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(Extrait) La Reine tzigane

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En chacun de nous il y a un roi, une reine. Ce roi et cette reine cherchent à faire de grandes choses dans la vie. L’histoire du jeune roi Bojil et de la petite Tzigane qu’il a choisie comme Reine nous entraîne ici dans la grande aventure de l’amour, sur le chemin de la liberté et de la fraternité humaine. Le jeune lecteur trouvera ici, avec légèreté, ce qui fait partie de sa recherche instinctive.

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Louise-Marie Frenette

LA REINE TZIGANE

Une histoire inspiréede légendes bulgares et turques

Couverture et illustrations en couleurs :peintures sur soies, par l’auteur

ÉDITIONS PROSVETA

Copyright 2000 ProsvetaISBN : 1-895978-28-9

Aucune partie de cet extraitne peut être reproduite sans la

permission de l’éditeur.

Version numérique:

Copyright 2012 Louise-Marie Frenette Copyright 2012 Éditions Vehadi

ISBN : 978-2-9812844-6-4

www.editionsvehadi.com

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Table des matières

Un petit mot pour les jeunes Bojil et MilianaManol et le banditLe secret de MilianaLa réponse est dans les étoilesLes contes de la Reine: Rayonne, mon soleil!Les contes de la Reine: L'oiseau RoccaLes contes de la Reine: Les poules dans la maisonLes contes de la Reine: Le Radjah et l'InitiéLes contes de la Reine: Les questions du SultanLa Cour de Sagesse du TzarLes contes de la Reine: L'ange qui entra dans le corps d'un cochon De la même auteure

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Un petit mot pour les jeunes

La plupart des contes qui composent l’histoire de la Reine tzigane existent depuis très longtemps. Certains sont bulgares, d’autres sont turcs, un seul vient d’anciens textes hindous. Je les ai tous trouvés dans les conférences du Maître Omraam Mikhaël Aïvanhov, qui en avait expliqué le symbolisme.

J’ai eu envie de les réécrire à ma façon et de réinventer les person-nages en imaginant quel pouvait être leur caractère. En me servant de dix contes différents, j’ai écrit une seule histoire fantaisiste.

Les phrases en italique à la fin de certains chapitres proviennent de commentaires faits par Omraam Mikhaël Aïvanhov sur ces contes.

Un petit mot pour les adultes

Les grands Sages savaient que les contes ne sont pas uniquement des histoires pour enfants. Ces Sages sont d’ailleurs les inspirateurs des plus beaux contes qui font partie du patrimoine de l’humanité. Il nous appartient de découvrir le grain de sagesse enfoui en chacun d’entre eux.

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Il y a très longtemps, au royaume de Bulgarie, le prince Bojil venait d’avoir dix-huit ans. Son adolescence était terminée et il en était très fier.

Ce matin-là, il fut appelé très tôt dans les appartements de son père, le tzar Lubomir. Grand et vigoureux comme son père, Bojil res-semblait aussi un peu à sa mère : comme elle, il avait des cheveux blonds et des yeux noirs. Il s’habilla avec soin et décida de porter la magnifique ceinture de cuir ornée de plusieurs rubis et d’une boucle en or qu’il venait de trouver sur le pied de son lit : son premier cadeau d’anniversaire, offert par sa mère.

Après avoir choisi un fruit sur le plateau que lui tendait un servit-eur, il sortit sur sa terrasse pour le manger. Le soleil se levait, illumi-nant les monts au loin. Bojil se lava les doigts dans un bol d’argent rempli d’eau chaude, puis il se rendit dans les appartements du tzar.

— Bon anniversaire, Bojil, lui dit Lubomir. Assieds-toi.Avec sa haute taille et ses cheveux grisonnants, le tzar Lubomir était

bel homme. Son visage énergique, ses manières ouvertes et franches inspiraient confiance. Bojil avait toujours eu beaucoup d’admiration pour lui.

— Mon fils, dit Lubomir, tu dois maintenant penser au mariage. J’ai déjà reçu plusieurs petits portraits de princesses d’autres pays.

