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Louis Joseph Vance
FAUX VISAGES
Les Aventures du
Loup solitaire
(épisode 2)
traduction :
Richard de Clerval
1929
bibliothèque numérique romande
ebooks-bnr.com
https://ebooks-bnr.com/
Table des matières
I SORTI DU « NO MAN’S LAND » ......................................... 4
II D’UN PORT BRITANNIQUE ............................................. 20
III DANS LA ZONE INTERDITE .......................................... 35
IV EN EAUX PROFONDES ................................................... 50
V SUR LES BANCS DE TERRE-NEUVE ............................... 60
VI SOUPÇONNÉ ................................................................... 77
VII DANS LA CABINE 29 ..................................................... 93
VIII AU LARGE DE NANTUCKET ..................................... 102
IX SOUS LES EAUX ............................................................ 113
X À LA BASE ....................................................................... 129
XI SOUS LA ROSE .............................................................. 144
XII RÉSURRECTION .......................................................... 156
XIII RÉINCARNATION ....................................................... 173
XIV DIFFAMATION ........................................................... 186
XV RECONNU ..................................................................... 204
XVI « AU PRINTEMPS » .................................................... 217
XVII FINESSE ..................................................................... 235
XVIII DANSE MACABRE .................................................... 250
XIX FORCE MAJEURE ....................................................... 265
XX RIPOSTE ....................................................................... 272
XXI PROBLÈME.................................................................. 296
XXII CHICANE ................................................................... 314
– 3 –
XXIII AMNISTIE ................................................................. 329
Ce livre numérique .............................................................. 338
– 4 –
I
SORTI DU « NO MAN’S LAND »
Sur le bord vaseux d’une petite mare, l’homme restait à
plat ventre, sans bouger, sans plus bouger que ces pauvres
morts dont les cadavres mutilés gisaient tout autour de lui, là
où ils étaient tombés, depuis des mois ou des jours, des
heures ou des semaines, au cours de ces luttes acharnées
que les fantassins étaient absurdement forcés d’engager pour
quelques misérables mètres de terrain contesté.
Seul de tout cet effroyable entourage, cet homme-là vi-
vait et, bien qu’il souffrît les maux de la faim, du froid et de
ses vêtements trempés, il était sans blessure.
Depuis qu’à la tombée de la nuit une vive escarmouche
lui avait permis de s’échapper, sans être vu, à travers les
lignes allemandes, il était resté à l’air libre, tour à tour ram-
pant vers les tranchées britanniques, sous le couvert de
l’obscurité, ou s’arrêtant dans une immobilité de mort,
comme à présent, lorsque les fusées et les bombes éclai-
rantes flamboyaient là-haut, incendiant la nuit de clarté impi-
toyable et montrant dans le moindre détail cette zone de ter-
rain de deux cents mètres, jonchée d’indescriptibles abomi-
nations, qui séparait les combattants. Quand cela se produi-
– 5 –
sait, le vivant n’avait d’autre ressource que de faire le mort,
de crainte qu’un mouvement, aperçu par les yeux qui guet-
taient sans trêve aux créneaux des parapets de sacs à terre,
ne lui attirât une balle.
Il était à présent minuit, et les lumières flamboyaient
moins fréquemment, tout comme la fusillade se raréfiait…
comme si l’abondance de la pluie eût abattu la haine dans le
cœur des hommes.
Car il pleuvait dru – une averse monotone et obstinée
qui cinglait dans un air lourd dont l’énervement pesait
comme l’oppression d’un cauchemar ; son crépitement con-
tinuel noyait presque le fracas lointain des mitrailleuses vers
le nord, dominait même le sourd roulement de la canonnade
quelque part là-bas, derrière l’horizon, tendait un immense
rideau de lances reluisantes et serrées entre les tranchées et
sur toute cette terre désolée. Il pleuvait ainsi depuis midi, et
rien ne laissait prévoir que cela dût s’arrêter jamais…
La fusée lumineuse dont la clarté l’avait cloué auprès de
la mare, pâlit et s’éteignit en retombant, et, plusieurs mi-
nutes, l’obscurité régna, tandis que l’homme rampait à
quatre pattes vers cette brèche qu’il avait remarquée avant la
chute du jour dans le réseau des barbelés britanniques. Une
fois seulement son avance fut interrompue, quand ses sens
aux aguets lui apprirent qu’une patrouille britannique profi-
tait de la fausse trêve pour pousser une reconnaissance vers
l’ennemi ; elle trahissait son approche par les chuintements
de pas furtifs dans la terre boueuse, par un juron contenu
lorsqu’un homme glissait et manquait de tomber, et par le
« chut ! » impérieux d’un officier réprimandant le maladroit.
