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77 tome 35 > n° 1 > janvier 2006 > cahier 1 Actualités en ligne sur / on line on www.masson.fr/revues/pm panorama L e 8 décembre 2005 à Paris, un colloque parlementaire a eu pour thème la lutte contre l’obésité, un enjeu majeur de santé publique. Pour sa part Nutrinews (2005; 160: 5-7) a recueilli le point de vue d’un nutritionniste, Bernard Maire, sous un titre qu’illustre parfai- tement l’ampleur du problème: “Surpoids et obésité: vers la pandémie”? Car il s’agit bien d’un phénomène mondial. Si la sous-alimen- tation menace encore 700 millions de per- sonnes dans le monde, presque partout le sur- poids et l’obésité progressent et, en même temps, les maladies chroniques qui leur sont associées. Plusieurs explications sont fournies à savoir une plus grande disponibilité des res- sources alimentaires, une augmentation des revenus, une baisse des prix, auxquelles il faut ajouter la mondialisation, l’uniformisation des comportements, l’essor de la grande distribu- tion dans les pays en développement avec mise à disposition de produits peu coûteux qui ne sont pas toujours les meilleurs sur le plan nutritionnel: le “gras-sucré” est ainsi plus dis- ponible et moins cher. Et les publications de se multiplier concernant tout à la fois les risques, des traitements, la prévention de cette maladie de l’homme du XXI e siècle : l’obésité. Une meilleure connaissance des risques Considérée encore il y a peu comme un témoin de réussite, d’épanouissement, tout juste au prix d’un préjudice esthétique, l’obésité est maintenant considérée comme un facteur de risque majeur de morbimortalité. C’est ainsi qu’il est désormais bien établi que l’obésité augmente le risque de maladies car- dovasculaires et de diabète, et qu’elle est une cause majeure d’infarctus du myocarde. Mais la question posée est celle de l’évaluation du risque; ne faut-il pas recourir à d’autres moyens que l’indice de masse corporelle? Une étude cas-témoins regroupant 27098 partici- pants (12461 cas d’infarctus du myocarde et 14637 témoins) menée dans 52 pays, repré- Faire fondre l’obésité sentant ainsi plusieurs groupes ethniques, a eu pour objectif de savoir si des marqueurs d’obé- sité, en particulier le rapport entre tour de taille et tour de hanche permettant d’identifier les obésités abdominales, seraient de meilleurs indicateurs d’infarctus du myocarde que l’index de masse cardiaque. Selon les résultats de cette étude, la réponse est affir- mative pour le rapport tour de taille/tour de hanche (Lancet. 2005; 366: 1640-9). Cela signifie-t-il l’adieu à l’index de masse corpo- relle? Voire, écrivent des auteurs norvégiens (Lancet. 2005; 366: 1589-91). Des études ulté- rieures doivent valider l’importance de ce rap- port par une évaluation des effets de la perte de poids et de la diminution de l’obésité abdo- minale sur le pronostic. Pour leur part, des auteurs italiens ont voulu savoir si la détermination par ultrasonographie du rapport entre l’épaisseur du tissu adipeux abdominal prépéritonéal et celle du tissu adi- peux sous-cutané (indice de la graisse abdo- minale) permettait de quantifier le risque car- diovasculaire (étude menée chez 258 patients obèses à index de masse corporelle de 41,2 ± 6,3 kg/m 2 , âgés de 45,1 ± 13,6 ans). Finalement, l’indice de graisse abdominale, l’épaisseur du tissu adipeux abdominal et sous- cutané, le tour de taille ne semblent pas quan- tifier le risque métabolique de maladie cardi- vasculaire dans l’obésité sévère (Diabetes Metab. 2005; 31: 471-7). L’indice de graisse abdominale a un intérêt dans l’obésité avec index de masse corporelle inférieur à 45 kg/m 2 , mais avec une signification infé- rieure à celle du tour de taille. Autre préoccupation concernant les risques de l’obésité: le pronostic en cas d’admission en réanimation, les données recueillies jus- qu’alors étant contradictoires (Rev Mal Respir. 2005; 22: 6S150-6S152). Selon des communi- cations faites au Congrès annuel de l’American Thoracic Society tenu à San Diego (États-Unis) du 20 au 25 mai 2005), la durée de séjour en réanimation tend à être plus longue chez les patients obèses (d’où une augmentation du coût des séjours) tandis que l’incidence des pneumonies acquises sous ventilation méca- nique n’est pas plus élevée chez les patients ayant une obésité morbide. À la recherche d’un traitement En cas d’obésité, une perte de poids de 5 à 10 % peut améliorer de manière significative le risque de maladies liées à l’obésité et retar- der ou prévenir la survenue d’un diabète de type 2 chez des sujets à haut risque. Pour y parvenir, il y a bien sûr les modifications de style de vie, mais celles-ci ne donnent souvent que des résultats temporaires, avec reprise de poids ultérieure. Il est donc nécessaire d’asso- cier d’autres moyens thérapeutiques, notam- ment des médicaments amaigrissants (N Engl J Med. 2005; 353: 2187-9). C’est ce que mon- trent les résultats d’une étude randomisée dans laquelle l’association d’un tel médica- ment, en l’occurrence la sibutramine, à des modifications du mode de vie donne de meilleurs résultats que la seule sibutramine seule ou les seuls conseils concernant le mode de vie (N Engl J Med. 2005; 353: 2111-20). En fait, l’histoire des médicaments amaigris- sants est en dents de scie. Quand les amphé- tamines furent approuvées pour le traitement de l’obésité dans les années 1960, elles le furent uniquement pour une utilisation de courte durée. Le premier médicament suscep- tible d’être prescrit pour une longue durée a été la dexfenfluramine (ou la fenfluramine); mais il y a eu les cas d’hypertension artérielle pulmonaire et le retrait du marché en 1997. Finalement, actuellement, seulement 2 médi- caments sont approuvés par la Food and Drug Administration pour une utilisation de longue durée; il s’agit de la sibutramine et du rimo- nabant (N Engl J Med. 2005; 353: 2187-9). Le rimonabant est un inhibiteur sélectif des récepteurs des cannabinoïdes de type 1; il a été montré qu’il réduirait le poids corporel et qu’il était efficace sur les facteurs de risque cardiovasculaires chez les patients obèses. L’étude RIO-Lipids (Rimonabant in Obesity- Lipids) a montré plus précisément que, chez des patients à haut risque en surpoids Philippe Letonturier

