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Extrait de la publication · 2018. 4. 12. · LE PASSE-MURAILLE II y avaità Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d'Orchampt, un excel-lent homme nommé Dutilleul

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LE PASSE-MURAILLE

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ŒUVRES DE MARCEL AYMÉ

LES CONTES DU CHAT PERCHÉ

LA JUMENT VERTE (illustrée par Chas-Laborde)TRAVELINGUE (illustré par Claude Lepape)

LES CONTES DU CHAT PERCHÉ

l'éléphant LE MAUVAIS JARS

LA buse ET LE COCHON

LES CYGNES LE MOUTON

LE CANARD ET LA PANTHÈRE

LE LOUP LES VACHES

LES BŒUFS LE PROBLÈME

SILHOUETTE DU SCANDALE (Editions du Sagittaire)

vrfALLER RETOUR

LES JUMEAUX DU DIABLELA TABLB AUX CREVÉS

LA RUE SANS NOM

BRULEBOIS

LB PUITS AUX IMAGES

LE VAURIEN

LA JUMENT VERTE

LE NAIN

MAISON BASSE

LE MOULIN DE LA SOURDINE

GUSTALIN

DERRIÈRE CHEZ MARTIN

LB BŒUF CLANDESTIN

LA BELLE IMAGE

TRAVELINGUE

LE PASSE-MURAILLE

LA VOUIVRE

LE CHEMIN DES ÉCOLIERS

LE vin DE PARIS (à paraître)

ÉDITIONS ILLUSTRÉES

albums illustrés

L'ANE ET LE CHEVAL

LE CERF ET LE CHIEN

LE PAON

LES BOÎTES DE PEINTURE

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PASSE-MURAILLEnouvelles

MARCEL AYMÉ

LE

m

GALLIMARD

17 le édition

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Il a été tiré de cet ouvrage vingt-trois exemplaires

sur vélin pur fil des Papeteries Navarre, dont vingtexemplaires numérotés de l' à 20, et trois exemplaire^

hors commercemarqués de a à c.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous pays.

Copyright bjj Librairie Gallimard, 19tS.

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LE PASSE-MURAILLE

II y avaità Montmartre, au troisième étagedu 75 bis de la rue d'Orchampt, un excel-lent homme nommé Dutilleul qui possédait ledon singulier de passer à travers les murs.sans en être incommodé. Il portait un binocle,une petite barbiche noire et il était employéde troisième classe au ministère de l'Enregis-trement. En hiver, il se rendait à son bureau

par l'autobus et à la belle saison, il faisait letrajet à pied, sous son chapeau melon.

Dutilleul venait d'entrer dans sa quarante-troisième année lorsqu'il eut la révélation deson pouvoir. Un soir, une courte panne d'élec-tricité l'ayant surpris dans le vestibule de sonpetit appartement de célibataire, il tâtonna unmoment dans les ténèbres et, le courant re-

venu, se trouva sur le palier du troisièmeétage. Comme sa porte d'entrée était ferméeà clé de l'intérieur, l'incident lui donna à ré-

fléchir et, malgré les remontrances de saraison, il se décida à rentrer chez lui commeil en était sorti, en passant à travers la mu-

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LE PASSE-MURA1LLX

raille. Cette étrange faculté qui semblait nerépondre à aucune de ses aspirations, nelaissa pas de le contrarier un peu et, le len-demain samedi, profitant de la semaine an-glaise, il alla trouver un médecin du quartierpour lui exposer son cas. Le docteur put seconvaincre qu'il disait vrai et, après examen,découvrit la cause du mal dans un durcisse-

ment hélicoïdal de la paroi strangulaire ducorps thyroïde. Il prescrivit le surmenage in-tensif et, à raison de deux cachets par an,l'absorption de poudre de pirette tétrava-lente, mélange de farine de riz et d'hormonede centaure.

