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Faïza, une vie… d’ici et d’ailleurs Nassima Terfaya

Faïza, une vie… d’ici et d’ailleursmultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332661975.pdfParle-moi de ta réalité ... par la famille de Faïza, et l’inverse était

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Faïza, une vie… d’ici et d’ailleurs

Nassima Terfaya

13.34 512365

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 162 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 13.34 ----------------------------------------------------------------------------

Faïza, une vie… d’ici et d’ailleurs

Nassima Terfaya

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Sommaire

Chapitre I Question sans réponse ............................................... 5

Chapitre II Indécision ou frivolité ? .............................................. 39

Chapitre III Parle-moi de ta réalité ................................................ 61

Chapitre IV Revoir les miens .......................................................... 83

Chapitre V Le passe meurtrier ...................................................... 135

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Chapitre I Question sans réponse

Faïza était là, à contempler le vide qui l’absorbait. Elle ne pensait à rien, sinon partir très loin. Elle voulait rentrer chez elle. Le rêve qui a alimenté ses désirs les plus profonds n’était plus qu’un dérisoire projet. La ville merveilleuse, avec ses maisons en pierre aux toits d’ardoises et aux jardins d’Éden, ne l’exaltait plus. Tout est devenu fade et sans vie. Plus le temps passait et plus elle sentait le fossé s’élargir entre elle, son passé et son présent

Élodie, une jeune étudiante, était assise près d’elle, Faïza l’observait du coin de l’œil. Elle regardait son beau profil aux traits fins, des cheveux aux boucles soyeuses lui cachaient le visage. C’était une jolie jeune fille, pleine de charme, mais sa tristesse était comme une fausse note. Elle dégageait de la chaleur, de la vie et de la générosité. Élodie était en colère. Son amie voulait repartir chez elle, elle ne voulait pas l’admettre.

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Faïza et elle étaient liées par une amitié profonde et sincère. Élodie espérait en silence que son amie se plairait ici et qu’elle envisagerait de s’installer définitivement dans sa ville. Elle nourrissait en secret l’espoir que Faïza serait attirée par la vie que lui offrait son pays afin d’oublier le désir qui lui brûlait le cœur, rejoindre sa famille laissée dans son pays. L’histoire de leur rencontre remonte à quelques mois. Faïza venait tout juste de s’installer dans son appartement à proximité de l’université. C’était elle qui remarqua la première sa petite voisine, pleurant à chaudes larmes, assise sur une marche de l’escalier. Elle s’installa à côté d’elle et lui demanda :

« Bonjour, jeune fille, est-ce que je peux vous aider ?

– Bonjour, répondit-elle, en la regardant comme si elle atterrissait d’une autre planète.

– Vous allez bien ? insista Faïza, toujours avec le même air inquiet.

– Je vais bien, merci. » Faïza se releva le cœur pincé. Elle avait de la peine

pour la jeune fille, mais sa réticence la blessa un peu. Elle voulait seulement l’aider. À ce moment-là, elle ne comprit pas la réaction d’Élodie qui devint, quelque mois plus tard, sa meilleure amie.

De la vitre du train en partance pour Paris, Faïza contemplait le paysage verdoyant. À l’horizon, les champs à perte de vue, les maisons aux toits gris

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s’entremêlaient avec les cimes des arbres. Elle s’évadait en imaginant les champs de son pays, différents, mais tout aussi beaux.

Elle se rappelait son village, aujourd’hui si lointain. Sa fille Nadjah était restée dans son village, Aïn Taoura, pendant qu’elle poursuivait sa formation loin d’elle. Elle aura huit ans dans quelques jours. Ce souvenir la plongea dans une profonde pensée qui lui fit remonter des larmes aux yeux. Sa fille n’était pas là par hasard, sa conception fut un symbole d’amour, sa vie n’aurait pas eu de sens sans cette présence bénie. Elle la revoyait jouer avec sa poupée, lui parlant à voix basse en lui brossant les cheveux. Elle sentait son visage inondé de larmes provenant du gouffre profond de son désarroi mal dissimulé. Ainsi délivrée de ses pleurs inopinés, elle put s’apaiser et s’endormir cette nuit. Elle revit sa fille, cette dernière lui demanda : « Est-ce que mon père va revenir, maman, est-il mort ? Dis-moi, maman, est-il au cimetière du douar où est enterrée ma grand-mère Sakina ? » Nadjah dansait autour de sa mère en posant encore et encore ses questions. Elle s’engouffrait dans le noir quand elle ouvrit les yeux, toute en sueur. « Dieu merci, c’était un rêve, non, c’était plutôt un cauchemar ! »

Faïza utilisait son temps à bon escient. Elle avait comme préoccupation d’évoluer progressivement mais sûrement. Elle nourrissait de grandes ambitions, pourvu qu’elle ait le courage et la force d’aller plus

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loin. Elle ne voulait pas lâcher la bride à ses émotions en ce moment précis. Elle avait un examen à passer et aucune défaillance n’était tolérée. Elle était déterminée, elle ira jusqu’au bout de son rêve pour être une personne accomplie et égale à elle-même. Elle avait prévu de vivre ses propres expériences qui ne pouvaient que la rendre plus forte et meilleure.

