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LE MÉTIER AU THEATRE.
Le métier, tant qu'il est sain, ne se laissepas apprécier. Mais quand, par un grince-ment, il dénonce la fatigue et l'usure, onaperçoit, pour les admirer tardivement, cessecrets aménagements de la culture qui vontdégénérer, soit entre les mains de l'artistedéclinant et c'est la formule, soit entre
celles d'une postérité oisive et c'est le pon-cif. Car, si le métier est la plus positiveacquisition de la culture, il en est aussi laplus dangereuse.
Plus une culture est ancienne, plus elle estdifficile à manier. Elle n'a pas atteint sansmalaise le point de sa maturité et de sa dé-licatesse. Dès lors un double danger lamenace: se corrompre dans la foule, ou s'éner-ver au sein d'une élite.
Elle est trop alarmante ou trop invitante.Elle met à la portée des uns une abondance,une facilité de ressources qui les dispensentde la recherche originale et du mérite per-
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sonnel. Aux autres elle n'inspire que scru-pules exagérés, défiance envers des formesassouplies à l'excès qui se prêtent complai-samment aux plus chétives entreprises. Parceque ceux-ci s'installaient d'emblée, aveceffronterie, dans une expression banale, nousavons vu ceux-là, assumant comme un devoir
de s'achopper à des restrictions volontaires,concentrer leur noblesse laborieuse dans une
sorte d' impossibilité" du langage. Et tandisque les plus sévères artisans de la techniqueaffectent de mépriser le savoir-faire milleproducteursindisciplinés accuseront éternelle-ment quelques avares créateurs d'une im-puissance dont ils sont eux-mêmes un peutrop dépourvus. Si bien que, dans l'opinioncommune, s'aggrave de jour en jour le divorceabstrait entre deux notions inséparables lanotion d'art et la notion de métier.
Nulle part mieux qu'au théâtre ce funestemalentendu n'est sensible. Il y a quaranteans, Alexandre Dumas fils put écrire, dans lapréface du Père Prodigue Un homme sansaucune valeur comme penseur, comme moraliste,comme philosophe, comme écrivain, peut être unhomme de premier ordre comme auteur drama-tiq ue
Extrait de la publication
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LE METIER AU THEATRE
Cette absurde maxime est passée dans lesmœursdu théâtre. Elle l'a avili en pronon-çant qu'un; sot pût y prendre ;le pas surl'homme de génie, qu'une œuvre vide pûtêtre une œuvre bien faite. Elle a suscité les
cyniques convoitises, les activités brouillonnesqui se mêlent sur la scène avec une ferveurstérile. L'artiste qui s'y fourvoie se heurtepartout à l'inculture, à l'ignorance, à lalégèreté, à la bassesse du caractère, à de for-midables intérêts. Et c'est avec dégoût qu'ilcède la place aux gens de métier".Gens de métier les auteurs, les acteurs,
les directeurs, les critiques et le public lui-même. Tout ce qui touche au théâtre estaussitôt diminué, déformé, corrompu dansson atmosphère.
Un homme de théâtre ne devra pastourner son regard vers le monde, ni familiari-ser son esprit avec les sentiments et les idées.Il ne s'instruira que de théâtre. Il tiendra lesyeux fixés sur le public à l'aviditéduquel ilse propose sans relâche, qui est à lui seultout le théâtre, qui a manifesté son goût,une fois pour toutes, imposé des recettes, etqui veut qu'on s'y tienne.
Ce qu'on appelle métier n'est pas uneexigence que l'auteur tient de lui-même, c'estune contrainte qui lui vient du dehors. Le
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culte du métier n'est autre chose que l'idolâ-trie du public. Les prétendus secrets dumétier et ses règles, c'est, en dernière analyse,l'ensemble des habitudes du public imposéesà des amuseurs.
Aussi bien le dramaturge sera-t-il, quelquejour, chassé du théâtre par les comédiens dontil est l'esclave et qui ont, en somme, encoremieux que lui l'habitude de la scène et dupublic De plus en plus ils le supplantent,et leur métier empiète sur le sien. Quelques-uns se font auteurs. Les autres proposent desavis quand ils n'imposent pas leur collabora-tion. L'argot des coulisses prend force de loisesthétiques. Et toutes les pièces qu'on repré-sente ne sont-elles pas, plus ou moins, l'œu-vre des comédiens qu'elles glorifient seuls ?Elles ont leur tournure et leur grimace.
Le métier, sans l'art, qui est sa raisond'être, c'est une mécanique fonctionnant àvide. L'art privé du métier, qui lui assureforce et durée, 'c'est un fantôme insaisissable.
Nous repoussons la vieille et vaine distinc-tion, dans une œuvre intellectuelle, entre ce
qui appartient à la matière et ce qui dépendde l'esprit, entre la forme et le fond. De
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LE METIER AU THEATRE
même,nous nous refusons à concevoir unedissociation factice entre l'art et le métier.
A vrai dire, pour nommer le talisman mys-térieux que les auteurs dramatiques croients'être approprié, ce n'est pas le métier qu'ilfaut dire, mais la formule.