— Déjà, père ! s’exclama Bojil.— Bien sûr. Je t’ai dit plusieurs fois que tu devrais choisir ta femme

le jour de tes dix-huit ans.Bojil regardait son père avec un mélange de surprise et de crainte.— Ah, dit-il. Oui… J’avais oublié.Le tzar dit avec bonté :— Aujourd’hui, tu le sais, c’est une journée de réjouissance : les

meilleurs poètes du royaume, les acrobates les plus agiles, les plus grands musiciens sont déjà arrivés pour fêter tes dix-huit ans. Amuse-toi bien et profite du fait que tous tes amis seront autour de toi !

Bojil s’était préparé à cette fête, il y avait beaucoup pensé à l’avance, mais les paroles de son père jetaient une ombre sur sa joie d’avoir dix-huit ans et d’être le héros du jour. Il soupira.

— Demain, continua Lubomir, il faudra que tu prennes le temps de regarder les miniatures des princesses. Je te donnerai toute la journée pour faire ton choix, et le soir tu me diras laquelle tu préfères. C’est la

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coutume, tu le sais, mais s’il te faut un jour de plus pour te décider, tu auras un jour de plus… et même deux ou trois.

Bojil quitta son père l’âme troublée. « Me marier, déjà… » pensait-il. Toutefois, quand les fêtes commencèrent, il oublia ses inquiétudes. Son caractère gai prit le dessus. Il s’amusa beaucoup avec ses amis, ses cousins et ses cousines.

Le lendemain, malgré une nuit très courte, il se leva tôt. La pensée

de ce qui l’attendait lui était revenue pendant son sommeil et l’avait éveillé. Il se sentait nerveux.

Dans son petit salon, sur une table en ébène, son père avait fait placer les petits portraits ; il y en avait huit, peints à la main avec de jolies couleurs, dans de petits cadres dorés.

Quand Bojil les eut tous regardés, il se sentit un peu effrayé : au-cune de ces jeunes filles ne lui plaisait. Certaines étaient belles, mais il ne trouvait pas sur leur visage la bonté qu’il y cherchait, il n’y trouvait pas la joie de vivre. Il ne se sentait attiré par aucune d’elles et se disait :

« Je n’ai pas envie d’épouser une jeune fille que je ne connais pas du tout. Qu’une fille soit belle, ça ne suffit pas ! Il faut aussi qu’elle soit intelligente et bonne. Je veux pouvoir aimer la princesse qui sera ma femme. Mais comment faire ? Toutes ces princesses habitent dans des endroits éloignés, et si j’en choisis une, je ne pourrai pas la connaître avant le jour de mon mariage. C’est la coutume, et les parents de ces princesses ne voudront sûrement pas faire autrement… »

Il alla trouver sa mère. Dès qu’il entra dans la pièce, la reine Slavena s’aperçut que Bojil était troublé et inquiet. Elle lui sourit avec tendresse.

— Viens, dit-elle, assieds-toi près de moi.Bojil s’inclina, la saluant d’abord comme on salue une reine, puis il

se pencha et l’embrassa.— Mère, dit-il, mère, j’ai peur de l’avenir. Aucune de ces princesses

ne me plaît. Je voudrais épouser une jeune fille que j’aime.Slavena avait un don de clairvoyance, c’est-à-dire que souvent, elle

sentait, ou voyait d’avance, les choses qui allaient arriver aux per-sonnes de son entourage. C’est de cette façon qu’elle avait deviné le destin de son fils Bojil. Toutefois, elle avait assez de bon sens pour ne rien lui dire.

Depuis longtemps, elle avait compris que la clairvoyance doit être accompagnée de sagesse. Elle savait que chacun doit vivre sa vie sans savoir à l’avance ce qui va lui arriver, car c’est la seule façon de garder la paix du cœur. Si les gens connaissaient les épreuves qui les atten-dent, ou même les joies, ils ne pourraient pas vivre en paix.

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Slavena prit les mains de Bojil dans les siennes et lui dit avec fermeté :

— N’aie pas peur, mon fils. Tu es protégé, tu es aidé par des êtres invisibles. Nous le sommes tous. Fais ce que tu dois faire chaque jour, honnêtement, avec bonté, avec amour. Et si tu veux un délai pour trouver la femme que tu aimes, demande ce délai à ton père.