Des livres portant des titres faisant référence aux statistiques et probabilités se trouvaient éparpillés un peu partout dans son appartement. Que pouvait lui apporter cette matière, à part augmenter ses doutes sur tout ? Quelle est la probabilité d’avoir une chance de bien travailler, une autre question plus pertinente encore, quelle est la probabilité de retrouver l’homme qu’elle aime, son mari, le père de son unique enfant, Zoubir ? Elle n’oubliera jamais le jour de son départ. Depuis, sa peur grandissait avec les jours, les mois et les années qui passaient sans son retour.

Le matin fut pluvieux. Un tonnerre déchira le ciel, puis des pluies torrentielles déferlèrent dans les rues presque désertes. Faïza se rappela son examen. Sa passion pour l’instruction et les études avait justifié l’octroi d’une bourse d’études en France d’une année en technologie de la formation. Elle se souvint du jour de sa sélection, onze mois auparavant, jour pour jour. Une lettre lui était parvenue lui annonçant de préparer un dossier administratif pour un concours de sélection. Étant parmi les plus performantes, elle a

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été choisie pour représenter sa région. Leïla son amie était contente pour elle :

« Voilà une proposition intéressante, tu vas pouvoir accéder à plus de savoir, toi qui en raffoles.

– Rien n’est encore joué. Quelle chance aurai-je devant le grand nombre d’enseignants plus expérimentés que moi ? répondit-elle, sans trop d’enthousiasme.

– Je pense que ton profil n’est pas moins intéressant que celui des autres. Sinon, pourquoi te demandent-ils de préparer un dossier ?

– Je n’ai rien à perdre. Je vais le faire. » Au bout de quelques semaines, Faïza reçut une

lettre. Les mains tremblantes, elle l’ouvrit et survola les écrits pour aller directement à l’essentiel.

« Tante Mabrouka, je suis invitée à me présenter à l’entretien de sélection final. Cela veut dire que j’ai été retenue parmi tant d’autres. J’ai une chance d’avoir cette bourse. »

Tante Mabrouka était une vieille femme adoptée par la famille de Faïza, et l’inverse était vrai aussi. À la mort de sa mère, Lalla Sakina, Faïza s’était trouvée confrontée à de lourdes responsabilités pour ses petites épaules frêles d’adolescente. Malgré son jeune âge, elle a assumé et a pris en charge sa famille qui s’était accrochée à elle en guise de pilier incontournable. La confiance accordée par sa famille lui avait donné des ailes fortes, capables de battre au

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vent. Elle s’était fixé des objectifs. La famille, cette cellule qui constitue la maille de toute société. Une maille primordiale qu’elle avait décidé de consolider par amour pour sa mère disparue trop tôt. Il n’y avait pas eu que l’amour qui était capable de donner autant de force, il y avait aussi la compassion.

Tante Mabrouka était venue au bon moment. Des études à l’université, entamées avec difficulté, étaient en péril. Son sacrifice allait se poursuivre, s’il n’y avait le bon sens de son père, Sidi Mahmoud. Pourtant, il était contre tout ce que représentait une femme. Il était allé jusqu’à la nier à sa naissance : « Une fille, je n’en veux pas. » Durant la première année de sa naissance, Lalla Sakina s’était occupée seule à élever cette petite fille, ignorée et rejetée dès le premier jour de sa vie par son propre père : « Elle a la peau presque bleue en plus ! » avait dit Sidi Mahmoud en jetant un regard furtif sur le nouveau-né. Il voulait un garçon. Il n’y avait pas de place pour les filles dans sa famille, ni dans son cœur. Faïza se remémora le jour où sa mère lui raconta son premier contact avec son père :

« Tu avais à peine huit mois. Tu marchais à quatre pattes et tu commençais parfois à te mettre debout en prenant appui sur les meubles. Ce jour-là, tu voulais rejoindre ton père allongé sur le canapé du salon. Tu t’es mise debout et tu as relevé le drap couvrant son visage. »

Lalla Sakina avait le regard perdu, un silence s’installa, long et lourd.

