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FAUX dans les TITRES: art. 251-257 + 317-318 CPS · 317-318 CPS n’attendent pas de réalisation concrète d’un dommage; ... • et des titres par l’effet de la pratique et des

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FAUX dans les TITRES:

art. 251-257 + 317-318 CPS

Notes de cours du Prof. Nicolas QUELOZ (Mars 2006)

1. Bien juridique en jeu

= bien juridique collectif

= intérêt public ou général

= fiabilité des titres et sécurité (juridique et économique) qu’ils représentent ou garantissent

= confiance du public (‘publica fides’) dans les titres, aussi bien dans leur ‘pureté’ ou authenticité (= forme: ‘Echtheit’) que dans leur véracité ou vérité substantielle (= fond: ‘Wahrheit’)

= bien juridique immatériel, que le droit pénal protège contre des comportements de mise en danger abstrait: les art. 251 ss et 317-318 CPS n’attendent pas de réalisation concrète d’un dommage; ce ne sont pas des infractions de lésion mais des infractions formelles ou de pure activité.

2. Définitions

• cf. 110 ch. 5 CPS: ‘titres’ et ‘titres authentiques’

Ad ‘titre authentique’ cf. 110 ch. 4 CPS: ‘fonctionnaire’ ou agent public (= art. 317 CPS cf. aussi 322octies ch. 3 CPS; cf. aussi agent d’investigation secrète officielle: 317bis CPS)

// Constitue ainsi un titre:

a) tout écrit (ou copie1 ou fax2 selon le TF) destiné (dès sa création) et propre à prouver un fait ayant une une portée juridique (moyen de preuve);

1 ATF 114 IV 26 2 ATF 120 IV 179

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b) tout signe (ex: sceau, étiquette3, code-barre) destiné à le prouver (moyen de preuve);

c) toute donnée mémorisée et invisible (‘puce’, document ou image électronique, etc.) destinée à le prouver (moyen de preuve).

Il existe:

• des titres légaux ou par l’effet de la loi, comme p. ex. les registres publics (d’état civil, du commerce, registre foncier, etc.), la comptabilité commerciale (requise par les art. 957 ss CO), les certificats médicaux (318 CPS), etc.

• et des titres par l’effet de la pratique et des usages commerciaux, comme p. ex. la comptabilité commerciale non exigée par le CO4, les récépissés postaux acquittés, la note d’honoraires d’un avocat ou d’un médecin lorsqu’elle est destinée non seulement au client (mandant) mais aussi à des tiers (ex: cie d’assurances ou autre partie); mais attention: toute facture ne constitue pas forcément un titre: cf. ci-dessous le point 4.

3. Comportements incriminés

A. Aux art. 251 et 317 CPS, constitue l’infraction de faux dans les titres, le fait de chercher à tromper autrui:

1) sur la personne ou l’organisation qui émet le titre, donc sur l’authenticité du titre

2) ou sur le contenu du titre, donc sur sa véracité.

- Dans le premier cas, on parle alors de faux matériel ou technique (unechte Urkunde), par lequel l’auteur cherche à tromper les tiers sur l’identité exacte de son émetteur ou, de façon générale, sur des aspects de l’authenticité même du titre;

3 ATF 119 IV 294 4 La comptabilité commerciale a le caractère d’un titre même en l’absence d’obligation

légale de tenir une comptabilité: ATF 129 IV 130.

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- dans le second cas, on parle de faux intellectuel ou substantiel (unwahre Urkunde ou falsche Beurkundung), par lequel l’auteur cherche à tromper les tiers sur le contenu ou la véracité du titre, c’est-à-dire sur un fait ayant une portée juridique et dont le support a une valeur probante particulière ou offre aux tiers une garantie objective d’exactitude (= mensonge écrit qualifié, interprété restrictivement par la jurisprudence: cf. ATF 121 IV 131; ATF 123 IV 61, JT 1999 IV 3; ATF 125 IV 273).

N.B. Cette notion de faux intellectuel, d’inspiration française, est expressément incriminée par les art. 251 et 317 CPS ch. 1 al. 2: = actes de constatation fausse dans un titre; elle est donc défendue à juste titre (!) par le TF, même si elle est vivement critiquée (à tort) par la doctrine alémanique en particulier (le droit allemand, dont celle-ci s’inspire, ne connaissant pas la notion de faux intellectuel…).

Les comportements incriminés par les art. 251 et 317 CPS sont donc:

1. créer un titre faux

2. falsifier un titre (ou un certificat: 252 CPS)

3. abuser de la signature ... d’autrui5 ...

4. constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique6

5. ou faire constater ...

