Faire Le Mythe

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Carlos Fausto

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  • Journal de la socit desamricanistes2002, 88Articles

    Faire le mythe. Histoire, rcit ettransformation en AmazonieCARLOS FAUSTO

    p. 69-90

    Rsums

    Faire le mythe. Histoire, rcit et transformation en Amazonie. Par lanalyse desdiffrentes versions dun mythe parakan (tupi-guarani) sur lorigine des Blancs, cet articlecherche comprendre les conditions de production des variantes dun mythe, lesmcanismes dincorporation de lexprience historique et les processus par lesquels lesvnements sont condenss sous forme narrative. Les diffrentes versions parakan sontcompares dautres mythes amazoniens sur lorigine des Blancs, en particulier la clbresaga dAuk, connue de tous les peuples j du Brsil Central. Enfin, lauteur examinequelques questions relatives aux concepts de mythe et dhistoire et propose la notiond action mythique quil distingue de la notion occidentale de faire historique .

    Making the Myth. History, narrative and transformation in Amazonia. Bymeans of an analysis of different versions of a Parakan (Tupi-Guarani) myth on the originof the Whites, this article aims at comprehending how these versions are produced, howmyths incorporate historical experiences, and how events are condensed in a particularnarrative structure. The different versions of the Parakan myth are compared with otherAmazonian myths on the origin of the white people, particularly with the story of Auk,which is known by all Ge-speaking people of Central Brazil. Finally, the author examinessome problems related to the notions of myth and history, suggesting the notion of mythicagency in contradistinction with our notion of making history.

    Fazer o mito. Histria, narrativa e trasformao na Amaznia. Por meio daanlise de verses de um mito parakan (tupi-guarani) sobre a origem dos brancos, esteartigo procura compreender quais so as condies de produo de variantes de um mesmomito, quais so os mecanismos de incorporao da experincia histrica, e quais so osprocessos pelos quais os eventos so condensados na forma narrativa. As diferentes versesparakan so comparadas com outros mitos amaznicos sobre a origem dos brancos, em

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  • particular com a bem conhecida saga de Auk, difundida entre os povos de lngua j doBrasil Central. Ao final, o autor discute problemas relativos aos conceitos de mito e histria,e prope a noo de agncia mtica, diferenciando-a de nossa noo de fazer histrico.

    Entres d'index

    Mots-cls : Amazonie, mythe, histoire, rcit, transformation, narrativeKeywords : myth, historyPalabras claves : AmazoniaGographique/ethnique : Brsil, Amazonie, ParakanThmatique/disciplinaire : Ethnologie

    Historique

    Journal de la Socit des Amricanistes, 2002, 88, pp. 69-90.

    Texte intgral

    Mais pourquoi [...] marquer une telle rticence vis--vis du sujet quand on parlede mythes, cest--dire de rcits qui nont pu natre sans qu un moment

    quelconque [...] chacun ait t imagin et narr une premire fois par un individuparticulier ?

    C. Lvi-Strauss, LHomme nu (1971)

    lorigine

    La conqute et la colonisation des Amriques furent un vnement considrablenon seulement par ltendue des terres conquises ou leurs effets socio-dmographiques, mais aussi par la vaste production dimages et dinterprtationsqui prit racine dans la pratique, tout en fournissant des directions pour cette miseen pratique. Dans ce champ dactions et de dispositions, se produisit un chass-crois des interprtations des Amrindiens sur les Europens et des Europenssur les Amrindiens qui, avec le temps, prirent corps et se stabilisrent souscertaines formes1.

    1

    Dans cet article, je cherche explorer un aspect de ce processus : celui destraces laisses par lhistoire du Contact dans des rcits mythiques. Ce quimintresse ici cest lanalyse du processus qui permit la mise en rcit de certainesexpriences historiques sous forme de mythes et en fit des histoires racontes ettransmises oralement. Pour aborder cette question, janalyserai diffrentesversions dun mme mythe que jai enregistres, entre 1992 et 1995, chez lesParakan, un peuple tupi-guarani qui vit dans linterfluve Xingu-Tocantins, dansltat du Par, au Brsil. Je chercherai identifier les mcanismes impliqus dansla production crative de ces variantes et je discuterai de questions relatives auxnotions de mythe et dhistoire.

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  • La premire relation crite dun rcit indigne dans lequel figurent desEuropens, date du milieu du XVIe sicle. Pendant lexprience coloniale franaisedans la baie de Guanabara, Andr Thevet a recueilli des pisodes de la cration delhumanit qui lui auraient t raconts par le roi Tupinamb Quoniambec etdautres vieux Indiens , publis dans la Cosmographie Universelle en 1575. Cercit traite des actes des dmiurges qui conduisirent la gense et auxdiffrenciations successives des tres qui habitent le cosmos : diffrenciation delhumain et du non-humain, de lIndien et du Blanc, des amis et des ennemis etainsi de suite. Le mythe inclut les Europens dans cette srie pr-existante et lesassimile aux dmiurges. Selon Thevet ([1575] 1953, p. 41), les Blancs seraient lessuccesseurs et vrais enfants du hros culturel qui, du fait de ses constantesmtamorphoses, a t brl par les anctres des Tupinamb.

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    Lassimilation, dans ce mythe, des Europens aux dmiurges est compatibleavec le terme par lequel on les nomme sur la cte brsilienne : caraba, mot quidsignait les grands chamans tupi-guarani2. Ce rapprochement entreconquistadores et chamanisme tait surtout fond sur lvaluation desimplications pratiques et symboliques de la technologie europenne. La profusiondobjets utiles et inutiles que possdaient les Europens tait la manifestationpublique et visible dun pouvoir cratif particulier et dune relation intime avecdautres sujets du cosmos (que nous appelons esprits par la force delhabitude). Les missionnaires surtout des Jsuites avantags par cetteidentification, la cultivaient. La prire reprsentait pour les Tupinamb une sortede communication chamanique avec un Grand Esprit . Anchieta ([1562] 1988,pp. 235-237) raconte que pendant sa mission chez les Tamoio de lIperoig, sur lacte de So Paulo, les Indiens venaient lui demander de parler avec Dieu afin deleur assurer une chasse fructueuse et du succs la guerre. Yves dvreux ([1613]1985, p. 237) rapporte comment Pacamont, un grand sorcier du Maranho, vint letrouver pour quil lui apprenne parler avec Dieu, puisque tous deux taientcenss frquenter les Esprits .

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    La violence des Europens, ou mme lintemprance des punitions divines, nefaisaient pas obstacle cette identification. Le chamanisme tupi-guarani est, eneffet, troitement li au cannibalisme et la prdation : les esprits puissants sont,en gnral, des tres bestiaux et de froces mangeurs de viandes crues, tel lejaguar. Ainsi, si leur capacit de violence mettait les conquistadores dans laposition dennemis, elle ne dmentait pas leur vocation pour le chamanisme.

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    Lquation des Blancs avec le champ chamanique ne sest pas limite la cteatlantique, mais sest diffuse dans la fort au fur et mesure que la colonisationavanait. Les points de vue indignes sur ce processus se peroivent dans lhistoiredes interactions entre Indiens et Blancs, en particulier dans les mouvements dersistance indigne qui sapproprirent des images des conquistadores de manire exprimer linversion dans la relation de conqute. Les mythes, leur tour, nousouvrent un accs la comprhension des significations attribues cette relationet des diffrentes faons dagir sur elle3.

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    Voyons prsent, dun peu plus prs, certains de ces rcits, en commenant parles donnes parakan.

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  • Un peu dhistoireLes Parakan se composent aujourdhui denviron 800 personnes qui habitent

    dans deux rserves indiennes : une dans le bassin du Tocantins, lautre dans lebassin du Xingu. Quoique, dans la mmoire parakan, les premiers contacts avecles Blancs remontent la fin du XIXe sicle loccasion de la pntration desramasseurs de noix dans la rgion du Tocantins , leurs anctres ontprobablement d tre affects, directement ou indirectement, par le processus decolonisation plusieurs sicles auparavant. Les premires incursions dEuropens,surtout de Franais, dans cette rgion, datent, en effet, de la fin du XVIe sicle etsintensifirent au long du sicle suivant, lorsque les Portugais prirent leMaranho et fondrent la ville de Belm en 1616.

