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Extrait de la publication

Extrait de la publication… · 2013. 10. 31. · La transcription des textes6 Pour représenter les paroles des témoins qui ont si librement et si gracieusement partagé avec moi

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  • HISTOIRE ET TRADITIONS ORALESDES FRANCO-ACADIENS

    DE TERRE-NEUVE

    Extrait de la publication

  • Les Nouveaux Cahiers du CELAT font état des travaux et des activitésscientifiques menés et organisés par les chercheurs du Centre d’étudesinterdisciplinaires sur les lettres, les arts et les traditions. En lançant cettecollection d’ouvrages, le CELAT entend se donner un moyen privilégiépour participer aux débats de fond traversant le champ des scienceshumaines et sociales, de même que pour approfondir la compréhensionde la société qu’il étudie.

    Le CELAT

    Directeur du centreLaurier Turgeon

    Directeur de la collection «Les Nouveaux Cahiers du CELAT»Réal Ouellet

    Comité éditorialMarc Angenot (Université McGill)

    Jean Bazin (École des hautes études en sciences sociales)Marie Carani (Université Laval)

    François-Marc Gagnon (Université de Montréal)Barbara Kirshenblatt-Gimblett (Université de New York)Khadiyatoulah Fall (Université du Québec à Chicoutimi)

    Bogumil Jewsiewicki-Koss (Université Laval)Jocelyn Létourneau (Université Laval)Henri Moniot (Université de Paris VII)

    Réal Ouellet (Université Laval)Robert St. George (Université de Pennsylvanie)Rien T. Segers (Rijksuniversiteit te Groningen)

    Laurier Turgeon (Université Laval)

    Extrait de la publication

  • Gary R. Butler

    HISTOIRE ET TRADITIONS ORALESDES FRANCO-ACADIENS

    DE TERRE-NEUVE

  • Les éditions du Septentrion sont inscrites au Programme de subvention globale duConseil des Arts du Canada et reçoivent l’appui de la SODEC.

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des sciencessociales, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines duCanada.

    Révision : Solange Deschênes

    Mise en pages : Folio infographie

    © Les éditions du Septentrion Diffusion Dimedia1300, av. Maguire 539, boul. LebeauSillery (Québec) Saint-Laurent (Québec)G1T 1Z3 H4N 1S2

    Dépôt légal – 4e trimestre 1995Bibliothèque nationale du QuébecISBN 2-89448-053-9

    Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRION

    vous pouvez nous écrire au1300, av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

    ou par télécopieur (418) 527-4978

  • REMERCIEMENTS

    Cet ouvrage représente la réalisation d’un projet commencé il y amaintenant quinze ans lors de ma première visite à la presqu’île de Port-au-Port. Il me serait impossible d’exprimer combien je suis redevableaux Franco-Terreneuviens et Franco-Terreneuviennes qui ont partagéavec moi leur tradition, leurs expériences et leur culture. Sans leurcoopération, toujours si librement et gracieusement offerte, le présentouvrage n’aurait jamais vu le jour. J’espère qu’ils le trouveront dignede leur collaboration. En particulier, je voudrais remercier M. etMme Michael Félix et leur famille, habitants de L’Anse-à-Canards, quim’ont toujours chaleureusement reçu chez eux pendant mes périodes detravail sur le terrain.

    Je tiens surtout à remercier mon épouse, Ruth King, qui m’a initié àla culture des Franco-Acadiens de Terre-Neuve et qui m’a tant soutenuet encouragé dans tous mes projets. En tant que linguiste accomplie etspécialiste de l’étude du parler acadien de cette région, elle m’a fournides renseignements d’une importance inestimable; son enthousiasmeaussi bien que son œil critique m’ont toujours bien servi. Je veux remer-cier Édouard Beniak, rédacteur bilingue professionnel, qui a lu une ver-sion préliminaire du manuscrit et a corrigé les pires fautes grammaticaleset stylistiques. Je reconnais aussi la contribution de J. Patrick O’Neill quia soigneusement préparé les transcriptions musicales qui paraissent danscet ouvrage. Il m’a été possible d’engager M. O’Neill grâce à unesubvention de recherche fournie par la Faculté des lettres de l’UniversitéYork.

