faire expliquer mais jamais ne les expliquer par eacutecrit

16deg Lon voit six Figures au Portail du milieu au cocircteacute droit La premiegravere est un Aigle [symbole complexe lun des plus difficiles agrave appreacutehender lAigle a rapport avec la sublimation] la seconde un Caduceacutee entortilleacute de deux serpents [double Mercure] la troisiegraveme un Pheacutenix qui se brille la quatriegraveme un Beacutelier la cinquiegraveme un homme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair et la sixiegraveme est une Croix au trait quarteacute ougrave il se voit dun cocircteacute sur la ligne transversale une larme et sur la mecircme ligne de lautre cocircteacute un calice en cette forme[] Ces six Figures ne sont pour ainsi dire que la reacutepeacutetition de ce qui a deacutejagrave eacuteteacute dit tant de fois sous diffeacuterentes figures et diffeacuterents termes qui sont ineacutepuisables par le peu de travail et la simpliciteacute de la matiegravere qui ne se fait neacuteanmoins connaicirctre quaux vrais Philosophes et non pas aux Sophistes ignorans quelques recherches quils en fassent parce que leur intention est mauvaise et orgueilleuse et que ce Don divin nest accordeacute quaux simples et humbles de coeur meacutepriseacutes du reste du monde insenseacute et assez malheureux en son aveuglement pour ne se repaicirctre que de fables transitoires

1deg Laigle par exemple ne signifie autre chose que lEsprit universel du monde et cest lOiseau dHermegraves et le mouvement perpeacutetuel des Sages

2deg Le Caduceacutee entortilleacute de deux serpents enseigne que la Pierre est composeacutee de deux substances quoique tireacutee du mecircme corps et extraite de la mecircme racine ces deux substances neacuteanmoins semblent ecirctre contraires eu apparence lune eacutetant humide et lautre seiche [segraveche] lune volatile et lautre fixe mais elles sont semblables en essence et en effets parce quelles sont deux de nature venant dun seul principe quoiquelles ne soient reacuteellement quune

3deg Le Pheacutenix qui se brucircle et renaicirct de ses propres cendres nous apprend que ces deux substances apregraves avoir eacuteteacute mises dans loeuf philosophique en lAthanor agissent longtemps et naturellement lune contre lautre quelles se livrent de furieux combats avant de sembrasser et de sunir que la guerre est longue avant de recevoir le baiser de paix que les flots de la Mer philosophique sont longuement agiteacutes par le flux et reflux avant que la bonace et le calme puissent succeacuteder et reacutegner enfin que les travaux sont bien grands auparavant que ces deux substances se reacuteduisent finalement en poudre ou souffre incombustible car cela ne se peut faire quapregraves que lhumide Mercuriel a eacuteteacute consommeacute ou plutocirct desseacutecheacute par la grande activiteacute du chaud et sec interne de la substance corporelle du Sel de nature et que tout le compost est fait semblable Cest apregraves ces brucirclemens ou calcinations philosophiques que cette poudre le vrai Pheacutenix des Sages car il ny a point dans le monde dautre Pheacutenix que celui-lagrave eacutetant dissout derechef dans son lait virginal retourne agrave reprendre naissance par soi-mecircme et de ses propres cendres et continue ainsi agrave renaicirctre et mourir tout autant de fois quil plaicirct agrave lArtiste bien expeacuterimenteacute

4deg Le Beacutelier signifie toujours le commencement de la Saison en laquelle il faut prendre la matiegravere dautant quen ce temps deffervescence lhumide igneacute de lEsprit universel commence agrave monter de la Terre au Ciel et agrave descendre du Ciel en terre bien plus copieusement quen toute autre saison et avec plus de vertu surtout dans les miniegraveres ou le Soleil a fait au moins trente reacutevolutions et non plus de trente-cinq ougrave la Nature mineacuterale commence agrave reacutetrograder pour tendre agrave sa deacutepravation et agrave son deacuteclin

5deg Lhomme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair nous deacutemontre quil faut sccedilavoir ce que cest que lAymant fait par lhomme qui a la puissance dattirer du Ciel du Soleil et de la Lune par sa vertu magneacutetique lEsprit Catholique invisible revecirctu de la pure substance humide eacutetheacutereacutee influence quintessencieacutee pour de ces deux en faire une troisiegraveme substance participant des deux autres individuellement et qui chacune contienne en soi indivisiblement le Sel le Souffre et le Mercure universels lesquels tous trois se congegravelent et sunissent au centre de toutes choses

6deg Quand agrave la Croix ou sur les lignes transversales par les cocircteacutes dicelle sont poseacutes une larme et un Calice cest pour nous faire entendre que ce nest que la Nature eacuteleacutementaire cest-agrave-dire les quatre

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Elemens croiseacutes [le thegraveme de la Croix est omnipreacutesent en alchimie elle figure le creuset et aussi linconnue X de Fulcanelli] figureacutes par les quatre lignes de la Croix en effet cest par le moyen des quatre Elemens que les vertus et les eacutenergies ceacutelestes descendent et sinsinuent incessamment sur tous les Corps visibles et sublunaires Les deux lignes haute et basse repreacutesentent le Feu ceacuteleste et les deux autres lignes traversantes signifient lair et leau La larme qui signifie lhumide de lair pleine de feu vital et poseacutee sur la ligne de lair et de leau doit ecirctre reccedilue dans le Calice qui signifie le reacutecipient et non pas dans les basses valleacutees quoi quelle soit partout mais sur des lieux qui savancent dans lair ougrave elle ne sera pas prise en quantiteacute par ceux qui nont pas la connaissance de laimant physique et philosophique

7deg Proche de la Porte agrave droite il y a dun cocircteacute cinq Vierges sages qui tendent leur Calice ou coupe vers le Ciel et reccediloivent ce qui leur est verseacute den haut par une main qui sort dune nueacutee et au-dessous sy voient et sy remarquent les vraies opeacuterations Alchimiques et Philosophiques Ces cinq Vierges repreacutesentent les vrais Philosophes Hermeacutetiques amis de la nature et qui ayant connaissance de lunique matiegravere dont elle se sert pour travailler dans la magneacutesie des trois regravegnes animal mineacuteral veacutegeacutetal reccediloivent du Ciel cette mecircme et unique matiegravere dans des vases convenables et suivant les opeacuterations de la mecircme nature ils travaillent physiquement et apregraves avoir fait le Mercure ou dissolvant Catholique ou le Sel de nature qui contient son souffre les unissent au poids requis les cuisent en lAthanor et finalement en font lElixir Arabique

8deg De lautre cocircteacute dudit Portail gauche on voit cinq autres Vierges mais folles en ce quelles tiennent cette Coupe renverseacutee contre terre ainsi elles ne peuvent ni ne veulent y recevoir la Lunaire que la nature leur preacutesente et qui est si copieuse quapregraves avoir largement satisfait agrave tout lUnivers il y en a encore plus de reste que demployeacutee et cela se fait en tout et se distribue en tous tems et incessamment parce quainsi la ordonneacute la voulu et le veut le Tregraves-Haut auquel gloire immortelle ineffable soit rendue sur la terre et aux Cieux Par les Vierges folles la Coupe renverseacutee sont repreacutesenteacutees une infiniteacute et presque innombrables dopeacuterations fausses des Sophistes des Chimistes des ignorans et deacutesespeacutereacutes ainsi que des impitoyables Souffleurs et Charlatans [il sagit en fait de lexpression double du symbole de Veacutenus Aphrodite ou Gaiumla]Ces cinq Vierges folles signifient ces faux Philosophes qui ne demandent que hercelets Sophistiques comme rubifications dealbations cohobations amalgamations etc qui meacuteprisent la lecture des bons Auteurs et qui par cette raison ne peuvent avoir connaissance de la vraie matiegravere quoiquil est vrai de dire quils la portent toujours avec eux jusque dans leur sein sur eux alentour deux sous leurs pieds et quils la respirent continuellement mais leur orgueil trop preacutesomptueux leur fait en meacutepriser la meacuteditation et la recherche simaginant stupidement dans leurs grossiegraveres Sophistications et leurs faux preacutejugeacutes la trouver sans la connaissance de la belle et pure nature interpregravete des Mystegraveres divins

En effet cette matiegravere est si commune et dun si vil prix que le pauvre en a autant que le

riche et elle est neacuteanmoins si preacutecieuse que chacun en a besoin et ne peut sen Passer Car

lon ne peut ecirctre vivre et agir Sans elleTout ce que jai remarqueacute en ce triple Portail est agrave la

veacuteriteacute beau et ravissant mais ce sont lettres closes Enigmes et Hieroglifs pleins de mystegraveres

pour les ignorans et choses mystiques pour les sccedilavans pour lesquels jai donneacute cette

Explication quils doivent comme Curieux consideacuterer exactement en levant les voiles qui

leur cachent lentreacutee aux secrets Cabinets de la chaste Diane Hermeacutetique Je nai point lu dans

les Cartes antiques de Paris ni de cette Catheacutedrale pour savoir le nom de celui qui a eacuteteacute le

Fondateur de ce Portail merveilleux mais je crois neacuteanmoins que celui qui a foumi ces

Enigmes Hermeacutetiques ces symboles et ces Hieroglifs mystiques de notre Religion a eacuteteacute ce

grand Docte et pieux Personnage Guillaume Eveacuteque de Paris la profonde Science duquel a

toujours eacuteteacute admireacutee avec raison des plus sccedilavans Philosophes Hermeacutetiques de lAntiquiteacute et

particuliegraverement du bon Bernard Comte de Trevisan sccedilavant adepte Philosophe Hermeacutetique

car il est certain que cet Evecircque a fait et parfait le magistegravere des Sages Or comme il a plu agrave

la divine Providence de me faire la gracircce de me donner quelque lumiegravere et connaissance de la

Philosophie Physique et Hermeacutetique jai tellement travailleacute quapregraves un long temps beaucoup

de soins de lecture des bons Livres et avoir fait quantiteacute de belles et bonnes opeacuterations jai

enfin trouveacute la triple clef par son essence pour ouvrir le sanctuaire des Sages ou plutocirct de la

sage Nature de sorte que je peux fidegravelement expliquer les Ecrits paraboliques et eacutenigmatiques

des Philosophes anciens et modernes ainsi que jai expliqueacute assez clairement les Enigmes

Paraboles et Hieroglifs de ce triple Portail ce que je fais tregraves volontiers pour donner

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contentement aux sccedilavans amateurs de cet Art divin et exciter la curiositeacute des nouveaux

Candidats qui aspirent agrave la connaissance de la Science naturelle et hermeacutetique dont Dieu

soit loueacute et exalteacute agrave jamais Ainsi soit-il Fin

Page 7: EXPLICATION TRÈS CURIEUSE - Tradgloss

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surmonteacutee dun docircme sans doute couronnement de lescalier de la tour Ce personnage est Nemrod

son nom mecircme signifie laquo reacutevolte raquo et la Bible (Gen X 9) dit de lui laquo Il fut un violent chasseur contre le Seigneur

[Labbeacute Fillion dans son commentaire de la Sainte Bible t I p52 montre quil faut traduire laquo lifne Elohim raquo par laquo contre le Seigneur raquo et non laquo devant le Seigneur raquo]

Strabon dans sa Glose ordinaire est encore plus explicite [laquo Nemrod qui ultra naturam cœlum penetrare voluit Significat diabolum qui ait Ascundam super astra cœli raquo Nemrod secundum josephum fuit auctor aedificandae turris quae taugeret cœlum raquo Saint Isidore de Seacuteville (Sancti Isidori allegoriae quaedam sacrae scripturae dans Migne t 83 col 103) dit aussi laquo Nemrod gigas diaboli typum expressit qui superbo appetitu culmen divinae celsitudinis appetivit diceus ascendam super altitudinem nubium et ero similis altissimo raquo V de Guilhermy qui a montreacute le premier dans son Itineacuteraire archeacuteologique de Paris (1855 p 46-48) quil fallait voir dans le guerrier ici repreacutesente Nemrod attribuait daccord avec Didron agrave linfluence du Coran le choix fait par lartiste de Nemrod comme symbole de lorgueil et de limpieacuteteacute Le Coran ninsiste pas particuliegraverement sur le caractegravere de Nemrod et nous pensons que les commentateurs de la Bible font assez ressortir son type dimpie et datheacutee]

Nemrod dans un accegraves dorgueil et dimpieacuteteacute lance du haut de la tour quil avait voulu faire eacutelever jusquau ciel un javelot contre lastre de Dieu En pendant de lautre cocircteacute de la porte sont deux autres bas-reliefs disposeacutes comme les premiers celui du haut dans un cadre rectangulaire celui du bas sous une arcade agrave plein cintre La scegravene du haut dun tregraves beau style repreacutesente la Deacuterision de Job Suivant le reacutecit de la Bible Job est assis sur un fumier il est presque nu un lambeau deacutetoffe tombe de ses eacutepaules et ceint ses reins il legraveve les yeux vers le ciel et croise les bras sur la poitrine en signe de soumission des vers repreacutesenteacutes avec un reacutealisme qui eacutetonne presque agrave leacutepoque ougrave a eacuteteacute sculpteacute ce bas-relief rongent son corps (Job II 7-8) Devant lui sa femme conseillegravere de reacutevolte laquo Vous demeurez dans votre simpliciteacute lui crie-t-elle Maudissez Dieu et mourez raquo (Job II 9)

Le saint homme Job reacutepond par un acte de soumission agrave la volonteacute du Seigneur laquo Ses trois amis qui avaient appris les maux qui lui eacutetaient arriveacutes eacutetaient venus chacun de leur pays Eliphaz de Theacuteman Baldad de Suba et Sophar de Naamath Car ils seacutetaient concerteacutes pour venir le voir ensemble et le consoler Et ayant leveacute

les yeux ils ne le reconnurent pas et ils pleuregraverent a haute voix deacutechiregraverent leurs vecirctements et jetegraverent de la poussiegravere en lair au-dessus de leur tecircte raquo (Job II11-12)

Le bas-relief de Notre-Dame est lillustration litteacuterale du texte de la Bible Cette scegravene a dailleurs eacuteteacute tregraves souvent repreacutesenteacutee au moyen acircge aussi bien au portail des catheacutedrales que dans les vitraux et les miniatures des manuscrits

Parfois mecircme comme au portail de la Calende agrave Rouen lhistoire de la Deacuterision de Job occupe plusieurs bas-reliefs on le voit un sur un tas de fumier puis vecirctu injurieacute par sa femme et dans un troisiegraveme bas-relief visiteacute par ses amis

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La scegravene sculpteacutee sous le bas-relief de Job est beaucoup plus difficile agrave identifier Cest un homme debout les jambes nues - elles sont tregraves deacuteteacuterioreacutees mais il semble quelles eacutetaient croiseacutees - vecirctu dune tunique largement fendue et dun manteau drapeacute sur leacutepaule gauche Il incline la tecircte en avant et legraveve le bras droit la main droite briseacutee eacutetait sans doute ouverte de la gauche il sappuie sur un grand bacircton qui est peut-ecirctre une lance A terre pregraves de lui sont un arc et deux flegraveches devant lui coule un ruisseau qui descend dun petit monticule couronneacute par deux arbres sur les branches du plus haut est un oiseau Telle est aussi preacutecise que le permet le mauvais eacutetat de conservation la description de cette scegravene encore tregraves eacutenigmatique

Les auteurs anciens comme Gueffier dans sa Description historique des curiositeacutes de leacuteglise de Paris (Paris 1763 p 211) ne mentionnent pas ce bas-relief

Didron le premier a chercheacute a lidentifier ou du moins agrave en donner le sens [Histoire de lart en France par les monuments La statuaire au XIIIe siegravecle dans la Revue de Paris 1836 t XXXI p 339]

Il voit dans nos quatre bas-reliefs des repreacutesentations historiques des Vices et des Vertus agrave cocircteacute des repreacutesentations alleacutegoriques

Sous Abraham symbolisant lobeacuteissance est un reacutevolteacute qui lance un javelot contre Dieu

Sous Job symbole de la patience et de la confiance en Dieu est la repreacutesentation de la deacutefiance un homme fort et armeacute tremble au bruit dun ruisseau et au croassement dun corbeau

De Guilhermy [op citeacute p 46-48] deacutecrit le bas-relief et avoue que toute explication lui eacutechappe il se fait leacutecho dune hypothegravese qui a eacuteteacute souvent reacutepeacuteteacutee depuis mais qui est inacceptable il faudrait voir ici Job contemplant les ravages des torrents deacutebordeacutes sur ses terres Plus reacutecemment M Enlart a

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donneacute de cette scegravene une explication tregraves inteacuteressante mais qui ne ma paraicirct pas pouvoir ecirctre accepteacutee Deacutecrivant les bas-reliefs des portails de la catheacutedrale dAuxerre du deacutebut du XIV

e siegravecle

[congregraves dAvallon 1907 p 614-616 - le bas-relief dAuxerre est plus endommageacute peut-ecirctre que celui de Paris il nous montre le mecircme personnage tourneacute en sens inverse sappuyant dans une pose pleine de noblesse sur une lance dont on distingue tregraves nettement le fer Son long manteau vole au vent ses jambes sont croiseacutees il paraicirct consideacuterer vers la gauche un monticule couronneacute dun arbuste Nous avons chercheacute mais en vain dans dautres ensembles relatifs agrave lHistoire de lEnfant prodigue la figuration du mecircme personnage ]

M Enlart trouve au milieu des scegravenes de lHistoire de lEnfant prodigue trois meacutedaillons ougrave sont figureacutes la femme aux serpents qui est la concupiscence

Job qui comme lEnfant prodigue a recouvreacute sa condition premiegravere apregraves de grandes tribulations enfin un personnage preacutesentant avec celui qui nous occupe ici les plus grandes ressemblances et que M Enlart identifie avec David David sappuyant sur sa houlette et vecirctu du costume de berger dans lequel il eacutetait arriveacute au camp de Sauumll choisit cinq pierres polies dans le torrent et savance vers Goliath La Bible deacutecrit en effet ainsi la scegravene (Reg XVII 30-40) David vient de refuser leacutepeacutee que Sauumll lui avait donneacutee

laquo il prend le bacircton quil avait toujours agrave la main choisit dans le torrent cinq pierres tregraves polies et les

met dans sa pannetiegravere de berger et tenant agrave la main sa fronde il marche contre le Philistin raquo

Ce qui rend cette hypothegravese impensable cest la preacutesence aux pieds de notre personnage non dune fronde mais dun arc que lon distingue tregraves nettement et de deux flegraveches dont on voit les extreacutemiteacutes empenneacutees et les encoches Malgreacute de longues recherches dans la Bible et dans ses Commentaires du moyen Age dans les manuscrits illustreacutes et dans les repreacutesentations peintes et sculpteacutees je nai pu retrouver lexplication de cette scegravene La preacutesence de larc et des flegraveches qui ne sexplique pas dans lhypothegravese de David allant combattre Goliath fait eacutecarter dautres hypothegraveses auxquelles on pourrait songer comme celle de Moiumlse devant le buisson tenant le bacircton qui sur son ordre se changera en serpent sur le bord du torrent dont leau deviendra du sang ou celle du prophegravete Elie se nourrissant de leau du torrent de Carish et du pain que lui apporte un corbeau Si ces bas-reliefs au lieu decirctre visiblement reacuteemployeacutes se trouvaient en place nous admettrions volontiers la thegravese de Didron qui voyait au-dessous de la repreacutesentation biblique dune vertu la repreacutesentation historique ou simplement en action du vice correspondant Mais rien ne nous

prouve que le bas-relief qui se trouve sous la scegravene de la Deacuterision de Job soit bien celui qui dans la penseacutee du clerc qui a ordonneacute ce portail devait ecirctre agrave cette place

Dans le Breacuteviaire de Charles ler [Bibl nat ms lat 1052 fol 217mdash M Macircle dans son beau livre sur lart religieux de la fin du moyen acircge en France a montreacute tout linteacuterecirct de ce manuscrit] ougrave nous trouvons les repreacutesentations bibliques et historiques des Vertus et des Vices cest Judas symbole du deacutesespoir qui figure en face de Job symbole de lespeacuterance Il nous a paru inteacuteressant de publier ces quatre bas-reliefs encore assez peu connus curieux par les problegravemes iconographiques quils soulegravevent Ce sont un des rares essais au XIII

e siegravecle de figuration des vertus laquo en action raquo

suivant lexpression de M Macircle Tandis que partout agrave cette eacutepoque aux portails de nos catheacutedrales les vertus sont repreacutesenteacutees sous la figure alleacutegorique dune femme portant un eacutecu timbreacute dun attribut nous voyons ici des repreacutesentations veacutecues des vertus

Marcel AUBERT

Commentaires il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant lecteur du Mystegravere des Catheacutedrales du non moins mysteacuterieux Fulcanelli que deux de ces bas-reliefs ont eacuteteacute commenteacutes par le plus grand alchimiste du XX

e siegravecle sur la figure V il sagit des deux bas-reliefs du bas Les deux bas-reliefs du

haut nont point eacuteteacute analyseacutes par Fulcanelli Si lon adopte un point de vue purement historique en se reacutefeacuterant agrave la Bible il est hors de doute que linterpreacutetation laquo exoteacuterique raquo de M Aubert est exacte Le mot exoteacuterique est mis entre guillemets agrave escient Il est bien clair que se rapportant agrave un haut fait de religion on ne saurait gloser de maniegravere rationnelle lagrave-dessus Cela eacutetant entendu nous pouvons

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neacuteanmoins infeacuterer quune interpreacutetation alternative est possible si lon adopte les preacuteceptes de la doctrine hermeacutetique

Aussi peut-on voir dans le bas-relief de gauche Cadmos deacutevoilant la fontaine de jouvence apregraves quil ait triompheacute du dragon [ou du serpent Python] en sorte davoir accegraves agrave leau vive qui est de toute neacutecessiteacute pour lArtiste Il est assez extraordinaire - mais ocirc combien significatif dans le sens dune interpreacutetation hermeacutetique laquo coulant de source raquo pour ainsi dire - que le corbeau soit nommeacute agrave cet endroit Tant il est vrai que cette eau vive est le signe pour lArtiste de lanimation de son Mercure et partant de la fin de la phase de putreacutefaction laquo lœuvre au noir raquo pour citer le roman de Marguerite Yourcenar Nous convenons quune telle interpreacutetation est pour ainsi dire contre nature Mais nous avons toujours dit - suivant en cela les preacuteceptes de Fulcanelli - que toute demeure toute sculpture etc preacutesentant des traits conduisant agrave une possible interpreacutetation hermeacutetique pouvait constituer un preacutetexte ce qui bien sucircr est le cas des deux bas-reliefs qui nous occupent Quant au bas-relief de droite nous avons eu loccasion de lanalyser dans la section du reacutebus de saint Greacutegoire-en-Viegravevre Quant agrave celui de la Deacuterision de Job [bas-relief du haut agrave gauche] il se preacutesente comme une parodie des Rois Mages allant au chevet du Christ deacuteposeacute dans sa litiegravere de paille pratiquement dans le fumier Les Rois Mages sont ici repreacutesenteacutes par Eliphaz Baldad et Sophar la figure christique eacutetant incarneacutee en Job Quant au bas-relief en haut et agrave droite M Aubert nous dit quil repreacutesente le sacrifice dAbraham Comment inteacutegrer le patriarche biblique dans le symbolisme du grand œuvre Nous retiendrons ici ces paroles de saint Paul laquo contra spem in spem credidit raquo que lon peut traduire par laquo pour une aventure sans espoir il puisa lespoir dans sa foi raquo ou bien laquo quand il ny avait plus despeacuterance sa foi lui donna lespoir raquo dougrave cette conclusion lapidaire laquo contre tout espoir il crut agrave lespeacuterance raquo A quoi nous pouvons rajouter cette maxime tireacutee de lIcircle Mysteacuterieuse roman geacutenial de Jules Verne - mais maxime qui serait attribueacutee agrave Ockam - laquo il ne sert agrave rien despeacuterer pour entreprendre ni de reacuteussir pour perseacuteveacuterer raquo En somme en lisiegravere ou en bordure pourrait-on dire du symbolisme propre agrave lalchimie avons-nous lagrave un message qui sadresse agrave lArtisteLes deux autres bas-reliefs ne posent pas de problegraveme celui du bas agrave gauche

FIGURE VI on peut en trouver une repreacutesentation semblable sur lun des caissons de la galerie hermeacutetique du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne le soleil darde ses rayons sur lœuf des philosophes agrave Paris cest lArtiste qui protegravege lathanor des ardeurs des rayons Sagit-il de lavertissement classique des alchimistes qui conseillent de modeacuterer le feu faute de quoi on courrait le risque de brucircler les fleurs Sagit-il dune alleacutegorie sur le feu sacreacute quil faut savoir maicirctriser Ou encore sur la maniegravere de capter le rayon igneacute qui constitue le Soufre rouge sublimeacute dans le Mercure Nous nen saurons pas plus Le bas-relief de gauche est superposable agrave lalleacutegorie de Cadmus qui apregraves avoir tueacute le serpent Python [ou le dragon] fonde la ville de Thegravebes lagrave ougrave le sabot de son cheval laisse jaillir une source deau pure cest cette repreacutesentation que nous voyons ici leau pure jaillissant du checircne que lon aperccediloit agrave

droite du bas-relief reacuteplique semblable agrave lune des figures du Livre dAbraham Juif

Cet article de M Aubert nous a permis dobserver le fait suivant au demeurant bien connu quun tableau lapidaire peut aiseacutement voir son sens deacutetourneacute de mille maniegraveres selon lobservateur mais quil existe des bornes au-delagrave desquelles le sens tombe pour ainsi dire de lui-mecircme nous venons de le voir pour le bas-relief repreacutesentant le sacrifice dAbraham ougrave il nest pratiquement pas possible de deacutefinir une approche hermeacutetique Tel nest plus le cas dautres bas-reliefs du grand pilier de Notre-Dame de Paris qui ont fait lobjet dune eacutetude approfondie de Fulcanelli dans le premier tome de sa trilogie il sagit bien sucircr du Mystegravere des Catheacutedrales Loin de nous le besoin de revenir sur les planches de louvrage pour les reacuteinterpreacuteter Non Nous en avons donneacute quelques-unes dans les sections du site pour servir le propos Mais il est eacutevident que Fulcanelli a ducirc sinspirer du traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant et degraves lors il paraicirct inteacuteressant de chercher en quoi les meacutedaillons des Vices et des Vertus ont pu deacuteterminer chez Fulcanelli lapproche qui fut sienne dans le Mystegravere des Catheacutedrales Nous ne pourrons ici que renvoyer le lecteur agrave un site remarquable sur lart religieux au XIIIe siegravecle reacutesumeacute simplifieacute du livre dEmile Macircle Lart religieux au XIIIe siegravecle Etude

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sur les origines de liconographie du Moyen Age et sur ses sources dinspiration (Armand Colin 1948)

Voici quoi quil en soit quelques reacuteflexions sur cet ouvrage Et aussi dun autre ouvrage consacreacute agrave lart religieux au XIIe siegravecle Ces deux recensions forment une introduction agrave lœuvre dEmile Macircle dont il faut regretter que lon ne trouve pas encore sur le serveur Gallica de la BNF la premiegravere eacutedition de lArt religieux au XIIIe siegravecle Cette introduction est preacutecieuse pour leacutetudiant en hermeacutetisme et alchimie et permet de reacutealiser la liaison entre les vieux sculpteurs bacirctisseurs de catheacutedrales dune part et les alchimistes du XX

e siegravecle qui par delagrave lœuvre dEsprit Gobineau de Montluisant

semployegraverent agrave trouver dans ces tableaux et ces livres muets lapidaires linspiration de leurs singuliegraveres reacuteflexions Nous voici agrave preacutesent en mesure de donner quelques preacutecisions sur la signification exoteacuterique des Vices et des Vertus repreacutesenteacutes sur les meacutedaillons du portail central de Notre-Dame

Les Vices et les Vertus de Notre-Dame de Paris

Nous ne saurions mieux faire que suivre lenseignement du Speculum majus de Vincent de Beauvais pour deacutebuter leacutetude des meacutedaillons de Notre-Dame de Paris Vincent de Beauvais que nous avons rencontreacute agrave de multiples reprises dans nos sections

[Donum Dei Ideacutee alchimique I II Char Triomphal de lAntimoine Chevreul critique de Hoefer I Chimie des Anciens I II Miroir dalchimie prima materia Atalanta fugiens XLII Nouvelle Lumiegravere Chymique Mercure]

FIGURE VII Quatriegraveme tome du Speculum majus de Vincent de Beauvais

eacuted de 1624 Bibliothegraveque nationale de France

Le Speculum majus ouvrage de Vincent de Beauvais est un condenseacute des savoirs de leacutepoque Lœuvre est diviseacutee en quatre parties appeleacutees miroirs

- le miroir de la nature les chapitres de cette partie suivent lordre des jours de la creacuteation Ils comprennent leacutenumeacuteration et la description de tous les eacuteleacutements de la nature en terminant par lhomme - le miroir de la science il raconte lhistoire de la Chute et preacutesente la science comme une des voies de reacutedemption Les sept arts sont consideacutereacutes comme autant de dons du Saint Esprit Toutes les connaissances scientifiques sont passeacutees en revue - le miroir moral il preacutesente une classification des vices et des vertus (dapregraves Saint Thomas dAquin)

- le miroir historique il preacutesente lhistoire de lEglise le reste neacutetant eacutevoqueacute queacutepisodiquement

Cest selon cette reacutepartition en quatre chapitres que les auteurs du site consacreacute agrave lArt religieux au XIIIe siegravecle se sont donneacute pour tacircche deacutetudier liconographie du Moyen Acircge Sans reprendre exactement leurs propos nous ajouterons surtout plusieurs remarques

- sur le miroir de la nature les animaux se voient attribuer une valeur symbolique forte Cest leacutevidence le bestiaire hermeacutetique est dune grande importance [cf par exemple la voliegravere alchimique analyseacutee dans la page du Poegraveme du Pheacutenix] Mais la nature peut ecirctre envisageacutee de faccedilon encore plus large en particulier la geacuteologie appliqueacutee agrave lhermeacutetisme que le lecteur se rapporte au Bergbuumlchlein [commenteacute par Daubreacutee] agrave la Reacuteveacutelation de la teinture des meacutetaux [Bernard Le Treacutevisan] au Traiteacute des Choses naturelles et surnaturelles [attribueacute agrave Basile Valentin] agrave la Philosophie Naturelle restitueacutee [Jean dEspagnet] On peut encore y annexer le Typus Mundi

- sur le miroir de la science laquo Lhomme peut se relever de sa chute par la science raquo (Vincent de Beauvais)

Tout comme le travail manuel affranchit des neacutecessiteacutes du corps la science affranchit de lignorance qui empoisonne lesprit Le travail est tregraves preacutesent dans les vitraux ougrave sont repreacutesenteacutes tous les

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meacutetiers artisanaux et eacutegalement dans les voussures et les soubassements de portail ougrave les travaux agricoles sont souvent mecircleacutes aux signes du zodiaque La science quant agrave elle est incarneacutee par les sept arts qui se composent dun trivium (grammaire rheacutetorique dialectique) et dun quadrivium (arithmeacutetique geacuteomeacutetrie astronomie et musique) La philosophie est consideacutereacutee comme la megravere de tous les arts Les diffeacuterents arts sont souvent repreacutesenteacutes sous forme de jeunes femmes doteacutees dinstruments symboliques On les trouve par exemple aux portails de Chartres et de Laon

Note les photographies des meacutedaillons sont tireacutes du site httparchitecturereligfreefr nous tenons agrave remercier les auteurs [Elisabeth et Vincent Trouveacute] de leur permission dinseacuterer sur cette page ces images des bas-reliefs qui donnent une nouvelle jeunesse au Mystegravere des Catheacutedrales sil est possible

FIGURE VIII la grammaire Limage montre une femme

avec une feacuterule (petite palette avec laquelle on frappait les eacutecoliers au sens figureacute autoriteacute seacutevegravere) et deux enfants agrave ses pieds nous y trouvons leacutequivalent de la sapience agrave laquelle lArtiste doit parvenir afin de preacuteparer ses matiegraveres sous ce rapport les deux enfants pourraient figurer Apollon et Arteacutemis Il sagit agrave tout le moins dapprendre agrave manier le Verbe ce qui en terme de cabale se traduit par un mot lhumour Qui ne sait pas ce quest lhumour bien tempeacutereacute ne sera jamais au fait de lArt Sacreacute Cest-agrave-dire qui ne connaicirct la vertu essentielle et roborative (fortifiante) du mot ESPRIT De lagrave agrave jouer sur les mots il ny a quun pas que lon ne peut franchir si lon na pas compris la SUBTILITE des textes alchimiques Subtiliteacute qui permet den comprendre le VERBE Et comme chacun sait le VERBE sest fait TERRE Nous ne saurions mieux reacutesumer la penseacutee veacutehiculeacutee par lArt dHermegraves

FIGURE IX - la dialectique Repreacutesenteacutee comme une

femme avec un serpent (parfois remplaceacutes par un scorpion) on ne saurait mieux concevoir les eacutechanges deacutenergie qui se produisent au sein du Mercure et quen termes de chimie moderne on qualifie doxydo-reacuteduction lagrave ougrave les Anciens semployaient agrave faire des magistegraveres Newton lui-mecircme sexprimait ainsi laquo Le 18 mai jai perfectionneacute la solution ideacuteale Cest-agrave-dire que deux sels eacutegaux portent Saturne Ensuite il porte la pierre et joint le malleacuteable Jupiter donne eacutegalement [sel ammoniac sophique] et ce dans de telles proportions que Jupiter sempare du sceptre ensuite laigle eacutelegraveve Jupiterraquo (Keynes MS 3975 p122 - citeacute dans Dobbs)

A leacutevidence nous assistons agrave des pheacutenomegravenes de meacutediation ce que Hermegraves ne deacutesavoue point dans sa Table dEmeraude [ougrave il faut lire dans le texte mediatione et non pas meditatione Notez que seuls Fulcanelli et F Hoefer donnent la version correcte du texte] Et lagent de la meacutediation par excellence est le serpent manifestation de lesprit corrompu par lacircme [dougrave le scorpion]

FIGURE X la rheacutetorique (Chartres catheacutedrale)

Il nexiste point de bas-relief repreacutesentant cet art agrave Notre-Dame de Paris La Rheacutetorique embleacutematiseacutee par Ciceacuteron est parfois doteacutee dun faisceau de lances et dun bouclier parfois simplement dun stylet et dune tablette de cire On voit dhabitude une femme faisant un geste oratoire Seul peut-ecirctre Heinrich Schuumltz paraicirct secirctre approprieacute ce quon pourrait nommer la Rheacutetorique des Dieux Ainsi dans les Psalmen Davids (1619) il affirme quil a eacutecrit ces psaumes en stylo recitativo auparavant presque inconnu en Allemagne Schuumltz fait allusion au strict principe rheacutetorique qui gouverne son style choral Sappuyant avec grande imagination sur le rythme de la parole il parvient agrave un rythme musical discontinu freacutequemment interrompu par des cadences et des effets deacutecho reacutealisant ainsi ce que seul Haydn oserait plus tard introduire une asymeacutetrie et une instabiliteacute radicales dans le tissu musical Cela est

dautant plus remarquable sagissant de la monodie Il nest point besoin de beaucoup dimagination

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pour faire voir lanalogie avec le principe formel qui doit guider lArtiste dans le magistegravere qualifieacute par tant de maicirctre dart de la musique mais nous y reviendrons en abordant directement cet art par un exemple des plus reacuteveacutelateurs Par la rheacutetorique nous compleacutetons le trivium ougrave sexprime le ternaire alchimique

FIGURE XI - larithmeacutetique (Chartres catheacutedrale)

Lagrave encore point de bas-relief la repreacutesentant agrave Paris LArithmeacutetique telle quelle est repreacutesenteacutee dans les manuscrits carolingiens deacutevide entre ses doigts une corde agrave boules eacutevocation de la bouillonnante dexteacuteriteacute des doigts computateurs de larithmeacutetique

FIGURE XII- la geacuteomeacutetrie La Geacuteomeacutetrie tient souvent agrave la fois le compas et la sphegravere car elle est la sœur de lAstronomie Elle peut ecirctre munie dun bacircton rappelant sans doute le roseau dor avec lequel dans lApocalypse Jean mesure le temple et lange la Nouvelle Jeacuterusalem Celle que lon voit agrave Paris tient une tablette Point nest besoin dinsister sur limportance de la geacuteomeacutetrie dans le magistegravere A cet eacutegard le lecteur naura quagrave consulter lAtalanta fugiens cap XXI ougrave toutes preacutecisions sont donneacutees Quant au compas un chapitre speacutecial lui est consacreacute dans notre page sur Fontenay-Le-Comte

