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407 International Journal of Francophone Studies Volume 10 Number 3 © 2007 Intellect Ltd Article. French Language. doi: 10.1386/ijfs.10.3.407/1 Féminisme et postcolonialisme: Beauvoir, Fanon et la guerre d’Algérie Annabelle Golay Tulane University Abstract Fanon, Beauvoir: two writers, two theorists, who embodied the battles that they fought – decolonization and feminism. Although distinct, these two struggles are linked. They share a ‘situatedness’: the absolute otherness of women in relation to men and of the colonized in relation to the colonizer. They share a project: to change the future through the liberation of revolution. In fact, Beauvoir and Fanon met: their struggles and the story of their meeting in 1961 are recounted in Beauvoir’s La Force des choses, which links French feminism to the project for decolonization. The international visibility of The Second Sex overshadowed Beauvoir’s other polit- ical projects, notably, her significant role during the Algerian war of independence. The crucial place Fanon accorded to women in his theory of decolonization has been overlooked. In a re-reading of texts by Beauvoir and Fanon, this article explores how these struggles are interconnected at the moment of the Algerian war, and how, in the contemporary postcolonial context, Beauvoir and Fanon can both be read as postcolonial authors. Résumé Fanon. Beauvoir. Deux écrivains, deux théoriciens, qui ont incarné les luttes qu’ils ont portées: la lutte pour la décolonisation et le féminisme. Originellement séparées, comment ces luttes pourraient-elles se rejoindre? A travers une commu- nauté de situation: l’altérité absolue de la femme par rapport à l’homme et du colonisé par rapport au colon. A travers des enjeux communs: forger un avenir nouveau par une révolution libératrice. La rencontre Beauvoir-Fanon a-t-elle eu lieu? Le récit de leur rencontre en 1961, dans la Force des choses, est mise en présence littéraire des luttes de Beauvoir et de Fanon, et permet d’établir le lien qui unit le féminisme français et les revendications de la décolonisation. Le reten- tissement universel du Deuxième sexe a laissé dans l’ombre une partie de l’en- gagement politique de Beauvoir, notamment, son rôle remarquable pendant la guerre d’Algérie. Dans la théorie de la décolonisation de Fanon, la place essentielle faite aux femmes, reste peu connue. A partir d’une relecture des textes de Beauvoir et de Fanon, il s’agit de comprendre comment ces luttes s’interpénètrent au moment de la guerre d’Algérie, et comment dans le contexte postcolonial actuel, Beauvoir et Fanon peuvent être lus comme des auteurs postcoloniaux. Théoricien majeur de la décolonisation, passionné défenseur de la cause algérienne, Frantz Fanon rencontra au cours de l’été 1961, peu avant sa mort, Simone de Beauvoir, dont l’entière solidarité avec les Algériens et le IJFS 10 (3) 407–424 © Intellect Ltd 2007 Keywords autobiographie décolonisation féminisme guerre d’Algérie lutte de libération morale postcolonialisme situation

Féminisme et postcolonialisme Beauvoir, Fanon et la guerre d'Algérie

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Féminisme et postcolonialisme : Beauvoir, Fanon et la guerre d'Algérie

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International Journal of Francophone Studies Volume 10 Number 3© 2007 Intellect Ltd

Article. French Language. doi: 10.1386/ijfs.10.3.407/1

Féminisme et postcolonialisme: Beauvoir, Fanon et la guerre d’AlgérieAnnabelle Golay Tulane University

AbstractFanon, Beauvoir: two writers, two theorists, who embodied the battles that theyfought – decolonization and feminism. Although distinct, these two struggles arelinked. They share a ‘situatedness’: the absolute otherness of women in relation tomen and of the colonized in relation to the colonizer. They share a project: to changethe future through the liberation of revolution. In fact, Beauvoir and Fanon met:their struggles and the story of their meeting in 1961 are recounted in Beauvoir’sLa Force des choses, which links French feminism to the project for decolonization.The international visibility of The Second Sex overshadowed Beauvoir’s other polit-ical projects, notably, her significant role during the Algerian war of independence.The crucial place Fanon accorded to women in his theory of decolonization has beenoverlooked. In a re-reading of texts by Beauvoir and Fanon, this article exploreshow these struggles are interconnected at the moment of the Algerian war, andhow, in the contemporary postcolonial context, Beauvoir and Fanon can both be readas postcolonial authors.

RésuméFanon. Beauvoir. Deux écrivains, deux théoriciens, qui ont incarné les luttesqu’ils ont portées: la lutte pour la décolonisation et le féminisme. Originellementséparées, comment ces luttes pourraient-elles se rejoindre? A travers une commu-nauté de situation: l’altérité absolue de la femme par rapport à l’homme et ducolonisé par rapport au colon. A travers des enjeux communs: forger un avenirnouveau par une révolution libératrice. La rencontre Beauvoir-Fanon a-t-elle eulieu? Le récit de leur rencontre en 1961, dans la Force des choses, est mise enprésence littéraire des luttes de Beauvoir et de Fanon, et permet d’établir le lienqui unit le féminisme français et les revendications de la décolonisation. Le reten-tissement universel du Deuxième sexe a laissé dans l’ombre une partie de l’en-gagement politique de Beauvoir, notamment, son rôle remarquable pendant laguerre d’Algérie. Dans la théorie de la décolonisation de Fanon, la place essentiellefaite aux femmes, reste peu connue. A partir d’une relecture des textes deBeauvoir et de Fanon, il s’agit de comprendre comment ces luttes s’interpénètrentau moment de la guerre d’Algérie, et comment dans le contexte postcolonialactuel, Beauvoir et Fanon peuvent être lus comme des auteurs postcoloniaux.

