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  • FANTASME, DISCOURS, IDOLOGIE D'une transmission qui ne serait pas propagandeJean-Jacques Pinto

    L'Esprit du temps | Topique

    2010/2 - n 111pages 31 58

    ISSN 0040-9375

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-topique-2010-2-page-31.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pinto Jean-Jacques, Fantasme, Discours, Idologie D'une transmission qui ne serait pas propagande, Topique, 2010/2 n 111, p. 31-58. DOI : 10.3917/top.111.0031--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Topique, 2010, 111, 31-58.

    Fantasme, Discours, Idologie

    Dune transmission qui ne serait pas propagande

    Jean-Jacques Pinto

    1 - BANALIT DE LA PROPAGANDE

    La propagande, quoi quen disent lopinion publique et nombre douvragesspcialiss, ne se rencontre pas seulement sous ses formes publicitaires etpolitiques, qui ne font que la systmatiser. Elle est partout, comme le discourscourant et sa rhtorique spontane. Avant dtre verticale et adresse de loin-tains inconnus par un tat ou une classe de marchands, elle est horizontale, etadresse aux connaissances proches et au voisinage par la conversation et lebouche--oreille. Quelle mane de chacun, pour influencer son avantageconjoint, enfants, voisins, amants, collgues de travail, ou que, plurifocale etrhizomatique, elle sorte don ne sait o, comme la rumeur, pour se diffuseravant de se tarir jamais ou de senfouir jusqu sa prochaine rsurgence, ellene fait quemprunter dans le tissu social un rseau lymphatique favorisant sonessaimage mtastatique. Sil nest point besoin, pour traiter de ses incarnationsquotidiennes, dinvoquer la pression dun pouvoir politique, conomique oureligieux, cest en effet quelle trouve ses fondements dans une dispositionpsychique qui autorise et favorise son mission, son acceptation et son ven-tuelle diffusion.

    Elle est de ce fait comparable en contenu et forme ses parentes venuesden haut. Le sophisme de mauvaise foi y ctoie le paralogisme sincre.Toutes les figures de rhtorique sy bousculent, tous les coups y sont permis,tous les tons galement : du conseil dsintress linsinuation perfide, dela sduction complice lintimidation ou au chantage. Scne de mnage pas-sagre ou harclement moral efficace par sa rptition, ces tentatives dinfluersur le comportement ou mme sur le psychisme de ses proches rpondent aux

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  • motivations les plus diverses : se convaincre quon a raison en persuadantlautre de son opinion, substituer la dmonstration le plbiscite de lentou-rage, sadonner aux plaisirs du commrage, de la subversion locale, du prchemoralisateur... ou de la dmoralisation de lautre. Fort heureusement cette pro-pagande na pas cours vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme dans lesformes totalitaires de la propagande politique. Elle laisse volontiers la placeaux discours loyalement arguments ou aux propos dcousus et sans vise par-ticulire qui font le charme de nos conversations.

    La continuit de cette forme quotidienne avec les propagandes massivessillustre dans la rcupration par les politiques et les commerciaux des res-sources de la proximit sociale : runions Tupperware tendues au lancementde versions de Windows ou la vente de lingerie fminine, cercles restreintsde discussion politique, systmes de vente pyramidale, chanes de lettres ou demails.

    Voyons en quoi consiste cette configuration psychique inconsciente djen place en tout sujet, qui permet la propagande, spontane ou labore, detrouver ses sources, ses voies, lassurance de ses effets, et jusquaux motiva-tions de ses promoteurs.

    2 - LA STRUCTURE PSYCHIQUE QUI FAVORISE LA PROPAGANDE

    Cette structure, la subjectivit inconsciente, rsulte de lidentification sub-jective, que son caractre inconscient rend non matrisable par lidentificationcognitive (lducation, largumentation, la raison). la question du savoir-faire avec le milieu , le vivant fournit en effet un ventail de solutions : ins-tinct, apprentissage, imitation, identification. Mais chez lhumain seule la der-nire peut rendre compte de lobservation tant sociologique que psychanaly-tique.

    Passons rapidement sur linstinct (on accuse parfois la propagande poli-tique de rveiller nos bas instincts ), volontiers confondu par le profaneavec le rflexe (exemple : rflexe dautodfense ). Celui-ci, bien plus l-mentaire larc rflexe mdullaire ne met en jeu quun neurone rcepteur etun neurone effecteur est incapable de tendre lui seul vers un but adapt1.Linstinct, lui, est une impulsion inne, hrditaire et spcifique ; il est rput

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    1. Ce rappel nest pas vain devant le contresens dAlbert Einstein (Comment je vois lemonde, 1934), sagissant de la Wehrmacht : Je mprise profondment ceux qui aiment marcheren rangs sur une musique : ce ne peut tre que par erreur quils ont reu un cerveau ; une moellepinire leur suffirait amplement . Or des prix Nobel de sciences et dminents philosophes ontadhr au nazisme, et en France de grands littrateurs (Cline, Brasillach, Drieu La Rochelle)ont mis leur plume au service de sa propagande, comme Aragon celui de la propagande stali-nienne.

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  • parfait, hautement complexe, et adapt . Mais cette solution adaptative,dominante chez les espces infrieures (invertbrs, insectes, etc.), et dignede l animal-machine de Descartes, se laisse mal observer chez lhomme.Sil existe, linstinct nest pas le plus fort : aucune main invisible ne retient lesuicidaire ( instinct de conservation ), le pervers aux murs contre-nature ( instinct de reproduction ), le parent infanticide ( instinct mater-nel ). Il est donc surpass par autre chose, qui par son caractre de rptitionaveugle et incoercible le simule aux yeux du profane : lautomatisme de rp-tition.

    cartons aussi limitation, invoque dans les phnomnes de contagionrsultant de propagandes politiques ou commerciales ( moutons dePanurge ). Cette solution, la charnire du conditionnement et de lidentifi-cation (primates) choue, par sa simplicit, rendre compte de la subtilit desmouvements de mode ou des lans de foule. Outre le constat quils touchentprfrentiellement un certain type de personnalit, la distance entre limitationdun contenu et lidentification une structure est celle sparant le mainatereproduisant indiffremment bruits et voix humaine, de lenfant qui parvient la matrise de sa langue maternelle. Ici encore, ce qui chez lhomme simulelimitation est autre chose : cest la suggestion.

    Reste opposer aux deux faces, cognitive et subjective de lidentification,le recours explicatif au pavlovisme : la publicit nous conditionne pense leprofane, les T.C.C. se portent plutt bien, et certains propagandistes croientencore miser sur Pavlov, mconnaissant qu travers la suggestion ils jouentsur lidentification. Il est vrai qu une pratique na pas besoin dtre clairepour tre efficace . Or lexplication des conduites humaines par le condition-nement est caduque, (mme sil a pu avant de leur cder la place jouer unrle dans la mise en place des identifications), et ce pour trois raisons princi-pales :

    Le rflexe conditionn qui permet lapprentissage animal finit parsteindre sil nest pas entretenu.

    Il procde du code (relation biunivoque entre le stimulus et la rponse)et non du langage qui, fondamentalement ambigu et plurivoque, est dot depossibilits combinatoires quasiment infinies.

    Il ne saurait aller vers la recherche du dplaisir (mourir pour des ides,aller au supplice en chantant, simmoler par le feu) exception faite des espcesdomestiques qui prsentent des bauches de nvrose.

    Or lhumain peut courir sa perte en se remettant dans les mmesimpasses, mu par quelque chose de plus fort que soi et qui ne steintjamais : dans lexprience analytique le dsir inconscient est indestructible. Lo la mmoire animale servant ladaptation au milieu utilise le souvenir pourviter la rptition du dplaisir, la mmoire humaine est mise par le langageau service de la rptition, mme douloureuse voire suicidaire (automatisme

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  • de rptition), loubli ntant quapparent (refoulement). Il est mouvant cepropos de voir dans Avant le lever du soleil (1943) lcrivain russe Mikhalzochtchenko, communiste sincre, se convaincre peu peu, malgr son adh-sion lidologie officielle, que sa dpression et ses phobies ne relvent pasdu pavlovisme, mais de lexplication freudienne, ce qui lui vaudra des pers-cutions en srie.

    Cest avec le langage, permis par la prmaturation, donc la dpendance ladulte nourricier sans laquelle lenfant ne pourrait sintresser au langage,quapparaissent chez lhomme deux nouveaux types de solutions adaptatives :les versants cognitif et subjectif de lidentification.

    La face connaissance de lidentification sert ladaptation en fournissant lesprit humain des contenus mmoriels et des outils logiques qui le dispen-sent de devoir tout exprimenter, chaque gnration disposant ainsi dunsavoir cumulatif considrable. Une part de cette connaissance dabord trsempirique volue vers des noncs scientifiques de plus en plus formaliss( le mathmatique est fils du vernaculaire ). Ce savoir conscient ou prcons-cient est ouvert la rvision : si lexprience le contredit ou si une argumen-tation le rfute, il pourra (en thorie) tre questionn, remani voire aban-donn.