Faire fondre l’obésité

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77tome 35 > n°1 > janvier 2006 > cahier 1

Act

ual

ités

en ligne sur/ on line on

www.masson.fr/revues/pm panorama

Le 8 décembre 2005 à Paris, un colloque

parlementaire a eu pour thème la lutte contre

l’obésité, un enjeu majeur de santé publique.

Pour sa part Nutrinews (2005; 160: 5-7) a

recueilli le point de vue d’un nutritionniste,

Bernard Maire, sous un titre qu’illustre parfai-

tement l’ampleur du problème: “Surpoids et

obésité : vers la pandémie”? Car il s’agit bien

d’un phénomène mondial. Si la sous-alimen-

tation menace encore 700 millions de per-

sonnes dans le monde, presque partout le sur-

poids et l’obésité progressent et, en même

temps, les maladies chroniques qui leur sont

associées. Plusieurs explications sont fournies

à savoir une plus grande disponibilité des res-

sources alimentaires, une augmentation des

revenus, une baisse des prix, auxquelles il faut

ajouter la mondialisation, l’uniformisation des

comportements, l’essor de la grande distribu-

tion dans les pays en développement avec

mise à disposition de produits peu coûteux qui

ne sont pas toujours les meilleurs sur le plan

nutritionnel : le “gras-sucré” est ainsi plus dis-

ponible et moins cher. Et les publications de

se multiplier concernant tout à la fois les

risques, des traitements, la prévention de

cette maladie de l’homme du XXIe siècle :

l’obésité.

Une meilleure connaissancedes risques

Considérée encore il y a peu comme un témoin

de réussite, d’épanouissement, tout juste au

prix d’un préjudice esthétique, l’obésité est

maintenant considérée comme un facteur de

risque majeur de morbimortalité.

C’est ainsi qu’il est désormais bien établi que

l’obésité augmente le risque de maladies car-

dovasculaires et de diabète, et qu’elle est une

cause majeure d’infarctus du myocarde. Mais

la question posée est celle de l’évaluation du

risque ; ne faut-il pas recourir à d’autres

moyens que l’indice de masse corporelle? Une

étude cas-témoins regroupant 27098 partici-

pants (12461 cas d’infarctus du myocarde et

14637 témoins) menée dans 52 pays, repré-

Faire fondre l’obésité

sentant ainsi plusieurs groupes ethniques, a eu

pour objectif de savoir si des marqueurs d’obé-

sité, en particulier le rapport entre tour de

taille et tour de hanche permettant d’identifier

les obésités abdominales, seraient de

meilleurs indicateurs d’infarctus du myocarde

que l’index de masse cardiaque. Selon les

résultats de cette étude, la réponse est affir-

mative pour le rapport tour de taille/tour de

hanche (Lancet. 2005; 366: 1640-9). Cela

signifie-t-il l’adieu à l’index de masse corpo-

relle? Voire, écrivent des auteurs norvégiens

(Lancet. 2005; 366: 1589-91). Des études ulté-

rieures doivent valider l’importance de ce rap-

port par une évaluation des effets de la perte

de poids et de la diminution de l’obésité abdo-

minale sur le pronostic.

