4
NIVARIA TEJERA Le ravin EL BARRANCO TRADUIT DE L’ESPAGNOL PAR CLAUDE COUFFON

Extrait Le Ravin

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Extrait : Le Ravin de Nivaria Tejera

Citation preview

Page 1: Extrait Le Ravin

Niva

ria Te

jera

Le r

aviN

Les tribulations de deux auteures au caractère bien trempé, aux prises avec une commande d’ écriture à quatre mains sur un quartier à l’histoire ouvrière en berne.

On s’ amuse des rendez-vous ritualisés qu’ elles se fixent dans tous les cafés du coin pour y faire le point sur l’avancée de leurs investigations. Un comique de situation largement exploité dans leurs échanges à bâtons rompus autour d’une histoire en train de s’ écrire, de personnages en mal de drama-turgie, ou encore de conflits d’ ego…

Les difficultés de l’ exercice de la commande sont traitées au fil de dialogues doux-amers vivifiants qui nous invitent dans l’ envers du décor.

Si la fiction s’inscrit ici dans une forme de réalité, c’ est bien elle qui l’ emporte, au final.

Carole Fives est née dans le Nord, elle partage son temps entre les arts plastiques et la littérature. En 2010, elle obtient le prix Technikart pour Quand nous serons heureux paru aux éditions Le Passage. 

Amandine Dhée est née aussi dans le Nord… Elle écrit et arpente les scènes pour y confronter son écriture inspirée de la vie quotidienne. Son premier ouvrage, Du bulgom et des hommes, est paru aux éditions La Contre Allée en 2010.

En complément audio, Carole Fives et Amandine Dhée dialoguent avec la musicienne Louise Bronx au fil d’une lecture musicale en aparté.

> roman

Nivaria Tejera

iSBN 978-2-917817-10-0 / 13 €WWW.LaCONTreaLLee.COM

COLLeCTiON La SeNTiNeLLeUNe aTTeNTiON parTiCULière

aUx hiSTOireS eT parCOUrS SiNgULierS de geNS, LieUx,

MOUveMeNTS SOCiaUx eT CULTUreLS.

à TéLéCharger

97

82

91

78

17

10

0

Le ravinNivaria Tejera

Le ravinel barranco

TradUiT de L’eSpagNOL par CLaUde COUffON

www.lacontreallee.com/lesaudios

pOUr TéLéChargerLe COMpLéMeNTqUi vOUS eST OfferT,MUNiSSez-vOUSde vOTre OUvrageeT reNdez-vOUS SUr

Page 2: Extrait Le Ravin

EXTR

AIT

Aujourd’ hui la guerre a commencé. à moins que ce ne soit il y a longtemps. Je ne comprends pas très bien quand les choses commencent. Elles m’ environnent d’ un seul coup et ressemblent à des personnes que j’ aurais toujours connues. Pour moi, qui ne sais pas penser,  la guerre a commencé aujourd’ hui, en  face de chez grand-père.

Les  heures  ont  passé.  Je  sens  qu’ elles  m’ ont  fait grandir  brusquement  de  plusieurs  années.  Je  re-garde les choses avec étonnement. On dirait qu’ elles n’ existent pas. “Voici le patio d’ une maison. Dans le patio, voici un néflier, une citerne, une chèvre noire. Maison,  citerne,  patio,  chèvre  noire,  néflier.”  Les yeux bandés, je pourrais indiquer sans me tromper : 

“néflier, chèvre noire, patio, citerne, maison”. Mais j’ ai l’ impression  que  ma  mémoire  s’ égare,  que  je  suis perdue  loin,  très  loin.  J’ entends un mot qui  frappe comme un marteau : “la guerre-la guerre-la guerre”. (Derrière  celui-ci  les  autres  mots  s’ estompent,  

i

Page 3: Extrait Le Ravin

2 LE RAVIn

EXTR

AITfinissent  par  disparaître.)  Ce  mot  n’ a  pas  de  place 

fixe mais il guette partout, pareil à un second corps qui vivrait en moi. La guerre. Soudain c’ est quelque chose  qui  me  connaît  depuis  longtemps.  C’ est  un long couloir  sombre au  fond duquel papa cesse de sourire. 

nous  nous  préparions  pour  la  fête  du  Christ  de La Laguna. La Laguna est la ville où nous habitons. Tante  était  en  train  de  me  faire  essayer  la  robe  de lin  que  je  devais  étrenner,  mais  ses  doigts  s’ em-brouillaient dans les nœuds.–  Tante,  comme  tu  es  nerveuse,  dis-je  en  me  retournant.

Elle  me  fit  non  de  la  tête.  Je  regardai  son  visage qui  se  reflétait  dans  une  des  vitres  de  la  fenêtre. 

“Aujourd’ hui  elle  s’ est  trop  fatiguée”,  pensai-je. Tante est déjà vieille, mais  je  l’ aime tellement que je voudrais qu’ elle soit ma mère. Elle est bonne et n’ a  pas  d’ enfants.  Elle  fabrique  des  caleçons  pour un magasin de confection de la ville et son maigre salaire  permet  de  compléter  celui  de  grand-père qui est bourrelier. Quand elle touche un extra, elle m’ offre des jouets en plus des vêtements habituels. (Je  pense  que  tout  cela  est  fini.  Je  ne  sais  pas.  Je me sens triste, désorientée.) La nuit, quand tout le monde dort, le bruit de sa machine à coudre arrive jusqu’ à notre maison – qui est située juste en face – 

Page 4: Extrait Le Ravin

3nIVARIA TEJERA

EXTR

AIT

EXTR

AITet l’ on dirait une locomotive qui s’ arrête à chaque 

village. Parfois, j’ attends pour fermer les yeux que la lumière s’ éteigne dans sa chambre. (Je pense que les fils blancs qui se montrent maintenant dans ses cheveux tombent, à la veillée, de la lampe.)– Tante, tu es bien sûre que c’ est ton rêve ? ai-je dit comme si je me souvenais tout haut.– Quoi ? a-t-elle répondu, étonnée.– Coudre.– Mais oui… Elle m’ a  regardée un moment. Ses yeux brillaient, 

elle était jolie. Je l’ ai embrassée :– Merci, car je n’ aurais pas de robes si tu ne rêvais pas. 

J’ ai  bien  remarqué  qu’ elle  tremblait.  Elle  a  peut-être  entendu  la  guerre  avant  moi  parce  qu’ elle  est plus  âgée  et  que  penser  c’ est  pressentir  les  choses. Évidemment, j’ étais pressée de me regarder dans la glace. Tout à l’ heure papa allait arriver, et j’ avais hâte qu’ il me voie. Il est si heureux quand j’ étrenne une robe.  Il  ouvre  lentement  les  bras,  puis  il  s’ accrou-pit et sourit en disant : “Où est ma laideronne ?” Je cours me blottir entre ses genoux et  je  le serre très fort  jusqu’ à  ce  que  je  ne  puisse  plus  respirer.  Tout en reculant  il me  fait pirouetter pour que ma robe se soulève et s’ arrondisse comme une corolle. Tandis que  je  tourne,  je  vois  bien  comment  il  se  prépare