    Mais lenfant napprend pas parler avec un dictionnaire et une gram-maire. Il est introduit dans lordre symbolique (le grand Autre ) par le dis-cours des petits autres que sont ses parents, discours o sentrelacent inex-tricablement les connaissances et le dsir. Impossible de sy drober quand ondpend vitalement deux : Le dit premier dcrte, lgifre, aphorise, est ora-cle. Il confre lautre rel son obscure autorit. (Lacan, crits, p. 808). Ce Que ta volont soit faite devient limpratif inconscient de lathe le plusconvaincu. Cest l le point de dpart de lidentification subjective, qui,quoique fille du langage, soppose par bien des traits lidentification cogni-tive. Inconscient, imaginaire et fantasme font delle la face mconnais-sance de lidentification. Support de la croyance lidentit et prothse psy-chique destine se substituer aux instincts dfaillants, elle a initialementservi la survie de lespce en fournissant avec le dsir sexuel, le dsir denfantet le dsir de vivre des substituts aux instincts sexuel, maternel et de conser-vation quasi-introuvables chez lhomme. Mais ce au prix de remplacer leurncessit inne par la contingence de dsirs lis la constellation familiale oils prennent naissance.

    Le savoir cognitif tait rvisable ; mais non le savoir subjectif, du fait quilest inconscient : rebelle lexprience et largumentation critique, il fait lelit de toute croyance dogmatique. Linquisition contre Galile, le cration-nisme contre Darwin, voil, transpose lchelle de la socit, la contradic-tion structurale entre identification subjective et identification cognitive, cessurs ennemies.

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  • Lidentification subjective, dfinie comme la connexion signifiant-affectrsultant dune suggestion exerce par le parent sur lenfant, conduit graduel-lement dune situation o plaisir et dplaisir taient suscits par les besoins2

    (chez le nourrisson) une situation o cest le signifiant qui a acquis le pou-voir de les convoquer (chez lenfant plus grand qui, dj repu et choy,demande raconte-moi une histoire , puis chez ladulte, qui ne manquerajamais de ressources pour sen inventer). Cest cette alliance intimement scel-le dans lenfance entre le mot et lmotion qui, jointe au refoulement, rendracompte de limpuissance de la pense critique face aux sirnes de laffecti-vit : le ressenti passe pour ltalon du vrai ( lprouv ne ment pas ), etloin que ces sirnes fassent directement triompher le cur sur la raison, cestde leur paroles mobilisant des affects quelles tirent le pouvoir de faire taire lacritique intrieure ou extrieure3. tre refouls dans linconscient et lis auxaffects nenlve pas aux mots leur qualit verbale, et le conflit cognitif vs sub-jectif nest nullement rductible au conflit intellect vs affect : le cur a sesraisons... puisque dans le texte subjectif opre une logique (logos), et lon setrouvera fond proposer ci-aprs une Analyse des Logiques Subjectives applicable au phnomne de la propagande.

    Ainsi par la propagande verticale parent-enfant se constitue chez cha-cun la structure psychique, la subjectivit inconsciente, dont les caractris-tiques feront le lit des propagandes futures : horizontale entre pairs, verticaleen publicit ou en politique :

    lautomatisme de rptition favorisera laccueil de slogans rpts etrythms,

    la connexion signifiant-affect inscrira tel un tatouage le verbe dans lachair, asseyant sa suprmatie au point quon veuille mourir pour des ides ,

    la soumission lempire de la voix, la suggestibilit en principe dimi-nue chez ladulte mais toujours vive dans la structure hystrique, permettrala prise et la propagation dune parole directive,

    le refoulement, qui soustrait les contenus inconscients toute rvisioncritique par la raison, permettra de conserver inentams les fantasmes etcroyances intimes que lidologie fdrera,

    le couple Idal du moi/Surmoi se substituera la carotte et au bton chersaux behaviouristes pour porter lobissance, au-del de la souffrance, ladimension du sacrifice fanatique.

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    2. La publicit ne saurait nous crer des besoins: ils relvent de linn. Mais la combina-toire signifiante lui permet de nous crer linfini de nouveaux objets de dsir.

    3. Cyrano, analyste dun instant, ne sy trompe pas : son parler damour a induit le tendrelan qui pousse Roxane offrir un baiser Christian, et mme son ressenti : Baiser, festindamour dont je suis le Lazare !/Il me vient de cette ombre une miette de toi./Mais oui, je sensun peu mon cur qui te reoit,/Puisque sur cette lvre o Roxane se leurre/Elle baise les motsque jai dits tout lheure ! .

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  • enfin, la demande damour trouvera un ersatz de satisfaction dans laffir-mation par le pouvoir religieux, politique ou conomique de son amour pourses fidles.

    3 - FORME ET CONTENU DE LA PROPAGANDE

    Ils sexpliquent bien mieux par la subjectivit inconsciente, dpendante dulangage, que par dautres modlisations qui ngligent le verbal. Mais quelquespoints requerront une explication plus pousse.

    Pour ce qui est de la forme :

    La rptition sans variation de slogans et mots dordre, loin dagir enmobilisant un quelconque rflexe, renvoie lautomatisme de rptition,quelle sollicite en le mimant.

    Le rythme et lintonation dj promus par Gorgias au premier plan de latechn rhtorik renvoient la suggestion hypnotique. Mais de notables diff-rences de style et de tempo vont sobserver selon les publics et les buts viss(on sait que Hitler, dans ses meetings, commenait en chuchotant lentement,pour finir dans un emballement et une exaltation allant jusquaux hurlementsque la foule reprenait).

    La forme et lallure globale du discours de propagande (dure, prioderhtorique) peuvent ici aussi tre non spcifiques, adresses tout publicpotentiel, ou cibles, visant un seul type de destinataire.

    La syntaxe de phrase pourra se modeler sur la grammaire du fantasme.J.-C. Milner rappelle que selon la thorie freudienne, un fantasme se laissetoujours exprimer par une phrase, ou plus exactement par une formule phras-tique, dont chaque variante rpond en principe un fantasme distinct . Lapropagande va ainsi jouer sur la simplification des noncs (fort loigne dela grande rhtorique judiciaire ou dlibrative) dont laboutissement est le slo-gan. Le verbe qui centre le fantasme, et que Freud, dans On bat un enfant,observe aux trois voix active, passive et rflchie, peut comme forme mini-male apparatre limpratif ( Bougez, liminez ) ou linfinitif (le Credere, obbedire, combattere mussolinien). Mais dautres formes brvespromeuvent des noms ou des adjectifs spcifiques, ce qui reste expliquer.

    Et quant au contenu des textes de propagande :

    Certains caractres communs relvent de lidentification subjective engnral : le contenu voulu intangible dun credo comme ceux du parti nazi oude la vulgate marxiste travers les vicissitudes de la Realpolitik, car on ne doitpas changer un seul mot du conte lu lenfant quon endort...; la rcompenseet la menace, qui prennent leur effet du couple Idal du moi/Surmoi reportsur la personne du leader ; la rponse la demande damour sous sa forme reli-

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  • gieuse ( Dieu est amour ), politique ( Big Brother vous aime ) ou commer-ciale ( Monoprix... tous les jours lamour ).

    Mais la spcificit de chaque type de subjectivit rceptrice resurgit plusieurs niveaux de lanalyse : les verbes des slogans qui ciblent des profilsdiffrents, le recours au pathos plutt qu la raison, les carottes ou btons adapts chaque type de personnalit, la slection du lexique et desfigures de rhtorique. Tout ceci montre que la subjectivit nest pas une, et quela connaissance intuitive ou par sondage de ses courants principaux importeautant au propagandiste que celle de son fonctionnement gnral.

    Le Socio-Styles-Systme de B. Cathelat (Cathelat, 1992), abord psychoso-ciologique des Styles de vie, mentionne lexistence de Lexico-styles publi-citaires qui correspondent ce que livrera notre analyse de discours : Il nya pas une seule et idale bonne manire de dire chaque chose, mais plusieurs ;lintuition de lartiste et la volont du dcideur ne suffisent pas toujours assu-rer le succs dun message . Si lon cherche au niveau smantique les pointscommuns entre les propagandes publicitaire, politique, et quotidienne entreproches, on trouvera ceux-ci non pas au niveau du contenu macrosman-tique des thmes abords, mais au niveau microsmantique dlmentsminimaux affectivement investis. Aprs sa grammaire, cest une smantiquedu fantasme quil nous faut dsormais recourir.

    La propagande nest pas homogne. Chercher lexpliquer nous amne considrer deux modles qui rendent compte de lhtrognit des structurespsychiques auxquelles elle sadresse : les Quatre Discours et lAnalyse desLogiques Subjectives.

    4 - DES DISCOURS AUX PARLERS : PRSENTATION DE LANALYSEDES LOGIQUES SUBJECTIVES

    En tant quelle dcrit le lien social, la thorie des Quatre Discours deLacan semble toute dsigne pour dcrire, voire expliquer, les chemins de lapropagande dans la subjectivit inconsciente. Mais ses mathmes nemp-chent pas les interprtations fantaisistes des disciples, et des corrlations avecla clinique souvent douteuses. Aprs le dclin du mathme dcrit par Jean-Claude Milner dans Luvre Claire, ils subsistent parfois paradoxalementcomme une certaine forme de propagande, dans la rptition consciencieusemais peu claire quen font les disciples, rsultat situ aux antipodes de la transmissibilit intgrale souhaite.