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    Cette date marque le dbut dune baisse marquante de la population indigne,cause la fois par les guerres de conqute, les rachats des captifs, les dcimationsmissionnaires et les pidmies, en particulier celles causes par la variole. Aumilieu du XVIIe sicle, limportante population qui avait habit le bassin duTocantins tait dj annihile ou rduite en esclavage. Les survivants staientrfugis dans des zones retires et sur des cours deau plus petits, dans unmouvement qui a marqu toute lhistoire de la conqute de lAmazonie. Vieira eutlopportunit de vrifier ce fait, ds sa premire incursion dans la fortamazonienne, en 1653 : On lappelle le fleuve du Tocantins cause dune nationdIndiens de ce nom, qui y habitait lorsque les Portugais arrivrent au Par ; maispour celle-ci, de mme que pour plusieurs autres, on ne conserve plus aujourdhuique la mmoire et les nombreuses ruines dun petit village (Vieira [1654] 1943,p. 331).

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    Les Parakan sont probablement descendants des rescaps de ce processus deconqute et de dpeuplement. Trouvant refuge aux sources des affluents de la rivegauche du Tocantins, ils se sont maintenus isols pendant trs longtemps, aupoint de ne pas garder le souvenir davoir un jour souffert de la violence de lpeou de la virulence des pidmies. Donc, du point de vue des Parakan, les Blancsnont t dcouverts qu la fin du XIXe sicle, lpoque de la gnration desgrands-parents des personnes les plus ges daujourdhui4.

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    La dcouverte concide avec le dveloppement de la cueillette de la noix duBrsil et de lextraction du caoutchouc sur la rive gauche du Tocantins,dveloppement qui a favoris une augmentation de la population locale et lacroissance de lactivit commerciale dans les villes de Marab et Alcobaa(aujourdhui Tucuru). Au XXe sicle, la construction dune voie de chemin de ferpour relier ces deux villes entrane la pntration de la colonisation et donc descontacts plus frquents entre les Indiens et les autres habitants de la rgion. Cemouvement na cependant montr son caractre dfinitif qu partir des annessoixante, avec les grands projets de ltat brsilien, telles la construction de laroute Transamazonienne et celle de lusine hydrolectrique de Tucuru. Cest cette poque que les diffrents groupes parakan, se voyant soumis ladministration de ltat et la tutelle de la FUNAI entre 1971 et 1984, furentobligs dabdiquer bonne part de leur autonomie.

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    Lorsque, quelques annes plus tard, jai commenc ma recherche sur le terrain,12

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  • En devenant blanc

    Quest alle faire notre sur ? ont-ils demand. Ils partirent. Elle est alle forniquer avec une branche darbre. Va larracher.Il y est all et la arrache. Elle a cherch, mais en vain : Pourquoi ma-t-on arrach mon mari ? a-t-elle demand .

    Pour qui notre sur emporte-t-elle cette bouillie ?Ils sont alls voir, se sont approchs. Pour le cerf, elle verse la bouillie.Le cerf la prise. Cest pour le cerf que notre sur emporte la bouillie. Allons le tuer et le manger.Ils ont donc fait ainsi. Ils lont encercl, lont tu et lont dcoup. De retour au village : Nous avons tu un cerf, notre sur. Il tait l-bas, ont-ils dit.Elle prit la bouillie et sortit. Ici ! Ici ! Voil de la bouillie, cest pour toi, dit-elle en vain.Elle vit le lieu o il avait dormi et o il avait t dcoup. Elle est revenue et na rien dit.Aussitt elle vit un tapir et elle lui apporta de la bouillie. qui notre sur apporte-t-elle cette bouillie ? Allons le tuer et le manger.Ils y sont alls.

    les Blancs apparaissaient dans quatre mythes diffrents. Deux rcits traitaientspcifiquement de leur origine, ils figuraient en outre dans deux histoires thmatique plus ample. La prolifration des rcits fait partie de leffort pourconceptualiser non seulement la diffrence entre les Indiens et les non-Indiens,mais encore la diversit interne de ces derniers. Selon mes informateurs, lesmythes parlent de Blancs diffrents qui ont pris des directions divergentes et quipeuvent se comporter de manire distincte. Tous ces rcits staient cristalliss dsla fin du XIXe sicle ; ils sont, en effet, connus des deux blocs parakan le blococcidental et le bloc oriental , qui se sont scinds vers 1890. Cela semble indiquerquen dpit de lisolement dans lequel les Parakan vivaient cette poque,lexprience du Contact avait jadis t intense et varie. La mythologie, cherchant rendre compte de la varit, prsentait dj les cicatrices de cette histoire.

    Dans ce travail, je prendrai en considration un des rcits sur la gense desBlancs, connu sous le titre Le Rapt des neveux (Opega-rerahatawera). Jelaisserai de ct lautre rcit, LOrigine de la douleur et des Blancs , que jaiexamin par ailleurs comme une transformation de la clbre saga des jumeauxtupi-guarani5. Analysons donc le premier mythe, que je rsume partir de laversion qui ma t raconte en 1993 par Iatora, un Parakan occidental.

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    Lhistoire commence par des scnes de fornication inusites : une femme selivre un commerce sexuel avec des non-humains. Ses frres sont tmoins de cesvnements.

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    Tout dabord elle va forniquer avec une branche darbre. Alors :15

    Ensuite elle a commenc forniquer avec une liane, mais cette dernire acraqu quand ses frres sont partis sa recherche. Ensuite ce fut au tour dun cerf.Elle lui apportait de la bouillie. Les frres ont demand :

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  • Iwaoreore, viens prendre ta bouillie ! a-t-elle appel. Kii ! Kii ! Kii !...Et le tapir est venu. Cest un norme tapir. Je vais le tuer [dit lun des frres].Elle a renvers la bouillie et le tapir la mange. Ils restrent observer : Cest un grand tapir que notre sur apporte de la bouillie, mon frre. Allons le tuer et lemanger.Ils lont encercl. Il a couru. Il est tomb. Ils lont dcoup et lont apport la maison touten chantant. Nous avons tu un norme tapir, ma sur. O lavez-vous trouv ? Juste l-bas devant. Cest son matre qui la tu, ton frre. Je nen mangerai pas ! a-t-elle dit. Allons ma sur, mange la cte.

    Elle est partie et a emport de la bouillie. Elle a appel en vain son familier (teomawa),son mari.Alors elle vit le poisson. Lui apporta de la bouillie. Ceci sest pass juste avant quelle nesenrage. qui notre sur apporte-t-elle de la bouillie ? ont demand les frres. Allons regarder, dirent-ils.Leurs pouses les ont prvenus : Votre sur se disputera avec vous. Lorsque vous avez tu le tapir, elle a dit quelleemmnerait

    vos enfants ! Laissez-la sa proie-magique (temiahiwa).Mais ils allrent voir. Cest pour un poisson que notre sur emporte de la bouillie. Tuons-le.Ils battirent le poison de pche et rapportrent le poisson dans un long panier fait avec lafeuille du palmier daai. Ils venaient en chantant. Nous avons tu un poisson, ma sur. O tait-il ? L-bas ! Notre grosse proie tait prs de leau .

    Dans ce passage initial, une femme clibataire maintient des relations sexuellesavec des vgtaux (un tronc darbre, une liane) et des animaux (le cerf, le tapir, lepoisson). Comme elle na que des frres et des belles-surs, elle cherche ses maris parmi les tres non-humains. Pour ce faire, elle a recours ses capacitsoniriques. Lorsque le narrateur dit alors, elle vit le tapir , il faut comprendrequelle le voit en rve et quensuite, en tat de veille, elle le fait venir pour en faireson partenaire. Cest ce quindiquent les termes utiliss pour les animaux :teomawa (qui veut dire animal familier ) et temiahiwa (que je traduis par proie-magique ). Ce sont des catgories qui sappliquent aux interlocuteursoniriques des rveurs. Ceux qui vritablement rvent pour de vrai (opoahiwet-et-wa) interagissent avec les tres du cosmos et peuvent lesconvertir en familiers avec lesquels ils maintiennent une relation ambivalentede contrle et de protection. Ces tres familiers fournissent les chants des rituelset pratiquent les gurisons chamaniques (Fausto 1999).

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    La prodigieuse activit onirique de la protagoniste indique quelle possde unepuissance transformatrice et cratrice sans gal, dont les frres tirent profit pournourrir leur famille. Si elle traite les animaux comme des humains comme destres capables de communication verbale et sexuelle , ses frres, quant eux, lesvoient comme du gibier et les traitent comme tel : ils svertuent objectiver ceuxque leur sur rendait sujets. Ce passage initial du mythe joue en rsonance de

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  • Les mres leur crient : Venez manger un bout de foie de tortue. Quest-ce quil y a ? demandent-ils. Venez manger un bout de foie de tortue. Ils plongrent.

