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Extrait de la publication · 2018-04-13 · X Épistémologie de la science politique Chapitre 8 Le cœur à Sparte, la tête à Athènes ou les difficiles tribulations des intellectuels

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ÉPISTÉMOLOGIE DE LA SCIENCE POLITIQUE

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PRESSES DE L’ UNIVERSITÉ DU QUÉBEC 2875, boul. Laurier, Sainte-Foy (Québec) G1V 2M3 Téléphone : (418) 657-4399 Télécopieur : (418) 657-2096 Courriel : secretariat @puq.uquebec.ca Catalogue sur Internet : http://www.uquebec.ca/puq

Distribution : CANADA et autres pays BELGIQUE

845, rue Marie-Victorin, Saint-Nicolas (Québec) G7A 3S8 Téléphone : (4 18) 83 1-7474 / 1-800-859-7474 Télécopieur : (4 18) 83 1-402 1

FRANCE SUISSE

30, rue Gay-Lussac, 75005 Paris, France Téléphone: 33 1 43 54 49 02 Télécopieur : 33 1 43 54 39 15

DISTRIBUTION DE LIVRES UNIVERS S.E.N.C. S.A. DIFFUSION- PROMOTION- INFORMATION Département la Nouvelle Diffusion 24, rue de Bosnie, 1060 Bruxelles, Belgique Téléphone : 02 538 8846 Télécopieur: 02 538 8842

LIBRAIRIE DU QUÉBEC À PARIS GM DIFFUSION SA Rue d’Etraz 2, CH-1027 Lonay, Suisse Téléphone : 02 1 803 26 26 Télécopieur : 02 1 803 26 29

La Loi sur le droit d’auteur interdit la reproduction des œuvres sans autorisation des titulaires de droits. Or, la photocopie non autorisée - le « photocopillage » - s’est généralisée, provoquant une baisse des ventes de livres et compromettant la rédaction et la production de nouveaux ouvrages par des professionnels. L’objet du logo apparaissant ci-contre est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit le développement massif du « photocopillage ».

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ÉPISTÉMOLOGIE DE LA SCIENCE POLITIQUE

Sous la direction de

Lawrence Olivier Guy Bédard Jean-François Thibault

1998

Presses de l'université du Québec 2875, boul. Laurier, Sainte-Foy (Québec) G1V 2M3

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Données de catalogage avant publication (Canada)

Vedette principale au titre :

Épistémologie de la science politique

Comprend des réf. bibliogr.

1. Science politique. 2. Connaissance, Théorie de la.

ISBN 2-7605- 1001-8

3. Raison suffisante. 4. Idées politiques. I. Olivier, Lawrence, 1953- II. Bédard, Guy. III. Thibault, Jean-François.

JA7 1 .E64 1998 330.01 C98-940929-5

Les Presses de l’université du Québec remercient le Conseil des arts du Canada et le Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition du Patrimoine canadien pour l’aide accordée à leur programme de publication.

Couverture : Conception graphique : RICHARD HODGSON

Illustration : 01995 M.C. Escher Foundation, Baarn, Holland. Tous droits réservés

Composition typographique : INFO 100 MOTS INC.

Révision linguistique : GISLAINE BARRETE

1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 1998 9 8 7 6 5 4 3 2 1

Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés © 1998 Presses de l’Université du Québec

Dépôt légal - 3e trimestre 1998 Bibliothèque nationale du Québec / Bibliothèque nationale du Canada Imprimé au Canada

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction Trois idées génératrices des débats

Guy Bédard

sur la connaissance scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Chapitre 1 Épistémologues de la science politique. à vos marques ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 André- J . Bélanger

1 . Les obstacles au discours analytique . . . . . . . . . . . . . . 15

3 . Le type d'analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 4 . La perspective : micro ou macro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 5 . Le mode d'analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 6 . Le statut de la science . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

2 . Le discours analytique: un discours construit . . . . . . . 20

7 . L'épistémologue à l'œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

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VIII Épistémologie de la science politique

Chapitre 2

Vincent Lemieux

Les schèmes d'intelligibilité du politique . . . . . . . . . . . . . . 59

1 . Science politique et sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 2 . Les six schèmes de Berthelot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 3 . L'utilisation des schèmes en sociologie

et en science politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

Chapitre 3 Le pouvoir comme modèle d'intelligibilité en science politique L'analyse stratégique et la compréhension de l'action collective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Yannick Chouinard

1 . L'organisation déconstruite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 2 . Le pouvoir comme modèle d'intelligibilité

dans l'analyse stratégique : de l'acteur stratégique au système d'action . . . . . . . . . 73

3 . Des jeux entre les acteurs aux systèmes d'action concrets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

4 . La gouverne des systèmes d'action concrets . . . . . . . . . 82 5 . Les implications des systèmes de pouvoir humains

et contingents pour la stratégie de changement . . . . . . 84 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Chapitre 4 Vouloir-vivre-ensemble et science . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Lawrence Olivier

1 . Le politique : objet de la réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 2. L'individu et l'ordre social: raison et passions . . . . . . . 100 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

