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  • Extrait de la publication

  • UN SICLE DE QUANTA

    dit par Michel Crozon et Yves Sacquin

    Olivier Darrigol Dominique Lambert

    Roger Balian Philippe Chomaz

    Serge Haroche Daniel Estve

    Michel Dvoret Dominique Lecourt

    Michel Bitbol

    1"~ SCIENCES

    17, avenue du Hoggar Parc d'activits de Courtabuf 91944 Les Ulis Cedex A, France

    Extrait de la publication

    gerbig

  • Siximes rencontres N Physique et interrogations fondamentales n 15 novembre 2000

    Illustration de couverture : Daprs une toile de Laurent Corvaisier

    ISBN : 2-86883-604-6

    Tous droits de traduction, dadaptation et de reproduction par tous procds, rservs pour tous pays. La loi d u 11 mars 1957 nautorisant, aux termes des alinas z et 3 de larticle 41, dune part, que les (( copies ou reproductions strictement rserves lusage priv du copiste et non desti- nes une utilisation collective n, et dautre part, que les analyses et les courtes citations dans un but dexemple et dillustration, (( toute reprsentation intgrale, ou partielle, faite sans le consen- tement de lauteur ou d e ses ayants droit ou ayants cause est illicite )) (alina ier de larticle 40). Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanctionne par les articles 425 et suivants du code pnal.

    O EDP Sciences 2003

    Extrait de la publication

  • TABLE DES MATIRES

    Un sicle de quanta Michel Crozon ......................................................................................

    I . Les quanta dans lhistoire ...................................................................... Continuits et discontinuits dans 1 acte dsespr w de Max Planck

    Olivier Darrigol ..................................................................................... La rception de la mcanique quantique chez Georges Lematre

    Dominique Lambert ............................................................................. II . Les quanta dans la physique ................................................................ La physique quantique notre chelle

    Roger Balian .......................................................................................... Dans latome. des mondes quantiques

    Philippe Chomaz .................................................................................. III . Quelques perspectives actuelles ......................................................... Une exploration au cur du monde quantique

    Serge Haroche ....................................................................................... Vers des machines quantiques

    Daniel Estve et Michel Dvoret ......................................................... IV . Quanta et philosophie ......................................................................... Kant et les quanta

    Dominique Lecourt .............................................................................. Relations et corrlations en physique quantique

    Michel Bitbol .........................................................................................

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  • UN SICLE DE QUANTA

    Michel Crozon*

    Cest de faon assez humble, propos du (( corps noir , que la physique quantique est apparue lextrme fin du XIX sicle. Un corps chauff, un lingot de mtal par exemple, rayonne de la lumire : invisible basse temprature, celle-ci devient rouge sombre ds 600 degrs, blanche vers 1600 degrs, etc. Quel que soit le corps considr, cette couleur est la mme une temprature donne. La lumire, on le sait depuis James Maxwell, est constitue de vibrations lectromagntiques. Le (( spectre de couleurs n de la lumire mise, cest--dire la distribution des longueurs donde (ou, plus com- modment, des frquences) des vibrations engendres par le corps chauff, ne dpend pas de la nature de celui-ci mais seulement de sa temprature. Pour tudier ces distributions, Gustav Kirchhoff, en 1860, a imagin le concept gnrique de corps noir, corps chauff en quilibre avec son propre rayonnement. Sur le plan pratique, un corps noir peut tre conu comme une enceinte close, un four dont les parois sont portes une temprature homogne. Un petit trou perc dans une paroi permet de laisser sortir une proportion minime de la

    * Physicien, CNRS, LPNHE-Universit Paris 6 et 7.

    Extrait de la publication

  • 6 Michel Crozon

    lumire remplissant la cavit et den analyser le spectre. Kirchhoff a dmontr que la densit dnergie U au sein du rayonnement ne dpend que de v, la frquence et de T , la temprature. Le nom de

    corps noir )) provient du fait qu lquilibre entre mission et absorption, le corps en question absorbe tout le rayonnement quil reoit.