    Quoi ??? Oh ! Mon fils sest fait compltement Blanc [toria] !.

    Qui conte un conte...

    cette confrontation de perspectives les maris de la sur sont le gibier de leursbeaux-frres , par la rptition, en parallle, du mme droulement avec desvictimes diffrentes.

    La squence suivante du mythe offre un dnouement ce dilemme. La femmechamane, irrite par les attitudes prdatrices de ses frres, rve de ses neveux(BCh) et les transforme en ses teomawa oniriques. Ainsi, elle les contrle et lesemmne se baigner dans le fleuve. Ils allument un feu sur une pierre etcommencent plonger. Le bain est dcrit comme une succession de plongeons etde sorties de leau pour que les enfants puissent se rchauffer prs du feu. Cettesuccession froid-chaud rapproche ce bain de ceux revivifiants et transformateursqui apparaissent, dans la mythologie amrindienne, associs aux thmes delimmortalit et du changement de peau. Et, de fait, une transformation se produitpeu peu. Lors des sances qui se rptent pendant plusieurs jours, seffectue lasparation entre les futurs Blancs (toriroma) et ceux qui restrent, les Awaet6.

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    La sparation est dcrite comme un loignement progressif tout au long ducours de la rivire. Les mres voient encore les plongeons dans leau de leursenfants dj fort loin. Elles les appellent en vain. Rien ne les attire, pas mmelinvitation venir manger du foie de tortue gourmandise sans gal , indiquantquils ne partagent dj plus les mmes gots :

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    Les enfants sont vus pour la dernire fois sur un rocher, le seuil dun nouveaumonde7. Ils se chauffent au soleil. Les parents les appellent, mais ils sen vont,plongeant dans le fleuve. partir de l, la sparation devient irrversible. Lesappels rpts et frustrs donnent lieu la violence. Les frres essayent de tuercelle qui a dvoy leurs enfants, mais elle senfuit auprs de ses neveux et ilsdeviennent tous dfinitivement des Blancs.

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    Jai enregistr trois versions de ce mythe auprs de trois narrateurs diffrents.Deux dentre eux sont des Parakan occidentaux et lautre un Parakan oriental8.Ce dernier, en racontant le mythe, na mme pas fait allusion la transformationen Blanc. Il a fallu que je lui pose des questions sur le dnouement du rcit, que jeconnaissais dj, pour quil me dise que les neveux sont devenus des Blancs,probablement amricains et que, de l, ils sont partis en bateau9.

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    Les deux autres versions, au contraire, annoncent ds le milieu de lhistoire quele destin des enfants est de devenir des Blancs. Toutefois, lune delles, la versiondIatora, diffre des autres parce quelle nest pas interrompue par la sparation.Elle se poursuit avec un pisode sur lchec de la visite des parents aux enfantsblancs. partir de l, le mythe prend la forme dun rcit historique , ou, plus

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  • Suivons le fleuve pour chercher nos enfants, mon frre.Ils sont partis : l ils ont dormi, l ils ont dormi, l ils ont dormi. Ils avaient mang toute lafarine.Ils sont revenus vers leurs pouses pour quelles en torrfient plus10. Suivons le grand fleuve la recherche de nos enfants, mon frre. Ils partirent, laissantleurs pouses. Ils allrent jusquau pied de la colline, prs du fleuve. Ils traversrentplusieurs montagnes. Ils entendirent alors quelquun qui tait en train de fabriquer unepirogue. Voil ! Voil ! .

    Ils restrent regarder la pirogue. Prs de leau, il [le Blanc] arrachait de la paille. Lamaison tait l. Alors il revint vers la pirogue et repartit tout de suite. Qua-t-il d aller chercher en courant ? se demandrent les pres.Il courut et prit le fusil. Eh ! Qui tes-vous ? cria-t-il.Il commena leur tirer dessus. Les pres senfuirent et allrent retrouver leurs pouses :Nos enfants ont tir sur nous ! .

    Allons-nous en, loignons-nous deux. Peut-tre suivront-ils le fleuve jusqu nous et enfiniront-ils avec nous, dirent-ils.Ils partirent loin dans cette direction et se fixrent prs dune palmeraie daa.Quelque temps aprs : Allons chercher des boutures de manioc.Ils partirent. Ils ont cherch le chemin de lancien village. Ils suivirent le chemin. L-bas se

    prcisment, dun discours se dployant sur un seul plan existentiel : celui desrelations sociales visibles entre les humains. Lunivers transformationnel-chamanique de la premire partie du rcit disparat dans la deuxime partie.

    Ainsi, aprs avoir constat que les fils sont devenus des Blancs, les parentsdcidrent de partir leur recherche :

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    Pour les auditeurs parakan, lassociation entre la fabrication de la pirogue etles Blancs est immdiate, puisque, avant le Contact, ils ignoraient cettetechnologie. Cet pisode indique que les parents sont certains davoir retrouvleurs enfants, car la transformation en Blanc est, disons, un rsultat anticip durcit. Les parents continuent leur progression, sapprochant de la pirogue enconstruction. Cependant, le constructeur sloigne pour chercher de la paille dupalmier babau. son retour, il saperoit finalement de la prsence des Indiens :

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    ce moment le narrateur se pose une question : Comment ont-ils fabriqu sivite le fusil ? . Iatora anticipe une question probable des enfants qui au ct deleur famille coutaient lhistoire quil me racontait. La fabrication du fusil, objetqui dfinit lidentit de ses dtenteurs, semble davantage exiger une explicationque ne le faisait, dans la premire partie du mythe, linteraction avec les animaux,celle-ci allant de soi.

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    Cette deuxime partie du rcit nintroduit pas une interaction effective avec lesBlancs et ne dment pas la premire partie, qui nous parle dune sparationirrversible. Les tirs confirment la transformation ontologique des ex-enfants etraffirment la conclusion du mythe. Cependant, Iatora ne sarrte pas l et lethme de la mdiation des cadeaux qui a tellement marqu lexprience de vie dunarrateur, suit immdiatement. Aprs que les pouses se sont runies et que lespres leur ont racont ce qui stait pass, ils dcidrent de prendre la fuite :

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  • trouvait la maison communale. lintrieur, ils trouvrent des hamacs. Ils firent de lafarine avec le manioc quils avaient plant et partirent en emportant les hamacs .

    Regardez ce que nous avons apport : des hamacs.Et tout de suite elles rpondirent : Allons voir nos enfants, allons vivre avec eux, allons devenir des Blancs dans la maison denos enfants.Mais ils eurent peur : Ils vont en finir avec nous. Ce sont ceux qui portent le vrai arc [le fusil], ils sont devenuscompltement des Blancs .

    La diffrence que fait le cadeau

    De nouvelles rfrences historiques apparaissent : les parents ont peur dtrepoursuivis et dcident dabandonner le village pour se fixer dans une palmeraiedaa (cest--dire quils se rfugient loin du cours du fleuve principal). Pendantce temps, les enfants-Blancs vont jusqu lancienne habitation et laissent deshamacs accrochs (un cadeau apprci puisque les hamacs des Blancs, fabriqusde fils de coton aux mailles serres, sont beaucoup plus confortables que ceux desParakan, faits de fibres de feuille de palmier au tissage plus grossier). Les parentsdcident de retourner leur ancien village pour chercher des boutures de manioc,car ils sont partis sans en emporter ; l, ils trouvent les hamacs. Ils font de lafarine et prennent les cadeaux . Une fois de plus, ils se runissent avec lesfemmes et leur montrent ce quils ont apport :

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    Ainsi se finit le rcit dIatora. Il inverse le sens de la sparation de la premirepartie du mythe : ce ne sont plus les futurs Blancs qui sloignent, mais les Indiensqui les fuient. Dans ce parcours, le mythe sapproche chaque fois plus dun rapporthistorique. Si, dans la premire partie, on raconte la diffrenciation des Blancs partir dune identit originale en clef chamanique (la sparation saccompagnedune mtamorphose lie la capacit supra-humaine de la tante paternelle), dansla deuxime partie, la clef est socio-historique. Mais, ici, il est galement possiblede distinguer deux moments. Initialement, les Awaet vont la rencontre desex-enfants et sont traits comme des ennemis, ce qui les oblige un loignementmaximum : ils abandonnent le village et partent sans prendre de manioc. Ce futune exprience commune dans lhistoire de la colonisation de lAmazonie et lesParakan occidentaux lont vcue, encore que de faon attnue, au XXe sicle,lorsquils ont d abandonner leurs villages et chercher des rgions indemnes depntration non indigne. Dans la partie finale du mythe, nanmoins, les Blancsmontrent des dispositions pacifiques, laissant des cadeaux dans le villageinoccup que les anciens habitants retournent visiter de temps en temps. Lenarrateur attribue alors la peur des Indiens le fait quils ne soient pas alls vivreavec les Blancs. La conclusion ne dment pas entirement les autres versions dumythe, en conservant une certaine distance par rapport aujourdhui o ils viventavec les Blancs ; en mme temps, elle met laccent sur un fait qui, diplomatieoblige, peut faire plaisir linterlocuteur (lui aussi un tranger distributeur decadeaux).