Bojil secoua la tête :— Il m’a déjà dit qu’il me donnerait deux ou trois jours de plus,

mais cela ne me suffira pas pour trouver la femme que j’aimerai. Père m’a toujours dit qu’à dix-huit ans je serais obligé de choisir…

— Eh bien, dit Slavena, tu auras dix-huit ans pendant toute l’année ! Cela te donne le temps… Tu ne crois pas que ton père t’aime assez pour te laisser le temps de trouver ta bien-aimée si tu lui expliques ce que tu ressens ?

Bojil rougit.— Je sais, dit-il, que père est juste et qu’il m’aime… Mais il est

beaucoup plus âgé que toi, mère, et parfois il m’intimide…— Prends ta vie en main, Bojil, et fais cela dans la paix, car la ré-

volte ne te mènerait nulle part. Et surtout, essaie de surmonter cette timidité que tu n’as pas encore tout à fait maîtrisée. Il faut dire à ton père ce que tu veux.

Bojil embrassa sa mère et la quitta, mais il décida de passer la journée en pleine nature avant d’aller retrouver son père dans ses appartements. Bien souvent, quand il était troublé, il chevauchait longuement dans la forêt et retrouvait le calme et la paix du cœur. Il fit seller son cheval et s’élança hors de la cour du palais.

« Je ne veux plus penser à tout ça, se disait-il. Je suis convaincu que je vais perdre ma liberté… Et comment trouver l’amour en si peu de temps ? »

Ce jour-là, il faisait très beau et le ciel était comme une immense soie bleue tendue au-dessus du monde. Le soleil réchauffait les fleurs, les animaux et les hommes. Les oiseaux s’étaient réunis par centaines dans les feuillages des arbres pour chanter un hymne de joie.

Le prince galopa longtemps. Vers midi, sur un sentier de la forêt, il aperçut une jeune fille qui portait sur l’épaule un long bâton auquel était attaché un grand sac. « Ah, une Tzigane », se dit-il.

Sur les routes, Bojil avait souvent rencontré de ces jeunes filles qui vivaient avec leur grande famille dans des roulottes tirées par des chevaux. Les Tziganes campaient dans les bois ou dans les champs et voyageaient sans cesse entre les différentes villes de Bulgarie. Ils

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aimaient la musique et la danse, ils donnaient souvent de petites pièces de théâtre ou des concerts de chansons accompagnées à la guitare.

Les filles portaient toujours un fichu de couleur vive sur leur tête et de larges jupes qui dansaient autour d’elles quand elles marchaient. Et lorsqu’on les voyait sur les routes avec leur grand sac, cela signi-fiait que c’était jour de marché : les Tziganes étaient très pauvres et envoyaient leurs filles mendier dans les villages.

Le prince murmura à son cheval :— Belko, fais attention, il ne faut pas effrayer cette jeune fille en

passant trop près d’elle.La Tzigane entendit le pas du cheval et se retourna. Impressionnée

par l’allure noble et fière du cavalier et par le magnifique cheval blanc qu’il montait, elle sourit timidement, mais n’osa pas demander une aumône.

Le prince la regardait avec surprise, car elle était beaucoup plus belle que les jeunes filles des portraits qu’il avait vus ce matin-là. Ce n’était pas une Tzigane ordinaire, car ses cheveux, au lieu d’être très noirs, avaient une couleur magnifique : ils étaient d’un châtain clair aux reflets rouges, un peu comme du cuivre brillant. Ses yeux n’étaient pas ceux d’une Tzigane non plus, car ils étaient bleu-vert. Et son teint était aussi velouté que la peau d’une belle pêche. Intrigué, le prince arrêta son cheval et dit :

— Comment t’appelles-tu ?— Miliana, seigneur.— Et quel âge as-tu ?— Quinze ans, seigneur.— Miliana, dit le prince, tu es bien belle.Spontanément, elle se mit à rire. C’était un très joli rire qui res-

semblait au bruit d’une source.— Noble seigneur, tout le monde me dit cela. De vous, je m’attendais

à quelque chose de plus original !Enchanté de voir que la jeune fille n’était pas intimidée par lui, le

prince descendit de cheval et se mit à marcher à ses côtés. Ils par-lèrent des oiseaux de la forêt, des biches que Miliana aimait nourrir, des ours dont elle avait un peu peur, et de bien d’autres choses.

