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Extrême-Orient 1940

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Extrême-Orient

1940

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DU MÊME AUTEUR :

Essais concernant le Japon ou l 'Extrême-Orient :

C h e z M a r c e l RIVIÈRE :

Relations Economiques entre l 'Europe et l 'Extrême- Orient, 1904.

Les Etablissements des Détroits 1904.

Hong-Kong, in-8 vo., 1904

A la L i b r a i r i e B e r g e r - L e v r a u l t :

Les Etrangers au Japon et les Japonais à l 'Etranger, in- 8 vo., 1904. (Extrait de la Revue Générale d'Adminis- tration).

Les Finances du Japon, in-8. vo., 1908. Le Développement Industr iel du Japon et la Concurrence

en Extrême-Orient, in-8 vo., 1908. Occident et Extrême-Orient, in-8 vo., 1907. L'Inde, in-8 vo., 1910.

D i v e r s :

San ta Fé y Bogota, Bogota Mayo, 1927. El Japon en la vida internacional , Conférence donnée le

1 avril à l 'Académie Nationale d'Histoire en présence de S. E. M. le Dr Miguel Abadia Mendes, Président de la République et M. José Joaquin Casas, Président de l 'Académie.

Le Par thénon, fondé par la Bne Braul t 1908, 7 août 1934. Causerie sur les brefs poèmes japonais : Tanka, Haï- kaï et leurs échos en France.

A u x P r e s s e s M o d e r n e s e t a u G é n i e F r a n ç a i s :

Les Estampes Japonaises en couleurs. (1680-1740-1935). Aperçu historique et critique, 180 pp., in-12. 1935.

A la S o c i é t é F r a n c o - J a p o n a i s e , 1 0 7 , r u e d e Rivoli :

La Salle des Cigognes au Musée Guimet à Lyon, grand in-8 vo. 1912.

L 'Inst i tut Historique de Tokio. Mars 1912.

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EXTREME-ORIENT

1940

T é m o i g n a g e s r e c u e i l l i s e t p r é s e n t é s

PAR

Edouard CLAVERY Membre de la Société des Gens de Lettres

et de l'Académie Diplomatique Internationale

3 Edition, revisée et augmentée

IMPRIMERIES LES PRESSES MODERNES PALAIS-ROYAL, PARIS

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Le mépris des lois est la peste de la République.

(Dictionnaire de l'Académie Française

4 édition 1762).

Si j'avais des citoyens à persuader de la nécessité des lois, je leur ferais voir qu'il y en a partout, même au jeu.

(Voltaire à d'Alembert, 1 Mars 1764).

Les Chinois ont un très faible sen- timent de l 'Etat et de la loi.

M. Marcel Granet.

L a civilisation chinoise. (Conférence du 21 février 1938

à l'Union Rationaliste).

L a Chine est en état constant d'anar- chie.

(Georges Leygues, 1921).

La première édition de cet ouvrage a été publiée fin mai 1938 sous ce titre : L'Anarchie en Chine et le rôle du Japon. Il m'a semblé préférable de laisser le lecteur tirer lui-même la conclusion des faits, plutôt que de sembler la dégager à l'avance.

E. C.

Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays

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P R I È R E D ' I N S É R E R

EXTRÊME-ORIENT 1940 un volume in-16 jésus de 372 p., par Edouard CLAVERY,

de l'Académie Diplomatique Internationale. — Edition des Presses Mod ernes — Palais Royal, Paris ( 1 — 15 francs. franco : 16 francs.

Il y a cinquante ans, L. Poinsard, l'un des plus notables adeptes de la Science Sociale, fondée par les Le Play, de Tourville, enseignait que les Japonais « qui ont su s'assimiler la civilisation occidentale, sont admirablement placés pour l'in- troduire en Chine ». En 1921, M. Abel Bonnard, de l'Aca- démie Française, dans son remarquable livre En Chine, plein de choses vues, les unes poétiques, les autres pitoyables ou même terribles, donne presqu'à chaque page des preuves de l'inexistence dans ce pays, d'aucun gouvernement digne de ce nom. Au début de juillet dernier, une correspondance de Shanghaï, adressée à un grand journal du soir spécifiait sans ambages qu'au point de vue militaire, la partie engagée le 7 juillet 1937, était jouée et que désormais, à l'intérieur de l'an- tique domaine jaune s'affrontaient les facteurs de con- fusion et de désordre d'une part, ceux d'organisations de la paix, de l'autre. Sur ce thème complexe, qui intéresse direc- tement un quart, au moins, de l'humanité actuelle, M. E. Clavery nous apporte, en toute conscience, un ensemble de faits, de données patiemment recueillis et passés au crible. Le lecteur est ainsi mis à même de considérer les diverses faces des problèmes et de se faire à lui-même sa propre opinion... L'exposé des évènements est à jour jusqu'à fin février 1940 et permet, par suite, d'entrevoir la solution de la crise ouverte, à l'état aigu, depuis bientôt trois ans.

Cette solution concorde avec la déclaration solennelle de l'Amiral Yonaï à Tokyo, le 25 février.

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AVANT-PROPOS

Ceci n'est pas à proprement parler un livre mais un dossier, un recueil où le lecteur curieux de s'éclairer, de ne pas s'en tenir à une opinion superficielle sur les choses d'Extrême-Orient, trouvera des témoignages dus à des personnalités compétentes et impartiales.

Divers journaux du 8 décembre tels que Excelsior, l'Intransigeant, ont admis l'opinion que la Chine (dé- nommée Empire ou République) ne correspondait pas tout à fait, était même loin de correspondre à ce que l'on appelle un Etat en Europe ou en Amérique.

C'est déjà ce que L. Poinsard, alors bibliothécaire de l'Ecole des Sciences politiques, enseignait dans des leçons privées Vers 1890, idée qu'il a reprise dans son grand ouvrage sur la Production... dans tous les Pays, au début du XX siècle publié il y a trente ans.

Mais, suivant certains, si la Chine n'existe pas encore, elle est en formation. Les grandes inventions modernes, chemins de fer, télégraphes, téléphones, T.S F., aviation, réduisent, suppriment presque les distances, aident à la naissance de l'unité du pays, des 18 provinces à l'intérieur de la Grande Muraille. Il y a aussi les idées occidentales dont se sont imprégnés quelques centaines, mettons quelques milliers de Chi- nois des générations récentes, ayant fait des études en Occident, Angleterre, France (Lyon), Italie, Belgique, Suisse, Allemagne ou Russie, ou aux Etats-Unis.

La Chine n'est pas encore mais elle est in fieri, m'a dit récemment une personnalité fort avertie, M. Czer- nin de Bretteville qui, tout en gardant sa nationalité française, remplit avec distinction le poste de Ministre

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adjoint des Ravitaillements auprès de S. M. le Tzar Nicolas II pendant trois ans. A coup sûr, cette haute personnalité eut-elle ainsi l'occasion d'acquérir une expérience exceptionnelle des choses non seulement du dedans de la Russie, mais aussi de celles du de- hors, en particulier de l'Extrême-Orient.

Aussi bien l'étude objective du problème posé à ce propos, poursuivie depuis près d'un demi-siècle, m'a- t-elle conduit à cette conclusion, admise d'ailleurs par l'opinion générale, qu'en effet, l'ancien Empire des Fleurs est in fieri comme Etat.

Mais en même temps il semble manifeste que le Fara da se ne lui est pas applicable. M. de Bretteville me disait lui-même qu'ayant eu occasion de parcourir en 1919-1920 en automobile, comme délégué du Gou- vernement d'Omsk (Sibérie et Russie orientale jusqu'à la basse Volga) auprès de la République de Chine, Président : Shu Chi Tchong, 75 000 kilomètres du N.O. à l'Ouest de la Chine, du Petchili au Yunan en passant par le Chansi, le Chensi, le Szetchuen, etc., il n'avait trouvé nullle part que des pistes innomables soumettant à de rudes épreuves les ressorts des véhi- cule et, du même coup, les occupants. La Chine a be- soin d'être guidée, dirigée pour l'organisation qui lui manque (administration, état-civil, police, tribunaux, impôts directs, travaux publics, etc...).

Tout compté, tout rabattu, comme disait Leibniz, nul n'est mieux préparé que le Japon pour cette haute mission intéressant l'humanité entière.

Evidemment cette manière de voir va étonner, sur- prendre bien des Français, bien des Européens imbus d'idées préconçues sur le Péril Jaune et le péril japo- nais en particulier (1). A ceux-là, je leur demande de

(1) Le Paris-Soir, pa r exemple, a repris ce thème le 26 octobre 1938.

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se souvenir dans quelles conditions s'est développée, voici quarante ans et plus, la campagne sur ce Péril. Qui donc alors a lancé le fameux cri — qui d'ailleurs visait surtout les Chinois — Peuples d'Europe préser- vez vos biens les plus précieux? A-t-il fallu de très nombreuses troupes sous le commandement du Maré- chal de Waldersee pour délivrer les Légations à Pé- kin en 1900 ?