Ayant absorbé un premier cachet, Dutilleulrangea le médicament dans un tiroir et n'ypensa plus. Quant au surmenage intensif, sonactivité de fonctionnaire était réglée par desusages ne s'accommodant d'aucun excès, etses heures de loisir, consacrées à la lecturedu journal et à sa collection de timbres, nel'obligeaient pas non plus à une dépense dé-raisonnable d'énergie. Au bout d'un an, ilavait donc gardé intacte la faculté de passerà travers les murs, mais il ne l'utilisait jamais,sinon par inadvertance, étant peu curieuxd'aventures et rétif aux entraînements de

l'imagination. L'idée ne lui venait même pasde rentrer chez lui autrement que par ^a porteet après l'avoir dûment ouverte er< faisantjouer la serrure. Peut-être eût-il vieilli dansla paix de ses habitudes sans avoir la tenta-tion de mettre ses dons à l'épreuve, si un évé-

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LE PASSE-MURAILLE

nement extraordinaire n'était venu soudain

bouleverser son existence. M. Mouron, son

sous-chef de bureau, appelé à d'autres fonc-tions, fut remplacé par un certain M. Lécuyer,qui avait la parole brève et la moustache enbrosse. Dès le premier jour, le nouveau sous-chef vit de très mauvais œil que Dutilleulportât un lorgnon à chaînette et une barbi-che noire, et il affecta de le traiter comme

une vieille chose gênante et un peu malpro-pre. Mais le plus grave était qu'il prétendîtintroduire dans son service des réformes

d'une portée considérable et bien faites pourtroubler la quiétude de son subordonné. De-puis vingt ans, Dutilleul commençait ses let-tres par la formule suivante c Me reportantà votre honorée du tantième courant et, pourmémoire, à notre échange de lettres antérieur,j'ai l'honneur de vous informer.Formule àlaquelle M. Lécuyer entendit substituer uneautre d'un tour plus américain En réponseà votre lettre du tant, je vous informe.» Du-tilleul ne put s'accoutumer à ces façons épisto-laires. Il revenait malgré lui à la manière tra-ditionnelle, avec une obstination machinale

qui lui valut l'inimitié grandissante du sous-chef. L'atmosphère du ministère de l'Enre-gistrement lui devenait presque pesante. Lematin, il se rendait à son travail avec appré-hension, et le soir, dans son lit, il lui arrivaitbien souvent de méditer un quart d'heure en-tier avant de trouver le sommeil.

Ecœuré par cette volonté rétrograde qui

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LU PASSE-MURAILLE

compromettait le succès de ses réformes,M. Lécuyer avait relégué Dutilleul dans unréduit à demi obscur, attenant à son bureau.

On y accédait par une porte basse et étroitedonnant sur le couloir et portant encore enlettres capitales l'inscription Débarras. Du-tilleul avait accepté d'un cœur résigné cettehumiliation sans précédent, mais chez lui, enlisant dans son journal le récit de quelquesanglant fait divers, il se surprenait à rêverque M. Lécuyer était la victime.

Un jour, le sous-chef fit irruption dans leréduit en brandissant une lettre et il se mit à

beuglerRecommencez-moi ce torchonRecom-

mencez-moi cet innommable torchon qui dés-honore mon service1

Dutilleul voulut protester, mais M. Lécuyer,la voix tonnante, le traita de cancrelat routi-

nier, et, avant de partir, froissant la lettrequ'il avait en main, la lui jeta au visage. Du-tilleul était modeste, mais fier. Demeuré seul

dans son réduit, il fit un peu de températureet, soudain, se sentit en proie à l'inspiration.Quittant son siège, il entra dans le mur quiséparait son bureau de celui du sous-chef,mais il y entra avec prudence, de telle sorteque sa tête seule émergeât de l'autre côté.M. Lécuyer, assis à sa table de travail, d'uneplume encore nerveuse déplaçait une virguledans le texte d'un employé, soumis à son ap-probation, lorsqu'il entendit tousser dans sonbureau. Levant les yeux, il découvrit avec un

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LE PASSK-MO RAILLE

effarement indicible la tête de Dutilleul, col-

lée au mur à la façon d'un trophée de chasse.Et cette tête était vivante. A travers le lor-

gnon à chaînette, elle dardait sur lui un re-gard de haine. Bien mieux, la tête se mit àparler.