FIGURE XIII - lastronomie (Chartres catheacutedrale)

LAstronomie ou lAstrologie dont le modegravele est Ptoleacutemeacutee rappelle limportance des horoscopes et eacutevoque lascendant des astres sur la formation de lamour et de la haine Elle peut tenir un cadran solaire un astrolabe ou une sphegravere armillaire et contempler la giration des astres autour de la planegravete Terre Voici ce quen termes exoteacuteriques lon dit dhabitude de lastronomie mais limportance hermeacutetique de lastronomie est consideacuterable pour leacutetudiant en alchimie le lecteur consultera ici notre humide radical meacutetallique notre zodiaque alchimique et les nombreux renvois aux constellations et aux deacutecans qui parsegravement le commentaire de lAtalanta fugiens Sur lastrologie voyez la partie du site qui lui est consacreacutee

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FIGURE XIV - la musique

La Musique illustreacutee par Pythagore inventeur du nombre dor est eacutevidemment le plus souvent munie dun instrument de musique (harpe lyre ou cythare) et saffaire agrave monter la gamme en frappant des clochettes avec un marteau On se souviendra aussi dun grand vieillard que nous preacutesente Fulcanelli dans le Mystegravere des Catheacutedrales qui nest autre que le Mercure Voyez ce que nous avons dit supra des rapports entre la musique et la rheacutetorique qui lui est congeacutenegravere Comme musicien alchimique on pourrait encore eacutevoquer les figures de Monteverdi et de Varegravese Sur Monteverdi cet extrait

laquo Curieusement Monteverdi esprit lucide sil en fut va prendre goucirct [] aux expeacuteriences alchimiques Pour samuser concegravede-t-il et tout en affichant (pour la forme) un certain scepticisme Et

cependant les faits sont lagrave jusque dans les anneacutees heureuses de la peacuteriode veacutenitienne le musicien se livrera au patient travail de ladepte faisant chauffer en les mecirclant les principes du soufre du

mercure et du sel dans lathanor sans en espeacuterer autre chose que le plaisir du jeu avec linsolite [] raquo [Monteverdi Roger Tellart Fayard 1997]

et sur Varegravese

Cette aura magique a pris son origine dans les termes quil emploie volontiers et dans la citation de Paracelse quil inscrivit en exergue de sa partition dArcana Une eacutetoile existe plus haut que tout le reste Celle-ci est leacutetoile de lApocalypse La deuxiegraveme est celle de lascendant La troisiegraveme est celle des eacuteleacutements qui sont quatre il y a donc six eacutetoiles eacutetablies Outre celles-ci il y a encore une autre eacutetoile limagination qui donne naissance agrave une nouvelle eacutetoile et agrave un nouveau ciel Varegravese sest pourtant expliqueacute sur la porteacutee de cette eacutepigraphe Cette phrase eacutequivaut agrave une deacutedicace elle fait de mon poegraveme symphonique un certain hommage agrave celui qui la eacutecrite mais elle ne la pas inspireacute et lœuvre nen est pas le commentaire Il exposa sa penseacutee au New Mexical Sentinel Lart ne prend pas naissance dans la raison Cest le treacutesor enfoui dans linconscient cet inconscient qui a plus de compreacutehension que nen a notre luciditeacute Dans lart un excegraves de raison est mortel La beauteacute ne provient pas dune formule Cest limagination qui donne la forme aux recircves Attireacute par les alchimistes de la Renaissance il reconnut jai surtout lu Paracelse Il eacutetudia les principes de lastronomie hermeacutetique en tira des applications musicales qui stimulaient son imagination Il meacutedita sur les preacuteceptes de la meacutedecine de Paracelse sur lassociation la dissociation et la coagulation agrave propos de laquelle il me cita lAcoustical Terminology La coagulation des ultrasons est le deacutepart de petites particules dans de plus larges agreacutegats par laction des ondes dultrasons Ce fut surtout la transmutation des eacuteleacutements qui le retint il soumit une cellule ou un agglomeacuterat agrave diffeacuterentes tensions agrave des deacutecalages de rythmes agrave diffeacuterentes fonctions de gravitation (attirance et lourdeur) agrave diffeacuterentes dynamiques Il ne chercha ni a deacutevelopper ni a les informer il voulut transmuer Varegravese fut degraves sa jeunesse un fervent de Leacuteonard de Vinci et Kepler le passionnait il pressent tout comme Leacuteonard de Vinci Il reacutefleacutechissait sur les marges derreurs que Kepler essayait dinteacutegrer dans une seacutecuriteacute matheacutematique et quil tentait dexpliquer sans savoir prouver pourquoi elles existaient Varegravese cultivait ces marges derreur de liberteacute plus exactement qui empecircchent la contrainte et donnent la vie II reacutepeacutetait que pour lui la musique eacutetait un art-science comme dans le Quadrivium du Moyen Age ou elle figurait parmi les arts de raison avec larithmeacutetique la geacuteomeacutetrie et lastronomie [Varegravese Odile Vivier Solfegraveges Seuil 1973]

Nous teacutemoignons ici de la justesse absolue des vues de Varegravese Comme Beethoven laffirmait la musique est plus haute que toute sagesse et que toute philosophie elle les comprend toutes et permet agrave lesprit dacceacuteder en conscience au cosmos

La repreacutesentation de la philosophie est plus complexe A Laon on la trouve repreacutesenteacutee assise la tecircte dans les nuages une eacutechelle appuyeacutee contre la poitrine Cette image correspond agrave la description quen fait Boegravece dans la Consolation philosophique Leacutechelle est ce qui permet daller des eacuteleacutements infeacuterieurs vers les eacuteleacutements supeacuterieurs A Sens la philosophie est tout aussi grave mais leacutechelle est remplaceacutee par un simple sceptre Nous avons vu limage de la philosophie de Notre-Dame de Paris supra

- sur le miroir moral cest lagrave quinterviennent les meacutedaillons des Vices et des Vertus

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FIGURE XV - la prudence ( le Mercure philosophique)

Nous voici placeacutes au seuil de la sapience alchimique avec ces meacutedaillons qui ont constitueacute la matiegravere mecircme et le preacutetexte de Fulcanelli dans le premier tome [le Mystegravere des Catheacutedrales Pauvert 1924] de sa trilogie Combien de fois les alchimistes ne nous ont-ils pas avertis que sans prudence lArtiste narriverait agrave rien Ne souhaitant pas ici faire des redites inutiles nous conseillerons au lecteur de visiter la section des Gardes du Corps ougrave les Vertus se trouvent analyseacutees Il est certain que limage du fixe et du volatil sont lindice clair du Mercure preacutepareacute et sublimeacute Ce bas-relief forme la planche VII des Mystegraveres et repreacutesente le Mercure philosophique Nous en sommes bien daccord Nous ajouterons que limage la plus fidegravele de ce Mercure philosophique est formeacutee par le signe zodiacal des Geacutemeaux identique dailleurs - au plan spirituel - avec la figure I du Livre dAbraham Juif dont Fulcanelli a montreacute quil eacutetait mythique Fulcanelli eacutecrit

laquo Cest lagrave ce ver empoisonneacute qui infecte tout par son venin

dont parle lAncienne Guerre des Chevaliers raquo [Mystegravere

p 104]

Ajoutons que ce laquo ver empoisonneacute raquo deacutesigne dhabitude le premier eacutetat du Mercure et quArtephius le nomme dans son Livre Secret le laquo vinaigre tregraves aigre raquo Voilagrave la transition toute trouveacutee avec limage de la folie

FIGURE XVI - la folie ( origine et reacutesultat de la pierre)

Au lieu quici comme nous venons de le dire cest la folie qui se trouve repreacutesenteacutee il sagit de limage du premier Mercure celui dont Fulcanelli nous dit quil est le laquo fou de lœuvre raquo On le repreacutesente souvent torsadeacute et contourneacute un peu comme dans les Ripleys scrowls cf les Douze Portes Nous en avons surtout parleacute agrave la section sur Fontenay quand on la compareacute au pyrophore de Homberg ou de Gay-Lussac Voilagrave quelques notes de Fulcanelli sur la planche XIX

laquo Au second meacutedaillon lInitiateur nous preacutesente dune main un miroir tandis que de lautre il eacutelegraveve la corne dAmaltheacutee agrave ses cocircteacutes se voit lArbre de Vie Le miroir symbolise le deacutebut de louvrage lArbre de Vie en marque la fin et la

corne dabondance le reacutesultat raquo [Mystegraveres p 124]

Bien lapidaire dans son explication le maicirctre de Paris se montrera plus geacuteneacutereux dans la description de ce miroir en citant Moras de Respour voici un extrait que na pas donneacute Fulcanelli pourtant bien plus explicite sinon exoteacuterique que celui quil donne

Cette cendre mineacuterale a en soi tout ce qui est neacutecessaire aux Curieux ceux qui lrsquoont connue ont eu la matiegravere dont on la tire en grande recommandation et de crainte qursquoon sut qui elle eacutetait ils lui ont imposeacute plusieurs noms comme de Lunaire drsquoherbe Saturnienne et autres Quelques uns lrsquoont compareacutee agrave la Salamandre agrave cause qursquoelle vit dans le feu Ils ne lrsquoont jamais mieux deacutepeinte que parlant du Phœnix qui renaicirct de ses cendres drsquoautres lrsquoont nommeacutee Lucifer ou Porte lumiegravere Veacutenus engendreacutee de lrsquoeacutecume de la Mer parce qursquoon la tire en eacutecumant On lrsquoa nomme Dragon agrave cause qursquoelle brucircle comme Salpecirctre Aigle parce que lrsquoon en tire lrsquoArmoniac mercuriel ils ont dit que crsquoest le Roi drsquoautant qursquoil est le plus consideacutereacute entre eux et le Lion agrave cause de sa grande force Ils disent que crsquoest lrsquoacircme meacutetallique agrave cause qursquoelle vivifie tous les Meacutetaux et qursquoelle est corps parce qursquoelle corporifie les esprits Mais communeacutement entre les Philosophes elle est entendue par Miroir de lrsquoart agrave cause que crsquoest principalement par elle que lrsquoon a appris la composition des Meacutetaux dans les veines de la Terre []

Rares Expeacuteriences sur lEsprit mineacuteral Paris Langlois et Barbin 1668

Plusieurs arcanes se trouvent entrelaceacutees dans ce texte mais en fin il y est question en somme dun sel infusible La pratique de lœuvre montre quil nexiste que trois sels infusibles dont lun est geacuteneacuterique et reacutesulte dune transformation au lieu que les deux autres sont speacutecifiques le sel infusible proteacuteiforme est ce que les

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anciens chimistes appelaient la chaux meacutetallique et il y a autant de chaux que de meacutetaux [sept pour rester dans la pure tradition hermeacutetique cf lhumide radical meacutetallique] Le second sel - la Salamandre - est celui que De Respour nomme la Lunaire et qui est confondue dans presque tous les textes avec le premier Mercure aussi la nomme-t-on plus justement le laquo suc de la Lunaire raquo Cest elle que lon appelle encore laquo pierre et non pierre raquo et que certains ont identifieacute au nostoc [Mystegraveres p 171 cf Atalanta XXXVII] Il se trouve que cette substance deacutecrite par Pline possegravede des traits communs avec une autre pierre que lon nomme la pierre de Jeacutesus ou pierre speacuteculaire leur racine est semblable et peut tregraves facilement ecirctre preacutepareacutee en laboratoire il suffit dun vitriol preacutepareacute dun sel que lon trouve chez les riches aussi bien que chez les pauvres [surtout agrave la campagne ne dit-on pas du fou que laquo son esprit bat la campagne raquo Cest lagrave un petit trait dhumour ougrave se signale un important point de science] eacutegalement preacutepareacute et dun feu meacutediocre Quant au pheacutenix ultime eacutetat du Rebis revivifieacute il reacutesulte de la reacuteincrudation de ces substances salines La reacutesurrection du pheacutenix est sous la deacutependance de ce Lucifer ou porte lumiegravere comme leacutecrit si justement De Respour Fulcanelli le nommant christophore [Mystegraveres p

186] et ayant emprunteacute agrave Offerus ses traits pour deacutesigner le Quant agrave lArmoniac mercuriel il ne correspond point agrave notre chlorhydrate mais - comme la vu Berthelot dans la Chimie des Anciens - agrave une sorte de sel fossile Il est appeleacute lagrave encore de bien des maniegraveres selon les Adeptes les uns le nommant le sel ammoniac dautres le sel harmoniac etc Sa principale qualiteacute semble ecirctre de donner un peu de liant agrave la Salamandre pour lempecirccher de seacutechapper du feu au 4

egraveme degreacute de feu cest-agrave-dire vers 1300degC la

salamandre au dire de Marc-Antoine Gaudin devient dun coup fluide comme de leau et se vaporise instantaneacutement Quant agrave lacircme meacutetallique il faut y voir le facteur qui rend compte de la viscositeacute des meacutetaux lorsquon leur impose le calorique et le mecircme quand au bout dun certain temps [cest la peacuteriode ougrave lœuvre est compareacutee agrave un travail de femme - quenouille - ou agrave un jeu denfant - yo-yo bilboquet -] de va-et-vient la cristallisation finit par sopeacuterer dans la masse saline Ce facteur - comburant - est en raison directe de la preacutesence dun agent carburant que les Sages ont nommeacute le Lait de Vierge et sans lequel laccroissement de la Pierre ne serait pas possible cest la corne dAmaltheacutee [cf Atalanta XLVII pour une description et des notes compleacutementaires] LArbre de Vie est lArbori Solare dont nous parlons agrave la section Fontenay

FIGURE XVII - la foi ( les quatre eacuteleacutements et les deux

natures)

Lalchimiste errant ne trouvera son chemin dans le labyrinthe de Salomon que muni du fil dAriane cest ce qui constitue sa foi agrave proprement parler Sur la foi consultez la Chrysopeacutee du Seigneur un apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Sachez que lArtiste en quecircte de son Mercure sera guideacute par une eacutetoile celle qui apparaicirct sur le meacutedaillon de Notre-Dame et que cet astre agrave linstar de celui qui guida les Mages dOrient le conduira dans une eacutetable ougrave il verra un enfant emmailloteacute de langes qui aura la

forme de notre Certains lont compareacute au sel de Pierre dautres au sel gemme Dans ce dernier cas ils lont nommeacute le sel harmoniac dont le rapport avec notre chlorhydrate est du mecircme genre que celui qui existe entre le vif-argent vulgaire et lhydrargyre philosophique Ce bas-relief est la planche XI du Mystegravere Fulcanelli se trompe en la nommant la Philosophie [nous avons vu supra quil sagit de la figure IV ougrave limagier a inscrit leacutechelle de la sapience et deux livres] ou bien alors cest par cabale quil veut ainsi deacutesigner la Foi eacuterigeacutee en forme de

doctrine hermeacutetique Fulcanelli deacutecrit le meacutedaillon comme une monade la croix y deacutesigne le quaternaire des eacuteleacutements mais il faut avoir des yeux de lynceacutee pour distinguer le disque lunaire dont il nous dit quil est marteleacute On croirait un astre quelconque et rien ne vient affirmer la conjecture du grand Adepte Le lecteur verra avec profit lagrave-dessus les dessins de la Monade Hieacuteroglyphique de John Dee car lAdepte parisien seacutetend peu sur la Foi alors que la croix forme lun des symboles les plus fascinants de lœuvre

FIGURE XVIII )- lidolacirctrie ( le sujet des Sages)

Aussi voilagrave qui peut expliquer - du mecircme rapport que la folie qui lui fait pendant - la fausse foi du souffleur qui naura pas su trouver le fil dAriane que nous eacutevoquons plus haut Il croira agrave des miroirs trompeurs au reflet de Narcisse et se complaira dans laquo mille brouilleries raquo pour reprendre lheureuse expression de Nicolas Flamel [Fig Hieacuter] Il croira au rapport de lArt sacreacute avec les cultes infernaux les ceacutereacutemonies dinitiation ougrave lesprit se dissout plus quil nest sublimeacute il succombera aux mystegraveres orphiques dans ce quils ont de plus vulgaire et ce sont les plus viles meacutetamorphoses quil accomplira dans son creuset Il est eacutetrange de voir Fulcanelli comparant lIdolacirctrie au meacutedaillon repreacutesentant la Folie mais cette eacutetrangeteacute est du mecircme rapport

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en musique que celui qui existe entre laccord consonnant et laccord dissonnant ils sont compleacutementaires Ainsi

laquo LAdepte sy retrouve mains jointes dans lattitude de la priegravere et semble adresser des actions de gracircces agrave la Nature figureacutee sous les raits dun buste feacuteminin que reflegravete un miroir Nous reconnaissons

lagrave lhieacuteroglyphe du sujet des Sages miroir dans lequel on voit toute la nature agrave deacutecouvert raquo [Mystegravere p 128]

La priegravere est une indication sur le Soufre [soufre cest-agrave-dire sulfure ou sulfate] agrave cause de

lassonance [soufre - Dieu] Combien de fois les alchimistes nous ont-ils dit quil fallait implorer Dieu pour reacutealiser lœuvre en affirmant - cest une constante dans les texte - que celui-ci eacutetait un laquo don de Dieu raquo Mais si le Christ a souffert la Passion Fulcanelli demande agrave limpeacutetrant une autre action de gracircce qui est celui de laquo potasser pour lXraquo Que lon voit dans cet X une croix anseacutee ou la croix du Christ apregraves tout peu importe car nul na dit que lalchimie eacutetait reacuteserveacutee aux Chreacutetiens quand bien mecircme il est eacutevident que lœuvre agrave partir du Moyen Acircge sest pour ainsi dire nourri de la figure christique en mecircme temps quelle nourrissait dailleurs la musique [cf le Visage du Christ dans la musique baroque Jean-Franccedilois Labie Fayard 1992]

FIGURE XIX - la chariteacute (preacuteparation du dissolvant universel)

Fulcanelli eacutecrit laquo un homme expose limage du Beacutelier et tient de la dextre un objet quil est malheureusement impossible de deacuteterminer aujourdhui Est-ce un mineacuteral un

fragment dattribut raquo

Il est bien difficile de reacutepondre agrave cette question On sait que le Beacutelier comme bien des signes zodiacaux a une nature double il reacutepond agrave Ariegraves et agrave Aregraves Le premier nous signale le signe du Printemps eacutepoque canonique ougrave il convient de deacutebuter les travaux mais qui doit sentendre au figureacute Car les deux premiers signes du zodiaque qui sont respectivement les lieux dexaltation du Soleil et de la Lune reacutepondent aux deux principaux composeacutes du Mercure un vitriol et un sel contenant sous une forme quelconque de lalkali fixe Si lon applique maintenant les regravegles de la

cabale voici ce quon peut dire du laquo fragment dattribut raquo en grec un attribut seacutenonce ou

Remarquons que Fulcanelli fait reacutefeacuterence agrave un fragment Or dans les deux cas le mot se

termine par cest-agrave-dire la fleur la violette Violette noire ou dun bleu sombre Il nest pas besoin den dire plus puisque nous avons deacutejagrave en maintes pages de ce site fait voir toute limportance que prenait dans le magistegravere la sphegravere de la violette chegravere agrave E Canseliet Voyons maintenant la racine

elle se reacutefegravere agrave un objet qui habite ou qui demeure dans sa maison on peut y voir la materia prima qui tient sa reacutesidence ou son gicircte laquo es cavernes de la terre raquo pour reprendre une expression quasi idiomatique dalchimie Et nous pouvons y voir la laquo maison de lor raquo cest-agrave-dire le christophore par lequel sexprime la Toyson dor de Salomon Trismosin Cest aussi la Toyson des Argonautes leur histoire est dune grande proximiteacute par rapport agrave lœuvre ainsi que la bien montreacute Dom Pernety dans ses Fables Egyptiennes et Grecques Ainsi voyons-nous que par laquo fragment dattribut raquo

Fulcanelli entend nous parler du Soufre dissous dans le Mercure [] et du Corps de la Pierre [] La chariteacute enseigne ainsi pour lalchimiste comment le Soufre tend la main au Sel Voilagrave le message que lalchimiste tenait ici agrave faire valoir Ce bas-relief correspond agrave la planche IX du Mystegravere On peut rajouter cette note de Pernety

laquo les Adeptes disent quils tirent leur acier du ventre dAriegraves et ils appellent aussi cet acier leur aimant

raquo [Dictionnaire Mytho-hermeacutetique]

Sur un commentaire de ce reacutebus voyez la section Matiegravere

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1864

FIGURE XX - lavarice( le reacutegime de Saturne)

Limage montre un personnage exteacutenueacute qui sappuie sans doute pour se reposer dune marche trop longue dans le deacutesert Cest lalleacutegorie de lArtiste qui a perdu son fil dAriane mais quel rapport avec lavarice En grec

amour de largent litteacuteralement Saisit-on le rapport Lattention est attireacutee par le cousinage hermeacutetique entre la Lune et largent on sait que la Lune a nulle autre pareille peut-ecirctre est versatile et plurielle dans ses rapports au grand-œuvre Est-elle prise dans son premier quartier on sait quil est question du Mercure Est-elle prise en son dernier quartier alors il sagit du Sel ou du suc de la Lunaire pour ecirctre plus preacutecis Cest donc dun rapport au Mercure agrave lEsprit quil sagit ici Et quel est ce rapport De nous faire valoir que lEau permanente des Sages ne saurait ecirctre eacuteternelle et quil vient un moment ougrave

elle doit commencer agrave se sublimer faute de quoi lArtiste œuvrera dans le deacutesert et finira par desseacutecher sa Pierre agrave force de labreuver Ou si lon preacutefegravere lEsprit doit libeacuterer lAcircme pour quelle descende dans le Corps opeacuteration qui fait lobjet du sens hermeacutetique des signes du Sagittaire et du Scorpion Mais Fulcanelli ne semble pas de cet avis puisquil intule la planche XXII du Mystegravere le Reacutegime de Saturne avec ce commentaire

laquo Un vieillard transi de froid et courbeacute sous larc du meacutedaillon suivant sappuie las et deacutefaillant sur

un bloc de pierre une sorte emanchon enveloppe sa main gauche raquo [Mystegravere p 128]

Le commentaire qui suit ne laisse pas deacutetonner et de se demander si Fulcanelli eacutetait envieux et charitable lorsquil preacutecise

laquo Il est facile de reconnaicirctre ici la premiegravere phase du second œuvre alors que le Rebis hermeacutetique enfermeacute au centre de lAthanor souffre la dislocation de ses parties et tend agrave se mortifier [] Cest le

regravegne de Saturne qui va paraicirctre emblegraveme de la dissolution radicale raquo [idem]

Voilagrave qui laisse perplexe Comment le Rebis pourrait-il se disloquer alors mecircme quil na pas encore pris forme Car qui dit Rebis dit forceacutement union mecircme si elle nest pas radicale [cest alors le terme dAirain qui est employeacute] Et lon ne voit pas que le Rebis constitueacute doive agrave nouveau ecirctre deacutesuni car leacutevolution est continuelle Que par contre il soit question de la mort prochaine du Mercurius senex qui doit laisser place agrave plus jeune que soi certes aussi est-ce dans cette acception que nous ferons correspondre le texte manifestement et exceptionnellement envieux de Fulcanelli Quant au regravegne de Saturne il renvoie au Regravegne de Saturne transformeacute en siegravecle dor lautre titre de lapocryphe dHuginus agrave Barma un grand classique Cest la suite de la citation qui permet cette conjecture

laquo [] Je suis vieil deacutebile et malade lui fait dire Basile Valentin pour cette cause je suis enfermeacute

dans une fosse [] raquo [ibid]

Il sagit dune citation incomplegravete dun des chapitres de lAzoth

laquo Je suis le vieil homme deacutebile amp malade mon surnom est Dragon Pour cette cause je suis enfermeacute dans une fosse afin que je sois reacutecompenseacute de la Couronne Royale amp que jrsquoenrichisse ma famille eacutetant en particulier lieu serviteur fugitif Mais apregraves ces choses nous posseacutederons tous les treacutesors du Royaume le feu me tourmente grandement amp la mort rompt ma chair amp mes os jusqursquoagrave ce que six

semaines passent raquo [Azoth Opeacuteration du mystegravere philosophique]

Comment Fulcaneli a-t-il pu mettre les traits du Rebis sur ce vieil homme lorsque la citation compleacuteteacutee permet de montrer que son surnom est Dragon Et que de surcroicirct il vienne agrave dire quil est le laquo serviteur fugitif raquo La seule explication possible qui permettrait dinclure le Rebis serait de faire de ce vieil homme non pas le Rebis mais le Compost [mixte Rebis - Mercure] mais de toute faccedilon cela nirait pas dans le sens ougrave linterpregravete lAdepte puisquil sagit dune dissolution on peut en dernier recours ajouter que Le Breton a vu quatre dissolutions dans lœuvre [Les Clefs de la Philosophie spagyrique Paris Jombert 1722] et quil ne serait pas impossible de voir dans la dissipation finale du Mercure [qui doit mourir agrave la fin de lœuvre] lultime dissolution mais qui na rien agrave voir avec la putreacutefaction alors que Fulcanelli parle de laquo [] la deacutecomposition et de la couleur noire raquo

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dont le symbolisme sinscrit au deacutebut de la Grande Coction en sa phase humide au lieu quici nous sommes agrave la phase dassation

FIGURE XXI - la patience (- le Soufre philosophique)

Que navons-nous pas parleacute du laquo sel de patience raquo que lArtiste doit neacutecessairement connaicirctre avant de se livrer aux travaux de la Grande Coction Les textes disent que lArtiste doit user de prudence et de patience pour amadouer le vieux dragon dont le feu est cacheacute sous les cendres meacutetalliques cest-agrave-dire dont la ponticiteacute eacuteleacutementaire a eacuteteacute maicirctriseacutee lorsque lalchimiste y a joint les deux colombes qui volent sans ailes dans la forecirct de Diane [ Introiumltus ] Nous avons eu loccasion de montrer dans

dautres sections que le mot patience [] renvoyait agrave la force dacircme ce qui suffit agrave indiquer son sens hermeacutetique Fulcanelli voit dans ce bas-relief - correspondant agrave la planche XVII du Mystegravere - le Soufre philosophique on y distingue un taureau et voici ses commentaires

laquo Comme figure de pratique le taureau et le bœuf eacutetaient consacreacutes au soleil de mecircme que la vache lest agrave la lune il figure le Soufre principe macircle puisque le soleil est dit meacutetaphoriquement par Hermegraves le Pegravere de la pierre [] le soleil et la lune [] deacutesignent les natures primitives contraires

avant leur conjonction natures que lArt extrait de mixtes imparfaits raquo [Myst p 122]

Toutefois le taureau a toujours deacutesigneacute la Lune qui sy trouve exalteacute et ougrave Veacutenus possegravede lune de ses maicirctrises [cf lagrave-dessus le zodiaque alchimique et lhumide radical meacutetallique] Par ailleurs lune

des vaches les plus connues en mythologie deacutesigne agrave la fois le deacutebut du mot et du mot cest-agrave-dire la violette et le venin or ces deux mots sont relatifs au Soufre et non au Mercure stricto sensu [les appellations vulgaires sont la rouille et le vert-de-gris] Ce thegraveme se trouve entiegraverement deacuteveloppeacute dans lAtalanta XXXII

FIGURE XXII - la colegravere

Cest la marque dun Mercure dont la ponticiteacute est excessive Cet excegraves peut ecirctre ducirc soit agrave une quantiteacute de calorique trop important - les Artistes disent alors que lon laquo brucircle les fleurs raquo soit agrave des proportions mal deacutefinies dans la composition du dissolvant Ce meacutedaillon na pas eacuteteacute commenteacute par

Fulcanelli La colegravere [] cest lagitation inteacuterieure qui gonfle lacircme Voyez ici la Chrysopeacutee du Seigneur apocryphe attribueacute agrave Ramon Lull Il semble que lon observe dans ce bas-relief agrave gauche Zeus muni de son foudre et agrave droite un pegravelerin mais ce tableau lapidaire a subi linjure du temps On peut associer agrave la colegravere la tempecircte que lon observe comme blason de lun des deacutecans de la Vierge le 2

egraveme deacutecan Son symbolisme a eacuteteacute analyseacute dans lAtalanta

XLVII

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FIGURE XXIII - la perseacuteveacuterance ( lathanor et la pierre)

Nous navons cesseacute de leacutevoquer cest lun des plus grands arcanes de lœuvre savoir tenir son Mercure en forme

deau mineacuterale le Mercure doit donc sattacher au Soufre agrave la teinture en maniegravere de supplique pressante Cest pourquoi les textes exhortent limpeacutetrant agrave prier avec insistance Dautres textes insistent sur la graisse du vent

mercuriel [ avec de la graisse mais aussi avec teacutenaciteacute ou perseacuteveacuterance] notamment les Figures Hieacuteroglyphiques le Donum Dei et lAtalanta fugiens Fulcanelli voit dans la planche XII du Mystegravere

laquo [] une coupe longitudinale de lAthanor et lappareillage interne destineacute agrave supporter lœuf philosophique de la main

droite le personnage tient une pierre raquo [Myst p 115]

Lagrave encore lusure du temps ne laisse plus voir grandchose du subtil meacutecanisme que deacutecrit lAdepte Le lecteur verra au livre de la Clef du Secret des Secrets de Nicolas de Valois une fort belle coupe de lathanor Fulcanelli sen tient lagrave il aurait pu ajouter que cette pierre contractait peut-ecirctre quelque rapport avec la pierre noire de Pessinonte et que le personnage de la planche XXIII nest autre quune autre version de Cybegravele et que limage de lathanor et de son appareil nest autre que le reacutesumeacute le Mixte lapidaire pourrait-on dire des deux lions qui flanquent le char de la deacuteesse dAsie Mineure Le buis consacreacute agrave Cybegravele et agrave Hadegraves repreacutesente le symbole de la perseacuteveacuterance cf Aureum Seculum Redivivum de Mynsicht

FIGURE XXIV - linconstance (lEntreacutee du Sanctuaire )

Lexamen du septiegraveme meacutedaillon de Notre-Dame de Paris donne agrave Fulcanelli loccasion de nous deacutevoiler le sens preacutecis de la reacuteincrudation

laquo [Le vieillard]vient darracher le veacutelum qui en deacuterobait lentreacutee [au Palais Fermeacute du Roy] aux regards profanes Cest le premier pas accompli dans la pratique la deacutecouverte de lagent capable dopeacuterer la reacuteduction du corps fixe de le reacuteincruder selon lexpression reccedilue en

une forme analogue agrave celle de sa prime substance raquo

Cette citation se rapporte agrave lopeacuteration qui consiste agrave dissoudre les laquo meacutetaux morts raquo cest-agrave-dire les chaux meacutetalliques des anciens chimistes dans un fondant approprieacute cest lagent ou artifice secret queacutevoque

Fulcanelli quand il parle de conjoindre les extreacutemiteacutes du vaisseau de nature Or ce vaisseau il nous est preacutesenteacute agrave la figure XXIII dans le meacutedaillon central cest lathanor philosophique Mais le mystegravere - au sens propre du terme - reste entier qui a deacutetermineacute Fulcanelli agrave poser une identiteacute entre

linconstance et ce vieillard En voici la clef linconstance en grec se dit et a valeur dune chose non fixe mobile et par suite inconstante Cest donc le volatil qui est nommeacute ici et le proceacutedeacute secret dont parle lAdepte parisien va preacuteciseacutement ecirctre de transformer une chose non fixe en chose fixe Mais cela doit sentendre dune matiegravere qui est dans un eacutetat visqueux ou liquide Cest donc bien de la laquo reacuteduction du corps fixe raquo dont parle Fulcanelli et le vellum que lon voit choir au pied gauche du vieillard est semblable agrave une tecircte cest donc dun caput mortuum quil sagit Ce bas-relief est numeacuteroteacute comme la planche XXIV du Mystegravere On voit que Fulcanelli lui a donneacute un titre dont le rapport avec lEntreacutee du Sanctuaire est rien moins que certain Lun de ses commentaires pourra peut-ecirctre nous aider agrave mieux percevoir ce rapport qui se deacuterobe

laquo En effet le vieillard que les textes identifient agrave Saturne - lequel dit-on deacutevorait ses enfants - eacutetait

jadis peint en vert tandis que linteacuterieur du Palais offrait une coloration pourpre raquo [Myst p 129]

Voilagrave qui est deacutejagrave plus clair Mais alors ce meacutedaillon preacutesente des traits congeacutenegraveres agrave celui de lavarice [le reacutegime de Saturne - planche XXII du Mystegravere] linconstance se manifeste ici comme la dissolution deacutefinitive - par sublimation - du dissolvant Toutefois la note de Fulcanelli nous permet

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den deacuteduire que le Lion vert est bien le premier eacutetat du Mercure cest-agrave-dire le laquo vinaigre tregraves aigre raquo dArtephius Et que la coloration pourpre reacutesulte de ce que le Lion rouge [qui correspond alors au Compost] est pousseacutee agrave la couleur purpurine au 4

egraveme degreacute de feu Mais en quoi est-il question laquo

dentreacutee dans le sanctuaire raquo cest-agrave-dire de lEntreacutee deacutesormais ouverte au Palais fermeacute du Roi [Introiumltus Philalegravethe] Cest que lArtiste ruseacute a amalgameacute lagent de dissolution avec sa propre dissolution cest-agrave-dire la sublimation terminale Il est clair en effet que lEntreacutee fermeacutee au Palais du Roi ne peut ecirctre ouverte que par la clef qui donne accegraves au dissolvant cest lobjet du 2

egraveme œuvre en

entier Ce dissolvant dans son premier eacutetat sapparente agrave un char muni de deux taureaux ou de deux lions il neacutecessite un frein un mors permettant de tempeacuterer son acrimonie Celui-ci nous est procureacute par les deux colombes de Diane qui seules peuvent tempeacuterer lardeur du dragon eacutecailleux Ces colombes - les deux Soufres - le transforment en Mercure animeacute cest-agrave-dire dompteacute degraves lors nous sommes dans le Palais du Roi La sortie se trouve du cocircteacute ougrave le Mercure trouve son exitus cest-agrave-dire dans sa chambre mortuaire dans son gisant le lecteur trouvera dans les Gardes du Corps des explications agrave cet eacutegard

FIGURE XXV - la chasteteacute (la salamandre - Calcination)

Ce sont des substances deacutepureacutees que lArtiste doit manipuler qui ont eacuteteacute reacuteduites par le feu qui en a conserveacute la quintessence dougrave cette image de salamandre Cest un sel

fixe qui est eacutevoqueacute par la chasteteacute [] il peut sagir de lalkali fixe [lun des constituants du Mercure] soit de la terre de lalun [le Corps de la Pierre appeleacute Arsenic par Geber et principe Sel depuis Paracelse] Le sens de ce bas-relief est donc - pour une fois - dune pure clarteacute Il figure sur la planche VIII du Mystegravere Voyons le commentaire que Fulcanelli nous a concocteacute pour la circonstance

laquo Ce leacutezard fabuleux ne deacutesigne pas autre chose que le sel central [] que les Anciens ont nommeacute Semence meacutetallique

raquo [Myst p 105]

