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La transposition des directives européennes de 2014 a été l'occasion derefonder l'architecture des textes relatifs aux marchés publics et aux contratsde concessions autour de deux ordonnances. Les objectifs de sécuritéjuridique, de clarté, d'harmonisation et de simplification ont été poursuivis.Ce travail préfigure le futur code de la commande publique.

Fallait-il refonder entièrement le droit de la commande publique

pour transposer les directives de 2014 ?

L a décennie des années 2000 a été marquéepar un nombre considérable de réformesqui sont venues marquer le droit de la

commande publique. Pas moins de trois codesdes marchés publics successifs, trois lois, quatreordonnances et une dizaine de décrets sont inter-venus en dix ans dans tous les domaines de lacommande publique1. Ne pouvait-on espérer unerelative stabilité de la règle de droit ?

Certes, le droit européen avait refondu intégra -lement en 2014 les directives sur les marchés publics et s’était enrichi d’une nouvelle directive

sur un sujet qui n’était encadré, jusqu’à présent,en droit européen que par la jurisprudence de laCour de justice de l’Union européenne (CJUE) :les concessions.

Cependant, n’était-il pas envisageable de procéderpar petites touches ? Après tout, le droit européenn’était pas entièrement bouleversé. Il y avaitcertes des avancées et des innovations impor-tantes dans un certain nombre de domaines. Mais ces innovations venaient compléter le droit existant sans modifier de fond en comble le cadreantérieur.

1 Codes des marchés publics de 2001, 2004 et 2006,ordonnance de 2004 sur lescontrats de partenariat, loi de2008 révisant l’ordonnance de2004, ordonnance de 2009 surles concessions de travaux,ordonnance de 2009 sur lesrecours contre les contrats dela commande publique,décrets d’application des loiset ordonnances précédentes,décret de transposition de ladirective 2009/81 sur lesmarchés de défense et desécurité, volet « marchéspublics » de la loi de relancede l’activité économique en2008…

Économie

Benoît DINGREMONTSous-directeur du droit de la commande publique à la direction des affaires juridiques

Mots-clés : gestion et organisation administrative - commande publique - marchés publics -code des marchés publics - ordonnances de 2015

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Or, le chantier de transposition s’est concrétisépar l’abrogation de la quasi-totalité des textesprécédents et la refondation autour de deux ordonnances (ordonnance n°2015-899 du 23 juillet2015 relative aux marchés publics et ordonnancen°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contratsde concession) et de trois décrets (décretsn°2016-360 et 2016-361 du 25 mars 2016, relatifsrespectivement aux marchés publics et aux marchés de défense et de sécurité, décret 2016-86du 1er février 2016 relatif aux contrats de conces-sion). Qu’est-ce qui a donc poussé à faire table

rase des textes antérieurs pour refonder intégra-lement le droit de la commande publique ?

L’objet n’est pas, dans le cadre de cette présen-tation, de faire un exposé exhaustif des nouveautésdu droit de la commande publique. De nombreuxarticles ont déjà savamment présenté les nou-veaux textes parus en 2015 et 2016. Il s’agit ici demontrer en quoi, à l’occasion de la transpositiondes directives de 2014, il a été nécessaire de repenser complètement l’architecture du droit dela commande publique.

2 CE 9 juillet 2007, EGF-BTP,n°297711, rec.

Économie

A. L’originalité du code des marchéspublics : un décret contenant desdispositions de nature législative

Le code des marchés publics comportait des dispositions qui, eu égard à la hiérarchie denormes et aux domaines respectifs de la loi et durèglement fixés par la Constitution relèvent dudomaine de la loi. C’est le cas notamment desdispositions comportant des obligations à l’égarddes collectivités territoriales et de leurs établis -sements publics.

Or, le code était un texte de niveau purement réglementaire. Le code de 2006 figure en effet enannexe du décret n°2006-975 du 1er août 2006. Il nerésulte d’aucune ordonnance prise en applicationde l’article 38 de la Constitution, qui constitue cependant sous le régime de la Ve République, lacondition pour permettre au pouvoir réglementaired’intervenir dans le domaine de la loi.

