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Extrait de la publication · 2018-04-13 · Maquette intérieure : Anne Tremblay Mise en pages et versions numériques : ... rien. — Ça y est, elle s’est évanouie, faut que

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Éditions Druide 1435, rue Saint-Alexandre, bureau 1040

Montréal (Québec) H3A 2G4

www.editionsdruide.com

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ÉCA RTS

Collection dirigée par Normand de Bellefeuille

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L A F É E D E S B A L C O N S

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Favreau, Maude, 1976-La fée des balcons : roman(Écarts)

ISBN 978-2-89711-025-3I. Titre.

PS8611.A935F43 2013 C843'.6 C2013-940245-4PS9611.A935F43 2013

Direction littéraire : Normand de Bellefeuille Édition : Luc Roberge et Normand de Bellefeuille Révision linguistique : Diane Martin et Isabelle Chartrand-DelormeAssistance à la révision linguistique : Antidote 8Maquette intérieure : Anne TremblayMise en pages et versions numériques : Studio C1C4 Conception graphique de la couverture : www.annetremblay.comIllustration en couverture : Josée BisaillonPhotographie de l'auteur : Maxyme G. Delisle Diffusion : Druide informatiqueRelations de presse : Mireille Bertrand

ISBN papier : 978-2-89711-025-3ISBN EPUB : 978-2-89711-026-0ISBN PDF : 978-2-89711-027-7

Éditions Druide inc.1435, rue Saint-Alexandre, bureau 1040Montréal (Québec) H3A 2G4Téléphone : 514 484-4998

Dépôt légal : 1er trimestre 2013Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Il est interdit de reproduire une partie quelconque de ce livre sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.

© 2013 Éditions Druide inc.www.editionsdruide.com

Imprimé au Canada

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L A F É E D E S B A L C O N S

Maude Favreau

roman

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Maman? […] La faculté de réussir ou d’échouer dans la vie… c’est héréditaire?

Quino, Mafalda

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Lan Chau dit que, si son père savait tout ce qu’on fait chez moi sans supervision, je serais expédiée en orbite hors de leur planète, et puis il n’y aurait plus jamais aucun moyen de revenir me poser dessus. En attendant que monsieur Nguyen découvre le Potomac, je conti-nue à venir jouer aux dames dans la drôle de maison de mon amie. Le problème, c’est qu’on oublie toujours le temps qui déboule dans le cadran. Ça y est, je suis cuite. Plus cuite que ça, tu calcines. Ma mère doit s’évanouir d’inquiétude. Je me lève au beau milieu de la partie.

— Lan, faut que j’appelle chez moi tout de suite et immédiatement, que je lui dis la main sur le cœur.

Elle me passe le téléphone. J’ai la tremblote en com-posant mon numéro. Une voix surexcitée me répond.

— Oui allo ? Ma fille a disparu ! A portait un chan-dail rayé jaune et rose avec des culottes carreautées quand je l’ai vue pour la dernière fois. Mon Dieu ! Dites-moi où elle est, je vous en prie !

— Maman ! Youhou, maman !— Je la revois partir pour l’école, avec ses beaux

yeux collés ! Dites-moi que c’était pas la dernière fois… Mais y’a tu quelqu’un qui va me dire où a s’cache ?

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— Maman !Il est aussi facile de placer un mot dans son appel à

l’aide que de traverser l’autoroute à pied sans se faire frapper.

— IMMACULÉE ! C’est MOI ! VALENTINE !, que je crie pour stopper sa déboulade d’énervement.

À l’autre bout du fil tonne un bruit sourd, puis, plus rien.

— Ça y est, elle s’est évanouie, faut que je rentre immédiatement.