Sel central voilagrave qui ne pose guegravere de problegraveme Mais laquo semence meacutetallique raquo Diable Fulcanelli preacutevient leacutetudiant quil sagit lagrave dune expression spagyrique - il parle de la calcination et non de la semence meacutetallique - et assure que les vieux auteurs nont eu en vue que leur agent occulte deacutesigneacute expresseacutement comme le laquo feu secret raquo dont la forme geacuteneacuterale appelle la comparaison avec une mer plutocirct quavec un feu Cest sur deux pages que lAdepte seacutetend sur cette notion de feu igneacute quil nomme laquo eau ardente raquo et que daucuns ont cru traduire par laquo eau-de-vie raquo Il est certain que le Ciel philosophique de Freacutedeacuteric Ulstade contient des descriptions approfondies des distillations par lesquelles on preacutepare leau-de-vie mais on ne trouvera point de note touchant au dissolvant qui nen est pas moins une certaine eau-de-vie agrave sa maniegravere Cette substance proteacuteiforme a ceci deacutetonnant quelle procure la mort avant de redonner la vie et les alchimistes ont symboliseacute ces extrecircmes sous les dehors du corbeau [Atalanta XLIII] et du pheacutenix [De ave phoenice] Ces deux oiseaux occupent une part importante de la voliegravere hermeacutetique Mais revenons agrave notre semence meacutetallique Quelle est lideacutee qui occupe lesprit de lAdepte Dabord observons en premier lieu que lorigine de cette semence est le dragon eacutecailleux Car lArtiste nen dispose point il lui faut linfuser dune maniegravere quelconque dans le Mercure disposeacute en son eacutetat primitif Et que cette semence soit dabord pourrie [cf Basile Valentin Douze Clefs de Philosophie] Nous avons au deacutebut de notre quecircte postuleacute que cette semence eacutetait repreacutesenteacutee par la reacutesine de lor alchimique Cette conjecture est-elle probable En quoi se rapproche-t-elle de la reacutesine de lor cest-agrave-dire en un mot du christophore Reacutepondre agrave ces questions cest du mecircme coup toucher au plus haut mystegravere de lœuvre Car la semence meacutetallique est faite du grain dor dont les multiplications ulteacuterieures sont tributaires Or le principe de Raison est inconciliable avec cette ideacutee laquo baroque raquo de multiplication assimileacute au principe de la laquo multiplication des painsraquo lun des Miracles quont signaleacutes les Evangiles La seule hypothegravese conciliable avec cette ideacutee serait celle dune enzyme dont on sait quelle peut deacuteclencher une reacuteaction chimique ad libitum tout en eacutetant reacutegeacuteneacutereacutee Or rien ne permet - hormis quelques expeacuteriences de Sainte Claire Deville faites sur lesprit de sel - de fonder en hypothegravese raisonnable une telle conjecture Ajoutons que la majoriteacute des traiteacutes dalchimie font allusion - et ce assez directement - agrave

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cette multiplication Incapable de pouvoir reacutesoudre cette eacutenigme nous pouvons en revanche nous faire une ideacutee de la faccedilon dont cette semence sera capteacute par lAimant des Sages

FIGURE XXVI - la luxure ( la Connaissance des poids)

La luxure prend ici le sens de deacutemesure ce qui est indiqueacute

par la balance impudence insolence et plus geacuteneacuteralement de mœurs dissolues Tel est le sens eacutesoteacuterique deacutegageacute par cette figure Quant agrave la signification exoteacuterique elle est claire Les alchimistes bien avant Lavoisier avaient eu la notion intuitive du poids des eacuteleacutements quils devaient faire entrer dans leur Mixte cest-agrave-dire leur Airain eacutetat premier du Rebis Non seulement ils avaient eu cette prescience mais encore ils avaient eu lintuition que la combinaison de leurs eacuteleacutements ne pouvait intervenir quen de certains termes par lagrave ils faisaient le distinguo entre ce quils appelaient le laquo poids de lart et le poids de nature raquo Cette image de la balance est omnipreacutesente dans liconographie alchimique agrave commencer par la figure de Theacutemis ou celle de

larchange Gabriel vainqueur du dragon eacutecailleux Fulcanelli nomme ce meacutedaillon la Connaissance des poids [planche XX] On peut citer ce passage

laquo Lauteur des Aphorismes Basiliens ou Canons Hermeacutetiques de lEsprit et de lAcircme eacutecrit au Canon XVI Nous commenccedilons notre œuvre hermeacutetique par la conjonction des trois principes preacutepareacutes sous une certaine proportion laquelle consiste au poids du corps qui doit eacutegaler lesprit et lacircme

presque de sa moitieacute raquo [Myst p 125]

Ces Aphorismes Basiliens sont une oeuvre rare [imprimeacutes nous dit en note E Canseliet agrave la suite des Oeuvres tant Meacutedicinales que Chymiques du RP de Castaigne Paris de la Nove 1681] Comme convenu le poids de lAcircme est de beaucoup infeacuterieur au poids du Corps

FIGURE XXVII 13)- la concorde

( les mateacuteriaux neacutecessaires agrave leacutelaboration du dissolvant)

Pour Fulcanelli voilagrave une figure qui reacutesume la liste des mateacuteriaux du dissolvant Nous savons que cette planche tenue par la deacuteesse ne peut ecirctre que du bois dont eacutetait fait le vaisseau des argonautes les fameux checircnes parlants de loracle de Dodonne [voyez en recherche] Ce bas-relief fait lobjet de la planche XIV du Mystegravere p 80 Cest pour Fulcanelli loccasion de citer la Clef du Cabinet Hermeacutetique dun auteur anonyme

laquo Leau dont nous nous servons [] est une eau qui renferme

toutes les vertus du ciel et de la terre [] raquo [Myst p 118]

Il sagit agrave leacutevidence de leau mineacuterale et meacutetallique qui constitue la fontaine de jouvence bain des astres de la Fontaine du Treacutevisan fontaine du Rosaire des Philosophes Fulcanelli ajoute des reacuteflexions qui ont trait

davantage au Soufre dissous quau Mercure

laquo La racine de nos corps est en lair disent les Sages et leurs chefs en terre raquo [idem]

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FIGURE XXVIII 14)- la discorde ( la Dissolution Combat

des deux Natures)

Et voici ce qui repreacutesente peut-ecirctre le sommet de linterpreacutetation eacutesoteacuterique des bas-reliefs de Notre-Dame par lalchimiste parisien tout de mecircme quun chef dœuvre de lart lapidaire des imagiers du Moyen Acircge Lagrave encore ce bas-relief a eacuteteacute preacutesenteacute plusieurs fois il nous suffira donc de dire que nous tenons lagrave les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature irreacuteductibles ennemis quil suffira dunir par le truchement de deux substances preacutesentes en puissance dans le pot de terre que lon voit entre les pieds du personnage de gauche et dans la pierre que lon voit tomber entre les deux personnages Comme leacutecrit Fulcanelli - cf Atalanta fugiens XXXV -

laquo Il nest guegravere possible deacutecrire avec plus de clarteacute ni de simpliciteacute laction de leau pontique sur la matiegravere grave et

ce meacutedaillon fait grand honneur au maicirctre qui la conccedilu raquo [Myst p 131]

La matiegravere du pot de largile est de celle dont on extrait le Corps de la Pierre quoiquil se preacutesente un autre mineacuteral dans la nature dougrave lon peut lextraire plus aiseacutement Et la pierre est de celle dont on extrait le sel qui formera notre eau mineacuterale comme laffirme avec veacuteheacutemence Alexandre Sethon

laquo Notre matiegravere paraicirct aux yeux de tout le monde et elle nest pas connue Ocirc notre Ciel Ocirc notre Eau Ocirc notre Mercure Ocirc notre Sel nitre qui ecirctes dans la mer du monde Ocirc notre Veacutegeacutetable Ocirc notre Soufre fixe et volatil Ocirc tecircte morte ou fegraveces de notre mer Eau qui ne mouille point sans laquelle

personne au monde ne peut vivre et sans laquelle il ne naicirct et ne sengendre rien en toute la Terre raquo [Nouvelle Lumiegravere Chymique Chapitre XI De la pratique et composition de la Pierre ou Teinture

Physique selon lArt]

Et lon ne saurait ecirctre plus clair sauf agrave passer des bornes que Fulcanelli tenu par le secret na pas cru bon de transgresser Ce bas-relief est disposeacute sur la planche XXV du Mystegravere

FIGURE XXIX - la force (- le Corps fixe)

Cest le lion qui se trouve deacutesigneacute Emblegraveme majeur de lœuvre cest agrave de multiples reprises que nous avons parleacute du lion vert et du lion rouge [recherche] Voyez lAtalanta fugiens et le zodiaque alchimique Que lon comprenne bien ici que leacutepeacutee et le casque sont les attributs de lhomme armeacute La chanson profane LrsquoHomme armeacute dont on attribue la paterniteacute agrave Busnois [preacutecepteur du futur Charles le Teacutemeacuteraire dernier duc de Bourgogne] compte parmi les plus ceacutelegravebres de la fin du Moyen Acircge au point que plus de quarante messes srsquoen inspiregraverent Cet engouement provient-il de sa possible origine bourguignonne en liaison avec lrsquoordre de la Toison drsquoor drsquoune reacuteminiscence des Croisades ou encore drsquoune eacutevocation cacheacutee de Longin le soldat romain qui transperccedila le flanc du Christ Aucune de ces hypothegraveses nrsquoapporte drsquoeacuteclairage satisfaisant sur les

destineacutees drsquoune piegravece dont le texte mecircme reste eacutenigmatique laquo Lrsquohomme armeacute doit on doubter - On a fait partout crier - Que chacun se viegne armer - drsquoun haubregon de fer raquo La coiumlncidence est assez extraordinaire de ce que tant la toison de lor [notre christophore] que la couleur qui sourd de la poitrine du Christ soit de la mecircme couleur blanche Sur la Force voyez les Gardes du Corps Le bas-relief occupe la planche XV du Mystegravere Voici une citation que donne Fulcanelli sur ce lion

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laquo [] Cest ce qui a engageacute Basile Valentin agrave donner ce conseil Dissous et nourris le vray Lion du sang du Lion vert car le sang fixe du Lion rouge est fait du sang volatil du vert parquoy ils sont tous

deux dune mesme nature raquo [Myst p 121]

Lattention est attireacutee par leacutevolution dun processus ougrave la mecircme matiegravere est manifestement ameneacutee agrave un degreacute supeacuterieur de deacutepuration nous sommes ici au reacutegime de Veacutenus ou de Mars

FIGURE XXX- la lacirccheteacute

Ce bas-relief na pas eacuteteacute interpreacuteteacute par Fulcanelli et cest bien dommage Comment en effet expliquer quun simple lapin [lepus] mette en fuite un chevalier [on voit leacutepeacutee tomber derriegravere lui] Et que signifie cet oiseau qui ressemble agrave un rapace percheacute sur larbre Il naura pas eacutechappeacute au cabaliste que le mot lepus puisse ecirctre rapprocheacute de lupus cest-agrave-dire le loup voilagrave deacutejagrave qui se rapproche de lArt sacreacute En quoi Nous laisserons au lecteur le soin de chercher lui-mecircme le rapport dans la section des Principes agrave propos du commentaire dE Canseliet sur le jardin de la villa Palombara agrave Rome [Deux Logis Alchimiques Pauvert 1978] Cest dune fuite quil est question ici cest-agrave-dire dune dissolution ou dune volatilisation or un mot suffit agrave lier ces deux opeacuterations sublimation Notez que Fulcanelli reviendra sur cette laquo gueule de

loup raquo lors de lexamen de la chemineacutee alchimique du chacircteau de Fontenay-Le-Comte

FIGURE XXXI lespeacuterance ( lEvolution - Couleurs et

Reacutegimes du Grand œuvre)

Cest une allusion agrave lun des deux aspects que prend la planegravete Veacutenus lors du creacutepuscule vespeacuteral ougrave les Anciens la nommaient Hesperus Elle signale agrave lArtiste que lœuvre progresse bien et que la Grande Coction

est deacutejagrave bien entameacutee lEspeacuterance [Spes] On sait que ce fut le seul don des dieux qui ne seacutechappa point de la boicircte de Pandore le seul qui fut fixe Aussi les alchimistes lui ont-ils consacreacutes une maxime laquo Spes mea in agno raquo qui fait partie du titre de la Philosophie Naturelle Restitueacutee de Jean dEspagnet [il sagit de lanagramme de son nom] dont on ne dira jamais assez toute limportance tant au plan de la science hermeacutetique quau plan de lhistoire puisque Philalegravethe lui doit beaucoup [cf Oeuvre Secret dHermegraves] On voit ainsi que lEspeacuterance est en fait un

clin dœil agrave lagneau ou si lon preacutefegravere au Beacutelier Il sagit de la planche X du Mystegravere Avec ces remarques du maicirctre

laquo LEvolution succegravede et montre loriflamme aux trois pennons tripliciteacute des Couleurs de lŒuvre que

lon retrouve deacutecrites dans tous les ouvrages classiques raquo [Myst p 107]

Fulcanelli seacutetend ensuite sur 7 pages dans la description et linterpreacutetation des couleurs Il suffira de donner cet extrait qui montre comment relier lhermeacutetisme et lhistoire la plus reculeacutee du genre humain

laquo En Chaldeacutee les Ziguras qui furent ordinairement des tours agrave trois eacutetages et agrave la cateacutegorie desquelles appartenait la fameuse Tour de Babel sont revecirctues de trois couleurs noir blanche et

rouge-pourpre raquo [Myst p 111]

Les couleurs de lœuvre sont lune des eacutenigmes les plus eacutepuisantes dans la quecircte que limpeacutetrant aura agrave mener dans son parcours hermeacutetique Mais enfin il est possible dy voir des correspondances

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relativement simples Ainsi peut-on poser que le noir est la couleur de la TERRE cest-agrave-dire de la cendre notamment celle des meacutetaux et celle de lalkali fixe Cest pourquoi la premiegravere couleur qui se

reacutevegravele agrave lArtiste au deacutebut de lœuvre est celle de la putreacutefaction [mais bien sucircr il ne sagit pas du

deacutebut cest-agrave-dire de la reconnaissance des matiegraveres premiegraveres mais bien du deacutebut de la Grande

Coction au 3egraveme

œuvre] Vient ensuite le blanc cest par tradition la couleur de ce qui est pur il

sagit donc dune couleur qui apparaicirct - en esprit - apregraves quun certain travail aura eacuteteacute meneacute agrave bien avec nos cendres mineacuterales et meacutetalliques Cette couleur blanche est celle de lAIR et indique que les subtances sont dans un eacutetat sublimeacute [ce qui ne veut pas dire aeacuterien] Enfin le rouge-rubis cest la couleur de la conseacutecration de la royauteacute celle par laquelle lArtiste parvient agrave lAdeptat

FIGURE XXXII le deacutesespoir

La logique - qui nest nullement incompatible avec la cabale hermeacutetique bien tempeacutereacutee - voudrait que lon voit dans ce bas-relief le premier eacutetat de la planegravete Veacutenus au creacutepuscule du matin Lucifer Du coup nous voici au deacutebut de lœuvre [nous voulons parler bien sucircr du 3

egraveme œuvre cest-agrave-dire de la Grande Coction]

et en une eacutepoque ougrave la matiegravere prend cet aspect visqueux particulier qui nous a valu les Ripleys Scrowles ou le FOU du

tarot absence de raison emportement Ce bas-relief est eacutevidemment congeacutenegravere de celui consacreacute agrave la FOLIE Voilagrave une indication sur le premier eacutetat du Mercure Observez le double caractegravere de ce premier Mercure il est agrave la fois incontrocircleacute et

indolent [] Cest-agrave-dire quil est mou au lieu que le Mercure animeacute doit ecirctre en forme deau mineacuterale et au vrai fluide comme de leau agrave linstar dun bon

fondant Cest-agrave-dire quil est amorphe le but de la Grande coction eacutetant den faire apparaicirctre []

le eacutetoileacute et cristallin Cette figure na pas eacuteteacute interpreacuteteacutee par Fulcanelli

FIGURE XXXIII - lhumiliteacute ( le Corbeau - Putreacutefaction)

La Patience est lrsquoeacutechelle des Philosophes et lrsquoHumiliteacute est la porte de leur Jardin [ paroles rapporteacutees dans les Douze Clefs de Basile Valentin cest lune des phrases les plus empruntes de poeacutesie de la litteacuterature alchimique ] Le bas-relief montre un corbeau Sait-on que lameacutethyste - que les Evecircques portent - est le symbole de lhumiliteacute parce quelle est de la couleur de la violette Revoyez ce que nous avons dit plus haut au sujet du laquo fragment dattribut raquo Compleacutetez par tous les passages ougrave nous parlons de la violette de la rouille et de la grenade la transition du corbeau au coq naura plus de secret pour vous et de plus vous comprendrez en quoi la noix de galle associeacutee au checircne se rapproche de cet objet curieux quexaminait Fulcanelli en nous disant que de forme lenticulaire il est blanc sur une face noire sur lautre et violet dans sa cassure Voilagrave nommeacute le Soufre rouge

ou teinture de la Pierre Mais il sagit lagrave dun raccourci trop rapide Revenons agrave ce que nous dit Fulcanelli sur ce corbeau qui orne la planche VI du Mystegravere

laquo Selon Le Breton il y a quatre putreacutefactions dans lŒuvre philosophique La premiegravere dans la premiegravere seacuteparation la seconde dans la premiegravere conjonction la troisiegraveme dans la seconde conjonction qui se fait de leau peusante avec son sel la quatriegraveme enfin dans la fixation du

soulphre Dans chacune de ces putreacutefactions la noirceur arrive raquo [Myst p 101]

Nous avons deacutejagrave plusieurs fois citeacute Le Breton qui semble un auteur important On voit que la premiegravere putreacutefaction correspond agrave la preacuteparation de lArcanum duplicatum la terre noire tombe au fond de la cornue cependant que laqua sicca se sublime dans le reacutecipient elle se situe donc au 2

egraveme œuvre [ougrave

la voie humide est exclusive] La seconde survient au tout deacutebut du 3egraveme

œuvre et repreacutesente la noirceur laquo classique raquo celle que deacutecrivent tous les traiteacutes La troisiegraveme pose davantage de problegraveme laquo qui se fait de leau pesante avec son sel raquo Limage qui nous vient immeacutediatement agrave lesprit cest Latone accouchant agrave Deacutelos dArteacutemis dune certaine faccedilon il sagit bien dune seacuteparation qui procegravede dune parturition Encore est-elle incomplegravete elle sera acheveacutee par la quatriegraveme putreacutefaction qui consiste en la fixation du Soufre au Sel Latone accouche dApollon et Arteacutemis lui sert de paregravedre On

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devine que la laquo noirceur raquo est purement une image eideacutetique De combien de souffleurs a-t-elle donc abuseacute A tout cela nous ajouterons que larcane repreacutesenteacute dans leacutecu que nous preacutesente lHumiliteacute garde une partie de son mystegravere en effet nous avons vu que Villard de Hennecourt [XIIIe siegravecle] y voyait une colombe et Fulcanelli un corbeauComment arriver agrave concilier les deux visions lune laquo positive raquo eacutemanant dun maicirctre imagier lautre laquo speacuteculative raquo eacutemanant dun maicirctre hermeacutetiste Voici ce quon peut en dire le voyage des Argonautes est tregraves lieacute on le sait aux mystegraveres orphiques et agrave lalchimie ce nest certes pas une leacutegende alchimique mais les hermeacutetistes Dom Pernety y a beaucoup travailleacute dans ses Fables Egyptiennes et Grecques ont su y deacuteceler des intentions en direction de lArt sacreacute Dans cette leacutegende on sait quagrave un moment Eurysteacutee au passage des roches cyaneacutees ou Symplegades va deacuteclencher louverture du barrage formeacute par ces roches gracircce au lacher de deux colombes notez que cette scegravene intervient agrave la sortie du Pont-Euxin [la Mer Noire] le deacutecors est poseacute le Pont-Euxin nest autre que le symbole de la dissolution des matiegraveres et le lacirccher de colombes la sortie de cette phase Si lon en revient agrave lalchimie on sait que lhieacuteroglyphe du corbeau deacutefinit la phase de putreacutefaction la noirceur cette laquo noirceur raquo est le fait de laction du dissolvant des Sages Mais sur quoi Il ne saurait sagir dune laquo auto-dissolution raquo qui naurait aucun sensPhilalegravethe exceptionnellement va venir agrave notre secours il nous indique en effet [Introiumltus VI] que deux colombes que lon a trouveacutees dans la foret de la vierge Diane suffisent agrave calmer lacrimonie et la ponticiteacute du dissolvant et il ne peut faire de doute que ces deux colombes ne sont autres que les deux Soufres Soufre rouge ou teinture de la Pierre Soufre blanc cest-agrave-dire son Corps

FIGURE XXXIV - lorgueil ( la Cohobation)

Ce bas-relief est ceacutelegravebre pour ceux qui sinteacuteressent agrave lalchimie car Fulcanelli le deacutecrit comme repreacutesentant lun des plus grands mystegraveres de lœuvre la cohobation Cest peut-ecirctre Tripied dans son Vitriol Philosophique qui sest le plus approcheacute de la solution du problegraveme mais alors il faut voir cette opeacuteration au 1

er œuvre cest-agrave-dire lors de la phase de preacuteparation

des matiegraveres chapitre sur lequel les alchimistes sont presque tous muets

laquo un cavalier deacutesarccedilonneacute se cramponnant agrave la criniegravere dun cheval fougueux Cette alleacutegorie a trait agrave lextraction des parties fixes centrales et pures par les volatiles ou

eacutetheacutereacutees dans la dissolution philosophique raquo

Voilagrave ce que nous en dit Fulcanelli p 123 du Mystegravere des Catheacutedrales Il peut sagir aussi dopeacuterations agrave type

de convectionSi nous devions rapprocher ce bas-relief dune leacutegende mythologique cest au char de Phaeacuteton que nous penserions immeacutediatement Voyez cette fable dans notre humide radical meacutetallique Formant la planche XVIII du Mystegravere larcane ne se laisse pas facilement domestiquer agrave linstar du cheval fougueux qui manque de faire choir son cavalier Nous devons renoncer agrave limage dune cohobation classique en cornue pour ne plus penser quau principe de cette opeacuteration la concentration dune substance Cest ce quenseigne le maicirctre

laquo Labsorption du fixe par le volatil seffectue lentement et avec peine Pour y reacuteussir il faut employer beaucoup de patience et de perseacuteveacuterance et reacuteiteacuterer souvent laffusion de leau sur la terre de lesprit

sur le corps raquo [Myst p 123]

Mesure-t-on le degreacute de cabale de ces quelques lignes La patience - si lon sen tient agrave la terminologie de Fulcanelli - correspond agrave la figure XXI cest le Soufre philosophique [ou planche XVII du Mystegravere] Quant agrave la perseacuteveacuterance selon le mecircme principe cest la figure XXIII ou lAthanor et la Pierre [planche XII du Mystegravere] Et nous avons vu que cette derniegravere figure eacutetait rigoureusement superposable au char de Cybegravele qui tient sa pierre noire et est flanqueacutee dAtalante et dHippomeacutenegraves [cf Atalanta fugiens] Nous tenons lagrave les eacuteleacutements du vase de nature et la cohobation correspond agrave la peacuteriode dinstabiliteacute dont nous avons deacutejagrave parleacute ougrave la cristalisation de la matiegravere commence dopeacuterer Quant agrave la peine elle peut par cabale phoneacutetique renvoyer agrave la teinture de la Pierre cest-agrave-dire au Soufre rouge en effet la peine se dit en latin poena [peine tourment souffrance] mais la peine a une autre acception distiller [sudo] elle renvoie ausi agrave aerugo [cupiditeacute qui ronge le coeur rouille de cuivre et par aerumna agrave peines misegravere eacutepreuve]

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FIGURE XXXV lobeacuteissance - Conjonction du Soufre et

du Mercure)

Fulcanelli eacutevoque - agrave la planche XIII du Mystegravere - le griffon incarnation si lon peut dire des Harpyes la leacutegende leur donna lapparence de monstres eacutepouvantables Leur corps de vautour leur bec et leurs ongles crochus lodeur infecte qui les accompagne sont autant de repreacutesentations de monstres impossibles agrave rassasier

laquo Le monstre mythologique dont la tecircte et la poitrine sont celles de laigle et qui emprunte au lion le reste du corps initie linvestigateur aux qualiteacutes contraires quil faut neacutecessairement assembler dans la matiegravere philosophale

raquo

Sur lart et la maniegravere de reacutealiser cette eacutetrange parturition voyez notre commentaire de lAtalanta fugiens Quoi quil en soit le griffon par lintermeacutediaire de ces pattes arriegravere

contracte eacutegalement des rapports avec le dragon Notez aussi que tant le lion que le coq ou le heacuteron

ainsi que le griffon expriment la vigilance Quant agrave la griffe elle peut renvoyer agrave lonyx pierre preacutecieuse ou agrave un coquillage roseacute [meacuterelle et soufre par cabale] Les Grecs en faisaient le gardien de treacutesors [toute la mythologie a employeacute ce symbolisme Wagner dans Siegfried emploie un dragon Fafner qui garde lor des Nibelungen et lanneau magique dAlberich] et la monture dApollon Autrement dit nous devons voir dans ce griffon leacutequivalent strict de Latone Aussi bien sommes-nous daccord avec Fulcanelli lorsquil eacutecrit

laquo Nous trouvons en cette image lhieacuteroglyphe de la premiegravere conjonction laquelle ne sopegravere que peu agrave peu au fur et agrave mesure de ce labeur peacutenible et fastidieux que les Philosophes ont appeleacute leurs

aigles raquo [Myst p 115]

On sest beaucoup pencheacute sur cette eacutenigme des Aigles de Philalegravethe en particulier dans la section Matiegravere Cette premiegravere conjonction en accord avec les vues de Le Breton correspond donc agrave la noirceur traditionnelle On comprend en quoi lObeacuteissance est de concert avec ce griffon auquel dailleurs Fulcanelli aurait pu donner son nom plus commun dAirain

FIGURE XXXVI - la deacutesobeacuteissance

Ce bas-relief na pas eacuteteacute examineacute par Fulcanelli mais on peut en deviner la raison quand on voit les ravages que sept siegravecles de rafale ont imposeacute sur cette partie du grand portail de Notre-Dame

Doit-on voir dans le personnage de droite le deacutepart de lenfant prodigue Il faudrait donc voir le pegravere agrave gauche Le sens hermeacutetique du meacutedaillon serait alors superposable aux gravures du De Lapide Philosophorum de Lambsprinck on peut voir dans lune le Fils seacuteloigner du Pegravere accompagneacute au sommet dune montagne par le conducteur et dans lautre le Fils redescendu dans le Palais du Roi son Pegravere et pregraves agrave ecirctre deacutevoreacute par lui Cest une parabole sur le Mercure la sublimation du Soufre et la reacuteincrudation

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FIGURE XXXVII 23)- la douceur ( lunion du Fixe et du

Volatil)

Aussi bizarre que cela puisse paraicirctre Fulcanelli voit un laquo coq - renard raquo dans le meacutedaillon de la douceur [planche XVI du Mystegravere] Cest une chimegravere dans les deux sens du terme Voici comment lAdepte voit cette figure

laquo Cest ce superbe manteau avec le Sel des Astres dit [Basile] qui suit ce soulfre ceacuteleste gardeacute soigneusement de peur quil ne se gaste et les faict voller comme un oyseau tant quil sera besoin et le coq mangera le renard et se noyera et estouffera dans leau puis reprenant vie par le feu sera (afin de jouer chacun leur tour) deacutevoreacute par

le renard raquo [Myst p 122]

Fulcanelli donne une citation se rapportant agrave la Clef III des Douze clefs de Basile LAdepte attire lattention sur la

devise favorite des alchimistes laquo Solve et Coagula raquo qui exprime entiegraverement le moyen et le but de lœuvre Cest cette extraction du Soufre rouge que lAdepte compare agrave ce monstre hybride tenant agrave la fois du coq et du renard Notez que lalleacutegorie sera mieux conccedilue et analyseacutee lorsque Fulcanelli examinera le portail central de la catheacutedrale dAmiens [Mystegravere planche XXV]

FIGURE XXXVIII 24)- la dureteacute ( la Reine terrasse le

Mercure Servus Fugitivus)

La dureteacute se situe agrave la planche XXI de louvrage de Fulcanelli Cest lune des figures les plus eacutenigmatiques des Vices et des Vertus Le commentaire quen donne lAdepte est particuliegraverement subtil il eacutevoque la voie du laquo mercure commun raquo pris comme laquo vif-argent vulgaire raquo

laquo Une reine assise sur un trocircne renverse dun coup de pied le valet qui une coupe agrave la main vient lui offrir ses

services raquo [Myst p 126-127]

On ne pourra comprendre lalleacutegorie si lon na pas lu la Clavicule de Ramon Lull Car Fulcanelli joue ici sur une cabale spirituelle entre les expressions mercure vulgaire et mercure commun autrement dit il veut parler ici du premier

Mercure encore appeleacute Mercure des philosophes diffeacuterent du Mercure philosophique Degraves lors tout ce quil dit du laquo vif-argent vulgaire raquo doit ecirctre pris dans un sens charitable Cest agrave cette occasion quil cite un opuscule tregraves rare de Sabine Stuart de Chevalier Discours philosophique sur les Trois Principes ou la clef du Sanctuaire philosophique [Paris Quillau 1781] Et quil complegravete lextrait quil en donne par ce commentaire

laquo Le servus fugitivus dont nous avons besoin est une eau mineacuterale et meacutetallique solide cassante ayant laspect dune pierre et de liqueacutefaction tregraves aiseacutee Cest cette eau coaguleacutee sous forme de

masse pierreuse qui est lAlkaest et le Disssolvant universel [] raquo [Myst p 127]

Le lecteur trouvera dans les sections du Mercure de lArcanum duplicatum dans lhumide radical meacutetallique et dans la reacuteincrudation de quoi faire le tour du problegraveme

Nous avons termineacute leacutetude des meacutedaillons les plus importants de Notre-Dame de Paris en revisitant ce livre tant extraordinaire plein de poeacutesie et deacuterudition de lun des plus ceacutelegravebres alchimistes du XX

e

siegravecle Fulcanelli Dautres meacutedaillons appartenant agrave dautres demeures philosophales attendent decirctre deacutepoussieacutereacutes et revisiteacutes agrave leur tour Cette section eacutetant deacutejagrave deacutemesureacutee nous reacuteserverons donc peut-ecirctre un jour une section speacuteciale qui sattachera agrave leacutetude des derniers tableaux lapidaires de Notre-Dame de Paris qui est loin davoir livreacute tous ses secrets et agrave leacutetude de ceux de la catheacutedrale dAmiens suivant en cela le plan du Mystegravere des Catheacutedrales

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LART RELIGIEUX DU XIIIe SIEgraveCLE EN FRANCE ETUDE SUR LICONOGRAPHIE DU MOYEN

AGE ET SUR SES SOURCES DINSPIRATION par Emile Macircle Paris Armand Colin in-4deg 468 p et fig

FIGURE XXXIX

(portail de Notre-Dame Bourges - deacutetail clicheacute Alain Mauranne)

Il nest jamais trop tard pour rendre compte dun bon livre surtout quand une seconde eacutedition

en consacre toute la valeur M Macircle qui avait fait paraicirctre la premiegravere eacutedition de son

excellent ouvrage en 1808 sest attacheacute agrave le perfectionner en y ajoutant de nouvelles

remarques iconographiques mais il est regrettable que son eacutediteur ne se soit pas imposeacute les

sacrifices neacutecessaires pour lillustration quil eacutetait facile de puiser dans la preacutecieuse collection

de M Martin-Sabon Comme le sous-titre lindique beaucoup mieux que le titre le livre de M

Macircle est une eacutetude densemble sur liconographie des portails et des vitraux de nos grandes

catheacutedrales gothiques Il a donc eu raison de deacutebuter par lexposeacute des caractegraveres de

liconographie du moyen acircge et de la meacutethode agrave suivre pour linterpreacuteter On eacutetait trop porteacute agrave

chercher dans la Leacutegende doreacutee lunique explication dune foule de scegravenes sculpteacutees ou peintes

parles artistes M Macircle qui a mis en relief la valeur de la grande encyclopeacutedie de Vincent de

Beauvais connue sous le nom de Speculum majus et qui lui a emprunteacute les grandes divisions

de son ouvrage restitue agrave Martianus Capella grammairien du Ve siegravecle et agrave Honorius eacutevecircque

dAutun au XIIe siegravecle auteur du Speculum ecclesiae et de lElucidarium la place qui leur

revient dans les sources de linspiration iconographique Les premiers chapitres sont consacreacutes

agrave leacutetude des animaux symboliques des bestiaires des calendriers des sept arts libeacuteraux des

vertus et des vices Lauteur qui seacutelegraveve avec raison contre lexageacuteration du symbolisme

eacutetudie parallegravelement les sources et les repreacutesentations figureacutees en comparant les unes aux

autres les sculptures des grandes eacuteglises gothiques Si les artistes du moyen acircge avaient une

grande liberteacute dinterpreacutetation leurs œuvres deacuterivent cependant de la mecircme inspiration

Dailleurs linfluence du clergeacute sur le programme imposeacute aux sculpteurs et aux peintres

verriers les obligeait agrave rester fidegraveles aux traditions conserveacutees dans les ateliers

Linterpreacutetation symbolique de la Bible et ses origines a fourni agrave M Macircle loccasion

dexpliquer beaucoup de scegravenes peintes sur les vitraux de Bourges de Chartres et du Mans et

de donner la clef des scegravenes sculpteacutees dans les voussures du portail nord de la faccedilade de

Notre-Dame de Laon ougrave le sculpteur sest inspireacute dun sermon dHonorius Les figures et les

attributs des patriarches des prophegravetes et des rois de Juda que lauteur identifie avec les

personnages des galeries de Notre-Dame de Paris dAmiens de Reims et de Chartres sont

eacutetudieacutes avec le plus grand soin ainsi que les scegravenes de la vie du Christ et les paraboles

Abordant ensuite les traditions leacutegendaires sur lancien et le nouveau Testament et sur la

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Vierge qui ont leur source dans les Evangiles apocryphes lauteur commente lhistoire de

Theacuteophile et montre linfluence exerceacutee dans les ateliers par la Vitu Christi de Ludovic le

Chartreux et le De gloria martyrum de Greacutegoire de Tours ce qui lui permet dexpliquer les

scegravenes de plusieurs vitraux de la catheacutedrale du Mans Les caracteacuteristiques des saillis et la

Leacutegende doreacutee linfluence des pegravelerinages sur la populariteacute des saints linfluence des

donateurs et des corporations meacuteritaient un chapitre speacutecial ougrave M Macircle a fait dingeacutenieuses

observations sur linterpreacutetation artistique de lœuvre ceacutelegravebre de Jacques de Voragine Les

artistes du moyen acircge avaient un meacutediocre souci des grands hommes de lantiquiteacute mais ils

ont repreacutesenteacute parfois la belle Campaspe agrave cheval sur Aristote et Virgile dans la corbeille M

Macircle prouve que la seule sibylle reproduite au XIIIe siegravecle fut la sibylle Erythreacutee parce que

saint Augustin lui attribuait les fameux vers acrostiches sur le jugement dernier Il montre

ensuite les erreurs commises par Montfaucon et dautres archeacuteologues qui ont cru reconnaicirctre

des rois de France dans des statues qui repreacutesentent en reacutealiteacute des personnages bibliques ete

siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque nationale sur linspiration des artistes du moyen acircge qui

ont copieacute la bote agrave sept tecirctes la femme nimbeacutee deacutetoiles qui remet son enfant agrave un ange

lapparition divine qui porte une eacutepeacutee dans sa bouche Enfin dans une conclusion dont la

forme litteacuteraire est un veacuteritable modegravele il a montreacute la physionomie de nos grandes catheacutedrales

en prouvant que les artistes eacutetaient les interpregravetes dociles du clergeacute qui reacuteglait lordonnance

des sujets Cette theacuteorie est absolument conforme agrave la veacuteriteacute comme notre confregravere M Mortel

la prouveacute avec documents agrave lappui dans un article du Bulletin Monumental de 1902 De

mecircme M Macircle rectifie encore une fois la theacuteorie de Viollet-le-Duc sur lesprit de reacutevolte des

artistes laiumlques du XIIIe siegravecle contre lart theacuteocratique de leacutepoque romane et il ajoute de

nouveaux arguments agrave la savante reacutefutation de notre confregravere M Anthyme Saint-Paul Il

deacutefinit la catheacutedrale une œuvre de foi et damour et il deacutecouvre dans Notre-Dame de Chartres

la penseacutee mecircme du moyen acircge devenue visible On ne saurait mieux dire Eacutecrit dans un style

eacuteleacutegant et preacutecis louvrage de M Macircle sera le veacuteritable vade-mecum des archeacuteologues qui

veulent eacutetudier liconographie du XIIIe siegravecle en comprendre les sujets et en retrouver les

sources dans les monuments eacutecrits de la litteacuterature dans les livres saints dans les leacutegendaires

mais la grande valeur du texte forme un contraste trop frappant avec la rareteacute des illustrations

qui auraient ducirc ecirctre plus nombreuses et plus soigneacutees Il est impossible dexpliquer

liconographie du moyen acircge avec 127 figures mais chacun sait que les eacutediteurs nont pas sur

ce point les mecircmes ideacutees que les archeacuteologues E LEFEVRE-PONTALlS

LART RELIGIEUX DU XIIe SIECLE EN FRANCE ETUDE SUR LES ORIGINES DE

LICONOGRAPHIE DU MOYEN AGE par Emile Macircle mdash Paris A Colin 1922 in 4deg IV-