Ce point de Vue a été exposé avec vigueur par M. le Colonel Albert Garenne dans un article de l 'Union Latine de janvier 1938: L'Unification de la Chine et le Péril Jaune.

D 'où est venu le péril, celui-là réel et effroyable, quinze ans plus tard ?

Aujourd'hui comme il y a quarante ans, la Chine, j'entends les dix-huit Provinces, laissant de côté les « domaines » extérieurs, Tonkin, Thibet, Mongolie, Mandchourie, est profondément divisée par les intérêts, les langues (vingt de type chinois plus trois ou quatre parlers entièrement distincts, ceux de populations an- térieures à l'occupation du pays par les Célestes). La population est répartie en une infinité d'associations, congrégations, hongs, houeis, et de sociétés secrètes, où l'idée nationale est absente. M. R. K. Douglas, dans un livre publié à Oxford quelques années avant la guerre a écrit : China is honeycombed with societies (La Chine est mise en alvéoles par les sociétés). C'est je crois, encore la vérité.

Dans son article publié par le Temps, le 31 décem- bre dernier, sous ce titre, le Progrès en Chine, M. An- dré Duboscq, dont la plume experte s'est depuis tant d'années, fait une spécialité des choses d'Extrême- Orient, s'exprime ainsi: « Depuis 1934, les réseaux ferroviaire et routier ont été grandement développés. Entre Changhaï et Nankin, l'aspect de la campagne en a été modifié, car les automobiles parcourent les

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routes qui n'étaient hier que des sentiers de piétons ou des pistes... ». Mais il ajoute: « à côté d'améliora- tions étonnantes, quantité de vieilleries subsistent et subsisteront probablement longtemps ». M. Duboscq nous parle ensuite de sa visite faite en compagnie du maire chinois du Grand Changhaï, au « centre civi- que » c'est-à-dire la Mairie, le Musée, la Bibliothè- que. Ces édifices, dont l'écrivain voyageur fait res- sortir le caractère moderne, s'élèvent, ou plutôt s'éle- vaient avant les récentes batailles, non loin de la ville actuelle, au centre d'une grande plaine bordée à l'est par le Fleuve Bleu ». Mais M. A . Duboscq le sait mieux que personne, il s'agit là d'une sorte d'extension de Changhaï international, une émanation, une copie, ne disons pas une contrefaçon, des municipalités (fran- çaise et internationale) instituées par les étrangers et dont l'émanation, la « filiale », pour ainsi dire, n 'a pris corps qu'avec le concours de ces derniers.

En superficie, le « plus grand Changhaï » ne repré- sente, comme il est clair, qu'une part infime, minus- cule, des territoires classés par l 'Almanach de Gotha sous la rubrique : Chine. Les dix-huit provinces, à elles seules, représentent plus de quatre millions de kilo- mètres carrés dont : 566 000 pour le Szetchouen, 325 000 pour le Kan-sou, 300 000 pour le Petchi-li, 259 000 pour le Kwangtung.

Dans les parties basses des vallées du Fleuve Bleu et du Fleuve Jaune la densité de la population dépasse cent et même trois cents au kilomètre carré.

Dans l'ensemble de ces dix-huit provinces, varié quant aux langues et aux climats, aux intérêts, aux pro- ductions, confus quant à l'organisation administrative, à peu près inexistante, les vieilles mœurs et traditions subsistent ainsi que le règne des associations non con- trôlées. Ce sont ces coutumes, où, plutôt, ce chaos, ce manque d'organisation qu'il faut réformer. Il ne suffit

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pas de décréter des lois dans des conditions telles, d'ailleurs, que la volonté du peuple en est à peu près absente. Il faut toute une organisation, une méthode, un système d'administration et de police propre à en assurer l'application et le respect. Cela est une œuvre de longue haleine et qui exigera sans doute d'autres délais que ceux qu'a pu réclamer la construction de quelques routes et de quelques édifices, plus ou moins décoratifs.

D'ailleurs, pour cette œuvre, le Gouvernement de Nankin a eu, notamment depuis 1932, le concours de la Société des Nations.

Les Japonais ont reçu jadis des Chinois, non seule- ment l'écriture, mais encore l'architecture, la peinture et la plupart des Arts, sauf celui de tremper l'acier. Depuis, ils ont largement (grâce, en partie, à l'écriture phonétique inventée par le moine Kobo Daïshi au I X siècle de notre ère) précédé les Chinois dans l'as- similation de la civilisation occidentale. Ils sont en état de rendre à leurs maîtres des IV et V siècles de notre ère les services qu'ils en ont reçus jadis. Moyennant un faible effort un Céleste peut trouver à sa disposition, dans une bibliothèque nipponne, toutes les connais- sances physiques, chimiques et naturelles, politiques et morales de l'Occident.

Cet aperçu général ainsi tracé, il ne me reste plus qu'à laisser la parole aux témoins dont j'ai parlé au dé- but de ces lignes.

Les lecteur appréciera par lui-même. Ed. CLAVERY.

Le Vésinet, 11 Février 1938.

La première édition de ce volume n'est sortie des presses qu'à la fin de mai 1938.

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A ce momen t (le 21) u n publiciste fort averti, M. Mar- viez, bien connu sous son nom de plume de Polonius, ci- tait dans un article de l ' Indépendant les paroles suivan- tes de Claude Far rè re :

« Les Japonais sont en Chine non pas à titre de con- quéran ts mais à titre d 'organisa teurs et sur tout d'or- donna teurs ».

Dans le même sens il reproduisa i t les aver t issements d 'un Dr. A Legendre, d ' un Colonel Garenne.

Le lecteur constatera donc comment l 'autor i té de per- sonnali tés compétentes corrobore les conclusions du pré- sent essai, résul ta t de l 'étude impart ia le des faits.

Nous ne pouvons que lui laisser le soin de dégager la leçon contenue dans les événements a t tendus mais dé- sormais acquis m a r q u a n t le t r iomphe définitif des armes, c'est-à-dire de l 'ordre de la méthode, du Daï Nippon, sur le chaos chinois, même galvanisé par divers concours é t rangers (pr incipalement br i tanniques, russes, français, nord-américains , a l lemands jusqu 'à ju in 1938), parfois les premiers surpr is de se t rouver associés.

Les forces japonaises terrestres, mari t imes, aér iennes sont entrées à Canton le 22 octobre sur les ordes d u lieu- t enan t Général Moto Furusho et cinq jours plus t a rd à Han Kéou.

Ainsi s 'achève comme il était à prévoir, la campagne engagée par l ' a t taque dont une troupe japonaise a l lant à l 'exercice, fit l 'objet, le 7 juillet 1937 au pont de Lou- kouchiao près Pékin et qui, sans l ' influence d u Kouan- ming Tong émanat ion du Komintern aura i t pu ne pas en t ra îner les longues hostilités qui ont suivi.

Selon les instruct ions du Gouvernement de S.M. l'Em- pereur du Japon, l a voix des canons, des mitrail leuses, des avions de bombardements va se taire. A la destruc- t ion va succéder la reconstruction.

Un aveni r prochain, souhaitons-le en toute sincérité, en toute confiance, justif iera cet esprit, pour le bien non seulement de l 'Extrême-Orient, mais de l 'humani té tout entière.

L'effet de recul para î t donner plus de valeur encore aux quelques réflexions suivantes de M. L. Aubert, tirées d a n s l 'avant-propos de son livre toujours intéressant la Pa ix Japonaise publié il y a trente-deux ans.

L'Europe, la France surtout, qui n ' a j amais eu des intérêts spéciaux dans la Chine du Nord, doivent admet- tre l ' inévitable. Il y a quelque chose de changé dans

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l'Asie orientale : le Japon y est prépondérant , l 'Europe diminuée, la Chine inquiète. Je crois qu 'en dépit de l 'avantage pris pa r le Japon sur l 'Europe, en dépit de l 'at t i tude actuellement ant i -européenne de la Chine, les Européens ont encore un grand rôle à jouer en Extrême- Orient, à condition que c 'en soit fini de leurs appétits de conquête, de leur mépris et de leur brutal i té de race supérieure, et qu'i ls se consacrent à une œuvre de pa ix et de civilisation à peine ébauchée ».

Dans l ' I l lustrat ion du 8 septembre M. Edgar Mowrer, col laborateur amér ica in de notre g rand illustré de Paris, développe avec beaucoup d 'assurance cette idée que l 'armée nat ionale chinoise domine complètement la scène. Ce qui tend à prouver, une fois de plus, qu'il est aisé de prendre ses désirs pour des réalités.

De toutes façons, à propos de la campagne commencée aux bords du Peiho le 7 juilet 1937 p a r des réguliers de la 2 9 Division Céleste contre des Nippons, l 'expert en cause n'entrevoyait-il , six semaines à l 'avance, ni la prise de Canton, 21 octobre, ni celle de Hankéou, 27 oc- tobre.