— Veux-tu que mon père y aille avec toi ?— Non, ça va, j’suis habituée.J’enfile mon manteau, mes mitaines, mon foulard et

je fourre ma tuque au fond de ma poche. Je déteste mettre une tuque, ça m’aplatit les cheveux sur la tête et j’ai l’air d’un œuf cuit dur. Je déteste mettre une tuque, mais j’aime vraiment marcher toute seule, par exemple. Les yeux grands ouverts, je rêve à François-Xavier Miron et à toutes les chansons que j’écrirai plus tard. Le seul pro-blème, c’est que si je SAIS que je vais écrire plein de chan-sons, je n’arriverai jamais à approcher François-Xavier dans la vraie réalité parce que je suis trop gênée. Et de toute manière, qu’est-ce que ça donnerait ? Je ne suis pas belle comme il faudrait. (J’entends sursauter ma tante Mimi : « Valentine ! Veux-tu bien retirer ces paroles ? »). D’accord, mais sans être un laideron, je ne suis vrai-ment pas un mannequin de catalogue. Je dépasse tous les gars de ma classe d’une tête et je ne m’habille jamais à la fine pointe de la dernière mode. Non, moi, j’ai de bonnes grosses joues, les dents séparées d’un lapin, mais surtout, surtout : j’ai des lunettes. Et pas n’importe les-quelles : des binocles d’hypermétropes.

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MOI, VA L E N T I N E , QU I M E CROIS SI FORT E

Je les aime, mes lunettes, c’est pas ça le problème ! Je suis quasiment née avec ! Moi, je me trouve très bien comme ça et pas autrement, mais ces satanés verres me donnent des quenœils immenses, ce qui intrigue beaucoup les gens et leur fait souvent dire :

— Hein ! T’as donc ben des gros yeux ! Enlève tes lunettes, pour voir ! Wouaw ! Comment tu fais pour porter des loupes ?

Moi, quand j’enlève mes « loupes », comme ils disent, je ne me reconnais même pas. Mes yeux sont tellement petits qu’on dirait des raisins secs cachés au fond d’un muffin. Alors ça ne donnerait rien que je parle à François-Xavier. Si ça se trouve, on deviendrait meilleurs amis et il m’enverrait trouver Marie-Nadine pour savoir si elle veut sortir avec lui, non merci !

Regardez bien la photo de classe qu’on prend chaque année. Le regard glisse sur tous les visages lisses, cer-tains vraiment beaux, comme celui de FX, d’autres beaux comme dans un magazine, genre Marie-Nadine, qu’on dirait qu’elle a posé toute sa vie, et puis toc ! L’œil trébuche sur mes lunettes pas possibles. Je veux dire : il y a SEULEMENT moi qui ai l’air de ça.

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Alors soit vous me regardez comme il faut et vous me trouvez jolie ; soit vous buckez sur mes binocles, vous trouvez que j’ai des gros yeux, et ça vient de s’éteindre.

La vérité, c’est que je les haïs, les Marie-Nadine ! Je les haïs parce qu’elles veulent juste être plus belles, avoir l’air plus vieilles et porter des soutiens-gorge avant tout le monde. Des fois, la nuit, je les torture dans une caverne éclairée à la torche et elles hurlent et je leur dis : « Tant mieux ! Vous avez voulu être trop belles ? Payez astheure ! » Voyons, je ne ferais jamais ça ! J’y pense seulement pour me soulager. Ça me fait rugir le lion caché. De toute façon, je ne connais aucune caverne éclairée à la torche.

Je me demande si François-Xavier me trouve jolie. J’espère tellement qu’il voit à travers mes lunettes le fond de mon âme… Comme ça, je n’aurais pas besoin de lui dire que je l’aime plus que mes chats, plus que mes livres, plus que mon piano, plus que le chocolat. Mais impossible de lui en toucher un mot. Parce que si jamais il me disait qu’il veut juste être mon ami, ça serait pire que tout. Je préfère rêver qu’on marche main dans la main sur la route de mon chalet, qu’il m’aime en secret depuis toujours, puis ça me donne des tas d’idées pour les chansons que j’écrirai plus tard et puis, et puis… J’arrive devant chez moi, j’arrête mon cinéma. J’ouvre la porte : silence…

— Maman ?Un peu inquiète, j’avance lentement dans le long

corridor qui sépare notre appartement en deux. Ce n’est pas la première fois qu’elle me fait le coup. Maman est la grande personne la plus nerveuse que je connaisse. Elle s’évanouit au moindre courant d’air.