Monsieur, dit-elle, vous êtes un voyou,un butor et un galopin.

Béant d'horreur, M. Lécuyer ne pouvait dé-tacher les yeux de cette apparition. Enfin,s'arrachant à son fauteuil, il bondit dans 1e

couloir et courut jusqu'au réduit. Dutilleul, leporte-plume à la main, était installé à saplace habituelle, dans une attitude paisibleet laborieuse. Le sous-chef le regarda longue-ment et, après avoir balbutié quelques paro-les, regagna son bureau. A peine venait-il des'asseoir que la tête réapparaissait sur lamuraille.

Monsieur, vous êtes un voyou, un butoret un galopin.

Au cours de cette seule journée, la tête re-doutée apparut vingt-trois fois sur le mur et,les jours suivants, à la même cadence. Dutil-leul, qui avait acquis une certaine aisance àce jeu, ne se contentait plus d'invectiver con-tre le sous-chef. Il proférait des menaces obs-cures, s'écriant par exemple d'une voixsépulcrale, ponctuée de rires vraiment démo-niaques

Garou1 garou1 Un poil de loup (rire).Il rôde un frisson à décorner tous les hiboux

(rire).

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LE PASSE-MURAILLE

Ce qu'entendant, le pauvre sous-chef deve-nait un peu plus pâle, un peu plus suffocant,et ses cheveux se dressaient bien droits sur sa

tête et il lui coulait dans le dos d'horribles

sueurs d'agonie. Le premier jour, il maigritd'une livre. Dans la semaine qui suivit, outrequ'il se mit à fondre presque à vue d'œil, ilprit l'habitude de manger le potage avec safourchette et de saluer militairement les gar-diens de la paix. Au début de la deuxièmesemaine, une ambulance vint le prendre à sondomicile et l'emmena dans une maison de

santé.

Dutilleul, délivré de la tyrannie de M. Lé-cuyer, put revenir à ses chères formules: c Mereportant à votre honorée du tantième cou-rant.Pourtant, il était insatisfait. Quelquechose en lui réclamait, un besoin nouveau, im-périeux, qui n'était rien de moins que lebesoin de passer à travers les murs. Sansdoute le pouvait-il faire aisément, par exem-ple chez lui, et du reste, il n'y manqua pas.Mais l'homme qui possède des dons brillantsne peut se satisfaire longtemps de les exercersur un objet médiocre. Passer à travers lesmurs ne saurait d'ailleurs constituer une fin

en soi. C'est le départ d'une aventure, quiappelle une suite, un développement et, ensomme, une rétribution. Dutilleul le comprittrès bien. Il sentait en lui un besoin d'expan-sion, un désir croissant de s'accomplir et dese surpasser, et une certaine nostalgie quiétait quelque chose comme l'appel de derrière

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LE PASSE-MURAILLE

le mur. Malheureusement, il lui manquait unbut. Il chercha son inspiration dans la lecturedu journal, particulièrement aux chapitres dela politique et du sport, qui lui semblaient êtredes activités honorables, mais s'étant finale-

mentrendu compte qu'elles n'offraient aucundébouché aux personnes qui passent à traversles murs, il se rabattit sur le fait divers quise révéla des plus suggestifs.

Le premier cambriolage auquel se livra Du-tilleul eut lieu dans un grand établissement decrédit de la rive droite. Ayant traversé unedouzaine de murs et de cloisons, il pénétradans divers coffres-forts, emplit ses poches debillets de banque et, avant de se retirer, signason larcin à la craie rouge, du pseudonymede Garou-Garou, avec un fort joli paraphe quifut reproduit le lendemain par tous les jour-naux. Au bout d'une semaine, ce nom de Ga-rou-Garou connut une extraordinaire célé-

brité. La sympathie du public allait sansréserve à ce prestigieux cambrioleur qui nar-guait si joliment la police. Il se signalait cha-que nuit par un nouvel exploit accompli soitau détriment d'une banque, soit à celui d'unebijouterie ou d'un riche particulier. A Pariscomme en province, il n'y avait point defemme un peu rêveuse qui n'eût le ferventdésir d'appartenir corps et âme au terribleGarou-Garou. Après le vol du fameux dia-mant de Burdigala et le cambriolage du Cré-dit municipal, qui eurent lieu la même se-maine, l'enthousiasme de la foule atteignit au