Théoricien majeur de la décolonisation, passionné défenseur de la causealgérienne, Frantz Fanon rencontra au cours de l’été 1961, peu avant samort, Simone de Beauvoir, dont l’entière solidarité avec les Algériens et le

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Keywordsautobiographie

décolonisation

féminisme

guerre d’Algérie

lutte de libération

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postcolonialisme

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rôle, pourtant remarquable, pendant la guerre d’Algérie est moins connu.Le récit de leur rencontre dans la Force des choses (1963),1 permet depenser les enjeux communs aux nations et aux individus opprimés,femmes et colonisés, et d’établir le lien qui unit le féminisme français et lesrevendications de la décolonisation. L’altérité de la femme par rapport àl’homme est comparable à celle du colonisé par rapport au colon. Beauvoirmet en lumière ce parallèle dès les premières pages du Deuxième sexe(1949). L’essai doit être relu, à cet égard, à partir de sa situation d’écritureet du contexte colonial. Depuis, ce parallélisme est devenu l’un des objetsdes Postcolonial Studies:

In many different societies, women like colonised subjects, have been rele-

gated to the position of ‘Other’, ‘colonised’ by various forms of patriarchal

domination. They thus share with colonised races and cultures an intimate

experience of the politics of oppression and repression. It is not surprising

therefore that the history and concerns of feminist theory have paralleled

developments in post-colonial theory.2

Fanon, dans un article paru dans Résistance Algérienne en 1957, intitulé‘Les femmes dans la Révolution’, indique la conscience que les respons-ables du F.L.N. ont toujours eue du rôle important de la femme dans lalibération nationale. Ainsi le même problème s’est posé aux femmes etaux individus colonisés, héritant les uns et les autres d’un lourd passé dedomination: il s’agit pour eux de forger un avenir nouveau par une révo-lution libératrice. Même combat pour prendre place dans le monde,mêmes chemins vers la liberté. Investi(e)s, dominé(e)s par des existencesétrangères, élevé(e)s dans le respect de la supériorité de l’homme ou ducolon, les femmes et les peuples colonisés partagent l’expérience à la foisintime et collective de l’oppression, et ont en commun d’avoir été privésde leur humanité. Il leur faut la reconquérir en se révoltant contre ledonné subi. Assumer et comprendre leur condition. Ne pas répudier eneux ce qu’il y a de ‘différent’ mais au contraire l’affirmer. Trouver desvoies où exprimer leur vision singulière. Deux possibilités: la littérature etla violence.

Dans ses œuvres littéraires, véritables manifestes, L’An V de la Révolutionalgérienne (1959) et Les Damnés de la terre (1961),3 Fanon soutient la thèsede la nécessité et de la valeur de la violence, puisque c’est en elle quel’opprimé puise son humanité. C’est en effet dans un contexte de violenceet de ‘contre-violence’ extrême, que l’Algérie obtient son indépendance auterme de huit années d’atrocités françaises. Exécutions, tortures, mutila-tions, attentats. En mai 1960, Beauvoir défend le cas d’une jeune femmeAlgérienne torturée, Djamila Boupacha, dans un article du Monde qui faitscandale (Le Monde est saisi à Alger), écrit une préface au livre que lui con-sacre son avocate Gisèle Halimi, et choisit de le co-signer en 1962 pour enpartager avec elle la responsabilité. En mettant sa notoriété au service dela cause algérienne (‘manifeste des 121’, délégations, conférences, mani-festations, témoignages) et n’hésitant pas à prendre tous les risques (men-aces d’emprisonnement, d’attentat, de plasticage), Beauvoir manifeste sonsoutien absolu au peuple algérien. Son engagement politique se doubled’un engagement dans l’écriture: l’honnêteté intellectuelle et la lucidité de

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1. Simone de Beauvoir,La Force des choses,Paris: Gallimard,1963.

2. ‘Feminism and Post-colonialism’, inBill Ashcroft et al.(eds), The Post-colonialStudies Reader,London/New York:Routledge, 2002(first published1995), p. 249. Voirégalement ‘Feminismand post-colonialism’,in Bill Ashcroft et al.(eds), The EmpiresWrites Back, London/New York: Routledge,2002 (first published1989), pp. 172–75.

3. Frantz Fanon, L’An Vde la Révolution algérienne, Paris:Editions de laDécouverte et Syros,2001 (premièreédition Maspero1959); Les Damnés dela terre, Paris:Editions laDécouverte, 2002(première éditionMaspero 1961).

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La Force des choses, troisième volet de ses Mémoires, érigent ce texte entémoignage capital sur la guerre d’Algérie, où s’exprime dans la contin-gence quotidienne, la souffrance déchirante et partagée des Algériens.

Des liens très forts se nouent entre un premier féminisme français, poli-tique, engagé, représenté par Simone de Beauvoir, et les revendicationspour la décolonisation portées par Fanon. Dans la continuité des essais cri-tiques postcoloniaux (notamment ceux des auteurs de The Empire WritesBack, de Françoise Lionnet, d’Elleke Boehmer ou de Gayatri Spivak), qui sesont non seulement attachés à étudier les évolutions parallèles du fémin-isme et du postcolonialisme, mais ont aussi tenté d’en penser la rencontre,il s’agit dans cette étude de montrer à travers des textes de Fanon et deBeauvoir, comment au moment de l’émergence de la lutte pour la décoloni-sation et de la lutte féministe, ces combats se sont interpénétrés l’unl’autre. Il s’agira d’autre part de déterminer si la rencontre Beauvoir-Fanon a véritablement eu lieu, et si oui, en quels termes? S’ils se sont effec-tivement retrouvés en présence l’un de l’autre à Rome en 1961, il reste àmettre au jour les points de convergence ou d’intersection entre leursluttes concrètes, que ce soit en acte ou en écriture, mais essayer égalementd’en esquisser de possibles limites. Peut-on déceler une hiérarchie entre lesluttes ou entre les ‘différences’, comme le postule l’analyse de GwenBergner de Peau noire, masques blancs: ‘race over gender’ (‘The Role ofGender in Fanon’s Black Skin, White Masks’, 1995, p. 84)? S’il est admis queFanon est un des auteurs fondateurs du postcolonial, peut-on envisagerune approche féministe de son œuvre à partir de ‘L’Algérie se dévoile’,dans la mesure où ce texte constitue l’un des rares, parmi les premiersessais sur la décolonisation, à traiter la question de la situation et de lalibération des femmes? Réciproquement et inversement, le retentissementuniversel du Deuxième sexe n’a-t-il pas laissé dans l’ombre la possibilitéd’une lecture postcoloniale de l’œuvre de Beauvoir (Julien Murphy, en1995, a été le premier à mettre en lumière dans un excellent article l’en-gagement politique personnel de Simone de Beauvoir au moment de laguerre d’Algérie4)? Il faut donc se poser la question: Beauvoir et Fanonsont-ils des auteurs féministes et postcoloniaux?