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« Que s’est-il passé ensuite, mère ? réussit à dire Faïza pour rompre le silence inexpliqué.

– Il a ouvert les yeux, tu l’as regardé, tu as incliné la tête et tu lui as souri. Un sourire large et innocent venant d’une âme pure et qui n’a pas choisi d’être une fille. »

Faïza regarda les yeux sa mère se voiler de larmes. « C’était la première fois qu’il te prenait dans ses

bras. Il t’a mise sur ses épaules et il t’a ramenée jusqu’à moi, dans la cuisine. Je n’en croyais pas mes yeux. Après neuf mois, ton père t’a vraiment regardée, il t’a touchée et ainsi il t’a reconnue.

– Mère, pourquoi cette attitude envers moi ? J’étais pourtant son enfant !

– Dès que tu es née, il t’avait surnommé : « la bleutée ». Il refusait l’idée même d’avoir une fille. C’est à la faveur de ton sourire magique, lors de cette journée de chaleur, que tu as réussi à le dégeler. C’est grâce à toi qu’il a accepté ta venue dans sa famille.

– Mais je ne comprends toujours pas. – Très jeune déjà, tu as commencé à te battre pour

prouver ton existence, par instinct au début, ensuite par obstination contre cette injustice ressentie à tort, expliqua Lalla Sakina à sa fille qui était émue par la confession de sa mère. Entre toi et ton père était né une relation pour le moins surprenante. Un conflit nourrit d’amour et de refus, un amalgame de sentiments contradictoires, d’un père aimant et d’un homme appartenant à une société d’hommes déjà bien établie.

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– Mère, tu m’étonnes dans ton raisonnement. Tu es au courant de tout, et pourtant, tu ne fais rien pour changer cela ?

– C’est trop tard pour moi, ma chère fille. Le jour où tu as reçu tes premiers cours par correspondance, tu es venue avec un paquet de livres entre les mains et tu avais les yeux qui brillaient de mille feux. Je n’oublierai jamais ce regard. J’ai compris alors, que ma fille avait une chance. C’est pourquoi j’ai tout misé sur toi : l’avenir, c’est toi, ma fille. »

En disant cela, la mère et la fille se regardèrent dans les yeux où se reflétaient confiance et complicité pour un nouveau départ, signe d’une éventuelle délivrance et surtout de l’espoir. Sidi Mahmoud avait reçu en héritage le mépris des femmes, ancré en lui dès sa tendre enfance. Il avait résisté au changement que lui avait imposé sa fille qui luttait pour prouver son existence légitime. Elle n’avait rien choisi, ni d’être une fille, ni d’être née dans une famille conservatrice et une société qui condamnait les filles, pour la seule raison qu’elles appartenaient au « sexe faible ». Lalla Sakina avait défendu sa fille, lors de son inscription au concours pour accéder aux études supérieures, au prix de sa vie.

Faïza se souvint du jour où son père, entrant comme une furie dans la cour de la maison, l’avait saisie par les cheveux et avait traîné son corps sur le sol rugueux de la cour. Il avait répété sans interruption avant de la libérer : « Tu es la honte de la

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famille ! La honte ! La honte ! !! » Lalla Sakina, affolée, lui prit le bras, le suppliant de laisser Faïza, mais il n’entendit ni les pleurs de sa fille, ni les supplications de sa femme. Un coup de poing fatal au visage de Lalla Sakina lui fit perdre la vue d’un œil. Un affaiblissement général fut suivi d’une agonie longue et silencieuse.

En quoi la demande d’instruction pouvait être une honte ? Elle s’était inscrite au concours, et elle ne pensait pas que cela porterait atteinte à sa réputation comme le prétendait son père. Sa mère était le symbole même de l’amour, du courage et de la patience. Son corps était devenu un bouclier humain qui n’avait pas résisté à la force des coups violents de Sidi Mahmoud.

Le concours était prescrit dans le cadre de soutien aux candidats autodidactes qui, pour une raison ou une autre, n’auraient pas pu poursuivre leurs études. Faïza s’était mise à réviser avec cœur et acharnement. Il ne passait pas un jour ou une nuit sans qu’elle repense à sa mère et à son sacrifice. Une force sans bornes lui insufflait courage et volonté. Elle avait mal, et cette douleur ne s’estompait que lorsqu’elle dépassait ses limites : le manque de sommeil et la fatigue lui prouvaient qu’elle se surpassait, mais elle travaillait davantage, jusqu’à ne plus faire la différence entre le jour et la nuit. Cela dura le temps des révisions, et en récompense, elle réussit au concours.