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Table des matières IX

Chapitre 5 La science politique et l’administration publique Une filiation naturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pierre-P. Tremblay

113

1. L’Europe ou l’Amérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 2. L’administration publique versus

l’administration privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 3. L’administration publique et le bien public . . . . . . . . . 125 4. L’administration publique et l’autorité . . . . . . . . . . . . . 130 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

Chapitre 6 L’idée de société et l’étude des relations internationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Jean-François Thibault

135

1. Par-delà l’ontologie et l’épistémologie : la congruence métathéorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138

2. La problématique anarchique, les régimes internationaux et l’impasse rationaliste . . . . . . . . . . . . 141

3. Vers une représentation ontologique de l’intersubjectivité constitutive . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

4. Vers une herméneutique sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

Chapitre 7 De l’œuvre de pensée à la question du politique La question de l’interprétation chez Claude Lefort . . . . . . . . . . . Gilles Labelle

1. Merleau-Ponty: l’Être, à la fois « visible »

et « invisible » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158 2. Lefort : l’œuvre de pensée et le rapport

entre le visible et l’invisible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 3. L’exemple de Machiavel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175

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X Épistémologie de la science politique

Chapitre 8 Le cœur à Sparte, la tête à Athènes ou les difficiles tribulations des intellectuels entre Socrate, Platon et Marx . . . . . . . . . . . . . . Diane Lamoureux

177

179 184

1. Comprendre et s’orienter dans le monde . . . . . . . . . . . 2. L’activité intellectuelle en démocratie . . . . . . . . . . . . . .

Chapitre 9 Rationalité et réel économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 Bruno Hamel

1. Rationalité économique et culture . . . . . . . . . . . . . . . . . 192 2. Ontologie et mise en scène du marché moderne . . . . . . 195 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200

Conclusion L’étude de la politique science ou fiction? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Isabelle Lanthier

203

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TROIS IDÉES GÉNÉRATRICES DES DÉBATS SUR

LA CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE

Guy Bédard Université du Québec à Montréal

Au moins trois idées auront marqué les débats et les controverses con- cernant les fondements de la connaissance scientifique au cours du siècle qui s’achève. Plus exactement, elles auront joué le rôle de prin- cipes générateurs des positions et des oppositions qui se manifestent aujourd’hui à ce propos. Toute réflexion sur les fondements de la science politique, parce qu’il s’agit bien d’une science (dans la lettre comme dans ses visées, quoi qu’on en dise), ne saurait faire l’économie d’une confrontation avec ces idées. Du moins, elle ne saurait, pour être reconnue comme légitime et pertinente, faire fi des points de vue exprimés par ceux et celles (épistémologues, relativistes1, sociologues des sciences, etc.) qui ont pour ainsi dire, à tort ou à raison, le mono- pole du discours (écrit) sur la connaissance scientifique.

La première de ces idées, qui est semble-t-il2 apparue à la suite de l’élaboration des géométries non euclidiennes, consiste à dire que

1. On comprendra que le relativisme, contrairement à l’épistémologie e t à la socio- logie des sciences, n’est pas une discipline mais un courant de pensée. À cet égard, on pourrait croire qu’il est maladroit, voire méthodologiquement inapproprié, de situer ses partisans sur le même plan que les épistémologues et les sociologues des sciences. Toutefois, cela serait oublier que les disciplines ne sont bien souvent, sinon toujours, que des manifestations institutionnelles de perspectives particu- lières sur le monde, et donc de courants de pensée qui ont fini par méconnaître leur origine. Ce serait surtout occulter que le relativisme contemporain s’est élaboré en s’opposant aux tentatives des épistémologues de fonder la connaissance scientifique sur la raison (contre le rationalisme critique de Karl Popper en particulier), et que la sociologie des sciences, à maints égards, se construit et s’élabore contre les deux perspectives précédentes.

2. J’ai la conviction qu’il faut être prudent lorsqu’il s’agit d’associer les idées qui sur- gissent à propos de la science avec les débats et les pratiques qui ont cours parmi

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INTRODUCTION
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2 Épistémologie de la science politique

des théories contradictoires peuvent subsister sans qu’aucune ne puisse être rejetée. Les conventionnalistes comme Henri Poincaré, Pierre Duhem, Édouard Le Roy et Kazimierz Ajdukiewicz3 l’ont expli- citement accréditée en soutenant que la connaissance scientifique s’appuie toujours sur des conventions ou des définitions, c’est-à-dire sur des règles qui ne sont ni vraies ni fausses puisque la valeur de celles-ci ne dépend pas de conditions externes à nous-mêmes : si une proposition est l’« énoncé d’une convention, on ne peut pas dire que cet énoncé soit vrai, au sens propre du mot, puisqu’il ne saurait être vrai malgré moi et qu’il est vrai seulement parce que je veux qu’il le soit4 ».