Féminisme de Fanon?Dans L’An V de la Révolution algérienne, l’un des premiers livres édités parFrançois Maspero, Fanon consacre le chapitre d’ouverture à une réflexionsur le rôle des femmes dans la révolution algérienne. Il avait déjà briève-ment abordé ce thème dans un article de 1957; il le reprend deux ans plustard, pour le développer sous le titre: ‘L’Algérie se dévoile’. Toute la réflex-ion de Fanon est centrée sur le signe emblématique qu’est le voile, le haïk,dans l’aire culturelle du Maghreb arabe; il s’agit pour lui de montrer com-ment cet élément vestimentaire, ‘traditionnel’ et ‘stabilisé’, est devenu unenjeu majeur dans la guerre d’indépendance (p. 29). Anne McClintock atoutefois souligné avec justesse dans son essai ‘No Longer in a FutureHeaven’, que l’insistance de Fanon à affirmer ‘l’inertie du voile est discutable(puisqu’elle reviendrait à dénier toute signification au voile dans lesrelations entre sexes), et témoigne surtout d’un rejet de la conceptioneuropéenne du voile comme signe de soumission de la femme dans lasociété algérienne:

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4. Julien Murphy,‘Beauvoir and theAlgerian War: Towarda Postcolonial Ethics’,in Margaret A.Simons (ed.), FeministInterpretations ofSimone de Beauvoir,University Park:Pennsylvania SateUniversity Press,1995, pp. 263–97.

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So eager is Fanon to deny the colonial rescue fantasy that he refuses to grant

the veil any prior role in the gender dynamics of Algerian society. Having

refused the colonial’s desire to invest the veil with an essentialist meaning

(the sign of women’s servitude), he bends over backward to insist on the

veil’s semiotic innocence in Algerian society.5

Premier mouvement: ‘le culte du voile’. Pendant la période de colonisation, levoile symbolise, pour les forces occupantes, la situation de la femme algéri-enne, perçue comme ‘humiliée, mise à l’écart, cloîtrée’ (p. 19). A propos duvoile, naît une doctrine politique coloniale, qui prend pour thème d’action lesfemmes: en les pressant de se dévoiler pour se libérer d’une sujétion sécu-laire, la stratégie des colonialistes vise à les ‘convertir’, à les gagner à leursvaleurs, à en faire leurs ‘complices’, pour déstructurer de l’intérieur lasociété algérienne (p. 20). La réponse du colonisé à cette agression est decontre-assimilation et de contre-violence: ‘A l’offensive colonialiste autour duvoile, le colonisé oppose le culte du voile’ (p. 29). Le voile devient ‘mécanismede résistance’: on se voile parce que l’occupant ‘veut dévoiler l’Algérie’ (p. 47).

Dans les discours antagonistes de l’impérialisme colonial et de la résis-tance nationale, le voile constitue paradoxalement dans les des deux cas,une représentation métonymique de la nation algérienne, comme l’ontdécrit Diana Fuss dans ‘Interior Colonies’ et John Mowitt dans ‘AlgerianNation’,6 un symbole à abattre ou à maintenir. Le corps de la femmedevient, dans cette perspective, un champ de bataille idéologique, un ‘fétiche’,un signe ostentatoire de l’identité algérienne en l’absence de nation (auvoile sont aussi attribuées des propriétés de fétiche sexuel, de signifiantérotique, pour l’occupant7). Il faut noter un autre paradoxe propre àFanon: tandis que le titre du chapitre ‘L’Algérie se dévoile’ assimile lafemme à la nation algérienne à travers la synecdoque du voile (ce quireviendrait à nier la possibilité d’action des femmes en les objectivantcomme enjeu du conflit), la femme et/ou la nation algérienne sont ici l’agentactif du verbe, contrairement à la passivité induite dans la traduction enlangue anglaise du titre: ‘Algeria unveiled’ (voir l’introduction du livred’Anne Donadey, Recasting Postcolonialism, 2001).8

Second mouvement: ‘L’Algérie se dévoile’. A l’occasion de la révolutionalgérienne, une mutation intervient à propos du haïk. La crise du voileayant placé les femmes au centre des enjeux, les révolutionnaires sontamenés à repenser leurs méthodes d’action. Une idée nouvelle germe, quirepose sur un retournement de la stratégie de l’occupant: en dégageant lecorps de la femme du voile presque organique, qui l’enveloppe et le prend,‘la femme dévoilée algérienne évolue comme un poisson dans l’eau occi-dentale’ (p. 41). Pour entrer véritablement dans l’action révolutionnaire et‘pénétrer’ dans la ville européenne, la femme algérienne, selon une ‘nou-velle dialectique du corps et du monde’, doit ‘réapprend[re] son corps, leréinstalle[r] de façon totalement révolutionnaire’ (p. 42). Insoupçonnable,noyée dans le milieu, la ‘femme-arsenal’, selon Fanon, devient ‘porteusede revolvers, de grenades, de centaines de fausses cartes d’identité ou debombes’ (pp. 41–42). Au cours de l’action révolutionnaire, les femmesdeviennent un ‘maillon capital’ de la lutte de libération nationale.

Cette valorisation du rôle des femmes algériennes dans la révolutiondemeure toutefois ambiguë pour Anne McClintock, qui remarque que

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5. Anne McClintock,‘No Longer in aFuture Heaven:Gender, Race, andNationalism’, inAnne McClintock,Aamir Mufti andEllena Shohat (eds),Dangerous Liaisons:Gender, Nation, andPostcolonial Perspective,Minneapolis:University ofMinnesota Press,1997, p. 97.

6. Diana Fuss, ‘InteriorColonies: FrantzFanon and the Politicsof Identification’, inDiacritics 24: 2–3(Summer-Fall 1994),pp. 20–42. JohnMowitt, ‘AlgerinaNation: Fanon’sFetish’, CulturalCritique 22 (Fall1992), pp. 165–86.