Pendant tout ce temps, le prince avait une question en tête. Il finit par la poser :

— Miliana, tu es habillée comme une Tzigane, tu portes le long bâ-ton habituel avec le sac, mais tes yeux et tes cheveux ne sont pas ceux de ta race…

Miliana se mit à rire.

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— Cette question-là aussi, tout le monde me la pose, mais j’ai ap-précié votre délicatesse, seigneur : vous avez attendu de me connaître un peu avant de me la poser. Vous voyez, mon père a voyagé dans de lointains pays, et un jour il est revenu d’un séjour dans une île mystérieuse où les gens ont les cheveux roux et les yeux verts. Cette île s’appelait l’Irlande. Il ramenait avec lui une belle jeune fille, qui fut ma mère. Voilà pourquoi je ne suis pas comme les autres Tziganes.

Ils marchèrent encore un peu. Quand Miliana aperçut les toits du village où elle se rendait, elle dit au prince :

— Seigneur, il serait temps de manger un peu. Si vous vouliez part-ager mon pain et mon oignon…

— D’accord, dit le prince, c’est gentil à toi.Ils s’assirent sous un grand chêne pour se restaurer. Le prince était

si heureux qu’il avait l’impression de n’avoir jamais fait un si bon re-pas. Le pain rassis et l’oignon cru lui semblaient être les aliments les plus délicieux du monde.

Plus le temps passait, plus Bojil aimait la jeune fille. Il la trouvait très belle, il découvrait aussi qu’elle était intelligente, bonne et gé-néreuse. De plus, elle possédait ces qualités qui mettent du piquant dans la vie : un petit côté espiègle et taquin, le sens de l’humour et un rire communicatif.

Leur léger repas terminé, le prince regarda Miliana : ils avaient ri ensemble, ils avaient échangé des confidences sur les choses qu’ils aimaient et celles qu’ils n’aimaient pas, mais Bojil ne lui avait pas encore avoué qui il était.

— Miliana, lui dit-il, je suis Bojil, le prince héritier du royaume.Les yeux de la jeune fille pétillèrent.— Je l’avais bien deviné, Seigneur. Seul un fils de roi peut avoir un

cheval comme le vôtre ! Croyez-moi, je m’y connais en chevaux, tous les Tziganes s’y connaissent.

Le prince rit de tout son cœur et la taquina :— Alors tu m’as reconnu à mon cheval et pas à la fierté de mon al-

lure ou à la richesse de mon costume ! Mon cheval est plus important que moi !

Pour la première fois, Miliana le regarda d’un air presque intimidé.— Seigneur Bojil, dit-elle, les gens comme moi n’ont pas le droit

de regarder trop haut. On nous enseigne le respect et la soumission envers les grands de ce monde. Je peux avoir un avis sur votre cheval qui n’est qu’un animal, mais je ne suis pas compétente pour donner mon opinion sur vous-même, le prince. Vous êtes placé trop haut pour moi.

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Bojil contemplait la jeune Tzigane d’un air émerveillé. Il lui dit lentement :

— Miliana, il n’existe aucune autre jeune fille comme toi au monde…Son regard plongea encore une fois dans les grands yeux couleur

d’eau pure. Il se dit que le nom de Miliana, qui signifiait douceur, lui allait bien : elle était audacieuse et pleine de vie, mais elle avait aussi une grande gentillesse, et ses yeux étaient remplis de tendresse pour tous ceux qu’elle regardait. Le prince était sûr qu’il pourrait passer toute sa vie avec Miliana sans jamais s’ennuyer et qu’il pourrait lui confier toutes ses pensées.

Prenant une importante décision, il se saisit des deux mains de la jeune fille et lui dit d’un air très sérieux :

— Miliana, veux-tu m’épouser et devenir la princesse de ce roy-aume, et plus tard ma reine quand je serai roi ?