Pour le conventionnalisme modéré de Poincaré, les systèmes de la géométrie sont uniquement fondés sur de telles conventions, mais ce n’est pas le cas des sciences empiriques comme la physique qui sont soumises à un autre impératif: leurs propositions sont susceptibles d’être confrontées aux témoignages de nos sens5. Au contraire, pour la philosophie de l’action de Le Roy (que certains ont qualifié de conven- tionnalisme nominaliste6), toutes les sciences sont uniquement fondées sur des conventions, notamment sur une certaine conception

les scientifiques. Certes, dans la littérature portant sur ces questions, on a souvent recours à des exemples tirés de l’histoire des sciences, de la mathématique et de la physique en particulier, pour illustrer les idées que l’on défend. Parfois, on fait explicitement référence à des controverses scientifiques pour justifier un point de vue ou pour expliquer l’origine d’un problème « épistémologique ». Toutefois, la filia- tion entre ces deux ordres de questionnement n’est pas évidente. Un exemple me permettra de faire comprendre le doute que j’exprime ici. Dans de nombreux textes, la théorie de la relativité d‘Einstein semble avoir joué un rôle crucial dans la remise en question des visions classiques du travail scientifique. A la limite, on pourrait croire que les débats contemporains sont tous issus de ce renversement de perspec- tive, d’une remise en cause de la physique newtonienne qui avait dominé pendant près de deux siècles. A tout le moins, on donne l’impression que les interrogations à propos des changements de théories (ou de paradigmes) sont survenues à la suite de cet événement. Or, il est surprenant de constater que certaines questions posées par les conventionnalistes, à la fin du siècle dernier, rejoignent largement celles qui sont formulées aujourd’hui. Notamment, on aurait intérêt à lire un article écrit par Édouard Le Roy et publié en 1901 (« Sur quelques objections adressées à la nouvelle philosophie », Revue de Métaphysique et de Morale : p. 292-327 et 407-432). On notera, toutefois, que ce dernier n’est pas contemporain des trois autres. I1 a vécu de 1890 à 1963. Pour connaître ses positions, on peut lire Kazimierz Ajdukiewicz, Pragmatic Logic, Dordrecht, Reidel, 1974 (c1965). Henri Poincaré, La valeur de la science, Paris, Flammarion, 1970 (c1905), p. 158. À ce propos, Poincaré donne les exemples suivants : « Quand je dis, par exemple, l’unité de longueur est le mètre, c’est un décret que je porte, ce n’est pas une cons- tatation qui s’impose à moi. Il en est de même, comme je crois l’avoir montré ailleurs, quand il s’agit par exemple du postulatum d’Euclide. » (Ibid., p. 158.) À ce propos, il dit ceci : « Si donc pendant une éclipse, on demande : fait-il noir ? tout le monde répondra oui. Sans doute ceux-là répondraient non qui parleraient une langue où clair se dirait noir et où noir se dirait clair. Mais quelle importance cela peut-il avoir ? » (Ibid., p. 158.) Édouard Le Roy refusait d’être qualifié de nominaliste.

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Introduction 3

du déterminisme qu’il faudrait remettre en cause : « renverser la conception classique du déterminisme, en montrant qu’il n’est pas l’expression pure et simple d’une nécessité extérieure qui serait donnée dans les choses, mais bien au contraire - produit de notre activité créatrice - il révèle en quelque sorte la liberté de l’esprit7 ».

La deuxième idée qui a traversé le siècle qui se termine consiste à penser que les rapports que nous entretenons avec le monde, y com- pris ceux que la science tente d‘établir, sont entièrement médiatisés par le langage. On comprendra l’importance de cette idée si l’on prend note qu’elle est au cœur même des discussions que les empiristes comme Bertrand Russell, Ludwig Wittgenstein et Moritz Schlick ont menées au début du siècle pour revitaliser la doctrine formulée par Francis Bacon, John Locke et David Hume, selon laquelle toutes nos idées proviennent, en dernier ressort, de nos expériences sensibles. Ainsi, lorsque Bertrand Russell disait « ce que j’appelle un fait, c’est cette espèce de chose qui est exprimée au moyen d’une phrase entière, et non pas au moyen d’un seul nom tel que “Socraten”8 », ou encore « Socrate lui-même, comme n’importe quelle chose particulière, ne rend à lui seul aucune proposition vraie ou fausse9 », il faisait bien davan- tage qu’exposer les principes de l’atomisme logique. I1 proposait d‘ana- lyser nos observations comme des énoncés d’observation. À cet égard, Wittgenstein ne disait pas autre chose en affirmant dès l’ouverture de son Tractatus logico-philosophicus que « le monde est l’ensemble des faits, non pas des choses10 », en supposant par ailleurs que seuls les

7.

8.

9. 10.