Pour leur part, des auteurs italiens ont voulu

savoir si la détermination par ultrasonographie

du rapport entre l’épaisseur du tissu adipeux

abdominal prépéritonéal et celle du tissu adi-

peux sous-cutané (indice de la graisse abdo-

minale) permettait de quantifier le risque car-

diovasculaire (étude menée chez 258 patients

obèses à index de masse corporelle de 41,2 ±

6,3 kg/m2, âgés de 45,1 ± 13,6 ans).

Finalement, l’indice de graisse abdominale,

l’épaisseur du tissu adipeux abdominal et sous-

cutané, le tour de taille ne semblent pas quan-

tifier le risque métabolique de maladie cardi-

vasculaire dans l’obésité sévère (Diabetes

Metab. 2005; 31: 471-7). L’indice de graisse

abdominale a un intérêt dans l’obésité avec

index de masse corporelle inférieur à

45 kg/m2, mais avec une signification infé-

rieure à celle du tour de taille.

Autre préoccupation concernant les risques de

l’obésité : le pronostic en cas d’admission en

réanimation, les données recueillies jus-

qu’alors étant contradictoires (Rev Mal Respir.

2005; 22: 6S150-6S152). Selon des communi-

cations faites au Congrès annuel de l’American

Thoracic Society tenu à San Diego (États-Unis)

du 20 au 25 mai 2005), la durée de séjour en

réanimation tend à être plus longue chez les

patients obèses (d’où une augmentation du

coût des séjours) tandis que l’incidence des

pneumonies acquises sous ventilation méca-

nique n’est pas plus élevée chez les patients

ayant une obésité morbide.

À la recherche d’un traitement

En cas d’obésité, une perte de poids de 5 à

10 % peut améliorer de manière significative

le risque de maladies liées à l’obésité et retar-

der ou prévenir la survenue d’un diabète de

type 2 chez des sujets à haut risque. Pour y

parvenir, il y a bien sûr les modifications de

style de vie, mais celles-ci ne donnent souvent

que des résultats temporaires, avec reprise de

poids ultérieure. Il est donc nécessaire d’asso-

cier d’autres moyens thérapeutiques, notam-

ment des médicaments amaigrissants (N Engl

J Med. 2005; 353: 2187-9). C’est ce que mon-

trent les résultats d’une étude randomisée

dans laquelle l’association d’un tel médica-

ment, en l’occurrence la sibutramine, à des

modifications du mode de vie donne de

meilleurs résultats que la seule sibutramine

seule ou les seuls conseils concernant le mode

de vie (N Engl J Med. 2005; 353: 2111-20).

En fait, l’histoire des médicaments amaigris-

sants est en dents de scie. Quand les amphé-

tamines furent approuvées pour le traitement

de l’obésité dans les années 1960, elles le

furent uniquement pour une utilisation de

courte durée. Le premier médicament suscep-

tible d’être prescrit pour une longue durée a

été la dexfenfluramine (ou la fenfluramine) ;

mais il y a eu les cas d’hypertension artérielle

pulmonaire et le retrait du marché en 1997.

Finalement, actuellement, seulement 2 médi-

caments sont approuvés par la Food and Drug

Administration pour une utilisation de longue

durée; il s’agit de la sibutramine et du rimo-

nabant (N Engl J Med. 2005; 353: 2187-9).

Le rimonabant est un inhibiteur sélectif des

récepteurs des cannabinoïdes de type 1; il a

été montré qu’il réduirait le poids corporel

et qu’il était efficace sur les facteurs de risque

cardiovasculaires chez les patients obèses.

L’étude RIO-Lipids (Rimonabant in Obesity-

Lipids) a montré plus précisément que, chez

des patients à haut risque en surpoids

Philippe Letonturier

78 tome 35 > n°1 > janvier 2006 > cahier 1

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ou obèses ayant une dyslipidémie athéro-

gène, il améliorait le profil de plusieurs fac-

teurs de risque métaboliques (triglycérides,

HDL cholestérol) et qu’il augmentait le taux

d’adiponectine, une cytokine provenant du

tissu adipeux et ayant potentiellement d’im-

portantes propriétés antidiabétiques et anti-

athéro-scléreuses (N Engl J Med. 2005; 353:

2121-34).