Le fondement légal du code devait être recherchédans les dispositions du décret du 12 novembre1938 portant extension de la réglementation envigueur pour les marchés de l'État aux marchésdes collectivités locales et des établissements publics, pris sur le fondement de la loi du 5 octobre1938 tendant à accorder au Gouvernement lespouvoirs pour réaliser le redressement immédiatde la situation économique et financière du pays.

B. L’archaïsme des fondements du codedes marchés publics le rendait fragile

Comment, près de 80 ans plus tard, ces dispo -sitions peuvent-elles encore avoir un effet juridique ? L’habilitation conférée par la loi du

5 octobre 1938 au pouvoir réglementaire a néces-sairement un caractère limité. Le Gouvernementest autorisé, jusqu'au 15 novembre 1938, à prendre, par décrets délibérés et approuvés enconseil des ministres, les mesures destinées à réaliser le redressement du pays. Le décret du12 novembre 1938, qui est un décret-loi (équi -valent des ordonnances sous la Ve République),est bien pris dans la période de l’habilitation. Ilprévoit que les dispositions des textes législatifset réglementaires relatives à la passation et àl'exécution des marchés de l'État peuvent êtreétendues, par règlements d'administration publique, contresignés par les ministres intéresséset le ministre des finances, et sous réserve desajustements nécessaires, aux départements, auxcommunes et aux établissements publics relevantde l'État, des départements et des communes.Ainsi, le Gouvernement qui peut fixer les règlesdes marchés de l’État, pouvait également par décret, étendre et adapter ces règles aux établis-sements publics et aux collectivités territoriales.Ce que faisait le code des marchés publics.

Le plus étonnant est que ce décret-loi puisse encore produire des effets, non seulement en dehors de la période d’habilitation de la loi du5 octobre 1938, et surtout, malgré les change-ments de régime constitutionnel depuis 1938.

C’est pourtant ce que reconnait le Conseil d’État.La question lui avait été expressément posée, lorsdu recours exercé contre le code de 2006. Danssa décision du 9 juillet 20072, le Conseil d’État reproduit ce raisonnement à la fois pour justifierde la compétence du Premier ministre pour édicter des règles applicables aux marchés des

Une nécessité en raison de la faiblesse des fondements du droit des marchés publics

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collectivités locales et justifier du respect du principe de libre administration des collectivitésterritoriales, dès lors que « le décret du 12 novem-bre 1938 n’a pas été abrogé ».

Cependant, ce raisonnement avait ses limites etl’édifice était fragile. Le Conseil d’État engageaitainsi le Gouvernement à entamer le chantier decodification du droit de la commande publiquedès lors « que les risques d’insécurité juridiquepesant sur certaines catégories de contrats admi-

nistratifs sont désormais trop élevés pour secontenter d’une attitude purement passive »3. Ilconvenait, à l’occasion du chantier de transpo -sition de fonder les nouveaux textes sur des basesplus solides et en particulier de consacrer la distinction entre la loi et le règlement, commecela avait d’ailleurs été fait par les marchés despersonnes non soumis au code des marchés publics, avec l’ordonnance n°2005-649 du 6 juin2005 et ses deux décrets d’application.

4 CJCE, 7 décembre 2000, C-324/98 Telaustria etTelefonadress.5 CE, 21 juin 2000 SARL « Chez

Joseph », n°212100 pour uneconcession de plage qualifiéede DSP.

Économie

A. Les textes régissant la commandepublique s’étaient multipliés rendantle tout illisible

Le code des marchés publics n’avait de code quele nom. Constitué en réalité comme une simpleannexe au décret n°2006-975 du 1er août 2006, ilne répondait, ni dans son processus d’adoption,ni dans la forme aux critères juridiques de la codification. Il ne satisfaisait pas non plus aux objectifs d’unité du recueil des règles, puisquedes pans entiers du droit de la commande pu-blique étaient définis en dehors du code. Le codedes marchés publics ne concernait que les achatsde l’État, de ses établissements publics adminis-tratifs, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. Au code des marchés publics, il fallait ajouter de nombreux autres textespour avoir une vision complète du droit des marchés publics. On peut citer en particulier l’or-donnance n°2005-649 du 6 juin 2005 relative auxmarchés passés par les personnes non soumisesau code et ses décrets d’application, l’ordon-nance n°2004-559 du 17 juin 2004 sur les contratsde partenariat et ses décrets d’application, ainsiqu’un certain nombre de textes concernant diffé-rentes formes de partenariat public-privé, commel’illustre le schéma n°1 page suivante.