Malgré son intelligence, Miliana n’avait pas du tout prévu cette demande du prince. Jamais elle n’avait entendu parler d’un prince épousant une Tzigane ! Les yeux fixés sur le visage de Bojil, elle resta un long moment en silence. C’était comme si le temps s’était arrêté. Elle n’entendait plus chanter les oiseaux, le bruit du vent dans les ar-bres s’était tu, le ruisseau semblait avoir cessé de couler. « Je rêve », se disait-elle tout étourdie.

Alors elle entendit en elle-même une voix étrange qui disait : « C’est ton destin, celui qui a été prévu pour toi ; mais tu es libre, Tzigane, tu es libre, tu peux choisir… Si tu dis oui, tu perdras ta liberté de fille de la forêt, mais tu gagneras l’amour d’un prince et tout ce qui va avec l’état de princesse… Le veux-tu ou non ? » La voix diminuait d’intensité en répétant : « Tu es libre… tu es libre… »

Miliana sourit au prince qu’elle aimait déjà de tout son cœur et répondit :

— Oui, Seigneur prince, je vous épouserai et j’essaierai d’être une bonne princesse. Quant à être une bonne reine, je ne peux pas en être sûre maintenant, je dois d’abord apprendre à être une bonne princesse.

— Ma sage Miliana, dit le prince, moi je sais que tu seras une mer-veilleuse reine.

Tenant la main de l’adolescente dans la sienne, Bojil réfléchis-sait à ce qu’il devait faire. Il était sûr de l’amour de ses parents et ne craignait pas un refus de leur part. Et bien évidemment, il ne pouvait imaginer un refus de la part des parents de Miliana. Il se décida.

— Allons annoncer la bonne nouvelle à tes parents, dit-il, puis je t’emmène au palais.

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La main dans la main, ils continuèrent à marcher jusqu’au campe-ment tzigane. Belko, le cheval blanc, suivait docilement en secouant la tête comme s’il approuvait le choix de son maître.

Les parents de Miliana, un peu effrayés de ce qui arrivait à leur fille, ne parlèrent pas beaucoup. Ils l’aimaient, leur Miliana si gaie, toute la famille l’aimait, et ils étaient tristes de la voir partir. En même temps, ils se réjouissaient de ce qu’ils appelaient « sa bonne fortune ».

— Belle comme elle l’est, dit le père de Miliana dans l’oreille de sa femme, ce n’est pas étonnant qu’un prince en soit devenu amoureux…

— Oui, répondit l’Irlandaise tout émue, elle est bien plus belle que moi, même toi tu l’admets !

Parmi ses nombreux frères et sœurs, celui qui eut le plus de peine du départ de Miliana fut le plus jeune, Manol, qui était âgé de treize ans. Il avait toujours suivi sa sœur partout où elle allait, mais à partir d’aujourd’hui, il ne pourrait le faire… Il salua le prince avec respect, embrassa sa sœur en retenant ses larmes et s’en alla tout seul vers la rivière.

Miliana monta en croupe derrière le prince et se retourna plusieurs fois pour faire de grands signes d’adieu à sa famille. Des larmes cou-laient sur ses joues. Quand ils furent entrés dans la forêt, elle entendit la voix de Bojil qui lui disait doucement :

— Miliana, tu as de la peine, mais tôt ou tard nous devons tous quitter nos parents. J’essaierai de te rendre heureuse.

Alors elle osa poser son visage sur l’épaule de son futur époux. Quand il partit au grand galop vers le palais, elle osa mettre ses bras autour de sa taille.

Au palais, Bojil eut une surprise : son père ne fut pas du tout d’accord avec la décision qu’il avait prise et le lui dit très clairement. Ce fut leur première mésentente profonde.

Bojil avait beau lui expliquer qu’il aimait Miliana, le tzar Lubomir ne voulait rien entendre. De son côté, le tzar avait beau essayer de convaincre son fils qu’il devait renoncer à Miliana, Bojil ne voulait rien entendre non plus. Il avait subitement perdu tout ce qui lui restait de sa timidité et plaidait sa cause avec la plus grande assurance.

— Je ne veux pas d’une autre femme que Miliana, disait-il fermement.