    Ce constat nous a conduit proposer une approche qui sen inspire et sendmarque : lAnalyse des Logiques Subjectives (A.L.S.), mthode originaledanalyse de discours dveloppe, publie et enseigne depuis plus de vingtans. Refusant les formules ambigus des Quatre Discours pour repartir du

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  • mot mot des noncs du discours courant, celle-ci dcrit des parlers qui nerecoupent quen partie les discours de Lacan. Ceci nempche nullement lacompatibilit de lA.L.S. avec les prmisses lacaniennes dont elle se veut lh-ritire critique. Nous verrons quelle permet de rendre compte des points pr-cdemment laisss en suspens.

    Il sagit donc dune mthode danalyse des mots (lexmes) dun texte parlou crit qui travaille, sans recourir la communication non verbale, sur lasmantique des mtaphores en vue den dduire la structure identificatoire dulocuteur et les rseaux de sympathie ou dantipathie quil gnre. Nanalyserque les mots permet lA.L.S. de traiter des textes signs aussi bien quano-nymes (propagande publicitaire).

    Prenant en compte le sens des mots non pas globalement (contenu, thmes)mais en le dcomposant en atomes de sens , donc un niveau microsman-tique, elle permet de trouver des invariants subjectifs indpendants du sujetabord dans le corpus. Rsumons-en trs schmatiquement les principes (onlira lexpos complet dans larticle Linguistique et psychanalyse : pour uneapproche logiciste cit en bibliographie).

    LA.L.S., reprend les thses connues : linconscient cest le discours delAutre et : le dsir de lhomme cest le dsir de lAutre, car cest en tantquAutre quil dsire , en les reformulant ainsi :

    Cest le discours parental qui dtermine, non de faon linaire mais avecdes transformations elles-mmes programmes , le discours fantasmatiquede lenfant, diffremment selon quil est idalis ou rejet (pour commencerpar les cas extrmes). Lenfant, identifi au texte du dsir parental, qualifieraet traitera dsormais tout objet (y compris lui-mme et son parent) comme onla qualifi et souhait le traiter. Cest la satisfaction du parent, et non lasienne, quil exprime et recherche son insu. Les adjectifs extraits des appr-ciations du parent, et les verbes dcrivant le sort quil souhaite lenfant, four-niront les atomes valoriss dans les noncs fantasmatiques, et constitutifsdes sries.

    Ces adjectifs dcrivent lobjet tel quil est jug par le parent (beau, laid,conforme, inattendu, etc.), et tel quil devrait tre pour rendre possible lac-tion que le parent veut exercer sur lui ou le comportement quil en attend :lger pour mieux sen dbarrasser sil est un fardeau , prudent silsagit de le protger.

    Les verbes, eux, dcrivent lattitude du parent devant lenfant idalis :aimer, adorer, prendre au srieux, respecter, regarder, voir, contempler,possder, matriser, garder, protger, enfermer, retenir, contenir, isoler,incorporer (mtaphoris enmanger), nourrir, remplir, etc., ou devant len-fant non dsir : verbes exprimant la dception, la surprise, ltonnement, lapeur, lhorreur; har, dtester, maudire, ne pas prendre au srieux, tourner endrision, ainsi que les moyens de se dbarrasser dun tel enfant, de le faire

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  • changer, ou de lignorer 4, tous ces mots tant valoriss secondairement chezladulte que cet enfant deviendra.

    Les verbes exprimant le souhait du parent se retrouveront dans le discoursde lenfant la voix active, passive, ou pronominale. Cest l tout simplementla thse freudo-lacanienne de la rversibilit du sujet et de lobjet dans le fan-tasme. Ainsi la profration par le parent dnoncs sur lenfant dsir ou rejet(cas plus complexes dcrits ci-dessous) va mettre en mouvement la rptitiondune srie dlments verbaux qui vont gouverner son insu, et dans les direset dans les actes, la fantasmatique de lenfant puis celle de ladulte.

    Les traits smantiques minimaux ( atomes ) extraits de ces verbes etadjectifs vont constituer deux sries:

    La srie A (srie destruction-disparition-loignement-changement)concerne lextrieur, le changement, le dsordre, la destruction de lancien.Elle se compose dadjectifs simples comme : ouvert, souple, vari, changeant,nouveau, libre

    La srie B (conservation-intgrit-stabilit) concerne au contrairelintrieur, le non-changement, lordre, la conservation, et se composedadjectifs comme : srieux, ferme, stable, ancien, durable.

    (Dans tout ce qui suit, pour faciliter leur reprage, les mots A figureront enitalique, et les mots B en gras).

    Les mots complexes adjectifs complexes, noms, verbes et adverbesseront traits comme des molcules dont le sens peut se dcomposer enatomes A ou B, et ainsi rattachs, sauf exception, aux sries de mme nom.Ainsi se comprend que le fantasme, outre son verbe central, puisse revtir las-pect de noms ou dadjectifs spcifiques que reprendront les formes brves dela propagande.

    La valeur associe chaque mot est la rsonance qua ce mot pour celuiqui le dit. Elle peut tre positive, ngative, neutre ou indcidable. Elle peutchanger chez un locuteur donn selon les moments ou les priodes de la vie.On reconnat dans cette association la connexion signifiant-affect de lidenti-fication subjective.

    En combinant, pour chaque mot pertinent (voir les critres dans larticleprcit) dun texte, sa srie et sa valeur, on obtient des points de vue, qui peu-vent eux aussi changer selon les instants ou les ges de la vie.

    Le point de vue extraverti (dsign par E) valorise la srie A et dvalo-rise la srie B, ce qui peut se noter : A + = B = E. Ce point de vue choisiradonc ses mots dans la srie A pour prsenter ce quil aime, et dans la srie B

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    4. Ce sont : dtruire (ouvrir, casser, dmolir, brler, clater, disperser, dchirer, percer, etc.),changer, modifier, altrer, dformer, tordre, dplacer, remuer, secouer, loigner, carter, chasser,(faire) sortir (parfois mtaphoris en vomir), abandonner, laisser tomber, lcher, jeter, perdre,garer, donner, vendre, changer, mconnatre, ignorer, oublier, etc.

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  • pour prsenter ce quil critique, naime pas ou mme redoute. Le point de vue introverti (dsign par I) valorise la srie B et dvalo-

    rise la srie A, ce qui peut se noter : B + = A = I. Ses choix seront donc lin-verse des prcdents.

    Cette notion de point de vue instantan (pour le seul mot quon analyse)peut tre tendue tout un texte, qui prsente en gnral une dominante I ou E , sauf pour le parler hsitant dcrit plus bas.

    Les parlers, hritiers critiques des Discours de Lacan, sont lextension,cette fois lchelle dune vie entire, de la notion de point de vue, recoupantla notion empirique de personnalit et la notion psychanalytique didentifica-tion: chacun joue sa biographie comme un acteur dit son texte, en faitcrit par un autre Ces parlers, (dialectes subjectifs ou subjilectes ),recombinent de ladolescence la fin de la vie les deux points de vue I et E , ce qui aboutit :

    1. Un parler conservateur (I I), correspondant en gros la personna-lit obsessionnelle (Alceste) : introverti incorruptible , qui commence I et finit I .

    2. Un parler changement/destruction (E E), correspondant grossomodo la personnalit hystrique (Climne... ou Mesrine) : extravertiincorrigible , qui commence E et finit E . Ce parler connat deuxvariantes selon que la mtaphore est sublime ou passe lacte, suivant lagravit du rejet parental. Si la version bnigne (changement) peut tresocialement encourage pour sa crativit, sa version maligne (destruction)se rencontre chez des sujets ports lextrme violence : ennemis publics , tueurs en srie , criminels de guerre .

    3. Un parler hsitant (I ou E, abrviation de loscillation I E I E etc.), en gros la personnalit phobique (Philinte) : ternel indcis , oscil-lant toute sa vie entre I et E. Rsultant de lambivalence parentale, il pr-sente une alternance, voire la juxtaposition en discours, de termes des deuxsries.

    4. Un parler du progrs ou constructeur (E I), sans quivalent cli-nique (Marie-Madeleine... ou Henry Ford) : extraverti repenti , qui com-mence E et finit I . Dans ce parler de la rdemption, de la rparation,qui est entre autres celui de lambitieux, de larriviste, du self-made man, labiographie en deux tapes rsulterait dun jugement en deux temps, o leparent rejette au dbut un enfant jug non conforme son attente, puis se faitune raison et remdie au dfaut naturel par lducation, la constructionde la personnalit de lenfant .