    Pour dterminer le spectre du corps noir, il fallait dcomposer le rayonnement et mesurer les flux dnergie correspondant aux diverses frquences. part i r de 1880, cette dtermination, notamment dans le domaine infrarouge, a connu de grands progrs. Les spectromtres employs taient constitus de divers cristaux artificiels transparents aux rayonnements infrarouges ainsi que de rseaux profils tudis. Pour mesurer lintensit aux diffrentes frquences, les bolomtres, conus sur le modle de celui de Samuel Langley (1880) utilisaient des thermorsistances trs sensibles et trs prcises.

    En 1879, Joseph Stephan avait montr que le rayonnement total est proportionnel la quatrime puissance de la temprature absolue du corps considr. Quelque temps aprs, Ludwig Boltzmann inter- prtait la loi de Stephan en sappuyant sur la thermodynamique (il considrait le rayonnement comme un gaz) ainsi que sur la thorie de Maxwell. En 1896, Wilhelm W ien, sappuyant sur les raisonnements statistiques de Boltzmann, tablissait une formule pour reprsenter le spectre du corps noir.

    Max Planck est n en 1858 Kiel, dans le nord de lAllemagne. Aprs des tudes luniversit de Munich, il prpara sa thse luni- versit de Berlin, sous la direction de Hermann von Helmholtz, sur (( le deuxime principe de la thermodynamique . I1 consacra ensuite plusieurs annes ltude de lentropie quil considrait comme (( la proprit la plus importante des phnomnes physiques . Nomm professeur Kiel (1885), puis Berlin (i889), il fut admis en 1894 lAcadmie des Sciences de Prusse.

    Extrait de la publication

  • Un sicle de quanta I

    Cest en 1897 que Max Planck, thoricien reconnu, spcialiste de la thermodynamique, a entrepris ltude du corps noir dun point de vue nouveau en le considrant comme un ensemble doscillateurs en quilibre avec leur rayonnement. Dans ce cadre, il a dmontr la formule de Wien. Sa rflexion la amen mettre en vidence lexistence de constantes universelles qui, jointes la vitesse de la lumire et la constante de gravitation, lui permettaient de dfinir un systme (( naturel B dunits de longueur, de temps et de masse que lon nomme aujourdhui longueur, temps et masse de Planck. Sans en avoir conscience, il sapprochait ainsi de la description quantique du monde. En 1899, par des expriences prcises, Otto Lummer et E. Pringshein remettaient en cause, au moins pour les faibles frquences, la validit de la loi de Wien. John Rayleigh, sappuyant sur la thorie des lectrons de Lorentz, proposa une nouvelle formule pour le spectre du corps noir, fonde sur la physique classique, mais cette formule ne saccordait avec lexprience que pour les basses frquences !

    Pour rsoudre ces difficults, le 19 octobre 1900, Max Planck prsenta la Socit de Physique de Berlin une premire bauche : Sur une amlioration de la loi de Wien. I1 tenait compte de nouveaux rsultats exprimentaux obtenus, pour les trs basses frquences, par ses collgues H. Rubens et F. Kurlbaum et proposait une approche semi-empirique combinant la formule de Wien et celle de Rayleigh. I1 obtenait ainsi un trs bon accord avec lexprience. Puis, le 14 dcembre 1900, sa nouvelle thorie faisait lobjet dune com- munication intitule : Sur une thorie de la loi de distribution du spectre normal. I1 y prsentait la formule que lon appelle aujourdhui la loi du rayonnement de Planck. partir de ses ides de 1897, et par un raisonnement thermodynamique, il calculait lentropie de ses oscillateurs. Pour tablir cette thorie, Planck avait d abandonner lhypothse classique selon laquelle lnergie dun oscillateur est susceptible de changements continus. I1 avait, au contraire, postul que cette nergie ne varie que par des multiples entiers dune nergie minimale. Pour un oscillateur monochromatique, lnergie est alors

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  • 8 Michel Crozon

    suppose tre de la forme nhv. Dans cette formule, n est un nombre entier, v est la frquence et h est une constante ad hoc, devenue par la suite constante universelle. Un oscillateur de frquence n met une nergie minimale gale hv. La quantit h (la constante de Planck) a les dimensions dune nergie divise par une frquence : cest ce que lon nomme une action. Au dpart, Planck pensait sans doute pouvoir faire tendre n vers linfini et h vers zro, ce qui lui aurait permis de rejoindre la thorie classique. Malheureusement, cela conduisait une

  • Un sicle de quanta 9

    lun des trois fameux articles quil publia en 1905, Einstein a, en effet, mis (( lhypothse que lnergie dans la lumire est distribue de manire discontinue dans lespace . I1 expliquait de cette faon pourquoi lapparition de leffet photo-lectrique (arrachement dlectrons sous limpact de rayons lumineux) est lie non pas lintensit de la lumire qui le produit mais sa frquence. Sa formule faisait intervenir la constante de Planck.

