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© Éditions Gallimard, 1952.

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à Jean Grenier

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« Me voici une fois de plus rentré dans monSaint-Brieuc-les-Choux, mon cher Jean. Il y ahuit jours, nous étions ensemble à Venise, aumême hôtel du Cavalletto près de la placeSaint-Marc, et je t'avais promis de t'écrire unelettre de chambre à chambre, un peu pourexpliquer celles qui vont suivre, un peu aussi,beaucoup même, en souvenir du premierséjour que nous fîmes ensemble dans la VilleIncomparable, il y a si longtemps de cela queje n'ose faire le compte des années, c'étaitje crois en 1923, au mois d'août, par le soleille plus somptueux qu'on ait jamais vu etnous arrivions de Trieste.

« Naturellement, je ne t'ai pas écrit cettelettre. Il faut que je sois revenu ici pour y son-ger et c'est déjà le froid, la pluie, le vent, lagrisaille; la lenteur, le coin du feu bientôt, lanuit dans le jour, la mort dans la vie, les pasdans les pas, la pipe en bois et le roman envue. Fermez le ban 1

« Nous arrivions de Trieste, par la mer il

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était environ une heure après-midi quand lebateau stoppa devant la Piazzetta et que nousvîmes apparaître les gondoles qui venaientchercher les voyageurs. Quel grand moment 1Ce fut le grand moment du voyage que nousfaisions depuis Paris, Zurich, Innsbruck, Salz-bourg, Vienne et Trieste mon premiergrand voyage (mais il est vrai que j'étais déjàallé en Angleterre).. Toi, tu connaissais Rome,mais pas Venise.

« Oui, oui, voyager est toujours bien. On de-vrait toujours voyager, toujours vouloir allerailleurs. Ça ne sert à rien, mais enfin. Ons'instruit, n'est-ce pas, et, une fois rentréchez soi, on a de quoi penser. C'est ce qu'ilfaut. Cela aide. Et, pourvu qu'on n'ait rienà faire, on peut écrire des romans, commeon irait au bureau, avec tous les souvenirs

qu'on a et les trésors de l'expérience acquise.On pourrait même illustrer ces romans avecles photos prises en cours de route. Bref, je nevois aux voyages que des avantages et qu'onne vienne pas nous parler de la fatigue qu'ilsentraînent, c'est là une crainte de petits bour-geois. Et d'ailleurs, les trains sont devenussi confortables. Et si rapides! Pense que jesuis revenu ici d'une traite, en moins de

vingt-quatre heures, ayant il est vrai brûléParis. Je suis tombé de la Place Saint-Marc

sur la Place Saint-Michel, comme on feraitune seule chute du haut d'un toit. C'était le

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jour, ou presque, de la foire du même nom,c'est Saint-Michel que je veux dire

notre grande foire annuelle, où, dans lesodeurs de la friture, sous la petite pluie quicommence ce jour-là pour ne plus cesser jus-qu'au mois d'avril, nous allions faire le tourdes brocanteurs et fouiller les étals des bou-

quinistes. Tu sais bien qu'elle avait lieu sur leChamp de Mars, mais pendant la guerre, toutétait changé, elle se tenait sur la Place Saint-Michel, voilà pourquoi j'y ai songé. Du reste,cette fameuse foire n'a plus aucun intérêt, leneuf a remplacé le vieux, le calicot tué l'ori-peau plus de trouvailles, mais il y a toujoursla friture, la saucisse et le cidre doux. Avoue

que ce n'est pas rien.« Connaissez-vous l'automne, l'automne en

plein champ, avec ses bourrasques, ses longssoupirs, ses feuilles jaunies qui tourbillonnentau loin, ses. »

« Ah, la barbe On rentre chez soi. On

attend le facteur. On pense au roman qu'ilfaudrait écrire. Et, justement, je n'y croisplus beaucoup. Enfin si, mais. Mais voilà:je pense qu'on n'écrit pas pour dire, maispour cacher. C'est ma nouvelle théorie. Quetrès souvent un livre avoué est le paraventd'autre chose qu'on tait. Tout est si difficile.Et les théories ne servent à rien. Quand ils'agit de faire, on voit que les choses se pas-sent toujours autrement^