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  • Le 31 juillet [...], nous avons eu la visite des Indiens qui ont lhabitude de venir dans cePoste. [...] Aprs tre rests un petit laps de temps, cest avec la mme dmonstration dejoie quils avaient larrive, quils se retirrent : en chantant, en dansant et en bavardant (SPI 1933).

    Les cadeaux occupent une position centrale dans lhistoire parakan du contact.Pendant des dizaines dannes, les Parakan occidentaux ont frquent le Poste dePacification du Tocantins, fond en 1928 par le Service de Protection aux Indiens(SPI) pour entrer en contact avec les sauvages qui entravaient la constructionde la ligne de chemin de fer devant relier Alcobaa Marab. Lors de ces visites,ils recevaient des centaines de biens : des haches, des machettes, des couteaux,des hamacs, des moustiquaires, du tabac, de la farine et bien dautres chosesencore.

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    Les rapports du SPI la fin des annes vingt et au dbut des annes trenteclassaient les Parakan parmi les Indiens en voie de pacification paropposition aux Asurinis, Indiens guerriers , qui avaient lhabitude dattaquer lapopulation le long de la voie de chemin de fer. Alpio Ituassu, charg du poste lpoque, affirme dans ses rapports que les Parakan se comportaient encamarades avec les fonctionnaires. La confiance semble avoir t effectivementressentie par les Indiens qui, lors de cette premire priode de contacts rguliersentre 1928 et 1938, frquentrent le lieu accompagns des femmes et des enfants,totalisant parfois plus de cent personnes lors dune mme visite.

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    Le fait quils emmenaient femmes et enfants ce qui ne se rptera pas dans ladeuxime priode des visites, entre 1953 et 1965 signifie quils ne craignaient niune agression physique des Blancs, ni une agression chamanique. Lassociationentre maladie et Blancs prendra corps trs graduellement au long du sicle, etencore de faon trs timide. Ce nest quaprs le dpeuplement post-pacificationque cette association se consolidera. Les rapports des annes trente parlent dunsentiment oppos la peur : la joie.

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    La dmonstration de joie les chants, le bavardage allait devenir la marquedes visites au Poste de Pacification, ainsi galement quune avidit pour les biens.Beaucoup de cadeaux leur taient offerts et prenaient une dimensionexceptionnelle pour ce groupe qui avait jusqualors peu accs ces objets. Bienque ces grandes ftes de marchandise aient pu leur faire penser un renversementde leur destin mythique concernant leur infriorit technique, elles ne lesincitaient pas pour autant envisager la possibilit de devenir Blancs. Comme jelai dj indiqu (Fausto 2001a, pp. 498-504), les fonctionnaires du posteoccupaient la mme place que dautres teomawa oniriques du chamanismetraditionnel parakan : ils taient considrs comme des tres puissants quitaient nanmoins sous le contrle des Parakan, ce qui expliquait dailleurspourquoi ils donnaient tant de choses sans rien exiger en retour. Une desmeilleures preuves de lquation entre ces deux relations, cest le terme communappliqu aux Blancs et aux interlocuteurs oniriques : miang, un vocatif formelpour pre et oncle paternel.

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    Dans les annes quarante, lorsque le SPI a commenc introduire desinterprtes indignes dans le Poste de Pacification du Tocantins (alors rebaptisPoste dAttraction Pucuru), les Parakan commencrent considrer la

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  • Au moment de partir, il [linterprte] demanda si nous reviendrions, nous avons rponduque oui, nous reviendrions. Il nous demanda combien de nuits nous passerions avant derevenir car ils voulaient nous pacifier. Il demanda si nous navions pas peur deux. Nousavons rpondu que nous nen avions pas peur : Nous sommes frres, nous dit-il.

    Ctait un Awaet, un Apyterewa, qui avait t pacifi. Ils nous ont pacifis, nous a-t-il expliqu.Il navait pas abandonn sa langue, cest la raison pour laquelle il nous parlait comme a. Ilnous a dit quau dbut il navait quun arc, et quensuite il a reu un fusil. Il ma racontquils avaient lanc des flches sur les Blancs :

    Nous les avons flchs. Alors ils [les Blancs] nous ont dit : les Awaet vont en finir avecnous.Alors ils nous ont pacifis.Nous lui avons demand : Pourquoi avez-vous lanc des flches sur les Blancs ? Tenez-les tout simplement,avons-nous dit Jeeyngoa.Je ne sais pas pourquoi il ne portait pas de short. Bon, les Blancs venaient de lemmener. Ilne portait quune chemise (Iatora 1993, cassette 37).

    possibilit de sunir aux Blancs, voire de devenir totalement Blancs. Iatora, quitait jeune cette poque, raconte une conversation quil aurait eue avec un desinterprtes lors dune visite au Poste un peu plus tard dans les annes cinquante :

    Jeeyngoa tait un Indien temb ou kaapor. Il ne parlait pas la langue de nosvisiteurs, mais une autre langue tupi-guarani. Toutefois, il tait capable decommuniquer avec eux bien mieux que les Blancs. Dans ce cas, linterprte quiavait la lvre perce, mais ne portait plus de labret ressemblait encore unAwaet, quoique dj en voie de transformation. Remarquez lattention dIatora labsence du short : Jeeyngoa stait habill comme un Blanc, mais uniquement moiti. Comme la pacification tait rcente, il ntait pas encore devenu unBlanc : il avait un fusil et une chemise, mais parlait une autre langue et nutilisaitpas de short.

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    Ce qui intressait les Parakan dans limage de lIndien rcemment contact,ctait la possibilit dacqurir les caractristiques distinctives des Blancs,lesquelles manifestent de faon visible les capacits quils leur attribuent. Commele suggre Viveiros de Castro, si le corps est un substrat pragmatique et cognitifdes oprations didentification et de diffrentiation dans les cosmologiesamazoniennes, les processus de la mtamorphose corporelle sont lquivalentindigne de notre conversion spirituelle (1996, p. 132). Et cela sapplique laconversion non seulement des Indiens en non-Indiens, mais aussi dunnon-Awaet en Awaet, conversion pense comme un processus gradueldadoption de nouvelles marques, de nouvelles dispositions corporelles etdapprentissage de la langue. Ce processus, mis en acte par la convivialit et par lacommensalit, a t prouv par les nombreuses femmes trangres captures parles Parakan occidentaux, au XXe sicle. Le verbe -moyng est employ pourdcrire aussi bien le processus d apprivoisement des Indiens par les Blancs,que celui des femmes trangres par le groupe. Dans un cas comme dans lautre, ilimplique du point de vue indigne une mtamorphose corporelle. Danslexprience parakan, cela sest notamment manifest par labandon,immdiatement aprs le Contact, de la perforation labiale, puis par ladoption des

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  • Production et reproduction du mythe

    vtements quils avaient jusqualors mpriss11.Iatora ma racont sa version du mythe du rapt des neveux quand ils taient

    dj pacifis . Son rcit annonce une rconciliation reste inacheve puisqueses aeux, dit-il, ont eu peur des Blancs12.

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    Il sagit maintenant de sinterroger sur le statut de la version dIatora,puisquelle est la seule, parmi celles que jai enregistres et que jai entendues, incorporer ces vnements finaux au rcit. Indique-t-elle une transformation encours du mythe ou sagit-il dune simple invention individuelle ? Afin dclaircir cepoint, je ferai quelques observations sur la personnalit dIatora et surtout sur lecontexte dans lequel les mythes sont raconts chez les Parakan occidentaux.