    Lide dune lumire discontinue tait choquante. Pourtant, au premier Conseil Solvay en 1911, elle a commenc simposer, donnant corps la notion de quantum dnergie lumineuse. Rsultat ? Tout en dclarant, en 1916, cette hypothse (( hardie )) voire a tmraire , Robert Millikan publiait une mesure prcise, fonde sur lquation dEinstein, de la valeur de h, la constante de Planck. Le u grain )) de lumire ainsi dfini sera, beaucoup plus tard (1926) baptis photon.

    Depuis longtemps, la question des raies lumineuses mises par les atomes chauffs faisait lobjet de mesures systmatiques. tablie empiriquement en 1885, une formule due Johann Balmer o intervenait la suite discrte des nombres entiers, permettait de calculer avec une grande prcision la rpartition des frquences des raies du spectre visible de lhydrogne. Autour de 1910, les expriences #Ernest Rutherford avaient montr que les atomes sont forms dun noyau dense entour dlectrons retenus par lattraction lectrique. En 1913, Niels Bohr a propos un modle plantaire pour latome. I1 mettait lhypothse que le moment cintique de llectron tournant autour du noyau central tait quantifi en une suite de valeurs discrtes et il postulait que llectron, passant dune orbite un autre, met ou absorbe un photon dnergie hv gale la diffrence des nergies entre les deux tats stationnaires. I1 retrouvait ainsi aisment la formule de Balmer et, postulant que (( les lectrons ne dcrivent que certaines orbites dfinies par un nombre entier , il donnait une justification aux discontinuits introduites par Planck. Ce modle expliquait aussi la production dtats excits dans les atomes ainsi que

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  • 10 Michel Crozon

    laction dun champ lectrique (effet Stark) sur le spectre de lhydrogne.

    En igig, aprs linterruption due la premire guerre mondiale, Max Planck reut le prix Nobel. Une priode de grande fcondit scientifique commena alors, appuye sur lide de quantum dnergie. En 1921, lexprience de Otto Stern et Walther Gerlach a rvl la quantification spatiale du moment magntique des atomes puis, en 1922, Arthur Compton a mis en vidence laspect corpusculaire des rayons X en mesurant leur diffusion par les lectrons du graphite. En ce qui concerne la thorie, cest aux lectrons eux-mmes, considrs jusque-l comme des grains lmentaires de matire lectrique, que Louis de Broglie a attribu une double nature, corpusculaire et ondulatoire, dans sa thse de doctorat (1924) intitule Recherche sur la thorie des quanta . Salue par Einstein qui dclara que de Broglie avait (( soulev un coin du grand voile , cette hypothse va devenir, sous la houlette de Niels Bohr, le point de dpart dune extraordinaire aventure intellectuelle collective. Une poigne de jeunes chercheurs brillants venant des quatre coins dune Europe que la guerre venait de dchirer a, en quelques annes, construit lune des plus extraordinaires ralisations de lesprit humain, la mcanique quantique. Tour tour Werner Heisenberg, Paul Dirac, Erwin Schrodinger, par trois approches diffrentes, ont propos trois formulat ions des phnomnes quant iques et Schrodinger a dmontr que celles-ci sont quivalentes. Wolfgang Pauli a attribu llectron une proprit quantique deux valeurs et nonc son principe dexclusion, puis George Eugene Uhlenbeck et S. A. Goutsmit ont dcouvert le spin. Max Born et Pascual Jordan ont introduit les relations de commutation et Heisenberg a nonc les re la t ions dincerti tude qui explicitent les l imites de not re connaissance de la ralit quantique. Born a propos linterprtation probabiliste de la fonction donde introduite par Schrodinger. Lquation de Klein-Gordon et celle de Dirac incorporaient les concepts de la relativit restreinte dans les quations de la mcanique quantique. Ltude des statistiques quantiques a mis en vidence deux

    Extrait de la publication

  • Un sicle de quanta I I

    familles dobjets quantiques, selon quils relvent ou non du principe dexclusion de Pauli : les fermions (statistiques de Fermi-Dirac) et les bosons (statistiques de Bose-Einstein).