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« Gardes-tu les vieux papiersMoi, oui.J'en ai des monceaux, dans le plus grand dés-ordre d'ailleurs notes, ébauches, chutes,pages de roman qui n'ont pas trouvé leur placeet qu'il a fallu sacrifier, lettres commencées,inachevées, je ne jette pour ainsi dire jamaisrien, c'est une manie ridicule et assez hon-

teuse je passe quelquefois du temps à fouillerdans ces paperasses, surtout quand le travailne va pas bien. Mais ces jours derniers j'enai tout de même détruit pas mal. Bien! Maisj'ai fait une trouvaille. Tu verras laquelle àl'instant.

« J'avais de très grandes ambitions, moncher, je voulais, dans mon roman donner unetrès large fresque où bien entendu, toutel'époque se fut reflétée, et comme j'étais par-ticulièrement hanté par les souvenirs de notrejeunesse, je voulais montrer cette jeunesse destemps qui suivirent la première grandeguerre, la montrer en province, à Paris, enEurope. Deux de mes personnages, venus deprovince à Paris, comme des personnages desIllusions Perdues, ou de l'Education Senti-

mentale, deux jeunes gens qui poursuivaientleurs études et vivaient au Quartier Latin,décidaient un jour, en été ce devait êtrel'été de l'année 1923 de faire un voyage enEurope. Et les voilà prenant le train à la garede Lyon. les voilà passant la frontière à Val-lorbe, les voilà à Zurich, les voilà à Innsbruck,

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à Salzbourg. Te souviens-tu encore de lavisite que tu fis à Stephan Zweig ?r~

« A Venise, nous n'avons eu le temps derien. Notre ami Campagnolo ne plaisante pasquand il s'agit des affaires de la Société Euro-péenne de Culture et il fauL être assidusaux séances du conseil exécutif. Du reste,

nous étions venus pour cela. Comme nousavons dû vieillir, mon cher Jean, sans le vou-

loir Nous devrions faire un peu mieux atten-tion. Il me semble qu'autrefois, lors de ceradieux voyage en tout cas que nous fîmesensemble, nous étions. comment te dire

celaplus légers t Ah cette première soiréeà Venise! Je dormais debout, par la fatiguedu voyage, mais pour rien au monde jen'eusse quitté la Piazzetta où la musique de laFlotte donnait un concert.

« J'ai encore dans la tête un air entendu

ce soir-là. C'était, je crois, du Cimarosa. Queva-t-on chercher plus loin dans le moindrepetit air de Cimarosa ou de Mozart à Salz-bourg nous lui avions fait visite n'y a-t-ilpas tout ce que nous avons besoin de savoirPHélas oui Nous avons vieilli. Vieillir, c'esttrahir.

Et comme l'espérance est violente!

« Dire que nous ne sommes même pas allésà Burano, à Murano, à Torcello C'est une

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honte Voilà bien la tristesse moderne. Et il

va falloir se remettre à écrire des livres des

gros livres de prisonniers, m'as-tu dit. Ouais.« Nous sommes tous prisonniers et nous ne

rêvons que de liberté quand c'est la délivrancequ'il nous faut.

« Je travaille à un récit, en pensant à unchat il s'appelle Parpagnacco. Bon titre.C'est une histoire à raconter, je m'y emploie.Tu verras cela un de ces jours, et tu penseras,en me lisant, à ton chat Mouloud. Bonsoir. Jeretourne à mes paperasses, elles me font rêver.

Car que f aire en un gîte.

« Et la trouvaille ?A propos, la voici. Je terappelle qu'il s'agit de deux jeunes gens quifont un petit voyage en Europe.

« Qui font1 Faisaient. »

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Le voyage réussissait à merveille aux deuxamis, ils étaient pleins d'entrain, heureux detout; de Suisse, ils avaient couru d'une traite

par Buchs jusqu'à Innsbruck et Salzbourg, oùils venaient d'arriver. Plus tard, ils iraient àVienne, et, de Vienne, ils repartiraient pourTrieste, puis traversant l'Adriatique, ilsiraient d'abord à Venise.