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LE PASSE-MURAILLE

délire. Le ministre de l'Intérieur dut démis-

sionner, entraînant dans sa chute le ministrede l'Enregistrement. Cependant, Dutilleul,devenu l'un des hommes les plus riches deParis, était toujours ponctuel à son bureau eton parlait de lui pour les palmes académi-ques. Le matin, au ministère de l'Enregistre-ment, son plaisir était d'écouter les commen-taires que faisaient les collègues sur sesexploits de la veille. c Ce Garou-Garou, di-saient-ils, est un homme formidable, un sur-homme, un génie.> En entendant de tels

éloges, Dutilleul devenait rouge de confusionet, derrière le lorgnon à chaînette, son regardbrillait d'amitié et de gratitude. Un jour, cetteatmosphère de sympathie le mit tellement enconfiance qu'il ne crut pas pouvoir garder lesecret plus longtemps. Avec un reste de timi-dité, il considéra ses collègues groupés autourd'un journal relatant le cambriolage de laBanque de France, et déclara d'une voix mo-deste cVous savez, Garou-Garou, c'est moi.»Un rire énorme et interminable accueillit la

confidence de Dutilleul qui reçut, par déri-sion, le surnom de Garou-Garou. Le soir, à

l'heure de quitter le ministère, il était l'objetde plaisanteries sans fin de la part de ses ca-marades et la vie lui semblait moins belle.

Quelques jours plus tard, Garou-Garou sefaisait pincer par une ronde de nuit dans unebijouterie de la rue de la Paix. Il avait apposésa signature sur le comptoir-caisse et s'étaitmis à chanter une chanson à boire en fra-

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LE PASSE-MURAiLLÉ

cassant différentes vitrines à l'aide d'un ha-

nap en or massif. Il lui eût été facile de s'en-foncer dans un mur et d'échapper ainsi à laronde de nuit, mais tout porte à croire qu'ilvoulait être arrêté et, probablement à seule finde confondre ses collègues dont l'incrédulitél'avait mortifié. Ceux-ci, en effet, furent bien

surpris, lorsque les journaux du lendemainpublièrent en première page la photographiede Dutilleul. Ils regrettèrent amèrementd'avoir méconnu leur génial camarade et luirendirent hommage en se laissant pousserune petite barbiche. Certains même, entraînéspar le remords et l'admiration, tentèrent dese faire la main sur le portefeuille ou la mon-tre de famille de leurs amis et connaissances.

On jugera sans doute que le fait de se lais-ser prendre par la police pour étonner quel-ques collègues témoigne d'une grande légè-reté, indigne d'un homme exceptionnel, maisle ressort apparent de la volonté est fort peude chose dans une telle détermination. En

renonçant à la liberté, Dutilleul croyait céderà un orgueilleux désir de revanche, alorsqu'en réalité il glissait simplement sur lapente de sa destinée. Pour un homme quipasse à travers les murs, il n'y a point de car-rière un peu poussée s'il n'a tâté au moinsune fois de la prison. Lorsque Dutilleul péné-tra dans les locaux de la Santé, il eut l'impres-sion d'être gâté par le sort. L'épaisseur desmurs était pour lui un véritable régal. Le len-demain même de son incarcération, les gar-

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LE PASSE-MURAILLE

diens découvrirent avec stupeur que le pri-sonnier avait planté un clou dans le mur desa cellule et qu'il y avait accroché une montreen or appartenant au directeur de la prison.Il ne put ou ne voulut révéler comment cetobjet était entré en sa possession. La montrefut rendue à son propriétaire et, le lendemain,retrouvée au chevet de Garou-Garou avec le

tome premier des Trois Mousquetaires em-prunté à la bibliothèque du directeur. Le per-sonnel de la Santé était sur les dents. Les