    Alors que la thorie de la relativit, premier branlement majeur de la physique dorigine newtonienne, avait conserv le systme classique de reprsentation des grandeurs physiques (position, vitesse, moment angulaire.), la mcanique quantique doit recourir des oprateurs mathmatiques agissant sur les vecteurs despaces de Hilbert reprsentant les tats quantiques. Les prdictions quantiques sexpriment, pour la plupart, en termes de probabilits. La (( dualit onde-corpuscule n oblige mler les descriptions corpusculaire et ondulatoire pour lvaluation des probabilits. En outre, la description dun systme doit tenir compte des conditions dobservation et celles-ci sont de nature statistique. Par exemple, lexprience classique des fentes dYoung, quelle sapplique aux rayons lumineux ou un faisceau dlectrons, donne naissance des franges dinterfrence, mais celles-ci se construisent par laddition dimpacts ponctuels individuellement imprvisibles et, de plus, il est impossible de dterminer la fente par laquelle passe chaque particule sans dtruire la figure dinterfrence.

    Lincertitude lie laspect probabiliste de la thorie quantique allait contre la tradition dterministe de la physique classique. Cependant Bohr, approuv par beaucoup de jeunes physiciens, arm de son principe de complmentarit, a soutenu cette interprtation dite de Copenhague. I1 fondait son raisonnement sur le concept de phnomne, interaction entre un processus et un instrument de mesure. Les grandeurs physiques mesurables correspondent des oprateurs a observables >> et seules les observables qui commutent peuvent donner lieu des mesures simultanes prcises. Des reprsentations sont complmentaires si elles mettent en jeu des observables qui ne commutent pas et, selon les phnomnes que lon

    2.-Voir le texte de Dominique Lecourt, page 151.

    Extrait de la publication

  • 12 Michel Crozon

    considre, il faut utiliser lune ou lautre des reprsentations. Dautres physiciens, comme Einstein, ainsi que de Broglie, rpugnaient accepter que Dieu joue aux ds D dans lUnivers et, en consquence, prsumaient que la description quantique reste incomplte. Des expriences de pense, comme celle, fameuse, dite du (< chat de Schrodinger , ont t imagines pour mettre lpreuve la mcanique quantique. Surtout Einstein, Podolski et Rosen ont conu une exprience de pense (EPR) par laquelle on pourrait connatre deux quantits conjugues, sans que la mesure les perturbe, ce qui montrerait le caractre incomplet de la mcanique quantique. Niels Bohr, dfendant sa propre conception, a rejet leurs arguments.

    La mcanique quantique, on le sait, a modifi notre vision de la ralit et a profondment marqu de nombreux dveloppements de la science du XXe sicle3. En effet, indpendamment des dbats sur les fondements et les modalits de la mesure, la thorie quantique sest affirme comme seule capable de dcrire les phnomnes physiques lchelle microscopique. Ds les premires annes elle expliquait les spectres atomiques, la stricte identit entre les atomes dun mme lment, la stabilit des corps solides, la structure de molcules simples et mme le troisime principe de la thermodynamique. La constante h introduite par Planck (ou plutt hlzn, symbolis par E), a jou un rle croissant dans la description physique et chimique de la ralit. Cela a t particulirement sensible en physique nuclaire et en physique des particules, domaines qui se sont dvelopps partir des annes 1930.

    En 1932, la dcouverte du neutron par James Chadwick ouvrait la voie la physique nuclaire : un noyau est constitu dun ensemble de protons et de neutrons (les nuclons) juxtaposs et seules certaines de ces combinaisons sont stables. Pour rendre compte de cette stabilit en dpit de la rpulsion lectrique entre protons, Heisenberg postulait lexistence dune interaction nuclaire forte et, pour transmettre cette

    3.-Voir le texte de Dominique Lambert, page 39.