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    Contrairement ce qui se passe chez les Parakan orientaux, o les mythes sontraconts de prfrence au cours de runions nocturnes masculines, chez lesParakan occidentaux le rcit se fait lintrieur des maisons, en prsence de lafamille du narrateur et sadresse aux gnrations plus jeunes. Chaque foisquIatora me racontait une histoire, lauditoire, form de garons et de fillesprpubres, tait captiv. Ce jeune public, avec ses questions et ses interruptionsplaisantes, stimulait Iatora continuer. Pioma, son pouse, participait de manireactive, en anticipant les dialogues, en entremlant les faits quelle avait entendusde son pre ou en sinformant sur des points obscurs. Dans chacune des situationsdnonciation, le mythe sactualisait sans grandes contraintes sociales sur saprsentation verbale. Cette situation ouvre un espace aux interprtationspersonnelles, en particulier chez des individus pousss par leur talent de conteuret par leur imagination fertile, comme cest le cas dIatora, le plus g desParakan et mon plus cher informateur. Ds quil perut mon intrt pour seshistoires (et mesure que je progressais dans la comprhension de la langue), illes rendit chaque fois plus longues et plus dtailles, prenant plaisir raconter,plaisir qui ntait pas uniquement li la perspective de recevoir des cadeaux13.

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    Dailleurs, les Parakan occidentaux ne reconnaissent que faiblement dessources socialement lgitimes dnonciation, cest--dire, des personnes censespossder une relation privilgie avec la tradition . Bien sr, lge, le sexe et lapersonnalit sont des lments importants pour dfinir qui sont les bons conteurs,mais cela nimplique pas quils soient les interprtes par excellence dune traditionancestrale. La culture parakan, en particulier sa variante occidentale, met pluslaccent sur la production continuelle du nouveau que sur la transmission dumme. Les chants, par exemple, une fois excuts dans le rituel, ne peuvent pastre rutiliss des fins crmonielles ou thrapeutiques ; il faut toujoursproduire des chants nouveaux. Dans un tel contexte, ce qui est transmis cest unematrice inconsciente partir de laquelle on produit des variantes plutt que descontenus stables. De plus, ces chants sont censs tre le rsultat dinteractionsoniriques avec des ennemis (Fausto 2001a) et certains rves donnent lieu devritables rcits mythiques individuels qui peuvent incorporer des mythmes trsconnus. Iatora est un matre de cet art onirique-narratif qui se situe mi-cheminentre la fabulation individuelle et le mythe collectif.

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  • Mythographie

    On raconte quune femme a entendu le cri dune sarigue [pra] pendant quelle sebaignait dans le fleuve. Arrive la maison elle saperut quelle tait enceinte car lenfant-sarigue lui a parl de lintrieur de son ventre, lui annonant le moment de sa futurenaissance. La mre la alors averti : Si tu es un garon je vais te tuer, mais si tu es une filleje vais tlever. Auk tait un garon et, sa naissance, sa mre la enterr. La grand-mre,cependant, la retir de la tombe et la allait. Auk a grandi rapidement et tout de suitesest montr capable de se transformer en diffrents animaux. cause de cestransformations, son oncle maternel a essay plusieurs reprises de le tuer, mais ilressuscitait toujours. la fin, loncle a assomm lenfant et la incinr. Ensuite tout lemonde est parti. Pass un certain temps, la mre a demand quon lui apporte les cendresdAuk et deux hommes sont retourns sur le lieu de lassassinat. Ils dcouvrirent alorsquAuk tait devenu un Blanc et quil avait cr les Noirs, les chevaux et le btail avec dubois. Auk les reut gentiment et invita sa mre venir habiter chez lui.

    On voit ainsi quil y a non seulement un faible contrle social sur la variation,mais aussi une valorisation de la capacit innovatrice. Chez les Parakanorientaux, la situation est diffrente : ils reconnaissent, en effet, un espace publicdnonciation, la place o la parole des hommes gs, et surtout celle des chefs, estsoumise lcoute critique de la collectivit masculine. Mais, dans le mme temps,cette parole gagne en lgitimit du seul fait dtre profre dans cet espace. Chezles Parakan occidentaux, la diffusion des rcits et des nouvelles se fait plutt travers un systme capillaire, domestique et difficilement reprable parlethnologue.

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    De quelle faon, alors, les innovations sont-elles collectivement acceptes etreproduites ? Comment, au fil du temps, de nouvelles versions du mytheacquirent-elles une forme plus ou moins stable ? Voil des questions pourlesquelles je nai pas de rponse empirique, du moins pour linstant. Il seraitintressant de recueillir aujourdhui dautres versions de lhistoire du rapt desneveux, pour savoir si linterprtation inventive dIatora sest dj cristallise dansune variante en circulation. Quand bien mme serait-elle reste sans lendemainque jaimerais nanmoins suggrer, au moyen dune comparaison, quelle dcritbien les mcanismes dlargissement du mythe, tout comme elle nous permetdentrevoir les processus de condensation par lesquels la forme mythique intgrelexprience historique.

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    des fins de comparaison, je vais prendre lun des plus clbres mythessud-amricains sur la gense du Blanc dans la littrature ethnologique. Je merfre lensemble des histoires connues sous le nom timbira de son protagoniste,Auk, lequel apparat sous dautres dsignations chez les Apinaj (Nimuendaj1956) et chez certains groupes kayap (Vidal 1977 ; Turner 1988a). Voici unrsum de la version canela recueillie par Nimuendaj (1946, pp. 245-246) :

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    Jaimerais suggrer que les versions dAuk et celle dIatora contiennentplusieurs strates qui reprsentent diffrents moments de rflexion et decondensation mythiques. Lorsque jemploie le mot condensation, je me rfre unprocessus de rduction (au sens photographique) du rcit, qui tend accentuer les

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  • Tous croyaient que Vanmegaprna [Auk] tait mort. Nanmoins il avait ressuscit de sescendres en tant que Blanc. Il tait all au bord de la rivire et avait lanc de la farine demanioc aux poissons : immdiatement les poissons blancs staient transforms en gensblancs et les poissons noirs en Noirs. Puis il a fait une grande maison et toutes les chosesque les chrtiens possdent aujourdhui. laube, les Indiens du village ont entendu lechant du coq trs loin de l ; puis ils ont entendu les voix des chevaux et des vaches. Aprs,ils ont vu la fume au loin et ils ont constat quils avaient des voisins. Lun deux dcidadaller jusque l-bas et Vanmegaprna lui a montr les animaux domestiques et lui a ditleur nom. Aprs, il a appel les gens de sa famille ; il leur a donn du riz et de la viande debuf manger et leur a enseign comment devaient tre prpars ces aliments. son oncleil a dit : si tu ne mavais pas poursuivi, tu serais maintenant un homme riche. Aprs il ademand Nyimgo [sa mre] si elle le reconnaissait. Elle lui a rpondu que non, alors il

    discontinuits synchroniques au dtriment des continuits diachroniques, permettre de nouveaux arrangements des units travers llision ou linclusionde motifs, enfin utiliser des mcanismes formels (potiques, au sens deJakobson) tels que le paralllisme.

    La premire strate ne dpend pas de la prsence du Blanc. Dans les deux cas, ilest possible de raconter la mme histoire sans inclure cette mtamorphose. Lemythe parakan pourrait sarrter avec le dpart des neveux emmens par la tantepaternelle14. Il pourrait tre compris alors comme une inversion de lchangematrimonial parakan, dans lequel ce sont les frres qui prennent les filles deleurs surs pour eux (mariage avunculaire) ou pour leur fils (mariage entrecousins croiss). Dans le mythe, au contraire, les hommes tuent leurs beaux-frres , contraignant leur sur au clibat. Celle-ci, au lieu de leur donner despouses, leur vole leurs fils. Le message est clair : il vaut mieux incorporer desbeaux-frres (aussi trangers quils puissent tre) que maintenir des surs dans leclibat. Comme nous lavons vu, la version que jai recueillie chez les Parakanorientaux sinterrompt ce moment prcis de lhistoire. Je suggre quil doit tregalement possible dinterprter le mythe dAuk sans faire rfrence lirruptiondes Blancs.

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    Le deuxime moment de condensation est lincorporation des Blancs au rcit,lorsque lon constate la mtamorphose de ceux qui se sont spars ou qui ont tabandonns. Le mythe explique lapparition du Blanc, lui donne une place dans lesystme de classification indigne, sans rien dire sur le contenu des relations entreles Indiens et les non-Indiens ; il linsinue, toutefois, lorsquil associe les Blancsaux capacits chamaniques15. La version raconte par Piawa correspond ceniveau de condensation : avant la fin de lhistoire, on sait dj que les garons setransformeront en Blancs (les pouses disent leurs maris : Notre belle-sur aemmen nos fils en les transformant en Blancs ). La gense du Blanc est unrsultat anticip dj contenu dans la structure du mythe. Cest l le niveau decondensation atteint par les Parakan occidentaux, chez qui lhistoire peut aussitre rfre comme Toriroma ( les Futurs Blancs ).