459 p et 253 fig

Quand on cherche a se rendre compte des difficulteacutes que dut aborder M Macircle pour reacutesoudre les nombreux problegravemes qui se preacutesentent dans son livre on a limpression que ses deux premiers ouvrages sur le XIII

e siegravecle et sur la fin du moyen acircge eacutetaient tacircche facile agrave cocircteacute de celui-lagrave Cest

quici M Macircle a ducirc rechercher les sources lointaines auxquelles ont puiseacute nos artistes romans qui voulaient deacutecorer leurs eacuteglises de scegravenes religieuses Avec ce don de la clarteacute qursquoil possegravede au plus haut point il a mis en bonne lumiegravere celte question des origines de notre art roman Selon lui lantiquiteacute classique lart gallo romain lart des catacombes de la Rome chreacutetienne nont eu quune action tregraves restreinte sur lart chreacutetien de notre pays au XII

e siegravecle et il confirme dune maniegravere

deacutefinitive lopinion des archeacuteologues de notre temps suivant laquelle cest agrave lOrient chreacutetien que les artistes romans allegraverent demander presque tous leurs modegraveles Mais dans lart quon appelle oriental dun terme trop geacuteneacuteral il distingue avec beaucoup de finesse lart chreacutetien des villes grecques dOrient deacutesigne souvent par un abus de langage sous le nom dart helleacutenistique et lart chreacutetien syrien Ainsi lon trouve en mecircme temps lempreinte dune part des eacuteglises dAlexandrie dAntioche et dEphegravese dautre part celle de lart des eacuteglises de Jeacuterusalem et des eacuteglises de Syrie de Palestine et de Meacutesopotamie auquel M Macircle rattache les œuvres des monastegraveres coptes dEgypte et celles des eacuteglises de Cappadoce Cest donc dun art chreacutetien tregraves ancien des IV

e V

e et VI

e siegravecles que nos

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artistes firent des emprunts il en reacutesulte que la place consideacuterable que lon faisait jusquici agrave lart byzantin agrave lart de Constantinople des IX

e X

e et XI

e siegravecles eacutetait beaucoup trop importante Certes

nos artistes puisegraverent agrave cette source mais moins freacutequemment quon ne la cru Avant leacuteclosion de lart byzantin la Gaule meacuterovingienne et carolingienne avait deacutejagrave reccedilu de lOrient des manuscrits

enlumineacutes et cest lagrave que les artistes avaient chercheacute des inspirations leurs successeurs jusquau XIIe

siegravecle veacutecurent de ce vieux fonds Nous ne pourrons analyser tous les chapitres de louvrage de M Macircle dans lequel on retrouve cette langue harmonieuse sobre et preacutecise ougrave lon devine une note deacutemotion mecircleacutee parfois denthousiasme qui rend si captivante la lecture de ses livres Ceux qui suivent avec inteacuterecirct tout ce quil publie connaissaient deacutejagrave certaines des ideacutees eacutemises dans ce volume par plusieurs articles parus ces derniegraveres anneacutees dans la Revue de Paris la Revue de lart ancien et moderne et la Gazette des Beaux-Arts Lauteur apregraves avoir fait connaicirctre tout ce que lart meacutedieacuteval de nos pays devait agrave lart chreacutetien dOrient eacutetudie quelle part doriginaliteacute nos artistes romans ont pu apporter dans leurs compositions quelles inspirations leur sont venues quels sentiments les ont guideacutes pour leur faire creacuteer des œuvres nouvelles dont tantocirct la puissance et la graviteacute tantocirct la deacutelicatesse et la gracircce provoquent encore notre eacutetonnement et notre admiration Il nous montre successivement comment liconographie sest enrichie par la liturgie et par les drames liturgiques par les textes theacuteologiques par linfluence dhommes tels que Suger qui joignant leacuterudition au goucirct des arts fit pour orner magnifiquement sa basilique de Saint-Denis venir de tous les pays des artistes reacuteputeacutes deacutecida lui-mecircme quelles scegravenes alleacutegoriques seraient repreacutesenteacutees et composa les distiques destineacutes agrave expliquer ces scegravenes Ainsi cest apregraves Suger apregraves lexeacutecution des œuvres merveilleuses de Saint-Denis quun symbolisme savant se reacutepandit dans liconographie symbolisme dont les grands ateliers du nord de la Loire tels que Chartres et Le Mans firent leur profit Dans la suite ces ateliers exercegraverent sur dautres reacutegions notamment sur le midi de la France leur influence dont la trace persistera pendant tout le XIII

e siegravecle Le culte des saints contribua aussi agrave lenrichissement de

liconographie dont on constate que la varieacuteteacute saccroicirct davantage agrave mesure quon avance dans le XIIe siegravecle chaque province ayant ses deacutevotions particuliegraveres les artistes repreacutesentaient plus volontiers dans telle reacutegion les scegravenes de la vie des saints qui y eacutetaient plus speacutecialement veacuteneacutereacutes Les pegravelerinages les grandes routes de Rome de Compostelle et de Terre-Sainte amenegraverent de nombreux eacutechanges dinfluences artistiques entre des reacutegions tregraves eacuteloigneacutees tant en ce qui concerne larchitecture que les arts mineurs Enfin les Ordres monastiques Cluny surtout eurent une part consideacuterable dans le deacuteveloppement et lexpansion des arts Nous avons dit rapidement comment M Macircle avait reacutesolu le problegraveme des origines de liconographie a leacutepoque romane et comment il avait montreacute limportance de lapport personnel de nos artistes dans lenrichissement de cette iconographie M Macircle a encore abordeacute deux questions qui sont intimement lieacutees ensemble Lune delles consiste agrave rechercher dans quelle province de notre pays seacutelabora la renaissance de la sculpture romane et dans quelles reacutegions dans la suite elle se deacuteveloppa progressivement Lautre question a pour objet deacutetablir comment les sculpteurs de la fin du XI

e siegravecle retrouvegraverent un art disparu depuis plus de

quatre siegravecles dont la technique avait eacuteteacute complegravetement oublieacutee dans nos pays et quels furent les modegraveles dont ils sinspiregraverent Pour M Macircle la reacuteponse au premier problegraveme est la suivante cest agrave Toulouse et agrave Moissac quest reacuteapparu lart de la sculpture dans la pierre Une inscription nous apprend que le cloicirctre de Moissac fut construit en lan 1100 du temps de labbeacute Anquetil dans ce cloicirctre se trouvent de nombreux chapiteaux et certains de ses piliers sont deacutecoreacutes de grands panneaux au nombre de dix dont chacun est orneacute dun personnage en bas relief Une chronique de la fin du XIV

e siegravecle nous dit que le magnifique portail dont le tympan contient les figures du Christ en

majesteacute et des vingt quatre vieillards de lApocalypse fut eacuterigeacute par le mecircme abbeacute qui mourut en 1115 Ce tympan que lon voulait jusquici dater dune eacutepoque plus avanceacutee du XII

e siegravecle est le plus ancien

monument de sculpture monumentale que nous posseacutedions Le portail de Beaulieu (Corregraveze) a de grands traits de ressemblance avec celui de Moissac dont il fut inspireacute sans aucun doute Suger raconte lui-mecircme quil fit venir de tregraves loin pour la deacutecoration de sa basilique des artistes nombreux Voumlge avait eacutemis lopinion que parmi ces artistes se trouvaient des sculpteurs du Languedoc Une deacutecouverte de M Macircle vient fortifier cette hypothegravese Le tympan de Saint-Denis moins restaureacute quon ne la cru est orneacute dune scegravene du Jugement dernier qui preacutesente une ressemblance frappante avec le Jugement dernier du tympan de Beaulieu Ainsi trois phases se preacutecisent dans leacutevolution de la statuaire pendant la premiegravere moitieacute du XII

e siegravecle Toulouse et Moissac avant 1115 puis Beaulieu

puis Saint-Denis vers 1135 Suivant M Macircle lœuvre de Saint-Denis eut un retentissement consideacuterable Suger venait de creacuteer cette merveille que fut le portail gothique avec son tympan deacutecoreacute dune grande scegravene bien ordonneacutee ses voussures chargeacutees de personnages faisant cortegravege agrave cette scegravene ses pieacutedroits et ses colonnes ougrave sadossaient des statues qui semblaient accueillir le visiteur precirct a peacuteneacutetrer dans leacuteglise Le type eacutetait fixeacute deacutefinitivement et pendant longtemps on ne seacuteloigna guegravere de ce modegravele Les artistes dIle de France limitegraverent a lenvie puis ceux de reacutegions plus

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eacuteloigneacutees Le Comte de Lasteyrie dans un brillant exposeacute sur leacutevolution de la sculpture romane avait agrave grands traits dessineacute la courbe de cette eacutevolution qui partant du sud-ouest montait vers lIle-de-Franccedile et redescendait vers la Provence M Macircle na pas modifieacute ce traceacute il en a au contraire confirmeacute lexactitude en donnant des preacutecisions nouvelles en montrant les principales eacutetapes suivies par les artistes languedociens en exposant comment un nouveau centre dinfluence seacutetait formeacute ensuite dans le nord gracircce au merveilleux monument eacuteleveacute par Suger En suivant lexposeacute de M Macircle ses deacutemonstrations qui paraissent si satisfaisantes pour lesprit on a limpression que tout seacuteclaire que tout se simplifie et que les deacuteductions senchaicircnent agrave merveille Mais agrave la reacuteflexion on se demande si les arguments preacutesenteacutes sont aussi probants que le pense lauteur sil napporte pas quelquefois dune maniegravere trop absolue des affirmations dans des questions ougrave les teacutemoignages sont si rares ougrave tant de monuments font deacutefaut qui seraient indispensables pour emporter la conviction Toutefois il nous paraicirct que la thegravese si seacuteduisante de M Macircle doit ecirctre retenue dans ses grandes lignes Nous ne ferons que deux observations qui nont dailleurs nullement pour but dinfirmer lensemble de sa theacuteorie Tout dabord nous ne croyons pas que le portail de Moissac appartienne agrave la date que M Macircle lui assigne Dans un meacutemoire eacutecrit avant la publication du livre de M Macircle et qui doit paraicirctre dans le Bulletin archeacuteologique nous exposions les raisons qui nous faisaient consideacuterer que les grands bas-reliefs du cloicirctre et sans doute une partie de ses chapiteaux dataient de labbatiat dAnquetil (1085-1115) Linscription graveacutee en 1100 sur un des piliers atteste quon travaillait alors dans le cloicirctre Une preuve aussi formelle nexiste pas pour le portail dont les sculptures sont dailleurs dun art infiniment plus avanceacute que les bas-reliefs du cloicirctre Le seul teacutemoignage que nous posseacutedions est celui dAimery de Peyrac abbeacute de Moissac de 1377 agrave 1406 qui reacutedigea la chronique de labbaye

FIGURE XL

(portail de Moissac XIe siegravecle)

Les anciennes œuvres dart conserveacutees agrave Moissac et dans ses prieureacutes inteacuteressaient vivement labbeacute Aimery qui en parle comme en parlerait un archeacuteologue de nos jours mais avec moins de prudence et sans aucun discernement Il simprovise successivement critique dart eacutepigraphiste et philologue et il se montre aussi ignorant dans lune ou lautre de ces matiegraveres Ses observations lui font attribuer agrave telle eacutepoque tel monument en sappuyant sur les comparaisons tout agrave fait sans valeur parlant de linscription du cloicirctre graveacutee du temps de labbeacute Anquetil il nous dit quune autre inscription se trouve dans leacuteglise qui rappelle une conseacutecration faite en 1063 et trouvant les caractegraveres eacutepigraphiques semblables il suppose que labbeacute Anquetil fit aussi graver cette inscription Mais nous avons observeacute sur place que les deux inscriptions preacutesentent des diffeacuterences de caractegraveres notables et ne peuvent appartenir agrave la mecircme eacutepoque Cest une comparaison aussi deacutenueacutee de fondement qui fit attribuer par Aimery de Peyrac la deacutecoration du portail agrave labbeacute Anquetil Il avait remarqueacute que des imbrications ornaient certaines faces les piliers du cloicirctre non deacutecoreacutees de bas-reliefs et que ces imbrications se retrouvaient sur le trumeau du portail puis faisant un rapprochement entre le nom dAnsquitilius quil

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appelle Asquilinus et le mot latin squilla qui deacutesigne une espegravece de poisson il deacuteclare que cest Anquetil qui fit graver ces imbrications semblables agrave des eacutecailles de poisson pour rappeler son nom Or lon sait que ce deacutecor Histoire de lArt M Andreacute Michel qui attribue le merveilleux tympan de Moissac au successeur dAnquetil labbeacute Roger (1115-1131) dont la statue fut placeacutee en haut de ce portail sans doute pour commeacutemorer son œuvre Notre seconde observation sera la suivante Suger aurait au portail de Saint-Denis groupeacute trois eacuteleacutements essentiels dont la reacuteunion devait faire le portail gothique un tympan orneacute dune grande scegravene religieuse telle que celle du Jugement dernier dont le modegravele venait du Languedoc des voussures chargeacutees de personnages en union avec cette scegravene semblables aux sculptures dont les artistes du Poitou et de la Saintonge chargeaient les voussures de leurs portails Enfin le troisiegraveme eacuteleacutement les statues-colonnes serait une creacuteation de Suger Or rien ne prouve que les statues-colonnes de Saint-Denis datent du temps de Suger et il nest pas absolument deacutemontreacute non plus quelles aient eacuteteacute les premiegraveres agrave orner un portail Il serait surprenant quon eucirct composeacute du premier coup un ensemble de cette importance Suger qui parle des portes de bronze placeacutees agrave lentreacutee de sa basilique et des scegravenes qui y eacutetaient repreacutesenteacutees ne dit rien de ces statues du portail Il semble que sil avait entiegraverement creacuteeacute cet eacutetrange deacutecor il en aurait fait mention A notre sentiment lideacutee de placer des statues devant les colonnes dun portail de les allonger de les eacutetirer pour quelles fassent corps avec ces colonnes sans en deacutepasser leacutepaisseur est venue progressivement insensiblement Ces statues ont leur origine dans des bas-reliefs de petite dimension superposeacutes sur les montants des portails comme ceux des eacuteglises lombardes dans les figurines placeacutees les unes au-dessus des autres et graveacutees plutocirct que sculpteacutees qui ornent les colonnettes du portail des Orfegravevres agrave Saint-Jacques de Compostelle enfin dans des statuettes fixeacutees contre des colonnes comme les statuettes de Saint-Ouentin-legraves-Beauvais (Museacutee de Beauvais) Le bas-relief sest accentueacute pour devenr une statue la statuette sest allongeacutee pour avoir la taille de la colonne Une autre question poseacutee par M Macircle avait pour but deacutetablir comment les premiers sculpteurs romans avaient retrouveacute leur technique agrave quel art en honneur alors ils avaient demandeacute des modegraveles La reacuteponse de M Macircle nous paraicirct trop absolue et trop exclusive Cest selon lui la miniature qui a joueacute presque uniquement le rocircle dinitiatrice pour les premiers sculpteurs romans Il le dit dune faccedilon tregraves preacutecise

laquo La miniature a joueacute un rocircle deacutecisif Elle explique agrave la fois laspect tourmenteacute de notre sculpture naissante et le caractegravere profondeacutement traditionnel de notre iconographie raquo

Et plus loin

laquoCet art (de la statuaire) comment les artistes lont-ils retrouveacute Tel est le problegraveme quon a sans grand succegraves jusquagrave preacutesent essayeacute de reacutesoudre On a rappeleacute que le culte des reliques avait pris degraves le X

e siegravecle dans la France meacuteridionale une forme singuliegravere on les placcedilait agrave linteacuterieur dune

statue de bois revecirctue dor Lapparition de ces statues agrave la fin de lacircge carolingien est un fait inteacuteressant Mais je nen suis pas moins convaincu que ces effigies hieacuteratiques nont eu aucune influence sur la naissance du grand art monumental Car ce nest pas sous la forme de la statue que la sculpture a reparu mais sous la forme du bas-relief Il se passera bien des anneacutees avant que lon rencontre en France une image deacutetacheacutee du mur Sil en est ainsi il est clair quil ne faut pas aller demander aux statues reliquaires du plateau central le secret des origines de la sculpture Ce secret est ailleurs Je voudrais montrer ici quagrave Moissac aussi bien quen Auvergne en Bourgogne ou en Provence le bas-relief na guegravere eacuteteacute agrave lorigine quune transposition de la miniature raquo

laquo Plusieurs singulariteacutes de notre sculpture primitive les eacutetoffes colleacutees au corps les plis concentriques sur la poitrine et les genoux ne peuvent sexpliquer que par limitation de la miniature qui a donneacute agrave la sculpture du XIIe siegravecle quelque chose de tourmenteacute de calligraphique La miniature ne fut pourtant pas le modegravele unique Nous verrons que les dessins des eacutetoffes persanes byzantines arabes furent eacutegalement imiteacutes Nous devinons dautres modegraveles encore Il se peut que les ivoires qui donnaient le relief aient eacuteteacute parfois consulteacutes Il semble dautre part que les petits bas-reliefs tailleacutes agrave plat sur les dalles encastreacutees dans les murs perpeacutetuent une ancienne tradition Tous ces modegraveles nen doivent pas moins rester au second plan pour nos sculpteurs la vraie source dinspiration fut la miniature raquo

Si les sculpteurs cherchaient dans les manuscrits le secret de la forme humaine il est bien eacutevident quils leur empruntaient aussi les types sacreacutes et les dispositions des scegravenes religieuses Ainsi selon M Macircle cest presque exclusivement dans les miniatures tant pour les scegravenes agrave repreacutesenter que pour lexeacutecution mecircme des figures dans la pierre que les sculpteurs romans cherchegraverent des modegraveles Nous ne partageons pas cette opinion les sculpteurs romans firent dans des proportions tregraves diffeacuterentes il est vrai des emprunts agrave tous les arts IIs sinspiregraverent non seulement des manuscrits et

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des tissus orientaux comme M Macircle la tregraves bien observeacute mais aussi des peintures murales et des mosaiumlques Quelques-uns mecircme copiegraverent des bijoux barbares telle cette pierre de Glanfeuil orneacutee dun oiseau ou ce chapiteau de la crypte de Saint-Beacutenigne de Dijon ougrave lon voit un perroquet semblable agrave ceux des fibules meacuterovingiennes telles ces tecirctes de taureau freacutequentes dans les modillons normands et qui rappellent aussi certaines fibules Ils imitegraverent assureacutement des modegraveles gallo romains et en particulier des sarcophages Les sculptures du tombeau du XI

e siegravecle de

saint Agilbert agrave Jouarre celles de la table dautel de Saint Sernin de Toulouse (vers 1096) celles du tympan de Saint Ursin de Bourges celles du tombeau de Saint-Hilaire (Aude) (XII

e siegravecle) sont

inspireacutees de modegraveles gallo romains Deux des personnages sculpteacutes dans les grands bas-reliets du deacuteambulatoire de Saint Sernin de Toulouse qui apparaissent drapeacutes dans leur toge ne sont-ils pas imiteacutes de quelque statue dorateur rencontreacutee dans les ruines du forum dune ville de Gaule Ce nest pas dans les manuscrits que les artistes cherchegraverent lideacutee de colonnes toises telles que celles du portail dAvaIlon Navaient-ils pas sous les yeux des colonnes semblables agrave celles de Notre-Dame de la Daurade de Toulouse dont quelques unes sont parvenues jusquagrave nous

FIGURE XLI

(le baiser de Judas clicheacute Bernard Delorme - Notre-Dame de la Daurade Toulouse)

Ce nest pas aux manuscrits mais aux sarcophages que les sculpteurs ont pris ces imbrications que lon trouve agrave Moissac et agrave Toulouse II faut constater quici comme en bien dautres circonstances miniaturistes et sculpteurs ont puiseacute agrave la mecircme source Il faut eacutegalement faire place aux influences reacuteciproques aux eacutechanges qui ont pu se faire dun art agrave lautre Les anges soutenant une gloire ronde dans laquelle se trouve une figure divine qui ornent dune faccedilon si gracieuse des tailloirs au cloicirctre de Moissac et au cloicirctre de Tarragone et quon rencontre aussi sur le linteau de la porte nord de Saint-Michel de Pavie se retrouvent sur des ivoires ils sont un souvenir des antiques geacutenies aileacutes supportant un cartouche Bien des thegravemes deacutecoratifs en honneur chez les sculpteurs romans ont eacuteteacute emprunteacutes agrave la grammaire ornementale gallo-romaine Ce nest pas la pourtant que nos artistes prirent principalement leurs modegraveles il faut prendre garde que ces deacutebutants qui tentaient de faire revivre un art abandonneacute depuis plus de quatre siegravecles avaient agrave retrouver le relief et quagrave cette eacutepoque dautres artistes utilisant dautres matiegraveres que la pierre savaient exeacutecuter des figures en relief Nous voulons parler des fondeurs et des orfegravevres cest surtout agrave ceux-ci que nos premiers sculpteurs demandegraverent des leccedilons M Macircle refuse toute influence dans la renaissance de la sculpture agrave ces statues de bois revecirctues de feuilles de meacutetal a ces laquo majesteacutes dor raquo qui eacutetaient en honneur en Auvergne au X

e et au XI

e siegravecle et dont M Louis Breacutehier a montreacute tout linteacuterecirct quelles preacutesentaient

pour larcheacuteologie Il croit trouver un argument absolu pour nier cette influence dans ce fait que ces laquo majesteacutes raquo eacutetaient des statues et que les premiers sculpteurs ne senhardirent tout dabord quagrave exeacutecuter des bas-reliefs Mais nest-il pas logique de penser quils imitegraverent les bas-reliefs quils pouvaient voir exeacutecuter de leur temps Pendant tous les siegravecles du moyen acircge on sculpta des figures de petite dimension dans livoire M Macircle concegravede bien que les objets divoire notamment les coffrets musulmans dEspagne du X

e et du XI

e siegravecle purent jouer leur rocircle mais il ne fait aucune allusion agrave

lart de la fonte aux arts dorfegravevrerie qui ne cessegraverent jamais decirctre pratiqueacutes aux portes de bronze orneacutees de nombreuses scegravenes telles que celles dHildesheim du deacutebut du XI

e siegravecle aux couvertures

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deacutevangeacuteliaires aux reliquaires de formes varieacutees aux chacircsses rehausseacutees de figures de meacutetal aux ciboria aux devants dautel et aux tombeaux que lon couvrait de plaques dargent ou dor orneacutees de personnages en haut relief et dassez grande dimension Les monuments de ce genre qui ont eacuteteacute conserveacutes sont tregraves rares agrave toute eacutepoque on les fit fondre pour tirer parti des meacutetaux preacutecieux dont ils eacutetaient composeacutes Mais les textes viennent dans une certaine mesure suppleacuteer labsence des monuments quand on parcourt les chroniques du VIII

e au XII

e siegravecle on est stupeacutefait de voir la

richesse inouiumle des treacutesors dorfegravevrerie que posseacutedaient certaines eacuteglises au moyen acircge Il neacutetait pas dabbaye importante au deacutebut de leacutepoque romane qui neucirct ses chacircsses et son parement dautel orneacutes de figures dargent ou dor repousseacute Une place importante eacutetait faite dailleurs aux arts du meacutetal dans le ceacutelegravebre ouvrage du moine Theacuteophile qui explique en deacutetail les meacutethodes agrave suivre pour fondre le bronze ou pour exeacutecuter des reliefs dargent ou dor par le proceacutedeacute du repousseacute et les terminer par la ciselure De cette profusion doeuvres dorfegravevrerie que les chroniques nous font connaicirctre quelques magnifiques exemples nous restent tels sont le parement dautel de Saint-Ambroise de Milan (IX

e

siegravecle) et le devant dautel de la catheacutedrale de Bacircle exeacutecuteacute vers 1020 et conserveacute aujourdhui au museacutee de Cluny des dessins du XVII

e et du XVIII

e siegravecle nous ont gardeacute aussi de quelques

monuments ceacutelegravebres un souvenir plus preacutecis que celui auquel peut preacutetendre une description Ces teacutemoins suffisent pour nous donner une preuve certaine des emprunts quont faits les sculpteurs aux monuments dorfegravevrerie Limitation est parfois si eacutevidente quon peut se demander si certains orfegravevres comme aussi certains ivoiriers ne simprovisegraverent pas sculpteurs sur pierre Certaines sculptures ont des reliefs peu accuseacutes qui font penser aux figures obtenues dans le meacutetal par le proceacutedeacute du repousseacute telles sont entre cent autres le Christ de Saint-Amour-Bellevue (Saocircne-et-Loire) les Anges placeacutes aux eacutecoinccedilons du portail de Notre-Dame dEtampes et certaines figures tourmenteacutees de la Porte Mieacutegeville agrave Saint-Sernin de Toulouse dautres telles que les figures des tympans de Saint-Sauveur de Nevers et de Champagne (Ardegraveche) paraissent couleacutees dans le bronze tandis que le tympan de Pompierre (Vosges) avec le curieux encadrement dentrelacs de son linteau paraicirct copieacute sur un coffret divoire Dans nos sculptures romanes le dessin des figures les plis des vecirctements colleacutes au corps et le bas des robes semblant souleveacute par le vent ne sont pas neacutecessairement limitation des proceacutedeacutes de la calligraphie quon jette un coup dœil sur lautel de Bacircle on apercevra ces plis colleacutes au corps sur tous les personnages et lon remarquera le retroussis au bas de la robe du Christ Si lon vient aux deacutetails on trouvera imiteacutees dans la pierre les pacirctes de verre qui encadrent les bas-reliefs de meacutetal sur les couvertures deacutevangeacuteliaires et chose plus curieuse encore les sculpteurs ont parfois imiteacute dune faccedilon si scrupuleuse leurs modegraveles dorfegravevrerie quon rencontre des inscriptions qui au lieu decirctre graveacutees ont leurs lettres en relief semblables agrave celles qui se trouvent en repousseacute sur les feuilles de meacutetal des reliquaires ou sur des plaques de bronze bas-relief agrave Saint-Sernin de Toulouse avec linscription sanctus Saturninus tympans de Marcillac (Lot) et de Mervilliers( Eure-et-Loir) Les sculpteurs ont emprunteacute parfois aux monuments dorfegravevrerie la composition de leurs scegravenes Les textes nous deacutecrivent des devants dautel dor ougrave lon voyait le Christ en majesteacute accompagneacute des quatre animaux et parfois des Apocirctres disposeacutes sous la gloire du Christ ou agrave ses cocircteacutes sur plusieurs registres Les mecircmes figures se retrouvent avec une semblable ordonnance sur nos tympans Celui de Carennac (Lot) nous en fournit un remarquable exemple La disposition dune seacuterie darcades en plein cintre reposant sur des colonnettes et abritant chacune un personnage assis ou debout que lon rencontre si souvent sur nos plus vieilles sculptures romanes (linteaux de Saint-Genis-des-Fontaines de Saint-Andreacute de Soregravede) du plus ancien portail de Charlieu de Chacircteauneuf (Saocircne-et-Loire) puis plus tard linteaux des portails des catheacutedrales du Mans de Bourges de leacuteglise Saint-Loup-de-Naud) est imiteacutee des ivoires des chacircsses (chacircsse du treacutesor de la catheacutedrale de Cividale X

e siegravecle) et des

devants dautel (autel dor de la catheacutedrale de Bacircle) Nos artistes allegraverent plus loin ils sinspiregraverent de ces modegraveles pour deacutecorer des faccedilades entiegraveres deacuteglises et il semble que certaines faccedilades deacuteglises de lOuest en particulier soient une reacuteplique magnifiquement deacuteveloppeacutee de quelque parement dautel Telles sont les faccedilades des eacuteglises de Peacuterignac (Charente-Infeacuterieure) de Notre-Dame la Grande de Poitiers et de la catheacutedrale dAngoulecircme avec leurs seacuteries darcades encadrant chacune un personnage Sil nous reste bien peu de vestiges de ces parements dautel dargent ou dor si nombreux agrave leacutepoque romane nous pouvons nous rendre compte de ce quils eacutetaient par les reacutepliques de ces monuments dorfegravevrerie quon fabriquait eacuteconomiquement en bois sculpteacute ou simplement en couvrant une piegravece de bois de peintures et en encadrant celles-ci dornements de placirctre ou de stuc formant un faible relief Les Museacutees de Vich et de Barcelone conservent deux importantes collections de ces antependia dont M Folch le tregraves distingueacute Directeur des Museacutees de Barcelone publiera prochainement les reproductions en y joignant une eacutetude sur lindustrie de ces inteacuteressants monuments catalans et sur ce proceacutedeacute qui consistait agrave faire des encadrements en relief avec de la laquo pastaraquo appliqueacutee agrave laide dun cornet Lun des antependia du museacutee de Vich eacutetait orneacute lorsquil eacutetait intact de douze figurines de bois dont cinq subsistent repreacutesentant les Apocirctres debout sous douze

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arcades placeacutees sur deux rangs au milieu se trouve le Christ en majesteacute dans une gloire ovale que flanquaient les quatre animaux Les devants dautel chargeacutes de figures de meacutetal neurent pas seulement des reacutepliques de bois sculpteacute dans la suite on exeacutecuta des autels qui eacutetaient orneacutes de bas-reliefs de pierre faits agrave leur imitation Les autels dAirvault (Deux-Segravevres) et dAvenas (Rhocircne) en sont des exemples Le beau tombeau de Saint-Junien (Haute-Vienne) qui est orneacute de bas-reliefs de pierre repreacutesentant le Christ en majesteacute la Vierge avec lEnfant dans une gloire et les Vieillards de lApocalypse rappelle les antependia que nous deacutecrivent les textes il rappelle aussi dailleurs certains tombeaux qui eacutetaient complegravetement recouverts de feuilles de meacutetal orneacutees de bas-reliefs tels que ceux de saint Riquier dans labbaye consacreacutee agrave ce saint et de saint Benoicirct agrave Fleury-sur-Loire Nos premiers sculpteurs durent avoir quelquefois eacutegalement sous les yeux des surfaces sculpteacutees de mecircme apparence et presque de mecircme dimension que les tympans quils allaient deacutecorer nous voulons parier des ciboria portant sur leurs arcades des pignons verticaux couverts de figures en relief Pendant les siegravecles qui preacuteceacutedegraverent immeacutediatement le XII

e siegravecle si les artistes ne se

hasardegraverent pas agrave sculpter des images dans la pierre il semble quils aient quelquefois tenteacute dutiliser des matiegraveres plus tendres telles que le placirctre le stuc et la terre cuite Les figures de stuc de Disentis (Grisons) qui paraissent dater du VIII

e siegravecle en sont un teacutemoignage Des ciboria de mecircme aspect que

ceux de Saint-Ambroise de Milan et de San Pietro al Monte sopra Civate avaient ducirc ecirctre orneacutes de figures de stuc ou de terre cuite agrave cocircteacute de monuments plus riches sur les frontons desquels on appliquait des reliefs dargent doreacute La ressemblance dune des faces de ces ciboria avec un tympan sculpteacute est frappante Ces quelques observations sur lesquelles nous nous proposons de revenir prochainement suffisent pour montrer limportance que purent avoir dans la renaissance de la sculpture les arts ougrave le relief eacutetait pratiqueacute Cest surtout en imitant des modegraveles dorfegravevrerie et divoire que les sculpteurs cherchegraverent agrave retrouver le secret de leur art Le rocircle de la miniature nen fut pas moins consideacuterable cest agrave elle quest ducirc lenrichissement de liconographie religieuse au XII

e siegravecle

Les sculpteurs et les verriers trouvegraverent dans les images des manuscrits une source abondante de sujets ils ne se firent pas faute dy chercher lindication des scegravenes quils voulaient reproduire M Macircle la montreacute dune faccedilon tout agrave fait convaincante En lisant Ies pages de son livre ou bien souvent il avait agrave deacuteplorer la disparition de preacutecieux monuments nous avons penseacute aux lignes eacutemouvantes quil eacutecrivait apregraves lincendie de la catheacutedrale de Reims en septembre 1914

laquo Quand la France apprit que la catheacutedrale de Reims eacutetait en flammes disait-il tous les cœurs se serregraverent le monde entier seacutemut de ce crime on sentit quune eacutetoile avait pacircli que la beauteacute avait diminueacute sur la terre raquo

A cocircteacute des monuments de notre pays mutileacutes par le temps lignorance et la haine il en est beaucoup dautres qui subsistent et quon neacuteglige trop souvent de contempler Le livre de M Macircle contribuera agrave les taire mieux connaicirctre et agrave les faire aimer car il a mis non seulement son eacuterudition profonde mais aussi son cœur au service de cette œuvre qui est le reacutesultat de trente anneacutees defforts

Paul DESCHAMPS

Voici agrave preacutesent un exposeacute sur la repreacutesentation des Saints dans lart du Moyen Acircge Il naura pas eacutechappeacute agrave leacutetudiant que les alchimistes ont tregraves souvent fait appel aux saints dans leurs alleacutegories le preacutesent traiteacute dEsprit Gobineau de Montluisant eacutetant ici des plus reacuteveacutelateurs Il paraissait donc inteacuteressant de faire le point sur la repreacutesentation de ces saints vers le XII

e et le XIII

e siegravecle Cest

directement en compagnie dEmile Macircle que nous effectuerons ce trajet

LES PREMIEgraveRES REPREacuteSENTATIONS DES SAINTS DANS LART DU MOYEN AGE

En France les images des saints commencent agrave apparaicirctre dans lart monumental du XIIe siegravecle Elles

sont rares encore et ce nest quavec une certaine reacuteserve quelles sintroduisent dans leacuteglise elles nen sont que plus curieuses et il y a un vif inteacuterecirct agrave surprendre agrave ses origines cette glorification des saints par lart Au XII

e siegravecle les saints se montrent rarement dans les portails qui sont laisseacutes au

Christ et aux apocirctres mais ils sont souvent ceacuteleacutebreacutes ailleurs On les voit repreacutesenteacutes aux chapiteaux de leacuteglise et du cloicirctre on les voit peints aux murs du sanctuaire Les orfegravevres les eacutemailleurs racontaient leur histoire sur des chacircsses ou ciselaient leurs bustes pour les autels Quelques verriegraveres deacutejagrave leur eacutetaient consacreacutees Mais de tant doeuvres il ne reste aujourdhui que des deacutebris les cloicirctres et leurs chapiteaux historieacutes ont eacuteteacute deacutetruits les fresques effaceacutees les Vitraux briseacutes les chacircsses fondues Nos pertes ont eacuteteacute immenses car lart du XII

e siegravecle a eacuteteacute beaucoup plus eacuteprouveacute par le

temps et les reacutevolutions que lart du XIIIe et cest au milieu de ces ruines quil faut aller chercher

quelques souvenirs du passeacute Pourtant quand on parcourt la France en interrogeant les pierres on

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retrouve encore ccedila et lagrave avec un singulier plaisir quelques-uns des chapitres de notre vieille histoire religieuse Dans plusieurs de nos provinces lart a conserveacute le souvenir des saints qui les illustregraverent premiers apocirctres de la foi martyrs eacutevecircques solitaires de la montagne ou de la forecirct Car ce ne sont pas les saints connus de la chreacutetienteacute tout entiegravere que repreacutesentent le plus volontiers nos artistes du XII

e siegravecle mais les saints provinciaux les saints locaux de lagrave linteacuterecirct de ces images qui ont pour

nous le charme dune flore indigegravene Cette histoire dailleurs nest bien souvent quune leacutegende Il y eut agrave diverses eacutepoques mais surtout au XI

e siegravecle un grand travail de creacuteation poeacutetique qui donna agrave

la vie de plusieurs de nos saints linteacuterecirct dun roman On fit aborder en France plusieurs personnages illustres de lEacutevangile auxquels on precircta des aventures nouvelles On multiplia les miracles Il se creacutea une sorte deacutepopeacutee chreacutetienne comparable aux Chansons de gestes qui naissaient alors Le geacutenie de cet acircge heacuteroiumlque et avide de merveilles sexprima agrave la fois par la leacutegende latine et par le poegraveme franccedilais Le saint et le heacuteros ces deux exemplaires supeacuterieurs de lhumaniteacute furent ceacuteleacutebreacutes avec la mecircme ferveur Si donc ces reacutecits ne nous apprennent rien sur les saints quils veulent glorifier ils nous apprennent beaucoup sur le moyen acircge lui-mecircme Il nous apparaicirct lagrave avec son profond ideacutealisme son asceacutetisme son deacutedain du reacuteel son ineacutebranlable conviction que la foi est la plus grande force de ce monde Ces leacutegendes aussi poeacutetiques parfois que les inventions de leacutepopeacutee eurent de bien autres conseacutequences elles creacuteegraverent des pegravelerinages elles firent surgir des eacuteglises elles les peuplegraverent dœuvres dart elles mirent en mouvement des millions dhommes Elles furent pour une foule dacircmes une consolation et une espeacuterance elles leur laissegraverent entrevoir degraves ce monde le regravegne de Dieu Commenccedilons par le Midi languedocien le pays de nos plus anciens sculpteurs ce voyage en France agrave la recherche des saints Toulouse avait conserveacute un profond souvenir de son premier apocirctre