7. Diana Fuss, op. cit.,p. 26.

8. ‘The problem with(national) allegoriesis that they erase theterm on which theyground themselves.As Winifred Woodhulland Anne McClintockhave shown, evenFrantz Fanon, one ofthe very few (if notthe only) early decol-onization theorists ofdecolonization tohave attempted toaddress the issue ofgender in his work,was not entirely ableto escape the allegoryof Woman as Nation.When women areequated to the land,there is no discursivespace for them ascitizens. Whenwoman stands in fornation, it becomesdifficult to presentthe women of thenation as agents inthat nation’sconstitution becausetheir body image isbeing activated as theobject for which tofight.’ Anne Donadey,

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l’entrée des femmes dans l’action n’est pas présentée, dans le texte deFanon, comme le résultat de leur volonté propre, mais d’abord comme unenécessité liée à un déterminisme mécanique (‘Les rouages révolutionnairesavaient pris une telle envergure, la machine marchait à un rythme donné.Il fallait compliquer la machine’, p. 31), puis comme une action médi-atisée, une désignation par les dirigeants:

Women’s agency for Fanon is thus agency by designation. It makes its

appearance not as a direct political relation to the revolution but as a medi-

ated, domestic relation to man: “At the beginning, it was the married women

who were contacted. Later, widows or divorced women were designated”. [. . .]

As designated agents, moreover, women do not commit themselves: “It is

relatively easy to commit oneself . . . The matter is a little more difficult when

it involves designating someone”. Fanon does not consider the possibility of

women committing themselves to action.9

Il faut toutefois de nuancer cette assertion en précisant que le texte de Fanonse poursuit en expliquant que bientôt ‘le volontariat de plus en plus nombreuxde jeunes filles, condui[t] les responsables politiques à faire un autre bond, àbannir toute restriction, à prendre appui indifféremment sur l’ensemble desfemmes algériennes’ (p. 34). Les hommes restent certes décisionnaires maisles pratiques sont modifiées sous l’impulsion des femmes algériennes.

D’autre part, A. McClintock met au jour un aspect déroutant dans lesdescriptions de Fanon, où les femmes agissant au sein de la lutte, sontmétaphoriquement masculinisées:

Fanon resorts to a curiously eroticized image of militarized sexuality.

Carrying the men’s pistols, guns and grenades beneath her skirts, “the

Algerian woman penetrates a little further into the flesh of the Revolution”.

Here the Algerian woman is not a victim of a rape but a masculinized rapist.

As if to contain unmanning threat of armed women – in their dangerous

crossings – Fanon masculinized the female militant, turning her into a phallic

substitute, detached from the male body but remaining, still, the man’s “woman-

arsenal”. (p. 98)

Masculinisation ou instrumentalisation, la femme engagée dans la lutterévolutionnaire n’est plus tout à fait une femme sous la plume de Fanon(qui écrivait aussi au moment de la décision de faire entrer les femmes dansl’action: ‘Il faut exiger de la femme une élévation morale et une force psy-chologique exceptionnelle’, suggérant une infériorité morale originelle de lafemme par rapport à l’homme, p. 31). L’analyse d’Anne McClintock tend àmontrer que dans son texte Fanon essaie de donner l’image d’un peuplealgérien unanime, soudé dans la lutte (renforçant le manichéisme de lalutte révolutionnaire ou anticoloniale en une opposition binaire entre eux etnous – voir l’introduction d’Anne Donadey, Recasting Postcolonialism). Ceteffort pour constituer le peuple algérien en lutte comme un tout unifié,empêcherait Fanon d’affronter la question de possibles luttes internes entresexes, voire de la nier (cf. l’inertie prétendue du voile). Toutefois, le textemanifeste à plusieurs reprises une volonté de souligner le fait que la révo-lution nationale crée et créera l’égalité entre sexes.

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‘Introduction:RecastingPostcolonialism’ inRecastingPostcolonialism:Women WritingBetween Worlds,Portsmouth:Heimann, 2001, p. xxx.

9. Anne McClintock, op. cit., p. 98.

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Troisième mouvement: reprise du voile. A partir de 1957, les militairesfrançais apprennent – certaines militantes ayant parlé sous la torture –que des femmes d’apparence très européanisées tiennent un rôle fonda-mental dans la lutte. Pour les révolutionnaires, il s’agit alors de réinventerune nouvelle technique de dissimulation: le voile est repris, et le corps del’Algérienne, qui s’était libéré et élancé, est désormais écrasé. Il faut le ren-dre difforme, ‘à l’extrême le rendre absurde’ (p. 45). Pour écarter toutesuspicion, il faut, écrit Fanon, ‘se faire une telle “tête de Fatma” que le sol-dat soit rassuré’ (p. 45). Si le voile reparaît, il est ‘définitivement dépouilléde sa dimension exclusivement traditionnelle’ pour être ‘instrumentalisé,transformé en technique de camouflage, en moyen de lutte’ (p. 44).

Il existe donc, selon les termes de Fanon, ‘un dynamisme historique duvoile’. Dans ce chapitre, significativement placé en tête de L’An V de la révo-lution algérienne, Fanon n’a de cesse de souligner son admiration pour l’ac-tion féminine dans la lutte pour l’indépendance (‘maîtrise de soi et succèsincroyables’, ‘dimensions véritablement gigantesques’), et de montrercomment à travers la lutte, les femmes algériennes conquièrent une lib-erté, qui ne soit pas le fait ‘de l’invitation’ de la France ou du général deGaulle (p. 46), mais la leur propre, gagnée grâce à leur engagement totaldans l’action révolutionnaire. Le 13 mai 1958, l’investiture de PierrePflimlin, favorable à l’ouverture de négociations avec le F.L.N., suscite àAlger des manifestations des partisans du maintien de la souveraineté dela France sur l’Algérie: le colonialisme français réédite alors sa ‘campagned’occidentalisation de la femme algérienne’, et décide de dévoiler ‘symbol-iquement’ et publiquement des femmes. Opposant au colonialisme françaiset à ses valeurs, leur autonomie de choix, des Algériennes depuis longtempsdévoilées, reprennent, ‘spontanément et sans mot d’ordre’, le haïk (p. 46).