  • Un sicle de quanta 13

    interaction, Hideki Yukawa prvoyait lexistence dune particule. Celle-ci, que lon nomme aujourdhui pion, dcouverte en 1947, sest rvle ntre que la premire de toute une catgorie de particules instables, les msons, dont les proprits ont t par la suite explores par la physique des particules. La physique nuclaire a connu un grand dveloppement ds les annes 1930, notamment avec lutilisation des cyclotrons pour provoquer des ractions nuclaires. Cela a conduit llaboration de modles thoriques du noyau, comme le modle en couches, inspir par les niveaux et les tats dexcitation des lectrons dans les atomes4. Lnergie de liaison entre nuclons et donc la stabilit des noyaux dpend des proportions de protons et de neutrons quils contiennent. En particulier, le noyau duranium devient instable quand il reoit un neutron suppl- mentaire : cest le phnomne de fission de luranium, dont on connat les consquences guerrires et nergtiques. A partir des intuitions de Hans Bethe (1938) prolonges par William Fowler et Edwin Salpeter, on a pu comprendre les mcanismes nuclaires qui aboutissent, au c a r du Soleil et des toiles, au dgagement dnergie grce la fusion de noyaux lgers en noyaux plus lourds. Cest cette nuclosynthse dans les toiles qui a fabriqu les noyaux des divers lments chimiques constituant la matire qui nous entoure.

    La connaissance dtaille des modalits de la dsintgration des noyaux instables est lorigine de divers procds de datation cosmique, gologique, prhistorique. .Au cours des dernires dcennies, lutilisation de faisceaux dions lourds a aussi mis en vidence des proprits de vibration et de rotation des noyaux qui ne peuvent, elles non plus, tre interprtes en termes classiques.

    Au dbut des annes 1930, linstigation de Oskar Klein, Jordan, Heisenberg, Pauli, Eugene Wigner et Victor Weisskopf, une autre tape souvrait, celle de la quantification des champs de forces. Ds 1931, Dirac avait prvu lexistence de lantiparticule de llectron : le

    q.-Voir le texte de Philippe Chomaz, page 91.

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    positon (ou positron) fut dcouvert exprimentalement en 1932 par Carl Anderson dans le rayonnement cosmique. Peu de temps aprs, Frdric Joliot et Irne Joliot-Curie annonaient lapparition simultane dun lectron et dun positon par (( matrialisation H dun photon dans un champ lectromagntique. Cependant, sur le plan quantique, llectrodynamique, thorie du champ lectromagntique, se heurtait de difficiles problmes de divergences mathmatiques.

    Paralllement, ltude de la radioactivit p amenait Pauli et surtout Enrico Fermi proposer lexistence dune force nouvelle, (( linte- raction faible , ainsi que celle dune particule singulire, presque indtectable, le neutrino. Celui-ci ne fut observ exprimentalement que vers 1955.

    Gravitation, lectromagntisme, interaction forte, interaction faible : quatre forces fondamentales sont donc ncessaires pour dcrire lunivers matriel. Linteraction gravitationnelle semblant pratiquement ngligeable lchelle des particules individuelles, ce sont les trois autres interactions qui ont dabord fait lobjet de la physique des particules. Pour explorer la structure des particules des dimensions de plus en plus petites, il fallait, selon les principes mmes de la mcanique quantique, utiliser des collisions des nergies de plus en plus leves. Pour cela, les chercheurs ont eu dabord recours aux rayons cosmiques puis aux acclrateurs de particules et aux collisionneurs, jusquau gigantesque LHC, grand collisionneur de protons qui entrera en service vers 2007 au Cern, en Suisse.

    Vers 1947, les problmes lis aux difficults mathmatiques rencontres en lectrodynamique ont t rsolus par la Tenor- mulisution. Des valeurs infinies ou divergences apparaissent lorsque lon calcule les processus lmentaires dinteractions entre charges lectriques et champs lectromagntiques en utilisant les masses et constantes de couplages (( nues , cest--dire gales ce quelles seraient en labsence dinteraction. Les divergences disparaissent si lon utilise les masses et les constantes dites ((habilles , cest--dire