FIGURE XLII (porte Miegravegeville - eacuteglise saint Sernin Toulouse)

[site consulteacute httppmaudefreefrSerninpresentationhtm - tympan sculpteacute occupeacute par un thegraveme unique celui

de lAscension Cette œuvre a justement eacuteteacute placeacutee au rang des chefs dœuvre de la sculpture romane Au centre

le Christ debout les mains leveacutees la tecircte tourneacutee vers le ciel est deacuterobeacute agrave la vue de ses disciples par les nueacutees deux anges laident agrave seacutelever tandis que quatre autres lacclament Sur le linteau les douze apocirctres gardent leurs

visages tourneacutes vers le ciel aux extreacutemiteacutes deux anges leur rappellent que lAscension est aussi la promesse du

Retour et du Royaume eacuteternel]

de ce Saturninus qui avait refuseacute lencens aux dieux de Rome un taureau furieux lavait traicircneacute ensanglanteacute sur les marches du Capitule Enseveli hors des murs saint Saturnin ou comme disait le peuple saint Sernin avait fait naicirctre une ville nouvelle autour de son tombeau La colossale eacuteglise Saint-Sernin la plus grande des eacuteglises romanes est le monument du heacuteros Mais on est surpris aujourdhui quand on visite leacuteglise de ny rencontrer aucune œuvre dart ancienne qui rappelle son souvenir Il nen eacutetait pas ainsi autrefois le pegravelerin qui arrivait devant le portail occidental eacutetait

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accueilli par un bas-relief du XIIe siegravecle repreacutesentant le martyr debout avec le taureau sous ses pieds

Mais deacutejagrave la leacutegende avait deacuteformeacute lhistoire Aux Actes de saint Sernin si sobres et dun caractegravere si antique des eacutepisodes nouveaux eacutetaient venus sajouter On racontait quil avait baptiseacute Austris la fille dAntoninus gouverneur de Toulouse qui dans la leacutegende nouvelle est devenu un roi Austris eacutetait leacutepreuse saint Sernin la gueacuterit en la plongeant dans la piscine baptismale On voyait donc au portail de leacuteglise un groupe repreacutesentant la jeune princesse baptiseacutee par saint Sernin Un autre bas-relief montrait le perseacutecuteur de lapocirctre le roi Antoninus assis sur son trocircne Ces œuvres quon peut imaginer fines et nerveuses comme toute la sculpture toulousaine du XII

e siegravecle ont disparu sans

laisser de trace et ne nous sont connues que par une ancienne description A lautre bout de la ville la catheacutedrale Saint-Eacutetienne perpeacutetuait de son cocircteacute le souvenir du premier eacutevecircque de Toulouse Dans le cloicirctre des chanoines un des plus anciens sanctuaires de lart franccedilais miseacuterablement deacutetruit en 1813 des statues du XII

e siegravecle sadossaient aux piliers ceacutetaient celles de saint Pierre de saint

Sernin de saint Exupegravere et dun diacre Saint Sernin eacutetait placeacute pregraves de saint Pierre parce que suivant la tradition qui avait preacutevalu alors lapocirctre de Toulouse avait reccedilu sa mission du premier des papes Ecce Saturninus quem miserat ordo latinus disait linscription laquo Voici saint Sernin envoyeacute par leacuteglise latine raquo Toulouse se donnait donc comme la fille spirituelle de Rome Saint Sernin eacutetait le heacuteros de la foi saint Exupegravere un de ses premiers successeurs eacutetait le heacuteros de la chariteacute En un temps de disette il avait vendu tous les ornements de leacuteglise et mecircme le calice et la pategravene pour nourrir les pauvres Lartiste de Toulouse lavait repreacutesenteacute un calice agrave la main ceacutetait le calice de verre qui avait remplaceacute le calice dargent pregraves de lui un diacre portait une pategravene dosier tresseacute sainte pauvreteacute des temps antiques qui touchait les cœurs Ainsi lart naissant avait voulu eacuteterniser la meacutemoire des deux plus grands saints de Toulouse on les y cherche vainement aujourdhui Mais ce quon ne trouve plus agrave Toulouse on le voit ailleurs car la gloire de saint Sernin rayonnait au loin Entre Carcassonne et lancien eacutevecirccheacute dAlet seacutelegraveve cacheacutee au fond dune valleacutee lancienne abbaye de Saint-Hilaire Ici un preacutecieux monument du passeacute nous a eacuteteacute fidegravelement conserveacute Un sarcophage du XII

e siegravecle sculpteacute sur toutes ses faces raconte le martyre de saint Sernin On le voit saisi par les

paiumlens au moment ougrave il annonce lEacutevangile Puis il est attacheacute au taureau quun bourreau excite de laiguillon des becirctes au visage presque humain grimacent autour du saint et semblent incarner la feacuterociteacute du vieux monde pendant que deux femmes contemplent le martyr avec attendrissement Ce sont les deux vierges saintes laquo les saintes puelles raquo qui vont lensevelir celles-lagrave mecircmes quon honorait sur la route de Carcassonne agrave Toulouse au Mas-Saintes-Puelles Bien loin de Saint-Hilaire de lautre cocircteacute de Toulouse le cloicirctre de Moissac ceacutelegravebre lui aussi la gloire de saint Sernin un chapiteau lui est consacreacute Le juge assis sur son siegravege vient de condamner

FIGURE XLIII (sarcophage ancienne abbaye de saint Hilaire)

[de cette scegravene lhermeacutetiste retiendra quelle sapparente agrave une autre ougrave la leacutegende affirme que Zeacutethos et

Amphion tuegraverent Lycos fils de Cadmos et attachegraverent son eacutepouse Dirceacute par les cheveux aux cornes dun

taureau sauvage qui la traicircna sur les rochers jusquagrave ce que mort sensuive On ajoute quAmphion fut tueacute par les

traits justiciers dApollon et dArteacutemis pour avoir insulteacute leur megravere Leacuteto cf reacutebus de saint Greacutegoire-sur-Viegravevre]

lapocirctre et deacutejagrave il a eacuteteacute attacheacute aux cornes du taureau Le Capitole est repreacutesenteacute sous laspect dune haute tour agrave eacutetages elle fait penser agrave la forteresse qui dominait Toulouse au moyen acircge agrave ce chacircteau narbonnais quon attribuait aux Romains Sur une autre face du chapiteau la main de Dieu sort du ciel pour recueillir lacircme du martyr Il subsiste donc encore on le voit quelques-unes des œuvres que lart du Midi avait consacreacutees agrave saint Sernin Si nous descendons la Garonne vers

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Bordeaux nous peacuteneacutetrons dans une province ougrave reacutegnaient dautres saints LAgenais eacutetait le domaine de sainte Foy de saint Caprais de saint Vincent martyrs de la grande perseacutecution de Diocleacutetien La jeune sainte Foy ameneacutee devant le gouverneur romain refusa de sacrifier cest pourquoi elle fut eacutetendue sur un gril de fer rouge puis deacutecapiteacutee Le courage de cette enfant de douze ans inspira des remords au pasteur du troupeau agrave saint Caprais qui seacutetait reacutefugieacute dans une grotte de la montagne Il assistait de loin au combat de la sainte et voyait dit la leacutegende des anges tenant une couronne au-dessus de sa tecircte Il se preacutesenta donc reacutesolument au gouverneur se proclama chreacutetien et livra sa tecircte au bourreau Quant agrave saint Vincent dont une leacutegende tardive fait le successeur de saint Caprais il voulut mettre fin au culte de Belenus et il arrecircta la roue enflammeacutee symbole du soleil que lon faisait descendre chaque anneacutee sur la pente de la colline Traicircneacute devant le magistrat romain il fut battu de verges et deacutecapiteacute On sattendrait agrave rencontrer agrave Agen au lieu mecircme du martyre de sainte Foy quelque belle œuvre de la sculpture romane consacreacutee agrave la jeune sainte mais au XIe siegravecle ses reliques convoiteacutees depuis longtemps comme un treacutesor sans prix furent deacuterobeacutees par un moine de Conques et emporteacutees dans les montagnes du Rouergue Cest Conques qui va

devenir deacutesormais le centre du culte de sainte Foy et nous allons ly retrouver tout agrave lheure Agen ne nous montre plus aujourdhui quun chapiteau consacre agrave saint Caprais dans leacuteglise qui lui est deacutedieacutee Le saint est deacutecapiteacute devant le gouverneur romain Dacien une inscription deacutesigne chaque personnage par son nom Dacianus miles sanctas Caprasius et un vers latin indique le rocircle de chacun Praecipit occidit moritur cœlestia scandit Dacien est lagrave pour ordonner le soldat pour tuer saint Caprais pour mourir Lart noublia pas non plus saint Vincent Ses reliques furent longtemps conserveacutees dans la ville gallo-romaine de Pompejac qui devint le Mas dAgenais un magnifique sarcophage du V

e siegravecle quon y voit encore passe pour avoir eacuteteacute son tombeau Or dans leacuteglise du

Mas un chapiteau roman repreacutesente un martyr agrave genoux deacutecapiteacute par la main du bourreau Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en ce lieu elle ne saurait repreacutesenter autre chose que la mort de saint Vincent Ses reliques il est vrai neacutetaient plus alors au Mas elles avaient eacuteteacute transporteacutees agrave Conques agrave leacutepoque des incursions normandes toutefois le souvenir de saint Vincent eacutetait demeureacute vivant au Mas dAgenais et son culte continuait agrave y ecirctre ceacuteleacutebreacuteAu temps des rois wisigoths Euric et Alaric la Gascogne eut une nouvelle geacuteneacuteration de martyrs Les Wisigoths eacutetaient ariens et perseacutecutaient les catholiques quils obligeaient agrave se convertir agrave leur symbole sous peine de mort Les vieux livres liturgiques et les leacutegendes populaires perpeacutetuegraverent le souvenir de quelques-uns de ces martyrs Un des plus fameux fut saint Maurin jeune apocirctre qui loin de dissimuler sa foi la proclamait sur la place publique de Lectoure Il fut deacutecapiteacute sur lordre du roi Alaric et la tradition rapportait quon lavait vu porter sa tecircte jusquagrave la fontaine Militane Les artistes nauraient peut-ecirctre jamais illustreacute sa meacutemoire sil ne seacutetait fondeacute aux confins de lAgenais et du Quercy une abbaye sous son nom Leacuteglise de Saint-Maurin (Lot-et-Garonne) nest plus aujourdhui quune ruine mais deux de ses colonnes sont encore couronneacutees de deux beaux chapiteaux romans ougrave lon retrouve le style de Toulouse et de Moissac Sur lun deux un martyr porte sa tecircte dans ses mains une chreacutetienne inclineacutee devant lui sapprecircte agrave recevoir sa tecircte sur un voile Le vocable de leacuteglise deacutedieacutee agrave Saint-Maurin ne permet pas dheacutesiter sur le sens de la scegravene Voilagrave agrave peu pregraves tout ce que nous offre cette vaste reacutegion du Midi Elle a ducirc ecirctre autrefois incomparablement plus riche en images de saints la grande eacutecole toulousaine yavait sans aucun doute prodigueacute ses chefs-dœuvre mais le temps ne les a pas respecteacutes Aucun pays na eacuteteacute au XII

e siegravecle plus feacutecond que la belle plaine qui se deacuteroule

dans la lumiegravere jusquaux Pyreacuteneacutees sorte de Lombardie de la France mais aucun pays na eacuteteacute plus souvent deacutevasteacute La guerre des Albigeois la guerre de Cent ans les guerres de religion y ont accumuleacute tant de ruines que lon admire quil y reste encore quelques teacutemoignages de ce qua eacuteteacute le geacutenie du Midi II faut aller jusquaux Pyreacuteneacutees pour retrouver les saints Ces poeacutetiques montagnes eurent leur leacutegende doreacutee elles eurent leurs martyrs leurs vieux eacutevecircques leurs ermites Plusieurs sans doute furent ceacuteleacutebreacutes par lart mais bien peu de ces œuvres subsistent aujourdhui A lentreacutee des valleacutees pyreacuteneacuteennes agrave Foix une abbaye jadis ceacutelegravebre portait le nom dun martyr de la perseacutecution arienne saint Volusien Son eacuteglise a eacuteteacute agrave presque entiegraverement refaite et son cloicirctre roman complegravetement deacutetruit Un hasard pourtant nous a rendu un de ses chapiteaux historieacutes Ce chapiteau est fort inteacuteressant car il nous raconte justement un eacutepisode de lhistoire de saint Volusien Volusien eacutevecircque deTours eacutetait le sujet dAlaric roi des Wisigoths dont le vaste royaume seacutetendait jusquagrave la Loire Soupccedilonneacute de favoriser les desseins de Clovis qui preacuteparait une expeacutedition contre les ariens du Midi il fut sur lordre dAlaric arracheacute agrave son siegravege de Tours et conduit agrave Toulouse A Toulouse il fut traiteacute comme un malfaiteur on lui lia les mains et on lemmena vers lEspagne Mais en arrivant au pied des montagnes les soldats qui le conduisaient lui ordonnegraverent de sagenouiller dans un champ et lui tranchegraverent la tecircte Le chapiteau nous montre Volusien les mains lieacutees et la corde au cou entraicircneacute par ses bourreaux On ne voit pas sa mort ni les frecircnes qui poussegraverent

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miraculeusement sur le lieu de son supplice mais on voit la vengeance du ciel Lautre face du chapiteau en effet repreacutesente larmeacutee victorieuse de Clovis assieacutegeant Toulouse plus loin la ville est prise et les vainqueurs en deacutemolissent les murs Ce preacutecieux monument est conserveacute au Museacutee de Foix et il meacuterite de lecirctre car Foix est une creacuteation des reliques de saint Volusien la ville est neacutee autour du monastegravere qui gardait le tombeau du martyr En entrant dans la montagne on voit seacutelever au-dessus

de la valleacutee de Luchon une eacuteglise romane deacutedieacutee agrave saint Aventin Les chapiteaux du portail retracent son histoire Saint Aventin est un ermite du VIII

e siegravecle qui vivait dans la solitude sans autre socieacuteteacute

que celle des ours de la forecirct Parfois il quittait sa cabane pour enseigner leacutevangile aux montagnards toujours attacheacutes agrave leurs anciens dieux tous lentouraient de respect Mais les Arabes qui parcouraient alors le Midi entendirent parler de ce propagateur de la foi chreacutetienne Ils se mirent agrave sa recherche et quand ils eurent deacutecouvert sa retraite ils semparegraverent de lui et lui tranchegraverent la tecircte Les chapiteaux racontent la naissance la vie et la mort du saint ermite comme beaucoup dautres saints il est repreacutesenteacute portant sa tecircte dans ses mains A labside un bas-relief nous montre le taureau qui retrouva le tombeau de saint Aventin dont on avait perdu le souvenir Puissance de lart chreacutetien Une eacuteglise accrocheacutee au rocher perpeacutetue depuis pregraves de huit cents ans la meacutemoire dun pauvre ermite inconnu Cest dans une reacutegion voisine de Luchon que seacutelegraveve au sommet dune acropole la catheacutedrale de Saint-Bertrand-de-Comminges Elle est du XIV

e siegravecle mais le portail et

le rude clocher qui le domine sont du XIIIe Un beau tympan de leacutecole toulousaine repreacutesente

lAdoration des Mages agrave lextreacutemiteacute de ce tympan derriegravere la Vierge un eacutevecircque fait face au spectateur il legraveve la main droite pour beacutenir et tient la crosse de la main gauche Quel est ce mysteacuterieux personnage introduit par lartiste dans une scegravene sacreacutee

FIGURE XLIV (eacuteglise saint Bertrand-de-Comminges tympan)

Les archeacuteologues ont nommeacute agrave tout hasard saint Sernin pourtant en ce lieu un autre nom simpose au souvenir Cest agrave la fin du XI

e siegravecle en effet que le petit-fils des comtes de Toulouse leacutevecircque

saint Bertrand releva de ses ruines la ville antique de Lugdunum Convenarum devenue une solitude il rappela les habitants rebacirctit leacuteglise et fit fleurir le deacutesert Il fut le second fondateur de la citeacute qui prit son nom On ne saurait douter que ce grand eacutevecircque mdash auquel par surcroicirct on attribuait le don des miracles mdash nait eacuteteacute repreacutesenteacute au portail de sa catheacutedrale Saint Bertrand mourut en 1123 Son image dut ecirctre sculpteacutee peu danneacutees apregraves sa mort dans un temps ougrave son souvenir eacutetait encore vivant dans toutes les meacutemoires Elle est certainement anteacuterieure agrave 1179 date de la canonisation du saint car il est repreacutesenteacute sans nimbe Cette effigie dun grand homme qui neacutetait pas encore un saint est fort inteacuteressante il a fallu un vif mouvement denthousiasme pour quon ait oseacute repreacutesenter un contemporain un homme que tous avaient connu agrave cocircteacute de la Vierge et des rois Mages Ces hautes Pyreacuteneacutees neacutetaient pas alors une barriegravere entre la France et lEspagne Les saints franccedilais eacutetaient veacuteneacutereacutes dans lEspagne du nord les saints espagnols dans la France du midi Il est curieux de retrouver ccedila et lagrave des traces de ce culte que les eacuteglises meacuteridionales avaient voueacute aux saints dau delagrave des monts Un chapiteau du cloicirctre de Moissac repreacutesente le martyre des trois saints de Tarragone Fructueux Augure et Euloge Ces illustres chreacutetiens du III

e siegravecle ceacuteleacutebreacutes par saint

Augustin et par Prudence sont repreacutesenteacutes avec le costume du XIIe Leacutevecircque Fructueux porte la

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crosse et la mitre les diacres Auguste et Euloge ont la dalmatique et le manipule Le proconsul Aemilianus gouverneur de la Tarraconaise est assis sur son trocircne et il a pregraves de lui comme un baron feacuteodal un joueur de rote Cest le moment ougrave seacutechangent entre AEmilianus et Fructueux les paroles ceacutelegravebres laquo Je suis eacutevecircque du Christ dit Fructueux mdash Dis que tu las eacuteteacute raquo reacutepond AEmiIianus et il lenvoie au supplice avec ses deux compagnons Une autre face du chapiteau montre les trois saints en priegravere au milieu de leur bucirccher et plus loin les anges emportant leur acircme au ciel dans une gloire La preacutesence dans labbaye de Moissac de quelque insigne relique des martyrs de Tarragone explique sans doute pourquoi les moines voulurent avoir sans cesse sous les yeux leur histoire Des reliques retrouveacutees il y a quelques anneacutees dans lautel de leacuteglise de Valcabregravere (Haute-Garonne) ont fait deviner les noms de trois des statues qui en ornent le portail elles repreacutesentent le diacre saint Eacutetienne et deux saints espagnols saint Just et saint Pasteur Ceacutetaient deux eacutecoliers de Complutum qui sappela plus tard Alcala de Henares au temps de la perseacutecution de Diocleacutetien ils comparurent devant le preacutefet Dacien qui les fit battre de verges et mettre agrave mort Prudence a ceacuteleacutebreacute leur courage Lartiste connaissait fort bien leur histoire car il sest efforceacute de leur donner un air de

jeunesse au-dessus de leur tecircte des chapiteaux racontent leur martyre un des saints est attacheacute a un arbre pour ecirctre flagelleacute lautre est deacutecapiteacute Dans le cloicirctre de marbre dEIne [Pyreacuteneacutees-Orientales] non loin de la grande route romaine qui -conduisait en Espagne on ne seacutetonne pas de rencontrer une sainte espagnole un des chapiteaux repreacutesente le martyre de sainte Eulalie patronne de la catheacutedrale dElne La jeune sainte de Meacuterida eacutetait deacutejagrave ceacutelegravebre en France puisque le plus ancien de nos poegravemes en langue romane lui est consacreacute Voilagrave agrave peu pregraves tout ce qui subsiste dans le Sud-Ouest des œuvres que le XII

e siegravecle avait consacreacutees aux saints de la France meacuteridionale et de

lEspagne

II

En peacuteneacutetrant dans lAquitaine nous entrons dans le royaume de saint Martial Saint Martial fut veacuteneacutereacute de bonne heure comme lapocirctre du Limousin mais jusquau XI

e siegravecle on sut peu de chose de son

histoire Cest alors que fut eacutecrite sa merveilleuse leacutegende On lattribua agrave saint Aureacutelien le premier de ses successeurs cet Aureacutelien dont la chapelle seacutelegraveve aujourdhui au milieu de la rue des Bouchers agrave Limoges Ce reacutecit sembellit encore et il se forma autour de saint Martial tout un cycle de poeacutetiques leacutegendes Il ne fut plus un simple missionnaire il devint un contemporain un disciple du Christ tout enfant il avait entendu sa parole Cest de lui que le Christ avait dit laquo Quiconque ne ressemble pas agrave cet enfant nentrera pas dans le royaume des cieux raquo II avait assisteacute agrave la multiplication des pains au lavement des pieds agrave la Cegravene Plus tard il avait accompagneacute saint Pierre agrave Rome Saint Pierre lui donna son bacircton et lenvoya eacutevangeacuteliser la Gaule avec ce fameux bacircton qui fut longtemps conserveacute dans leacuteglise Saint-Seurin de Bordeaux saint Martial ressuscitait les morts Il entra en conqueacuterant dans lAquitaine partout ougrave il passait une eacuteglise naissait Il fut le fondateur non seulement de leacuteglise de Limoges mais de celles de Bourges de Poitiers de Saintes de Bordeaux de Cahors de Tulle de Rodez dAurillac de Mende du Puy Les premiers eacutevecircques de ces villes quon en avait cru les apocirctres neacutetaient que ses disciples De poeacutetiques personnages accompagnent saint Martial Il eacutetait venu en Gaule - disait-on - avec sainte Veacuteronique qui avait essuyeacute la face du Sauveur sur le chemin du Calvaire et avec saint Amateur que lon confondra plus tard avec le Zacheacutee de lEacutevangile ce Zacheacutee agrave qui le Christ avait parleacute Veacuteronique et Amateur qui avaient vu qui avaient entendu le Verbe ne purent se reacutesigner agrave vivre dans la socieacuteteacute des hommes ils senfermegraverent tous les deux dans la solitude Saint Amateur se retira dans la profonde valleacutee ougrave seacuteleva plus tard le sanctuaire de Rocamadour quant agrave Veacuteronique elle bacirctit son ermitage dans le deacutesert de Soulac au bord de lOceacutean La leacutegende nous montre encore aupregraves de saint Martial une jeune vierge sainte Valeacuterie Elle appartenait agrave une des plus illustres familles du pays des Leacutemovices et eacutetait fianceacutee au proconsul romain mais elle avait entendu saint Martial et reccedilu le baptecircme elle aspirait agrave la perfection Elle refusa deacutepouser le proconsul qui dans sa colegravere la fit mettre agrave mort Un centurion lui trancha la tecircte la sainte la prit dans ses mains et alla la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacuteleacutebrait la messe dans leacuteglise de Limoges Les visiteurs du palais des papes dAvignon connaissent les deacutelicieuses fresques de Matteo de Viterbe ougrave lon voit se deacuterouler toute cette histoire de saint Martial sous un ciel dazur Il ne faut pas attendre du XII

e siegravecle des œuvres dun charme aussi peacuteneacutetrant Dailleurs saint Martial qui a

tenu tant de place dans limagination des hommes du XIIe siegravecle na laisseacute que peu de traces dans

lart de ce temps Beaucoup doeuvres sans aucun doute ont disparu La grande eacuteglise abbatiale de Limoges ougrave seacutelevait son tombeau cette fameuse eacuteglise Saint-Martial qui attirait tant de pegravelerins fut deacutetruite avec toutes ses œuvres dart au temps de la Reacutevolution perte irreacuteparable pourliconographie de saint Martial La fresque y racontait-elle sa leacutegende On peut le croire car dans leacuteglise qui preacuteceacuteda celle-lagrave on pouvait voir au teacutemoignage dAdheacutemar de Chabannes des

peintures murales qui retraccedilaient sa vie Degraves la fin du Xe siegravecle un moine orfegravevre de labbaye avait

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fait pour lautel une statue dor de saint Martial qui le repreacutesentait assis beacutenissant de la main droite et portant le livre de la main gauche Il est probable que dans beaucoup deacuteglises qui se glorifiaient devoir eacuteteacute fondeacutees par saint Martial on voyait quelque œuvre dart rappelant son apostolat A Toulouse la leacutegende allait jusquagrave associer saint Martial agrave saint Sernin dans la preacutedication de lEacutevangile cest pourquoi au portail de leacuteglise Saint-Sernin saint Martial eacutetait repreacutesenteacute sa statue reacutepondait agrave celle de saint Sernin et pregraves delle on lisait cette inscription Hic socius socio subvenit auxilio Ainsi au teacutemoignage mecircme des clercs de Toulouse gardiens du tombeau de saint Sernin leur saint patron avait eacuteteacute secondeacute dans son œuvre par le grand saint Martial disciple du Seigneur A lautre extreacutemiteacute de lAquitaine aux confins du Berryon voit encore dans leacuteglise romane de Meacuteobecq (Indre) une peinture murale du XII

e siegravecle qui repreacutesente saint Martial Les moines de Meacuteobecq en

effet racontaient que saint Martial dans ses voyages eacutevangeacuteliques eacutetait venu jusque-lagrave Il subsiste probablement plus dune œuvre du XII

e siegravecle ougrave nous ne savons plus aujourdhui reconnaicirctre saint

Martial A la faccedilade de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers on voit sous des arcatures agrave cocircteacute des douze apocirctres deux eacutevecircques il est probable que lun deux est saint Martial fondateur suivant la leacutegende de leacuteglise de Poitiers et presque eacutegal en digniteacute aux apocirctres Quelques œuvres de la fin du XIIe siegravecle nous offrent les plus anciennes repreacutesentations de la leacutegende de saint Martial ce sont des chacircsses eacutemailleacutees provenant des ateliers de Limoges Sur lune delles [Collection Marlin-Leroy t I PI XV Le fond vermiculeacute les costumes le style indiquent le XIIe siegravecle] saint Martial ressemble agrave

FIGURE XLV (bible de saint Martial)

un apocirctre et comme les apocirctres il a les pieds nus mdash privilegravege exceptionnel et signe de sa haute mission Il porte agrave la main le fameux bacircton il lui suffit de le preacutesenter agrave un posseacutedeacute aux cheveux heacuterisseacutes pour quaussitocirct le deacutemon seacutechappe par sa bouche Ce miracle frappa dadmiration sainte Valeacuterie et la disposa agrave recevoir le baptecircme Sur lautre face de la chacircsse en effet elle sagenouille devant saint Martial qui la beacutenit mais deacutejagrave le proconsul ordonne au bourreau de la mettre agrave mort Une autre chacircsse du mecircme temps repreacutesente le centurion conduisant sainte Valeacuterie au supplice [Ancienne colleclion Soltykoff voir Rupin lŒuvre de Limoges p 403] La jeune sainte porte encore la robe collante aux manches deacutemesureacutees des plus anciennes statues de Chartres Le bourreau lui tranche la tecircte mais elle la prend dans ses mains et va la preacutesenter agrave saint Martial qui ceacutelegravebre la messe un ange vole au-dessus delle et par un charmant artifice la tecircte de lange tient la place de la tecircte de la sainte Sainte Valeacuterie est ici lheacuteroiumlne queceacutelegravebre lartiste et cest sans aucun doute une de ses reliques que contenait la chacircsse Sainte Valeacuterie en effet fut presque aussi populaire que saint Martial lui-mecircme Quand les comtes de Poitiers venaient se faire sacrer ducs dAquitaine agrave Limoges leacutevecircque leur preacutesentait la couronne et leacutepeacutee puis le doyen du chapitre leur mettait au doigt lanneau de sainte Valeacuterie ceacutetaient les fianccedilailles du duc et de leacuteglise dAquitaine dont Valeacuterie eacutetait le plus pur symbole Cest pourquoi les œuvres dart qui la repreacutesentent - trop rares aujourdhui - nous touchent comme une poeacutetique image du passeacute Non loin de Bellac lantique eacuteglise Saint-Pierre-de-la-Treacutemouille conserve quelques restes dune fresque du XII

e siegravecle deux saintes apparaissent encore dont on peut

lire les noms ce sont sainte Valeacuterie et sainte Radegonde [Voir un dessin de la fresque dans le Bullet de la Socieacuteteacute des antiq de lOuest 1912 p 633] La leacutegende doreacutee du Poitou sunit lagrave agrave celle du Limousin Le monastegravere de Chambon-sur-Voueyze (Creuse) agrave lextreacutemiteacute de la Marche fut un des foyers du culte de sainte Valeacuterie Il posseacutedait une partie de ses reliques mais le charmant buste dargent qui les contient aujourdhui ne remonte quau XV

e siegravecle il repreacutesente la jeune martyre avec

une couronne et un riche collier Dans la vieille eacuteglise romane de Chambon aucune des œuvres qui furent consacreacutees au XII

e siegravecle agrave sainte Valeacuterie ne sest conserveacutee mais ce quon ne voit plus agrave

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Chambon on le voit un peu plus loin dans leacuteglise abbatiale dEacutebreuil en Bourbonnais Dans la tribune une peinture murale du XII

e siegravecle repreacutesente agrave cocircteacute du martyre de saint Pancrace dont leacuteglise avait

sans doute quelque relique le martyre de sainte Valeacuterie Cest ici la limite ougrave sarrecirctait la gloire de la sainte Les autres compagnons de saint Martial saint Amateur et sainte Veacuteronique ceacutelegravebres degraves le XIIe siegravecle ont inspireacute des oeuvres dart que le temps a presque complegravetement deacutetruites Rocamadour trop souvent saccageacute ne nous montre plus le fondateur du sanctuaire saint Amateur que le peuple appe- lait saint Amadour mais on y voit encore la Vierge de bois recouverte jadis de plaques dargent quon disait faite de sa main [ Elle ne remonte pas plus haut que le XIIIe siegravecle Revue de lart chreacutetien 1892 p 7 et suiv] Un monastegravere seacuteleva agrave Soulac pregraves du tombeau de sainte Veacuteronique Leacuteglise qui contenait les reliques de la sainte sappelait Notre-Dame-de-la-Fin-des-Terres on eacutetait lagrave en effet agrave une des extreacutemiteacutes du monde au bord de linconnu Un vaste deacutesert de sables et la rumeur lointaine du grand Oceacutean alors sans limites donnaient au lieu une religieuse beauteacute La dune pousseacutee par le vent envahit peu agrave peu le monastegravere et finit par le recouvrir En 1860 des fouilles

firent reparaicirctre leacuteglise romane qui sortit de son linceul de sable comme un temple de la Haute-Egypte On remarqua alors deux chapiteaux qui deacutecoraient lentreacutee de la chapelle deacutedieacutee jadis agrave sainte Veacuteronique lun repreacutesente un tombeau lautre des pegravelerins debout des deux cocircteacutes dun autel sur lequel repose une chacircsse Ce sont suivant toutes les vraisemblances le tombeau et la chacircsse de sainte Veacuteronique quiattiraient tant de pegravelerins agrave Soulac Cest ainsi que du Bourbonnais agrave lOceacutean du Berry agrave Toulouse a rayonneacute la leacutegende de saint Martial et de ses compagnons Le centre de lancienne Aquitaine avec ses valleacutees profondes et ses riviegraveres rapides a toutes les beauteacutes dune nature primitive mais cest un pays de granit ougrave la pierre reacutesiste au travail du ciseau Aussi nest-ce pas par les sculpteurs que les saints y furent ceacuteleacutebreacutes mais par les orfegravevres Degraves la fin du X

e siegravecle

plusieurs eacuteglises dAquitaine avaient des images dor dargent ou de cuivre de leurs saints patrons images qui eacutetaient en mecircme temps des reliquaires Eacutecoutons leacutecolacirctre dAngers Bernard qui parcourut le Plateau Central dans les premiegraveres anneacutees du XIe siegravecle

laquo Jusquici dit-il il me semblait que les saints ne devaient recevoir dautres honneurs que ceux du dessin ou de la peinture il me semblait absurde et impie de leur eacutelever des statues Mais tel nest pas le sentiment des habitants de lAuvergne du Rouergue de la reacutegion toulousaine et des pays voisins Chez eux cest une antique habitude que chaque eacuteglise possegravede une statue de son patron Suivant les ressources de leacuteglise cette statue est dor dargent ou dun meacutetal moins preacutecieux on y enferme le chef ou quelque insigne relique du saint [Liber miracul sanctae Fidis publieacute par labbeacute Bouillet Lib I cap XIII] raquo

Ainsi lhomme du Nord en entrant dans le Midi deacutecouvrait une autre France Bernard nous a fait connaicirctre quelques-unes de ces statues Au synode de Rodez on en avait apporteacute plusieurs sur la prairie aux portes de la ville chacune delles sabritait sous une tente et elles formaient une assembleacutee plus imposante que celle des eacutevecircques Ceacutetait laquo la majesteacute dor raquo de saint Marins patron de labbaye de Vabres en Rouergue laquo la majesteacute dor raquo de saint Amand deuxiegraveme eacutevecircque de Rodez laquo la majesteacute dor raquo de sainte Foy de Conques et enfin pregraves de la chacircsse dor de saint Sernin laquo la majesteacute dor raquo de la Vierge En descendant vers le Midi Bernard avait deacutejagrave rencontreacute laquo la majesteacute raquo de saint Geacuteraud ce jeune chevalier devenu moine qui avait donneacute son nom agrave la grande abbaye dAurillac Mais il ne semble pas avoir vu laquo la majesteacute raquo de saint Martial dans labbaye de Limoges Il subsiste encore aujourdhui quelques-unes de ces eacutetranges statues La laquo majesteacuteraquo de sainte Foy est toujours agrave Conques comme au temps de leacutecolacirctre Bernard mais on ne reconnaicirct guegravere dans cette idole doreacutee la jeune martyre dAgen dont nous avons raconteacute lhistoire La sainte assise sur son trocircne eacutetincelle dor et de pierreries elle porte une couronne fermeacutee dune forme tregraves antique de longues boucles doreilles

pendent sur ses eacutepaules de chaque main elle tient deacutelicatement entre deux doigts deux petits tubes ougrave lon mettait des fleurs de beaux cameacutees antiques sont incrusteacutes ccedila et lagrave dans le meacutetal de sa robe Ne pouvant la faire belle lartiste lavait faite si riche quelle inspirait un religieux effroi mais il y avait autour delle une aureacuteole de miracles plus eacuteclatante encore que le rayonnement de lor Un fleacuteau deacutevastait-il les environs un diffeacuterend seacutelevait-il entre deux villes un baron disputait-il agrave labbaye un de ses domaines aussitocirct la statue de la sainte sortait du sanctuaire Elle eacutetait porteacutee par un cheval choisi dont le pas eacutetait tregraves doux Autour delle de jeunes clercs faisaient retentir des cymbales et reacutesonner des cors divoire Elle savanccedilait avec majesteacute comme jadis la Magna Mater au temps ougrave ces montagnes eacutetaient paiumlennes Partout ougrave elle passait elle reacutetablissait la concorde faisait reacutegner la paix les miracles eacuteclataient si nombreux quagrave peine les moines avaient-ils le temps de les eacutecrire La sainte se plaisait surtout agrave deacutelivrer les prisonniers au portail de Conques on la voit

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prosterneacutee devant la main de Dieu elle prie sans aucun doute pour les captifs car des fers sont suspendus en ex-voto derriegravere elle La statue de sainte Foy fut porteacutee bien au delagrave des limites du Rouergue on la vit en Auvergne et dans le pays albigeois On lui dressait tous les soirs une tente et sur la tente on eacutelevait un berceau de verdure Combien il est heureux que laquo la majesteacute raquo de sainte Foy se soit conserveacutee intacte agrave travers tant de siegravecles Comme ce bloc dor nous illumine le haut moyen acircge Comme il nous fait comprendre ce quil y avait de mysteacuterieux et de redoutable dans le pouvoir du saint La statue de sainte Foy est unique de richesse il subsiste dans ces reacutegions deux autres images de saints qui sont plus simples et un peu moins anciennes Lune se conserve dans leacuteglise du Monastier antique abbaye perdue dans les solitudes du Velay Cest une statue agrave mi-corps faite de plaques dargent releveacutee de cabochons elle repreacutesente un saint aux yeux saillants au nom farouche saint Chaffre Chaffre est la forme populaire de Theofredus Saint Chaffre est un martyr du temps de linvasion sarrasine Abbeacute du Monastier il donna agrave ses moines lordre de senfuir et resta seul en face des Arabes Battu de verges il fut laisseacute mourant dans son eacuteglise mais le lendemain se soutenant agrave peine il se preacutesenta au milieu dune fecircte devant les imans et commenccedila agrave leur prouver quils nadoraient pas le vrai Dieu ses bourreaux lachevegraverent Comme celle de sainte Foy la statue de saint Chaffre contenait des reliques qui la rendaient plus veacuteneacuterable