Quoi qu' i l en soit, en novembre, l 'envoyé spécial du Temps M. R. V. Gilles expédiait au g r a n d organe du soir une lettre de Shangha ï parue le 4 décembre sous ce titre : Précari té de la si tuation mili taire des Chinois, c'est-à-dire des 24 ou 25 divisions (de 3 ou 4.000 h. cha- cune) des forces de Tchang Kaï Chek. Ces forces, à diver- ses reprises se sont défilées avec soin à Soutchéou, à Han Kéou, profitant, ici, d 'une voie ferrée encore dis- ponible, là, de tunnels ouverts en toute hâte.

De toutes façons où est, dans ces conditions, l 'unité proclamée par certains, de ce peuple de 350.000.000 habi- tants suivant les évaluat ions les plus modestes ? Il ne peut venir à bout d' « envahisseurs » provenant d 'une contrée de 80 millions au max imum, située au-delà des mers à une distance supér ieure à 2.000 kilomètres.

Quoi qu' i l en soit fa isant écho en quelque sorte, à M. L. Aubert, après plus de six lustres, le Temps dans son premier Par is du 20 courant n 'énonçait-i l pas que les puissances européennes et américaines al la ient être con- duites pa r les circonstances à reconnaître au Japon une si tuation privilégiée dans l 'ancien Céleste Enpire, sans pour cela renoncer à l 'essentiel de leurs droits et avan- tages tradit ionnels, en fait d 'échanges, dans cette région.

Le Vésinet, 24 décembre 1938. E. C.

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Le Vésinet, 7 juillet 1939. — Il y a juste deux ans une division chinoise dénommée 2 9 engageait le tir contre une compagnie japonaise allant à l'exercice au pont de Lou Kou Chiao près de Pékin. Aujourd'hui le dénouement est proche, manifestement. Entre M. Mowrer, Nord Américain, qui, dans l'Illustration du 8 septembre 1938 proclamait que l'armée chinoise dominait la situation, et M. Gilles, qui — dans une cor- respondance de Chine publiée, trois mois après, dans le Temps — exposait que l'armée japonaise avait partie gagnée, l'hésitation n'est plus permise; il est bien clair que le second avait raison. Reste la guerre financière, où l'offensive a été déclenchée le 3 novembre 1935 par le Dr H . H. Kung, mené par Sir Frédéric Leith-Ross. Le Japon ne peut évidemment admettre les manœuvres entreprises à l'abri du paravent dressé au moyen du document de Nankin — par les spéculateurs de la Cité, contre le yuan de la Commission de Paix de Pékin (8 janvier 1938) et, par suite, contre le yen national nip- pon. De là l'institution du contrôle du change dans la Chine du Nord et les complications entraînées par l'ap- plication de ce régime aux concessions étrangères com- me celles de Tien Tsin où s'organisaient des opérations destinées à tourner la loi de Pékin.

(V. Financial and economie Annual of Japan, 1938, pages 10-17).

Dans ce troisième tirage, le lecteur trouvera, in fine, l'analyse d'ouvrages tels que ceux de MM. le Lt-Co- lonel Favre, J. Dautremer (Sociétés secrètes et révolte des Taïping), G. Bonneau (poésie japonaise depuis les VI et VIII siècles), Kuni Matsuo (poésie japonaise con- temporaine), propres à faire entrevoir l'ambiance poli- tique et morale dans laquelle se déroulent les évé- nements de l'Extrême-Asie, où sont engagés direc- tement, disons au bas mot, cinq cents millions d'êtres humains, formant environ un quart de la population de notre planète.

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CHAPITRE PREMIER

Coup d'œil d'ensemble

L e s p o p u l a t i o n s c h i n o i s e s d ' a p r è s l a s c i e n c e s o c i a l e (1)

L'auteur de l'ouvrage auquel nous nous référons, M. Léon Poinsard, a longtemps été bibliothécaire à l'Ecole des Sciences Politiques (environ 1885-1895); puis, il est passé à Berne comme Secrétaire Général de l'Union Internationale sur la propriété littéraire.

A titre personnel, dès sa jeunesse, il a étudié les faits sociaux et économiques du monde en appliquant pour les analyser et les classer, les méthodes des maî- tres éminents de la Science sociale, Frédéric Le Play, les Abbés de Tourville, de Préville.

Dans son livre, le chapitre consacré à la Chine occupe seize pages (210-226 du tome I).

Nous croyons devoir en donner ci-après quelques ex- traits propres à faire saisir le point de vue de M. Poin- sard qui professait déjà, à titre privé, en 1890, les idées et les conclusions par lui publiées dix-sept ans plus tard.

« La race chinoise apparaît à tous les observateurs

(1) La Production, le Travail et le Problème Social dans tous les Pays, au début du xxe siècle — Alcan 1907, gran in-800 ; deux tomes 593 et 768 pp.

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attentifs qui ont pu porter leurs investigations en dehors des villes sous un aspect que les Occidentaux ont peine à saisir et à bien comprendre. Ce n'est ni une nation, ni un empire, selon nos conceptions habituelles. C'est plutôt une juxtaposition, un fourmillement de familles communautaires et patriarcales, vivant avec une com- plète autonomie sous le haut patronage et le contrôle plus ou moins exact de l'Empereur et de ses manda- rins (1).

On ne trouve ici, ni des castes, comme dans l 'Inde, ni même des classes comme dans l'Indochine. En effet, l'aristocratie se limite presqu'à la famille impériale, et le mandarinat, ouvert par le concours à tous les jeunes gens capables, constitue une catégorie plutôt qu'une classe. D 'où viennent ces différences dans l'évolution sociale de deux races également agricoles et communautaires, et sorties vraisemblablement du même tronc ? Uniquement des influences exercées sur la race par la route de migration qu'elle a sui- vie pour gagner le bassin où elle s'entasse actuellement. Cela a été déterminé de la manière la plus intéressante par les travaux de M. de Préville sur le boudhisme. C'est d'après lui que nous exposerons en résumé ce curieux phénomène social.

. . .En fait. les Européens sont en quelque sorte blo- qués dans les ports ouverts. Là, ils vivent concentrés dans des quartiers spéciaux appelés concessions. Leur

(1) L ' o r g a n i s a t i o n ou p l u t ô t l a d é s o r g a n i s a t i o n s o c i a l e n ' a p a s c h a n g é p a r le t r a n f e r t de l a c a p i t a l e de P é k i n à N a n k i n e n 1912 et le c h a n g e m e n t à l a m ê m e d a t e , de l ' é t i q u e t t e g o u v e r n e m e n t a l e . S o u s le r é g i m e « r é p u b l i - c a i n » c o m m e s o u s l ' i m p é r i a l l ' e x é c u t i f e s t d é p o u r v u d ' o r g a n i s a t i o n c o n c r è t e , p a r s u i t e de p o u v o i r r ée l , e n d e h o r s de l a n o m i n a t i o n de q u e l q u e s e f o n c t i o n n a i r e s d a n s c h a q u e p r o v i n c e .

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n o m b r e es t d ' a i l l e u r s f o r t r e s t r e i n t . E n 1 9 0 3 , i ls é t a i e n t

e n v i r o n 1 5 . 0 0 0 , p r e s q u e t o u s c o m m e r ç a n t s o c c u p é s d a n s

9 4 0 m a i s o n s à p e u p r è s . L e s p l u s n o m b r e u x s o n t l e s

A n g l a i s , p u i s v i e n n e n t l e s A m é r i c a i n s , l es P o r t u g a i s ,

l e s A l l e m a n d s , l e s F r a n ç a i s , e t c . . . Q u e l q u e s i n g é -

n i e u r s e t q u e l q u e s a g e n t s o u o u v r i e r s son t e m p l o y é s à

la c o n s t r u c t i o n e t à l ' e x p l o i t a t i o n d e s c h e m i n s d e f e r ,

o u à l a g e s t i o n d e s d o u a n e s . D ' a u t r e s e n c o r e son t m i s -

s i o n n a i r e s . C e s d e r n i e r s son t l e s s e u l s q u i e x e r c e n t u n e

a c t i o n r é e l l e sur l a p o p u l a t i o n , p a r c e q u ' i l s v i v e n t a u

m i l i e u d ' e l l e , m a i s t o u t c o m p t e f a i t , c e t t e i n f l u e n c e es t

s p o r a d i q u e e t i n f i n i t é s i m a l e ; o n n e c o m p t e p a s , e n e f f e t ,

1 . 5 0 0 . 0 0 0 c h r é t i e n s d a n s t o u t l ' E m p i r e . Il e s t é v i d e n t

q u e c e s é l é m e n t s n e s u f f i s e n t p a s p o u r m o d i f i e r d ' u n e

f a ç o n s e n s i b l e l a f o r m a t i o n d ' u n p a r e i l p e u p l e .