La plus grande aventure de leur voyage,jusqu'à présent leur était arrivée à Bishofs-hofen descendus pour se promener sur lequai, ils s'étaient si bien éloignés en causant,que le train était reparti sans eux. Et ilsavaient eu beau courir 1.

Ainsi, avaient-ils passé tout un après-midi,dans le village, en attendant le prochain train.Ils ne le regrettaient pas, au contraire, ilsdevaient à leur distraction d'avoir connu un

village autrichien dont ils avaient parcourudans tous les sens les rues tranquilles, assez

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semblables à celles de n'importe quel autrevillage, dans la même saison. Ils avaient visitéle cimetière, étaient entrés dans l'église, auxmurs couverts d'ex-voto aux couleurs vives,

et il y avait, sur l'un d'eux, une grande pla-que, avec la liste des morts et disparus de laguerre.

Plus tard, dans le train, ils avaient fait laconnaissance d'un Hongrois, qui revenait deBordeaux et rentrait à Budapest, petit hommereplet, affable, ayant longtemps vécu enFrance, avant la guerre, leur dit-il. Il avaitun commerce de grains, à Budapest, et c'étaitpour ses affaires qu'il voyageait. « Peut-êtreles jeunes gens allaient-ils eux-mêmes à Buda-pest ?»» Il avait paru contrarié d'apprendreque non, il aurait eu plaisir à les recevoir chezlui il aimait les Français.

« Je suis, dit X. (mon cher, cet X. n'estt

autre que l'un des deux jeunes voyageurs),frappé de la manière dont certains menusévénements se fixent dans ma mémoire. »

X. devait faire effort pour se représenterles grands spectacles entrevus l'admirablevallée de l'Inn, au matin, glaciale et encorebrumeuse, l'apparition de la montagne, endébarquant du train, à Innsbruck mais tellesilhouette de paysan tyrolien, avec son cha-peau pointu et son grand manteau qui luitombait jusqu'aux pieds, se hâtant vers letrain arrêté dans une petite gare, il ne l'ou-

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blierait jamais. Le paysan, un homme jeuneet de haute stature, tenait un bâton à la main.De même, X. n'oublierait jamais la manièredont une religieuse était venue leur demanderl'aumône à la table d'une « weinstube » où

ils buvaient de la bière. Ils lui avaient donné

quelques pièces d'argent suisse. « GrosseFreudeGrosse Freude»» répétait la reli-gieuse, avec un regard et un geste si modesteset si sincèrement reconnaissants..

Les poches bourrées des billets de banquequ'on leur donnait par paquets en échange deleur argent, ils distribuaient des fortunes,donnaient en pourboires des millions de cou-ronnes.

Comme ils buvaient du vin blanc, un

soir, dans une weinstube, à Salzbourg, unvieux monsieur, assis près d'eux, leur de-manda avec un sourire plein de grâce s'ilsétaient musiciensP Leurs cheveux longs le luidonnaient à croire.

Non, Monsieur.Français ?POui.

Oh1

Il prit son verre et vint à leur table. « Per-mettez-vousP» dit-il, en s'asseyant en faced'eux. « J'aime la France ».

C'était un homme d'une soixantaine d'an-

nées, grand et maigre, au visage long, auxtraits fins, aux mains fines, vêtu d'un complet

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gris, qui n'était pas sans élégance quoiquedéfraîchi dans son regard bleu, une joie toutepleine encore de jeunesse. Il répéta

J'aime la France. Buvons, s'il vous

plaît Nous n'avons jamais été des ennemis,n'est-ce pas ?r~

Ils burent ensemble à la France, puis levieux monsieur reposa son verre, s'excusa desa hardiesse.

Mais je n'ai pas pu résister. Pensez Jene reverrai jamais la France.

Il s'exprimait dans un français correct,presque sans accent, et il souriait en parlant.Même en disant qu'il ne reverrait jamais laFrance, il sourit.

Vous y alliez beaucoup ?aTous les ans. J'étais très riche.

Cela encore fut dit en souriant il se pen-cha un peu sur la table ses traits étaient ceuxd'un vieil acteur intelligent.

Mais à quoi bon penser à cela 1. Autre-fois, j'allais à Paris, naturellement. Vous êtesparisiens ?P

Oui.

Etudiants ?a

Oui.