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Mais est-ce que cela rendra la vue à sa mère et ensuite la vie ?

Elle se souvint de l’excitation du village dans l’attente des résultats. Les parents étaient anxieux à l’idée que leurs fils soient recalés ou mal classés. Au moment de l’affichage des résultats, tout le monde se tut. Ce fut pénible pour tous les parents et candidats masculins, une jeune fille était en tête de liste, mais pas leurs fils.

La seule fille à concourir était une révélation. Faïza Amor n’avait pas seulement tenu tête à son père, mais à tous les hommes du village qui, indignés, délièrent leur langue empoisonnée. Zoubir ne fut pas de ces hommes. Il fut l’heureux messager qui apporta la bonne nouvelle à Faïza et sa mère. Lalla Sakina ne bougea pas d’émotion. C’est à ce moment-là que Faïza reçut sa première récompense : sa mère était heureuse, sa mère avait réussi. Son sacrifice n’était pas vain. Un rosier fut planté ce jour-là dans le jardin secret et aride de Lalla Sakina. Il fleurit en secret et son odorat fut rempli de parfum de roses. Son cœur battit dans son Éden dévasté par le châtiment infligé par l’ignorance de son monde.

Faïza se souvint de la haine qu’elle avait ressentie pour son père à cette époque. Il avait meurtri sa mère sans en avoir l’intention. Il l’avait blessée dans son corps, dans son amour-propre et dans son âme. La blessure était tellement profonde qu’elle en mourut.

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Le chemin fut long depuis ce jour-là. Les jours se succédèrent. Sidi Mahmoud arborait un air serein. Sans ostentation, il fit remarquer à sa famille son dévouement et sa nouvelle prise de position. Faïza ne s’attendait pas à ce changement qui contrait toute attente. Elle se rappela la matinée où son père l’informa de sa visite à l’Académie et l’avisa de la rentrée prévue dans vingt jours. Il l’invita à se préparer pour poursuivre ses études en ville. Il lui donna une somme d’argent assez rondelette pour faire son inscription et entamer son année universitaire. Sa mère, avec son seul œil valide, voyait déjà le monde plus beau.

Après la mort tragique de Lalla Sakina, Faïza rassembla son courage pour s’occuper de sa petite famille. Sidi Mahmoud paraissait vieilli d’un coup. La mort de sa femme lui avait fait beaucoup de peine, elle l’avait atteint de plein fouet au cœur. Il fit mine de maîtriser la situation, mais son cœur s’affaiblissait. Le médecin l’avait averti de son état, mais il ne l’avait dit à personne.

Sidi Mahmoud a vu sa fille se battre contre lui et son autorité. Il l’a jugé, comme tous les autres. Il n’avait vu dans sa lutte que de l’insoumission et le dépassement de ses limites qui étaient celles de toutes les autres femmes de son village. Quelles limites, et qui les a décrétées et imposées ? Un combat perdu d’avance s’il n’y avait pas eu l’appui de sa mère. Une

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vie troquée. Un échange d’une extrême générosité, plutôt une réincarnation de valeurs et d’âme.

Il avait changé en observant le combat et le courage de sa fille. Elle a réussi l’impossible, le convaincre de sa présence, de son importance au-delà des murs de sa maison. Il avait compris après de longues années, sinon depuis sa naissance même, que sa fille allait changer sa vie. Sa mère, en lui tendant la main, a fini par réaliser le miracle : l’homme évolue. Il faut croire à la force de cette évolution et avoir la volonté de la créer, la développer, l’orienter et la maintenir comme un objectif ultime. La finalité ne peut qu’être réussite, quitte à y travailler longtemps, à y donner sa sueur, son énergie et son temps. Lalla Sakina, sans le vouloir ni le savoir, a donné sa vie pour que sa fille voie, à sa place, le bout du tunnel. Tante Mabrouka était apparue à cette époque comme par enchantement dans la vie de cette petite famille désemparée. Après le deuil de la mère, ce fut la mort du père. Quelle fatalité !

« Qu’est-ce que j’aurais fait sans toi, tante Mabrouka ? lui dit-elle tout en la regardant tendrement.

– Et moi, donc, qu’est-ce que je serais devenue sans toi, sans vous tous. Ta mère avait raison de croire en toi, ma fille. Son sacrifice a fait contourner le destin ! »

Tante Mabrouka était émue, ses yeux ridés et voilés de larmes discrètes avaient ébranlé Faïza qui détourna son regard, et fondit en larmes. Sa mère était toujours