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Avant, ça m’effrayait à m’en enlever les lunettes pour partir dans un autre monde, mais maintenant, ça va. Je suis capable de faire face.

Deuxième porte à droite, le salon. Je risque un œil à l’intérieur : elle est là, étendue sur le sofa, la joue pâle et le sourcil froncé. Opération réveil : caporale Valentine en action. Je remplis mon vaporisateur d’eau glacée, et je lui en envoie une pleine bouteille à la figure. Comme à chaque fois, maman se redresse brusquement et me regarde, confuse.

— Que… qu’est-ce qui se passe ? Valentine !— C’est moi, maman. Je m’excuse de pas t’avoir pré-

venue cet après-midi. Je te promets que je recommen-cerai plus.

— J’étais sûre que t’avais disparu ! J’ai même pas préparé à souper tellement j’ai eu peur de plus jamais te revoir. Je me disais comment ça serait terrible de passer toutes mes soirées comme ça, à fixer les murs en attendant ton retour… Fais-moi jamais ça, plus jamais !

— C’est promis, ma belle maman, promis-juré-double-craché. Bon, es-tu correcte, là ? Pauvre toi, t’es tout en sueurs. Veux-tu qu’on se fasse un grilled cheese ?

— Y’a du macaroni dans le frigo. Mais je suis telle-ment exténuée… Je pourrai pas manger.

— Faut que tu te reposes, je t’ai trop fait peur ! Excuse-moi, ma belle maman préférée ! Je vais me ser-vir à souper toute seule. Inquiète-toi pas pour moi.

Elle fume une bonne cigarette pour se calmer, puis se dirige vers sa chambre où je la borde dans son grand lit.

— Dors bien, maman chérie.

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— À tout de suite, mon cœur, ma Valentine pour la vie, qu’elle me dit en franchissant la porte du pays des rêves.

Ouf ! Maintenant, je peux m’occuper de moi. Vous savez, ma mère, contrairement aux parents de mes amis, elle ne me chicane JAMAIS ! Avec elle, c’est tout le temps samedi. Et puis on fait tout ensemble : l’épi-cerie, la lecture, les grandes marches dans le quartier à se raconter des histoires pas possibles… On fait tout ensemble, sauf le ménage, parce qu’on déteste ça. On préfère attendre que le plancher soit couvert de mou-tons auxquels on donne des noms, et puis un jour, on décide que c’est assez et on appelle un homme de ménage, qui met les moutons en cage et astique les meubles jusqu’à tant que les chats puissent patiner dessus.

Ma mère, c’est la plus chouette grande personne que je connaisse. Comme tout le monde, elle a des défauts de fabrication, mais rien d’assez grave pour exiger un échange ou un remboursement. Bon, elle n’est pas comme mes tantes et les mères de mes amis, ces femmes réussies qui s’habillent normalement, qui ne fument pas autant, qui cuisinent, se maquillent, ont un mari ou, en tout cas, un monsieur dans leur vie. Mais ma seule vraie mère, c’est la mienne, celle qui m’a portée dans son ventre même si ça ne lui tentait pas. Parce que je ne devais pas être de tout repos, moi, bébé dans son ventre, non, madame, puis non, monsieur ! Il paraît que je chantais. Oui, je chantais ! Et juste avant de sortir, je jouais du tambour. Puis si j’avais eu des crayons, bien j’aurais dessiné, j’en suis sûre ! Mais je ne chantais pas seulement pour être malcommode…

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Je devais faire reculer le trou noir et les forces obscures qui venaient flirter avec moi, le petit bébé tout seul dans le ventre de sa mère.