    Les données sur lesquelles repose le présent ouvrage ont étérecueillies, organisées et analysées grâce à des subventions de recherches

    Extrait de la publication

  • LES FRANCO-ACADIENS DE TERRE-NEUVE8

    du Conseil de recherches en sciences humaines (1987-1990; 1988-1991;1991-1994). Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de laFédération canadienne des études humaines, dont les fonds proviennentdu Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Extrait de la publication

  • INTRODUCTION

    Les Franco-Acadiens de Terre-Neuve habitent la région de la baie Saint-Georges–presqu’île de Port-au-Port, sur la côte occidentale de l’île. C’estun peuple qui, depuis maintenant plus de deux cents ans, mène la vietraditionnelle de petit pêcheur-fermier domestique dans le contexte d’uneculture d’expression principalement orale. Descendants, d’une part,d’immigrants acadiens venus de la Nouvelle-Écosse et, d’autre part, depêcheurs français originaires du nord de la France, ce peuple garde,malgré l’influence croissante de la culture dominante anglaise, un fortattachement à son patrimoine vivant, y compris la langue et les traditionsde ses aïeux. Cet ouvrage tente de faire ressortir, à partir d’une étude desmultiples facettes de la vie quotidienne des habitants, le portrait d’unpeuple isolé et presque oublié.

    Bien que l’histoire des Franco-Terreneuviens commence à la fin duXVIIIe siècle, très peu de recherches sur leur vie sociale, culturelle oulinguistique furent entreprises avant les années soixante. En 1952, legéographe français, Pierre Biays, écrivit un court article sur l’économiedu village de Cap-Saint-Georges sans toutefois traiter en détail la vietraditionnelle de la région1. En 1964, John T. Stoker, à l’époque directeurdu Département de français à l’Université Memorial de Terre-Neuve,publia un article dans lequel il proclamait à tort que la population fran-cophone n’avait produit aucune culture, originale ou traditionnelle, etqu’il y avait peu de traces de chansons folkloriques, de contes populaires,ou d’artisanat2. Cette évaluation pessimiste et notoirement trompeuse del’état soi-disant détérioré de la culture franco-terreneuvienne aurait pudécourager la poursuite des recherches, mais heureusement les déclara-tions de Stoker furent bientôt contrées. En 1965, l’ethnomusicologue

    Extrait de la publication

  • LES FRANCO-ACADIENS DE TERRE-NEUVE10

    Kenneth Peacock fit publier trois tomes sur la chanson traditionnelle àTerre-Neuve, et parmi les centaines de textes répertoriés figuraient plusde quarante chansons folkloriques françaises recueillies sur la côte ouestde l’île3. Aujourd’hui, le nombre de chansons folkloriques françaisesrecueillies dans la région s’élève à plus de deux cents.

    Malgré ces démarches préliminaires, ce n’est véritablement qu’à par-tir des années soixante-dix que furent entreprises des recherches appro-fondies et rigoureuses sur la culture traditionnelle franco-terreneuvienne.Pendant cette période, Gerald Thomas, fondateur et directeur du Centred’études franco-terreneuviennes (CEFT) à l’Université Memorial, aétudié la tradition narrative des contes populaires parmi les francophonesde la presqu’île de Port-au-Port4. Cette étude, publiée en 1983, examineles règles esthétiques qui gouvernent la performance de ce genre denarration et, par une analyse contextuelle de l’art de trois conteurs dansles communautés de Cap-Saint-Georges et L’Anse-à-Canards, démontrela distinction qui existe entre les dimensions «publiques» et «privées» decette tradition. Par la suite, des linguistes et des ethnologues ont apportéleurs propres contributions à l’étude de la culture et de la langue de cetterégion.

    Les recherches sur le terrain

    Les données sur lesquelles repose le présent ouvrage furent recueillies aucours de deux projets de recherches très différents. Le premier s’estdéroulé sur une période de six ans, entre 1979 et 1985, au terme delaquelle j’avais passé en tout presque un an complet dans la région de lapresqu’île de Port-au-Port afin de recueillir des renseignements culturelset sociaux tout en vivant comme participant-observateur parmi lesFranco-Terreneuviens. Pour ce faire, après mon «initiation» dans la com-munauté, j’ai essayé de prendre part autant que possible à la vie quo-tidienne des gens. Bien sûr, ma participation était limitée par des consi-dérations d’ordre pratique et culturel, mais les habitants ont vite acceptéma présence. Ayant compris pourquoi je m’intéressais à leur vie, à leurculture et à leur langue, et possédant eux-mêmes un sens inné de l’im-portance potentielle de ce genre de recherches, ils ont accepté, presquesans exception, de faire tout leur possible pour coopérer avec moi et dem’aider dans mon travail. Ainsi j’ai réussi à recueillir presque centheures d’enregistrements sonores et quelques centaines de pages de notes

    Extrait de la publication

  • 11INTRODUCTION

    manuscrites traitant de tous les aspects de la culture traditionnelle franco-terreneuvienne. Ces données m’ont servi à rédiger ma thèse de doctoratainsi qu’un ouvrage sur le discours des croyances surnaturelles publiéquelques années plus tard5.