FIGURE XLVI (saint Chaffre)

La statue de saint Chaffre est peut-ecirctre du XIe siegravecle celle de saint Baudime deacutejagrave plus savante doit

ecirctre du XIIe Elle se conserve dans leacuteglise de Saint-Nectaire et perpeacutetue le souvenir dun des

premiers missionnaires de la foi en Auvergne Cest une statue agrave mi-corps comme celle de saint Chaffre elle nest pas en argent mais en cuivre repousseacute ciseleacute et doreacute La chevelure est faite de boucles parallegraveles comme celles dune tecircte grecque archaiumlque les yeux divoire agrave la prunelle de corne donnent agrave lapocirctre un regard seacutevegravere qui intimide Ces œuvres encore eacuteloigneacutees de la vie precirctent aux saints une majesteacute lointaine les entourent de mystegravere elles reacutepondent agrave merveille aux sentiments queacutevoquait alors la sainteteacute Ces statues reliquaires nombreuses jadis dans les provinces montagneuses du centre de la France semblent ecirctre lœuvre dartiste monastiques Il y avait agrave Conques un atelier dorfegravevrerie et cest probablement dans labbaye mecircme que la statue de sainte Foy a eacuteteacute faite au X

e siegravecle Mais vers le milieu du XII

e siegravecle les ateliers de Limoges

commencent agrave prendre la premiegravere place Cest Limoges qui va avoir la charge de ceacuteleacutebrer les saints de lAquitaine et bientocirct dune partie de la chreacutetienteacute alors commence agrave Limoges cette longue liturgie de plusieurs siegravecles en lhonneur des saints qui sexprime par le cuivre et leacutemail Les monuments de lorfegravevrerie limousine du XII

e siegravecle sont rares aujourdhui On voyait avant la Reacutevolution dans la

fameuse abbaye de Grandmont un des chefs-dœuvre de leacutecole une chacircsse eacutemailleacutee qui contenait les reliques de saint Eacutetienne de Muret le fondateur de lordre Toute la vie du saint y eacutetait raconteacutee Saint Eacutetienne neacute en Auvergne agrave Thiers appartenait au Limousin par ses vertus cest en effet dans la forecirct de Muret pregraves de Limoges quil avait veacutecu Il eacutetait naturel quil fucirct ceacuteleacutebreacute par les eacutemailleurs limousins Une plaque deacutemail du XII

e siegravecle aujourdhui au museacutee de Cluny est tregraves probablement un

deacutebris de la chacircsse de Grandmont Saint Eacutetienne de Muret qui avait fait un pegravelerinage agrave Bari voit le grand saint du lieu saint Nicolas lui apparaicirctre une inscription en franccedilais du sud de la Loire explique la scegravene La vie du saint se continuait raconteacutee dans tous ses deacutetails On devait voir comment saint Eacutetienne de Muret au moment ougrave il se consacra agrave la solitude mit un anneau agrave son doigt et placcedila sur sa tecircte lacte de renoncement quil venait deacutecrire laquo Ce sera dit-il mon bouclier au

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jour de ma mort raquo Ce geacutenie symbolique eacutetait en parfaite harmonie avec lart du XIIe siegravecle Nous

avons deacutejagrave parleacute des chacircsses ougrave saint Martial et sainte Valeacuterie sont ceacuteleacutebreacutes Il subsiste encore une magnifique chacircsse de la seconde partie du XII

e siegravecle consacreacutee agrave la gloire dun saint du centre de la

France par les eacutemailleurs limousins elle contient les reliques de saint Calmin et se conserve dans

leacuteglise de Mozat pregraves de Riom Saint Calmin qui fut au VIIe siegravecle gouverneur de lAuvergne du

Velay et du Geacutevaudan descendait de Calminius lami de Sidoine Apollinaire Un voyage agrave Leacuterins lui fit vivement sentir la beauteacute de la vie monastique Il ne fut peut-ecirctre jamais moine mais il fonda des monastegraveres en Velay dabord agrave Calminiacum puis dans le Limousin agrave Tulle enfin en Auvergne agrave Mozat Sa femme sainte Namadie prenait sa part de ses travaux et laidait de ses conseils Cest pourquoi un des eacutemaux nous montre les deux eacutepoux faisant construire Calminiacum qui sappellera plus tard le Monastier cest labbaye quillustrera saint Chaffre On les voit ensuite faisant eacutelever le monastegravere de Tulle puis celui de Mozat des maccedilons preacuteparent le mortier montent agrave leacutechelle Labbaye nest pas encore termineacutee mais deacutejagrave leacuteglise est construite et le calice est sur lautel la maison de Dieu a donc eacuteteacute faite avant celle des moines Leur œuvre acheveacutee Calmin et Namadie meurent saintement leur acircme seacutelegraveve dans une aureacuteole et la main de Dieu sort du ciel Cette œuvre magnifique avive nos regrets Combien de chacircsses semblables ont disparu au temps ougrave ces treacutesors arracheacutes du sanctuaire se vendaient au poids du cuivre et devenaient des chaudrons Les quelques monuments de ce genre qui subsistent sont du XIII

e siegravecle ou des siegravecles suivants Parfois au milieu

des bruyegraveres et des bleacutes noirs en fleurs du Limousin on rencontre dans une eacuteglise de village une chacircsse eacutemailleacutee qui raconte lhistoire de saint Dulcide de saint Psalmet de lermite saint Viance Parfois un buste reliquaire repreacutesente le grave saint Eacutetienne de Muret lesclave saint Theacuteau racheteacute par saint Eacuteloi et orfegravevre comme son maicirctre labbeacute saint Yriex et lexquise sainte Fortunade Nous respirons un instant tout le parfum de passeacute et il y a beaucoup de fastueux chefs-dœuvre qui nous touchent moins que ces humbles merveilles

III

Dans limmense domaine de saint Martial le Poitou occupait une place agrave part il avait eu en effet au IVe siegravecle un des saints les plus illustres de la chreacutetienteacute saint Hilaire Celui-lagrave eacutetait un saint authentique que la leacutegende osa agrave peine effleurer il navait pas veacutecu dans le creacutepuscule des temps meacuterovingiens mais dans ce IVe siegravecle queacuteclaire encore la lumiegravere antique Dabord paiumlen marieacute avant decirctre eacutevecircque il avait eacuteteacute une fois devenu chreacutetien un des plus vaillants deacutefenseurs de lorthodoxie contre larianisme Ses livres mdash dit saint Jeacuterocircme mdash avaient la force irreacutesistible du Rhocircne Exileacute en Orient par un empereur arien il y eacutetudia les ouvrages dOrigegravene et fit connaicirctre agrave lEacuteglise des Gaules lexeacutegegravese alleacutegorique des Alexandrins Un tel saint eacutetait-il bien selon le cœur des pegravelerins du XII

e siegravecle qui passant par Poitiers pour aller agrave Saint-Jacques-

de-Compostelle sarrecirctaient agrave son tombeau On en pourrait douter si on ne savait que de nombreuses merveilles avaient mairfesteacute le pouvoir du saint apregraves sa mort et lui avaient creacuteeacute une leacutegende Cest au-dessus du tombeau de saint Hilaire quapparut cette colonne de feu qui guida Clovis avant la bataille de Vouilleacute Il est probable que ceacutetaient ces miracles qui avaient eacuteteacute peints de preacutefeacuterence dans leacuteglise de Saint-Hilaire de Poitiers un des sanctuaires les plus ceacutelegravebres de la France on pouvait voir il y a quarante ans quelques restes de ces fresques dans les absidioles Un seul monument rappelle aujourdhui dans leacuteglise la meacutemoire du grand docteur un chapiteau qui repreacutesente sa mort Aucune inscription naccompagne la scegravene mais en un tel lieu on ne peut guegravere douter que le saint qui meurt entoureacute de ses diacres et dont les anges emportent lacircme au ciel ne soit saint Hilaire Dans cette œuvre tregraves gauche encore leacutemotion essaie de sinsinuer Leacuteonnius le disciple favori du saint se penche encore une fois sur le corps de son maicirctre et il exprime sa douleur en portant sa main agrave sa joue comme saint Jean au pied de la croix Mais il y a agrave Poitiers une autre eacuteglise du XII

e siegravecle consacreacutee agrave saint Hilaire Saint-Hilaire-de-la-Celle qui seacutelegraveve suivant la tradition

sur lemplacement de sa maison Vers la fin de sa vie apregraves la mort de sa femme et de sa fille le saint en fit un oratoire ougrave il aimait agrave se retirer Cest lagrave quil mourut en 368 et cest de lagrave quil fut porteacute agrave leacuteglise Saint-Jean-et-Saint-Paul construite au milieu de lantique cimetiegravere chreacutetien et qui prit alors son nom Jusquaux deacutevastations des protestants on vit dans leacuteglise Saint-Hilaire de la Celle un ceacutenotaphe ougrave la vie du saint eacutetait raconteacutee Il nen subsiste plus quun fragment qui repreacutesente la mort de saint Hilaire La scegravene est pleine de majesteacute saint Hilaire eacutetendu dans un sarcophage ouvert est dune taille colossale et semble dune autre race que le reste des hommes Derriegravere lui les clercs de son eacuteglise se tiennent debout aux deux extreacutemiteacutes deux diacres nimbeacutes sont agrave nen pas douter Leacuteonnius et Justus saint Lienne et saint Just comme on les appelait les plus chers disciples du maicirctre Cest agrave lun deux que saint Hilaire demanda avant de mourir si la nuit eacutetait silencieuse Au milieu de lassembleacutee deux anges apparaissent les ailes ouvertes ils sont descendus dans cette nuit religieuse pour recueillir lacircme du mort Cette grande maniegravere de composer et de sentir nous indique

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une eacutepoque deacutejagrave avanceacutee du XIIe siegravecle Mais ne voit-on agrave Poitiers que la mort de saint Hilaire Ny

trouve-t-on aucun trait de sa vie Un bas-relief qui appartient aujourdhui agrave la Socieacuteteacute des antiquaires de lOuest a longtemps deacutecoreacute leacuteglise deacutetruite de Sainte-Triaise Il repreacutesente saint Hilaire la crosse agrave la main consacrant agrave Dieu la vierge Troecia sainte Triaise Saint Hilaire avait pu admirer en Orient les commencements de la vie monastique et Troecia sa fille spirituelle est une des plus anciennes religieuses de la Gaule Elle veacutecut enfermeacutee dans sa cellule au milieu du cimetiegravere chreacutetien de Poitiers parmi les tombeaux comme une recluse de la Theacutebaiumlde La propre fille de saint Hilaire sainte Abra suivit lexemple de Troceia Son pegravere encouragea sa vocation dans une de ses lettres il lui promet une perle plus belle que celle que les vierges reccediloivent de leurs fianceacutes On montre encore dans leacuteglise Saint-Hilaire le couvercle du sarcophage de sainte Abra Ce nest pas en Poitou que lon trouve aujourdhui la plus curieuse repreacutesentation de la vie de saint Hilaire mais en Bourgogne Le sarcophage de sainte Abra (Saocircne-et- Loire) qui lui est deacutedieacutee raconte au linteau du portail le plus beau chapitre de son histoire On voit le saint arrivant au concile de Seacuteleucie pour lutter contres les eacutevecircques ariens Mais ici le moyen acircge a deacutejagrave fait son œuvre et la leacutegende a deacuteformeacute la veacuteriteacute Dans la seconde partie du bas-relief saint Hilaire est assis plus bas que les eacutevecircques cest que les ariens nont pas voulu lui faire de place parmi eux Du haut du ciel un ange lencense et le deacutesigne comme le champion de Dieu Le faux pape Leacuteon quitte le concile en prononccedilant contre le saint des paroles menaccedilantes mais Leacuteon meurt dune mort ignominieuse et les deacutemons semparent de son acircme Ce bas-relief inteacuteressant par son sujet est une œuvre inexpressive ougrave lon ne trouve ni le mouvement ni la vie de la grande sculpture bourguignonne Saint Hilaire que tant de pegravelerins venaient veacuteneacuterer dans son eacuteglise eacutetait le grand saint du Poitou mais beaucoup dautres saints moins illustres avaient inspireacute les artistes de ces reacutegions Si les fresques des abbayes poitevines seacutetaient aussi bien conserveacutees que celles de labbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne) nous aurions une veacuteritable histoire eccleacutesiastique de la province

FIGURE XLVII (Larche de Noeacute peinture - abbatiale de saint Savin-sur-Gartempe)

A Saint-Savin en effet de grandes figures peintes dans la tribune non loin des scegravenes de la Passion repreacutesentent les saints eacutevecircques de Poitiers Des inscriptions encore visibles il y a quelques anneacutees deacutesignaient saint Geacutelasius et saint Fortunat le fameux eacutevecircque poegravete Dans la crypte le temps a respecteacute une partie des fresques consacreacutees agrave saint Savin le patron de labbaye et agrave son compagnon saint Cyprien Ce sont deux martyrs En vain furent-ils deacutechireacutes par des ongles de fer attacheacutes agrave la roue exposeacutes aux becirctes chaque fois par un miracle ils eacutechappegraverent agrave la mort Dans laregravene les lions mdash que le peintre a fait aussi inoffensifs que des chiens mdash viennent leur leacutecher les pieds Ce fut non loin de labbaye mdash disait la tradition mdash au bord de la Gartempe que les deux saints furent mis agrave mort par leurs perseacutecuteurs Ainsi les hautes antiquiteacutes du Poitou eacutetaient sans cesse

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preacutesentes aux visiteurs de labbaye Lart ressuscitait le passeacute le faisait vivre dans les imaginations Soyons sucircrs que dans toute leacutetendue du Poitou mdash une des reacutegions de la France ougrave la peinture monumentale a laisseacute le plus de traces mdash il y eut des sanctuaires ougrave lon pouvait comme agrave Saint-Savin apprendre lhistoire des saints de la province Les moines avaient eacuteprouveacute depuis longtemps la vertu eacuteducatrice de la peinture ils savaient sa puissance magique sur les foules illettreacutees Mais agrave Charroux agrave Saint-Jouin-de-Marnes agrave Airvault agrave Maillezais dans toutes ces abbayes illustres du Poitou il ne reste plus rien aujourdhui

IV

Le Berry avec ses plaines indeacutecises fut souvent consideacutereacute comme un fief de saint Martial car ceacutetait lui disait la tradition limousine qui avait fondeacute leacuteglise de Bourges Mais agrave cette leacutegende le Berry en opposait une autre celle de son premier apocirctre saint Ursin Ursin eacutetait le Nathanael de lEacutevangile cest lui qui le premier avait annonceacute la foi nouvelle agrave Bourges et il y avait apporteacute deux reliques sans prix la courroie qui attachait le Christ agrave la colonne et quelques gouttes du sang de saint Eacutetienne car Nathanael avait assisteacute au supplice du saint diacre Saint Ursin devenait donc presque

leacutegal en digniteacute de saint Martial Parmi les successeurs de saint Ursin plusieurs eacutevecircques de Bourges seacutetaient eacuteleveacutes agrave la sainteteacute par leurs vertus Le Berry avait eu aussi ses saints ermites parfois dans ce pays de mareacutecages et de grandes forecircts on rencontrait un homme de Dieu dans la solitude Beaucoup de ces saints qui vivaient dans la meacutemoire du peuple avaient ducirc ecirctre ceacuteleacutebreacutes par lart du XIIe siegravecle Les vieilles eacuteglises du Berry ne sont pas tregraves riches en œuvres de sculpture mais beaucoup de ces eacuteglises eacutetaient peintes Plus dune fresque se cache encore sous le badigeon et lon verra peut-ecirctre reparaicirctre un jour ces saints jadis fameux saint Sulpice saint Patrocle saint Venant saint Leacuteopardin saint Laurian et la bergegravere sainte Solange aussi ceacutelegravebre dans le Berry que sainte Valeacuterie leacutetait dans le Limousin Que nous reste-t-il donc aujourdhui On voit agrave lexteacuterieur de leacuteglise de Chacirctillon-sur-Indre (Indre) un bas-relief du XII

e siegravecle qui deacutecorait jadis le portail et qui est

encastreacute maintenant dans une fenecirctre haute du transept Il repreacutesente le Christ en majesteacute assis entre deux seacuteraphins au-dessous saint Austregisille reccediloit un flambeau de la main de saint Pierre Saint Austregisille que les bergers et les laboureurs appelaient saint Oustrille eacutetait eacutevecircque de Bourges au commencement du VII

e siegravecle Avant son entreacutee dans les ordres on lavait vu se rendre agrave Chalon pour

y combattre en champ clos eacutevecircque il conserva leacutenergie du soldat et il lutta sans cesse contre les rois meacuterovingiens et les agents de leur fisc Sa sainteteacute seacutetait manifesteacutee par de nombreux miracles agrave Chacirctillon un autre bas-relief dont il ne reste plus que linscription le montrait gueacuterissant une posseacutedeacutee Il est facirccheux que larchitecte qui restaura leacuteglise vers 1880 ait si mal placeacute lancien tympan car on ne peut plus distinguer aujourdhui saint Austregisille recevant de saint Pierre cest-agrave-dire de Rome le flambeau de la foi Leacuteglise de Selles-sur-Cher (Loir-et-Cher) a heureusement conserveacute agrave leur place les rudes bas-reliefs qui furent consacreacutes agrave la gloire dEusitius ou saint Eusice Il y a plusieursbeaux traits dans la vie de saint Eusice Ses parents eacutetaient si pauvres quils furent obligeacutes de vendre un de leurs enfants comme esclave et ce fut saint Eusice qui se sacrifia pour ses fregraveres Esclave il saffranchit par la sainteteacute Sa reacuteputation eacutetait si grande que Childebert traversant le Berry pour aller combattre les Visigoths dEspagne voulut le voir et linterroger sur lavenir Il lui offrit cinquante sous dor laquo Donne cet argent aux pauvres lui dit Eusitius pour moi il me suffit de prier pour mes peacutecheacutes raquo puis il annonccedila au roi quil reviendrait victorieux Sa preacutediction saccomplit cest pourquoi agrave son retour Childebert sarrecircta pour revoir le saint Apregraves lui avoir donneacute le baiser de paix il lui offrit la moitieacute du butin quil rapportait dEspagne Il y avait dans le cortegravege du roi des prisonniers de guerre laquo lieacutes deux agrave deux dit lhagiographe comme des couples de chiens raquo Pour toute faveur saint Eusice demanda au roi de les deacutelivrer Chose eacutetrange ces beaux eacutepisodes ne figurent pas dans les bas-reliefs qui deacutecorent labside de Selles-sur-Cher Saint Eusice qui fut grand par la chariteacute nous apparaicirct lagrave comme un thaumaturge presque comme un magicien Il oblige les deacutemons agrave se rendre utiles sur son ordre ils sattellent agrave un char et transportent les pierres de leacuteglise Il se sert des

loups pour garder ses troupeaux Rien ne lui est impossible un jour quon lui a voleacute sa pelle de boulanger il entre dans le four brucirclant et y place tranquillement ses pains Voilagrave ce que nous montre labside de Selles-sur-Cher Ces miracles enchantaient le XII

e siegravecle souvent ceacutetait le peuple lui-

mecircme qui creacuteait cette feacuteerie il faisait de la vie des saints une chanson de la veilleacutee un conte dhiver Guibert de Nogent nous rapporte dans son De Pignoribus sanctorum que les femmes en tissant la toile chantaient les louanges de beaucoup de saints dont la vie eacutetait toute fabuleuse a et si lon veut les reprendre ajoute-t-il elles vous menacent de leurs navettes raquo Les bas-reliefs de Selles-sur-Cher teacutemoignent encore de cette passion du XII

e siegravecle pour le merveilleux

V

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Il est peu de saints plus poeacutetiques que les saints de lAuvergne Ce charme leur vient peut-ecirctre de leur premier historien Greacutegoire de Tours artiste sans le savoir qui ne nous montre pas ses heacuteros mais nous les laisse entrevoir dans un demi-jour plein de mystegravere Cest Injuriosus et Scolastica laquo les amants dAuvergne raquo dont un rosier reacuteunit les tombeaux ce sont les solitaires de la caverne et de la forecirct saint Eacutemilien saint Marien saint Lupicin saint Calupan qui renouvellent sous un ciel glaceacute les prodiges des anachoregravetes de lEgypte cest la vierge sainte Georges dont le convoi funegravebre fut escorteacute par un vol de colombes La sauvage nature qui les entoure reacutepand aussi sur eux un peu de son charme mdash ce charme que le deacutesert de la Chaise-Dieu communique agrave saint Robert le haut chacircteau de Mercœur et les laves de la valleacutee de la Couze agrave saint Odilon limmense forecirct du pays de Combrailles la Pontiacensis sylva aux vieux abbeacutes de Menacirct Le voyageur qui parcourt lAuvergne la meacutemoire remplie de la longue histoire de ses saints les cherche dans ses belles eacuteglises romanes mais il nen deacutecouvre quun bien petit nombre car le temps et les hommes nont pas eacuteteacute plus cleacutements agrave lAuvergne quagrave nos autres provinces Lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine reposa dabord dans leacuteglise dIssoire On avait perdu le souvenir de son tombeau lorsque des hommes vecirctus de blanc et portant des cierges qui apparaissaient la nuit dans leacuteglise en firent retrouver la place DIssoire le corps de saint Austremoine fut porteacute agrave Volvic Mais bientocirct ses reliques firent un dernier voyage elles allegraverent reposer dans labbaye de Mozat et Peacutepin le Bref suivant la tradition aurait porteacute lui-mecircme la chacircsse du saint sur ses eacutepaules On sera deacuteccedilu si on chercheagrave Issoire et agrave Volvic la trace de saint Austremoine on ne ly trouvera pas Mais agrave Mozat une œuvre dart rappelle son souvenir Sur un des cocircteacutes de la chacircsse de saint Calmin dont nous avons deacutejagrave parleacute un eacutevecircque la crosse en main est debout cest comme nous lapprend linscription Sanctus Austremonius saint Austremoine Mais il se pourrait que saint Austremoine fucirct repreacutesenteacute ailleurs encore On voit encastreacute dans un des murs de leacuteglise de Mozat le linteau dun ancien portail La Vierge assise en majesteacute est au milieu elle porte lEnfant sur ses genoux et elle ressemble agrave sy meacuteprendre aux vierges de bois des eacuteglises auvergnates saint Pierre est agrave sa droite et saint Jean agrave sa gauche Pregraves de saint Pierre un eacutevecircque est debout Quel peut ecirctre cet eacutevecircque sinon lapocirctre de lAuvergne saint Austremoine le grand saint dont leacuteglise de Mozat posseacutedait les reliques

FIGURE XLVIII (chacircsse de saint Austremoine leacuteglise Saint-Austremoine Issoire)

Il est on nen saurait douter au nombre des bienheureux car de la main il preacutesente agrave la Vierge un abbeacute prosterneacute Dans ce bas-relief cet abbeacute mdash un des constructeurs de leacuteglise mdash est le seul vivant seul il est encore sur la terre Il nest pas jusquagrave la place donneacutee agrave leacutevecircque aux cocircteacutes de saint Pierre qui ne soit significative car la leacutegende auvergnate jalouse deacutegaler saint Austremoine agrave saint Martial faisait de lui un disciple du prince des apocirctres Cest agrave lextreacutemiteacute de lancienne Auvergne que nous retrouvons encore une fois saint Austremoine Dans leacuteglise dEacutebreuil une fresque du XII

e siegravecle

peinte dans la tribune nous le montre en face de sainte Valeacuterie la grande sainte du Poitou rencontre ici le grand saint de lAuvergneOn racontait que saint Austremoine eacutetant venu de Rome en Gaule avec deux compagnons Nectaire et Baudime leur avait confieacute le soin deacutevangeacuteliser le sud de la Limagne et les reacutegions voisines Aussi leacuteglise de Saint-Nectaire nous montre-t-elle agrave la fois le buste

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de saint Baudime dont nous avons parieacute et un chapiteau consacreacute agrave lhistoire de son saint patron Ce chapiteau raconte quatre eacutepisodes de lhistoire de saint Nectaire Lartiste nous transporte dabord agrave Rome saint Pierre ordonne precirctre saint Nectaire son filleul et aussitocirct commence la lutte du saint et du deacutemon Un jour quil voulait passer le Tibre pour aller prier dans un sanctuaire de lautre rive il reconnut que le rameur qui sapprochait avec sa barque eacutetait Satan lui-mecircme Sans peur il entra dans la barque car un ange envoyeacute par Dieu planait dans le ciel en sorte que Satan fut contraint de le deacuteposer sain et sauf sur lautre bord Leacutegende de demi-jour qui semble nous transporter non dans la Rome de saint Pierre mais dans leacutetrange Rome du moyen acircge Cependant saint Pierre vient denvoyer en Gaule Austremoine Nectaire et Baudime A peine arriveacute agrave Sutri Nectaire tombe malade et meurt Baudime revient agrave Rome annoncer la nouvelle agrave saint Pierre qui accourt il touche le cadavre avec la croix et aussitocirct Nectaire se legraveve de son sarcophage Saint Nectaire qui a traverseacute la mort est devenu tout puissant sur elle Le voici maintenant en Auvergne Un jour quil annonccedilait leacutevangile le cortegravege funegravebre dun Gallo-romain nommeacute Bradulus vint agrave passer pregraves de lendroit ougrave il parlait on le supplie de ressusciter Bradulus Saint Nectaire prend le bras du mort et lui ordonne de se lever Derriegravere le saint se dresse leacuteglise de Saint-Nectaire telle que nous la voyons encore aujourdhui au sommet de son rocher Il a fallu agrave lartiste beaucoup dingeacuteniositeacute pour faire dire tant de choses agrave un chapiteau si condenseacutee que soit son œuvre elle reste claire Ainsi cest moins sous laspect dun apocirctre que sous celui dun puissant thaumaturge quapparaissait saint Nectaire aux pegravelerins qui visitaient son eacuteglise Parmi les successeurs de saint Austremoine au siegravege de Clermont le plus ceacutelegravebre ne fut pas comme on pourrait le croire le vaillant Sidoine Apollinaire mais leacutevecircque Prsejectus Dans la France centrale Prsejectus sappelle saint Priest dans la France du nord saint Prix Il eacutetait deacutejagrave fameux par ses vertus ses aumocircnes ses fondations charitables sa mort fit de lui un saint Il fut assassineacute pregraves de Volvic par les complices dun homme dont il avait deacutenonceacute les crimes agrave Childeacuteric Quelques-unes de ses reliques apporteacutees agrave Flavigny agrave Saint-Quentin agrave Beacutethune reacutepandirent au loin son culte Contemporain de saint Leacuteger assassineacute comme lui il eut alors une renommeacutee presque eacutegale Son corps resta enseveli dans leacuteglise de Volvic ougrave il est veacuteneacutereacute depuis des siegravecles on y conserve aussi leacutepeacutee de lassassin De leacuteglise eacuteleveacutee agrave Volvic au XII

e siegravecle il ne

subsiste plus aujourdhui que le chœur la nef refaite est moderne Un des chapiteaux du chœur est consacreacute non pas agrave la mort de saint Priest qui eacutetait sans doute repreacutesenteacutee ailleurs mais agrave la chacircsse de ses reliques un donateur est debout aupregraves de la chacircsse qui est bien celle du saint eacutevecircque comme une inscription nous lapprend Voilagrave quelques vestiges de lantique histoire religieuse de lAuvergne on souhaiterait den deacutecouvrir davantage On regrette de ne plus rien voir dans leacuteglise de Brioude qui rappelle le martyr saint Julien jadis si fameux Mais cest agrave Menacirct surtout que lon voudrait retrouver quelque souvenir des anciens moines de labbaye qui seacutelevegraverent agrave la sainteteacute saint Brachio le chasseur de sangliers et saint Carilegravephe le compagnon de lauroch dans la forecirct Malheureusement le chœur de leacuteglise de Menacirct ougrave se trouvaient les chapiteaux historieacutes a eacuteteacute deacutetruit Un seul de ces chapiteaux subsiste deacuteposeacute dans un des bas-cocircteacutes Il repreacutesente une scegravene eacutenigmatique dont un moine de Menacirct est probablement le heacuteros on croirait voir saint Meacuteneacuteleacute refusant la fianceacutee que son pegravere lui preacutesente et songeant deacutejagrave agrave aller demander la robe monastique agrave labbeacute de Menacirct que lon aperccediloit plus loin assis sur son siegravege

VI

II faut redescendre vers le Midi Cest en Provence que nous rencontrons la plus merveilleuse de toutes nos leacutegendes On lit dans un manuscrit du XI

e siegravecle conserveacute agrave la Bibliothegraveque Nationale [t B

N latin 17627] quapregraves la reacutesurrection du Sauveur Marie-Madeleine sa sœur Marthe et son fregravere Lazare fuyant la perseacutecution des Juifs sembarquegraverent et vinrent aborder agrave Marseille Ce sont eux qui apportegraverent la foi en Provence Un reacutecit un peu posteacuterieur fait venir avec eux saint Maximin apocirctre dAix et saint Trophime apocirctre dArles Ainsi cette belle Provence lumineuse comme lOrient devenait une autre Judeacutee Lazare eacutetait sorti du tombeau pour lui annoncer lEacutevangile Marthe et Marie eacutetaient venues lui reacutepeacuteter les paroles quelles avaient recueillies de la bouche du Seigneur Quelle eacuteglise pouvait se glorifier dune plus noble origine Cette leacutegende a-t-elle laisseacute quelque trace dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle A la faccedilade de Saint-Trophime dArles on voit repreacutesenteacute au milieu des

apocirctres saint Trophime lui-mecircme il tient la crosse et deux anges posent la mitre sur sa tecircte comme pour marquer le caractegravere divin de sa mission Dans le cloicirctre on le retrouve encore adosseacute agrave un pilier cette fois il est tecircte nue porte la tunique et le manteau et sil navait les pieds chausseacutes on le prendrait pour un apocirctre Aucun chapiteau historieacute aucun bas-relief naccompagne ces deux images du saint et ne raconte son histoire Vers 1180 les artistes dArles avaient deacutejagrave sans doute entendu raconter que saint Trophime eacutetait venu en Provence avec Lazare Marie-Madeleine et Marthe mais ils nont fait aucune allusion agrave ce reacutecit On dirait mecircme quils en ont suivi un autre en placcedilant saint Trophime aux cocircteacutes de saint Pierre ils semblent avoir voulu donner creacutedit agrave lancienne tradition de

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leacuteglise dArles suivant laquelle saint Trophime aurait eacuteteacute envoyeacute de Rome par le prince des apocirctres Il serait surprenant pourtant quil ny eucirct pas dans lart provenccedilal du XII

e siegravecle la moindre trace de la

fameuse leacutegende On ly rencontre en effet au moins une fois Il y a au portail lateacuteral de leacuteglise Sainte-Marthe agrave Tarascon une inscription fort bien conserveacutee qui nous donne la date de la deacutedicace de leacuteglise (1er juin 1197) deux petits bas-reliefs laccompagnent Lun repreacutesente la conseacutecration de lautel lautre un eacutevecircque et deux diacres groupeacutes autour dun corps eacutetendu sur la pierre Quel est le sens de cette scegravene On la comprendra si lon se souvient que dix ans auparavant on crut avoir deacutecouvert agrave Tarascon le corps de sainte Marthe et que cest pour recevoir cette insigne relique que lon rebacirctit alors leacuteglise Nous avons donc sous les yeux soit la translation des reliques de sainte Marthe dans son sanctuaire soit ses funeacuterailles Cette derniegravere interpreacutetation me paraicirct ecirctre la meilleure car on voit deux anges emportant au ciel lacircme de la sainte de plus un des assistants est nimbeacute or le reacutecit apocryphe rapportait que saint Front avait eacuteteacute miraculeusement transporteacute agrave Tarascon aupregraves du lit de mort de sainte Marthe Ainsi vers la fin du XII

e siegravecle la leacutegende de

lapostolat de Lazare et de ses sœurs eacutetait bien eacutetablie Le bas-relief de Tarascon est la plus ancienne œuvre dart quelle ait fait naicirctre en Provence mdash premier anneau de la chaicircne qui aboutit au dernier chant de Mireille La Provence avait eacuteteacute un peu lente agrave traduire le leacutegende par lart une autre reacutegion lavait devanceacutee la Bourgogne Cest la Bourgogne en effet nous le savons aujourdhui qui a creacuteeacute la leacutegende Mgr Duchesne en a fort bien expliqueacute lorigine Les moines de Veacutezelay se vantaient depuis le milieu du XI

e siegravecle de posseacuteder les reliques de sainte Marie-Madeleine mais ils eacutetaient

embarrasseacutes pour expliquer aux pegravelerins dougrave leur venait ce preacutecieux treacutesor Cest pourquoi lun deux fit paraicirctre un reacutecit tout nouveau de la vie de Marie-Madeleine Il y eacutetait dit pour la premiegravere fois que la sainte avait abordeacute en Provence quelle y avait veacutecu et quelle y eacutetait morte Lauteur ajoutait quun moine de Veacutezelay voyageant en Provence avait reconnu dans la crypte de Saint-Maximin le sarcophage de marbre ougrave la sainte eacutetait ensevelie il navait pas heacutesiteacute agrave deacuterober ce corps sacreacute et agrave lapporter en Bourgogne Tel fut le reacutecit que les pegravelerins de Veacutezelay recueillirent deacutesormais de la bouche des moines Degraves la fin du XI

e siegravecle de nouveaux eacutepisodes vinrent enrichir la leacutegende

Marthe Lazare et leacutevecircque Maximin furent associeacutes agrave Marie-Madeleine Ainsi cette sorte deacutepopeacutee quon serait tenteacute de croire dorigine provenccedilale a eacuteteacute creacuteeacutee en Bourgogne Elle fut ceacutelegravebre en Bourgogne avant de lecirctre en Provence bien mieux la Bourgogne qui venait de prendre possession des reliques de sainte Madeleine sattribua bientocirct celles de Lazare Degraves le commencement du XIIe siegravecle il fut admis quelles reposaient dans la catheacutedrale dAutun Il semble que le concours de pegravelerins quelles attiraient deacutetermina leacutevecircque agrave entreprendre vers 1120 la construction dune nouvelle eacuteglise cest la belle catheacutedrale que nous voyons aujourdhui Lart bourguignon du XI

e siegravecle sest-il

inspireacute de ces leacutegendes Il est naturel de les chercher dabord agrave Veacutezelay le sanctuaire de Marie-Madeleine mais on ne les y trouvera pas Le portail de la faccedilade est une œuvre moderne qui reproduit avec une preacutetentieuse gaucherie les sujets de lancien tympanet de son linteau [Tympan et linteau existent encore aujourdhui mais les sujets marteleacutes se discernent agrave peine] On y voit la Reacutesurrection de Lazare et les scegravenes de lEacutevangile ougrave Madeleine figure mais rien ny rappelle le fameux voyage de Provence Les chapiteaux de la nef si nombreux et si varieacutes ne nous parlent pas une seule fois de Marie-Madeleine Le chœur il est vrai a eacuteteacute refait agrave leacutepoque gothique et cest lagrave peut-ecirctre autour du tombeau de la sainte queacutetait raconteacutee son histoire apocryphe Aujourdhui aucune œuvre dart ne commeacutemore la leacutegende dans leacuteglise ougrave elle naquit ougrave tant de milliers de pegravelerins lentendirent raconter Serons-nous plus heureux agrave la catheacutedrale dAutun leacuteglise de saint Lazare Leacutetude des chapiteaux et des tympans pourrait nous faire croire que non Lagrave non plus aucune œuvre nest consacreacutee au voyage de Provence mais il nen eacutetait pas ainsi autrefois Jusquau XVIII

e siegravecle on put voir au portail du Jugement dernier trois statues adosseacutees au trumeau elles

montraient aux pegravelerins Lazare entre Marthe et Marie-Madeleine Ce groupement prendra tout son sens quand on saura que Lazare eacutetait vecirctu en eacutevecircque Ainsi on nen saurait douter cest Lazare apocirctre de la Provence que lartiste avait preacutetendu repreacutesenter et pregraves de Lazare il avait mis ses deux sœurs parce quelles avaient eacuteteacute les compagnes de son apostolat Il y avait en Bourgogne une autre eacuteglise deacutedieacutee agrave saint Lazare Saint-Lazare dAvallon Trois magnifiques portails du XII

e siegravecle y

donnaient accegraves il nen subsiste plus que deux aujourdhui priveacutes de leurs statues et de leurs bas-reliefs De meacutediocres dessins publieacutes par dom Plancher dans son Histoire de Bourgogne nous en laissent deviner laspect primitif Au trumeau du portail central un eacutevecircque eacutetait adosseacute ceacutetait saint Lazare le patron de leacuteglise Ainsi agrave Avallon comme agrave Autun les ornements eacutepiscopaux deacutesignaient saint Lazare comme le premier chef de leacuteglise provenccedilale Il est regrettable que ces curieuses statues dAutun et dAvallon ne nous aient pas eacuteteacute conserveacutees elles nous eussent montreacute comment les premiers sculpteurs bourguignons se repreacutesentaient ce mysteacuterieux Lazare qui avait franchi deux fois les portes de la mortLes statues dAutun et de Veacutezelay avaient eacuteteacute visiblement inspireacutees par la leacutegende ce sont les seules dont nous ayons pu retrouver la trace Un bas-relief en Provence deux