Lubomir était très mécontent : Miliana n’était qu’une Tzigane, une bohémienne, une fille qui avait passé sa jeunesse sur les routes avec sa tribu, avec les chiens et les chevaux, qui avait même mendié son pain ! Elle ne savait rien de tout ce qui est enseigné aux princesses

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depuis leur petite enfance… Comment pourrait-elle devenir plus tard une reine que tout le monde respecterait ?

— Cette jeune fille, disait-il à Bojil, n’a pas été préparée pour être la tzarine de Bulgarie ! Tu vas même la rendre malheureuse, car elle ne sera jamais à la hauteur et elle finira par en souffrir. Elle se sentira méprisée par tous ceux qui sont nés princes et princesses, et même par les courtisans et… je te le prédis, même par les serviteurs ! Tu verras, ils ne la serviront pas de bon cœur parce qu’elle n’est pas une vraie princesse !

Bojil écoutait avec respect, mais il demeurait ferme et sûr de lui. L’amour l’avait transformé. Il répétait :

— C’est ma bien-aimée, c’est elle qui sera ma future femme, c’est elle qui sera la mère de mes enfants.

Jamais Lubomir n’avait réalisé que son fils pouvait être aussi entêté. Il ne put le convaincre de ce qu’il pensait être une décision de bon sens, c’est-à-dire d’épouser une vraie princesse.

En désespoir de cause, il s’en fut dans la roseraie où il savait trou-ver sa femme, la reine Slavena. Comme toujours, elle lui apporta la paix du cœur. Elle lui parla de l’amour qui peut transformer les êtres, et aussi de l’égalité de tous les enfants de Dieu, qu’ils soient rois ou mendiants…

— Et puis, c’est leur destin, à ces enfants, c’est ce qui a été prévu pour eux. Je l’ai vu. Ne crains rien, Lubomir, elle sera plus tard une bonne reine.

Lubomir se détendit, car il avait le plus grand respect pour la clair-voyance de sa femme. Assise à côté de lui sur le banc de marbre, elle le regardait en souriant. Ses cheveux blonds brillaient au soleil et ses grands yeux noirs étaient remplis de bonté. Alors il dit avec un petit sourire :

— Si ma femme, la tzarine clairvoyante, me dit qu’elle l’a vu… moi, je n’ai plus rien à dire ! Je ne suis plus qu’un pauvre tzar impuissant…

Quelques jours plus tard, Lubomir lui-même était réconcilié avec l’idée que Miliana serait la femme de son fils : lui aussi commençait à l’aimer. En fait, il l’aimait de plus en plus, comme si elle avait été sa propre fille.

On ne pouvait pas ne pas aimer Miliana. Tout le monde l’adorait au palais, des courtisans aux cuisiniers, des membres de la famille royale aux lavandières.

Et puis, c’était étonnant, la jeune Tzigane possédait une délicatesse naturelle qui l’aidait à deviner de quelle façon se comporter. Sa vive intelligence lui faisait très vite comprendre ce qu’elle devait changer ou améliorer dans son langage ou dans ses manières. Elle imitait le

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comportement de la reine Slavena en se répétant : « Je veux devenir comme elle… »

Le mariage eut lieu par un beau jour de printemps. Et à partir de ce moment-là, Miliana porta des robes magnifiques, elle mangea des mets délicieux, se promena dans des carrosses dorés, aida le prince à faire des plans pour de nouveaux jardins merveilleux autour du palais.

Tout l’intéressait, tout l’amusait. Le palais était si immense qu’il lui fallut des mois pour en découvrir tous les recoins. Miliana es-sayait de bien jouer son rôle de princesse au moment de la visite d’ambassadeurs d’autres pays et au moment des grandes fêtes. Mais surtout, elle continuait à s’intéresser à chacune des centaines de per-sonnes qui travaillaient au palais, dans les salons et les chambres, dans les cuisines et les buanderies, dans les écuries et les jardins. « Les esprits d’en haut savent ce qui est déterminé pour chacun de nous, et parfois ils viennent nous mettre à la place que nous avons méritée. »

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De la même auteure Éditions Prosveta . La belle histoire d’un Maître, biographie Éditions AdA . Le temps de la colombe, roman . L’autre rive de la vie, roman . La vie d’un Maître en Occident . Une nouvelle conscience, essai Éditions Vehadi Versions numériques : www.editionsvehadi.com