Édouard Le Roy, loc. cit., p. 407. Comme je l’ai dit précédemment la philosophie de Le Roy a des airs de familiarité avec les positions exprimées à notre époque, notam- ment par Bruno Latour. I1 n’affirme pas seulement que toutes les sciences sont fondées sur des conventions. Pour lui, la science est discours, ou plutôt activité dis- cursive. Autrement dit, comme le résume Poincaré pour critiquer sa position, « le savant crée le fait » (Henri Poincaré, op. cit., p. 155). Par ailleurs, Le Roy débouche sur une critique de l’intellectualisme qu’il présente comme une posture qui tente d’affirmer la supériorité de la raison discursive, de la dialectique. A cet égard, sa philosophie « oppose à la thèse traditionnelle du primat de la raison discursive la thèse contraire du primat de l’activité, jusqu’à parler de contingence et d’arbitraire aux bases mêmes du savoir » (Édouard Le Roy , « Un positivisme nouveau », Revue de Métaphysique et de Morale, p. 138) et prétend fonder « la valeur des vérités scien- tifiques dans la puissance de vie qu’elles renferment » (Ibid., p. 147). Bertrand Russell, « La philosophie de l’atomisme logique » dans Écrits de logique philosophique, Presses universitaires de France, coll. Epiméthée, 1989 (c1918, le texte cité), p. 342. On notera que Russel dit par ailleurs ceci au début du texte : « Ce qui suit est la transcription d’un cours, composé de huit conférences prononcées à Londres (Gordon Square) dans les premiers mois de 1918; elles ont notamment pour souci d’expliquer certaines idées héritées de mon ami et ancien étudiant Ludwig Wittgenstein » (Ibid., p. 336). Ibid., p. 341-342. Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Paris, Gallimard, 1989 (c1961, c1918), p. 29.

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4 Épistémologie de la science politique

énoncés élémentaires ou singuliers, ceux exprimant l’existence d’états de choses, sont susceptibles d’être vrai ou faux, et donc d’être pourvus de sens (la signification comme critère de démarcation de la science et de la non-science, de rejet de la métaphysique11).

Pour mesurer ou mieux saisir l’effet dévastateur de cette idée, on aurait intérêt à lire ou relire l’ouvrage intitulé Sur Le fondement de La connaissance de Moritz Schlick, l’un des fondateurs du Cercle de Vienne (positivisme logique ou empirisme logique). Pour contrer le discrédit dans lequel, selon lui, l’empirisme était tombé depuis John Stuart Mill, qui tenta de justifier la méthode inductive en soutenant que l’on pouvait tirer de l’expérience les jugements analytiques12

du type 2 +3 = 5, tout en combattant les positions exprimées par certains partisans du positivisme logique comme Carl Gustav Hempel, sou- tenant, puisque l’on ne peut attribuer une valeur absolue aux énoncés élémentaires qui ressortent de l’expérience, que les énoncés d’observa- tion doivent être pris à titre d’hypothèses, Schlick propose de considérer qu’« il y a au contraire des propositions qui méritent incontestablement le nom d‘énoncé, mais qui ont de tout autres propriétés que les hypo- thèse » : les constatations. Celles-ci se caractérisent par un acte ou un geste de l’indication qui se manifeste dans l’instant, l’ici et mainte- nant. Elles « sont définitives, impossibles à mettre en doute, non sus- ceptibles d’être corrigées14 » puisque, pour parler en des termes qui nous apparaissent plus contemporains, on ne peut douter d’une chose que l’on affirme dans le présent à la première personne du singulier: « Ici et maintenant, je vois du jaune15. » Autrement dit, lorsque je cons- tate, j’y crois. Est-il besoin d’expliquer, quelle que soit la solution adop- tée par ces deux protagonistes, comment ces positions ruinent le point de vue empiriste ?

11. Plus exactement, il s’agit d’un critère de démarcation entre les sciences empiriques et les sciences formelles comme la mathématique et la logique, cette dernière étant susceptible de fonder les deux autres en fournissant notamment des règles de for- mulation des énoncés scientifiques : les propositions bien formées. Par ailleurs, dans la tradition positiviste, dans laquelle on peut possiblement classer Bertrand Russell, on considère que la réflexion métaphysique est dépourvue d’intérêt.

12. Les jugements analytiques, qui sont vrais en vertu de conventions - on pourrait dire par définition -, s’opposent aux jugements synthétiques qui résultent de l’ex- périence. Seuls ces derniers nous apprendraient véritablement quelque chose sur le monde.

13. Moritz Schlick, Sur le fondement de la connaissance, Paris, Hermann & Cie, 1935, p. 6.

14. Ibid., p. 53. 15. On remarquera que cette analyse des constatations ressemble à ce que J.L. Austin

dit dans Quand dire c’est faire (Paris, Editions du Seuil, 1970, c1962) à propos des actes de parole, ou plutôt de certaines formes d’énonciation : les illocutoires.

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Introduction 5

La troisième idée qui a marqué le siècle16, et qui est sous- entendue par la précédente, est qu’il n’y a pas d’observation sans théorie susceptible de l’établir. En un certain sens, on pourrait éga- lement la traduire en disant qu’il n’y a pas d’observations sans obser- vateurs, ou plutôt que ceux-ci fabriquent celles-là. Mais ce serait possiblement aller trop loin du point de vue de certains, puisque, parmi ceux qui l’ont défendue, notamment Karl Popper17, elle n’a pas toujours été exprimée ou interprétée ainsi. J’y reviendrai. Pour le moment, prenons seulement note que, si cette idée est logiquement contenue par celle qui précède, c’est pour la raison suivante : en trai- tant les observations comme des énoncés d’observations, on se trouve à admettre que toute observation d’un phénomène est fonction du lan- gage employé pour le décrire18. À ce propos, on peut prendre Popper à témoin. Pour combattre la position de Mach, Wittgenstein et Schlick, qu’il qualifiait d’instrumentaliste, parce que ces derniers supposaient que les théories ne sont rien d’autres que des instruments servant à prédire, il disait ceci: « Mon point de vue est, en bref, que notre lan- gage ordinaire est plein de théories, que l’observation est toujours une observation faite à la lumière de théories, que seul le préjugé inductiviste conduit à penser qu’il pourrait y avoir un langage phéno- ménal, exempt de théories et susceptible d’être distingué d’un langage théorique19. »

Ce sont là les idées20 qui m’apparaissent être fondatrices des con- troverses qui ont traversé le siècle en matière de réflexion sur la

16.