Ah1 Voilà Je m'en doutais. Vous avez

de la chance1 Et vous êtes jeunes. Ici, à pré-sent, ce n'est plus que de la merde. Excu-sez 1. J'allais aussi à Nice. Vous connais-

sezP

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Oui.

Merveilleux Buvons encore un verre,voulez-vousP Je vous raconterai.

Et, toujours en souriant, il se mit à racon-ter sa vie d'autrefois, ses voyages l'auto, lechauffeur, les grands hôtels les femmesqu'il avait rencontrées, les concerts, Monaco.

Ils écoutaient, surpris, émus, poignes parinstants.

Cette vie oisive qu'il évoquait, sans doutel'eussent-ils sévèrement jugée en d'autrescirconstances, mais ici dans cette weinstube,

et racontée par cet homme vieilli, ruiné,qui ne reverrait jamais la France, et. qui sou-riait.

Ils sortirent tous les trois ensemble, errè-

rent par les rues obscuresle vieil Autrichienparlait toujours est-ce que Paris était tou-jours aussi beauP

Mais, reprit-il, vous ne pouvez pas savoirvous n'avez sans doute pas connu le Paris

d'avant guerre, ce Paris si fin, si intelli-gent. Vous allez à VienneP

Oui.

C'était aussi une ville charmante, maistout est fini, foutu, comme vous dites. Mais

adieu Bonne chance fit-il, en les quittant.Et, encore une fois, il leur serra les mains,

ému et souriant, et répétant qu'il aimait, qu'ilavait toujours aimé la France.

Il s'éloigna d'un pas alerte, qu'ils enten-

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dirent pendant quelques instants encore, aprèsqu'il eut disparu dans la nuit.

Voilà pourtant nos ennemis d'hierA Vienne, où ils étaient arrivés vers la

fin d'un après-midi, ils s'étaient fait conduireà un hôtel, près de la Stephankirche. Puis,toujours selon le principe qu'en voyage il nefaut pas perdre de temps, ils étaient repartis,en tramway, vers un lointain faubourg poury rencontrer des gens dont un ami parisienleur avait donné les noms et les adresses un

docteur, un poète, un dramaturge. C'étaientdes émigrés hongrois qui avaient fui leur paysaprès la tentative de Bela Kun.

Chez le docteur la servante les renvoya àun café où, en effet, ils trouvèrent le docteur,petit homme, encore jeune, mais chauve, àlunettes.

Le petit docteur à lunettes s'excusait il nepouvait recevoir les deux jeunes gens chez lui,car en ce moment même, sa femme était entrain d'accoucher.

Il les conduisit à une table où était assis un

homme d'une quarantaine d'années, solide,roux, jovial: c'était l'auteur dramatique. Laconversation s'engagea, mais resta difficile:ni le docteur, ni l'auteur dramatique ne sa-vaient le français et les deux jeunes gensparlaient très mal l'allemand.

Qu'était devenu François MolnarAu moisde juin passé, ils avaient vu représenter au

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théâtre des Champs-Elysées, sa pièce en septtableaux et un prologue, Liliom. Un chef-d'œuvre

Mais personne ne savait rien de Molnar.Les jeunes gens voulurent connaître des

détails sur la commune de Hongrie. Mais lacommune de Hongrie, c'était déjà le passé, etce qui intéressait les émigrés, c'était le pro-chain avenir de l'Europe.

« Mann muss Kommunist mit Blut und

Fleich sein!»dit le petit docteur, avec uncharmant sourire, et en frappant du bout desdoigts sur le bord de la table. Et, comme s'ileût craint que les jeunes gens ne l'eussent pascompris, il répéta en anglais

With blood and ilesh.Un homme d'aspect sévère entra il portait

une blouse russe, noire, serrée à la taille parune ceinture.

C'était le poète.Il s'assit sur la banquette et ne dit rien,

plongé dans de grandes réflexions. Mais ledocteur fit savoir aux deux jeunes gens quele poète ne parlait que très peu l'allemand,que même, en fait, il ne parlait que le hon-grois.

Est-ce qu'il a été aussi un des lieute-nants de Bela KunP

Mais oui, très vrai, dit le docteur. Et ille sera encore la prochaine fois1 ajouta-t-il enriant.

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