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  • Un sicle de quanta 15

    en tenant compte de laction des particules sur elles-mmes. Cette mthode, dveloppe par Julian Schwinger, Hans Bethe, Richard Feynmann, Shin Tomonaga et quelques autres a permis dlaborer llectrodynamique quantique (QED), remarquable thorie des champs quantiques qui permet de calculer les processus mettant en awre des charges lectriques et des photons avec une prcision ingale (jusqu dix chiffres significatifs). Ce succs en a fait un modle de thorie physique et a pouss les thoriciens imiter la QED pour dcrire les autres interactions. Le succs de la renormalisation de la QED doit tre attribu linvariance de jauge. Celle-ci signifie que la thorie est invariante quel que soit le rfrentiel local. Cela nest possible que sil existe, coupl au champ de llectron, un champ de jauge qui nest autre que le champ lectromagntique transport par les photons. Do lespoir que les autres formes dinteraction relvent, elles aussi, de thories de jauge. Un premier succs a t obtenu dans le domaine de linteraction faible. la suite des travaux de Chen Ning Yang, R. L. Mills, Tsung Dao Lee, Martinus Veltman, Gerardus t Hooft, et dautres encore, il a t possible Abdus Salam, Sheldon Glashow et Steven Weinberg dlaborer une thorie commune aux interactions faible et lectromagntique, la thorie lectrofaible qui, en plus du photon de linteraction lectromagntique, prvoyait lexistence de bosons transportant linteraction faible. Ces bosons devaient avoir une masse trs leve, ce qui explique la trs courte porte de cette interaction. En 1973, la dcouverte par Andr Lagarrigue et ses collaborateurs dinteractions faibles courant neutre (cest--dire sans change de charge lectrique) dans les interactions des neutrinos a apport une premire confirmation de la thorie lectrofaible. Puis les bosons faibles W+, W-, et Z ont t mis en vidence au Cern en 1983 la suite dun dveloppement technologique exceptionnel et cela a consacr le succs de la thorie de jauge lectrofaible, tape importante vers lunification des forces lmentaires.

    En ce qui concerne linteraction nuclaire forte, les physiciens avaient d, partir de 1947, faire face une multiplication inattendue

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    des dcouvertes de nouveaux hadrons qui sont les particules qui subissent cette interaction. Aucune de celles-ci ne paraissant plus lmentaire que les autres, les thoriciens se heurtaient des difficults en apparence insurmontables. Cependant, aprs un travail de classification, Murray Gell-Mann et George Zweig ont mis lhypothse (1964) que les hadrons sont constitus dobjets plus lmentaires quon a dnomms quarks. Dabord simple modle mathmatique descriptif, lhypothse des quarks a pris consistance la suite dexpriences qui on t mis en vidence une structure ponctuelle au sein mme des hadrons. Bien que ne pouvant tre isols, les quarks ont pu tre considrs comme les quanta de champs fondamentaux. Au dbut des annes 1970, les thoriciens ont chafaud la chromodynamique quantique (QCD), thorie des interactions dites de couleur dans laquelle les quarks composant les hadrons interagissent entre eux par lintermdiaire de particules de jauge, les gluons. Quarks et gluons sont porteurs de charges dites (( de couleur >> (do le nom donn la thorie), ce qui assure leur cohsion.

    Ensemble, la thorie lectrofaible et la chromodynamique quantique constituent ce que les physiciens appellent le Modle Standard. Celui-ci, constitu de thories de jauge obissant des symtries mathmatiques, reprsente un triomphe de la thorie des champs quantiques ! Plus de vingt ans dexpriences de plus en plus prcises et raffines, notamment sur le collisionneur LEP du Cern, nont pas pu le mettre en dfaut. Pourtant, il reste insatisfaisant : il comporte un trs grand nombre de paramtres que lexprience doit dterminer et il nexplique pas pourquoi les quarks restent confins au sein des hadrons. Et surtout les physiciens aspirent une thorie quantique qui intgrerait de faon plus complte les interactions, en y ajoutant la gravitation. Dans cette perspective, ils ont chafaud des constructions thoriques comme la Grande Unification, la Super- symtrie, et la thorie des Supercordes (qui postule lexistence de dimensions supplmentaires celles de notre espace-temps). En dpit de leur sduction esthtique ou intellectuelle, aucune de ces thories

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  • Un sicle de quanta 17

    na, jusqu aujourdhui, reu de confirmation exprimentale non ambigu. Mais sil existe un jour une thorie (( ultime , quelle quelle soit, nul ne doute quelle doive intgrer les principes et les rsultats du Modle Standard.