Malgré ces résultats intéressants, il faut bien se

rendre à l’évidence; la prise en charge de l’obé-

sité, qu’elle soit diététique, pharmacologique

et/ou comportementale, est insuffisante, voire

inefficace sur le long terme. Aussi,

la chirurgie joue un rôle de plus en

plus important dans le traitement

de l’obésité dite morbide c’est-à-

dire correspondant à un index de

masse corporelle supérieur ou égal

à 40 kg/m2 et résistante aux traite-

ments de type conservateur.

Cependant, la préparation et le suivi

des patients candidats à la chirurgie

sont du ressort d’une équipe multi-

disciplinaire au sein de laquelle le

psychologue tient une place parti-

culièrement importante (Cah Nutr

Diet. 2005; 40: 189-94). Il y a

d’abord l’évaluation psychologique

de l’indication opératoire. Celle-ci

inclut le dépistage des contre-indi-

cations formelles (état psychotique

floride, dépendance à une sub-

stance psychoactive telle que

drogues ou alcool), l’appréciation

des contre-indications relatives

(maladie mentale non stabilisée,

trouble sévère du comportement alimentaire,

motivation peu claire ou attentes magiques

face à l’opération, entourage hostile à l’opéra-

tion, changement de vie important et récent).

Après l’évaluation psychologique pré-opéra-

toire, il y a aussi la préparation et le suivi de ces

patients, un ensemble essentiel afin d’une part

de réduire les risques opératoires et les com-

plications, d’autre part d’améliorer la tolérance

à la restriction alimentaire imposée par la tech-

nique chirurgicale. La dimension psychologique

de l’obésité est ainsi prise en compte durant

toute la durée de la thérapeutique chirurgicale,

tant en pré-opératoire qu’en post-opératoire, et

pas seulement lors de l’évaluation psychia-

trique préopératoire.

Mieux vaudrait prévenir

Finalement, conclut Suzan Z. Yanowski

(Bethesda) à la fin de son éditorial (N Engl J

Med. 2005; 353: 2187-9) notre but doit être

d’utiliser notre meilleure compréhension des

mécanismes complexes internes, génétiques,

environnementaux qui déterminent l’obésité

pour développer des stratégies plus efficaces

non seulement pour le traitement mais aussi

pour la prévention primaire de l'obésité.

Il faudrait déjà connaître ce qui détermine la

motivation à manger. Trois aspects de cette

dernière pouvant influencer la capacité de

maintenir un poids corporel adéquat peuvent

être évalués grâce à un questionnaire appelé

“Three Factor Eating Questionnaire” (TFEQ).

Il s’agit de la restriction alimentaire délibérée

et chronique soupçonnée de perturber les

capacités de régulation énergétique, de la

désinhibition (tendance à perdre le contrôle de

l’ingestion alimentaire), des sensations de

faim. Une étude portant sur 2509 adultes dont

l’index de masse corporelle variait entre 15 et

87 kg/m2 a établi que la restriction alimentaire

et la désinhibition étaient positivement asso-

ciées à l’index de masse corporelle chez les

hommes alors que seule la désinhibition l’était

chez les femmes (Cah Nutr Diet.

2005; 40: 220-6). Les scores de

désinhibition étaient fortement cor-

rélés à ceux de faim dans les 2

sexes et quel que soit l’indice de

masse corporelle. La restriction ali-

mentaire était corrélée positive-

ment aux 2 autres facteurs chez les

sujets des catégories d’indice de

masse corporelle les plus basses

alors que cette corrélation était

négative chez les gens plus obèses.

Et, il est conclu que d’autres études

sont nécessaires.

D’un autre côté, une étude effec-

tuée chez 2 041 pré-adolescents

grâce à des questionnaires auto-

administrés a pu pour objectif de

déterminer l’estime de soi et l’état

d’anxiété de ces préadolescents

selon la perception de leur corpu-

lence et leur suivi d’un régime. Il

est conclu que des actions centrées

sur ces facteurs pourraient aug-

menter l’efficacité préventive des outils

(notamment information sur les règles élé-

mentaires de l'alimentation habituellement

utilisés en cas de régimes alimentaires

inadaptés (Cah Nutr Diet. 2005; 40: 195-201).

En définitive, de toutes ces données sur l’obé-

sité et sa prise en charge, la seule vraiment

fiable concerne… le poids de ce fléau mondial

moderne.

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