Nulle nature ne produit son fruit sansextrême travail, voire et douleur. (BernardPalissyJ.
Le" métier est ce travail de la personnalitéen lutte avec ses propres acquisitions, l'artsur le fait de la création. Il est encore cette
longue patience du génie.On dit d'un peintre (pourquoi ne le
dirait-on pas aussi bien de tout artiste ?) qu'ilpossède un beau métier Et, pas plusqu'on ne louerait un écrivain de son ortogra-phe correcte, un poète de son mètre juste,on ne songe à priser ici le savoir-faire del'école, mais une méthode originale, une nou-veauté que le peintre a tirée de son fonds etqui n'a de valeur que par lui, unique parcequ'elle est personnelle.
Le métier, si l'on rend à ce terme sa dignité,est ce qui distingue un artiste de tous lesautres, la preuve de l'invention.
La formule, au contraire, est ce par quoitoutes les productions médiocres se ressem-blent la parodie du métier en sa décré-
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pitude. C'est, la main-mise, par des,anony-mes, sur une faculté qui, du -moment- où ilsl'empruntent, se mueen procédé .et tombedu domaine de l'art dans celui de l'industrie.
L'invention .n existe pas pour nous. Nousn avons rien à inventer, nous n'avons qua voir.
Ce plaisant trait-là vient encore de Dumasfils:
Voir pour un artiste, est-ce autre chosequ' inventer ".? Aussi concèderait-on volon-tiers que vous n'eussiez, ;.en. effet, qu'à voir.Mais vous voyez;" théâtre Vous-avez,comme vous le dites, l'œil construit d'unecertaine façon", C'est à dire qu'il est perverti,comme e£t. empoisonné votre goût, par l'ha-bitude du factice et, la pratique des manigan-ces. Vous, croyez YQir. i C'es,t la formule quivous saute ïaux yeux; C'est .elleiqui travestitpour vous toute apparence et^flétrit toute sin-cérité. Vous voulez faire, avant tou,t, une
pièce de théâtre. Cette préoccupation; vouscommande le choix des. matériaux, l'ordon-
nance des proportions,, le dispositif des effets.Elle guinde vos gestes, elle altère votre voix.Un bon sujet, entre îYOS mains, un.caractèrehumain se réduisent bientôt à cela :*du théâ-
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LE -MÉTIER AU THÉATRE
tre, parce que vous prévoyez à leur place,le murmure,. et l'applaudissement, toutes lesréactions du public dont vous croyez être lesmaîtres et qui régentent, pour ainsidire auto-matiquement, votre spontanéité. Vous avezd'avance dans l'joreille, avant que n'aient parlévos personnages, le'ronron théâtral. S'il vousarrive de décevoir la foule, ce n'est pointpour vous être écartés des règles vulgaires,c'est pour les avoir appliquées grossièrement,et faute decette virtuosité qui fait des plusheureux d'entre vous d'impudents jongleurs.
En condamnant ici une littérature qui n'estque théâtrale, on n'entend pas méconnaitrecependant les exigences d'une forme spé-ciale ni la légitimité des règles qui ont for-mé Racine et Molière. Et nul plus que nousn'est ennemi de ce qui, dans le drame, vou-drait indûment se substituer au mérite dra-
matique, je veux dire certains raffinementslittéraires ou des plaidoyers philosophiques etmoraux, ou même ces discours psychologiquesreliant entre eux des épisodes de mélodrame.
Mais en faveur du vrai métier, si intime-
ment associé à l'art qu'on ne l'en saurait dis-tinguer et faute duquel rien ne se peut
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exprimer, nous nous insurgeons contre le fauxmétier, celui qui s'exhibe seul et qui n'exprimerien. Le métier dramatiqne ne tire sa néces-sité, sa force et sa cohésion que de l'inventiondramatique. Toute création originale exigeune expression authentique et nouvelle. Oùlanguissent la vérité des caractères et la sin-cérité, la forme perd toute valeur en se vidantde toute signification.
Tant qu'ils n'auront rien créé, tant qu'ilsrapiéceront les mêmes intrigues et travestirontles mêmes personnages, les auteurs dramati-ques s'épuiseront vainement à retourner entreleurs mains un précaire instrument. Sansdoute, il se prête à tout. Il donne l'illusiond'une souplesse extrême, tant il est disloqué.On peut en faire ce qu'on veut. On peut enfaire n'importe quoi, et ce n'est rien que defrivole, d'illogique et de superflu.
JACQUES COPEAU.
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ÉPIGRAMMES ROMAINES (»)
SUR LE MARBRE D EURYDICE
Quelqu'un, le soir tombé, m'a pris la main. J'ai cru
Que c'était mon ami. Pourquoi, dis je, viens-tuSi tard, d'un pas furtif et la tête baissée ?Il se taisait; f eus peur et brusquement, glacée,Ma tarissante haleine entre mes dents a fui.Deux ailes à son front battaient l'aveugle nuit.<c Hermès, criai-je, hélas, épargne mon jeune âgeEt la sueur du Styx me mouilla le visage.