    En 1988, avec l’appui financier du Conseil de recherches en scienceshumaines du Canada, j’ai organisé un deuxième projet dans le but derecueillir des données supplémentaires sur la culture traditionnellefranco-terreneuvienne. Pour ce projet, qui devait durer un an, j’ai encadréune équipe d’assistants de recherche composée de huit habitants fran-cophones de la communauté de L’Anse-à-Canards. Ces huit assistants,quatre hommes et quatre femmes entre 21 et 70 ans, avaient pour tâched’enregistrer un certain nombre d’entrevues avec leurs voisins et lesmembres de leur famille. À la fin de cette année de travail, plus de deuxcents cassettes m’ont été remises, ce qui me donnait un total de plus detrois cents heures d’enregistrements sonores, dont beaucoup ont servi auprésent ouvrage.

    La transcription des textes6

    Pour représenter les paroles des témoins qui ont si librement et sigracieusement partagé avec moi des tranches de leur vie, j’ai essayé detrouver un mode de présentation qui préserverait aussi fidèlement quepossible la syntaxe, la morphologie et le lexique du dialecte acadien queparlent les Franco-Terreneuviens. À cette fin, je n’ai aucunement stan-dardisé ni normalisé ces éléments linguistiques, et c’est ainsi que l’ontrouvera des formes morphologiques régularisées telles que les suivantes:«ils allont» (F.S. «ils vont»); «chevals» (F.S. «chevaux); et «ils usiont»(F.S. «ils employaient»). On trouvera aussi des constructions interroga-tives comme «quoi ce que» (F.S. «qu’est-ce que»); «où ce que» (F.S. «oùest-ce que); et «quand ce que» (F.S. «quand est-ce que»). Quant aulexique, la langue franco-terreneuvienne, comme les autres variétés defrançais de l’Amérique septentrionale, a emprunté des mots à l’anglais etaux langues autochtones avec lesquelles elle s’est trouvée en contact, etpar la suite les a incorporés et adaptés selon les besoins du peuple. Ainsi,on trouve des noms anglais comme «cake» (F.S. «gâteau»); «homebrew»(F.S. «bière maison»); «game» (F.S. «jeu»); et «seventh son» (F.S. «sep-tième fils»)7. Chaque emprunt est représenté sans modification; les prin-cipes orthographiques de la langue d’origine ont été respectés. Là où un

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  • LES FRANCO-ACADIENS DE TERRE-NEUVE12

    verbe d’origine anglaise a été adapté à la morphologie du français, laracine respecte l’orthographe anglaise, et la terminaison l’orthographefrançaise. Ainsi, on trouve des formes verbales comme «ça shinait» (F.S.«ça brillait»); «ils ridont» (F.S. «ils chevauchent»); «teacher» (F.S.«enseigner»). En outre, le dialecte franco-terreneuvien contient plusieursconjonctions et interjections d’origine anglaise («so»; «anyway»; «MyGod!»; «Holy Gee!»), et celles-ci sont représentées telles quelles dans lestranscriptions. Enfin, tout élément d’origine anglaise est en italiques dansle texte, et l’annexe IV en fournit une liste avec des traductionsfrançaises.

    On notera que la discussion précédente ne fait aucune mention de laphonologie. Comme toute langue de distribution régionale, le françaisterreneuvien incorpore un système de principes prévisibles qui gouver-nent la prononciation. En raison des buts particuliers de leurs études,plusieurs chercheurs ont essayé d’établir des systèmes orthographiquespermettant la représentation fidèle de tout aspect de la prononciation nonstandard des Franco-Terreneuviens, telle que la palatisation de certainesconsonnes. Parfois, ils ont même choisi de se servir de l’orthographefrançaise pour représenter des mots empruntés à l’anglais. Il me sembleque cela crée des problèmes inutiles, car même l’orthographe conven-tionnelle ne reflète pas toujours les nuances du français parlé dit stan-dard. Le fait de changer de système ne sert qu’à rendre le texte écrit plusdifficile à lire, seul résultat possible d’un effort qui confond deux modesde communications complètement différents (l’écrit et l’oral). Le seulsystème orthographique qui soit vraiment capable de refléter la pronon-ciation est un système qui se sert d’un alphabet linguistique, tel quel’API (alphabet phonétique international). Pour ceux qui s’intéressentaux aspects linguistiques du dialecte régional, y compris la phonologieélémentaire, on en trouve une discussion à l’annexe II qui traite de lalangue franco-terreneuvienne8.