    La renormalisation, quon pouvait au dpart considrer comme une sorte dartifice, est devenue une caractristique des thories permettant daccder aux conditions mmes dobservation des phnomnes. Grce aux travaux de K. Wilson vers 1975, le groupe de renormalisation a pu tre applique un domaine entirement diffrent de la physique, la thorie des transitions de phase, cest-- dire un phnomne macroscopique.

    Toutefois, la question de la validit ultime de la description quantique restait ouverte. Le paradoxe EPR la mettait en question. Cette difficult a t surmonte aprs 1960. Dabord John Bell, en 1964, a tabli un ensemble dingalits arithmtiques que doivent satisfaire les mesures sur des tats classiques (cest--dire non quantiques) statistiquement indpendants et spatialement spars. Au contraire, si la mcanique quantique est valable, les tats produits dans lex- prience EPR violeraient ces ingalits cause de ce que lon appelle lintrication quantique ou non-~parabi l i t~ . Plusieurs sries dexpriences, notamment celles dAlain Aspect, portant sur les corrlations entre les polarisations de photons mis par paires ont permis de constater une incontestable violation des relations de Bell. Ainsi, au dbut des annes 1980, la mcanique quantique sest trouve fermement confirme par lexprience.

    Reste comprendre comment se fait la transition qui va de lunivers quantique des objets microscopiques celui qui nous est familier dont les apparences sont tout fait classiques. Cest l lobjet des thories de la dcohrence. Utilisant le formalisme de lintgrale de chemins que lon doit Feynman, elles permettent de faire

    5.-Voir le texte de Serge Haroche, page 113.

    Extrait de la publication

  • 18 Michel Crozon

    merger, au sens des probabilits, lunivers classique partir de la description quantique. Dans un systme complexe, comportant un grand nombre de particules, les carts quantiques la description classique deviennent ngligeables. Ce que lon nomme la dco- hrence, cest--dire la perte des effets dinterfrence lis au monde quantique, est li lchelle (ou grain) laquelle on observe la ralit. On peut trouver une description de ces mthodes dans les ouvrages de Murray Gell-Mann et de Roland Omns.

    Les progrs instrumentaux et thoriques au cours du dernier quart du XX sicle ont permis la ralisation de prdictions quantiques jusque-l inaccessibles et ouvrent la voie des ralisations pratiques utilisant les proprits microscopiques de la matire. On peut citer par exemple la production de condensats de Bose partir datomes qui sont pourtant des objets complexes. I1 faut aussi rappeler que le modle cosmologique dit du Big Bang repose sur lhypothse dune fluctuation quantique initiale et que son droulement met en jeu une succession de phnomnes quantiques seuls mme dexpliquer les caractristiques actuelles de notre univers. Roger Balian (page 59) dresse un tableau de (( la physique quantique notre chelle .

    Les quanta, dabord simple postulat abstrait destin dcrire le spectre du rayonnement du corps noir, interviennent aujourdhui dans tous les phnomnes physiques, de la cohsion des solides aux lois de la thermodynamique, de la conductivit lectrique la cintique des ractions chimiques.

    Les quanta sont aussi partie prenante de notre univers technique. Citons le transistor dj ancien ainsi que toutes les techniques lectroniques miniaturises lextrme qui facilitent notre infor- mation et nos changes. Un pas de plus sera franchi avec les dispositifs effet quantique utilisant des composants dont les dimensions approchent les distances interatomiques. En ce qui concerne la lumire, il faut rappeler linvention du laser, dispositif produisant des faisceaux de lumire cohrente, cest--dire de photons obissant la

    Extrait de la publication

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    statistique de Bose-Einstein, ainsi que celle des photo-dtecteurs aux multiples usages. De grands espoirs sont mis aujourdhui dans les ordinateurs quantiques qui, au lieu des valeurs binaires O et 1 pourraient utiliser les (( Q-bits , superpositions de spineurs de Pauli6.

    Si, du corps noir lordinateur quantique, la mcanique quantique a envahi tous les champs des sciences et des techniques, elle a aussi remis en question les concepts traditionnels de la philosophie des sciences : le temps, lespace, la causalit. Les objets quelle considre nont plus la rassurante solidit des points matriels de la mcanique de Newton. Cest de cet impact philosophique que traitent les articles de Dominique Lecourt (page 151) et de Michel Bitbol (page 161).

