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Recomposer les espaces et réactualiser les lieux. Texte d'accompagnement à l'exposition solo de Sabrina Desmarteau intitulée Expo 67. Espace Projet. Montréal. Septembre 2012
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Expo 67
Exposition solo de Sabrina Desmarteau
ESPACE PROJET – Art contemporain + design
Recomposer les espaces et réactualiser les lieux
En intitulant son projet Expo 67, Sabrina Desmarteau nous rappelle le caractère historique des
compositions architecturales présentées, elle insiste sur leurs anciennes fonctions plutôt que sur
leurs nouvelles. Ces survivances nous indiquent qu’un passage a eu lieu, que ce que l’on croyait
connaître a une histoire autonome. Elle nous montre ce qui reste, nous confronte au présent de
ces vestiges auxquels elle supplée au discours actuel la mémoire du lieu.
Terre des hommes
L’exposition universelle de Montréal en 1967, sous le thème Terre des hommesi, fut pour la ville
l’occasion de profiter d’un rayonnement international, mais plus encore, d’une croissance
économique et culturelle. En six mois, l’événement a accueilli cinquante millions de visiteurs et
généré des revenus de plus d’un milliard de dollars. La superficie de l’Île Notre-Dame a doublé ;
l’Île Sainte-Hélène fut créée grâce aux résidus provenant de la construction du métro, inauguré
pour l’occasion quelques mois avant le début de l’expo ; Habitat 67, où logeaient les dignitaires de
passage, a aussi pris naissance. Les Montréalais, et les Québécois, ont découvert le monde avec
cet événement d’envergure qui s’est déroulé durant une période effervescente pour le Québec où
la Révolution tranquille amena rupture et changement au sein de la société contemporaine. Avec
ses soixante-deux pays invités et ses quatre-vingt-dix pavillons, le développement fut aussi
architectural et urbain. De tous ces pavillons, six sont encore aujourd’hui en activité : États-Unis,
Canada, France et Québec, Corée, Jamaïque et Tunisie. C’est ceux-ci que Sabrina Desmarteau a
choisi de représenter pour cette exposition. Avec ce projet, l’artiste continue de développer le
thème de l’environnement bâtit, elle l’avait fait précédemment avec sa série sur le métro de
Montréal (2009-2010). Cette fois, elle travaille autour de structures architecturales, de leur héritage
urbain et de leur réactualisation. Elle propose de voir comment ces compositions peuvent, sur la
toile, construire un nouvel espace et permettre un travail des lignes et des géométries.
Des espaces picturaux
Sabrina Desmarteau ne fait pas que reproduire des bâtiments, elle construit dans ses œuvres des
espaces architecturaux qui sont à la fois des vues de l’intérieur et de l’extérieur, des plans
d’ensemble et des plans rapprochés, figuratifs et abstraits. Les limitations physiques des structures
sont déjouées par le traitement qu’elle propose, elle suggère des combinaisons impossibles en
déconstruisant les logiques spatiales. Ses compositions de lignes tissent de nouveaux liens entre
les éléments des structures, permettent de voir les constructions d’un angle géométrique avec un
traitement esthétique graphique. Ainsi, elle crée des espaces qui se révèlent être des dispositifs
spatiaux. De nouveaux espaces qui n’existent autrement que par sa recomposition, qui proposent
une vision multiple, à la fois partielle et entière, précise et générale.
Les lieux anthropologiques et leurs fonctions
Le rapport qu’entretient Sabrina Desmarteau avec l’espace de la ville, précisément de Montréal, se
concentre pour l’instant sur le paysage urbain qui a émergé dans les années 1960. Mais pourquoi
représenter des structures architecturales nées il y a presque cinquante ans ? Pourquoi proposer
des œuvres qui reprennent ces icônes ? Par nostalgie ou par devoir de mémoire ? Ou plutôt car ce
sont des lieux qui ont appartenu à un pan important de l’histoire, qui ont contribué à définir une
appartenance au territoire, une certaine identité. Ces lieux sont alors à la fois historiques,
identitaires et relationnels. Des lieux anthropologiques, au sens où l’entend Marc Augéii, qui sont
des constructions concrètes et symboliques de l’espace. Historiques, ce ne sont pas des lieux de
mémoire puisqu’ils sont encore actif, ont été réactivé par de nouvelles fonctions, mais portent
toujours les traces des événements passés. Nous vivons dans leur histoire, puisqu’en plus de
s’inscrire dans l’espace, ils s’inscrivent dans la durée, le temps est vaincu, l’histoire n’est pas
oubliée. Les événements de l’expo 67 ont participé, dans le contexte socio-politique de l’époque, à
voir naître l’identité d’un peuple, ou sa renaissance, certainement son ouverture au monde qui eue
des retombées jusque dans la reconsidération des valeurs et des aspirations. Les lieux qui en ont
émergé se sont, par ricochet, inscrits dans cette quête identitaire et marqués d’une appartenance.
La relation se présente aussi comme critère pour considérer un lieu comme anthropologique.
Celle-ci se définit par les échanges qui s’y produisent, par les éléments qui y cohabitent, dans ce
cas précis, sans doute relié à l’aspect identitaire, les rencontres qui ont eu cours durant l’expo,
mais aussi maintenant dans les nouvelles fonctions qui réactivent sans cesse ces critères.
Permettant aux structures architecturales de survivre et de ne pas être uniquement des bâtiments,
de ne pas être que passage, ou non-lieux, dans lesquels rien ne perdure, aucune prise n’est
possible, mais plutôt de participer à l’histoire et au monde dans lequel ils sont posés. Le choix de
s’attarder aux reliques de l’expo 67 n’est donc pas vain, il conduit vers une relecture, voire
questionne les événements historiques et leur rayonnement actuel. Ces lieux, témoins, mais plus
encore, témoins devenus icônes, sont aujourd’hui toujours les emblèmes de Terre des hommes,
en plus d’avoir de nouvelles fonctions, ce qui contribue à ce qu’ils participent d’une histoire
contemporaine tout en soulignant le passé. Aujourd’hui, les pavillons de la France et du Québec,
situés à proximité l’un de l’autre, sont devenus le Casino de Montréal ; celui des États-Unis la
Biosphère ; le pavillon du Canada accueille aujourd’hui les bureaux administratifs de la Société
Jean-Drapeau ; celui de la Tunisie un restaurant ; celui de la Jamaïque est disponible pour la
location et du pavillon de la Corée il ne reste que la structure. Leurs nouvelles fonctions
économiques ou culturels n’atténuent pas l’image historique, elles permettent plutôt de se souvenir
tout en insufflant une seconde histoire.
Les œuvres de Sabrina Desmarteau, en plus d’être un travail de réactualisation de symboles dans
une perspective anthropologique, en est un sur la composition d’espaces picturaux. En
transposant sur la toile ces lieux en de nouveaux espaces, elle leur induit une dimension
esthétique. Elle déconstruit les formes architecturales, permet une dissolution du plan, un
éclatement de la géométrie. Il suffit alors de recomposer les structures. Il s’agit de participer à la
création d’images symboliques. Visiter ces lieux et leurs nombreuses couches narratives.
Texte de Catherine Barnabé
i Titre d’un roman d’Antoine de St-Exupéry de 1939. ii Augé, Marc. 1992. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité. Paris : Éditions du Seuil. 149p.