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statues en Bourgogne voilagrave tout ce que lhistoire apocryphe de Madeleine de Marthe et de Lazare semble avoir donneacute agrave lart du XII

e siegravecle Cest peu mais ce nest quun commencement il faut songer

quau XIIe siegravecle le reacutecit des moines de Veacutezelay avait agrave peine commenceacute agrave faire la conquecircte des

imaginations Ce nest que dans les siegravecles suivants quil sera accepteacute de tous et deviendra une des sources vives de lart chreacutetien Mais cest par la Provence et non par la Bourgogne que la gloire de Marie-Madeleine peacutenitente sest reacutepandue dans le monde En 1279 en effet les Provenccedilaux annoncegraverent agrave la chreacutetienteacute la deacutecouverte agrave Saint-Maximin du corps de sainte Madeleine que les

moines de Veacutezelay abuseacutes par lerreur dun des leurs avaient cru jusque-lagrave posseacuteder

FIGURE XLIX eacuteglise du Veacutezelay)

La deacutecouverte fut tenue pour authentique et deacutesormais le sanctuaire bourguignon fut deacuteserteacute au profit des lieux saints de la Provence le tombeau de Saint-Maximin et la caverne de la Sainte-Baume Les pegravelerins qui aimegraverent toujours agrave monter vers les cimes en chantant abandonnegraverent la montagne de Veacutezelay pour le haut rocher de la Sainte-Baume Cest alors que les comtes de Provence qui eacutetaient en mecircme temps rois de Naples firent connaicirctre la leacutegende agrave lItalie et lon vit Giotto peindre au Bargello de Florence et dans une des chapelles dAssise Marie-Madeleine dans le deacutesert provenccedilal recevant la communion de la main de saint Maximin La Bourgogne qui ceacuteleacutebrait lapocirctre de la Provence ce Lazare dont elle avait elle-mecircme imagineacute lapostolat noubliait pas son apocirctre agrave elle le martyr saint Beacutenigne Peu de saints avaient en France une plus magnifique seacutepulture son tombeau eacutetait agrave Dijon et les moines de saint Beacutenigne en eacutetaient les gardiens Il eacutetait au centre dune grande rotonde dont la Reacutevolution na laisseacute subsister que la crypte Cette rotonde formait au XII

e siegravecle

lextreacutemiteacute dune eacuteglise romane refaite plus tard Un beau portail orneacute de bas-reliefs et de statues y donnait accegraves il a eacuteteacute deacutetruit mais un dessin de dom Plancher nous en a conserveacute laspect Au trumeau sadosse un eacutevecircque qui porte une crosse archaiumlque en forme de tau et une mitre qui ressemble agrave un bonnet cest saint Beacutenigne Ce costume le deacutesigne comme le chef dune des premiegraveres communauteacutes chreacutetiennes de la Bourgogne La tecircte mutileacutee de lapocirctre se conserve au Museacutee archeacuteologique de Dijon Ainsi dans ce portail ougrave lon voyait des deux cocircteacutes les statues des prophegravetes et des apocirctres saint Beacutenigne occupait la place dhonneur cest agrave lui quallaient dabord les regards Les artistes bourguignons turent les premiers qui attiregraverent ainsi le respect du visiteur sur le patron dune eacuteglise le Saint-Lazare dAutun et le Saint-Jean-Baptiste de Veacutezelay sont les plus anciennes statues adosseacutees agrave un trumeau quil y ait ou quil y ait eu en France Les artistes du Midi si

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novateurs navaient rien imagineacute de pareil Cet hommage rendu agrave saint Beacutenigne ne parut pas suffisant aux moines de labbaye car ils lui consacregraverent encore un tympan jadis encastreacute dans le mur du vestibule Il nexiste plus aujourdhui mais il a eacuteteacute reproduit avec beaucoup de soin par dom Plancher On y voyait le martyre du saint Beacutenigne envoyeacute en Gaule suivant la tradition par le Grec Polycarpe disciple de saint Jean lEacutevangeacuteliste avait refuseacute de sacrifier aux dieux Le gouverneur du Castrum de Dijon Aurelianus assisteacute de son lieutenant Terentius le fit comparaicirctre devant lui et le condamna aux supplices les plus raffineacutes Ce sont ces supplices que nous montre le tympan le saint est debout et deux bourreaux sont occupeacutes agrave sceller ses pieds dans la pierre avec du plomb fondu Les mains du martyr sont briseacutees elles laissaient voir sans doute autrefois les alegravenes enfonceacutees sous chacun de ses ongles Deux autres bourreaux viennent de recevoir lordre den finir avec linvincible athlegravete placeacutes symeacutetriquement agrave sa gauche et agrave sa droite comme le centurion et le porte-eacuteponge sur le Calvaire ils lui enfoncent leur pique dans la poitrine Le saint expire et comme son maicirctre penche la tecircte sur son eacutepaule A ce moment dit la leacutegende les chreacutetiens virent une colombe blanche seacutelever au-dessus de sa tecircte mdash eacutepisode que lartiste na eu garde doublier une main sortant du ciel manifeste la preacutesence de Dieu Le beau caractegravere de lœuvre sa noble symeacutetrie lui assignent une date voisine de la fin du XII

e siegravecle Dijon avait donc dignement ceacuteleacutebreacute son apocirctre La Bourgogne fut

au moyen acircge le pays des grands ordres monastiques et des saints abbeacutes Ce sont ces illustres abbeacutes que nous voudrions voir et que nous ne voyons pas Que saint Bernard qui interdit lart agrave ses moines comme un luxe inutile ne soit repreacutesenteacute nulle part il ne faut pas sen eacutetonner il la voulu ainsi Ce saint Franccedilois dAssise du XII

e siegravecle ne le cegravede agrave lautre que parce quil lui a manqueacute le

sentiment de la beauteacute Un de ses biographes raconte quil marcha une journeacutee entiegravere au bord du lac de Genegraveve et que le soir il demanda ougrave eacutetait le lac Ce nest pas lui qui eucirct composeacute dans un transport denthousiasme le Cantique des creacuteatures Mais ce qui surprend cest de ne rencontrer nulle part en Bourgogne au cœur mecircme de cet immense royaume clunisien limage des premiers abbeacutes de Cluny qui furent tous des saints De Cluny il est vrai presque tout a disparu mais rien ne les rappelle agrave Paray-le-Monial au ils vinrent si souvent rien agrave la Chariteacute-sugraver-Loire un de leurs plus magnifiques prieureacutes Labbaye de Souvigny cette fille cheacuterie de Cluny ougrave saint Maiumleul et saint Odilon furent ensevelis na mecircme pas su garder leur tombeau Leur souvenir y serait entiegraverement aboli si on ne voyait leur image peinte sur la porte dune armoire reliquaire de la fin du moyen acircge Ces noms aperccedilus tout agrave coup Maiumlolus et Odilo remuent profondeacutement la sensibiliteacute on voit en imagination cet eacuteloquent Maiumleul plus grand que les souverains de son temps par lintelligence et par lacircme et ce doux Odilon qui precirctait loreille aux voix de lautre monde et qui creacutea la fecircte des morts Mais si ces grands noms des abbeacutes de Cluny saint Odon saint Maiumleul saint Odilon saint Hugues seffacent si rien aujourdhui ne ramine leur souvenir dans la meacutemoire du visiteur de leurs eacuteglises la faute nen est sans doute pas aux artistes bourguignons du XII

e siegravecle ni aux moines clunisiens si

passionneacutes pour lart si profondeacutement attacheacutes agrave leurs souvenirs mdash mais agrave des geacuteneacuterations sans respect et sans amour qui ont tout aneacuteanti En Bourgogne une seule eacuteglise monastique conserve encore quelques peintures qui commeacutemorent son passeacute cest celle dAnzy-le-Duc (Saocircne-et-Loire) Anzy-le-Duc ne relevait pas de Cluny mais de labbaye de Saint-Martin dAutun que Brunehaut avait fondeacutee et ougrave elle avait son tombeau Des fresques peintes vers la fin du XIIe siegravecle dans labside de leacuteglise dAnzy racontent lhistoire du petit prieureacute fier de ses origines Au-dessous de lAscension du Christ on voit Lethbald et sa femme offrant agrave Dieu vers 876 leur villa dAnzy qui va devenir un monastegravere Un de leurs descendants fut ce Lethbald ce pegravelerin ceacutelegravebre dont le moyen acircge a plusieurs fois raconteacute lhistoire Contemplant Jeacuterusalem du haut du Mont des Oliviers il eut un tel transport de joie quil demanda agrave Dieu de le faire mourir le jour mecircme sa priegravere fut exauceacutee Fondeacute par Lethbald ou saint Lieacutebaud le prieureacute dAnzy-le-Duc fut gouverneacute par un saint saint Hugues dAutun Hugues ami de Bernon fondateur de Cluny eacutetait veacuteneacutereacute de toute la Bourgogne On venait consulter comme un oracle ce vieillard laquo dont la tecircte eacutetait blanche comme le duvet du cygne raquo On le consultait sur toute chose sur les maladies et sur les semailles aussi bien que sur les cas de conscience Les miracles quil faisait pendant sa vie sa chacircsse continua agrave les faire apregraves sa mort et elle attira longtemps les pegravelerins agrave Anzy-le-Duc Les fresques dAnzy racontent quelques traits de son histoire Toutes ces peintures recouvertes dun badigeon ont eacuteteacute retrouveacutees par hasard en 1856 et malheureusement fort restaureacutees elles font revivre un passeacute perdu dans la nuit Voilagrave un exemple de ce que faisaient les moines bourguignons pour perpeacutetuer leurs traditions et pour honorer leurs sainte Si saint Lieacutebaut et saint Hugues dAnzy inconnus aujourdhui ont eacuteteacute ceacuteleacutebreacutes par lart on peut bien croire que les Odilon et les Maiumleul navaient pas eacuteteacute oublieacutes

VII

La Bourgogne nous achemine vers la reacutegion parisienne Au XIIe siegravecle le saint le plus illustre de lIle-

de-Franccedile eacutetait saint Denis Sa gloire avait grandi avec la monarchie franccedilaise Il ne suffisait pas que

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saint Denis eucirct eacuteteacute le premier apocirctre de Paris il lui fallait une leacutegende digne du protecteur des rois de France et du gardien de leur tombeau On racontait donc que saint Denis de Paris eacutetait le mecircme personnage que saint Denis lareacuteopagite converti par saint Paul Il avait observeacute agrave Athegravenes leacuteclipseacute qui obscurcit le soleil agrave lheure ougrave Jeacutesus expira sur le Calvaire et plus tard il eacutecrivit ce livre fameux de la Divine Hieacuterarchie ougrave le ciel est deacutecrit ougrave Dieu apparaicirct dans sa gloire au milieu des cercles concentriques formeacutes par les anges Cest ce savant ce profond penseur qui avait eacuteteacute jugeacute digne deacutevangeacuteliser la ville de la science Son souvenir eacutetait cher aux Parisiens qui veacuteneacuteraient derriegravere Notre-Dame de Paris dans leacuteglise Saint-Denis-du-Pas le lieu ougrave il avait commenceacute son martyre agrave Saint-Denis-de-la-Chartre dans la Citeacute la prison ougrave il avait eacuteteacute enfermeacute et ougrave ses chaicircnes eacutetaient suspendues agrave Montmartre la place quil avait rougie de son sang Labbaye de Saint-Denis eacutetait le terme du pegravelerinage cest lagrave que reposait le martyr aupregraves de ses deux compagnons Rustique et Elcuthegravere Comment lart avait-il honoreacute saint Denis agrave Paris nous lignorons mais agrave labbaye de Saint-Denis nous lentrevoyons encore Le portail qui souvre agrave droite du spectateur dans la faccedilade de la basilique est deacutecoreacute dun bas-relief dont saint Denis est le heacuteros il emplit tout le tympan Il est reccedilu que ce bas-relief est reacutecent et les archeacuteologues passent sans lever les yeux mais ce deacutedain nest quagrave moitieacute justifieacute Assureacutement toutes les tecirctes sont modernes les draperies ont eacuteteacute visiblement retoucheacutees et quelques personnages mecircmes semblent entiegraverement refaits Loeuvre paraicirct ecirctre dhier pourtant le dessin geacuteneacuteral est ancien La composition ne date pas de 1839 elle nest pas du restaurateur Debret elle est bien de 1135 environ et appartient aux artistes de Suger Nous pouvons en croire le baron de Guilhermy qui a suivi avec tant dattention tout ce qui sest fait agrave Saint-Denis dans la premiegravere partie du XIX

e siegravecle A son teacutemoignage une seule chose dans ce portail est

entiegraverement moderne la seconde voussure avec ses personnages Le reste est une restauration dun original ancien La scegravene que Suger avait fait repreacutesenter dans le tympan eacutetait emprunteacutee agrave la leacutegende de saint Denis mais ce neacutetait ni sa conversion par saint Paul ni sa preacutedication ni son martyre on voyait Jeacutesus escorteacute dun vol danges descendant dans la prison ougrave le saint attendait la mort et le faisant communier de sa main Nous ne savons quand cet eacutepisode entra dans la leacutegende de saint Denis tout ce que nous pouvons dire cest que degraves le XI

e siegravecle une miniature dun missel de

labbaye de Saint-Denis le repreacutesente Cest une de ces belles leacutegendes ougrave le moyen acircge sexprime tout entier ougrave il reacutealise son eacuteternel deacutesir dunion avec le ciel Voilagrave limage que contemplait le pegravelerin en entrant dans la basilique et elle lui donnait une plus haute ideacutee de saint Denis que neucirct pu faire son martyre lui-mecircme Suger qui en toute chose est un novateur est le premier qui ait consacreacute un portail agrave la gloire dun saint il ny avait rien de pareil avant lui et apregraves lui on tardera assez longtemps agrave suivre son exemple Cest en effet agrave une eacutepoque assez avanceacutee du XII

e siegravecle

que nous rencontrons dans une reacutegion voisine de lIle-de-Franccedile un portail ougrave a eacuteteacute raconteacutee la leacutegende dun saint Non loin de Provins seacutelegraveve le prieureacute de Saint-Loup de Naud dont la belle eacuteglise remonte au XII

e siegravecle Saint Loup de Naud deacutependait de labbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens aussi

eacutetait-ce un eacutevecircque de Sens qui eacutetait le patron de leacuteglise Saint Loup que dans la reacutegion on appelait saint Leu eacutetait un de ces eacutevecircques du VIIe siegravecle qui tinrent tecircte aux rois meacuterovingiens et supportegraverent courageusement lexil Plein de bonteacute charitable assidu agrave visiter les anciens tombeaux il avait de son vivant la reacuteputation dun saint Mais son histoire ne tarda pas agrave se reacutesoudre tout entiegravere en miracles ces vieux reacutecits enchantegraverent Jacques de Voragine qui les reproduisit plus tard dans sa Leacutegende doreacutee Au portail de Saint-Loup de Naud les eacutepisodes de la vie du saint eacutevecircque ne sont pas sculpteacutes dans le tympan comme agrave Saint-Denis mais dans les voussures

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FIGURE L (leacuteglise de Saint-Loup-de-Naud - tympan)

Cest au portail du Mans quon vit pour la premiegravere fois les scegravenes des voussures former un reacutecit suivi la vie de Jeacutesus-Christ y est raconteacutee Lexemple fut suivi agrave Saint-Loup de Naud mais la leacutegende du saint y remplace lhistoire du Christ deacutejagrave les portails du XIII

e siegravecle sannoncent Le saint eacutevecircque

adosseacute au trumeau accueille les fidegraveles Un chapiteau sculpteacute placeacute au-dessus de sa tecircte le faisait reconnaicirctre agrave ceux qui eacutetaient familiers avec sa leacutegende on y voit un ange laissant tomber une pierre preacutecieuse dans le calice pendant que saint Loup ceacutelegravebre la messe Cette pierre preacutecieuse venue du ciel se conservait disait-on dans le treacutesor royal La leacutegende du saint se continue dans les voussures qui entourent le Christ en majesteacute du tympan On y aperccediloit la cloche de Saint-Eacutetienne de Sens Cette cloche avait un si beau son que le roi Clotaire la fit enlever de la catheacutedrale et transporter agrave Paris mais par la volonteacute de saint Loup elle devint muette soudain de sorte quil fallut la renvoyer agrave Sens ougrave le saint lui rendit sa voix harmonieuse Dautres merveilles se deacutechiffrent dans les voussures des prisonniers sont miraculeusement deacutelivreacutes de leurs liens puis par la toute-puissance de sa parole le saint emprisonne le deacutemon dans un grand vase Ces contes de feacutee prennent autant dimportance quun autre eacutepisode tout humain celui-lagrave et plein de beauteacute on voit le roi Clotaire vaincu par la grandeur morale du saint quil avait envoyeacute en exil sagenouiller devant lui et lui demander pardon Ce meacutelange de pueacuteriliteacute et de noblesse ne choquait alors personne Pour les hommes de ce temps rien nest grand rien nest petit puisquen toute chose se reacutevegravele la preacutesence de Dieu

VIII

Dans la France du Nord et de lOuest Picardie Normandie et Bretagne les eacuteglises romanes ne nous offrent plus rien aujourdhui qui rappelle les saints de ces provinces Au XII

e siegravecle la sculpture

monumentale fut un art agrave peu pregraves eacutetranger agrave ces reacutegions ce nest que par la fresque et par le vitrail quelles purent ceacuteleacutebrer leurs grands eacutevecircques et leurs saints abbeacutes mais fresques et vitraux ont disparu Le Maine a cependant conserveacute un magnifique vitrail du XII

e siegravecle consacreacute agrave lapocirctre de la

province saint Julien Au Mans aucun saint ne fut plus profondeacutement veacuteneacutereacute que saint Julien En 1117 lorsque Foulques comte dAnjou et du Maine assista avec sa femme et son fils agrave la conseacutecration de la catheacutedrale du Mans la ceacutereacutemonie termineacutee il prit entre ses bras son fils encore enfant et le deacuteposa sur lautel de saint Julien Il voulait signifier par lagrave quil le mettait sous la protection du grand saint du Mans tout-puissant aupregraves de Dieu On ne seacutetonne donc pas de rencontrer dans la catheacutedrale du Mans un grand vitrail consacreacute tout entier agrave la vie de saint Julien Saint Julien entre au Mans et y multiplie les miracles Il y fait jaillir une source avec son bacircton prodige sans doute symbolique il convertit et baptise le gouverneur de la citeacute romaine puis il lenvoie eacutevangeacuteliser Angers Chaque fois lapocirctre est repreacutesenteacute avec la mitre et la crosse de leacutevecircque Son œuvre acheveacutee saint Julien meurt paisiblement et les anges emportent son acircme au ciel Ainsi tandis que le Midi ceacuteleacutebrait les saints par la sculpture et lorfegravevrerie le Nord les ceacuteleacutebrait par le vitrail Nous navons encore rien dit de la Touraine et de son illustre saint Martin Cest que saint Martin neacutetait pas le saint dune province mais de la France tout entiegravere Tours il est vrai eacutetait le centre de son culte et cest agrave Tours que les artistes avaient raconteacute pour la premiegravere fois sa vie Un petit poegraveme de saint Paulin de Peacuterigueux prouve quau V

e siegravecle on avait peint ses miracles dans la fameuse basilique qui contenait son

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tombeau Au VIe siegravecle une autre eacuteglise de Tours la catheacutedrale fut deacutecoreacutee de fresques consacreacutees agrave son histoire elles eacutetaient expliqueacutees par des vers de Fortunat qui se sont conserveacutes deacutejagrave lon voyait saint Martin donnant au pauvre la moitieacute de son manteau La catheacutedrale de Tours a eacuteteacute rebacirctie quant agrave la basilique de Saint-Martin plusieurs fois reconstruite elle a eacuteteacute deacutetruite par la Reacutevolution Les peintures et les vitraux quon y voyait perpeacutetuaient peut-ecirctre le souvenir des anciennes fresques Aujourdhui Tours ne conserve aucune œuvre consacreacutee agrave saint Martin qui soit anteacuterieure au XIII

e

siegravecle Mais ce que Tours ne nous montre pas nous le trouvons ailleurs Il y avait en France des centaines deacuteglises deacutedieacutees agrave saint Martin aussi ne seacutetonne-t-on pas de rencontrer son image dans toutes les reacutegions Loeuvre la plus ancienne qui le repreacutesente a eacuteteacute deacutecouverte dans les Pyreacuteneacutees mais sur le versant espagnol cest un panneau peint qui se trouvait jadis dans leacuteglise de Montgrony en Catalogne et qui est aujourdhui au Museacutee eacutepiscopal de Vich Loeuvre est si archaiumlque par le dessin et par le costume quelle peut remonter au XI

e siegravecle Aujourdhui aucun

monument consacreacute agrave lhistoire de saint Martin nest plus ancien Cest lagrave que nous voyons pour la premiegravere fois le saint coupant en deux son manteau pour en donner la moitieacute au pauvre geste que lart reacutepeacutetera de siegravecle en siegravecle et que lartiste catalan avait reccedilu du passeacute Saint Martin porte le long bouclier et la lance agrave gonfanon des barons de la Chanson de Roland Un autre compartiment nous montre le saint sur son lit de mort il est eacutetendu sur le dos car il navait pas voulu se coucher sur le cocircteacute pour calmer ses souffrances laquo Laissez-moi disait-il contempler le ciel raquo au-dessus les anges emportent son acircme Cette histoire de saint Martin sinspirait sans aucun doute dun original franccedilais elle nous prouve que la gloire du saint avait peacuteneacutetreacute jusquau fond des valleacutees les plus reculeacutees Il eacutetait naturel de rencontrer saint Martin dans les grandes abbayes car cest lui qui avait creacuteeacute les premiers monastegraveres de la Gaule et ceacutetait lui qui eacutetait le veacuteritable ancecirctre de tous les moines dOccident Aussi un chapiteau du cloicirctre de Moissac lui est-il consacreacute On y voit pregraves de la porte dAmiens qui souvre entre deux tours le jeune cavalier couper son manteau et en donner la moitieacute au pauvre Aussitocirct le Christ apparaicirct entre deux anges les bras ouverts il eacutetale largement le manteau et semble loffrir agrave ladmiration du ciel Cest alors que saint Martin entendit en recircve ces paroles prononceacutees par le Christ laquo Voyez Martin il nest encore que cateacutechumegravene et il ma revecirctu de son manteau raquo Mais cest dans les reacutegions eacutevangeacuteliseacutees par saint Martin dans le Nivernais et la Bourgogne en particulier que lon doit sattendre agrave rencontrer son image Lagrave son souvenir est resteacute plus vivant quailleurs le Morvan est plein de sources miraculeuses quil a fait jaillir et les paysans montrent encore les empreintes laisseacutees par le pied de sa mule sur la pierre Cest pourquoi plusieurs chapiteaux de leacuteglise de Garchizy dans la Niegravevre eacutetaient consacreacutes agrave saint Martin Ces chapiteaux sont aujourdhui au Museacutee archeacuteologique de Nevers on y voit leacutepisode du manteau que suit lapparition du Christ Labbaye de Veacutezelay qui seacutelegraveve aux confins du Morvan avait gardeacute le souvenir du grand missionnaire des pays eacuteduens Un chapiteau de la nef raconte un eacutepisode de sa leacutegende qui avait deacutejagrave eacuteteacute peint au VI

e siegravecle dans la catheacutedrale de Tours Saint Martin veut faire couper un pin

sacreacute auquel les paiumlens rendaient un culte les paiumlens y consentent agrave la condition que le saint sexpose agrave la chute de larbre Saint Martin nheacutesite pas mais au moment ougrave le pin va leacutecraser il legraveve la main et larbre tombe agrave lopposeacute Le pin de Veacutezelay styliseacute avec un art naiumlf ressemble agrave une plante des tropiques Telles sont disseacutemineacutees dans nos provinces les quelques œuvres consacreacutees aux saints qui ont eacutechappeacute au temps Ce nest plus quun reflet un dernier rayon du soir qui laisse une lueur agrave la faccedilade de leacuteglise un eacuteclair dans le vitrail

LEacuteglise de France eut donc le culte de son passeacute et de bonne heure elle demanda agrave lart de le ceacuteleacutebrer Elle eacutetait fiegravere de ses saints qui formaient une suite ininterrompueune longue frise heacuteroiumlque Les siegravecles les plus steacuteriles ceux qui navaient eu ni eacutecrivains ni poegravetes ni artistes avaient eu leurs saints Ces siegravecles neacutetaient pauvres quen apparence puisque au sentiment des hommes dalors les saints eacutetaient les chefs-dœuvre de lhumaniteacute Comme Pascal lEacuteglise du moyen acircge mettait lordre de la chariteacute bien au-dessus de lordre de lintelligence cest pourquoi le moindre ermite qui dans la solitude avait reacuteussi agrave se vaincre lui-mecircme meacuteritait a ses yeux decirctre eacuteterniseacute par lart Lathlegravete avait eacuteteacute lideacuteal de la Gregravece antique lascegravete devint lideacuteal des temps nouveaux Au Moyen Age les hommes de notre race quand ils ont eacuteteacute grands ont toujours eacuteteacute des ascegravetes toujours ils ont meacutepriseacute le voluptueux Orient ses harems ses parfums la courbe enchanteacutee de ses arabesques Cette longue lutte de lOccident contre lOrient cest la lutte eacuteternelle de lesprit contre les sens La plus haute expression du moyen acircge cest le soldat qui se sacrifie le moine qui prie le saint qui foule aux pieds la nature Le saint voilagrave le vrai heacuteros de cet acircge cest lui qui par lenthousiasme quil excitait soulevait lhumaniteacute larrachait agrave son limon Encore aujourdhui le peuple qui sent instinctivement ce quil y a dextraordinaire dans la sainteteacute conserve la meacutemoire des saints Les paysans du Bourbonnais qui ont oublieacute les noms des rois de France connaissent encore saint Patrocle et saint Marien qui vivaient du temps de Greacutegoire de Tours Et nous aussi le nom dun saint inconnu nous inteacuteresse le lieu ougrave il a veacutecu nous eacutemeut lermitage la cellule le monastegravere habiteacutes par

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le saint conservent quelques chose de religieux comme chez les anciens ces lieux sacres quavait toucheacutes le feu du ciel

EMILE MALE

EXPLICATION TREgraveS CURIEUSE

DES

EacuteNIGMES ET FIGURES HIEacuteROGLYPHIQUES PHYSIQUES

QUI SONT AU GRAND PORTAIL

DE LEacuteGLISE CATHEacuteDRALE ET MEacuteTROPOLITAINE DE NOTRE-DAME DE PARIS

Par

LE SIEUR ESPRIT GOBINEAU DE MONTLUISANT

Le Mercredi 20 de May 1640 veille de la glorieuse Ascension de notre Sauveur Jeacutesus-Christ apregraves avoir prieacute et sa tregraves-sainte Megravere Vierge en lEglise Catheacutedrale Meacutetropolitaine de Paris je sortis de cette belle et grande et consideacuterant attentivement son riche et magnifique Portail dont la structure est tregraves exquise depuis le fondement jusquagrave la sommiteacute de ses deux hautes et admirables Tours je fis les remarques que je vais expliquer Je commence par observer que ce Portail est triple pour former trois principales entreacutees dans ce superbe Temple seul corps de bacirctiment et annoncer la Triniteacute de Personnes en un seul Dieu sous lesquelles par lopeacuteration de son Esprit Saint son Verbe sest incarneacute pour le salut du monde dans les flancs de la Vierge sainte Symbole des trois principes ceacutelestes en uniteacute qui sont les trois principales clefs ouvrantes les principes [cest-agrave-dire le Mercure le Soufre et le Sel] et toutes les portes les avenues et les entreacutees de la nature sublunaire cest-agrave-dire de la segraveve universelle et de tous les corps quelle forme et produit conserve ou reacutegeacutenegravere

1deg La figure poseacutee au premier cercle du Portail vis-agrave vis lHocirctel-Dieu repreacutesente au plus haut Dieu le Pegravere Creacuteateur de lUnivers eacutetendant ses bras et tenant en chacune de ses mains une figure dhomme en forme dAnge Cela repreacutesente que Dieu Tout-Puissant au moment de la creacuteation de toutes choses quil fit de rien seacuteparant la lumiegravere des teacutenegravebres en fit ces nobles Creacuteatures que les Sages appellent Ame Catholique Esprit universel ou Souffre vital incombustible et Mercure de vie cest-agrave-dire lhumide radical geacuteneacuteral lesquels deux principes sont figureacutes par ces deux Anges [on a deacutejagrave eu loccasion de montrer que cet humide radical que Fulcanelli appelle meacutetallique ne peut ecirctre autre chose que des laquo chaux raquo meacutetalliques qui sont initialement incorporeacutees au Mercure sous forme de sulfates]

Dieu le Pegravere les tient en ses deux mains pour faire la distinction du souffre vital son huile de vie quon appelle Ame et du Mercure de vie ou humide premier neacute quon nomme Esprit quoique ce soit termes synonymes [il est remarquable de voir comment Gobineau emploie des termes parfaitement justes pour parler du Soufre et du Mercure lexpression huile de vie caracteacuterise leacutetat second du Mercure ducircment preacutepareacute et animeacute] mais seulement pour faire concevoir que cette Ame et cet Esprit tirent leur principe et leur origine du monde surceacuteleste et archeacutetypique ougrave est le Siegravege et le Trocircne plein de gloire du Tregraves-Haut dougrave il eacutemane surnaturellement et imperceptiblement pour se communiquer comme la premiegravere racine la premiegravere Ame mouvante et la source de vie de tous les Etres en geacuteneacuteral et de toutes les Creacuteatures sublunaires dont lhomme est le chef de preacutedilection Dans le cercle au-dessous du monde surceacuteleste et Archeacutetypique est le Ciel firmamental ou astral dans lequel paraissent deux Anges la tecircte pencheacutee mais couverte et enveloppeacutee

Linclination de ces deux Anges la tecircte en bas

[St-Pierre Fulcanelli le rappelle fut crucifieacute la tecircte en bas lhieacuteroglyphe ceacuteleste de Veacutenus peut de mecircme se voir agrave lendroit ougrave il figure Aphrodite ou agrave lenvers et il deacutesigne alors ce globe crucifegravere que les bons auteurs ont toujours deacutesigneacute comme la stibine ou mieux lalbacirctre des Sages]

nous donne agrave entendre que lAme universelle ou lEsprit Catholique ou pour mieux dire le souffle de la vertu de Dieu cest-agrave-dire les influences spirituelles du Ciel archeacutetypique descendent de lui au Ciel astral qui est le second monde eacutegalement ceacuteleste dit eacutetipique ougrave habitent et regravegnent les planegravetes et les eacutetoiles qui ont leur cours leurs forces et vertus pour laccomplissement de leur destination et de leurs devoirs selon les deacutecrets de la Providence qui les a ainsi ordonneacutes et subordonneacutes afin dopeacuterer par leur ministegravere et leurs influences la naissance et geacuteneacuteration de tous les Etres Spirituels et de toutes choses sublunaires participants de lAme et de lEsprit universel et par les deux Anges la tecircte en bas et qui sont vecirctus nous est deacutesigneacute que la semence universelle et

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spirituelle Catholique ne monte point mais descend toujours [la Roseacutee de mai est ici expresseacutement deacutesigneacutee] et lenveloppe dont elle est voileacutee dans les corps nous enseigne que cette semence ceacuteleste est couverte quelle ne se montre point nue mais quelle se cache avec soin aux yeux des ignorants et des Sophistes et nest point connue du vulgaire

3deg Au-dessous du Firmament est le troisiegraveme Ciel ou leacuteleacutement de lair dans lequel paraissent trois enfants environneacutes de nuagesCes trois enfants signifient les trois premiers eacuteleacutements de toutes choses appeleacutes par les sages principes principians dont les trois principes infeacuterieurs sel souffre et mercure tirent leur origine et quon nomme principes principieacutes pour les distinguer des premiers quoique tous ensemble ils descendent du Ciel archeacutetypique et partent des mains de Dieu qui de sa feacuteconditeacute remplit toute la nature mais toutes les influences spirituelles et ceacutelestes semblent ecirctre eacutemaneacutees des deux premiers Cieux avant de sunir agrave aucun corps sensible ce qui fait que toute eacutemanation spirituelle du premier Ciel ou de lArcheacutetypique est appeleacutee Ame et celle du second Ciel ou Firmament est nommeacutee Esprit

Ce sont donc cette Ame et cet Esprit invisibles et purement spirituels qui remplissent de leurs vertus actives et vivantes le troisiegraveme Ciel appeleacute Eleacutementaire ou le Ciel typique parce que cest le seacutejour des Eleacutements qui mus ordonneacutes et subordonneacutes par les deux mondes supeacuterieurs agissent agrave leur tour par commotion et mouvement descendant ascendant progreacutediant et circulaire sur tous les Etres infeacuterieurs et sur toutes les Creacuteatures sublunaires composes de leurs qualiteacutes mixtes quon nomme les quatre tempeacuteraments

Or cette Ame eacutemaneacutee dans le monde Eleacutementaire quelle remplit de sa lumiegravere vivifiante est appeleacutee souffre et lesprit eacutemaneacute du monde ou Ciel firmamental qui est en principe lhumide radical de toutes choses auquel ce souffre ou la chaleur lumineuse est attacheacute et adheacuterant comme agrave son premier et dernier aliment est appeleacute Mercure ou lhumide premier neacute qui est lhumide radical de toutes choses et par conseacutequent indivisible du souffre ou acircme eacutetheacutereacutee laquelle eacutetant un feu ceacuteleste lumineux et chaud ne peut subsister sans son union intime et indissoluble avec cet esprit son humide radical mais cela est au-dessus de la porteacutee des insenseacutes [Gobineau parle ici de la neacutecesssiteacute que le meacutetal soit reacuteincrudeacute cest-agrave-dire dissous au sein du Mercure]

Cette Ame et cet Esprit unis comme une seule et mecircme essence partant du mecircme principe et ne faisant pour ainsi dire quune mecircme chose puisquils ne sont divisibles que par lesprit ne peuvent ecirctre vus ni toucheacutes mais seulement conccedilus et compris par les sages Investigateurs de la Science de Dieu et de la Nature cette Ame et cet Esprit ne nous deviennent sensibles que par le lien indivisible qui les attache lun agrave lautre or ce lien quon nomme sel [il faut bien ici diffeacuterencier le lien entre les deux extreacutemiteacutes du vaisseau de nature quil sagit de conjoindre du lien du Mercure dont nous parlons dans la section des blasons alchimiques] est leffet de leur union et amour mutuel et un corps spirituel qui nous les cache et les enveloppe dans son sein comme ne faisant quune seule et mecircme chose de trois ce que les gens peacutetris de preacutejugeacutes nentendront et ne comprendront point

Ce Sel est celui de la Sapience cest-agrave-dire la copule et le ligament du feu et de leau du chaud et de lhumide en parfaite Homogeacuteneacuteiteacute et qui est le troisiegraveme principe [Gobineau deacutevoile ici un secret de haut lignage il sagit de ce que nous avons appeleacute le sel harmoniac sophique] il ne se rend point visible ni tangible dans lair que nous respirons ougrave il est subtil et fluide et il ne manifeste son corps visible que par son seacutejour et deacutepocirct en reacutesidu dans les mixtes ou composeacutes deacuteleacutements quil fixe et encloue en se mecirclant intimement au Souffre Mercure et Sel qui sont des principes naturels agrave lui fort analogues et Constituteurs des Creacuteatures Sublunaires