    Lexistence de combinaisons de parlers (E I rat, entreprenant,attentiste) montre que la liste actuelle des possibilits non limitative, seconstitue empiriquement, sur le terrain, avant de se chercher une explicationthorique, et que ladquation lobservation est prfre la combinatoire

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  • aveugle . Fait important pour lmission et de la rception de la propagande, chaque

    parler subjectif se positionne quant lindividu et au groupe : dans le parlerI I, lindividu isol est valoris : il vaut mieux tre seul que mal accompa-gn, dans le parler E E cest le groupe nombreux, la foule : plus on est defous, plus on rit, et dans le parler I ou E le petit groupe damis offre un justemilieu entre la solitude nfaste et la foule objet de phobie (Brassens : au-delde quatre, on est une bande de c s ). Quant au parler E I dans sa varitarriviste, le groupe y est utilis comme tremplin pour lambition personnelle,puis abandonn ou domin lorsquon est au sommet (tous pour un, maisjamais la rciproque...).

    La logique des parlers dissipe le contresens qui voudrait faire des dicta-teurs propagandistes des psychorigides obsessionnels voire paranoaques.Si pour certains leur malignit destructrice se pare titre tactique des plumesde lorthodoxie ( transgression lgitime dcrite par Michel Oriol), leur dis-cours priv les rvle hystriques, parfois la limite du paranode, peu sou-cieux du contenu (Mussolini et bien dautres ont travers le spectre politique),mais gotant la forme violente et le meurtre. Dautres leaders politiques oubtisseurs dempires commerciaux sont simplement des constructeurs arri-vistes.

    Par ailleurs chaque parler veut prtendre luniversel dans sa vision dumonde, dont il se fait lavocat : lhomme est alors fondamentalement bon (parler I I), fondamentalement mauvais (parler E E), toujours per-fectible (parler E I), ou mi-ange mi-bte (parler I ou E). Ces thmes depropagande nave se verront repris dans les argumentaires sophistiqus desidologies.

    Toute juxtaposition ou oscillation des sries ne signe pas forcment le par-ler hsitant : on peut les utiliser sciemment , par exemple dans le parlerE I des arrivistes, pour rallier tous les suffrages en sduisant et les locuteurs I , et les locuteurs E . Exemple en politique : le changement (A +) dans lacontinuit (B +), la force (A +) tranquille (B +). Ou en publicit : Cette voi-ture allie souplesse (A +) et fiabilit (B +) .

    Un des constats essentiels de lA.L.S., dont limpact sur la propagande seravident plus loin, est que toute perception, tout vnement, tout contenu peuttre comment au moins de deux manires, dans deux formes diffrentes, telle fameux verre demi plein ou demi vide , puisquil existe deuxpoints de vue, plus leurs combinaisons. Prenons lexemple des contenus VIE et MORT . Le locuteur extraverti dcrit la vie dans la srie A(valorise) : chaleur, mouvement, souplesse, bruit, couleur, et ne voit de lamort que le cadavre (B ) : froid ( refroidir quelquun ), immobile ( y res-ter ), rigide ( raide mort ), silencieux ( silence de mort ), sans couleur( ple comme un mort ), allong ou couch ( allonger, descendre

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  • quelquun ). Le locuteur introverti ne voit de la mort que la perte de saprcieuse unit, la dcomposition, labsence ( il est parti, il nous a quitts).Voir ce sujet le cas de Jrme cit par S. Leclaire (Dmasquer le rel, 1971).Vivre cest pour lui se maintenir en vie, rester en bonne sant, sconomi-ser, prserver son intgrit corporelle de toute altration qui la dgrade. Onpeut ainsi constituer une liste de termes parallles contestant les synonymiestraditionnelles, et qui seraient lamorce dune sorte de dictionnaire bilingue pour la traduction dun point de vue dans lautre.

    En conclusion, les lments smantiques prsents dans ces matrices ver-bales que sont les parlers vont gouverner la fois le lexique et la syntaxe desnoncs subjectifs :

    le lexique est videmment mettre en rapport avec le contenu de la pro-pagande mise ou reue.

    la syntaxe des noncs subjectifs va se trouver infiltre par la smantiquedes lments lexicaux, confrant cette fois sa forme la propagande : les mots calme , violent , mesur , outr , srieux , enjou , quifigurent dj comme sductions lexicales dans le discours du propagandiste,vont de surcrot lui donner son style, sa priode, son tempo, son intonation.

    Montrons prsent comment, linverse de considrations souvent tropgnrales sur larticulation entre inconscient et propagande, la microsman-tique du fantasme quest lAnalyse des Logiques Subjectives permet : dunepart de prdire et dexpliquer certaines lignes de force smantiques dgagespar dautres analyses dans les textes de propagande, dautre part dtudierprcisment un des ressorts majeurs par lesquels la propagande agit sur lor-ganisation subjective : la structure du fantasme, centre par la mtaphore.

    5. DU GNRAL AU PARTICULIER, QUELQUES APPLICATIONS DELA.L.S. LTUDE DE LA PROPAGANDE

    Le cas gnral : htrophiles vs htrophobes

    Dans son ouvrage La force du prjug le philosophe et politologue Pierre-Andr Taguieff distingue quatre termes quil figure sur un rectangle muni deses diagonales : deux racismes, lun htrophile et lautre htrophobe, et deuxantiracismes pourvus des mmes qualificatifs. Nos citations volontairementlarges permettent den dgager la logique. Cest lopposition htrophile/ht-rophobe qui prime sur le contenu raciste ou antiraciste des idologies : lecouple rejet de la diffrence/loge de la diffrence [...] a un visage idolo-gique dterminant . Lhtrophilie prsuppose que les diffrences sont, entant que telles, positives .

    Pour lantiracisme htrophile [AR1], le racisme est ngation absoluede la diffrence, il se dfinit fondamentalement en tant quhtrophobie [...]

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  • impliquant un idal dhomognit. [...] La dnonciation de lethnocide et delimposture de luniversalisme en gnral se greffe spontanment sur unevision catastrophiste de lvolution vers lhomogne.

    Le racisme htrophobe [R1, universaliste] est alors dcrit comme dsir dabolir la diffrence entre Nous et Eux , ou visant effacer letrait diffrentiel dont on suppose que le collectif racis est porteur .

    Pour lantiracisme htrophobe (AR2, universaliste), le racisme estaffirmation absolue de la diffrence. [...] Le racisme se fonde ds lors surla sacra lisation de la diffrence, il implique une religiosit seconde de la diffrence.

    Le racisme htrophile [R2] est fondamentalement anti-universaliste :luniversel est rduit ntre quune machine homogniser, unifier, stan-dardiser. .

    [...] Dune part, un antiracisme anti-universaliste et diffrentialiste ; dau-tre part, un antiracisme universaliste et anti-diffrentialiste. Chass-crois desantiracismes qui fait cho au chiasme de leurs racismes respectifs. Il sagitbien l dune antinomie, contradiction insurmontable .

    Et Taguieff rsume cette logique contradictoire ainsi : Chaque antiracisme a son racisme propre : AR1 R1 ; AR2 R2. Chaque

    racisme a un double antiraciste. [...] Les positions sont dtermines par le dou-ble jeu doppositions des anti- et des philies/phobies. [...] Si le racisme estdfini par lhtrophobie, alors lantiracisme se dfinit par lhtrophilie. [...]Si le racisme est dfini par lhtrophilie, alors lantiracisme se dfinit parlhtrophobie. [...] .

    Il est facile de reconnatre dans lopposition htrophile/htrophobelopposition formule antrieurement par lA.L.S. entre les points de vueextraverti (loge de la diffrence) et introverti (rejet de la diffrence), qui,sils sinscrivent dans la dure, deviennent les parlers changement/destruc-tion et conservateur . Chacun de ces parlers peut colorer subjectivementdeux contenus cognitivement opposs : racisme et antiracisme, ce qui rendcompte de changements de camps irrationnels qui ne contredisent pourtantpas la logique subjective, ainsi que de passerelles subjectives offertes la pro-pagande pour sduire le camp adverse (la nouvelle droite franaise a ainsicherch rpandre lidologie diffrentialiste).

    La dimension fantasmatique qui sous-tend ces quatre combinaisons appa-rat dans cette remarque de Taguieff : Tout se passe comme si chacun desdeux racismes tait le rve inquitant de lantiracisme spcifique qui levise, sa reprsentation ngative, son cauchemar veill [...]. Si lon ajoute cela que Taguieff rattache lhtrophilie au type idologique traditio-com-munautariste et lhtrophobie au type idologique individuo-universa-liste , on retrouvera les positionnements dcrits par lA.L.S. quant au groupeet lindividu : le parler E E valorise le groupe nombreux, la communaut

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  • dans sa diffrence, alors que le parler I I valorise lindividu dans son uni-versalit.

    LA.L.S. offre de plus lintrt de pouvoir rendre compte dans le dtail desmtaphores polmiques avances par chacune des quatre propagandes.

    Un cas plus circonscrit : en-de vs au-del

    Langages totalitaires, du philosophe et germaniste Jean-Pierre Faye, ana-lyse les transformations des rcits idologiques survenues en Allemagne de ladfaite de 1918 larrive des nazis au pouvoir en 1933. Le fragment qui suit(p. 170-171) parle de lui-mme si on lui applique la convention graphique pro-pose par LA.L.S. : mots de la srie A en italique, mots de la srie B en gras,et de plus : mots valoriss souligns, mots dvaloriss non souligns).