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    La troisime strate des rcits concerne une rflexion sur le mode dinteractionentre Indiens et non-Indiens, conservant une srie de rfrences qui, de notrepoint de vue, peuvent tre reconnues comme historiques . Dans les mythes j,cette strate correspond la description finale de la rencontre avec le protagonistequi porte dj sa nouvelle identit. Je rsume maintenant la version apinaj,recueillie galement par Nimuendaj (1956, p. 127) :

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  • lui a dit quil tait son fils. Nyimgo a beaucoup pleur. Vanmegaprna a donn plein decadeaux sa famille et la renvoye en paix. Vanmegaprna tait le vieil empereur DonPedro II .

    Laction mythique

    Le rcit explique en clef chamanique comment Auk sest multipli (entransformant les poissons), mais, partir de l, il prend un ton historique quioffre des similitudes avec les pisodes finaux du mythe parakan cont par Iatora.Comme le fait remarquer DaMatta (1970, p. 99), le mythe dAuk ne se droulepas dans un temps proprement mythique, mais met en relation des priodes detemps discontinues. Selon cet auteur, la dernire partie est justement celle quipermet une plus grande libert narrative et qui prsente une plus grandedivergence entre les diverses variantes, indiquant par l un niveau decondensation du rcit, disons, moins profond. Contrairement linnovationdIatora, lhistoire sest, de toute faon, tablie et gnralise parmi les groupestimbira et kayap. La rfrence Don Pedro II fait, en outre, supposer que le rcita pris cette forme stable pendant la seconde moiti du XIXe sicle, lorsquelexpansion de la frontire conomique sur les territoires timbira du Maranho etde Gois tait dj devenue irrversible16.

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    En comparant le mythe dAuk avec la cosmogonie tupinamb recueillie parThevet au XVIe sicle, Lvi-Strauss (1991, p. 82) remarque que le mythe j adopteune solution moins radicale que le second (dans lequel la disjonction Indiens/non-Indiens est irrversible), car elle suggre la possibilit dune conversiontardive des Indiens en Blancs, pour quils puissent profiter de leurs trsors .Selon lauteur, la raison de cette diffrence se trouve dans la diversit desexpriences de contact : les Timbira sinterrogeaient sur notre socit dans unesituation bien plus dfavorable que celle des Tupis du XVIe sicle, poque o lesenvahisseurs taient une faible minorit. En revanche, les Timbira taient obligsdaccepter les Blancs, si bien que le mythe suggre une rconciliation : Auk offredes cadeaux aux Indiens.

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    On retrouve cette distinction entre le mythe j du XIXe sicle et le mythe tupi duXVIe sicle en comparant les diffrentes versions du mythe parakan du Rapt desneveux . Alors que la plupart des versions finissent sur un simple constat desparation, celle dIatora va plus loin : tout dabord, elle donne un contenu ladisjonction (les Blancs possdent des fusils, les Indiens nen possdent pas) ;ensuite, elle propose une possibilit de rsorber cette disjonction (les Blancslaissent des cadeaux pour les Indiens). La version dIatora apparat comme unepossibilit dinterprtation, partir du mythe, de lexprience du Contact et, enmme temps, comme une possibilit de rinterprtation du mythe partir de cetteexprience. Iatora cherche non seulement donner du sens lhistoire au moyendu rcit, mais aussi actualiser la signification du rcit au moyen de lhistoire. Lefait que ce mouvement de double sens se cristallise en une forme plus ou moinsstable reste nanmoins une question ouverte.

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    Jai montr que les cicatrices des expriences les plus recules du Contact se51

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  • manifestent par la multiplication des mythmes sur lorigine des Blancs et quelinnovation dIatora exprime une rflexion autochtone sur une expriencehistorique plus rcente. Le narrateur accueille les nouveaux faits et articule letemps du mythe sur celui de lhistoire, respectant nanmoins lcart ncessaireentre le temps du rcit et le temps de son actualisation verbale. Cet actedlargissement du mythe produit son tour le mouvement que jai appelcondensation mythique, procd par lequel lexprience historique devientmythologie, sloignant non seulement de la matrialit de laction (ce qui seraitpropre tout rcit), mais aussi des autres genres narratifs que lon aurait tendance identifier comme historiques (et utiliser comme histoire orale ).Frquemment, outre les aspects formels dj cits, la condensation mythiquesemble impliquer une chamanisation croissante du rcit, faisant intervenir descapacits extraordinaires pour expliquer les vnements, en particulier ceux quicontiennent des processus de transformation.

    Il est nanmoins important de remarquer que les Parakan ne font pas ladistinction entre deux genres de rcits, lun qui correspondrait au mythe ,lautre lhistoire . Bien quil y ait une catgorie qui sapplique mieux aupremier morongeta-imyna, conversation ancienne , la distinction ne se faitpas sur le plan dune classification extrieure, mais plutt sur les indices intrieursau rcit. Le mythe est une histoire vritable dont lorigine de lnonciation estmconnue. Comme la remarqu Ireland (1988, p. 163) pour les Waur, ladistinction entre rcits mythiques et rcits historiques correspond ladistinction qui peut se faire entre des faits si anciens quil est impossibledidentifier ceux qui en ont t tmoins et des faits dont on peut prciser la chanedes tmoins (voir galement Gallois 1994, pp. 21-26). Dans ces cosmologies o lestatut des rcits et de toute information dpend du crdit port au tmoignage decelui qui les a vcus et de celui qui les a raconts, les mythes apparaissent commelunique histoire vritable puisquelle ne dpend pas de la source dnonciation17.Les mythes nexpriment pas une perspective particulire, car ils sappliquent lacomprhension elle-mme des diverses perspectives contenues aujourdhui dansle monde.

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    En revanche, le critre que nous utilisons afin de distinguer entre le mythe etlhistoire serait plutt la capacit dagir sur le monde attribue ou non auxprotagonistes du rcit. L o on reconnat la capacit daction des humains dansleurs attributs ordinaires, on identifie un rcit historique. Hrodote (1952) dbutelHistoire en affirmant que son objectif est de prserver, au moyen de la parolecrite, ce qui doit son existence aux hommes, de donner de la prennit auxchoses humaines, autrement voues la mort et loubli. Cest ce lien entrelaction humaine et la mise en rcit que nous cherchons identifier dans ce quenous appelons lhistoire orale. Elle donne au rcit un statut spcial et nous permetde construire, ensuite, notre rcit sur lhistoire dun peuple sans criture. Le faitque le narrateur ait t le tmoin direct de lvnement racont fonctionne commeune preuve supplmentaire, car nous reconnaissons comme historique tout rcitse rapportant des actions humaines (et nous pouvons lpurer, par exemple, deses affabulations, comme nous le faisons frquemment avec les textes deschroniqueurs).

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    Ce procd a son utilit, et je lai moi-mme utilis pour reconstruire un sicle54

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  • dhistoire parakan (Fausto 2001a). Il comporte, cependant, des risques, non dansses mthodes, mais dans les implications que lon a coutume den tirer. Lexistencede rcits que nous qualifions dhistoriques devient argument et preuve dunon-emprisonnement de la conscience autochtone par la machine du mythe .Lanalyse de tels rcits apparat ds lors comme le moyen de dnoncer loprationoccidentale de primitivisation de lAutre et de confrer cet autre uneconscience historique, instaurant capacit daction (agency) l o il ny avait questructure. La difficult que je perois ici concerne la thorie de laction. Tout sepasse comme sil ny avait pas de capacit daction tant que la praxis humaine nestpas reconnue comme condition, en soi et pour soi, de la transformation sociale. Jepense au contraire que cest nous quil revient de se poser justement la questionsur la signification de l agir et du faire dans des configurations socio-culturelles o laction transformatrice ne se rduit pas la praxis humaine.