De même, le droit des concessions se trouvaitavant la réforme disséminé en plusieurs textes,comme l’illustre le schéma n° 2. Le régime des Délégations de service public (DSP) était régi à la fois par la loi n° 91-122 du 29 janvier 1993 (dite loi Sapin) et par le Code général des collec-tivités locales (CGCT) pour les DSP des collecti -vités territoriales. Les concessions de travauxétaient régies par l’ordonnance n° 2009-864 du

15 juillet 2009 relative aux contrats de concessionde travaux et son décret d’application (n°2010-406du 26 avril 2010). Ces deux textes avaient introduitdes dispositions « miroir » dans le CGCT pour lesconcessions de travaux passés par les collectivitésterritoriales. Enfin, il existait un certain nombre de textes relatifs aux concessions sectorielles(aménagement, portuaires, aéroportuaires, hydrauliques…).

Surtout, notre droit ne nommait pas les contratsde concession portant sur un service qui n’étaitpas qualifié de service public. Ce vide était parti-culièrement gênant car le juge administratif nevoulait pas les laisser échapper aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Le jugecommunautaire lui, soumettait, dès l’origine etsans difficulté, l’ensemble des concessions,qu’elles portent sur un service public ou un surservice simple, aux obligations dégagées par sajurisprudence Teleaustria4. Dès lors, confronté àun contrat de concession de service, ne portantpas sur un service public, le juge administratif étaitcontraint de le qualifier de DSP (malgré l’absencede service public) ou de marché public afin de lesoumettre à de telles obligations5, faute de luitrouver la catégorie adéquate. L’exigence de respect des obligations de publicité et de mise en concurrence l’emportait sur les critères de qualification du contrat. Mais la situation n’étaitpas satisfaisante.

B. Une nouvelle architecture fondéesur la distinction entre la loi et lerèglement et sur la distinction entremarchés et concessions

Le chantier de transposition conduit donc à la révision de l’architecture des textes et un important

Une nécessité pour la lisibilité des textes2

3 Rapport public du Conseild’État 2008 « Le contrat, moded’action publique et deproduction de normes »,p.256.

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travail de simplification. Cela se traduit notam-ment par la réduction importante du nombre detextes.

Désormais, les règles de niveau législatif, concernantles marchés publics sont régies par l’ordonnancen° 2015-899 du 23 juillet 2015 et les règles de niveau réglementaire se trouvent dans les deuxdécrets relatifs aux marchés publics et aux

marchés de défense et de sécurité du 25 mars2016. Sur le même modèle, les règles de niveaulégislatif de passation des contrats de concessionsont fixées par l’ordonnance 2016-65 du 29 janvier 2016 et celles de niveau réglementairepar le décret n°2016-86 du 1er février 2016.

La simplification qui en résulte est illustrée par lesdeux schémas ci-après.

Économie

Schéma n°2 : La nouvelle architecture du droit des concessions

Schéma n°1 : La nouvelle architecture du droit des marchés publics

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Le droit de la commande publique se trouve désor-mais dominé par une division principale entre lesmarchés publics et les concessions. Les marchéssont définis par la réalisation à titre onéreux deprestations répondant aux besoins de l’acheteuren matière de travaux, de fournitures ou de services6. Les concessions sont définies commedes contrats par lesquels une autorité confie

l’exécution de travaux ou la gestion d’un serviceà un tiers à qui est transféré un risque lié à l’exploi-tation de l’ouvrage ou du service en contrepartied’un droit d’exploitation assorti ou non d’un prix.Le critère de distinction entre les deux principauxtypes de contrat réside dans le fait que le contrat deconcession comporte nécessairement le transfertd’un risque d’exploitation au cocontractant.