À l’instant, celui qui rampait se laissa tomber à plat dans la
boue et resta immobile.
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Presque au même instant, à la vue d’une longue traînée
d’étincelles s’élevant en parabole des tranchées allemandes,
les soldats imitaient son geste, et, aussi longtemps que cette
triple étoile se refléta dans la vase, ils restèrent pareils à lui
et aux morts indifférents. Il y en avait deux si près de lui que
l’homme les aurait touchés en allongeant le bras, ce qu’il se
garda bien de faire, et il eut soin de serrer les dents pour les
empêcher de claquer et de retenir sa respiration. Et, les lu-
mières éteintes, il n’osa bouger que quand la patrouille se fut
relevée et éloignée.
Après quoi ses mouvements furent moins furtifs ; ayant
un détachement des leurs sur le No man’s Land, les Britan-
niques n’iraient pas tirer sur des ombres. On n’avait plus à
craindre que les balles des Allemands s’ils venaient à décou-
vrir la patrouille.
Se relevant, l’homme s’avança en une attitude fléchie,
prêt à s’aplatir à la première alerte de nouvelle fusée. Mais
cette nécessité lui fut épargnée, et avant qu’on lançât
d’autres engins éclairants, il s’était glissé à tâtons entre les
barbelés. Une heureuse chance le mena à l’endroit même du
parapet par où les Britanniques étaient sortis, indiqué par les
montants, qui dépassaient d’une grossière échelle en bois.
Il s’était retourné, cherchant du pied le premier échelon,
et commençait à descendre lorsqu’une voix enrouée l’inter-
pella des noires entrailles de la tranchée.
— Fichtre ! Tu es bien pressé de revenir ! Qu’est-ce qui
se passe ? Tu as oublié de mettre du patchouli sur ton mou-
choir… ou quoi ?
La réponse de l’homme, s’il en fit une, se perdit dans un
bruit d’éclaboussement : ses pieds avaient glissé sur les
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échelons vaseux, ce qui le précipita dans le flot d’eau croupie
qui emplissait la tranchée jusqu’à hauteur du genou.
Se relevant tant bien que mal, il chercha vainement des
yeux son compagnon car si la nuit était noire au dehors,
c’était, dans la tranchée, l’opacité absolue, et l’homme ne
pouvait distinguer absolument rien d’autre qu’une bande
plus pâle là où les murs s’ouvraient à l’air libre.
— Eh bien ! et la politesse ? Tu ne peux pas répondre
quand on te parle ?
Se tournant vers la voix, l’homme répondit en bon an-
glais, un peu trop soigneusement prononcé :
— Je ne suis pas de vos camarades. J’arrive des tran-
chées ennemies.
— Ah ! bien zut alors ! Haut les mains !
Le canon d’un fusil s’appuya sur la poitrine de l’homme.
Obéissant, il leva les deux mains au-dessus de sa tête. Une
seconde plus tard, il était aveuglé par le jet soudain d’une
lampe électrique.
— Déserteur, hein ? Toi faire kamerad… ou quoi ?
— Kamerad ! répéta l’homme avec un accent de mépris.
Je ne suis pas Allemand, je suis Français. Je suis venu à tra-
vers les lignes boches porteur d’un renseignement important
que je désire communiquer à votre général.
— Tu te fiches du monde ! lança l’autre, sceptique.
Un nouveau bruit de barbotement se fit entendre dans la
tranchée. Une troisième voix lança :
— Allô ! Qu’est-ce que c’est que ce raffut ?