17.

18.

19.

20.

Elle n’appartient sans doute pas en propre à notre siècle, bien qu’elle constitue une idée centrale pour comprendre les débats qui ont présentement cours à propos de la science. La seule raison que j’ai trouvée pour expliquer que Popper n’ait jamais, à ma connaissance, formulé ou interprété cette idée selon laquelle les observations sont fonction des observateurs est qu’il déniait toute pertinence des approches psycholo- giques pour comprendre la logique de la découverte scientifique : « La question de savoir comment une idée nouvelle peut naître dans l’esprit d‘un homme [...] peut être d’un grand intérêt pour la psychologie empirique mais elle ne relève pas de l’analyse logique de la connaissance scientifique. » (Karl R. Popper, La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1978 (c1973, c1934), p. 27.) Bien sûr, les empiristes du début du siècle ne pouvaient pas être d’accord pour dire que cette idée est sous-entendue par celle que notre rapport au monde est média- tisé par le langage, que toute observation est un énoncé d’observation. Ils tentaient plutôt d’élaborer un langage universel qui soit exempt des ambiguïtés des langages de la vie quotidienne : la logique formelle. Karl R. Popper, Ibid., p. 57. Voir également Misère de l’historicisme, Paris, Plon, Coll. Agora, 1995 (c1956), p. 124. I1 serait possible, comme Lawrence Olivier me l’a déjà suggéré, d’en ajouter une quatrième, soit celle que la réflexion sur les fondements de la connaissance scien- tifique doit être l’œuvre de ceux qui la font, ou du moins partir du travail accompli par ceux-ci (histoire des sciences, sociologie des sciences, etc.), de la science telle

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science, et génératrices des positions actuelles à cet égard. Du moins, elles permettent de comprendre un peu mieux les raisons pour les- quelles Popper, qui est sans aucun doute une figure centrale de ces débats, a choisi d’adopter la falsifiabilité comme critère de démar- cation21 entre les sciences formelles (mathématique et logique) et les sciences empiriques (physique, biologie, science politique, etc.). Le rationalisme critique de ce dernier s’est construit, pour une part, con- tre l’empirisme logique. Popper a tenté de résoudre ce que l’on a appelé le problème de l’induction22

à l’aide des ressources que nous offre la logique, en se situant donc sur le terrain de ceux qu’il cherchait à com- battre. Son arme, le modus tollens23, est un syllogisme. Si les proposi- tions universelles24 de la science ne peuvent être en définitive fondées

21.

22.

23.

24.

qu’elle se fait. I1 y a peut-être même lieu de dire que, d’un point de vue logique et historique, cette dernière précède les trois autres. À tout le moins, cela me semble important pour comprendre le rationalisme historiciste de Pierre Bourdieu (voir Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997) ou l’anthropologie des sciences de Bruno Latour (lire La science en action, Paris, Seuil, 1984). Quoi qu’il en soit, pour le moment, je ne saurais en dire davantage. Contrairement à l’idée qui est parfois véhiculée, Popper ne présente pas la falsifiabilité comme un critère de démarcation entre la science et la non-science. I1 l’élabore plutôt contre le critère de signification (voir la note 10) que proposent les adeptes de l’empirisme logique. Par ailleurs, il ne rejette pas la pertinence de la métaphysique. I1 soutient même que les théories scientifiques contiennent bon nombre de propositions métaphysiques. Toutefois, à la différence des sciences for- melles, les sciences empiriques doivent soumettre leurs théories, ou plutôt cer- taines des propositions qui en découlent, notamment les hypothèses, à des tests. C’est dans cette perspective qu’il propose son critère de falsifiabilité. Le problème de l’induction, comme l’explique Popper (La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1978 (c1973, c1934), p. 24-25), consiste en ce que l’adop- tion d’une posture inductive nous entraîne dans une régression à l’infini. Prétendre que la vérité d’un énoncé universel dérive de l’expérience implique que l’on cherche à fonder la démarche scientifique sur un principe universel d’induction. Or, pour demeurer cohérent avec l’attitude empiriste, il faudrait tirer ce principe de l’expé- rience. « Pour le justifier, nous devrions pratiquer des inférences inductives et pour justifier ces dernières nous devrions assumer un principe inductif d’un ordre supé- rieur et ainsi de suite. » (Ibid., p. 25.) On notera que, dans la littérature sur le sujet, on attribue l’origine de la formulation de ce problème à l’empiriste David Hume. À ce propos, on parle souvent du scepticisme de Hume. Hume disait : « [...] toute idée simple a une impression simple qui lui ressemble, comme toute impression simple a une idée qui lui correspond. » Et il ajoutait : « Il est impossible de prouver, en les énumérant toutes, qu’il en est de même pour toutes nos impressions et idées simples. [...] Si quelqu’un contestait cette ressemblance universelle, je ne connais pas de moyen de l’en persuader, si ce n’est en lui demandant de montrer une impression simple dénuée d’idée correspondante, ou une idée simple dépourvue d’impression correspondante. » (David Hume, L’entendement. Traité de la nature humaine, Paris, Flammarion, 1995 [publié pour la première fois en 1739], p. 43-44). Pour un aperçu général et une critique de l’emploi du modus tollens par Karl Popper, on peut lire Raymond Boudon, « Machines à confectionner des hyperboles »