E n a m e n a n t d e s c a p i t a u x , d e s i n g é n i e u r s e t d e s c h e f s

o u v r i e r s , o n a r r i v e r a i t c e r t a i n e m e n t , s u r t o u t e n s ' a i d a n t

d e l a p r o t e c t i o n d o u a n i è r e , à c o n s t i t u e r , g r â c e a u x r e s -

s o u r c e s v r a i m e n t e x t r a o r d i n a i r e s d e l a r é g i o n , d e s g r o u -

p e s i n d u s t r i e l s a s s e z p u i s s a n t s p o u r suff i re a u x b e s o i n s

l o c a u x , e t m ê m e p o u r a l i m e n t e r l ' e x p o r t a t i o n . Q u e l l e s

s e r a i e n t l e s c o n s é q u e n c e s d e c e t t e é v o l u t i o n ?

O b s e r v o n s q u ' e l l e n e s e r a i t p a s f a i t e p a r l e s E u r o -

p é e n s , c e l a d e v i e n t t r è s p r o b a b l e . I l s o n t r e n c o n t r é e n

E x t r ê m e - O r i e n t d e s r i v a u x q u i o n t sur e u x t r o i s a v a n -

t a g e s : i ls son t s i t u é s à p r o x i m i t é ; l e u r f o r m a t i o n e t p a r

c o n s é q u e n t l e u r é t a t d ' e s p r i t , son t p r o c h e s p a r e n t s d e

c e u x d e s C h i n o i s , l e u r i n t e r v e n t i o n es t a c c e p t é e a s s e z

v o l o n t i e r s p a r l e s C é l e s t e s . L e s J a p o n a i s q u i o n t s u

s ' a s s i m i l e r l a c i v i l i s a t i o n e u r o p é e n n e , s o n t d o n c a d m i -

r a b l e m e n t p l a c é s p o u r l ' i n t r o d u i r e e n C h i n e . I l s p e u -

v e n t j o u e r l à , e n l e m o d e r n i s a n t , l e r ô e q u i , a u m o y e n -

â g e , fu t c e l u i d e s V a r è g u e s s c a n d i n a v e s p a r m i l e s c o m - m u n a u t é s p a y s a n n e s s l a v e s . T o u t d ' a b o r d , i ls r é f o r m e -

r o n t l e m a n d a r i n a t , p o u r e n f a i r e u n e a d m i n i s t r a t i o n

v é r i t a b l e , i n s t r u i t e e t e x p é r i m e n t é e , q u i s ' e m p l o i e r a

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à é t e n d r e g r a d u e l l e m e n t l e s a t t r i b u t i o n s d e s p o u v o i r s

p u b l i c s , e n r e s t r e i g n a n t c e l l e s d e l a f a m i l l e . T o u t e s l e s

f o r c e s v i v e s d u p a y s s e c o n c e n t r e r o n t a i n s i m i e u x d a n s l a m a i n d e l ' a u t o r i t é c e n t r a l e ; c e s e r a l e r e n f o r c e m e n t

o u p l u t ô t la r é a l i s a t i o n d e l a g r a n d e c o m m u n a u t é

d ' E t a t , a u j o u r d ' h u i s u r t o u t t h é o r i q u e .

L e s r a c e s c o m m u n a u t a i r e s n e s e p r ê t e n t p a s v o l o n -

t i e r s , il f a u t l e r é p é t e r , a u r é g i m e d u g r a n d a t e l i e r

D ' u n e p a r t , e l l e s n e s o n t p a s e n é t a t d e lu i d o n n e r t o u t e

s a p u i s s a n c e ; d e l ' a u t r e , e l l e s s e l a i s s e n t d é s o r g a n i s e r

r a p i d e m e n t p a r c e t t e f o r c e n o u v e l l e q u i t e n d à r o m p r e

l e v i e u x m o u l e p a t r i a r c a l . L a r u p t u r e d e s c o m m u n a u t é s

l i v r e à e u x - m ê m e s d e s h o m m e s m a l p r é p a r é s p a r l e u r é d u c a t i o n t r a d i t i o n n e l l e à s e c o n d u i r e i s o l é m e n t , e t l ' o n

c r é e a i n s i d a n s u n p a y s d e r e d o u t a b l e s f o y e r s d e m i s è -

r e , d e m a l a d i e , e t d e r é v o l t e . N o u s v e r r o n s b i e n t ô t p a r

u n e x e m p l e f r a p p a n t q u e c e s p r é v i s i o n s n e son t p a s

e x a g é r é e s .

D u r e s t e , l e s C h i n o i s o n t d é j à f o u r n i l a p r e u v e d u

d a n g e r d e c e t t e d é s o r g a n i s a t i o n s o c i a l e . D a n s l ' e m p i r e

m ê m e , la p o p u l a t i o n d e s v i l l e s , b e a u c o u p p l u s i n s t a b l e

d é j à q u e l a c l a s s e r u r a l e , s e m o n t r e p r o m p t e à l ' é m e u t e ,

d a n s s e s v a s t e s q u a r t i e r s d e m a s u r e s s o r d i d e s e t p u a n t e s .

L e s n o m b r e u x é m i g r a n t s c h a s s é s p a r l e b e s o i n d ' u n

p a y s s u r p e u p l é , a l l a n t p o u r u n t e m p s t r a v a i l l e r a u l o i n ,

à P a n a m a , a u P é r o u , d a n s l ' A f r i q u e d u S u d o u a i l - l e u r s , s e t r o u v e n t a i n s i s o u s t r a i t s à l ' a u t o r i t é f a m i l i a l e

e t n e m a n q u e n t p a s d e c o n s t i t u e r d e s s o c i é t é s s e c r è t e s ,

q u i f o m e n t e n t f r é q u e m m e n t d e s r é v o l t e s .

A u J a p o n , M . P o i n s a r d c o n s a c r e u n e d i z a i n e d e

p a g e s . L e p a s s a g e c i - a p r è s n o u s a p a r u p a r t i c u l i è r e -

m e n t p r o p r e à f a i r e c o m p r e n d r e s o n p o i n t d e v u e :

. . . L e s n o b l e s j a p o n a i s é t a i e n t a u t r e m e n t p r é p a r é s

q u e l e s p e t i t s c i t a d i n s c h i n o i s à r e c e v o i r e t à s a i s i r

l e s i d é e s e t l e s p r o c é d é s d ' E u r o p e . B e a u c o u p d ' e n t r e

e u x a c c o u r u r e n t d a n s n o s c a p i t a l e s , e t e n v o y è r e n t l e u r s

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fils dans nos écoles. En même temps, on appelait au Japon une foule de professeurs et de techniciens pour organiser et développer sur place des écoles de tout or- dre, ainsi que des ateliers, des chemins de fer, des télé- graphes, des ports, des arsenaux. Le Gouvernement avait été remis aux mains du mikado, c'est-à-dire d'un souverain spirituel tenu jusque là à l'écart des affaires, incapable par conséquent de les diriger par lui-même. Il s'en remit donc aux anciens daïmois, transformés en hommes politiques modernes. Les clans d'autrefois devinrent tout naturellement des partis politiques, et la classe des samouraï fut une excellente pépinière pour recruter les cadres de l'armée et des bureaux adminis- tratifs. C'est ainsi que le Japon, grâce à son aristocra- tie urbaine, put se transformer en si peu d'années, et prendre les allures d'un état occidental (1).

Assurément, il faut admirer la vive intelligence de la classe supérieure japonaise, et sa facilité d'adapta- tion. Non seulement elle a copié avec adresse les insti- tutions politiques et militaires de l'Europe, mais encore elle a su se dégager, chose plus étonnante, de certains préjugés que nos aristocrates d'Occident conservent

(1) L 'organisat ion politique a reçu sa forme complète par la constitution de 1889, qui a inst i tué deux chambres. La première est composée de pairs héréditaires, de mem- bres nommés et de membres élus au suffrage restreint . La seconde est élue p a r les électeurs âgés de 25 ans et payan t au moins 26 francs d ' impôt direct. Il existe ac- tuellement trois part is : conservateurs, progressistes et tiers part i ou centre. Le budget ordinai re s 'é levait avan t la guerre à environ 450 mill ions de francs, plus 82 mil- lions de dépenses extraordinaires . Il a été porté à plus d 'un mil l iard pour couvrir les frais de guerre, et on le maint ient à ce taux pour assurer un amor t i s sment rapi- de des emprunts militaires. La dette publ ique at teignait , en 1904, le chiffre de 2.500 mil l ions ; elle doit dépasser au jourd 'hui 5 mi l l iards (1906).

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avec une vanité naïve. L e s nobles japonais ne se sont pas bornés, en effet, à remplir les emplois nombreux créés par le nouveau régime, ils ont encore eu le bon

sens de se mettre au travail product i f . Ils se sont impro- visés industriels, négociants , armateurs, banquiers , et profitant des é léments d e force et d e product ion que possèdent leur peup le et leur pays , il ont entrepris, non sans succès, de concurrencer les Européens et de leur disputer les positions prises par ceux-ci dans l ' a rchi - pe l ».