Économie

6 Article 4 de l’ordonnance2015-899 du 23 juillet 2015.

A. Les outils domaniaux indûmentutilisés à des fins de commandepublique étaient juridiquement fragiles

La réforme porte une simplification radicale destextes relatifs aux contrats globaux. Depuis les années 1990, les personnes publiques qui sou -haitaient confier à un tiers, sur leur domaine, sansen exercer la maîtrise d’ouvrage, l’édification d’ouvrages destinés à satisfaire leurs propres besoins et destinés à devenir leur propriété àterme à l’issue du contrat, recherchaient la possi-bilité de conférer à ce tiers des droits réels sur ledomaine occupé. Cela permettait de simplifier lesconditions d’intervention de la personne privéesur le domaine, d’alléger les coûts d’emprunt decette dernière et de lui permettre de générer desrecettes annexes venant diminuer le prix finale-ment acquitté par la personne publique. C’est ceque l’on appelle couramment le « partenariat public-privé ». Dès lors que l’ouvrage avait étéconçu selon les besoins propres de la personnepublique, exprimés par elle, qu’il était destiné àservir aux missions de cette personne publique etde devenir sa propriété et que la personne publique acquittait un prix pour l’opération, cettedernière était, aux yeux du droit européen, qua -lifiée de « marché public ». Or, avant l’interventiondes premiers textes sur les partenariats public-privé, il n’existait aucun instrument juridique endroit des marchés publics permettant d’encadreret de prendre en compte, en un instrumentunique, l’ensemble de ces besoins. Faute de trouver un outil juridique adapté, les personnespubliques ont pris l’habitude d’utiliser les outilsdomaniaux. C’est ainsi qu’ont été utilisés les bauxemphytéotiques administratifs (BEA) du CGCT, les BEA « logements sociaux », les baux hospi -taliers, les autorisations d’occupation temporaires

avec convention de mise à disposition, les BEA « valorisation », pour, en réalité, passer des marchéspublics.

De fait, ces montages comportaient incontesta-blement une occupation domaniale. Cependant,les outils domaniaux étaient détournés de leur vocation. En outre, l’aspect « commande pu-blique » n’était pas pris en compte. Les textes domaniaux ne comportaient pas d’obligation depublicité ni de mise en concurrence. Les opé -rations pouvaient être facilement contestées et requalifiées en « marché public ». Elles étaientjuridiquement fragiles en raison de la non-application des règles de la commande publiqueet du détournement des outils domaniaux.

B. La sécurisation des contrats globauxpar la séparation des outils domaniauxet des contrats de la commandepublique et par l’unification des« marchés de partenariat »

La réforme de 2016 opère en deux temps. En premier lieu, elle distingue les outils domaniauxet les contrats de la commande publique. Elle nesupprime pas les outils domaniaux mais elle prévoit qu’ils ne peuvent pas être utilisés pourpasser un marché public. C’est tout le sens qu’ilfaut donner à l’article 101 de l’ordonnance du23 juillet 2015 sur les marchés publics qui introduitdans le CGPPP et le CGCT, la disposition selon laquelle les outils domaniaux (AOT ou BEA) nepeuvent « avoir pour objet l’exécution de travaux,la livraison de fournitures, la prestation de serviceou la gestion d’une mission de service public »comportant une contrepartie économique. Lesoutils domaniaux sont donc réduits à leur vocationd’origine, l’occupation domaniale. Et l’article 101

Une nécessité pour la sécurité et la rationalisation des contrats globaux

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poursuit en prévoyant que lorsqu’un contrat de la commande publique comporte occupation du domaine, le contrat doit prévoir, dans le respect du CGPPP, les conditions de cette occupation. La logique est donc renversée : ce nesont plus les outils domaniaux qui sont dévoyéspour faire de l’achat. Seuls les outils de la commande publique peuvent être utilisés pourpasser un marché et quand ils comportent occupation du domaine, ils doivent le faire dansle respect du droit domanial. Le contrat constituele titre d’occupation domaniale.

Dans un second mouvement, la réforme de 2016instaure le « marché de partenariat » commeunique outil de partenariat, en lieu et place desanciens contrats de partenariat et des montagesdomaniaux « aller-retour ». Sa dénomination estimportante : il s’agit d’un « marché », reconnais-sant par-là, sa véritable nature de « marché public » qu’il a toujours été en droit européen.Mais surtout, en garantissant une stricte confor-mité au droit européen, le « marché de parte -nariat » offre à l’ensemble des partenariats public-privé un instrument juridique sécurisé.