gardiens se plaignaient en outre de recevoirdes coups de pied dans le derrière, don! laprovenance était inexplicable. Il semblait queles murs eussent, non plus des oreilles1, maisdes pieds. La détention de Garou-Garou du-rait depuis une semaine, lorsque le directeurde la Santé, en pénétrant un matin dans sonbureau, trouva sur sa table la lettre suivante

c Monsieur le directeur. Me reportant ànotre entretien du 17 courant et, pour mé-moire, à vos instructions générales du 15 maide l'année dernière, j'ai l'honneur de vousinformer que je viens d'achever la lecture dusecond tome des Trois Mousquetaires et queje compte m'évader cette nuit entre onze heu-res vingt-cinq et onze heures trente-cinq. Jevous prie, monsieur le directeur, d'agréer l'ex-pression de mon profond respect. GAROU-Gabou.»

Malgré l'étroite surveillance dont il futl'objet cette nuit-là, Dutilleul s'évada à onzeheures trente. Connue du public le lendemain

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LE PASSE-MURAILLE

matin, la nouvelle souleva partout un enthou-siasme magnifique. Cependant, ayant effectuéun nouveau cambriolage qui mit le comble à sapopularité, Dutilleul semblait peu soucieux dese cacher et circulait à travers Montmartresans aucune précaution. Trois jours après sonévasion, il fut arrêté rue Caulaincourt au

café du Rêve, un peu avant midi, alors qu'ilbuvait un vin blanc citron avec des amis.

Reconduit à la Santé et enfermé au tripleverrou dans un cachot ombreux, Garou-Garous'en échappa le soir même et alla coucher àl'appartement du directeur, dans la chambred'ami. Le lendemain matin, vers neuf heures,il sonnait la bonne pour avoir son petit dé-jeuner et se laissait cueillir au lit, sans résis-

tance, par les gardiens alertés. Outré, le direc-teur établit un poste de garde à la porte deson cachot et le mit au pain sec. Vers midi,le prisonnier s'en fut déjeuner dans un res-taurant voisin de la prison et, après avoir buson café, téléphona au directeur.

Allo1 Monsieur le directeur, je suis con-fus, mais tout à l'heure, au moment de sortir,j'ai oublié de prendre votre portefeuille, desorte que je me trouve en panne au restau-rant. Voulez-vous avoir la bonté d'envoyerquelqu'un pour régler l'addition?

Le directeur accourut en personne et s'em-porta jusqu'à proférer des menaces et des in-jures. Atteint dans sa fierté, Dutilleul s'évadala nuit suivante et pour ne plus revenir. Cettefois, il prit la précaution de raser sa barbiche

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LE PASSE-MU RAILLE.

noire et remplaça son lorgnon à chaînette pardes lunettes en écaille. Une casquette de sportet un costume à larges carreaux avec culottesde golf achevèrent de le transformer. Il s'ins-talia dans un petit appartement de l'avenueJunot où, dès avant sa première arrestation,il avait fait transporter une partie de son mo-bilier et les objets auxquels il tenait le plus. Lebruit de sa renommée commençait à le lasseret, depuis son séjour à la Santé, il était un peublasé sur le plaisir de passer à travers lesmurs. Les plus épais, les plus orgueilleux, luisemblaient maintenant de simples paravents,et il rêvait de s'enfoncer au cœui de quelquemassive pyramide. Tout en mûrissant le pro-jet d'un voyage en Egypte, il menait une viedes plus paisibles, partagée entre sa collec-tion de timbres, le cinéma et de longues flâne-ries à travers Montmartre. Sa métamorphoseétait si complète qu'il passait, glabre et lu-netté d'écaille, à côté de ses meilleurs amis

sans être reconnu. Seul le peintre Gen Paul, àqui rien ne saurait échapper d'un changementsurvenu dans la physionomie d'un vieil habi-tant du quartier, avait fini par pénétrer savéritable identité. Un matin qu'il se trouvanez à nez avec Dutilleul au coin de la rue de

l'Abreuvoir, il ne put s'empêcher de lui diredans son rude argot

Dis donc, je vois que tu t'es miché engigolpince pour tétarer ceux de la sûrepigece qui signifie à peu près en langage vul-gaire je vois que tu t'en déguisé en élégant

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