Il ne s 'agi t pas ici d e reprendre , après tant d e maî- tres, l ' exposé d e l 'évolut ion poli t ique, morale , écono- mique, scientifique, l i t téraire, artistique du Japon . L e lecteur n ' au ra que l ' embar ras d u choix entre tant d ' ou - vages français, anglais , japonais , a l lemands , du M a r - quis d e la Maze l i è r e à Basil H a l l Chamber la in , La fca dio H e a r n , en passant par le R . P . P a p i n o t , des Mis - sions Et rangères , J . H i t o m i , S. G o t o , et tant d ' au t res , cités ou non au cours de cet essai.

U n mot nous semble nécessaire pour compléter les données et vues présentées par M . Poinsard . L a p le ine récupérat ion par le Japon d e sa souveraineté judiciaire (en pr inc ipe en 1894, appl icat ion prat ique à partir d e 1900). la suppression des privilèges d ' ex t ra - territorialité des étrangers, ont été appuyées par le pro- fesseur français Boissonnade, qui d e toutes ses forces a coopéré au succès de la juste cause du pays pour le- quel il avait p répa ré dès 1883, avec des exper ts natio- naux, un projet de code civil. L e code actuel lement en vigueur est dans la proportion de 52 % de ses arti- cles, pareil au texte app l iqué par les tr ibunaux.

Un auteur plus récent se rencontre, en partie tout au moins, avec M. Poinsard, quant aux caractères des populations chinoises. Dans son Asie des Moussons

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(T. I., p. 186), M. Jules Sion s'exprime, en effet, ainsi : « Le Chinois a l'esprit grégaire. Il aime à s'unir en guildes, en sociétés commerciales ou politiques. Certains de ces groupements élargissent aujourd'hui leur horizon jusqu'à embrasser l'ensemble de la Chine et à la concevoir comme une patrie. Très fiers de sa civilisation millénaire ils réveillent le souvenir de son antique puissance et le contraste leur rend plus amères encore les atteintes portées à son intégrité et à son pres- tige. Ces idées se répandent peu à peu, même dans le peuple ».

Comme nous le verrons plus loin, ce sentiment nou- veau, dont M. Sion note ainsi l'apparition est une conséquence manifeste de l'intervention des étrangers occidentaux en Chine.

On ne le rencontre qu'à titre exceptionnel. Il ne fait pas de doute que les idées européennes ou américai- nes — à part toutefois de vagues et d'autant plus dan- gereuses notions bolcheviques — ne pénètrent encore qu'une minorité dans l'antique Empire du Milieu.

Pas de sentiment ou d'esprit national véritable. En général un Chinois hors de sa province se consi-

dère comme à l'étranger. Ainsi me l'a déclaré Mme Bons d'Anty qui de longues années a vécu à Tchen tou (p. 33), 1906-1916.

Naguère le mot Patrie n'existait pas dans les lan- gues de Chine. Pas de Bourines là-bas.

A propos de la citation qu'il vient de lire, le lec- teur comprendra bien qu'elle n'implique de ma part aucun parti pris contre le régime impérial en lui-même sinon le désir de relever un exemple concret de l'in- curie officielle chinoise, en général, afin de mieux dé- gager le fait positif souvent peu connu : cependant l 'inexistence de l'Etat dans le Céleste Empire si ce n est à titre d'apparence, de décor, dans la capitale.

Dans un livre publié à Paris, il y a sept ans, le

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« Quart d'heure Japonais », (1) l'auteur, M. Albert ouchard, ancien élève de St-Cyr, décrit quelques

épisodes comiques les uns, dramatiques les autres de la vie de son « héros » officier de renseignements en Extrême-Orient. Sa mission le fait passer successi- vement de Hakodate à Nagasaki, Tientsin, Shanghaï, Foutchéou Amoï, Hong Kong, l'île d'Haïnan où il est suivi par sa « liaison » une jeune chinoise, Mlle Chang Tsé Min, protagoniste du mouvement pan asiatique. Chinese activist, selon l'expression anglaise. Le héros, Jean Bernier, note, chemin faisant, que le Gouverne- ment de Nankin ne se maintient qu'en faisant exécuter par dizaines par jour des rebelles appartenant aux ar- mées nordistes. Cependant il intervient, avec succès, auprès du quartier général en faveur d'un de ses an- ciens camarades, d'un de ses « bleus » de Saint-Cyr, Yen Hsi Kiaï, devenu Général du côté des « dissi- dents » de la région de Pékin. Il obtient en sa faveur tout au moins un ordre de sursis d'exécution. Celui qui le lui annonce a soin d'ajouter, en lui tendant une feuille estampillée de divers cachets : « Vous pour- rez attester dans vos écrits que la République chinoise s'honore de s'inspirer comme ses aînées, des plus hauts principes de justice et d'humanité ».

Ce que l'auteur omet de souligner à cette occasion c'est que, pour gouverner, proclamer des principes ne suffit pas. Il s'agit de les mettre en pratique, en appli- cation. La déclaration française des droits de l'homme 1789 tient en XVII articles occupant trois petites pa-

ges Depuis, les lois et décrets, votés par les Assem- blées parlementaires, édictés par les exécutifs qui se sont succédé se comptent par centaines de mille (en- viron 200.000 depuis 1875 seulement). Il est beau de proclamer la souveraineté du peuple, principe de toute

(1) Les Edit ions de France, 1931.

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autorité, comme le moyen-âge le reconnaissait déjà par la célèbre formule : Vox Populi. Le tout est de faire prévaloir l'intérêt général. Là est le difficile. En Chi- ne où les conditions de climats, de traditions, d'inté- rêts sont si diverses et, souvent même si opposées, la formule de la fédération paraît s'imposer (1). Seule elle permettra de procurer aux populations distinctes des administrations, organisations civiles, militaires, financières, scolaires conformes à leurs désirs, à leurs besoins, quitte à instituer plus tard une fédération.

A u fond, pour un peuple, posséder un bon gouverne- ment est affaire de tradition et d'éducation. Aux élec- teurs de ne choisir, pour les représenter, que des mandataires dignes de confiance par leur caractère, leur expérience, leur capacité; d'écarter les sophistes, les utopistes habiles à débiter de belles promesses, tous ceux qui n'ont pas su donner la preuve de leur in- variable fidélité aux principes essentiels de droiture et d'équité, de dévouement à la nation, en présence de décisions à prendre dans des cas particuliers.

Quant à l'humanité, elle n'atteindra au sort idéal dont elle rêve depuis tant de siècles que le jour où sera positivement et formellement stipulé et respecté entre toutes les Nations, grandes, moyennes et petites puis- sances, le principe capital : aucun recours à la force sans une préalable décision de justice.

En thèse générale, les Etats, pas plus que les parti- culiers, ne sauraient avoir le droit de se faire justice eux-mêmes.

La Cour Permanente de la Haye doit être admise comme une juridiction supérieure à tous les gouverne- ments. Aux souverainetés concrètes de reconnaître cette

souveraineté idéale. Alors pourra entrer dans la réalité

(1) Comme pour l 'Europe, selon M. G. Scelle. Lumière, 19 janvier 1940.

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internationale l'idéal de Themis tel que l'ont conçu les Grecs, avec une balance dans la main gauche et un glaive dans la dextre.

Ce thème, d'une vérité morale permanente, a été repris avec un merveilleux talent par le Président Ray- mond Poincaré dans un de ses plus remarquables dis- cours, en 1919.

Sans doute, pour que cet idéal puisse mieux péné- trer la réalité, pour que soit mis fin à la maxime « la force fait le droit », conviendra-t-il de définir, au préalable, de façon précise, à quelles conditions un peuple est susceptible d'être reconnu comme une pleine entité, une véritable personne du Droit des Gens.

Un exemple concret apportera une preuve de plus à l'appui de l'assertion plus haut citée de M. Poinsard que la Chine n'est ni une nation ni un empire. Il nous est fourni par le lieutenant de vaisseau Francis Garnier qui devait périr à 34 ans, victime des Pavillons noirs aux environs d 'Hanoï (21-12-73). En juin 1873, voya- geant au Sseu Tchouen, il voit en quoi consiste le ser- vice des postes entre Tchong King et Hankéou. Avec une régularité et une célérité remarquables, les départs sont assurés tous les cinq jours, par trois Compagnies particulières. A la descente du fleuve, on se sert de petites barques qui ne font jamais le voyage qu'une fois. Le port d'une lettre est de 40 sapèques (20 centimes). Des courriers extraordinaires franchissent la distance en cinq ou six jours. Il y a onze cents kilomètres. Fran- cis Garnier continue ainsi :

« Les autorités n'interviennent en rien dans ce ser- vice, si ce n'est parfois pour faire payer des droits aux compagnies. L'initiative individuelle se substitue, en tout, en Chine, à l'action du gouvernement. Celui-ci est trop corrompu et trop incapable pour se préoccu- per désormais des vrais intérêts du pays. Ponts, routes, quais, canaux sont construits par souscription et entre-

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tenus par des commerçants. Que n'avons-nous, en France, un peu de cet esprit d'initiative et d'associa- tion qui empêchera toujours la grande démocratie chi- noise de s'effondrer complétement ! (1).