Je m’en souviens, du trou, parce qu’il est toujours là, quelque part pas trop loin. Je n’aime pas vraiment ça, quand maman tombe dans les pommes. Ça me fait monter du métal dans la bouche. J’ai toujours peur qu’elle se soit empoisonnée en buvant son éter-nel café. Non, mais, c’est pas la meilleure cuisinière en ville, ma mère. Elle réussit très bien le macaroni en boîte, les bâtonnets de poisson ou la pizza congelée. Mais en dehors de ça, qu’est-ce que vous voulez, des fois ça tourne au vinaigre et j’ai vraiment peur qu’elle s’étouffe avec.

Maintenant que je la sais bien au chaud sous les cou-vertures, le danger est écarté. L’appartement redevient une bulle dans la ville, et il reste de mon plat préféré au frigidaire. La neige doucement se met à tomber en flocons brillants comme les collants que la maîtresse met dans mes cahiers. Le nez collé dans la fenêtre, je m’embue la vue à chaque respiration. Quand même… c’est beau, le ciel plein de petits points mouvants. Sur le balcon, j’appelle Crème de Blé. Des aiguilles gla-cées me piquent la peau. Je frissonne jusque dans les yeux. Il ne fait vraiment pas chaud et le chat, qui vient d’apparaître au fond de la cour, a l’air de me chicaner d’être aussi peu vêtue…

— C’est facile à dire, toi, t’es tout le temps habillé ! Viens, minou, on va manger !

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L E S M A L-NOM M É S

On a deux chats : Clémentine et Crème de Blé. Quand Clémentine était bébé, j’ai dit à Ima que je l’appelle-rais Orange une fois adulte. Je me trouvais bien bonne d’avoir pensé à ça toute seule. Finalement, elle a triplé de volume, et elle a gardé son nom de chaton. Quand on prend l’habitude d’appeler un chat un chat, bien on ne peut plus l’appeler autrement. Et Crème de Blé, c’est le plus vieux chat dont je me souviens. J’étais vrai-ment petite (même si j’ai toujours été grande) quand j’ai trouvé son nom. En fait, je ne m’en souviens pas vraiment, c’est ma mère qui me l’a rappelé. Elle m’avait demandé mon avis, je devais être en train de déjeuner, parce que j’ai dit « Crème de Blé », et ça a scellé le des-tin du gros chat noir à rayures… Le pire, c’est qu’on l’a toujours appelé « minou », ou bien « mine », ou bien « chat »… Crème de Blé et Clémentine, c’est juste pour vous les démêler, finalement.

Tout ça pour dire qu’après avoir dévoré ses Meow Mix, mon matou piétine devant la porte, l’air pressé de retourner dehors, comme si ça faisait trois jours qu’il poireautait là.

— Mais non, tu veux pas sortir ! C’est une illusion d’optique.

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Comme je suis une grande petite fille, je décide du programme de ma soirée. D’abord, je me sers la plus grosse portion de macaronis du monde. Ensuite, j’écoute la télé jusqu’à la fin des émissions. Voilà. Congé de devoirs, de bain et de brossage de dents. D’habitude, je me couche avant neuf heures, mais là, c’est Autant en emporte le vent qui joue, mon film préféré à vie… Évidemment, malgré toute ma bonne volonté, aussitôt l’estomac repu, mes paupières s’alour-dissent jusqu’à se fermer complètement.