6. faire usage d’un titre faux (ou d’un certificat: 252 CPS): comportement sanctionné seulement si l’auteur n’a pas déjà réalisé l’un des actes précédents, car ceux-ci absorbent une utilisation subséquente du faux.

N.B. 1., 2. et 3. constituent des faux matériels

4. et 5. des faux intellectuels

et 6. l’infraction d’usage de faux. 5 Ou imiter la signature d’autrui, sans son accord: ATF 128 IV 265. 6 P. ex., le fait d’antidater une pièce comptable constitue un faux intellectuel dans un titre

(la comptabilité commerciale) si cela fausse l’image de cette dernière: ATF 129 IV 130.

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B. Autres comportements incriminés:

Art. 253 CPS: induire en erreur un agent public et l’amener à ce qu’il constate faussement dans un titre authentique un fait ayant une portée juridique (ex: faire inscrire, par un notaire, un prix de vente inférieur à ce que les parties ont réellement convenu = pratique dite des ‘dessous-de-table’)

Art. 254 CPS: suppression de titre.

4. Auteurs potentiels de faux dans les titres

1) Principe:

- Art. 251 et 252 CPS: infractions ordinaires où l’auteur peut être quiconque.

- Art. 317 et 318: infractions objectivement spéciales où les auteurs occupent une position de garant.

2) Cas particuliers de l’auteur d’un faux intellectuel de l’art. 251 ch. 1 al. 2 CPS:

- s’il s’agit d’un faux portant sur le contenu d’un titre légal, l’auteur peut toujours être quiconque;

- en revanche, s’il s’agit d’un faux portant sur le contenu d’un titre selon les usages commerciaux, l’auteur doit être, dit le TF, un garant (ex: architecte, avocat, médecin) ou un ‘quasi garant’ (ex: le grossiste en viande qui doit apposer une étiquette sur la marchandise pour en signaler la nature ou la provenance). Ce n’est donc pas quiconque. Sur ce point, il n’y a pas de controverse.

Le problème toutefois est que le TF (avec la doctrine alémanique) défend ici une conception très classique (voire ‘classiste’) de la notion de ‘garants’: ce sont, selon lui, des personnes particulièrement fiables et appartenant à des ‘professions dignes de foi’… (ATF 119 IV 54)

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Ainsi, selon cette conception étroite, la falsification du contenu d’une facture ne constituera pas toujours un faux intellectuel: si l’auteur est un architecte ou un avocat, oui dira le TF; mais s’il s’agit d’un garagiste, d’un plombier ou d’un vitrier, non !

Cette jurisprudence et cette conception étroites sont justement critiquées, notamment pour l’insécurité juridique qu’elles laissent planer. Le juge fédéral CORBOZ (cf. Les infractions en droit suisse, vol. II, 2002, pp. 179 ss) défend la position judicieuse suivante (mais minoritaire au sein du TF): il faudrait considérer comme garant, toute personne investie d’une mission de confiance, impliquant pour elle à la fois:

• un devoir de vérification des faits qu’elle certifie

• et un devoir d’information de tiers, voire du public, d’où une obligation d’objectivité et de vérité, non seulement dans un rapport contractuel bilatéral (p. ex. entre le carrossier et son client), mais aussi dans une relation tri- voire plurilatérale (la facture du carrossier devant aussi servir à renseigner une compagnie d’assurance, voire le fisc par exemple). Ainsi, selon cette position, la falsification du contenu d’une facture par un auteur qui a notamment ce devoir d’information de tiers (autres que son client immédiat) constituerait toujours un faux intellectuel dans les titres selon les usages commerciaux. Malheureusement, le TF ne s’est pas (encore ?) laissé convaincre par cette conception, à nos yeux bien plus pertinente et conforme à la réalité quotidienne des affaires.

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5. Eléments subjectifs

1) Infractions intentionnelles, où l’auteur a:

- la conscience de la notion de titre et de sa force probante et, ad 317 et 318 CPS, de sa qualité et de ses devoirs;

- et la volonté à la fois d’altérer la pureté ou la véracité du titre et de tromper autrui (ou au moins d’en accepter l’idée).

2) Infractions subjectivement spéciales:

- aux art. 251, 254 et 256 CPS, l’auteur est animé du dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui et/ou de procurer (à lui-même ou à un tiers) un avantage illicite;

- à l’art. 252 CPS, l’auteur a seulement le dessein d’améliorer sa situation ou celle d’autrui; s’il vise également, en réalisant un faux dans les certificats, à réaliser l’un des desseins spécifiques de l’art. 251 CPS, alors cette norme l’emportera (251 > 252 CPS).

3) La négligence est incriminée aux art. 317 ch. 2 et 318 ch. 2 CPS (mais pas aux art. 251 ss CPS).