L'auteur écrivait il y a soixante cinq ans : Depuis, on a pu constater dans notre pays le double phénomène du vote de la loi sur les Associations (1901) et du développement de l'action de l'Etat, des progrès de l'économie dirigée.

En Chine l'ampleur même du problème a été sans doute un obstacle à sa solution. On y chercherait en vain, sous la République comme sous l'Empire, le mot ne fait rien à la chose, une administration digne de ce nom, qu'il s'agisse d'Etat civil ou de Travaux Publics, de Finances ou de Justice soit civile, commerciale ou pénale, en dépit de l'aide envoyée, ces dernières an- nées, par la S.D.N.

Sans doute, suivant la recommandation générale de Descartes, faudra-t-il diviser la difficulté pour mieux la résoudre.

M. Poinsard (p. 13) et bien d'autres auteurs, ont émfis l'opinion que par leurs affinités de langue (écri- ture), de tradition les Japonais étaient particulièrement qualifiés pour faire pénétrer dans les masses de Chine la civilisation moderne et introduire dans le pays des réformes indispensables.

Ces affinités répondent à un ensemble de faits pa- tents. En voici un exemple, entre tant d autres. Il re- monte à une trentaine d'années, c'est pourquoi il ne me semble pas superflu de le rappeler, car dans cer- tain cas, même l 'évidence a besoin d'être démontrée.

(1) De Par i s au Tibet, Hachette, 1882, p. 274. '

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E n juillet 1906 s 'accomplissai t à P é k i n la réforme, correspondant à une refonte totale , de l ' an t ique A c a - démie des H a n L i n qui recueil lai t les plus heureux des concurrents au concours tr iennal ouvert dans la cité

impériale pour l 'ob ten t ion du troisième degré des exa- mens li t téraires donnant accès au grade de Docteur , ts inche, et aux fonctions d e M a n d a r i n .

L e s é tudiants d ' a lo rs furent engagés à aller poursui- vre leurs é tudes à l ' é t ranger . L e s présidents de cet te A c a d é m i e eurent avec eux une entrevue au cours d e

laquel le ceux-ci furent invités à déclarer leur choix : al ler au J a p o n ou en Eu rope . O r quarante environ se déc idèren t pour le J a p o n et seulement sept ou huit pour l ' E u r o p e . U n e al locat ion de 4 0 0 taels (1200 à 1 400 fr.) était servie à tout H a n L in au J a p o n tandis q u ' e l l e s ' é l eva i t à 1600 taels (4 .800 à 5 . 0 0 0 fr.) pour ceux al lant en Eu rope .

D ' a u t r e part , le D T e n n e y , P ré s iden t de l ' Impe- rial T i en t s i n Univers i ty , fondée en 1896 par le V i c e - R o i N a n g ven Chao , est part i à la même époque (juil- let 1906) de S h a n g h a ï avec quarante étudiants chi- nois, se rendant aux E ta t s -Un i s (1).

E v i d e m m e n t , cet te créat ion n ' eu t pas que des fins purement intel lectuel les ou spirituelles. L ' a m b i t i o n po- l i t ique n ' y fut pas étrangère.

C e t t e Univers i té fondée , en par t ie tout au moins au moyen de leur argent et avec le concours de leurs pro- fesseurs, fut, pour les E t a t s -Un i s un d e leurs princi- paux moyens de p ropagande dans l ' an t ique Empi r e du Mi l i eu , p ropagande forcément rivale de cel le du D a ï N i p p o n .

(1) V. London and China Telegraph (9 juillet-13 août 1906) cité pa r Ed. Clavery Occident et Extrême-Orient, p. 40.

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CHAPITRE II

La Mandchourie vers 1925 — Brigands —

Avant l'intervention des Japonais, en 1931-32, les bandits, brigands, avaient pratiquement le champ libre en Mandchourie, en dehors de la presqu'île du Liao- toung placée directement sous l'influence nippone depuis le traité de Portsmouth en 1906.

Deux témoins étrangers, l'un américain, citoyen des Etats-Unis, l'autre allemand nous donneront un aperçu de l'état de choses auquel je fais allusion.

Le premier, le Dr Hervey J. Hower, professeur à la Faculté de médecine de Pékin, possédant parfaite- ment la langue de Confucius et plusieurs de ses dialec- tes fut, au mois de juin 1925, comme il naviguait sur le fleuve Sungari, pris, avec son fils Jim, comme otage par des bandits, Hung hutzes. Il nous a laissé un récit direct et vivant de ses dix semaines de captivité, la plupart du temps très pénible, adoucie parfois, grâce à sa connaissance de la langue, qui lui permettait la communication directe avec les chefs.

Voici ce qu'il écrit au début de ces notes (prises en août-septembre 1925) : Pendant les six ou huit der- nières années, le nombre des bandits a beaucoup aug- menté en Mandchourie, cela tient, d'une part, au dé- sordre général toujours croissant en Chine et d'autre part, au développement rapide du commerce et de la richesse dans les provinces. Mais la cause la plus im- portante peut-être de cet état de choses a été l'insou- ciance des commandants militaires, le relâchement de la surveillance qu'ils étaient censés exercer dans ces

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régions éloignées. En conséquence, déprédations dans les villages, enlèvements de voyageurs, attaques de pa- quebots ont été se multipliant.

Leurs auteurs sont devenus plus hardis dans l'art du kidnapping, comme le Dr Hoover en a fait l 'expé- rience.

Passons tout de suite à la fin, p. 248 : Le lendemain matin, 23 septembre 1925, les bandits et leurs prison- niers gagnaient la hutte où, selon les apparences, eut lieu la bataille qui se termina par la délivrance de l'auteur et la capture de Kao tien Fu, le bûcheron (alias Chung, allié probable des bandits), que le com- missaire Chang avait chargé, plusieurs semaines aupa- ravant de s'entremettre avec eux.

Sur le moment, l'affaire de la lutte me fit l'effet d'un combat réel et c'est cette version que j'ai donnée dans mon récit ; mais les événements qui suivirent et les ren- seignements que je reçus postérieurement m'amenèrent à penser que la lutte avait été simulée...

... C'est une méthode commune en Chine qu'une prétendue bataille pour amener la délivrance d'un cap- tif de marque (p. 249). Il est évidemment une autre condition plus concrète, plus positive, bien qu'on en parle moins, du moins de manière officielle : c'est cel- le du montant de la rançon.

A b uno disce omnes.

C'est un tableau analogue que nous présente M. Herbert Böcher, dans son livre Japonais, Chinois, Bri- gands, dont une traduction française a paru à Paris en 1932, (Berlin 1931). L'auteur, champion allemand de course à pied demi-fond fut, en 1930, professeur à l'Université chinoise de Moukden. Les deux passa- ges suivants, tirés du chapitre IV, les ressources du Maréchal (Tchang Sueh Liang, commandant à Pékin), nous ont paru des plus édifiants :

« Tchang Hsueh Liang est un homme riche. Je sais

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qu'il a déposé presque toute sa fortune à la National City Bank of New-York et que c'est là qu'elle est administrée... Au cours de l'année dernière seulement (1930), il a envoyé à New-York cinquante millions de dollars d'argent ou dollars mexicains...

Le Maréchal faisait preuve de la plus grande éner- gie pour empêcher qu'une seule fleur de pavot fut cul- tivée sans autorisation expresse, p. 45.

... Quant à l'opium que les officiers de Tchang Hsueh Liang avaient en trop ou qu'ils n'achetaient pas, il devenait la propriété des « Généraux privés » (Cf. infrà page 65). A. Dubos, cf. Evolution de la Chine, 1921.

Il existe un grand nombre de militaires de cette caté- gorie. Ce sont des marchands qui, pour la plupart, font le commerce de l'opium et qui, au prix d'une forte redevance, ont acheté à Tchang Sueh Liang le titre de « Général ». Avec ce titre ils acquièrent le droit de lever des troupes et de constituer une armée privée. Celle-ci leur est indispensable pour parcourir le pays et acheter l'opium. Sans armée privée, ils ne pour- raient se risquer à l'intérieur des terres, car les brigands y sont les maîtres, p. 47 ».

Sur la condition économique de la Mandchourie à cette époque on consultera avec fruit l'ouvrage accom- pagné des cartes et grafiques publié à Tokio 1931 sous ce titre : The Manchuria Year book par le Tosa Keizei Chosakyoku. The East Asiatic Economic Investigation Bureau.