Je me retrouve avec Scarlett et Lan Chau au milieu d’un bal. Nous contemplons les belles robes de l’assis-tance. J’en ai le souffle coupé. Puis, François-Xavier fait son apparition, en compagnie de Rhett Butler. Dans son beau costume de monsieur, il s’avance vers moi et me tend la main pour danser. Mon cœur joue au tennis. J’ai les mains moites, je vais défaillir…

— Ma puce ! Viens te coucher, y’est tard, allez !— Maman ! Pas tout de suite ! Je suis en train de

valser avec François-Xavier !— Tu vas danser toute la nuit, ma rêveuse, mais

dans ton lit. C’est à mon tour de te border. Ouf ! Une vraie poche de patates !

Dans les brumes de la nuit, je fais signe à FX de m’attendre quelques instants. Je me laisse por-ter dans mon lit par maman comme quand j’étais petite. Elle veut m’enlever mes lunettes, mais alors, j’ai peur de ne plus voir le bal dans ma tête. Je lui dis de me les laisser. Un sourire éclaire son beau visage quand elle sort sur la pointe des pieds, me laissant tout habillée sous les couvertures avec mes binocles sur le nez.

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Les mal-nommés 21

Ma mère est spéciale. Des fois, j’ai l’impression d’être plus vieille qu’elle. Des fois, aussi, je la trouve un peu bizarre, mais en dehors de ces moments-là, je l’aime tellement que si elle disparaissait, je pense que j’en mourrais.

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L’A R BR E ET L E J eLL-O

Je ne me souviens pas d’avoir habité avec mes deux parents. On dirait qu’ils n’ont jamais été ensemble. Et c’est comme ça pour quasiment toutes mes amies ! Même que moi, je suis chanceuse, parce que j’ai des grands-parents, des tantes, des oncles, et des cousins. La grande Lola, elle a seulement sa mère et un grand-père empaillé à l’hospice. Des fois, j’aimerais ça, avoir juste ma mère, par exemple. Les mamans, elles nous laissent tout faire : manger devant la télé, dormir habillés, magasiner et parler au téléphone jusqu’à l’ex-tinction de voix. Tandis que les pères, ça met plein de conditions et ça aime ça dire non. Pire encore : quand on les pousse à bout, ils deviennent tout rouges et il faut vite déguerpir au risque d’être épinglés sur le tableau de leur frustration. Les pères sont des géné-raux qui lacent trop fort les patins de hockey.

Je dis ça parce que quand le mien se fâche, il fait peur à voir. Il parle tout bas, comme s’il retenait des taureaux derrière ses dents. Comme je le connais depuis que je suis née, j’ai juste à courir me cacher dans ma chambre, le temps que les bêtes retournent dans l’enclos de son estomac. Mais Ima ne peut pas

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apercevoir le moindre bout de corne sans se dissoudre dans sa nervosité.

Mes parents sont les deux personnes les plus diffé-rentes de l’univers. Si maman a une colonne vertébrale en Jell-O, mon père porte une planche vissée en per-manence dans le dos. Il est plus droit qu’un arbre, plus précis qu’une règle, plus solide qu’une statue. Je ne l’ai jamais vu pleurer, jamais vu perdre la face, jamais vu se lamenter. Avec lui, on sait toujours où on s’en va, et si on ne le sait pas, ça ne sera pas bien long qu’on va l’apprendre.

Je n’ai aucun souvenir du jour où papa est parti, mais je sais qu’Ima y repense encore parce qu’elle lui lance des malédictions des fois, la nuit. Comme je dors tout le temps avec elle, j’essaie de ne pas y prêter atten-tion, mais c’est difficile… Je veux dire, il est un peu détestable, mon père, avec ses règlements et sa ligne de conduite impossible à faire dévier, mais il m’apprend des tas de choses, et puis il m’emmène au musée, au théâtre et au cinéma. Si vivre avec Ima, c’est passer une journée aux cascades d’eau, habiter avec mon père ressemble davantage à une balade en machine dans la campagne ensoleillée. Ça repose le ciboulot, mais je m’endors toujours en auto, si vous voyez ce que je veux dire.