dans L’art de se persuader des idées douteuses, fragiles ou fausses, Paris, Fayard,

Ce sont des énoncés qui commencent par un quantificateur logique exprimé par des mots comme « tous » (ex. : Tous les cygnes sont blancs).

1990, p. 129-176.

Extrait de la publication

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sur l’expérience, parce que le compte rendu d’une expérience n’est somme toute qu’un énoncé singulier, et que, quel que soit leur nombre, ces énoncés n’épuisent jamais la totalité de l’observable, il est logi- quement valide de rejeter ou de falsifier ces mêmes propositions à partir d’énoncés d’observations qui les contredisent. Autrement dit, il est « possible de conclure de la vérité d’énoncés singuliers à la fausseté d’énoncés universels25 ». En conséquence, du point de vue de Popper et des falsificationnistes, une théorie sera scientifique dans la mesure où elle génère des propositions ou des hypothèses qui sont susceptibles d’être falsifiées, d’être soumises à des tests. Les connaissances posi- tives que l’on tire d’une théorie et des observations qu’elle autorise sont toujours provisoires.

Par ailleurs, toujours selon Popper, si le critère de falsifiabilité est proprement suffisant d’un point de vue logique, il est par contre insuffisant si l’on considère la question sous son angle méthodologique. Plus exactement, il admet comme une objection sérieuse la critique selon laquelle il est toujours possible d’échapper à la falsification en introduisant, par exemple, une hypothèse auxiliaire ou en refusant « tout simplement de reconnaître toute expérience falsifiante26 ».

Comme le signale Imre Lakatos27 la position de Popper n’est pas un falsificationnisme naïf ou dogmatique qui ferait de son critère de démar- cation la seule règle méthodologique susceptible de résoudre les pro- blèmes de la connaissance scientifique. C’est que, pour appliquer la falsifiabilité comme critère de démarcation, il est encore nécessaire d’obtenir l’accord de tous sur la valeur des énoncés singuliers, des énoncés d’observations, qui jouent le rôle de prémisses dans les infé- rences falsifiantes. C’est ce qu’il appelle le problème de la base empi- rique. Or, à cet égard, Popper adopte une posture conventionnaliste. Il

25. Karl Popper, ibid., p. 38. 26. Ibid., p. 38-39. 27. Voir Imre Lakatos, « La falsification et la méthodologie des programmes de

recherche scientifiques » dans Histoire et méthodologie des sciences. Programmes de recherche et reconstruction rationnelle. Paris, Presses universitaires de France, 1994 (c1978) : 1-121. Ce texte a été écrit en 1968-1969 et publié pour la première fois en 1970. Tout comme Paul Feyerabend, Lakatos a été l’élève de Popper. Toute- fois, contrairement à Feyerabend, qui rejeta le rationalisme critique pour adopter une position relativiste, il tenta de résoudre les problèmes que soulevait la perspec- tive de Popper en élaborant sa propre position dans la continuité des travaux de ce dernier : sa théorie des programmes de recherche scientifiques. I1 n’en demeure pas moins que le système de Lakatos a une certaine parenté avec la position de Thomas S . Kuhn (La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983, c1962), et que Popper n’a jamais accepté celui-ci. Malheureusement, ici, il m’est impossible de résumer la théorie de Lakatos.

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admet que la vérité de ces énoncés dépend de conventions, notamment de conventions méthodologiques28, et que, pour trancher entre des théories rivales, et donc déterminer si l’une d’entre elles nous fournit davantage de contenu empirique (marque du progrès scientifique29) ou simplement décider de la valeur de toute observation, il est nécessaire d’avoir recours à une règle méthodologique recueillant l’accord de tous. Dans cette perspective, tout en reprenant une position qui avait déjà été formulée par Kant, il nous propose de redéfinir l’objectivité: « l’ob- jectivité des énoncés scientifiques réside dans le fait qu’ils peuvent être intersubjectivement soumis à des tests30

».