    Sil nous semble exister une continuit entre le concept moderne de lhistoire etlancien (hellnique classique), en dpit de la diffrence entre la notion deprocessus gnral et celle de fait et de grandeur singuliers, cest parce quaux yeuxde la modernit, tous deux senracinent dans la pratique humaine ou bien, commele disait Chtelet, dans la reconnaissance de la nature sensible-profane delexistence humaine (1962, p. 40). La capacit humaine daction dfinit la sphrepropre lhistoire. Ce faire , qui sapplique aussi bien la socit qu la natureet qui peut tre racont a posteriori, est une puissance qui ne se ralise commeconscience historique que lorsquelle se sait action humaine ; cest--dire quelorsquelle se reconnat comme action cratrice capable de produire destransformations dans le monde social. Cette conscience la fois historique etpolitique suppose en outre lhomognit de lavant, du maintenant, de laprs.Cest luniformitarisme de Lyell appliqu aux choses humaines18.

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    Certains ethnologues amricanistes partagent cette notion de capacit daction(agency), lenracinant dans un monde historique pour la rendre incompatibleavec lunivers du mythe. Terence Turner, dans les conclusions du livre RethinkingHistory and Myth, dfinit la conscience historique comme la perception que lemonde social est le produit de laction cratrice humaine. Dans le modemythique de la conscience , au contraire, le pouvoir de crer ou de changer lesformes et les contenus de lexistence sociale laction sociale dans son sens plein nest pas vu comme tant disponible pour les gens du monde socialcontemporain (Turner 1988b, p. 244). Pour sa part, Jonathan Hill suggre, danslintroduction ce mme ouvrage, que la conscience historique implique unereconnaissance rflexive des acteurs en leur habilet produire des ajustementssituationnels plus durables dans les ordonnances sociales [...] , reconnaissancequi serait fonde sur le fait que le pass historique est vu comme habit par destres compltement humains et culturels, qui [...] possdaient les mmes pouvoirspour produire des transformations que les gens daujourdhui (Hill 1988, p. 7).

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    Je nai pas lintention de maventurer ici sur le terrain mouvant des notions deconscience historique ou mythique. Ce qui mintresse, cest de remettre enquestion lassimilation de la notion de capacit daction (agency) un faire transformateur qui est vu comme la capacit des tres humains (en tantquhumains) produire des changements dans le monde conventionnel des ordonnances sociales . Jaimerais proposer linverse : savoir que les notions

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  • de fabrication et de transformation dans les pratiques de connaissance indignesimpliquent le caractre non arbitraire de lordre du monde et supposent desrelations avec des tres qui ne sont pas compltement humains. Autrement dit, jesuggre, dans ce contexte, que, dune part, les concepts daction et de capacitdaction soient lis au problme de la production de transformations dans unmonde social qui nest pas vu comme tant conventionnel et arbitraire et que,dautre part, laction transformatrice dpende de linteraction avec des trespouvant tre sujets sans tre proprement humains.

    Lquivalent indigne de ce que nous appelons capacit daction historique (historical agency) serait ainsi laction chamanique sur le monde. Les diversmouvements de rsistance indigne post-Conqute, connus dans la littraturecomme millnaristes ou messianiques, en sont un bon exemple19. De notre pointde vue, ils apparaissent comme des mouvements religieux syncrtiques,irrationnels et ractifs, fruit de labsence dune vritable conscience historiquecapable dengendrer une action transformatrice sur le monde social. Du point devue indigne, au contraire, ils apparaissent comme une chamanisation de lapratique, comme une mobilisation de capacits cratrices qui ne sont pasexclusivement sociales et qui ne sont pas disponibles de faon naturelle aux humains. Cest parce que les humains ne sont pas uniquement humains et quedes non-humains partagent des qualits humaines quil est possible davoir uneaction cratrice.

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    La capacit daction indigne suppose donc la possibilit de produire destransformations dans lordre donn par le mythe, et non pas de substituer uneconvention par une autre convention, un contrat par un autre contrat. Lactiontransformatrice sur le monde est un acte diffrenciateur (Wagner 1981) enrelation avec lordre post-mythique ; elle requiert donc lactualisation du tempsmythique pour effectuer des transformations effectives. Et si le mythe est, commele veut Turner, la ftichisation du processus de production de la socit (1998b, p. 243), la forme du faire mythique nest pas celle de laction sociale qui sesait exclusivement humaine. Laction cratrice dpend de la mobilisation decapacits qui ne sont pas exclusivement humaines, capacits dont les humains ontt (partiellement) privs dans lordre post-mythique. Faire lhistoire est donc unemytho-praxis mise en rcit comme pass et comme futur en clef chamanique.Ainsi, si lincorporation des vnements historiques aux mythes peut se faire enclef socio-historique, comme cela se passe dans la version dIatora, le mythe entant que discours de transformation cest--dire comme histoire du futur etsource daction doit cependant avoir dabord recours au chamanisme commecondition de possibilit pour produire des changements.

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    Un mythe des Arapao du bassin du Uaups, dans la version recueillie par JanetChernela, peut nous aider comprendre ce point en particulier. LIndienCrispiano Carvalho lui a fait le rcit suivant, quelle divise en trois parties. Dans lapremire, connue par tous les autres peuples de la rgion, les Blancs ne sont pascits. Dans la deuxime partie, on raconte que lanctre Unurato, mi-serpent,mi-homme, a descendu le Rio Negro et est entr dans lAmazone. Une nuit, arriv Manaus, il a commenc frquenter les bars en tant quhomme. Il dansait,buvait, mais retournait toujours simmerger dans le fleuve sous sa forme deserpent. Un jour, il demanda un Blanc de venir le rencontrer minuit sur la

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  • Unurato est all Braslia et l-bas il a travaill la construction de grands difices. Il aconnu toutes sortes de choses maisons, meubles, taxis des choses que nous navons pasici [...]. Lanne dernire, les eaux ont beaucoup mont. Ctait Unurato qui revenait. Il anag vers lamont. Il tait un sous-marin gant, mais comme cest un serpent surnaturel, ila remont les chutes deau. Le sous-marin est ici [...], il apparat minuit. Il y a tellementde choses dedans quil est impossible de compter le nombre de botes dans ce bateau. Il aun clairage lectrique. Avec les machines, les tres-serpents [wai masa] sont en train deconstruire une norme ville sur le fleuve. On peut entendre le bruit de ces machines dansleau quand on sapproche de l-bas. Toutes sortes de wai masa travaillent dans ce bateau.Maintenant nous sommes peu nombreux, mais il va nous rapporter la prosprit et lamultitude (Chernela 1988, p. 43).

    Bibliographie

    plage. Le Blanc portait de leau de vie, un fusil et un uf de poule ; il devait lancerluf sur Unurato, mais lorsquil le vit surgir de leau sous forme de serpent, il luitira dessus avec son fusil. Sous la dcharge des plombs, sa peau de serpent tombadans leau tandis que son corps humain resta sur la plage. Le tir ayant dtruit sescapacits surnaturelles, il devint alors un homme commun, aveugle dun il et ilcommena vivre comme nimporte quel autre homme. Crispiano conclut noussommes ses descendants. Cest la raison pour laquelle nous sommes appels PinoMasa, Peuple du Serpent (Chernela 1988, p. 43).

    Le rcit ne se termine toutefois pas l. Dans la troisime et dernire partie,Unurato nest plus un homme commun, il redevient serpent et protagoniste dunenouvelle histoire :