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6. Questions de concours

L’infraction de faux dans les titres est très souvent mêlée à divers actes de criminalité économique (comme moyen de tromperie préalable, ou de dissimulation ultérieure); il faut alors analyser, de cas en cas, les situations de concours:

1) Parfait et réel, notamment:

- entre 251 et 146 CPS (cf. ATF 120 IV 122 / JT 1996 IV 98; ATF 129 IV 53) ou entre 251 et 138 ou 158 CPS ;

- 251 et 253 CPS (cf. ATF 123 IV 132: procès-verbal inexact d’une assemblée générale d’une SA pour requérir ensuite l’inscription au registre du commerce des décisions certifiées dans ce procès-verbal) ;

- en cas de faux dans les titres réalisé par un agent public sous l’effet de la corruption, l’art. 317 ch. 1 CPS s’appliquera en concours avec l’art. 322quater CPS, puisqu’il y a tout à la fois atteinte à l’objectivité et impartialité de l’activité étatique (corruption) et violation de devoirs de fonction, par la mise en danger de la confiance que le public peut avoir dans les titres, qui plus est authentiques.

2) Imparfait, pas de concours:

- au sein des art. 251, 252 et 253 CPS: entre le faux ou l’obtention frauduleuse d’une constatation fausse et l’usage de ce faux ;

- 251 > 252 CPS: l’art. 251 prime (par aggravation) chaque fois que l’auteur ne cherchait pas seulement à ‘améliorer sa situation ou celle d’autrui’ (art. 252 CPS), mais avait le ‘dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite’ (art. 251 CPS). En outre, le faux intellectuel (consistant à constater ou faire constater faussement dans un certificat

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un fait ayant une portée juridique) est toujours constitutif du faux sanctionné par l’art. 251 ch. 1 al. 2 CPS ;

- 251/252 < 317/318 CPS (rapport de spécialité) ;

- 317 (devoirs de fonction) et 318 (devoirs de profession) ;

- droit fiscal (cantonal et fédéral) et art. 251 CPS: selon une jurisprudence constante (et fort laxiste !), celui qui falsifie un titre pour se soustraire à des obligations fiscales ne sera assujetti qu’aux dispositions pénales de droit fiscal (p. ex.: art. 175 et 186 LIFD7) si son intention est ‘seulement’ de tromper le fisc…

Toutefois, si le faux est aussi établi par l’auteur dans l’intention (au moins à titre de dol éventuel) de tromper une tierce partie (p. ex. des actionnaires ou des investisseurs), avec le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires de celle-ci et/ou de se procurer un avantage illicite (dol qualifié de l’art. 251 CPS), alors un concours idéal est admis: cf. ATF 126 IV 65 (art. 175 LIFD et 251 CPS) ;

- la même jurisprudence vaut dans le domaine des permis de séjour: cf. ATF 117 IV 170 (concours idéal entre les art. 23 LSEE8 et 251 CPS seulement s’il existe le dol qualifié de l’art. 251 CPS).

7 LIFD: loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (du 14.12.1990), RS 642.11 8 LFSEE: loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers (du 26.03.1931), RS

142.20

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C A S à analyser pour vendredi 7.04.2006:

Marcel H., haut fonctionnaire de l’administration fédérale, a reçu pendant plusieurs années des cadeaux en argent en récompense de permis de séjour qu’il établissait trop généreusement en faveur de jeunes ‘danseuses de cabaret’ provenant notamment de Thaïlande et de Russie (femmes qui étaient ensuite livrées à la prostitution).

Avec cet argent, Marcel H. a acheté des oeuvres d’art et des pièces de collection dont il était un grand amateur.

Questions:

1) Qui est compétent pour a) poursuivre et pour b) juger cette affaire ?

2) Quels sont les divers biens juridiques en jeu ?

3) Quelles sont les principales infractions en cause ?

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7. Condamnations pour infractions au Code pénal

CPS Faux dans les titres 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 251 Faux dans les titres 1342 1354 1416 1238 1326 1237 1274 1165 1269 1373 252 Faux dans les certificats 1003 999 910 835 836 970 818 757 777 747 253 Obtention frauduleuse d'une

constatation fausse 102 158 277 203 215 142 96 115 95 89

254 Suppression de titres 39 35 38 44 48 37 32 22 42 26 255 Titres étrangers 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 256 Déplacement de bornes 0 0 0 0 2 1 0 0 0 1 257 Déplacement de signaux

trigonométriques ou limnimétriques

0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

317 Faux dans les titres commis

dans l'exercice de fonctions publiques

21 15 32 20 38 22 33 19 18 25

318 Faux certificat médical 0 0 1 3 2 0 0 3 0 3

© Office fédéral de la statistique, Neuchâtel / Etat de la banque de données au 10.08.2005