Économie

Une opportunité pour l’unification du régime des marchés : la disparition de la distinction entre personnes soumises au code des marchés publics et personnes soumises à l’ordonnance de 2005

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L’unification des textes applicables aux personnessoumises jusqu’ici au code des marchés publicset des textes applicables aux personnes soumisesà l’ordonnance de 2005 a conduit, lors des travauxde rédaction, à se poser la question du degré dedétail et de précision à apporter aux textes. Lemodèle de l’ordonnance se caractérisait en effetpar la concision de rédaction et par une transpo-sition fidèle et strictement limitée au texte mêmedes directives européennes. Le modèle du codese caractérisait à la fois par une grande précisionet par de nombreux ajouts par rapport aux texteseuropéens.

L’unification des textes devait amener à choisirentre le modèle du code ou celui de l’ordon-nance. Ce choix n’a pas été mené complètementà son terme pour plusieurs raisons. La principalea été qu’alors que les personnes soumises à l’ordonnance étaient pour la plupart des opé -rateurs de taille importante, capables d’une expertise juridique importante et bien armés dansla négociation, la plupart des acheteurs soumis aucode est constitué d’une multitude de petitsacheteurs qui ne disposent pas des mêmes capa-cités. Ils ont besoin d’être accompagnés par destextes plus précis. C’est ainsi que les nouveauxtextes empruntent tantôt à la logique du code,tantôt à la logique de l’ordonnance. La réformede transposition a, à la fois allégé le texte ducode, imposé des obligations nouvelles aux personnes anciennement soumises à l’ordon-nance et maintenu un régime distinct entre les anciennes personnes soumises au code et cellessoumises à l’ordonnance.

A. Des allégements pour les personnesanciennement soumises au code

Plusieurs allégements par rapport à l’ancien codedes marchés publics marquent le régime desachats de l’État, des collectivités territoriales et deleurs établissements publics.

Sans se livrer à un inventaire exhaustif, on peutmentionner la suppression des dispositions sur lecontenu des marchés. Si l’article 15 du décret du25 mars 2016 conserve l’obligation d’un écrit (pourtout marché d’un montant supérieur à 25 000 €HT), le contenu du marché n’est plus encadrécomme il l’était par l’article 12 de l’ancien code.L’article 15 prévoit simplement la possibilité de déterminer les clauses du marché, par référenceaux documents généraux que constituent lesCCAG ou les CCTP. Bien sûr, l’article 39 de l’ordon-nance prévoit que le marché définit la duréed’exécution ainsi que le prix ou ses modalités defixation. Cet allégement est représentatif des difficultés de la tâche. Il a été bien accueilli par lesuns, en raison de la réduction de la taille du textequ’il opérait. Pour d’autres, il représente une pertede précision. Bien que la plupart des mentions del’article 12 de l’ancien code semble relever de lanécessité même de l’acte contractuel d’achat, sansqu’il soit nécessaire qu’un texte le précise (identi-fication des parties, objet du marché, prix, durée…),il semble qu’un certain nombre d’acteurs y aientété attachés, pour la valeur de guide qu’ils repré-sentaient. La plupart des efforts d’allégement entrepris lors de ce chantier de transposition s’esttrouvé confronté à ce même dilemme.

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Surtout, le décret du 25 mars 2016 ne comporteplus aucune obligation, pour les personnes anciennement soumises au code, de signer lescandidatures et les offres7. Cet assouplissement a pour vocation de faciliter les démarches detransmission dématérialisée des candidats et des soumissionnaires qui ne se trouvent pluscontraints d’être équipés, dès la phase de candi-dature de certificats de signature électronique.Cette contrainte avait été effectivement mentionnéecomme un des obstacles à la dématérialisationdes marchés.

B. La généralisation de quelquesgrands principes

À l’inverse, certaines dispositions qui existaientauparavant exclusivement dans le code ont été maintenues et s’imposent désormais aux personnes qui relevaient de l’ordonnance. Celane se traduit d’ailleurs pas toujours par un renfor-cement des contraintes, mais parfois par un allégement. Il en est ainsi notamment de l’élargis-sement du seuil de dispense de procédure de publicité et de mise en concurrence, fixé dans lecode à 15 000 €8 et qui est étendu désormais àtous les acheteurs et est fixé à 25 000 €9.