L’analyse d’Anne McClintock vient nuancer ce propos de Fanon surl’autonomie de choix et d’action des femmes, en pointant le fait que dans‘L’Algérie se dévoile’, les femmes ne semblent pouvoir agir et se libérer quepar le seul moyen de l’engagement national:

Women’s liberation is credited entirely to national liberation, and it is only

with nationalism that women “enter into history”. Prior to nationalism,

women have no history, no resistance, no independent agency. And since the

national revolution automatically revolutionizes the family, gender conflict

naturally vanishes after the revolution.10

Fanon cherche cependant à montrer en suivant dans son analyse lachronologie des événements, comment l’évolution du rôle des femmes aucours de la révolution doit aboutir à leur libération. Avant la décision, en1955, d’incorporer pleinement les femmes dans la lutte, leur rôle étaitessentiellement celui du soin prodigué aux combattants (les sociologies du‘care’ ont montré que le soin est généralement conçu comme une ‘affairede femmes’11). Puis, à partir de 1956, c’est par et dans le corps des femmes,que se réalise la révolution: pour répondre aux nouvelles tâches qui leursont confiées, les femmes doivent, par une ‘authentique naissance’, ‘sansapprentissage, sans récits, sans histoire’ (p. 33), inventer de nouvellesmanières d’être dans le monde. Sans se faire remarquer, il leur fauts’élancer dans la rue avec un corps altéré (puisque dénué du voile qui

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10. Anne McClintock, op. cit., p. 99.

11. Voir Le Souci des autres:éthique et politique ducare, sous la directionde Patricia Paperman,Paris: Editions de l’école des hautesétudes en sciencessociales, 2006.

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participait normalement de leur schéma corporel) et avec au bout de lamain un sac de grenades ou l’argent de la révolution: ‘Il y a [. . .] uneabsence de jour entre la femme et la révolutionnaire. La femme algériennes’élève d’emblée au niveau de la tragédie’ (p. 33).

Ce passage du texte de Fanon a suscité des nombreux commentaires(notamment de la part d’Elleke Boehmer et d’Anne McClintock), qui inter-prètent cette idée d’un apprentissage révolutionnaire instinctif et spon-tané, comme un stéréotype de Fanon sur la femme, qui serait un êtrefondamentalement non historique, et marqué par la fonction reproduc-trice (image de la naissance naturelle et authentique).12 Toutefois, lorsquel’on sait l’influence de la philosophie de Sartre sur Fanon, une autre lec-ture devient possible, à partir de la notion d’authenticité qui, au senssartrien, est le contraire de la mauvaise foi, du rôle joué, de l’imitation(le travail de Diana Fuss, dans ‘Interior Colonies’, vise en partie à montrercomment la ‘transformation’ de la femme algérienne en Européennerelève d’une contre-stratégie politique de résistance à une identificationimposée).13

Les chemins de la liberté des femmes algériennes sont sinueux et appel-lent parfois des décisions ambiguës, que Fanon a l’honnêteté de remarquer:la reprise du voile en 1958 est une réaction immédiate, qui s’inscrit dans‘l’attitude globale de refus des valeurs de l’occupant, même si objectivementces valeurs gagneraient à être choisies’ (p. 46). L’essentiel reste que dansson article paru dans Résistance Algérienne du 16 mai 1957, Fanon insistaitdéjà avec force sur le fait que ‘la guerre révolutionnaire n’est pas uneguerre d’hommes’, mais bien ‘une guerre totale où la femme ne fait pas quetricoter ou pleurer le soldat’ – mais où, pleinement engagée ‘au cœur ducombat’, elle est une ‘sœur’, qui réalise l’égalité entre les sexes:

La place de la femme dans la société algérienne est indiquée avec une

telle véhémence que l’on s’explique facilement le désarroi de l’occupant.

C’est que la société algérienne se révèle n’être pas cette société sans femme

que l’on avait si bien décrite. Côte à côte avec nous, nos sœurs bousculent

un peu plus le dispositif ennemi et liquident définitivement les vieilles

mystifications.14

Les textes de Fanon soulignent une continuité entre les luttes de libération,en les hiérarchisant toutefois. Avec la révolution nationale, s’opèrent deschangements structurels de la société algérienne, venant de l’engagementtotal des femmes dans la lutte, physiquement et idéologiquement, quiselon Fanon, découvre au mari ou au père de ‘nouvelles perspectives surles rapports entre sexes. Le militant découvre la militante’, écrit-il en note,‘et conjointement ils créent de nouvelles dimensions à la société algéri-enne’ (p. 43). La lutte, engageant hommes et femmes pour l’indépendance,conduira donc selon Fanon à une réévaluation et à une redistribution desrôles sexuels dans la société en mutation.15

Considérant l’évolution de la situation en Algérie en 1972, Simone deBeauvoir écrit dans Tout compte fait: ‘Fanon s’est bien trompé quand ilprédisait que grâce au rôle qu’elles ont joué pendant la guerre les femmesalgériennes échapperaient à l’oppression masculine. La politique extérieurede l’Algérie se veut “progressiste”: elle est anticolonialiste et anti-impérialiste.

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12. Une certaine sévéritéde Fanon à l’égard dela femme avait déjàété relevée par GwenBergner, qui notaitdans son étude dePeau noire, masquesblancs, que Fanonjugeait beaucoupplus durement lasoumission dupersonnage du récitautobiographique deMayotte Capécia àl’idéologie raciste et àla volonté de seblanchir que lepersonnage du textede Veneuse. GwenBergner, ‘The Politicsof Admittance: FemaleSexual Agency,Miscegenation andthe Formation ofCommunity in FrantzFanon’, The UTSReview: CulturalStudies and NewWriting 1.1 (1995): 5–29.

13. ‘Fanon’s insistencethat the Algerianwoman’s Europeanimpersonation is “anauthentic birth in apure state” presumesnot that femininity is itself a culturalproduction of themasquerade but thatmasquerade is a natural function offemininity. It assumesthat if the Algerianwoman in her performances as“European” expertlydissimulates, she doesso naturally, without“that coefficient ofplay, of imitation”that characterizesWestern women. [. . .]“Algeria unveiled”dramatizes a form ofmimesis that takesmasquerade as itsobject; the politicalstrategy described ismore like that ofmiming masquerade. [. . .] Fanon’s strategyis to reconstruct thepossibility of agencythat colonialism

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Mais à l’intérieur elle est nationaliste et réactionnaire. Rien n’indiquequ’elle doive avant bien longtemps changer de caractère’ (p. 562). Lesdébats récents en France sur la laïcité rappellent encore la vivacité et lapermanence des enjeux autour du voile.