Et puis maman a BESOIN de moi. Ce n’est pas ce que j’ai dit à papa pour lui annoncer que je partais vivre avec elle quelque temps, non. J’ai plutôt affirmé que je préférais demeurer près de l’école et de mes amis. Il a eu l’air très surpris. Même que ça lui a fait de la peine, et c’est rare qu’il en ait, croyez-moi. Quelle drôle de vision que celle d’un arbre ému, mais voilà : je

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L’arbre et le Jell-O 25

dois accompagner l’Ima qui ne se remet de rien quand je n’y suis pas.

Papa a respecté mon souhait. Je lui ai promis qu’on se verrait de temps en temps, et qu’on retournerait au musée ou au restaurant pour manger des éclairs au chocolat. De toute façon, Immaculée va sûrement reve-nir un jour du pays de sa peine, et alors tout repren-dra sa place. Comme avant, je me diviserai pour bien profiter de mes deux maisons et de mes deux parents. Mais en attendant…

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L A M A ISON SA NS HOR A I R E

Je suis vraiment chanceuse d’avoir une mère comme la mienne, parce que c’est ma meilleure amie. Ensemble, on fait sauter toutes les règles que les vrais parents inventent à longueur de journée. Dans notre vieil appartement, il y a des disques et des livres par-tout, des tapis à salir, des divans qu’on peut défoncer, des garde-robes remplis de linge pour se déguiser. Le frigo contient toujours de la liqueur, le garde-manger, du chocolat et des jujubes. Dans notre maison aux portes ouvertes et aux fenêtres sans moustiquaires, tout le monde est le bienvenu : amis, famille, animaux, moustiques et papillons.

Chez nous, ça bouge tout le temps. Nos voisins montent et descendent pour s’emprunter de la farine et des cigarettes ou se faire des soirées improvisées. En haut, il y a Robert que sa blonde, c’est un autre mon-sieur, et juste à côté demeure la famille d’Amélie avec laquelle on partage notre balcon.

Ce soir, les voisins ont décidé qu’on souperait ensemble, alors tout le monde débarque chez nous. En deux temps, il y a plein de trucs à grignoter et la fête du mardi peut commencer ! On chante et on rit

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28 L A F É E DE S BA L C O N S

vraiment fort, et avec Amélie, on joue jusqu’à l’épui-sement généralisé. À la fin de la soirée, notre cuisine sens dessus dessous ressemble à un paquebot coulé. Accrochée à son verre de vin, Ima contemple la nuit trouée par le lampadaire dans la ruelle.

— Maman, qu’est-ce que tu fais ?— Je me repose, ma coccinelle.— Pourquoi tu viens pas te coucher ?— Ça sera pas long, j’arrive. — Je reste avec toi, d’abord.— T’as de l’école demain, toi. Et pis y’est tard, non ?

Faudrait que t’ailles te coucher.— Tu travailles demain, toi ! Et pis y’est tard ! Toi

aussi, faudrait que t’ailles te coucher !— Moi, c’est pas pareil, je suis une grande per-

sonne. J’ai pas besoin de sommeil autant que toi.— C’est pour ça que tu passes ton temps à dormir

quand tu travailles pas ?Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Ça la rend triste

que je lui rappelle ses journées noyées dans le sommeil. Mais je ne connais personne d’autre qu’elle qui passe toutes ses fins de semaine au lit, alors que les gens sont tellement contents d’avoir congé pour skier, magasi-ner, se promener, aller au cinéma ou au restaurant… Le samedi, quand j’habitais chez lui, plutôt que de me laisser dormir, papa me tirait du lit en me serinant des : « Ô Valentine ! Regarde comme le soleil attend après nous ! On a plein de choses à faire aujourd’hui ! » Oui : des activités excitantes comme marcher dans un sen-tier bouetteux, escalader une montagne essoufflante en mangeant des noix, ou écouter de la musique sur le tourne-disque qu’il faut toujours faire super attention

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La maison sans horaire 29

pour ne pas rayer les disques, pour ne pas émousser l’aiguille, pour ne pas défoncer les haut-parleurs avec le volume à « deux ».