L a situation, après quelques années de gestion japo- naise, avait b ien changé, comme l ' imaginera fac i lement le lecteur.

R e c e v a n t en mai 1935, M . E m i l e Schre iber , à H s i n King, le G é n é r a l Minami , A m b a s s a d e u r et Comman-

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dant en chef des armées japonaises en Mandchour ie lui a donné l ' ape rçu suivant d e l ' ac t ion d e son pays :

« L e s bandi t s mandchous encore insoumis séjournent p r inc ipa lement dons les régions montagneuses à l ' E s t de Da i r en et au N o r d - E s t de H s i n King .

Leur nombre diminue de plus en plus et nos pertes éga lement (1).

E n 1932 nous avons eu 2 . 0 0 0 soldats tués par an, 2 0 0 seulement en 1934 et en 1935 pas plus de 20 .

L ' ac t iv i t é des bandi ts réappara î t surtout en été prin- c ipa lement quand , en raison d e la sécheresse, la récol te a été mauvaise et est insuffisante pour nourrir la popu- la t ion . . . Il sont encore au nombre de 25 000 souvent

soutenus par des é léments communistes chinois ou coréens ».

Tou jours à H s i n K i n g (Chang kung en 1931) M . Schre iber fut encore reçu par M . N a g a o k a , le plus haut représentant d u Japon dans cet te capi ta le et il en appri t notamment ceci : A v a n t l 'occupat ion japonaise 161 monnaies différentes é ta ient en circulation en

Mandchour i e . L e s Japona i s les ont résorbées pour en émet t re une seule, garant ie par l ' E t a t , ce qui donne au pays la sécurité financière.

A ins i le J a p o n met-il en appl icat ion la parole de Sp inoza : la vertu de l ' E t a t , c ' e s t la sécurité.

L e réseau ferré de 1932 à 1935 est passé de 7 . 0 0 0 à 1 0 . 0 0 0 kilomètres. P o u r l ' é lec t r ic i té et le gaz un de- mi monopole a été institué.

L e p lan quinquennal prévoit 6 0 . 0 0 0 nouveaux kilo- mètres de routes.

L e pétrole est devenu monopole d ' E t a t . L e s Com- pagnies étrangères S t anda rd O i l , T e x a s O i l , As i a t i c Pe t ro leum se sont ret irées :

E n juin 1938 s 'es t consti tuée dans les mêmes condi- tions. la Nor th C h i n a Pe t ro leum C ° au capital de 2 0

(1) E. Schreiber : on vit pour un franc par jour (1935).

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millions d e yen dont 9 0 % fourni par des compagnies du Japon du M a n d c h o u k o u o et de la Ch ine du Nord .

D e H s i n King, M . Schre iber a gagné Da ï r en 700 ki-

lomètres pa r le train A s i a , en 7 h. 1/2. L e s temps d e mai 1895 sont loin, heureusement (v. p. 100).

*

Bien entendu, l ' insécuri té , dont souffrait la M a n d -

chourie jusqu 'en 1931, était loin d ' ê t r e un phénomène particulier à cette contrée. E n réal i té , le b r igandage était endémique en Chine . C o m m e nous le verrons ci- après, avec M . Gi lbe r t S t i ebe l , les vapeurs anglais , français circulant depuis 1898 entre H a n k e o u et T c h o n g King étaient toujours pourvus d ' u n e garde mi- litaire d e la nat ionali té de leur pavi l lon. L a situation n ' é ta i t pas autre dans la région de P é k i n . V o i c i en effet, ce que nous lisons dans un article du R . P . A l e x a n d r e Brou, sur Shangha ï ca thol ique , dans les E t u d e s d u 15 décembre 1937 (1) :

« V e r s la fin du mois d ' a o û t à quelques l ieues seu- lement de P é k i n la maison des Frères Mar i s tes de

H e i s h a u m a reçu la visite de plusieurs centaines de br igands encadrés et que lque p e u modérés par des francs-tireurs.

« M g r Schraven, Lazar is te hol landais , vicaire apos- tolique de Chengt ing , a été fait prisonnier lui aussi avec sept de ses missionnaires dont deux Français , dans les derniers jours d 'oc tobre . T o u s tués. L e s ban-

dits voudraient-ils justifier à leur manière les opérat ions policières du Japon ? ».

L a page qui p récède venait d ' ê t r e envoyée à l ' im- primerie, lorsque le T e m p s du 12 janvier 1939 m ' a apporté le té légramme suivant de P é k i n :

U n acte de bandi t isme « M . F rank Pole t t i , commissaire postal i tal ien de la

(1) Cf. Gilbert Gile Nicaud. Le Raid Merveilleux de Le Pelletier d'Oisy. Paris-Tokio, 1924 ; pp. 163-164.

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région de Pékin ; une femme russe et trois domestiques chinois ont été enlevés par des bandits près du tom- beau des Ming, à 45 kilomètres environ de Pékin. Un des domestiques a été libéré. Il était porteur d'un mes- sage exigeant une rançon de 30.000 dollars chinois (environ 180.000 francs) ».

N'est-ce pas édifiant ? De tels faits ne permettent-ils pas de juger quels

services réels rendent à la Chine ceux qui aident Tchang Kaï Chek et ses amis dans leur résistance à l'action du Daï Nippon ?.

A Shang haï, (concessions internationale et françai- se), jusqu'en 1937, tout résident riche, pourvu d'im- portants dépôts en banque, était exposé, surtout s'il était Chinois à être enlevé, kidnapped, par mesure of- ficielle ou officieuse. Une fois au pouvoir des autorités de la République (il en était de même au temps de l' « Empire ») en lieu sûr, en territoire dépendant de la « souveraineté » directe de la Chine, on lui faisait écrire à sa famille une lettre où il déclarait n'être pas trop maltraité mais ajoutait que si ses parents, sa fem- me, ses enfants voulaient le revoir, il était indispensa- ble de verser une indemnité ou rançon montant par exemple aux 2 /3 , aux 3 /4 , voire aux 4 / 5 de sa for- tune, versement pouvant monter, par suite, à de très fortes sommes en taëls, comptés par plusieurs centaines de mille. C'est ainsi que le Kidnapping formait l'une des principales ressources du Gouvernement de Nan- kin, les autres : Douane, Postes, Gabelles, étant con- trôlées par les étrangers, d'ailleurs à la demande même formulée jadis, vers 1858, pour les Douanes, par Pé- kin. Ceux qui connaissent l'histoire de sir Robert Hart ne me contrediront pas. Une de mes dernières conver- sations avec mon regretté ami M. R. Doppfeld, Direc- teur de la poste française à Shanghaï 1896-1910 m'a définitivement édifié à cet égard.

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CHAPITRE III

Chine et J apon depuis dix a n s

Il y a soixante ans l'appellation Chine désignait non seulement l'intérieur de la Grande Muraille mais encore les « dépendances » telles que Corée, Mand- chourie, Mongolie, Turkestan, Thibet, Tonkin, For- mose. En 1902, dans le Bulletin de l' Asie Française, un écrivain aussi qualifié que le C Robert de Caix de St-Aymour, estimait que, géographiquement, le Yunnan ne faisait pas partie de l 'Empire chinois. Au- jourd'hui, même pour la Chine proprement dite, limi- tée aux dix-huit Provinces, la variété, les diversités sont patentes. Les témoins abondent, surabondent. Nous nous limiterons à un choix d'auteurs récents. Nous commencerons par M. Jean Escarra, ancien Con- seiller du Gouvernement chinois, Professeur à la Fa- culté de Droit de Paris. Voici quelques extraits tirés de son livre (1 ).

P. 184 : ...l'auteur ayant évalué à 4 626 512 km. carrés (2) la superficie de la Chine propre, dit que le pays dispose maintenant d'une monnaie fiduciaire ga- gée par les stocks d'argent nationalisés et que l'Institut d'émission est chargé de maintenir au change de 14 pence 1/2 par dollar chinois. Le conseiller économique

(1) La Chine, le passé et le présent, 214 p., in-12°, Pa- ris, Colin, 1937.

(2) Environ 9 fois la France.

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du Gouvernemen t br i tannique, Sir F reder ik Le i th -Ross , qui vient de passer neuf mois en C h i n e pour y étudier la situation monéta i re , écrit en 1936, dans son rapport , que cet te réforme étai t un succès, mais que ce succès ne se maint iendrai t que si le Gouvernemen t central com- plé ta i t et réalisai t son programme de réorganisation in- térieure dans le domaine budgéta i re et bancai re . L e Japon a manifesté une violente opposi t ion à une réfor- me qui s 'est fai te (plus exac tement qui a été tentée) sans lui, voire contre lui, pré tend- i l , e t qui en tout cas, en facil i tant la consolidation pol i t ique d e la Chine , re- vêt à ses yeux l ' a spec t d ' u n défi ».