Au moment où éclate le conflit pour l’indépendance, de nouvelles atti-tudes, de nouvelles conduites, apparaissent chez celles et ceux qui soutien-nent le peuple algérien. Par entière solidarité avec leur lutte, des Européensd’Algérie décident d’y prendre une part active: des Européennes se joignentaux porteuses de valises algériennes. La découverte de leur participationpar les autorités françaises au moment des arrestations fut, selon Fanon,‘l’une des dates de la Révolution Algérienne’ (‘L’Algérie se dévoile’, p. 44).Parmi ces femmes, une institutrice française, Jacqueline Guerroudj, mariéeà un instituteur musulman et membre avec lui de l’A.L.N., fut condamnéeà mort pour avoir remis une bombe à un révolutionnaire algérien. Untémoignage de moralité décisif, reçu en janvier 1958 de la part de Simonede Beauvoir, dont elle avait été l’élève à Rouen, lui permet d’obtenir unegrâce. Ainsi, à travers l’adhésion commune à l’idéal national algérien, desréseaux de soutien se mettent en place de part et d’autre de la Méditerranée.Au-delà des frontières politiques, ces engagements témoignent de l’appari-tion d’une solidarité transnationale: ‘Les limites historiques s’effritent etdisparaissent’ (p. 45).

En France, devant l’impuissance de la gauche, des démocrates anti-colonialistes se lancent dans l’action clandestine de soutien au F.L.N. Desréseaux sont créés, dont celui de Francis Jeanson, philosophe sartrien,collaborateur des Temps modernes, auteur de L’Algérie hors la loi. Ce futJeanson qui accueillit Fanon chez lui à Paris quand il en eut besoin, etce fut également grâce à lui, que le premier livre de Fanon, Peau noire,masques blancs, fut publié aux éditions du Seuil en 1952. Sartreet Beauvoir se solidarisent rapidement avec l’engagement de Jeanson.Lorsque les membres du ‘réseau Jeanson’, sont arrêtés et jugés pouratteinte à la sûreté de l’Etat par le tribunal militaire de Paris, Sartre (alorsau Brésil avec Beauvoir) fait lire au procès en septembre 60 une déposi-tion retentissante, où il déclare se ranger aux côtés des porteurs devalises. Au moment du procès paraît le Manifeste des 121, qui prône ledroit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. Parmi les premiers sig-nataires, Sartre et Beauvoir reçoivent en retour une haine passionnée del’opinion française, sont considérés comme des traîtres, et menacés d’em-prisonnement.16

Postcolonialisme de BeauvoirDès novembre 1954, la revue des Temps modernes ‘réclamai[t] l’indépen-dance pour le peuple algérien et estimai[t] qu’il s’incarnait dans le F.L.N.’17

Beauvoir était donc, dès le début du conflit, fermement opposée au main-tien violent de ‘l’Algérie française’. Devant la marche du monde en 54, elleespérait une ‘imminente décolonisation de toute la planète’. Trois ans plustard, elle comprit que ‘le gouvernement allait s’entêter dans cette guerre.L’Algérie obtiendrait son indépendance: mais dans longtemps’.18

Les pages du troisième volume de l’autobiographie beauvoirienne,La Force des choses, donnent à lire, dans leur déroulement quotidien, ledrame de l’Algérie, à la fois intime et collectif, qui bouleverse l’existence de

414 Annabelle Golay

vitiates, and he doesthis by locating “politics” in the space whereimitation exceedsidentification’. Diana Fuss, op. cit., p. 28–29.

14. Frantz Fanon, L’An Vde la Révolution algérienne, op. cit., p. 50.

15. Elleke Boehmer dansun paragrapheconsacré à Fanondans l’introductionde son récentouvrage, Stories ofWomen, écrit: ‘[. . .]woman to Fanonbecomes a subject ofhistory only throughher part in the nationalresistance. She isuniquely politicised bymeans of thisinvolvement, and,moreover, politicised inan “instinctive” way.[Fanon] writes,“Algerian society . . .renewed itself anddeveloped new valuesgoverning sexual relations”. Women didnot exercise a self-transforming agency inrelation to thesechanges’. EllekeBoehmer Stories ofWomen, Manchester:Manchester UniversityPress, 2005, p. 9.

16. Pour plus de détailssur la lettre de Sartre,la condamnation à lafois officielle, publiqueet de la presse, sereporter à La Force des choses, op. cit., p. 571–74.

17. Simone de Beauvoir,La Force des choses, op. cit., 1963, p. 340.

18. ibid., p. 387.

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Beauvoir: ‘Ma propre situation dans mon pays, dans le monde, dans mesrapports à moi-même s’en trouva bouleversée’ (p. 387). La seconde partiedu texte, qui couvre les années 1952–63, est entièrement dominée par laguerre d’Algérie, à laquelle sont consacrées près de quatre cents pages, àl’exception du récit de voyage au Brésil en 1960, où la situation algérienne(bien que lui parvenant par échos réfractés) demeure pour elle un souci‘brûlant’ (p. 386). Il est frappant que, dans ces pages, le drame algériensoit vécu par Beauvoir sur un mode intime et personnel: ‘ça m’atteignait’,écrit-elle, puis: ‘j’ai vécu la guerre d’Algérie comme un drame personnel’(p. 389 et 681). L’écriture de soi et l’écriture de l’histoire se tissent ici enun seul et même geste d’écriture: la Force des choses constitue autant undocument exceptionnel sur la guerre d’Algérie, qu’un témoignage du sou-tien inconditionnel, en acte et en écriture, de Beauvoir au peuple algérienet à sa cause. Si la Seconde Guerre mondiale lui avait découvert son his-toricité, c’est véritablement au moment de la guerre d’Algérie que Beauvoirs’engage politiquement, et réalise une certaine indépendance politique etlittéraire à l’égard de Sartre (voir Julien Murphy, p. 277).