    Dans le Dialogue entre Adolf Hitler et moi [de Dietrich Eckart], lemarxisme et le bolchevisme apparaissent comme des varits de cette affir-mation de len-de, [...] qui serait la manifestation de lesprit juif . Encela, ils sopposeraient aux hommes quhabite la pousse vers lternel, versle psychique, cet esprit dberwindung, de dpassement du monde quereprsente [...], en guise de prototype aryen, Savonarole... [...] Ce qui est sai-sissant, cest le contraste qui se dcouvre sur ce thme [la lutte contre leJudasme] entre son langage vlkische [racisme nazi] et celui desJungkonservative ou des Nationalrevolutionre [droite autoritaire tradition-nelle]. Pour Moeller van den Bruck, le christianisme sloigne de nous etslimine de lui-mme , car notre temps a dfinitivement renonc toutesles faibles doctrines de lau-del [...]. Pour Helmut Franke [...], la question :Quest-ce que le Nouveau Nationalisme ? il faut rpondre : cest la religionde len-de [...].

    Tandis que dans laxe idologique qui va des Jungkonservative auxNationalrevolutionre, la religiosit nationaliste est dresse contre les faiblesau-del dans une adhsion vigoureuse len-de, voici que dans laxe deslangages vlkische ces relations se trouvent littralement renverses : laffir-mation de len-de est juive , celle de lau-del est aryenne .[...] Le lan-gage idologique des Vlkische, qui aura dans la ralit des consquencesredoutables, est une parole dvasion. Une parole de survol, un dtour par-dessus la ralit de son temps une berwindung en effet, et littralement.Mais cette sorte de rotation exerce dans les mots ct de la ralit, ce lan-gage tout imaginaire ou latral va pourtant se rvler un relais dcisif dans undveloppement terriblement rel, tout coup .

    Les relations qui se trouvent littralement renverses quand lantis-mitisme entre le langage de la droite autoritaire traditionnelle et celui (vl-kisch) des nazis sont aisment dcrites par lA.L.S. :

    le premier nest autre que notre parler conservateur , qui valorise len-dea, lintrieur dune limite dont lau-del est accus de tous les maux ( les

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  • faibles doctrines de lau-del ) : adhsion vigoureuse au point de vueintroverti (racisme htrophobe de Taguieff) ;

    le second est notre parler changement/destruction qui valorise lau-del, la pousse, le dpassement, lvasion, le survol, le dtour par-dessus laralit, le franchissement (point de vue extraverti) dune limite en-de delaquelle se tient le mal absolu, lennemi quil faudra anantir5 (racisme ht-rophile de Taguieff).

    Lhabilet diabolique de Hitler, incarnation de ce second parler, fut alorscomme le montre Faye dentrelacer subtilement (oxymore) dans sa propa-gande antismite les signifiants propres sduire lun et lautre camp, commeil avait russi un autre niveau entrelacer des thmatiques parlant la droiteet la gauche, au grand patronat comme au proltariat.

    Un cas particulier : lanalyse des facettes du fantasme de propager

    La propagande, qui sappuie sur les fantasmes de lauditoire, est elle-mme sous-tendue par le fantasme de propager. Pas plus que le langage nestlinstrument de la pense, elle nest un simple outil dans la main du propagan-diste, lui-mme agi par un impratif verbal venu de sa subjectivit incons-ciente, qui lui fait trouver positive lide mme de propager avant quaucuncontenu ne vienne remplir cette forme dexpression.

    Propager est bien autre chose que communiquer, publier, faire savoir,faire connatre, transmettre , compatibles avec les chemins exprimentaux etargumentatifs de la conviction en sciences. Il suffit de relire la fin de lexem-ple prcdent (au-del, dpassement, vasion, dtour par-dessus, franchisse-ment de limites) pour voir que ce verbe prend naturellement place dans ceuxde la srie A (clater, disperser, faire sortir, loigner...), valoriss par le pointde vue extraverti et son prolongement, le parler changement/destruction :les limites du corps de lenfant dtest doivent tre abolies (dsir parental dele dtruire), et son contenu doit se rpandre ou se disperser. Propager amne de plus un lment smantique daugmentation partir de la source,soit en volume si llment rpandu est fluide (liquide, gaz, flamme), soit ennombre si llment dispers est fragment en petites units, tels les atomesdans une raction en chane. Ce mouvement de diffusion qui se communiquede proche en proche sans terminaison spontane, apparat parfois irrsistible.

    1) Le fantasme de propager considr en lui-mme, hors tout contenu, dansle parler extraverti.

    Telle une onde porteuse transportant des signaux moduls, ce fantasmeporteur peut supporter des contenus quelconques : peu importe ce que rpand

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    5. Anantir ou annihiler , et non exterminer . Car Vernichtung form sur nicht redouble Verneinung (Freud) form sur nein . La dngation inconsciente, dansses avatars destructeurs, mettra en acte lanantissement, et reviendra aprs-guerre sous laforme, consciente cette fois, du ngationnisme.

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  • le bouche--oreille. Il sclaire par ses ralisations verbales courantes, etlexamen du contexte o figurent ses synonymes et les mots de la mme srieauquel il se trouve frquemment associ. Nous nen donnons quun aperuinformel.

    Dans les expressions figes et leur reprise mtaphorique ( propager unerumeur ), ce qui se propage cest le feu, lincendie, une maladie, une onde, laradio-activit, le son (tambour qui rpercute). Ce qui diffuse, se rpand large-ment, cest un fluide : la nouvelle se rpandit comme une trane de pou-dre ., le bruit ou la rumeur courent , Ce qui dferle irrsistiblement, cest La vague , titre du roman rcemment port lcran o un professeur recreavec ses lves un mouvement fascisant de mme nom, qui se radicalise enstendant. Ce qui se disperse en lments multiples, se dissmine au gr duvent , ce sont les spores, les miasmes, les germes, mtaphore reprise dans le vent de folie des pidmies de sorcires, de possdes, de convulsion-naires, de terrorisme. Ce qui essaime et mtastase ce sont les cellulesmalignes. Ce qui se multiplie toute vitesse, ce sont les rats formant meute,chers Deleuze et Guattari.

    Parmi les verbes de la mme srie auquel propager se trouve associ,remarquons agiter ( lagitation a gagn le peuple ). Les propagandistessont aussi des agitateurs : Hitler ses dbuts tait fich comme tel, et lon sesouvient de l agit-prop des bolcheviks. Cette agitation offre lextravertila chance de se sentir vivre plus intensment, dangereusement. Dans lacti-visme militant rgne la mtaphore militaire: cest la guerre en temps de paix,la mobilisation totale dErnst Jnger reprise par les nazis,

    Le nombre impliqu dans la dispersion-multiplication est, oppos l unique de lgotisme introverti, un classique du parler extraverti. Le pro-pagandiste ne manquera pas den exploiter un autre aspect : lidalisation dugroupe face au peu de valeur de chacun de ses membres ( lunion fait laforce ). Le communautarisme (classe proltarienne, communaut descroyants, Volksgemeinschaft) fournit aux extravertis mal-aims un groupedaccueil, une nouvelle naissance, une offre damour, un avenir, et mme unehistoire collective et identitaire (propagande de Miloevi au Kosovo).

    Lhystrique du parler changement/destruction est abandonn lui-mme, influenable, polythiste . Il adore les idoles, se laisse suggestion-ner, cde la tentation, la mode, au pch, suit la foule mme dans le lyn-chage : vox populi vox dei . Plutt se laisser emporter par le mouvement etvendre son me au groupe que rester seul : il sera une fashion victim , unmouton de Panurge.

    2) Le fantasme de propager peut sassocier dautres fantasmes extraver-tis qui en prcisent la forme, avant tout contenu prcis.

    Le fantasme de mentir, raconter des histoires ou des fausses nouvelles,tromper, abuser de la crdulit des autres fait cho la situation gnratrice o

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  • le parent du, tromp sur la marchandise qui lui a caus une faussejoie , trompe en retour lenfant sur lamour quil lui porte en lui racontant deshistoires. Ce fait est avr dans la transgression lgitime o le parler des-tructeur simule lorthodoxie, lintgrisme, le fondamentalisme, lobservancede la loi alors quil sagit en fait, pour ses promoteurs sans foi ni loi, de fairela loi . La prfrence pour les mythes plutt que lhistoire sexplique parla mythomanie, o lextraverti se met croire sa fable en la racontant ( sela jouer , se mentir soi-mme ), et qui dbouche sur le mythe usageexterne et interne. Le mythe du XXe sicle dAlfred Rosenberg, idologue dunazisme, ralise lexploit dexhiber une propagande dont les promoteurs sin-toxiquent, comme des dealers galement consommateurs (Hitler etGoebbels meurent sans quitter le navire quils ont eux-mmes sabord). Enfin,la complicit inconsciente entre extravertis se lit dans le faites-nousrver adress aux marchands de rve , dans la reprise par les victimes dudiscours des bourreaux (Victor Klemperer, La langue du Troisime Reich) etdans le recours au pathos commun aux exterminateurs et aux romanciers delextermination 6.