C’est cette dernière orientation de la théorie de Popper qui m’ap- paraît la plus importante pour comprendre l’origine des développe- ments subséquents et actuels de la réflexion sur la connaissance scientifique, notamment la renaissance de la mouvance relativiste qui a été défendue par Paul Feyerabend, le développement de la théorie des « programmes forts » de David Bloor ou de l’anthropologie des sciences de Bruno Latour. Ce n’est pas, comme on le dit parfois, l’idée que nos connaissances positives sont toujours provisoires. En quelque sorte, si on admet que la valeur des énoncés d’observations est le fruit

28. On peut se faire une idée du rôle que jouent ces conventions si l’on pense à la manière dont on résout les problèmes que pose la prise en compte des marges d’er- reur (intervalles de confiance) dans les études menées à l’aide de sondages. Ainsi, pour décider si deux groupes d’individus caractérisés par l’âge (par exemple, si on compare les opinions des 18-24 ans avec ceux qui ont entre 25 et 34 ans) ont des opinions différentes à l’égard d’une question quelconque, il est nécessaire d’évaluer les écarts mesurés entre les deux groupes en considérant les marges d’erreur. Autrement dit, même s’il y a un écart de 5 ou 10 points de pourcentage entre les deux groupes, il n’est pas certain que nous conclurons qu’ils divergent d’opinion. Ce que nous comparons, ce ne sont pas les pourcentages attribués à chaque groupe, mais des intervalles calculés à partir des marges d’erreur. Dans la mesure où ceux- ci se recoupent, nous refuserons de considérer que les deux groupes ont des opi- nions différentes puisque cela indique que les résultats obtenus pourraient être fonction de l’échantillon sélectionné. Or, le calcul de ces marges d’erreur dépend d‘un autre critère: le choix du seuil de signification, c’est-à-dire de ce que nous sommes prêt à accepter comme variations possibles pouvant théoriquement se pro- duire d’un échantillon à l’autre. Ce critère n’a aucun fondement mathématique. C’est une convention. Par exemple, on estime d’ordinaire qu’un seuil de significa- tion de 5 % (0,05) est acceptable. Certains prétendent qu’il a sa correspondance dans l’armée lorsqu’on évalue la valeur d’un tireur. Si ce dernier atteint la cible dans 95 % des cas, c’est un tireur d’élite.

29. En plus du critère de falsifiabilité, Popper distinguait trois autres points de vue à partir desquels une théorie peut être mise à l’épreuve : « la comparaison logique des conclusions entre elles par laquelle on éprouve la cohérence interne du système », « la recherche de la forme logique de la théorie » (théorie empirique ou tautologique) et « la comparaison de la théorie à d’autres théories, dans le but principal de déter- miner si elle constituerait un progrès scientifique » (op. cit. , p. 29).

30. Ibid., p. 41.

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d’un processus intersubjectif, position qu’il est peut-être difficile de ne pas adopter d’un point de vue rationaliste, il ne reste plus qu’à tenter de « psychologiser » ou de « sociologiser » la logique de la découverte scientifique. En d’autres termes, la question de la validité des obser- vations scientifiques n’est plus strictement affaire de langage ou de logique, elle est d’abord et avant tout fonction de l’observateur.

Sans entrer dans les détails des positions de chacun, on compren- dra dès lors que Thomas Kuhn et Paul Feyerabend aient affirmé l’in- commensurabilité des paradigmes31 ou des théories scientifiques, c’est-à-dire l’impossibilité de départager rationnellement des perspec- tives théoriques concurrentes en les soumettant aux épreuves de l’ex- périence. Ce n’est plus la nature ou la réalité des faits sociaux qui décide en dernière instance mais l’histoire, au sens d’une succession de péripéties ou d’événements qui, pour parler dans les termes de Pierre Bourdieu32, sont susceptibles d’être déterminés par les posi- tions et les dispositions de ceux qui la font. On comprendra aussi que Paul Feyerabend ait pu dire que la seule règle méthodologique qui vaille est celle qui affirme que tout est bon, ce qui ne veut surtout pas dire qu’il faille abandonner la science33. S’il ne peut y avoir de règles

31. Le terme paradigme a plusieurs acceptions. Certains chercheurs l’entendent comme un synonyme de théorie. D’ailleurs, Kuhn lui-même parle parfois de théorie-paradigme (par exemple, voir op. cit., p. 49). Toutefois, il est probablement plus juste de parler de ce concept en indiquant sa fonction. Si un paradigme est bien une théorie, c’est aussi, comme le dit Kuhn, un corps constitué de connais- sances et de méthodes qui est suffisamment remarquable « pour soustraire un groupe cohérent d’adeptes à d’autres formes d’activité scientifique concurrentes »

et ouvrir « des perspectives suffisamment vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de problèmes à résoudre » (ibid., p. 29-30). Autrement dit, toutes les théories ne sont pas des paradigmes.