— HO ! Maman ! Je voulais pas te peiner comme ça ! Viens te coucher avec moi, allez ! On va se coller et tu me liras ton livre jusqu’à tant que je m’endorme, OK ? Viens donc !

Ça ne lui tente pas, ce soir, de se coucher en même temps que moi, même s’il est super tard et qu’elle travaille demain. Je me dirige vers ma chambre. Elle vient me donner un gros bec à la cigarette et aussi-tôt la porte refermée, je la rouvre pour sauter dans le champ de son grand lit aux draps fleuris. Pelotonnée de mon côté, je tombe comme une tonne dans le som-meil. Maman ne me tassera jamais de là. Elle est bien incapable de troubler la paix quand elle la trouve.

Extrait de la publication

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Et puis il faut bien se rendre à l’évidence : on ne se fait pas toute seule ! Si je suis le produit

de milliers de rencontres, ce texte plus spécifiquement doit son existence aux étincelles

allumées par les êtres nommés ci-bas. 

À Jennifer Tremblay et Benoît Bouthillette, qui ont su voir l’arbre dans le germe, et puis à monsieur de Bellefeuille,

qui a pris le relais de bien belle façon ; 

aux Favreau-Laporte-Michaud,aux Hubert,

aux Villeneuve,à monsieur Joly ;

 à mes chers Gaouettes chéris,

et à mes vieux amis qui sauront se reconnaître ; 

à Bouddha et Jésus ;aux chouettes copains de la SAQ ;

 à tous ceux qui ont pris soin de moi

depuis la nuit des tempset finalement à vous qui vous êtes rendus jusqu’ici :

 je lance un immense

MERCI !

R E M E RCI E M E N T S

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M AU D E FAV R E AU

L’écriture est une stabilité, un phare au milieu de la mer démontée. Alors que puis-je en dire ?

 J’écris comme je respire.

 J’exècre la solitude, ce puits sans fin fond. Écrire va-t-il de pair avec un désir d’isolement ? Pas ici. J’écris comme je respire, mais le silence m’étouffe, et le vide m’envoie par-fois valser au plafond avec les araignées. Quand une saleté de virus me bousille les sens, je cille et je tousse, mais ça ne dure jamais bien longtemps.

 Je n’écris pas pour passer le temps.

 Difficile de flotter paisiblement quand une voix exige à tout coup de s’activer pour ne pas être avalée par le grand vide menaçant.

 La solitude inhérente à l’écriture m’est un défi. Celui d’amé-nager un espace de silence pour qu’émergent des grandes profondeurs — ces fonds marins — les miettes qui nourri-ront la baleine-imagination. Hé ! Non, vraiment, je n’écris pas pour passer le temps.

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J O SÉ E B I SA ILL O N

Josée Bisaillon est née en 1982 à Saint-Hyacinthe, au Québec.Après des études collégiales en graphisme, elle poursuit

ses études à l’Université du Québec à Montréal en design graphique. C’est là qu’elle tombe en amour avec l’illustration.

Le travail de Josée s’est rapidement distingué dans plu-sieurs concours, dont Applied Arts, American Illustration et Society of Illustrators (New York), en plus d’être finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général en 2008, pour son tout premier album illustré, Les habits presque neufs de l’empereur, et en 2010, pour Le Funambule.

En plus de son travail en illustration jeunesse, Josée col-labore régulièrement à plusieurs magazines et journaux au Canada, aux États-Unis et en Asie.

Depuis 2006, elle a illustré de nombreux romans, une multitude d’articles de toutes sortes, et plus de 15 albums jeunesse. Elle compte bien continuer sur cette lancée.

Josée vit en banlieue de Montréal avec son conjoint et leurs trois enfants.

 http://joseebisaillon.com

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