    Dans le fantasme de contagion-contamination, le plaisir de propager seredouble de celui de vhiculer un contenu lui-mme mortel : germes, virus,peste brune ou rouge, toxique, poison, venin (lautre nom de la propagande estlintoxication, modernis en intox ), Le feu, lincendie, les maladies, laradio-activit font des ravages en se propageant, et les propagandistes sedclarent incendiaires. Quant la meute qui se multiplie et stend, elle fait dutroupeau docile une horde danimaux dangereux : hurler avec les loups .

    3) mission et rception du fantasme de propager dans les autres parlers. Les fantasmes introvertis portant sur la protection de lenfant di-

    fi contre toute entre et sortie, on se doute que le parler conservateur nest ni producteur ni consommateur de propagande. Sa position subjective estde rsister toute intrusion, que le contenu en soit bon ou mauvais (faitcontraire au pavlovisme). Lobsessionnel nest pas suggestible, ou plutt, monothiste fidle son Dieu intrieur qui lui interdit dadorer des idolestrangres, il se contre-suggestionne. Ce Saint Antoine rsiste la tentation, la mode, au pch, la vile multitude : sil nen reste quun je serai celuil ; cet Alceste, du par le monde, se retire en principe au dsert . Maispar lchet, conformisme, soumission lordre, souci du travail bien fait, il

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    6 Franois Rastier, (Avril 2007), Croc de boucher et Rose mystique Enjeux prsents dupathos sur lextermination, Texto ! Textes et cultures [http ://www.revue-texto.net], XII, n2,pp.1-27 : avant-guerre, Goebbels [] veut lthos et le pathos sans oublier le mythos (KarlKraus cit par Rastier ). Aprs-guerre, [] les romans historiques [parfois luvre de faus-saires] participent leur manire du rvisionnisme. Ils reclent une dimension anti-historiquedu pathos, qui, par lexhibition, brouille la comprhension. [] Sous le pathos et ses clichs quidtournent lattention, la responsabilit historique du nazisme est ainsi discrtement subtilise.[] Travestis en vrit mystique, des faits historiques perdent ainsi tout contexte.

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  • peut devenir un bureaucrate obscur du crime et faire partir lheure des trainsdont il ne veut rien savoir du chargement, sans avoir cru un seul mot de la pro-pagande qui a abouti les remplir.

    Les fantasmes du parler hsitant le conduisent soit osciller entre fasci-nation et refus, sengageant dans laction puis se le reprochant, soit pratiquerun doute pyrrhonien (tel Montaigne au-dessus des factions) ou refuser desengager (tel lanarchisme passif de Brassens).

    Quant aux fantasmes du parler constructeur : dans son ascension versle pouvoir, larriviste est sur une trajectoire prcisment oriente qui fait de luiun meneur plutt quun suiveur. Il utilise le propager comme un moyen etnon une fin en soi, et le fera parfois sous-traiter plutt que dtre lui-mme untribun dmagogue. Il ne veut ratisser large ou cibler un public que pour soute-nir sa carrire personnelle.

    On voit ainsi sbaucher, dessine par lA.L.S., une complmentarit entreparlers, o le parler destructeur fait toutefois figure de loup dans la bergerie enraflant la mise par sa propagation rapide dans les rseaux.

    Peut-on, aprs ces exemples, aller plus loin dans la description de la prisedes propagandes sur les esprits ?

    6 - FANTASME, PARLER, IDOLOGIE

    Parler remplace ici Discours dans le titre de larticle, puisque cest prsent lA.L.S. qui inspire nos analyses, sans pompeuse thorie de lido-logie , mais par un faisceau de remarques tires de nos observations.

    Les dmagogues habiles peuvent susciter un cho dans le psychisme deleurs victimes, mais non crer ex nihilo ce qui va rpondre leur appel : lesvoies de la suggestibilit se doivent dtre dj prsentes dans le public, lesfantasmes parlent aux fantasmes .

    Comment passe-t-on des fantasmes aux parlers, et des parlers aux idolo-gies ? Cette question laisse de ct la propagande publicitaire qui, par la bri-vet habituelle de ses messages, ne peut voquer que peu de fantasmes lafois, ft-ce sur fond didologies prexistantes adaptes des segments demarch .

    Les parlers, dorigine inconsciente, regroupent les fantasmes en vertudune logique subjective que lA.L.S. sattache dcrire. Les idologies enrevanche, consciemment labores, fdrent les fantasmes :

    soit en privilgiant une des logiques subjectives, donc en juxtaposant desfantasmes allant dans la mme direction, avec des contenus surajouts varia-bles en quantit et en nature,

    soit en associant des fantasmes divers voire opposs dans une synthseinstable,

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  • soit en nouant la logique subjective des pans de logique cognitive quiagencent rationnellement des contenus prcis, do une allure pseudo-scientifique parfois difficile dmasquer.

    Ces combinaisons engendrent un ventail didologies, des plus irration-nelles aux plus scientifiques :

    1) Quand le propagandiste juxtapose des fantasmes coordonns par unedes logiques subjectives, le segment de march vis par son idologie tendalors se confondre avec un parler donn.

    Si la forme (le parler subjectif) prime sur un contenu cognitif pauvre etmonomaniaque, on a quelques niches de march 7 : groupuscules, sectes,originaux avec leurs dlires plusieurs .

    Si on remplit une forme subjective de contenus plus importants, etdivers voire opposs, on obtient des idologies diffrentes mais potentielle-ment interchangeables : le couple rejet de la diffrence/loge de la diff-rence [...] a un visage idologique dterminant (Taguieff). On a vu que cha-cune de ses formes htrophile et htrophobe, identifies deux de nos par-lers, peut se charger de ces contenus cognitivement opposs que sont racismeet antiracisme. Linfrastructure fantasmatique commune permettra des retournements de veste spontans ou provoqus par la propagande adverse.

    Ainsi la forme protestataire a pu aux yeux des politologues rendrecompte du passage de llectorat PCF au FN dans certaines lections munici-pales. Avant guerre, les transfuges furent nombreux de lextrme-gauche lextrme-droite (Dat, Doriot). Lallemand, plus explicite que le franais,nomme la forme extrmiste avant de la teinter de droite ou gauche :Rechtsradikale, Linksradikale. Hannah Arendt, bien quen partie contestable,montre la parent troite des totalitarismes stalinien et nazi. un degr deplus, lorsque la version maligne de notre parler changement/destruction lemporte, se justifie le commentaire de Serge Maury (Lvnement du Jeudi, La fascination du mal , 11 au 17 mai 1989) :

    Le mal brandit le drapeau de lordre ou celui du dsordre [...] de droiteau Brsil, de gauche au Prou... Il conquiert les croyances comme lesincroyances. [...] Linvocation dune Cause nest alors quun prtexte pour cesenfants perdus [...] prompts se glisser dans nimporte quel dguisement quileur permette de brandir un bien fallacieux pour assouvir impunment leur fas-cination pour le mal absolu .

    2) Une idologie peut fdrer des fantasmes divers, voire opposs.Juxtaposant des parlers issus de logiques subjectives parfois divergentes, cessynthses instables ont des destins divers.

    Pour ce qui est des consensus spontans, mais factices, sur le contenu, le

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    7 Un march de niche est un segment de march trs troit correspondant une clientleprcise, peu exploit et associ un service ou un produit trs spcialis.

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  • politologue les constate ( le discours antiraciste dominant est une formationde compromis (instable, voire explosive ) entre lantiracisme 1 et lantira-cisme 2 ), mais lA.L.S. va plus loin, qui prdit leur fragilit en lexpliquant :

    Certains signifiants complexes, contenant des traits des deux sries A et B,verront leurs sens dtermins par le contexte. NATURE peut sassocier verdure, espace, vasion, grand air, tat sauvage, donc tre rattach la srieA : se perdre dans la nature , ou inversement lide dune mre nature,ternelle, antrieure lhomme, sanctuaire protger, norme biologique respecter. Il est alors dans la srie B : murs contre nature , mre dna-ture .

    Les militants (ici cologistes) soucieux dunion retraduiront chacun dansleur parler respectif les mots de lautre, mais une circonstance extrieurepourra causer un divorce momentan ou dfinitif suivi de recompositions irrationnelles mais logiques. Alain Duhamel (Le Point du 13 juin 1992)crit dans son ditorial Les Anciens et les Modernes ( instinct se lirabien sr ici subjectivit inconsciente ) :

    La question europenne a toujours bouscul les clivages partisans,enjamb les frontires politiques, [...] scind les formations les plus unies. [...]Ce sont donc deux coalitions, apparemment des plus htroclites, qui saffron-tent propos du trait de Maastricht. [...] y regarder de plus prs, onconstate pourtant que ces deux blocs baroques, que ces deux ligues insolitestraduisent deux logiques trs profondes [...]. Et si la composition du cartel des oui et du cartel des non dmontrait avant tout la primaut des tempra-ments sur les idologies, des caractres sur les clivages ? Et si le lien secretentre partisans et adversaires du trait de Maastricht ntait que le dernier ava-tar de lternelle querelle entre les Anciens et les Modernes? Tout oppose[entre eux les anti-Maastricht]. Tout, sauf [...] un attachement presque charnel des valeurs, des racines, des mmoires, des identits certes fort diff-rentes les unes des autres et un refus instinctif de la nouveaut, du change-ment, des solidarits neuves [...]. Conservateurs de tous les partis, unissez-vous ! [point de vue introverti]. Symtriquement, ce qui rapproche les baronsbigarrs du cartel des oui , [...] cest, au bout du compte, un instinct demodernit, lintuition dun moment historique, un rflexe desprance quibalaie rticences et rserves. [point de vue extraverti] .