De 1954 à 1960, Beauvoir met en question dans l’écriture autobi-ographique son rôle en tant qu’intellectuelle, cherchant à s’engager d’unemanière qui lui soit propre: elle refuse le jeu de double qui consisterait àfaire la même chose que Sartre. A cet égard, il faut souligner qu’aumoment où Beauvoir s’engage pleinement et définitivement dans la lutteanticoloniale en 1960, c’est par le truchement de son engagement fémin-iste: en mai 60, l’avocate Gisèle Halimi sollicite son soutien pour alerter lesautorités et l’opinion publique sur le cas d’une jeune Algérienne, injuste-ment accusée de terrorisme: Djamila Boupacha, fut pendant deux moisemprisonnée par les parachutistes français, torturée et violée. Si la jeunefemme admit, dès son arrestation, qu’elle militait au côté des forces derésistance algérienne, elle nia en revanche toute implication dans unattentat à la bombe. De faux aveux lui furent arrachés sous la torture. Ala fois anticolonialiste et féministe, la lutte de Beauvoir en sa faveur répondà la double colonisation à la fois impérialiste et patriarcale, dont Djamilaest victime, et qui la place, pour reprendre le concept de Gayatri Spivak, ensituation de ‘subalterne’.19

En visite dans sa prison de Barberousse à Alger, Gisèle Halimi encour-age la jeune fille à déposer une plainte et à demander une enquête, quinécessite un ajournement du procès. Pour préparer sa défense devant letribunal algérien et tenter d’obtenir un transfert du dossier en France, ilest urgent d’obtenir un délai supplémentaire. Gisèle Halimi fait appel àBeauvoir: se chargerait-elle de le réclamer? Beauvoir porte aussitôt unpapier au Monde. Le journal émet des réticences avant la publication, etdemande que des modifications soient apportées au texte – pour lequelBeauvoir dit ‘s’être bornée ou presque à reproduire la relation de Djamila’.La direction du Monde la prie de remplacer le mot ‘vagin’ (employé parDjamila) par celui de ‘ventre’, et de substituer une périphrase à ‘Djamilaétait vierge’.20 Beauvoir refuse. Ces mots sont imprimés entre parenthèses.Le Monde du 2 juin est saisi à Alger pour son article.

La volonté de Beauvoir de reproduire le plus exactement possible larelation de Djamila, luttant pour que ses termes propres soient impriméstels quels, est une manière de relayer une parole étouffée, de rompre le

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19. Gayatri Spivak, ‘Canthe Subaltern Speak?’in Bill Ashcroft,Gareth Griffiths andHelen Tiffin (eds), ThePost-colonial StudiesReader, London/NewYork: Routledge, 2002(first published 1995),p. 24–28.

20. ibid., p. 525.

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silence et le mutisme imposés par le système colonial, ou plus exactement,par un système colonial concurremment sourd à la vérité et prêt à torturerpour entendre de faux aveux. En considérant le souci éthique et le respectabsolu de Beauvoir pour le témoignage de Djamila (il s’agit non pas de parlerpour, mais simplement de donner à entendre), on pourrait, à partir de laquestion de G. Spivak, ‘Can the Subaltern Speak?’, s’interroger sur l’ambiguïtéde la parole relayée, certes non autonome, mais ayant pu être entendue.

Pour donner plus de poids à la lutte en faveur de Djamila, Beauvoirsuggère la rédaction d’un livre comportant une relation complète de l’af-faire, qui constituerait à la fois un élément de lutte anticolonialiste dansl’immédiat, pour faire éclater la vérité, en même temps qu’un témoignagepour l’avenir. Gisèle Halimi se charge de l’écrire. Beauvoir le préface et leco-signe pour en partager la responsabilité pénale avec elle. Au moment dela parution, Beauvoir est directement menacée: la police refusant de laprotéger, ce sont des étudiants qui passent des nuits chez elle à veiller et àguetter; son immeuble est épargné.21

Le livre Djamila Boupacha (1961) reproduit l’éditorial au Monde deBeauvoir, dont un des points essentiels est la lumière faite sur ce que Beauvoirdénonce comme ‘l’aspect le plus scandaleux de cette scandaleuse affaire –le fait que les gens s’y étaient habitués’. Cette prise de conscience que ladémoralisation de la nation passe par l’habitude est traitée dans la Forcedes choses, où Beauvoir écrit:

Aujourd’hui, en ce sinistre mois de décembre 1961, comme beaucoup de

mes semblables, je souffre d’une sorte de tétanos de l’imagination [. . .] C’est

peut-être ça le fond de la démoralisation pour une nation: on s’y habitue.

Mais en 1957, les os brisés, les brûlures au visage, au sexe, les ongles

arrachés, les empalements, les cris, les convulsions, ça m’atteignait.22

Le jeu des temporalités de l’écriture autobiographique (Beauvoir relisant etretravaillant en 1961 un texte de 1957) révèle ici une tension entre lesenjeux propres à deux moments du conflit: en 1957, contre la conspira-tion du silence, contre la presse devenue entreprise de falsification, il s’agis-sait de faire connaître la vérité de la torture en Algérie; en 1961, c’estcontre le ‘tétanos de l’imagination’, contre l’habitude et la banalisation duscandale perpétué, qu’il faut résister. Si elle ne fut pas la première, en1960, à dénoncer l’insupportable vérité (avaient paru Sur la torture dePierre-Henri Simon, La Question d’Henri Alleg, et le recueil Les Rappeléstémoignent), Beauvoir s’investit entièrement pour libérer Djamila, et à tra-vers elle, toutes les victimes du colonialisme: femmes et individus opprimés.Pour amener les Français à assumer leur propre responsabilité dans uneguerre faite en leur nom (l’inertie est aussi une attitude politique), contrela torture érigée en système, elle mobilise tout son pouvoir social et intel-lectuel, pour lancer un appel public en faveur de la justice, de la liberté etde l’action morale.

Beauvoir crée, par ailleurs, un comité de soutien pour Djamila, préside denombreuses conférences de presse, répond aux interviews, conduit ladélégation devant les autorités françaises pour obtenir le dessaisissementdes tribunaux militaires algériens, le transfert du procès en France afinque la plainte de Djamila mène à des sanctions contre ses tortionnaires

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21. Voir La Force deschoses, op. cit., p. 641–42.

22. ibid., p. 387.

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(la lutte continua jusqu’en 1962, où malgré le transfert obtenu, et l’iden-tification des coupables, la plainte de Djamila ne put aboutir: ‘pour ne pasporter atteinte au moral de l’armée’; elle fut libérée suite aux accordsd’Evian).