    Quant à la présentation textuelle, j’ai adopté les conventionsrégulières de la ponctuation. Quoique la plupart des textes soient pré-sentés sans interruptions du discours, dans certains cas il m’a paru préfé-rable, voire nécessaire, d’éliminer plusieurs mots ou phrases pour faci-liter la lecture et la compréhension du texte. De telles suppressions sontindiquées par trois points de suspension, comme dans l’exemple suivant:

    «La Sainte Vierge [...] elle, elle a passé les sept douleurs, eh?»

    Extrait de la publication

  • 13INTRODUCTION

    Les paroles supprimées consistent en des digressions ou interruptionsqui n’ont rien à voir avec le sujet de la discussion. Souvent, ce sont lesquestions du chercheur qui sont éliminées quand les réponses destémoins rendent ces questions superflues. Par contre, des suppressionsnécessitées par l’inaudibilité ou l’inintelligibilité du discours sont indi-quées par la présence de crochets:

    «je m’en souviens [] il y avait...»

    Enfin, les faux départs coupant les mots («il gué/il guérit») et leshésitations non lexicales («euh») sont supprimés afin de faciliter lalecture des textes.

    Parmi les textes présentés se trouvent un grand nombre de narrationscontenant des exemples de dialogue entre les personnages qui y figurent.Ce dialogue est mis entre guillemets simples, afin de le distinguer ducorps de la narration.

    Voici les conventions de transcription employées:« » = Paroles de l’informateur“ ” = Dialogue rapporté des acteurs narratifs[...] = Texte supprimé[ ] = Paroles inaudibles ou inintelligibles— = Changement abrupt de sujet/ = Coupure abrupte

    Observations narratologiques

    Dans cet ouvrage, le terme narration est employé sans égard au contenudes histoires ni aux contextes dans lesquels on les raconte. Cependant, ilest évident que les récits rapportant les expériences surnaturelles d’indi-vidus réels sont très différents de ceux qui, comme les contes populaireset merveilleux, racontent les aventures de personnages fictifs. Certes, denos jours, certains habitants contestent et même rejettent sans équivoquequ’il y ait du vrai dans beaucoup de ces narrations expérientielles. Néan-moins, c’est précisément le fait qu’elles présentent une vue mondialedémarquant le possible de l’impossible qui distinque de telles narrationsde la fiction. En raison de leur importance culturelle et de la lumièrequ’elles jettent sur la condition humaine des Franco-Terreneuviens, cesnarrations demandent une considération plus détaillée.

    Mode de communication aussi reconnaissable que répandu, lanarration a peut-être attiré l’attention des ethnologues et des folkloristes

  • LES FRANCO-ACADIENS DE TERRE-NEUVE14

    plus que n’importe quel autre genre traditionnel. Bien qu’à l’heureactuelle il y ait des spécialistes qui contestent toujours la définitionprécise de ce qui constitue une véritable narration, beaucoup de cher-cheurs acceptent la définition proposée par le linguiste William Labov:

    La narration est un terme spécialisé qui désigne l’une des maintes stratégiesdisponibles aux interlocuteurs pour la récapitulation d’expériences antérieures.La narration accomplit ce but au moyen de la règle fondamentale de la mise enséquence, qui permet à l’auditeur de déduire l’ordre temporel des événementspassés en se référant à la séquence temporelle des propositions dans le récit deces événements9.

    La plupart des narrations expérientielles dont il sera question ici sontaussi des récits conversationnels en ce sens qu’elles se situent dans descontextes de conversation spontanée entre plusieurs individus, par con-traste avec les contes qui, eux, sont associés formellement à un contexted’interaction sociale structuré explicitement autour de la performance deces contes. Il n’empêche que les récits conversationnels, de caractèrespontané, sont susceptibles de se manifester pendant une conversationentre un petit nombre de personnes en train de s’amuser ou d’échangerdes nouvelles ou des souvenirs. On n’attribue pas de nom précis à detelles rencontres fortuites alors que l’on parle de «veillées», par exemple,dans d’autres contextes. Il y a néanmoins une différence à faire entredeux catégories de conversation ayant chacune leur fonction discursive.Chez les Franco-Terreneuviens, on se sert du verbe «parler» pour dési-gner une conversation dont le but est l’échange de nouvelles importantes,la discussion de soucis immédiats ou l’accomplissement de transactionspratiques. Par contre, le verbe «blaguer» s’applique plutôt aux conversa-tions qui servent principalement à promouvoir et à faciliter l’interactionpendant des occasions où l’on se réunit pour s’amuser. Ces occasionssont dominées par la narration de récits expérientiels, ce qui les trans-forme en «parties de blagues».