    Lorsque cest le propagandiste qui, ratissant large , cherche fdrerdes fantasmes divers, issus de logiques subjectives divergentes, il peut recou-rir lhomonymie (comme pour nature ci-dessus), ou loxymore (exem-ples prcits du changement dans la continuit ou de la force tranquille).

    Une fois parvenus au pouvoir, en rgime dmocratique, les arrivistes ras-sembleurs navigueront vue pour viter de mcontenter les uns ou lesautres, sans plus chercher la cohsion de llectorat. Si en revanche la struc-ture de pouvoir est autoritaire, cest le recours au couple Idal du moi/Surmoi

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  • qui prviendra par lUnion Sacre linstabilit communautaire. Lglise a sufaire coexister ses introvertis ritualistes (grenouilles de bnitiers etpunaises de sacristie) avec ses dbordants extravertis (fous de Dieu etillumins). La Rvolution franaise, en guerre contre lEurope royaliste, acompens par le patriotisme linstabilit du slogan libert, galit, frater-nit, qui a survcu la Terreur totalitaire grce limplantation des institu-tions dmocratiques. Mais hormis lhomonyme rassembleur fraternit (est-elle communautaire? universelle?) la tension et loscillation sont toujoursdactualit entre lgalitarisme peru comme liberticide et la dfense desliberts perue comme ingalitaire.

    Une solution bien plus tragique, lorsque le leader est le jouet de sa subjec-tivit destructrice, consiste, par une propagande rptant inlassablement uncredo intangible, souder la communaut dans la fuite en avant et le passage lacte, pour atteindre un point de non-retour o seules les victoires ext-rieures et la terreur interne couple Idal du moi/Surmoi pass dans le relcontiendront les divergences entre logiques subjectives contradictoires.

    3) Il est enfin des idologies qui entrelacent des contenus rsultant dedmarches scientifiques, et des configurations fantasmatiques, crant des chi-mres rationalisantes auroles du prestige de la science.

    Bien sr, le national-socialisme, avec sa pseudo-science raciale, tissu desophismes vise criminelle, nest pas ici dsign. Mais le marxisme, mat-rialisme dialectique qui se rclamait du matrialisme scientifique, a associ,de faon difficile dmler, une dmarche mthodique dont les fruits (LeCapital) peuvent tre partiellement reconnus par les conomistes, avec les-poir messianique de lendemains qui chantent, dune Socit sans classes, delHomme total. Son esprit a rgn sur les sciences de lhomme et de la socitpendant plusieurs dcennies. Le paradigme dialectique est toujours cit parJacques Herman (Les langages de la sociologie, livre pertinent pour toutes lessciences humaines) ct des paradigmes positiviste, comprhensif, fonctio-naliste, structuraliste, et praxologique. Symtriquement droite, des hrautsde lidologie librale nont-ils pas reu la caution du Nobel ?

    Indpendamment des postulats quelle se donne pour avancer, la scienceengendre elle-mme ses idologies, propagande heureusement limite : cesont les paradigmes prcits, plus le rationalisme et lempirisme, ds quilssrigent en idal, nourris par des fantasmes que le scientifique veut ignorervoire forclore. Ceci nous conduit naturellement poser avec Karl Popper laquestion des savoirs dogmatiques, sans souscrire chacune des rponses quily apporte. Puisquil met sur le mme plan le marxisme et la psychanalyse,gnrateurs selon lui de propositions infalsifiables, la psychanalyse nest-elle,comme laffirment ses dtracteurs, quune simple idologie disposant de sespropres moyens de propagande ?

    Notre longue pratique danalyste nous fait dissocier lauthenticit et les

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  • rsultats incontestables de la psychanalyse comme exprience, de la questionde sa transmission, que nous abordons prsent.

    7 - TRANSMETTRE SANS PROPAGANDE DANS LE CHAMP DE LAPSYCHANALYSE

    Comme on peut le constater en parcourant la littrature analytique, cetteventualit nest souvent quun vu pieux. Un simple syllogisme suffit enrendre compte.

    Toute demande danalyse, surtout celle qui est porteuse du dsir de deve-nir analyste, mane dune structure nvrotique, mme sans symptmes sura-jouts : les sujets pervers, psychotiques ou sains nont en principe pas dedemande danalyse. Comme dautre part il nexiste pas danalyse termine,puisque le cours en est asymptotique, il est logique de sattendre trouverchez tout analyste des restes inanalyss de sa structure premire. Ainsi lesvoies inconscientes dcrites plus haut comme permettant la diffusion de toutepropagande subsistent-elles en partie dans la communaut analytique.

    Si la psychanalyse sest constitue en tournant le dos lhypnose, et sur leprincipe de la dissolution du transfert, qui pourrait prtendre que tout phno-mne de suggestion et de dpendance transfrentielle un ou des matres aitdisparu de ses institutions et modes de transmission ?

    La structure qui permet ces phnomnes, faute dtre suffisamment rep-re et analyse, peut autoriser lapparition dune propagande horizontale ausein des socits danalystes, et dune propagande verticale dans le npotismeanalytique.

    Il nous souvient, quant ce dernier considr comme propagande de proxi-mit, de plusieurs exemples danalystes en vue autorisant leurs analysantsaprs des analyses bien trop brves, puis maintenant avec eux une relationnourricire (en les pourvoyant de clients lors de leur installation) et fonde surle maintien du transfert (en les incluant demble dans leurs sminaires). Ilssen font ainsi une cour inconditionnellement dvoue, comme celles queRgis Debray dcrit en sciences humaines dans son article Savants contre doc-teurs (Le Monde, 18 mars 1997, pages 1 et 17).

    La propagande horizontale relative la transmission du savoir au sein dessocits danalystes tient, entre autres, au transfert des ouailles la parole ouaux textes dauteurs prestigieux le plus souvent dcds, certes porteurs din-novations thoriques, mais parfois lus, nonns et cits sans le moindre espritcritique, donc sous lempire de largument dautorit.

    J.-C. Milner (Luvre claire) : Longtemps on a suppos ncessaire latransmission du savoir, ou du moins sa transmission intgrale, linterventiondun sujet insubstituable ce quon appelle un matre, dispensant ses disciples

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  • par sa Parole [...] et sa Prsence [...] le plus-de-savoir. Sans ce plus-de-savoir,quon appelle sagesse et qui doit inspirer une forme damour, et sans le matrequi en est le support, nulle transmission ne saurait saccomplir intgralement.[...] Chez Lacan, la doctrine du mathme sarticule [...] une doctrine du matrecomme pure dtermination positionnelle [...]; elle est expose dans la thorie desquatre discours. Mais [...] labsence de toute figure antique du matre tait djimplicite dans le retour Freud [...]. Puisque Freud nest pas un matre(quoiquil en occupe la position), la participation sa Prsence et sa Parole neconstitue pas un titre. [...] Lacan, qui na jamais rencontr Freud, peut lempor-ter sur Marie Bonaparte, qui le frquentait. Quand, sous la forme du mathme,la lettre est devenue ncessaire et suffisante la transmission, il nest plus decouple matre-disciple, avec son cortge de fidlits et de trahisons. (cestermes, introduisant une dimension politique, sont souligns par nous).

    Si un certain effet yau-de-pole semble pass de mode, le collage jar-gonnant dexpressions tires duvres matresses tient souvent encore lieu dethorie. Or tout ce qui sort de la bouche dun analyste ne saurait de ce fait tretenu pour du discours analytique... La littrature analytique fourmille deconceptualisations suspectes, qui prennent parfois pour alibi la structure defiction de la vrit : Sur son terrain, [la psychanalyse] se distingue par cetextraordinaire pouvoir derrance et de confusion, qui fait de sa littraturequelque chose auquel je vous assure quil faudra bien peu de recul pour quonla fasse rentrer, tout entire, dans la rubrique de ce quon appelle les fous lit-traires. (Lacan, Sminaire, Livre XI).