Le Sel ceacuteleste est le principe principiant qui procegravede de lAme et de lEsprit cest-agrave-dire de leur action ou pour mieux dire du souffre et du Mercure eacutetheacutereacutes il est le moyen et le milieu qui les unit dans leur action pour se traduire en fluide dans le souffre le Mercure et le Sel de nature sous un corps visible et tangible lors appeleacute par les Sages de toutes sortes de noms tantocirct Sel Alkali Sel Armoniac Salpeacutetre des Philosophes et tantocirct de mille surnoms symboliques ou agrave son origine ou agrave sa descension ou bien agrave son essence corporelle pour prouver queacutetant lAme IEsprit et le Corps universel de la Nature il est susceptible de toutes sortes de deacutetermination quil plaira agrave la Nature ou agrave IArtiste de lui donner selon lArt de la Sagesse [cest au fond ni plus ni moins quun bi-silicate qui est ici deacutesigneacute le secret reacuteside dans le dosage exact des eacuteleacutements accessoires tels la chaux la silice et lagent mineacuteralisateur proprement dit]

Mais il ne faut point perdre de vue que cest du monde surceacuteleste que la source de la vie de toutes choses tire son origine et que cette vie est appeleacutee Ame ou Souffre [cest loxyde qui assure la teinture de la pierre par conseacutequent cest lui qui loriente mais la nature de la terre vitrifiable ou cimolienne intervient aussi] que du monde ceacuteleste ou firmamental procegravede la lumiegravere quon

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appelle Esprit autrement humide ou Mercure et que cette Ame et cet Esprit remplissant de leur feacuteconditeacute vivifique le troisiegraveme monde appeleacute Eleacutementaire leur action eacutenergique et eacutelastique perpeacutetuellement circulaire [cette ideacutee de cercle fondement de lart si lon se reacutefegravere au serpent Ourobouros a trait au caractegravere permanent constant du feu secret] y porte et produit le Feu tout divin analogique de chaleur et dhumide radicaux mais qui est imperceptible et invisible non vulgaire ni grossier et par lequel comme Feu de vie par essence nourrissant Reacuteparateur Conservateur et non Destructeur les choses deviennent palpables et de soliditeacute corporelle [on a dit dans une autre section que laction du dissolvant loin de dissoudre consiste au contraire agrave joindre les deux chaux en une accreacutetion cest lapparition de Deacutelos] Dougrave il faut conclure que ces trois substances Souffre Mercure et Sel universel ceacutelestes sont les vrais principes principians de la geacuteneacuteration de toutes choses et que ces trois substances naturelles et sublunaires dans lesquelles les trois premiegraveres se rendent infuses et corporifieacutees sont les veacuteritables principes principieacutes constituteurs de la geacuteneacuteration des Corps par lencloument et la fixation quils font des qualiteacutes eacuteleacutementaires propres agrave la tempeacuterature des individus selon les Deacutecrets de la Providence

Cest ce qui a fait dire aux Sages que le Sel spirituel qui sert denveloppe et de lien au Souffre et au Mercure ceacutelestes eacutetait la seule et unique matiegravere dont se fait la Pierre des Philosophes et que comme ces trois substances identifieacutees par leur union nen faisaient quune la Pierre neacutetait point faite de plusieurs choses mais dune seule chose composeacutee trine en essence unique de principe et quadrangulaire de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees [cette forme nest autre que le rhomboegravedre tronqueacute forme presque cubique offerte par la Pierre] cependant cela se doit entendre agrave certains eacutegards qui puissent tomber sous lintelligence de lesprit et des sens en mecircme temps cest-agrave-dire quil ne faut pas simaginer que la matiegravere de la Pierre triangulaire et quadrangulaire des Sages se doive ni puisse prendre en son eacutetat de fluide aeacuterien invisible mais il faut entendre quil est neacutecessaire de chercher et trouver cette mecircme matiegravere de fluide aeacuterien infuse et corporifieacutee en une terre Vierge des enfants de la Nature qui en sont les mieux partageacutes les plus hautement et copieusement favoriseacutes et en qui les premiers et les seconds Agents unis ont plus de digniteacute dexcellence et de vertu Car la racine du Souffre des Sages de leur Mercure et de leur Sel est un Esprit ceacuteleste Spirituel et surnaturel qui par le veacutehicule de lair subtil se porte et se condense en air ou vapeur eacutepaissie et fait une matiegravere universelle et lunique de toute procreacuteation

4deg Au-dessous de ces trois enfants placeacutes dans leacuteleacutement de lair est le Globe de lEau et de la Terre sur laquelle paissent des animaux comme un mouton un taureau etc Le Globe de l Eau et de la Terre nous deacutesignent les Eleacutements infeacuterieurs tels que lEau et la Terre dans lesquels le Feu ceacuteleste et lhumide radical tregraves subtil par le moyen de lair sinsinuent jusquau profond et y circulent incessamment par leur propre vertu sous la forme invisible dun Esprit surceacuteleste et de vie qui selon David Psaume18 v 6 7 8 a son Tabernacle dans le Soleil dougrave par sa vertu eacutenergique comme un Epoux qui se legraveve de sa couche nuptiale il seacutelance pour parcourir la voie des Eleacutements ainsi quun

superbe Geacuteant [allusion aux Titans qui deacutesigne de la chaux] qui mesure son eacutelan et ses forces dans la vaste eacutetendue de lair sa sortie est du plus profond des Cieux de lagrave il procegravede peacutenegravetre partout et ne laisse rien priveacute de la chaleur de sa preacutesence vivifiante de lexpression mecircme de Salomon en son Eccleacutesiastes c 1 v 5 6 Cest ce mecircme Esprit divin qui eacuteclaire limmensiteacute de lUnivers qui se poussant et repoussant par vertu eacutenergique et eacutelastique en circuit du centre agrave lexcentre et en la capaciteacute de tout retourne sans cesse et perpeacutetuellement dans les cercles quil deacutecrit par son mouvement et son cours eacuteternel et universel

Cest ainsi que cet Esprit universel par le feu et lhumide nourrit les poissons dans leau les animaux sur la terre et les insectes en terre quil fait veacutegeacuteter les Plantes et produit les Mineacuteraux [cf la section sur le Mercure et les blasons alchimiques] et Meacutetaux au Centre et dans les entrailles de la Terre pourquoi son influence circulante comme Feu vital uni agrave lhumide radical par le Sel de Sapience est la semence universelle qui se congegravele et dont la vapeur seacutepaissit au centre de toutes choses cette semence spirituelle opegravere dans les diffeacuterentes matrices selon leurs dispositions leur nature leur genre leur espegravece et leur forme particuliegravere pour produire toutes les geacuteneacuterations en y mettant le mouvement et la vie

Quant aux deux animaux paissant qui sont le mouton et le taureau cest pour nous dire quau retour du Printemps et dans les deux premiers mois qui sont mars et avril auxquels ces deux animaux dominent en qualiteacute de signes du zodiaque la matiegravere universelle creacuteative et reacutecreacuteative eacutetant plus amoureuse de la Vertu ceacuteleste [allusion agrave la roseacutee de mai] qui y infuse ses proprieacuteteacutes vitales copieusement est plus abondante vertueuse et exalteacutee par conseacutequent aussi plus qualifieacutee quen un autre temps [voir lemblegraveme de Limojon de St-Didier]

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5deg Au-dessous de ces deux animaux on voit un corps comme endormi et coucheacute sur son dos sur lequel descendent de lair deux ampoules le col en bas lune adressant vers le cerveau et lautre vers le cœur de cet homme endormi Ce corps ainsi figureacute nest autre chose que le sel radical et seacuteminal de toutes choses lequel par sa vertu magneacutetique [cest lAimant de Philalegravethe il sagit du dissolvant qui assure la laquo disparition raquo initiale des chaux meacutetalliques cest lune des putreacutefactions de Le Breton] attire agrave soi lacircme et lesprit Catholiques qui lui sont homogegravenes et qui sans cesse sinsinuent et se corporifient dans le sel ce qui est repreacutesenteacute par les deux ampoules ou fioles contenants la chaleur et lhumiditeacute naturelle et radicale et ce sel ayant ainsi attireacute et corporifieacute ces deux substances en lui leur union spirituelle lui ayant acquis de prodigieux degreacutes de force il se pousse et peacutenegravetre dans le point central des individus et duniversel que ce sel eacutetoit il se particularise se corporifie se deacutetermine et devient rose dans le rosier or dans largent vif mineacuteral or dans lor plante dans le veacutegeacutetal roseacutee dans la roseacutee homme dans lhomme dont le cerveau repreacutesente lhumide radical lunaire et le cœur signifie la chaleur naturelle solaire veacutehiculeacutee dans le premier comme sa matrice

6deg Au cocircteacute droit des mecircmes trois enfants un peu plus bas que lair est un escalier par lequel monte agrave genoux un homme ayant les mains jointes et eacuteleveacutees en lair duquel eacuteleacutement il descend une ampoule ou fiole et au haut de lescalier il y a une table couverte dun tapis avec une coupe dessus Lescalier nous apprend quil faut seacutelever agrave Dieu le prier agrave genoux de coeur desprit et dacircme pour avoir ce don qui est le Magistegravere des Sages et vraiment un tregraves grand don de Dieu [assonance en grec entre le soufre et Dieu la matiegravere premiegravere est un sulfate] une gracircce singuliegravere de sa bonteacute et quil ne faut pas ecirctre en des lieux bas [cest tout le contraire lun des eacuteleacutements neacutecessaire agrave la preacuteparation du feu secret ne se trouve que dans les caves et les eacutetables] pour prendre la premiegravere matiegravere universelle qui contient la forme veacutegeacutetale et geacuteneacuterale du monde lampoule qui descend de lair signifie la liqueur ou roseacutee ceacuteleste qui deacutecoule premiegraverement de linfluence surceacuteleste se mecircle ensuite avec la proprieacuteteacute des astres et dicelles mecircleacutees ensemble il se forme comme un tiers entre terrestre et ceacuteleste voilagrave comme se forme la semence et le principe de toutes choses

Pour la coupe qui est sur la table elle repreacutesente le vase avec lequel on doit recevoir la liqueur ceacuteleste [cest le vase dit laquo de nature raquo reportez-vous agrave Cybegravele]

7deg Au cocircteacute gauche de cette mecircme Porte de ce grand portail sont quatre grandes figures de grandeur humaine qui chacune ont un symbole sous leurs pieds La premiegravere la plus proche de la porte a sous ses pieds un dragon volant qui deacutevore sa queue [symbole classique lune des gravures du De lapide philosophorum de Lambsprinck exprime parfaitement lalleacutegorie] La deuxiegraveme a sous ses pieds un lion dont la tecircte est contourneacutee vers le Ciel ce qui lui lait faire un effort de contorsion de col

[cette contorsion preacutesente un inteacuterecirct hermeacutetique majeur le deacutetour se dit en grec dont lune des acceptions est circonvolution mouvement de rotation combien de fois navons-nous pas rencontreacute ce mouvement denroulement ce resserrement Nous donnons cet extrait de nos blasons alchimiques qui permettra au lecteur la facile identification de notre Sujet en sa premiegravere matiegravere

Proche du filet la spirale se retrouve sur des pierres celtiques et lon peut citer avec R Viel la laquo pierre omphaloiumlde de Turoe comteacute de Galway raquo laquelle laquo date de leacutepoque de la Tegravene (300 ans av J-C) raquo Ces spirales repreacutesentent une reacuteserve de forces au plan hermeacutetique La cabale alchimique permet dy deacuteceler des indices de corps astringent qui laquo resserrent ou eacutetreignent raquo possegravedent une odeur stiptyque et sont freacutequemment associeacutes agrave certains symboles ici cest Bacchus qui est mentionneacute et le sujet des Sages est compareacute au lierre (consideacutereacute comme la partie mineacuterale) lagrave cest un arbre scieacute et eacutetreint quon peut observer crsquoest-agrave-dire un arbre mutileacute qui est compareacute au meacutetal dans un des caissons du chacircteau de Dampierre-sur-Boutonne (DM II) Le lierre (hedera) enguirlande le thyrse (javelot) de Bacchus il peut ecirctre compareacute aux serpents enrouleacutes en spirale autour du caduceacutee de Mercure et marque le caractegravere astringent ou styptique dune substance Dans le mecircme ordre drsquoideacutee on peut rapprocher par analogie le lierre dune plante souple qui sert agrave lier la vigne (ampelosdesmos) et notamment la couleuvreacutee (vitis alba) Enserrer lier cest bien cette action quexprime le personnage de la FIGURE XVI ougrave lon peut deviner un vautour expirant Ce vautour ou aigle a la mecircme valeur que le dragon expirant que lon voit sur lune des quatre Vertus au tombeau des Carmes que lon peut visiter dans notre section des Gardes du corps de Franccedilois II cette Vertu cest la Force Ce corps astringent nous lavons nommeacute de nombreuses fois et il est habituellement associeacute au bleacute On lextrait de la terre de Samos ou de la terre de Chio et il repreacutesente la reacutesine de lor Ce corps sapparente au 1

er Mercure ou sel des Sages]

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La troisiegraveme a sous ses pieds la figure dun ridicule qui se rit et se moque des figures quil regarde et qui semblent se preacutesenter agrave lui [il sagit du laquo fou raquo de loeuvre cest le Mercure] Et la quatriegraveme foule aux pieds [la terre agrave foulon est dun inteacuterecirct hermeacutetique majeur reporte-vous agrave la section sur la matiegravere premiegravere] un chien et une chienne qui tous sentremordent vigoureusement et semblent vouloir se deacutevorer lun et lautre [il sagit bien sucircr du chien de Corascegravene et de la chienne dArmeacutenie dArteacutephius ce sont les deux natures meacutetalliques de loeuvre]

Par le dragon volant qui deacutevore sa queue est repreacutesenteacutee la Pierre des Philosophes composeacutee de deux substances ou mercure dune mecircme racine et extraite dune mecircme matiegravere lune desquelles substances est lesprit eacutetheacutereacute humide et volatil et lautre est le souffre ou sel de nature corporel sec et fixe lequel par sa nature et sicciteacute interne [alkali fixe tartre vitrioleacute] deacutevore sa queue glissante de dragon cest-agrave dire dessegraveche lhumiditeacute et la convertit en Pierre aideacute par le feu constant dans la concaviteacute de lesprit eacutetheacutereacute humide siegravege de lacircme Catholique Le lion courbeacute qui regarde vers le Ciel deacutenote le corps ou sel animeacute qui deacutesire reprendre avec aviditeacute son acircme et son esprit

La figure du ridicule repreacutesente les faux Philosophes et Sophistes ignorants qui samusent agrave travailler sur des matiegraveres heacuteteacuterogegravenes et ne rencontrent rien de bon se moquent de la Science hermeacutetique et disent quelle nest pas vraie mais purement illusoire en quoi ils offensent la veacuteriteacute Divine qui a mis ses plus riches treacutesors dans le sujet Le chien et la chienne qui sentre-deacutevorent que les Sages appellent chien dArmeacutenie et chienne de Corascegravene signifient que le combat des deux substances de la Pierre est dune seule racine car lhumide agissant contre le sec se dissout et ensuite le sec agissant contre lhumide qui auparavant avait deacutevoreacute le sec est englouti par le mecircme sec et reacuteduit en eau segraveche [il sagit du Mercure philosophique] et cela sappelle prendre dissolution de corps et congeacutelation de lesprit ce qui est tout le travail de lŒuvre hermeacutetique

8deg Au dessous de ces grandes figures dans un pilier proche le Portail est la figure dun Evecircque [cest le conducteur ou laquo lappariteur raquo de loeuvre on peut lassimiler au sel harmoniac sophique] chargeacute de sa mitre et de sa crosse en posture meacuteditative Cet Evegraveque repreacutesente Guillemus Parisiensis ou bien celui qui a fait construire ce magnifique Portail et qui y a fait mettre les Enigmes [cet eacutevecircque a fait lobjet dun commentaire deacutetailleacute de Fulcanelli dans son Mystegravere des Catheacutedrales cf Cambriel]

9deg Au pilier qui est au milieu et qui seacutepare les deux portes de ce Portail est encore la figure dun Evecircque lequel met sa Crosse dans la gueule dun dragon qui est sous ses pieds et qui semble sortir dun bain ondoyant dans lesquelles ondes parait la tecircte dun Roi agrave triple Couronne qui semble se noyer dans les ondes puis en sortir derechef [cest lalleacutegorie semblable agrave celle de lapparition de Deacutelos qui consacre le deacutebut de laccreacutetion du Soufre agrave la Terre]

Cet eacutevecircque repreacutesente le sage Artiste Chimique lequel fait par son art congeler [voyez le reacutecit de De Cyrano Bergerac combat entre la reacutemore et la salamandre] la substance volatile du dragon mercuriel qui veut seacutelancer et sortir du vase qui le contient sous la forme deau ondoyante cest-agrave dire quil est exciteacute agrave ce mouvement interne par une douce chaleur externe et ce Roi couronneacute est le souffre de nature qui est fait par lunion physique et excentrique des trois substances homogegravenes mais seacutepareacutees par lArtiste de la premiegravere matiegravere Catholique lesquelles trois substances sont lesprit eacutetheacutereacute mercuriel le sel sulfureux ou nitreux et le sel alkali ou fixe et qui conserve son nom de sel entre les trois principes principians et les trois principes principieacutes qui tous trois eacutetaient contenus dans le chaos humide dans lequel ce Roi se noye et semble demander du secours quil nobtient de lArtiste alchimique quapregraves secirctre dissous dans le dissolvant de sa propre substance qui lui est semblable apregraves quoi il aura meacuteriteacute decirctre satisfait en sa demande cest-agrave dire quapregraves quil a eacuteteacute englouti et fait eau par son eau [il sagit dune substance qui se dissout dans son eau de cristallisation] il se congegravele par sa chaleur interne exciteacute par son sel ou sa propre terre par laquelle opeacuteration simple naturelle et sans meacutelange se fait le Magistegravere des Sages qui nest autre chose que dissoudre le corps et congeler lesprit apregraves avoir mis dans loeuf cristallin le poids convenable de lune et lautre substance qui sont triple et une car tout le travail de lŒuvre est de monter et descendre successivement quon appelle ascension et descension jusquagrave ce que de quatre qualiteacutes eacuteleacutementeacutees contraires homogeacuteneacuteiseacutees lon fasse trois principes constitutifs et ordonnateurs que des trois lon fasse apparaicirctre le feu et leau le sec et lhumide que de ces deux lon fasse un seul parfait peacutetrifieacute en sel qui contient tout le Ciel et la terre en eacutepuration et cuisson des heacuteteacuterogegravenes

10deg Au Portail agrave main droite lon voit les douze signes du Zodiaque diviseacutes en deux parties en ordre selon la science de Dieu et de la nature En la premiegravere partie du cocircteacute droit sont les signes du Verseur deau et des Poissons qui sont hors dœuvre ce quil faut remarquer et noter Puis en oeuvre sont le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux au dessus lun de lautre Et au dessus des Jumeaux

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est le signe du Lion quoique ce ne soit pas son rang car il appartient agrave LEcrevisse mais il faut consideacuterer cela comme mysteacuterieux Les signes du Verseau et des Poissons sont mis hors dœuvre cest expresseacutement pour faire connaicirctre quaux deux mois de janvier et feacutevrier on ne peut avoir ni recueillir la matiegravere universelle [cest purement alleacutegorique les signes zodiacaux sont des hieacuteroglyphes ceacutelestes voila tout] Pour le Beacutelier et le Taureau ainsi que les Jumeaux qui sont en œuvre Lun au-dessus de lautre et qui regravegnent au mois de mars davril et de mai ils apprennent que cest dans ce temps lagrave que le sage Alchimique doit aller au devant de la matiegravere et la prendre agrave linstant quelle descend du Ciel et du fluide aeacuterien ougrave elle ne fait que baiser les legravevres des mixtes et passer par dessus le ventre des Bourgeons et des feuilles Veacutegeacutetables qui lui sont sujettes pour entrer triomphante sous ses trois principes universels dans les corps par leurs portes doreacutees et y devenir la semence de la rose ceacuteleste ce qui sentend par symbole Alors son amour lui fait jeter des larmes qui ne sont rien plus que lumiegravere de laquelle le Soleil est le pegravere revecirctu dune humiditeacute de laquelle la Lune est la megravere et que le vent de lOrient apporte dans son ventre dans cet eacutetat vous lavez universelle et non deacutetermineacutee dautant que vous laurez prise auparavant quelle soit attireacutee par les aimants des individus speacutecifiques et quelle soit speacutecifieacutee en iceux

Au regard du signe du Lion qui est poseacute au-dessus de Jumeaux ougrave devrait ecirctre placeacutee lEcrevisse cest pour faire entendre quil y a quelque changement et une alteacuteration des Saisons contenue dans le travail manuel et physique de la Pierre et qui nest pas si propre pour recevoir et prendre la matiegravere quau temps ougrave regravegnent le Beacutelier le Taureau et les Jumeaux car en eacuteteacute pendant les grandes chaleurs par lardeur et la pompe du Soleil qui exhale beaucoup dhumide radical pour sa substance son entretien et sa nourriture il se fait une grande dissipation et deacuteperdition des esprits et la plus grande partie de la matiegravere increacutementale et nourriciegravere des corps est convertie dans la spiritualiteacute aeacuterienne dont on ne peut la retirer que par le moyen de laimant physique et phylosophique qui lui est homogegravene cest-agrave-dire par une tempeacuterature assaisonneacutee dhumide qui est son aimant et son enveloppe

11deg Au bas un peu au-dessus du Verseau et vis-agrave-vis des Poissons lon voit un Dragon volant qui semble regarder seulement et fixement Aries Taurus et Gemini cest-agrave-dire les trois figures du Printemps qui sont le Beacutelier le Taureau et les JumeauxCe Dragon volant qui repreacutesente lesprit universel et qui regarde fixement les trois figures semble nous dire affirmativement que ces trois mois sont les seuls dans le cours desquels lon peut recueillir fructueusement cette matiegravere ceacuteleste que lon appelle lumiegravere de vie laquelle se tire des rayons du Soleil et de la Lune par la coopeacuteration de la nature un moyen admirable et un art industrieux mais simple et naturel

12deg Proche et derriegravere ce Dragon volant est figureacute un Ridicule et derriegravere ce Ridicule est un chien assis sur le dos sur lequel chien est poseacute un oiseau Ce Ridicule est un moqueur de la science hermeacutetique en question un rieur meacuteprisant des opeacuterations des vrais Sages et Philosophes et de tous leurs Partisans quil estime insenseacute tout aveugleacute quil est dans lerreur vulgaireLa figure de ce Chien poseacute sur le dos sur lequel est un oiseau nous fait entendre que ce chien est le corps ou le sol de la matiegravere universelle fidegravele agrave lArtiste qui sccedilait la travailler et loiseau repreacutesente lesprit de la mecircme matiegravere lequel y est poseacute cette matiegravere est connue communeacutement sous les noms de souffre et de mercure le sel pour tiers et copule ou liaison y eacutetant compris comme indivisible des deux qui sont le corps et lesprit

13deg En la seconde partie de ce Portail au cocircteacute gauche et tout en haut est le signe de lEcrevisse agrave la place dit Lion qui est de lautre cocircteacute du mecircme PortailSur la mecircme ligne de lEcrevisse sont la Vierge [symbole de la matiegravere primitive Virga paritura] la Balance et le Scorpion [symbole des deux

natures meacutetalliques par son venin ] tous quatre en oeuvre Et ensuite le Sagittaire [qui a des rapports avec Arteacutemis] et le Capricorne [dont Saturne-Cronos est le maicirctre] qui sont hors doeuvre Par lEcrevisse ainsi placeacutee en haut est teacutemoigneacute que la matiegravere Lunaire a eacuteteacute bien abondante mais que labondance nen est plus si grande agrave cause que les Pleiumlades qui sont des constellations humides sen retournent La Vierge la Balance et le Scorpion sont les derniers degreacutes de chaleur pour la coction de loeuvre Phylosophique car en ce temps Automnal la maturiteacute des fruits se parfait par le Sagittaire et le Scorpion qui sont hors doeuvre ce qui deacutemontre leur frigiditeacute et sicciteacute et que ces qualiteacutes conccedilues par lesprit intelligent sont neacuteanmoins invisibles exteacuterieurement en la matiegravere de notre Magistegravere

14deg A droite et agrave gauche de ces douze Signes du Zodiaque qui repreacutesente le cours de lanneacutee sont quatre figures repreacutesentant les quatre Saisons qui sont lHiver le Printemps lEteacute et lAutomne Par ces quatre Saisons il est donneacute agrave entendre que le Composeacute phylosophique doit ecirctre entretenu en lathanor ou fourneau de cuisson pendant un an et plus ce qui fait dix mois hermeacutetiques par les degreacutes dune chaleur qui soit douce et proportionneacutee au commencement et puis un peu plus forte

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sur la fin et cependant lineacuteaire comme pour faire colorer et mucircrir les fruits qui se recueillent pendant trois de ces Saisons agrave savoir le Printemps lEteacute lAutomne moyennant quoi lArtiste acquiert la Meacutedecine au blanc Symbole de la Vierge megravere et Pascale quil peut arrecircter et prendre au cercle citrin comme Meacutedecine lunaire universelle parfaite ou bien continuer sans interruption de travail et pousser jusquau rouge parfait qui en est produit comme Meacutedecine solaire universelle et souveraine accomplie au temps de sa naissance marqueacutee solennellement par les Sages

15deg Au-dessous de huit grandes Figures du mecircme Portail dont il y en a quatre de chaque cocircteacute et tout en bas sont deacutemontreacutees les vraies opeacuterations pour faire et parfaire la Meacutedecine universelle que le Curieux apprenti de cette Oeuvre divine pourra expliquer ou se les faire expliquer mais jamais ne les expliquer par eacutecrit

16deg Lon voit six Figures au Portail du milieu au cocircteacute droit La premiegravere est un Aigle [symbole complexe lun des plus difficiles agrave appreacutehender lAigle a rapport avec la sublimation] la seconde un Caduceacutee entortilleacute de deux serpents [double Mercure] la troisiegraveme un Pheacutenix qui se brille la quatriegraveme un Beacutelier la cinquiegraveme un homme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair et la sixiegraveme est une Croix au trait quarteacute ougrave il se voit dun cocircteacute sur la ligne transversale une larme et sur la mecircme ligne de lautre cocircteacute un calice en cette forme[] Ces six Figures ne sont pour ainsi dire que la reacutepeacutetition de ce qui a deacutejagrave eacuteteacute dit tant de fois sous diffeacuterentes figures et diffeacuterents termes qui sont ineacutepuisables par le peu de travail et la simpliciteacute de la matiegravere qui ne se fait neacuteanmoins connaicirctre quaux vrais Philosophes et non pas aux Sophistes ignorans quelques recherches quils en fassent parce que leur intention est mauvaise et orgueilleuse et que ce Don divin nest accordeacute quaux simples et humbles de coeur meacutepriseacutes du reste du monde insenseacute et assez malheureux en son aveuglement pour ne se repaicirctre que de fables transitoires

1deg Laigle par exemple ne signifie autre chose que lEsprit universel du monde et cest lOiseau dHermegraves et le mouvement perpeacutetuel des Sages

2deg Le Caduceacutee entortilleacute de deux serpents enseigne que la Pierre est composeacutee de deux substances quoique tireacutee du mecircme corps et extraite de la mecircme racine ces deux substances neacuteanmoins semblent ecirctre contraires eu apparence lune eacutetant humide et lautre seiche [segraveche] lune volatile et lautre fixe mais elles sont semblables en essence et en effets parce quelles sont deux de nature venant dun seul principe quoiquelles ne soient reacuteellement quune

3deg Le Pheacutenix qui se brucircle et renaicirct de ses propres cendres nous apprend que ces deux substances apregraves avoir eacuteteacute mises dans loeuf philosophique en lAthanor agissent longtemps et naturellement lune contre lautre quelles se livrent de furieux combats avant de sembrasser et de sunir que la guerre est longue avant de recevoir le baiser de paix que les flots de la Mer philosophique sont longuement agiteacutes par le flux et reflux avant que la bonace et le calme puissent succeacuteder et reacutegner enfin que les travaux sont bien grands auparavant que ces deux substances se reacuteduisent finalement en poudre ou souffre incombustible car cela ne se peut faire quapregraves que lhumide Mercuriel a eacuteteacute consommeacute ou plutocirct desseacutecheacute par la grande activiteacute du chaud et sec interne de la substance corporelle du Sel de nature et que tout le compost est fait semblable Cest apregraves ces brucirclemens ou calcinations philosophiques que cette poudre le vrai Pheacutenix des Sages car il ny a point dans le monde dautre Pheacutenix que celui-lagrave eacutetant dissout derechef dans son lait virginal retourne agrave reprendre naissance par soi-mecircme et de ses propres cendres et continue ainsi agrave renaicirctre et mourir tout autant de fois quil plaicirct agrave lArtiste bien expeacuterimenteacute

4deg Le Beacutelier signifie toujours le commencement de la Saison en laquelle il faut prendre la matiegravere dautant quen ce temps deffervescence lhumide igneacute de lEsprit universel commence agrave monter de la Terre au Ciel et agrave descendre du Ciel en terre bien plus copieusement quen toute autre saison et avec plus de vertu surtout dans les miniegraveres ou le Soleil a fait au moins trente reacutevolutions et non plus de trente-cinq ougrave la Nature mineacuterale commence agrave reacutetrograder pour tendre agrave sa deacutepravation et agrave son deacuteclin

5deg Lhomme qui tient un Calice dans lequel il reccediloit quelque chose de lair nous deacutemontre quil faut sccedilavoir ce que cest que lAymant fait par lhomme qui a la puissance dattirer du Ciel du Soleil et de la Lune par sa vertu magneacutetique lEsprit Catholique invisible revecirctu de la pure substance humide eacutetheacutereacutee influence quintessencieacutee pour de ces deux en faire une troisiegraveme substance participant des deux autres individuellement et qui chacune contienne en soi indivisiblement le Sel le Souffre et le Mercure universels lesquels tous trois se congegravelent et sunissent au centre de toutes choses

6deg Quand agrave la Croix ou sur les lignes transversales par les cocircteacutes dicelle sont poseacutes une larme et un Calice cest pour nous faire entendre que ce nest que la Nature eacuteleacutementaire cest-agrave-dire les quatre

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Elemens croiseacutes [le thegraveme de la Croix est omnipreacutesent en alchimie elle figure le creuset et aussi linconnue X de Fulcanelli] figureacutes par les quatre lignes de la Croix en effet cest par le moyen des quatre Elemens que les vertus et les eacutenergies ceacutelestes descendent et sinsinuent incessamment sur tous les Corps visibles et sublunaires Les deux lignes haute et basse repreacutesentent le Feu ceacuteleste et les deux autres lignes traversantes signifient lair et leau La larme qui signifie lhumide de lair pleine de feu vital et poseacutee sur la ligne de lair et de leau doit ecirctre reccedilue dans le Calice qui signifie le reacutecipient et non pas dans les basses valleacutees quoi quelle soit partout mais sur des lieux qui savancent dans lair ougrave elle ne sera pas prise en quantiteacute par ceux qui nont pas la connaissance de laimant physique et philosophique

7deg Proche de la Porte agrave droite il y a dun cocircteacute cinq Vierges sages qui tendent leur Calice ou coupe vers le Ciel et reccediloivent ce qui leur est verseacute den haut par une main qui sort dune nueacutee et au-dessous sy voient et sy remarquent les vraies opeacuterations Alchimiques et Philosophiques Ces cinq Vierges repreacutesentent les vrais Philosophes Hermeacutetiques amis de la nature et qui ayant connaissance de lunique matiegravere dont elle se sert pour travailler dans la magneacutesie des trois regravegnes animal mineacuteral veacutegeacutetal reccediloivent du Ciel cette mecircme et unique matiegravere dans des vases convenables et suivant les opeacuterations de la mecircme nature ils travaillent physiquement et apregraves avoir fait le Mercure ou dissolvant Catholique ou le Sel de nature qui contient son souffre les unissent au poids requis les cuisent en lAthanor et finalement en font lElixir Arabique

8deg De lautre cocircteacute dudit Portail gauche on voit cinq autres Vierges mais folles en ce quelles tiennent cette Coupe renverseacutee contre terre ainsi elles ne peuvent ni ne veulent y recevoir la Lunaire que la nature leur preacutesente et qui est si copieuse quapregraves avoir largement satisfait agrave tout lUnivers il y en a encore plus de reste que demployeacutee et cela se fait en tout et se distribue en tous tems et incessamment parce quainsi la ordonneacute la voulu et le veut le Tregraves-Haut auquel gloire immortelle ineffable soit rendue sur la terre et aux Cieux Par les Vierges folles la Coupe renverseacutee sont repreacutesenteacutees une infiniteacute et presque innombrables dopeacuterations fausses des Sophistes des Chimistes des ignorans et deacutesespeacutereacutes ainsi que des impitoyables Souffleurs et Charlatans [il sagit en fait de lexpression double du symbole de Veacutenus Aphrodite ou Gaiumla]Ces cinq Vierges folles signifient ces faux Philosophes qui ne demandent que hercelets Sophistiques comme rubifications dealbations cohobations amalgamations etc qui meacuteprisent la lecture des bons Auteurs et qui par cette raison ne peuvent avoir connaissance de la vraie matiegravere quoiquil est vrai de dire quils la portent toujours avec eux jusque dans leur sein sur eux alentour deux sous leurs pieds et quils la respirent continuellement mais leur orgueil trop preacutesomptueux leur fait en meacutepriser la meacuteditation et la recherche simaginant stupidement dans leurs grossiegraveres Sophistications et leurs faux preacutejugeacutes la trouver sans la connaissance de la belle et pure nature interpregravete des Mystegraveres divins

En effet cette matiegravere est si commune et dun si vil prix que le pauvre en a autant que le

riche et elle est neacuteanmoins si preacutecieuse que chacun en a besoin et ne peut sen Passer Car

lon ne peut ecirctre vivre et agir Sans elleTout ce que jai remarqueacute en ce triple Portail est agrave la

veacuteriteacute beau et ravissant mais ce sont lettres closes Enigmes et Hieroglifs pleins de mystegraveres

pour les ignorans et choses mystiques pour les sccedilavans pour lesquels jai donneacute cette

Explication quils doivent comme Curieux consideacuterer exactement en levant les voiles qui

leur cachent lentreacutee aux secrets Cabinets de la chaste Diane Hermeacutetique Je nai point lu dans

les Cartes antiques de Paris ni de cette Catheacutedrale pour savoir le nom de celui qui a eacuteteacute le

Fondateur de ce Portail merveilleux mais je crois neacuteanmoins que celui qui a foumi ces

Enigmes Hermeacutetiques ces symboles et ces Hieroglifs mystiques de notre Religion a eacuteteacute ce

grand Docte et pieux Personnage Guillaume Eveacuteque de Paris la profonde Science duquel a

toujours eacuteteacute admireacutee avec raison des plus sccedilavans Philosophes Hermeacutetiques de lAntiquiteacute et

particuliegraverement du bon Bernard Comte de Trevisan sccedilavant adepte Philosophe Hermeacutetique

car il est certain que cet Evecircque a fait et parfait le magistegravere des Sages Or comme il a plu agrave

la divine Providence de me faire la gracircce de me donner quelque lumiegravere et connaissance de la

Philosophie Physique et Hermeacutetique jai tellement travailleacute quapregraves un long temps beaucoup

de soins de lecture des bons Livres et avoir fait quantiteacute de belles et bonnes opeacuterations jai

enfin trouveacute la triple clef par son essence pour ouvrir le sanctuaire des Sages ou plutocirct de la

sage Nature de sorte que je peux fidegravelement expliquer les Ecrits paraboliques et eacutenigmatiques

des Philosophes anciens et modernes ainsi que jai expliqueacute assez clairement les Enigmes

Paraboles et Hieroglifs de ce triple Portail ce que je fais tregraves volontiers pour donner

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contentement aux sccedilavans amateurs de cet Art divin et exciter la curiositeacute des nouveaux

Candidats qui aspirent agrave la connaissance de la Science naturelle et hermeacutetique dont Dieu

soit loueacute et exalteacute agrave jamais Ainsi soit-il Fin

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