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  • Notes

    1 Une premire version de ce texte fut prsente lors du colloque Tempos ndios: histriase narrativas do Novo Mundo , organis par John Manuel Monteiro et moi-mme auMuseu Nacional de Etnologia (Lisboa). Elle sera publie en portugais dans les annales ducolloque. Dautres versions furent prsentes lUniversidade de So Paulo et lcolepratique des hautes tudes (Paris), pendant un sjour en France financ par une bourse dela Coordenao de Aperfeioamento de Pessoal de Ensino Superior (CAPES). Pour leursinvitations et commentaires, je voudrais remercier Joaquim Pais de Brito, DominiqueGallois, Denise Fajardo et Patrick Menget. Je suis particulirement reconnaissant France-Marie Renard-Casevitz et Philippe Erikson pour leurs observations et correctionsdtailles. Je reste toutefois le seul responsable de mes prises de position. La recherchechez les Parakan a t finance par la Financiadora de Estudos e Projetos (FINEP),lAssociao Nacional de Ps-Graduao em Cincias Sociais (ANPOCS), The FordFoundation, lUniversidade Federal do Rio de Janeiro (UFRJ) et The Wenner-GrenFoundation for Anthropological Research. La premire version de ce texte a t traduite parChristine Guimares.2 Au XVIesicle, il y avait des distinctions par nationalit : les Franais taient appels Mair(comme le dmiurge) et les Portugais Per. Encore aujourdhui, divers groupes indignesappellent les Blancs caraba ou cara. Quant aux Parakan, ils utilisent un terme restreintaux peuples du systme Tocantins-Araguaia, toria, et rservent le mot karahiwa pourdsigner les chants thrapeutiques.3 Il y a une remarquable rcurrence des quelques thmes mythiques qui se sont annex leBlanc ; on les trouve aujourdhui dissmins chez des peuples de rgions distantes et defamilles linguistiques diffrentes. Ces thmes parlent de la sparation entre les hommes etles dmiurges, de linstauration du rgime de lexistence humaine, de la mort et du travail.Les Blancs y apparaissent comme sujets une existence de moindre privation : moins detravail (parce que, lorsque le dmiurge a prsent les objets culturels indignes et les armeset les outils de mtal, lanctre des Indiens a choisi les premiers alors que le futur Blanc aprfr les autres), et une vie plus longue (parce que les Blancs connatraient les secretschamaniques de la revivification, en particulier le changement de peau, frquemmentassoci au changement vestimentaire). Voir Fausto 2002.4 Les Blancs eux aussi dcouvrent les Indiens durant cette mme priode. Le manquede continuit de la conqute de lAmazonie a permis une srie de re-dcouvertes :quelques-uns des peuples considrs comme non contacts par des anthropologues, desmissionnaires et des agents de ltat au XXe sicle avaient t sous linfluence directe dusystme colonial plusieurs sicles auparavant. Voir Fausto 2001b.5 Dans cette analyse, je cherche indiquer comment le Blanc apparat associ la

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  • puissance rnovatrice du chamanisme et, en particulier, la capacit de franchir les limitesentre la vie et la mort associations qui, comme nous lavons vu, surgissent ds le premiersicle de la conqute en Amrique du Sud. Voir Fausto 2001a, pp. 470-482.6 Awaet peut tre traduit par vrais humains ou humains par excellence . Il ne sagitpas dune auto-dsignation, mais dune catgorie extension variable qui sapplique aminima ceux qui partagent la mme langue, les mmes coutumes et les mmes marquescorporelles.7 propos du rle de semi-conducteur des rochers dans leau, voir Lvi-Strauss (1991p. 69 ; 1971, pp. 388 et 398-400).8 La version enregistre chez les Parakan orientaux a t raconte par Pykawa,aujourdhui chef du village de Paranowaona. La troisime version provient de Piawa, unParakan occidental comme Iatora ; il habite le village de Maroxewara o on le considrecomme un excellent narrateur.9 Dans les mythes dautres peuples dAmazonie, ce dplacement en aval expliquegalement la sparation-origine des Blancs. Le mouvement dans le sens inverse (en amont)peut aussi servir expliquer le retour des Blancs (ou de leurs marchandises) : par exemple,dans le mythe waypi dUlukauli rapport par F. Grenand (1982, pp. 241-285) et dans ceuxde peuples du haut Rio Negro.10 La fin des rserves de farine de manioc sert dindice pour valuer la distance parcourirpour rejoindre leurs enfants-devenus-Blancs.11 Pendant leurs visites au Posto de Pacificao do Tocantins dans les annes trente, lesParakan recevaient des vtements des fonctionnaires du SPI, mais, en partant, ils lesabandonnaient aux alentours du Posto.12 Contrairement ce que lui raconta Jeeyngoa, pour qui les Blancs avaient pacifi lesIndiens parce que, eux, en avaient eu peur.13 Je distribuais de manire quitable ces objets quand jarrivais. Toutefois, lors de mondpart, je laissais toujours un certain nombre dobjets mappartenant, en particulier pourIatora. Jamais, nanmoins, il ny eut un change direct entre parole et cadeaux. Jaitoujours gard lillusion (confortable pour lethnographe solitaire) quil y avait un lienaffectif spcial qui nous liait, illusion manipule par de jeunes Parakan, qui metlphonaient dAltamira en me disant que je devais leur rendre visite, car mon onclepaternel se languissait beaucoup de moi.14 Il pourrait aussi finir, comme me la suggr F.-M. Renard-Casevitz, par latransformation des neveux en poissons ou en une entit surnaturelle. En fait, il existe unmythe trs semblable celui-ci racont par les Asurini du Xingu, dans lequel la sur, aprsavoir vu ses maris (le cerf et le tapir) tus par ses frres, remonte le fleuve et parthabiter l o leau rencontre le ciel , se transformant en un tre surnaturel (Mller 1990,pp. 336-337).15 Il y a des mythes qui dterminent clairement le mode dinteraction entre les Indiens etles non-Indiens. Tous ceux qui font usage du fameux motif du mauvais choix (voir note3) ont cette caractristique.16 Llevage sest diffus partir de la moiti du XVIIIe sicle grce la dcouverte deprairies naturelles dans le Maranho. De l, il sest rpandu en direction du Tocantins et deGois, donnant naissance de nouvelles bourgades et de nouveaux villages. Cest unmoment de pression sur les territoires des Timbira, qui furent progressivement encerclspar le front pionnier, jouant, par moments, le rle dallis ventuels pour les guerres deconqute, dautres, celui de victimes de ces mmes mouvements (Hemming 1987,pp. 181-199 ; Melatti 1967, pp. 32-43). Les actions guerrires, tout comme les trves,saccompagnaient dpidmies provoquant un fort dpeuplement tout au long du sicle. LesApinaj, par exemple, en contact permanent avec la socit nationale depuis 1797, ont travags par la variole en 1817 et sont entrs en conflit avec dautres Indiens et desnon-Indiens ds les premires annes du XIXe sicle. Malgr tout, il en restait plus dequatre mille dans les annes 1820. En 1859, ils ntaient plus que deux mille et, en 1926, ilstaient peine cent cinquante (Nimuendaj 1956, pp. 4-6).17 Dans maintes langues indignes dAmazonie on trouve des marques, des termes et desformules citatoires , quelque fois dusage obligatoire, qui servent caractriser lerapport entre lnonciateur et le contenu de lnonciation, distinguant par exemple uneinformation qui porte sur un fait dont lnonciateur fut tmoin, dun autre fait dont il ne lefut point. Ce mme rapport aurait t, lorigine, exprim par le vocable grec istorein,utilis par Hrodote au sens de tmoin et denqute : le mot istoria [...] signifiant alorstmoin oculaire et, postrieurement, celui qui examine des tmoins et obtient la vrit

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  • travers lenqute (Arendt 1972, p. 69). Thucydide introduit LHistoire de la Guerre duPloponnse en affirmant, la troisime personne, sa relation avec les faits : ThucydidedAthnes a crit la guerre des Ploponnsiens et des Athniens, comment ils lont faite lesuns contre les autres. Il commence le rcit de la guerre ds quelle clate, ayant pronostiququelle allait prendre de grandes proportions et quelle serait plus digne de mention quecelles qui avaient dj eu lieu [...] (1999, p. 3).18 Ma dfinition sapproche de la thse de F. Chtelet (1962) sur la naissance de lhistoire(et de la conscience historique) en Grce entre les VIe et Ve sicles avant J.-C. Lerapprochement est intentionnel. Ce modle rencontre une rsonance dans lethnologiesud-amricaine, spcialement dans les travaux de Turner sur le surgissement de laconscience historique chez les Kayap (voir 1998a, 1993 ; pour la discussion de Turner surles notions grecques et hbraques de lhistoire, voir 1988b).19 Pensons, entre autres exemples, aux santidades qui ont clos sur la cte brsiliennedurant le XVIe sicle (Vainfas 1995), lexpulsion des Espagnols au XVIIIe sicle par lesArawak sub-andins conduits par Juan Santos Atahualpa (Santos Granero 1993), auxmouvements millnaristes du Haut Rio Negro au XIXe sicle (Hill et Wright 1988) ouencore aux vnements plus rcents, comme ce qui sest pass chez les Canela dans lesannes soixante (Carneiro da Cunha 1986).

    Pour citer cet article

    Rfrence lectroniqueCarlos Fausto , Faire le mythe. Histoire, rcit et transformation en Amazonie , Journalde la socit des amricanistes [En ligne] , 88 | 2002 , mis en ligne le 05 janvier 2007,Consult le 25 avril 2011. URL : http://jsa.revues.org/index2749.html

    Auteur

    Carlos Fausto

    Museu Nacional-PPGAS, Rio de Janeiro, Brasil

    Droits d'auteur

    Socit des Amricanistes

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