II
Ne va pas, Printemps jeune, indiscrète saison,Nous induire ci braver les déesses sévères
Au front de la Pudeur tresse ces primevères,Mais prends soin, sous tes fleurs, odorante prison,D'enfermer le regard de ses fixes paupières.
(') Voir Mercure de France, 15 mars i9o6.
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III
Voilez, voilez vos yeux, car les lueurs, Junon,
Que l'avril y a remuéesNe sont point les reflets étoilés du gazon,
Ni des printanières nuées
Mais dans vos lourds regards blanchit, sans qu'unDe votre pudeur le pressente, \_soupçon
La douceur d'une tendre épaule de garçonOu d'une hanche adolescente.
>\ lV-h. ••
Quel fauve a cettenuit ta fureurattisée ?Flairas-tu dans le cirque un spectre de. lion ?Tremblants nous i 'avons vu lancer, sombre Orion,
Tes flèches dans les arcs béants du Colisée
V
Vous m'avez allaité, mamelles des coupoles,
Vous que gonfle la Ville à son ventre divin.
Lait de la foi, combien, tu, grises et consolesCité Sainte, vraiment, n'était-ce pas du vin ?
•• VI.
Figure de la fresque, en ta vaine balance,-Pèse sa peine et mon silence.
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ÉPIGRAMMES ROMAINES
Vers lequel fléchira ton illusoire airain,Vers ma joie ou vers son chagrin ?
Non, non, ne juge point notre amour veut attendrei1 Que ma poussière et quesa cendre
Éludent dispersés dans le "Pent et dans l'eauLa sentence de ton fléau. 11
""vn
Nous d^ons fait flotter des.roses dans la vasqueEt le jet, quand le vent les y pousse, soudain.S'assourdit et l'on croit entendre le jardinPleurer au gré desfleurs Voguant sur l'eau fantasque.
VIII
Non, viens, que cherches-tu par ces louches ruelles ?Pour calmer ton désir, je sais de peu cruellesBelles le)>res. Arrête, entends-moi Se peut-ilQu'à l'Amour, tendre enfant complaisant et subtil,Tu préfères le Dieu qui nu-pieds et faroucheRôde dans les quartiers solitaires, la boucheIujurieuse et qui frénétique soudainFrappe d'égarement un misérable humain.
Fuis un étrange feu dans ta prunelle éclate
Ecoute-moi !-Fais qu'il m écoute, Hécate Hécate
Extrait de la publication
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
IX
Toi, prends garde aux frelons, peuple vite irrité,
Qui sous la pergola du verger, l'autre été,Creusa pourses petits une fauve tanière.
J'aimais peu jusqu'alors cette sente fruitièreMais depuis, chaque jour, un caprice secretM'y ramène et mon pas en un jeu mi-distrait
Mi-tremblant, volupté de vertige mêlée,Franchit le nid et sa tourmente emmiellée.
Danger ?. Non, mais beau risque, hôte joyeux, encorQue fantasque et qui rit dans une grêle d'or.
JEAN SCHLUMBERGER.
A LA GLOIRE DU MOT "PATRIE".
Rouvrez-vous pour lui,Mes Vers,
C'est un mot si pauvre,Dora on a tant ri
.Je l'ai ramassé transiA même la terre
Dure.
Entre P aurore et la rose
Je vous jure
Qu'il se fera bien petit
Entourez-le,
Qu'il se réchauffeComme il est vieux
Peut-être est-il mort ?
Sait-on même encore
S'il signifieQuelque chose. ?
Alors.
(') Prélude à un livre de vers.
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Alors chantez
Ainsi que chantentVers de poèteCeci.
Cela.
Le temps qu'il fait,Un cœur qui bat,Le pré,
L'amie,
La fenêtre ouverte,
La lampe.
Quand vous en prieraL'assonnance
Dites seulement "patrie
Et passezPassez
Si rien que l'ironieD'un ressouvenir de romance
N'a su vibrer.
Au mol écho
De vos collines
Dès qu'y sera tombéCe mot.
S'il a roulé
A votre flot
Comme un fruit vide
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A. LA GLOIRE DU MOT "PATRIE"
La patrie est morteEt ses oiseaux rient
Ils vivent
–i Riez,Oiseaux clairs
Mes ~ïers
lis vivent du blé
Que ses gerbes portent-,
O toi que j'ai prisSous le pied des hommesA même la terre
Pauvre vieux mot,
A même la terre que tu nommes
Oh
Si peu de vie
Qu'il te reste,
Quand tu verras làL'aurore renaître
La rose s épanouir
Je sais,
Je sais de quel sourireCelui d'une neuve jeunesseTu les accueilleras.
Et jamaisNe se sera senti luire
Extrait de la publication
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Aussi rose
Encore
Qu'en ton sourireL'aurore.
Et la rose
JamaisN'aura goûtéMatin d'été
Si frais.
Et tous les mots de mes vers
Ainsi,
Qui disaient la beauté de l'heure,Comme la lumière
Comme la fleur,
Fols,
Sons,Rêveries.
En couronne
Se presserontAutour de ton nom
Où tout se reflète.Ils s'étonneront
De s'y reconnaître
Plus beaux qu'ils ne sont.
Dans la limpidité de leur être
Qui est ton être,
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