    Malgré ces généralisations contextuelles, il ne faut pas pour autantconsidérer que toutes les narrations expérientielles sont uniformes dupoint de vue de leur fonction et de leur statut discursifs. Un élémentimportant qui différencie ces narrations est le rapport entre le narrateuret les événements et personnages centraux, voire l’expérience, présentésdans le récit. Quelle que soit la provenance des récits, il est possibled’employer ce rapport narrateur-protagoniste pour définir un système decatégorisation empruntant les notions de «soi», «autre connu», et «autreinconnu»10. Les narrations personnelles, ou les mémorats, focalisent sur

    Extrait de la publication

  • 15INTRODUCTION

    le «soi», car le narrateur du récit est aussi le personnage central du récit.Par contre, les récits concernant un «autre connu» sont soit desnarrations familiales, soit des narrations communautaires. Les deuxidentifient et nomment le protagoniste mais, dans le cas des premières,il y a des liens de parenté entre narrateur et protagoniste, tandis que, dansles autres, de tels liens n’existent pas. Finalement, les récits traitant des«autres inconnus» n’identifient que très vaguement le personnagecentral, qui n’est ni parent du narrateur ni membre de sa communautésociale contemporaine, et sont classifiés comme des légendes ou deslégendes locales, selon l’endroit où l’expérience a eu lieu. Ces dis-tinctions ont été faites par d’autres chercheurs11, et Pentikaïnen considèreces catégories comme constituant un «système naturel de classi-fication12».

    Pour comprendre l’importance de ces distinctions, il faut considérerla notion d’autorité narrative, c’est-à-dire l’autorité que possède le narra-teur par rapport à la narration d’un récit donné. S’il s’agit d’une narrationpersonnelle, c’est le narrateur qui est le mieux placé pour décrire ce quiest arrivé et pour interpréter les phénomènes vécus. De même, quand ils’agit d’une narration familiale, le narrateur possède une autorité à lamesure des liens de parenté qui le lient au personnage central. D’unecertaine manière, dans ces deux cas, les récits «appartiennent» plus aunarrateur qu’à ses auditeurs. Par contre, comme les narrations commu-nautaires représentent les expériences d’une personne avec qui le narra-teur n’a aucun lien spécial, son autorité narrative est beaucoup moinsforte. Il se peut même qu’il y ait parmi les auditeurs quelqu’un qui soitplus compétent en matière de narration. Si cette notion d’autorité narra-tive est fondée, on s’attendrait à ce que les narrateurs évitent les narra-tions communautaires au profit des narrations familiales et personnelles.Une étude de ce genre entreprise à L’Anse-à-Canards a démontré que,sur les 127 narrations recueillies, 43 étaient personnelles et 38 familiales.Par contraste, il n’y avait que 17 narrations communautaires, les autresétant des légendes ou des légendes locales. Ces résultats confirment leprincipe d’autorité narrative ou de «droit à la performance13». Enfin, dansles contextes d’interaction réunissant des habitants d’âges différents,c’est aux plus vieux qu’on attribue le rôle de narrateur en premier lieu.

    Cette distinction opérationnelle et fonctionnelle entre les catégoriesnarratives reflète une vision de la narration orale comme stratégie aumoyen de laquelle les rapports sociaux entre les participants, et entre

    Extrait de la publication

  • LES FRANCO-ACADIENS DE TERRE-NEUVE16

    les participants et leur communauté socioculturelle, sont affirmés etrenforcés. Comme l’exprime Pentikaïnen:

    Lorsqu’on fait l’analyse de la tradition orale en tant que comportement social,il faut examiner les porteurs de tradition non seulement comme des trans-metteurs individuels de tradition, mais aussi comme des individus ayant certainsrôles sociaux à remplir dans la communauté. En créant une typologie desporteurs de tradition dans une communauté, il faut donc considérer leurs rôlessociaux, aussi bien que le comportement social réalisé pendant la transmissionde genres différents14.