    LA.L.S. a son rle jouer dans le tri ncessaire effectuer, dans cette jun-gle de productions analytiques , entre les fausses pistes (banalement fantas-matiques) et les hypothses potentiellement intressantes, quil faudra encore,pour les rfuter ou les corroborer, confronter la clinique. Contribuant construire une dfinition apophatique du discours psychanalytique8 (attribut,selon Larousse, dune thologie qui approche de la connaissance de Dieu enpartant de ce quil nest pas plutt que de ce quil est ), elle propose de carac-triser ce discours en procdant par limination, de dire ce quil nest srementpas, mesure quun savoir guid par lexigence dune analyse littrale identifieles diffrents fantasmes dans ce qui se donne lire ou entendre. Affaiblir au pas-sage linfluence anachronique de largument dautorit nest pas ngliger silon souhaite aller vers une transmission sans propagande en psychanalyse.

    Quant la propagande verticale, cest la pratique de lanalyse elle-mmequi doit en constituer la meilleure prvention, en dfaisant chez lanalysant lesvoies de la suggestibilit. Car lanalyse, loin de se borner la disparition dessymptmes individuels , a pour vocation de dconstruire la structure iden-

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    8. De mme quil nous semble pertinent, condition davoir au pralable dfini fantasme,de proposer une dfinition rcursive de lanalyse comme pratique : lanalyse, cest lanalyse desfantasmes sur lanalyse...

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  • tificatoire qui les engendre : Toute analyse que lon doctrine comme devantse terminer par lidentification lanalyste rvle, du mme coup, que sonvritable moteur est lid. Il y a un au-del cette identification, et cet au-delest dfini par le rapport et la distance de lobjet a au grand I idalisant delidentification. (Lacan, ibidem).

    Lintrt de cet apport de Lacan sur la dissolution du transfert indivi-duel , la fin du Sminaire XI, est quil se rfre directement un schma deFreud dans Psychologie collective et analyse du Moi, schma qui sapplique la fascination collective utilise par une machine de propagande tragique-ment efficace :

    Il y a une diffrence essentielle entre lobjet dfini comme narcissique, lei(a), et la fonction du a. Les choses en sont au point que la seule vue du schmaque Freud donne de lhypnose, donne du mme coup la formule de la fascina-tion collective, qui tait une ralit ascendante lheure o il crivit cet arti-cle. [...] Freud donne son statut lhypnose en superposant la mme placelobjet a comme tel et ce reprage signifiant qui sappelle lidal du moi [dsi-gn par I]. (Lacan, ibidem, soulign par nous).

    Lanalyse, au rebours de lhypnose, va dfaire chez l individu le ressortde cette fascination collective , car si chaque membre dune foule renonce son propre idal du moi et le transfre sur le leader, ici lidal du moi delanalysant dans le transfert sincarne dans lanalyste : Or, qui ne sait quecest en se distinguant de lhypnose que lanalyse sest institue ? Car le res-sort fondamental de lopration analytique, cest le maintien de la distanceentre le I et le a. [...] Le dsir de lanalyste, par cette voie [linterprtation]isole le a, il le met la plus grande distance possible du I que lui, lanalyste,est appel par le sujet incarner. Cest de cette idalisation que lanalyste a dchoir pour tre le support de la sparateur [...]. (Lacan, ibidem).

    La facticit plus haut entraperue de lopposition individuel/collectif seradveloppe dans notre conclusion.

    Le transfert se dfinissant comme temps de fermeture li la tromperiede lamour , lanalyse, en ralisant sa dissolution, fait dcrotre lidalisationamoureuse et lintensit de la demande damour que la propagande dtourneen prtendant la combler. Fidle ltymologie, elle dlie, dfait les liens, ds-imaginarise car il y a du semblable, o sinstitue tout ce qui fait lien : cestlimaginaire. (J.-C. Milner, Les noms indistincts). L o lidentification sub-jective reposait sur la connexion signifiant-affect, lanalyse dconnecte laf-fect du signifiant (ainsi quand disparat une phobie), dsamorant la prise des sirnes de laffectivit . Elle donne de lautonomie au dsir qui, chez lenvros, stait riv des objets anachroniques dont la propagande excelle faire miroiter les substituts. Dernire dpendance destine dfaire les prc-dentes par la dissolution du transfert, lanalyse apporte la contre-addiction, etrelance lesprit critique. Mais lautonomie quelle confre nest pas la

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  • Libert , phare idologique pour phalnes qui sy brlent : elle nest que lepassage dun dterminisme familial prim et aveugle aux dterminationsactuelles, plus riches de possibilits, que rgit un rel rendu plus supportable.

    8 - PRVENIR LA PROPAGANDE ? LA MTAPHORE DU CYCLE DELEAU

    Transformer la structure individuelle se rpercute sur le collectif ,offrant un espoir de prvention l o choue la rationalit ducative ou argu-mentative. Pour lillustrer avant de conclure, nous recourrons la mtaphoredu cycle de leau , mtaphore file sous-tendue par un proverbe, et quirejoint lallgorie :

    De locan des paroles, du collectif , du dpersonnel (J.-C. Milner), dugrand Autre dirait Lacan, mane une vapeur deau qui se condense en nuages.Ce sont les paroles des adultes vivants puis morts lorsquelles se dtachent deleurs metteurs pour sinscrire dans des supports-mmoire permettant leurrptition : mmoire des hommes, livres, supports magntiques ou optiques...

    Plus tard, ces nuages prcipiteront en une pluie qui forme, du fait du hasard(tuch) du relief local, de petits ruisseaux singuliers: contingence de tellefamille particulire o survient la naissance dun enfant. Ce qui est singulierici cest la combinaison que vhicule chaque ruisseau, non les lmentsrecombins. Linconscient qui littralement prend (un) corps , cest alorslimpersonnel singulier, linsu portable... Ces petits ruisseaux, mus par larptition (automaton), dont lanalogue serait ici le courant caus par la pente,mettent en commun leur contenu liquide pour faire les grandes rivires, rp-titives elles aussi.

    Or tous les fleuves vont la mer. Leau runie de ces rivires retourne locan des paroles, linconscient collecteur , qui, loin dtre collectif ethomogne, montre lhtrognit de ses diffrents courants chauds, tides oufroids (les parlers de notre A. L. S.) : sorte dauberge espagnole o chacuntrouve ce quil apporte, se renforce avec ses semblables dans son courant iden-tificatoire, entretenant durablement les dialogues de sourds. De cet ocan ma-neront la vapeur et les nuages do natra la prochaine gnration.

    La consquence de ce parcours cyclique est que tout linanalys indivi-duel (singulier) model par le caprice des valles fait retour dans locancomme malaise collectif (gnral)9 :

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    9 Sur la substitution du couple singulier/universel au couple individuel/collectif, marqu delImaginaire des touts, lire : Pinto, J.-J. & Pons, E.; (1981), Groupe, individu, sujet,Psychodrame, n62, pp.35-44.

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  • Comme les petits ruisseaux font les grandes rivires, les petits malheurs font le grand malaise

    linverse, la rsolution des petits malheurs, non par lexpdient com-mode de thrapies ne visant que le symptme, mais par la dconstructionpousse le plus loin possible de la suggestibilit, de lidalisation, de lademande damour avec la dpendance quelle entrane, laisse entrevoir unesolution, certes lente mais du moins peu rversible, au grand malaise que lespropagandistes de tous horizons, manipuls par leur inconscient, se feronttoujours un devoir dexploiter pour une finalit qui les dpasse.

    Jean-Jacques PINTOPsychanalyste et charg de cours lUniversit de Provence

    30, rue Espariat13100 Aix-en-Provence

    [email protected]

    BIBLIOGRAPHIE

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    [Lien direct vers larchive : http ://www.revue-texto.net/1996-2007/marges/marges/Documents%20Site%206/doc0217_pinto_jj/0217_pinto_jj.pdf]

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    Dcouverte.

    Jean-Jacques Pinto Fantasme, Discours Idologie dune transmission qui ne seraitpas propagande

    Rsum :La propagande se rencontre partout, pas seulement en publicit ou en poli-tique. Avant dtre verticale et adresse aux lointains inconnus, elle est horizontale etsadresse aux connaissances proches. Cest quelle repose en fait sur une structure psy-chique apte la recevoir et la rpercuter, structure qui rsulte de lidentification subjec-tive, inconsciente donc non modifiable par la cognition, largumentation, la raison. Pluttque par Pavlov, la forme et le contenu de la propagande sexpliquent par la subjectivitinconsciente. Celle-ci se laisse dcrire dans le champ social par notre Analyse desLogiques Subjectives (hritire critique de la thorie des Quatre Discours de Lacan,insuffisante maints gards). Nous passerons de lanalyse des facettes du fantasme depropager (par le dtail des expressions qui en constituent les ralisations) la descrip-tion des rapports entre Fantasme, Discours et Idologie : comment les habiles suscitent uncho dans le psychisme de leurs victimes en fdrant des fantasmes divers voire oppo-ss dans une synthse instable, mais que sa patiente rptition a pour effet de maintenir.En psychanalyse, transmettre sans propagande est non seulement possible mais souhaita-ble : horizontalement chez les analystes, condition dy djouer largument dautorit, etverticalement dans chaque analyse, en dfaisant chez lanalysant les rseaux de suggesti-bilit. Car la psychanalyse, loin de se borner la simple disparition des symptmes indi-viduels, a pour vocati