Mais c’est surtout l’extension à tous les acheteursde l’obligation d’allotissement qui constitue la principale innovation pour les personnes soumises antérieurement à l’ordonnance. Il s’agitlà d’une disposition marquant un choix politiquefort du Gouvernement en faveur des PME.

Les personnes soumises à l’ordonnance neconnaissaient aucune obligation en termes de dématérialisation des procédures. Elles sont désormais soumises aux mêmes obligations que les autres. Il ne s’agit pas ici d’un choix de politique interne, mais bien d’une obligation européenne. En effet, les directives européennesqui, en 2004 ne comportaient aucune obligationen la matière, ont désormais imposé l’obligationde dématérialiser la passation des marchés detous les acheteurs à partir d’octobre 201810. Un régime transitoire a été instauré jusqu’en 2018.

La politique d’ouverture des données (open data)qui a été introduite dans les nouveaux textes de2016, constitue une nouveauté qui a été immédia-tement élargie à l’ensemble des acheteurs, et à l’ensemble des contrats de la commande publique (marchés publics, dont marchés de partenariat et concessions).

Enfin, la mention de la possibilité des mesures d’incitation sociale ou environnementales n’existaitpas pour les personnes soumises à l’ordonnance de2005. Elles sont désormais explicitement reconnuespour tous les acheteurs. Elles sont également

explicitement reconnues pour l’ensemble des partenariats public-privé depuis leur unificationsous le régime des marchés de partenariat, maiségalement pour les concessions11. On pourra fairevaloir que le changement est juridiquement symbolique. En effet, les personnes anciennementsoumises à l’ordonnance, les personnes publiquesengageant un contrat de partenariat ou une délé-gation de service public pouvaient les introduireauparavant même dans le silence du texte. De plus, ces mesures demeurent aujourd’hui purement facultatives. Cependant, force est deconstater que jusqu’à présent, ces clauses socialesétaient introduites principalement en marchés publics. Or, du point de vue du retour durable vers l’emploi, une clause d’insertion d’une personneéloignée de l’emploi ou d’une personne handi -capée est beaucoup plus efficace dans un contratde très longue durée que sont les marchés de partenariat ou les concessions, que dans un marché public classique dont la durée est néces-sairement plus limitée.

C. Le maintien d’un régime distinctsur quelques mesures

Enfin, un régime distinct a été maintenu entre lespersonnes anciennement soumises au code et lespersonnes soumises à l’ordonnance de 2005. Celaconcerne les obligations de publicité particulièreà partir de 90 000 € qui ont été maintenues pourles personnes anciennement soumises au codesans être élargies aux personnes anciennementsoumises à l’ordonnance. Aucune obligation depublicité n’est prévue par le droit européen à partir de 90 000 €. Il s’agit d’une obligation pure-ment nationale. Le seuil de 90 000 € avait été introduit par le code de 2001, à un moment où ilsemblait que les écarts entre les seuils de droit interne et ceux du droit européen étaient telsqu’un passage immédiat aux seuils européens auraient pu déstabiliser les acheteurs français. Ilfaut reconnaître qu’en raison de la multitude depetits acheteurs publics en France, des achatsd’un montant de 90 000 € représentent pournombre d’entre eux un montant inatteignable.Quinze ans plus tard, cette même logique demeure.

L’autre principale distinction de régime entre lespersonnes anciennement soumises au code et lespersonnes soumises à l’ordonnance de 2005concerne les obligations de versement d’avanceset d’acomptes. Le statu quo demeure égalementsur cette question. Là aussi, il a été jugé adapté queles personnes soumises aux règles de la compta -bilité publique que représentent principalement les personnes anciennement soumises au code,restent assujetties à cette obligation qui n’a pas nécessairement vocation à s’appliquer aux autres.

7 L’ordonnance de 2005 et sesdécrets d’application étaientmuets sur cette question.

8 20 000 € pour les entitésadjudicatrice du code.

9 Article 30 du décret 2016-360du 25 mars 2016.

10 Avril 2017 pour les centralesd’achat.

11 Articles 29 et 33 del’ordonnance 2016-65.

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La refonte de l’architecture des textes constituel’un des principaux aspects de la réforme de 2016.La réforme consacre également un certain nombre d’innovations. Ces innovations sont importantes, mais elles ne s’inscrivent pas en rupture avec le droit antérieur. Bien au contraire,on observe la poursuite des évolutions engagéesdepuis plus de dix ans.