    Notes

    1. Pierre Biays, «Un village terreneuvien: Cap-St-Georges», Cahiers de géographie, I(1952), p. 5-29.

    2. «...[the French population] produced no culture, either native to Newfoundland orhanded down, and there seems to be little or no trace of folksongs or folktales, arts orcrafts.» Voir John T. Stoker, «Spoken French in Newfoundland», Culture, XXV (1964),p. 358.

    3. Kenneth Peacock, Songs of the Newfoundland Outports, 3 tomes, Ottawa, NationalMuseum of Man, 1965.

    4. Gerald Thomas, Les deux traditions: le conte populaire chez les Franco-Terreneuviens, Montréal, Bellarmin, 1983.

    5. Gary R. Butler, ‘Saying Isn’t Believing’: Conversation, Narrative and the Discourseof Tradition in a French-Newfoundland Community, St. John’s, Institute for Social andEconomic Research, Publications of the American Folklore Society, 1990.

    6. Pour des discussions de la méthodologie et de la philosophie de la transcription destextes, voir Gerald Thomas, «Problèmes de transcription du texte narratif folkloriquedans un contexte franco-terreneuvien», dans Pierre Léon et Paul Perron, éds., Le conte,Ottawa, Didier, 1987, p. 37-48 (en particulier, voir les critiques de cet article par NicoleMaury dans le même tome, p. 49-54); et Vivian Labrie, «Précis de transcription dedocuments d’archives orales», Institut québécois de recherche sur la culture, coll. «Instru-ments de travail», no 4, Québec.

    7. Ce qui ne veut pas dire que les équivalents français de ces mots n’existent plus.Dans la plupart des cas, les deux formes continuent à être employées dans l’usagequotidien.

    8. Pour des études linguistiques du dialecte franco-terreneuvien, voir surtout Ruth King,«Linguistic Variation and Language Contact: A Study of the French Spoken in FourNewfoundland Communities», dans Henry J. Warkentyne, éd., Methods V: Papers fromthe Fifth International Conference on Methods in Dialectology, Victoria, University ofVictory, 1985, p. 211-237; «Le français terreneuvien: aperçu général», dans RaymondMougeon et Édouard Beniak, éds., Le français canadien parlé hors Québec: aperçusociolinguistique, Québec, Presses de l’Université Laval, 1988, p. 227-244; et «On theSocial Meaning of Linguistic Variability in Language Death Situations: Variation inNewfoundland French», dans Nancy C. Dorian, éd., Investigating Obsolescence: Studies

    Extrait de la publication

  • 17INTRODUCTION

    in Language Contraction and Death, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p.139-148.

    9. William Labov, «Speech Actions and Reactions in Personal Narratives», dansDeborah Tannen, éd., Analyzing Discourse: Text and Talk, Washington, GeorgetownUniversity Press, 1982, p. 225.10 . Henry Glassie, Passing the Time in Balleymenone: Culture and History of an UlsterCommunity, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1983, p. 69.11 Voir Otto Blehr, «The Analysis of Folk Belief Stories and Its Implications forResearch on Folk Belief and Folk Prose», Fabula, 9, 1967, p. 259-263; Lauri Honko,«Genre Analysis in Folkloristics and Comparative Religion», Temenos, 3, 1964, p. 48-66; B. K. Malinowski, «The Problems of Meaning in Primitive Societies», dans C. K.Ogden et I. A. Richards, éds., The Meaning of Meaning, London, Routledge, 1949,p. 296-336.12. Juha Pentikaïnen, Oral Repertoire and World View: An Anthropological Study ofMarina Takalo’s Life History, Helsinki, Academia Scientiarum Fennica, 1987, p. 128-130.13. Amy Shuman, Storytelling Rights: The Uses of Oral and Written Texts by UrbanAdolescents, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 61.14. Pentikaïnen, p. 16.

    Extrait de la publication

  • Carte 1: Île de Terre-Neuve

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  • Extrait de la publication

  • COMPOSÉ EN CORPS TIMES 11SELON UNE MAQUETTE RÉALISÉE PAR JOSÉE LALANCETTE

    CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMERSUR PAPIER OFFSET 100M

    EN DÉCEMBRE 1995, SUR LES PRESSES DE AGMVÀ CAP-SAINT-IGNACE, QUÉBEC

    POUR GASTON DESCHÊNESÉDITEUR À L’ENSEIGNE DU SEPTENTRION

    Extrait de la publication

    Histoire et traditions orales des Franco-Acadiens de Terre-NeuveREMERCIEMENTSINTRODUCTION