Nous ne pouvons que nous référer à ce que nous ma- nifestons plus loin (p. 75) à ce sujet. D a n s les condi- tions données , M . Le i t h -Ross mettai t la charrue avant les bœufs .

P . 208 , Conclusion : L ' o b j e t de ce livre était de rappe le r les données d e

la civilisation chinoise et d ' e n montrer l 'évolut ion con-

temporaire . L e s résultats de cet te évolution s ' inscri- ront dans un avenir p robab lement lointain. Il appart ient au lecteur d e former ses convictions sur ce que seront ces résultats. J ' a v a i s à traiter du passé et du présent d e la Ch ine . J e me refuse à faire des prédict ions sur son avenir » (1).

L e livre d e M . Escar ra est écrit d ' u n style clair, r ap ide , avec sincérité et expér ience . O n trouve à sa lecture plaisir et profit. Il est cependan t permis de re- gretter que l ' au teur ait omis d e faire ressortir la con- di t ion essentiel le du « R o y a u m e des Fleurs » si b ien définie par R o b e r t K . Douglas , au moyen d e l ' expres - sion, c i tée plus haut , « C h i n a honey c o m b e d wi th socie- ties ». E n Ch ine , l ' E t a t n ' e s t rien, les sociétés, congre-

(1) Non mis en i tal iques dans le texte original.

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gations sont tout. Une fois de plus trouve application la formule de mon cher et regretté maître Victor Bro- chard : la Vérité n'existe pas, il n'y a que des vérités. M. Escarra consacre un paragraphe de deux pages à la société familiale en Chine. Mais il ne nous dit rien des hongs, houeis et autres associations, qui constituent ia réalité politique, économique et sociale du pays, le partageant en une multitude d' « alvéoles », souvent en lutte les unes avec les autres. Invoquons de nouveau témoignage de Francis Garnier qui, nous l'avons rap- pelé plus haut, se trouvait en mai 1873 au Sseu Tchou- en, à Tchong King. Voici comment s'exprime notre illustre compatriote (op. cit., p. 280) : au milieu du silence de la campagne se trouvent quelques maisons de plaisance, où les négociants viennent oublier leurs préoccupations. En général, ces luxueuses résidences sont construites à frais commun par les résidents appar- tenant à une même province. Je me suis laissé inviter à un dîner dans la villa des négociants du Kiang si. Aux associations de cette nature, originaires d'une même province, s'applique le caractère de Houeis. Cf. p. 19.

En dehors d'elles et pour le moins aussi nombreux se rencontrent en Chine, depuis longtemps, les groupe- ments occultes, aux fins politiques comme les Taï- pings au XIX siècle. Vers 1897, un oncle de l'Impé- ratrice Tseuhi étant entré dans la société secrète des Boxers, s'aperçut qu'elle travaillait à la ruine ou tout au moins à la déchéance de la dynastie des Tsings. Par une manœuvre d'une loyauté douteuse vis-à-vis des Puissances ayant des représentants accrédités à Pékin, il eut l'adresse de détourner le coup qui se préparait, en orientant les Boxers, non contre les Tsings mais contre les étrangers. De là le siège des légations en 1900, l'Impératrice s'étant sauvée au loin dans la di- rection de Szeu Tchouen.

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Dans sa conclusion, il ne sera sans doute pas super- flu de le noter, M. Escarra se rencontre en pleine con- cordance avec le Cdt Casseville qui, dans son livre, analysé plus loin (p. 28), écrit textuellement ceci : p. 26. Le futur statut de la Chine s'annonçait (1928) com- me devant être un amalgame assez compliqué des systè- mes occidentaux et soviétiques et des idées nébuleuses de Sun Yat Sen. Tout en haut, le Parti, réuni annuel- lement en une assemblée qui, théoriquement, repré- sente le peuple.

P. 37. L'Unité de la Chine, qui aurait dû être le ré- sultat le plus immédiat de la victoire sur les armées de Mandchourie (octobre 1928), n'avait fait qu'un pro- grès moral.

P. 39. Il existe, à côté des taxes que peut percevoir le Gouvernement, une quantité d'impositions levées dans les villes et les provinces, par les chefs militaires qui y ont leurs troupes et qui servent d'abord à l'en- tretien des armées. Si bien que les dépenses militaires réelles de la Chine atteignent des chiffres fabuleux ».

L'expression d'armée appliquée ici à des bandes or- ganisées surtout en vue du brigandage paraît fort pro- che de ce qu'on appelle en français un abus de mot.

Jadis tel auteur français. M. Farjenel, pour ne pas le nommer, écrivant sur la Chine avec une sorte d'atten- drissement, citait avec complaisance ce proverbe cé- leste : De bon fer on ne fait pas un clou, d'un brave homme on ne fait pas un soldat ».

Que dirait-il s'il revenait aujourd'hui en ce monde ?

P o l i t i q u e d u J a p o n e n E x t r ê m e - O r i e n t

François de Tessan, Par les chemins Japonais, Pion 1918, p. 9. Le Japon mort et vif, Baudinière 1928.

Dans son ouvrage publié, il y a une dizaine d'années

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à Paris, notre Sous-Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères, qu'un nouveau Cabinet vient de faire pas- ser à la Présidence du Conseil, grand voyageur, nous donne un exposé clair et vivant, en 253 pages et qua- torze chapitres, de la condition intérieure du Japon, de ses relations avec l'extérieur. L'un des chapitres, le I X a pour titre: devant le chaos chinois (pp. 158- 171).

L'auteur rappelle que « de 1867 à 1899 l'Empire du Soleil Levant a lutté contre les privilèges de l'Occi- dent » , c'est-à-dire pour conquérir la plénitude de sa souveraineté, par la suppression des tribunaux con- sulaires.

Il continue en ces termes p. 163 : « Quel est le but du Japon en Chine ? Il lâcherait volontiers les conces- sions, « les principes d'extra-territorialité, le contrôle « douanier, à la condition d'obtenir la sécurité de ses « propres sujets et un traité commercial favorisant ses « exploitations et ses exportations en Chine. Il tâche- ra de négocier... avec les chefs lui paraissant de taille à sortir le pays du gâchis. Il sera patient jusqu'à l'ex- trême limite. Il étudiera toutes les combinaisons propres à une médiation entre les partis rivaux. Naturellement, le Japon agira, selon sa manière, en déployant son ac- tivité dans la coulisse et en respectant toutes les appa- rences, à moins que des événements exceptionnels ne l'obligent à sortir de cette réserve ».

En mai 1931, Nankin a prétendu abolir, par mesure unilatérale, les traités dits inégaux.

Le 24 juin 1938, à Changhaï, le porte-parole des autorités japonaises a annoncé l'abolition des droits d'exterritorialité dont jouissent les étrangers dans tou- tes les parties de la Chine contrôlées par les Japonais.

Il est clair que ces droits, anormaux, n'ont pas à survivre à leur raison d'être : l'absence d'organisation administrative, policière et judiciaire adéquate.

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P. 60. « D'après le professeur Oyama, le Japon doit trouver un champ nouveau à son activité en Chine, mais il n'y pourra pas grand chose, étant en compéti- tion avec l'action conjuguée des Anglais et des Amé- ricains... « Une issue pourrait être la conclusion d'une alliance sino-russe-japonaise ». Ceci fut écrit 1927 !

P. 242. « M. Sugimura (l'actuel et très distingué, Ambassadeur de son pays en France (1), directeur du bureau européen du Japon pour la S.D.N., a fait, à la fin de 1926, une tournée dans sa patrie pour y enquê- ter sur les progrès de la Ligue. Pendant un mois, il a été réellement le héros de toutes les réunions. Il a été obligé de prononcer trois ou quatre allocutions par jour ». Dans la capitale à Tokio il prononça un dis- cours qui fut partout reproduit et longuement commen- té. M. de Tessan en donne une traduction sinon com- plète, du moins étendue. La conclusion, qui nous paraît mériter d'être reproduite est ainsi conçue : « C'est seu- lement de la pénétration de tous les idéaux, de leur force commune, de la considération que les peuples se doivent entre eux que naîtra une société meilleure et que nous retirerons tous les bienfaits d'une entente entre l'Orient et l'Occident ». Nous adhérerons vo- lontiers à cette noble pensée estimant seulement que l'objectif de la politique internationale ne doit pas être tant de faire naître une seule société meilleure, que d'assurer la concorde entre des sociétés diverses indé- pendantes, mais pratiquant entre elles la Justice et la sympathie, sachant accroître pour leur profit mutuel

(1) Pendan t l ' impression de la seconde édition, S. E. M. T Sug imura dut, au grand regret de ses nom- breux amis français, qui t ter Par i s (le 14 décembre) pour r e tourne r au Japon. L'obligation de veiller au rétablis- sement de sa robuste santé, ébranlée à la suite de trois interventions chirurgicales dans une clinique de Neuil- ly, l 'a contra in t bien malgré lui à cette détermination.