    Max Planck, lhomme qui en igoo a amorc cette rvolution de la physique, a connu les plus grands honneurs. Aprs le prix Nobel de physique en 1919, il fut nomm en 1930 la prsidence de lInstitut Kaiser-Wilhelm quil quitta en 1937. Aprs la guerre cet institut fut baptis N Institut Max Planck . I1 en fut le prsident dhonneur et cet institut reste aujourdhui lun des piliers de la recherche scientifique en Allemagne. Sous le rgime nazi, la conduite de Max Planck fut dune grande dignit, il ne consentit aucune bassesse. Quand il mourut en 1947, g de 89 ans, la mcanique quantique tait solidement tablie.

    Cent ans aprs sa dcouverte, les physiciens franais, comme leurs collgues du monde entier, ont tenu la clbrer par des colloques et des rencontres o ont t dcrits quelques-uns des accomplissements qua apports cette vritable rvolution scientifique. Le prsent ouvrage rassemble quelques-unes des interventions prononces cette occasion.

    6.-Voir le texte de Michel Dvoret et Daniel Estve, page 135.

  • 180 Michel Bitbol

    physique quantique sautait aux yeux. Leur caractre non-survenant a tard tre explicit, mais il tait peu prs peru. En revanche, le statut de la relation cognitive est rest ambigu. Tantt, il tait conu sur le modle classique (dans limage de la (( perturbation )) des proprits de lobjet par les proprits de lagent de mesure). Tantt on tentait de le mettre aux normes du nouveau type de relation objectale (dans la thorie quantique de la mesure de Von Neumann).

    Mais, mme dans ce dernier cas, on ne saisissait pas toutes les implications de la nature non-survenante des relations cognitives. Lun des signes de cette incomprhension est quon attendait dune description de cette relation dans le cadre de la thorie quantique quelle permette la dfinition de certaines proprits, et laffirmation dnoncs uniques. On esprait au moins quelle fixe une proprit univoque de lappareil lissue de la mesure, exprime par un nonc catgorique : la proprit qui consiste afficher une position daiguille sur un cadran, ou une inscription bien dfinie sur un cran, traduite par lnonc catgorique dun rsultat de mesure dtermin.

    Or, sauf faire intervenir un deus ex machina, comme le a terme de rduction spontane )) de Ghirardi, Rimini et Weber, ou bien la N conscience D de Wigner, cet espoir a t du. Du haut en bas de lchelle des grandeurs spatiales, dans son traitement des relations cognitives comme dans sa description des relations objectales, le formalisme quantique nindique que de pures corrlations. Des corrlations que le langage courant peut tout au plus traduire par une liste dnoncs conditionnels, comme par exemple : (( si la trace se situe au niveau de la premire graduation, alors cela signifie telle ou telle chose pour lobjet mesur ; mais si elle est sur la deuxime graduation, alors cela entrane telle ou telle autre chose, si elle est sur la troisime, alors (...) 34.

    34.-E. Schrodinger,

  • Relations et corrlations en physique quantique 181

    Les thories de la dcohrence elles-mmes nont pas fondamen- talement chang cette situation. Tout ce quelles ont montr est que la structure particulire des corrlations quantiques (impliquant des termes de forme interfrentielle), se rapproche asymptotiquement, lchelle macroscopique, de la structure des corrlations de la thorie classique des probabilits. Cela permet bien de traiter approxima- tivement ces corrlations comme si elles refltaient des relations survenantes entre proprits macroscopiques. Mais dune part, le (( comme si )) reste inliminable, ce qui interdit dignorer le caractre essentiellement non-survenant des relations quantiques. Et dautre part, aucune proprit singulire nmerge des calculs de dco- hrence, montrant une nouvelle fois que le formalisme de la thorie quantique ne saurait sortir par lui-mme du cercle des relations.

    Les thories de la dcohrence (corrobores par lexprience) montrent simplement la compatibilit approximative, lchelle macroscopique, du cercle de proprits de la physique classique et du cercle de relations non-survenantes de la physique quantique.

    Extrait de la publication

    gerbig

    Table des matiresMichel Crozon: un sicle de quanta