32. Certes, Bourdieu n’est pas un relativiste. À cet égard, dans Méditations pascalien- nes, il prétend que l’on peut « renoncer à l’absolutisme de l’objectivisme classique sans se condamner au relativisme » (op. cit., p. 143). I1 suggère que l’autonomisation du champ scientifique a pour effet de soumettre la production des connaissances à des règles (l’épreuve de la cohérence et le verdict de l’expérience) qui permettent d’échapper, du moins partiellement, à ses déterminants sociaux, politiques et éco- nomiques. D’une certaine manière, il prétend que l’on peut accroître cette autono- mie en « s’efforçant d’intensifier la conscience des limites que la pensée doit à ses conditions sociales de production » (op. cit. , p. 144). Toutefois, à mon point de vue, en concevant que les connaissances produites dans le cadre d u travail scientifique sont des enjeux de luttes, il accrédite la thèse relativiste. A ce sujet d’ailleurs, il affirme : « S’il y une vérité, c’est que la vérité est un enjeu de luttes » (op. cit., p. 140). On remarquera la forme paradoxale de cet énoncé qui pourrait aisément être traduit par celui-ci : s’il y a une vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité du tout.

33. À ce propos, on peut lire Adieu la raison (Paris, Editions du Seuil, 1989, c1987). Dans le premier chapitre, Feyerabend apporte des précisions sur son relativisme. Loin de prétendre qu’il faut rejeter la science, comme mode de connaissance spéci- fique, il se porte à la défense de toutes les formes de savoir. I1 en fait même un principe.

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propres à trancher entre des théories concurrentes, nous permettant de conclure à la fausseté des unes en démontrant la vérité d’une autre, il ne peut pas non plus y avoir de critères de démarcation entre la science et la non-science. Enfin, cela permet peut-être34

de saisir que Bloor et Latour aient voulu abolir la ligne de partage qui sépare les connaissances scientifiques et les savoirs préscientifiques (ou pri- mitifs) en soumettant le processus de production des premières aux mêmes interrogations que la science pose aux deuxièmes (principe de symétrie), quitte à affirmer que la nature est le produit des contro- verses scientifiques, que le savant crée le fait.

À la lumière de cette brève présentation des idées qui ont marqué le siècle qui s’achève à propos des fondements de la connaissance scientifique, deux constatations s’imposent à moi. De toutes les idées qui ont été discutées ici, celle qui suppose que les rapports que nous entretenons avec le monde sont entièrement médiatisés par le langage m’apparaît la plus importante. Si cela est juste, et si nous désirons repenser la façon dont la réflexion sur le travail scientifique a été posée, il faudrait sans doute s’attaquer en priorité à cette question. Mais il n’en reste pas moins qu’il n’est pas toujours aisé d’établir la filiation entre des idées, en matière de science comme ailleurs. Et il est encore moins facile de saisir les répercussions de celles-ci sur les pratiques et l’activité de ceux qui font la science. À tout le moins, si on examine de près la manière dont les scientifiques eux-mêmes pensent leur activité, on est frappé par le peu d’influence que semblent avoir ces idées. La parution récente de l’ouvrage de Sokal et Bricmont nous en offre peut-être un exemple. Lorsqu’ils critiquent la position défen- due par Latour à propos du rôle que joue la nature dans le règlement des controverses scientifiques, ils disent : « La bonne réponse aux ques- tions scientifiques, résolues ou non, dépend de l’état de la nature35. »

34.

35.

Si le lien entre les idées défendues par Feyerabend, qui a été l’élève de Popper, et par Kuhn, qui a participé à des séminaires auxquels Popper, Feyerabend et Lakatos assistaient également, est assez facile à établir, ce n’est pas si évident pour Latour et Bloor. En fait, je ne sais pas exactement quels liens ces derniers ont en- tretenu ou entretiennent (sur le plan des idées) avec ces derniers. I1 n’est pas im- possible que leurs points de vue respectifs aient été élaborés indépendamment des autres. Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Paris, O . Jacob, 1997, p. 92. On notera que leur position est tout de même un peu plus nuancée. Par la suite, ils écrivent ceci: « Il se trouve que, pour les controverses non résolues, per- sonne ne connaît la réponse, tandis que pour les autres on la connaît (si du moins la solution acceptée est correcte, ce qui, en principe, peut toujours être remis en cause). Mais il n’y a aucune raison d’adopter une attitude “relativiste” dans un cas et “réaliste” dans l’autre. Cette différence d’attitude est de nature philosophique et est indépendante de la question de savoir si une controverse est résolue ou non. Pour le relativiste, il n’existe simplement pas de réponse unique ; cela vaut pour les

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Autrement dit, c’est la nature qui tranche. Cet ouvrage d’introduction à l’épistémologie de la science politique en constitue peut-être un autre exemple. Somme toute, les controverses dont j’ai fait état n’y trouvent pas leur place. Loin de prendre cette absence pour une illustration du retard qui marquerait la science politique par rapport aux autres sciences, il vaudrait peut-être mieux la prendre comme un témoignage de l’importance de reconsidérer la réflexion sur l’activité scientifique. D’une certaine façon, ce livre est une collection de matériaux sur lesquels repenser les pratiques scientifiques devient possible. Bonne lecture !

controverses résolues autant que pour les controverses ouvertes. Par contre, les scientifiques qui cherchent la bonne solution ne sont pas relativistes, presque par définition. Bien entendu, ils utilisent “la nature comme un juge extérieur”, c’est-à- dire qu’ils cherchent à savoir ce qui se passe réellement dans la nature et mettent sur pied des expériences adaptées à cette fin » (p. 92-93).

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