C’est ainsi, notamment, que la poursuite de la simplification des démarches des candidats auxmarchés publics se trouve accélérée par des mesures comme le plafonnement du chiffre d’affaireexigible au double du montant du marché. La dématérialisation des candidatures est désormaisclairement encouragée par l’application aux marchéspublics du principe du « dites-le nous une fois ». Le principe reconnu en droit depuis le décretn°2014-1097 du 26 septembre 2014 est concrétisépar la mise à disposition, par le Secrétariat généralà la modernisation de l’action publique (SGMAP)d’outil comme « marché public simplifié » (MPS) quipermet aux entreprises de poser leur candidatureen se contentant de saisir leur seul numéro SIRET.Le système recherche par la suite, de façon automa-tisée, l’ensemble des documents et attestations détenus par des organismes officiels concernant lecandidat et les met à disposition de l’acheteur.

La responsabilisation et la liberté de l’acheteur setrouvent également considérablement renforcéespar des mesures nouvelles en termes d’organisationet en termes procéduraux. En termes d’organi -sation, on peut citer les souplesses plus importantesreconnues par les directives de 2014 et les textes detransposition par une définition large de la quasi-régie ou la consécration juridique de la coopérationpublic-public. Ces deux notions permettent de nepas appliquer les règles de publicité et de mises en

concurrence, dès lors que la personne publiquecommande des prestations à un tiers sur lequel elleexerce un contrôle comparable à celui qu’elleexerce sur ses propres services (quasi-régie)12 ou dèslors qu’elle coopère avec d’autres personnes publiques en vue de la satisfaction d’objectifs communs dans le cadre de leur mission de servicepublic13. Les textes de transposition se livrent ici à unecodification des principes dégagés progressivementpar la jurisprudence depuis de nombreuses années.

La principale nouveauté procédurale se trouvedans l’extension considérable des cas de recoursà la négociation en marchés publics reconnue parl’article 25 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016.Il s’agit là d’une véritable évolution permise parles directives de 2014 que le droit européen nelaissait pas envisager au moment du lancement dela négociation des directives. On peut reconnaitrecependant qu’elle s’inscrit parfaitement dans lemouvement de plus grande liberté et de respon-sabilisation des acheteurs qui est prôné depuisplusieurs années.

Mises à part la généralisation de l’obligation d’allotissement et l’obligation de dématérialisationà l’horizon de 2018, les nouveaux textes n’intro -duisent pas de contraintes nouvelles qui obli -geraient les acteurs à reconsidérer de façon radicaleleurs habitudes. Ils introduisent en revanche des innovations offertes aux acheteurs comme des possibilités ou des instruments nouveaux. Ces derniers sont libres de s’en emparer ou pas et deprendre le temps nécessaire à leur assimilation.

Le travail de refondation de l’architecture des textesà l’occasion de la transposition des directives de 2014 constitue un travail de pré-codification annonçant l’ultime chantier : l’avènement d’un codede la commande publique, à l’horizon 2018. ■

12 Article 17 de l’ordonnance2015-899 du 23 juillet 2015.

13 Article 18 de l’ordonnance2015-899 du 23 juillet 2015.

Économie

Allotissement Obligatoire NonDispense procédure 15 000 € Oui NonPublicité à 90 000 € Obligatoire NonDématérialisation obligatoire Obligatoire NonVersements d’avances Obligatoire NonVersements d’acomptes Obligatoire NonMesures incitatives sociales ou environnementales Facultatives Non précisées

Principales distinctions entre le code desmarchés publics et l’ordonnance de 2005 Code 2006 Ordonnance 2005

Allotissement ObligatoireDispense procédure 25 000 € OuiPublicité à 90 000 € Obligatoire NonDématérialisation obligatoire ObligatoireVersements d’avances Obligatoire NonVersements d’acomptes Obligatoire NonMesures incitatives sociales ou environnementales Facultatives

Régime issu des textes de Ex-Ordonnance transposition de 2016 Ex-Code 2015