Beauvoir fut si ‘frappée’, selon son propre terme, par le contenu de l’en-trevue avec les officiels, qu’elle décide d’en témoigner dans la Force deschoses, bien que G. Halimi ait déjà pris en charge ce récit. Ce qui lafrappe si profondément, au cours des entretiens, c’est l’aveu paradoxal duMinistre de la justice face à la pratique de la torture, dont il possède à lafois une entière connaissance, mais qu’il est impuissant à contrôler. Mêmemauvaise foi de la part de M. Patin, président de la Commission deSauvegarde, qui se refuse pendant la rencontre à toute empathie, instal-lant une infranchissable distance entre soi et les autres. Pas de salut moralpar le dépassement vers autrui, pas de reconnaissance de la singularité deDjamila (selon Fanon, les femmes algériennes sont toujours perçues parl’Européen comme un ensemble homogène et indifférencié), dont il chercheà minimiser l’humiliation subie (elle n’en est pas morte . . . ):

On en revint à Djamila. ‘Que vous a-t-elle dit, exactement, à propos de la

bouteille?’ demanda-t-il à Gisèle Halimi d’un air légèrement égrillard. Elle le

lui dit, il hocha la tête: ‘C’est ça, c’est ça ! ‘ Il sourit finement: ‘J’avais craint

qu’on ne l’eût assise sur une bouteille, comme on faisait en Indochine avec

les Viets.’ (Qui ça, on, sinon les chers officiers aux mains pures?) ‘Alors les

intestins sont perforés et on meurt. Mais ça ne s’est pas passé ainsi.23

Vous prétendez qu’elle était vierge. Mais enfin, on a des photos d’elle,

prises dans sa chambre: elle est entre deux soldats de l’A.L.N., armes en

mains, et elle tient une mitraillette.’ Et alors? elle a toujours proclamé qu’elle

militait dans l’A.L.N.; ça ne met pas en cause sa virginité avons-nous dit.

‘Tout de même, pour une jeune fille, c’est plutôt scabreux’, répondit-il.24

La réaction de M. Patin est révélatrice de l’attitude générale de l’homme,du colon, du conquérant, face à la femme algérienne. Fanon écrit, à cetégard, dans ‘L’Algérie se dévoile’, que ‘confusément, l’Européen vit à unniveau fort complexe sa relation avec la femme algérienne’.25 En psychia-tre, Fanon souligne l’existence, dans l’imaginaire colonial, du fantasme duviol, du fantasme du voile ôté, de la conquête érotisée de la terre et de lafemme algériennes; étant à la fois conçue ‘comme support de la pénétra-tion occidentale dans la société autochtone’,26 et comme ce qui sous levoile résiste, faisant exister un monde dont il est exclu, voyant sans êtrevue et le frustrant de la non réciprocité de son regard, la femme algéri-enne, si elle apparaît dans un rêve du colonisateur à contenu érotique, feral’objet d’une ‘double défloration’: ‘le viol de la femme algérienne dans unrêve d’Européen est toujours précédé de la déchirure du voile.’27 Loin den’être qu’un élément du matériel onirique du colonisateur, le viol est laplus réelle violence faite aux corps des Algériennes, perpétuée, sue, tue,par les militaires et les autorités françaises.

Au cœur même de l’écriture autobiographique de Beauvoir: la honte.‘Je ne fus pas fière d’avoir à lui serrer la main’, écrit-elle du Ministre de lajustice. Par nécessité, par devoir peut-être, en tant qu’intellectuelle, en tantque Française, elle avoue l’inavouable attitude des dirigeants. La honte se

417Féminisme et postcolonialisme: Beauvoir, Fanon et la guerre d’Algérie

23. ibid., p. 529.

24. ibid.

25. Frantz Fanon, L’An Vde la Révolution algérienne, op. cit., p. 26.

26. ibid., p. 24.

27. ibid., p. 28.

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révèle être un sentiment fondamental, qui sous-tend son geste d’écriture.Dans le remarquable Livre des hontes (2006), Jean-Pierre Martin analysele lien profond entre l’écriture et la honte, dont elle peut être le premiermoteur: la honte, ‘émotion particulièrement inavouable’, à la fois la plushistorique et la plus singulière – ‘alcool fort de la littérature’. Dans l’auto-biographie de Beauvoir, l’écriture de la honte devient, selon la formule deJ.-P. Martin, ‘face à face avec soi-même sous le regard de l’autre’,28 oùBeauvoir s’astreint à s’examiner, adoptant le point de vue d’autrui, etacceptant en ‘témoin inquiet de sa propre désubjectivation’, de se trans-former en objet de son regard et de son jugement: ‘J’avais besoin de monestime pour vivre et je me voyais avec les yeux des femmes vingt fois vio-lées, des hommes aux os brisés, des enfants fous: une Française.’29

S’écrivant comme l’autre en miroir, Beauvoir tend à assumer l’ambiguïté desa situation, qui fut de se voir elle-même à travers le regard des autres,comme complice de cette guerre qui lui fait horreur, tout en s’éprouvanten rupture par rapport à ces concitoyens, en dissidente par rapport à lapolitique colonialiste de la France:

Je ne supportais plus cette hypocrisie, cette indifférence, ce pays, ma propre

peau. Ces gens dans les rues, consentants ou étourdis, c’étaient des bour-

reaux d’Arabes: tous coupables. Et moi aussi. ‘Je suis française.’ Ces mots

m’écorchaient la gorge comme l’aveu d’une tare. Pour des millions d’hommes

et de femmes, de vieillards et d’enfants, j’étais la sœur des tortionnaires,

des incendiaires, des ratisseurs, des égorgeurs, des affameurs; je méritais leur

haine puisque je pouvais dormir, écrire, profiter d’une promenade ou d’un

livre: les seuls moments où je n’avais pas honte, c’étaient ceux où je ne le

pouvais pas [. . .]30

La honte: moteur du dire, moteur de l’écriture autobiographique deBeauvoir. Honte de soi, honte des autres, honte du colonialisme français,honte d’être Française, honte de ses origines bourgeoises, de ses privilèges, desa complicité avec la guerre. Dire sa honte, écrire sa honte, constitue pourBeauvoir le point de départ pour une morale solidaire et de la relation àl’autre. ‘Car la honte se présente aussi, pour l’homme occidental, comme unferment de solidarité’, écrit J.-P. Martin, qui rappelle la préface de Sartre auxDamnés de la terre: ‘Ayez le courage de lire Fanon: pour cette raison qu’il vousfera honte et que la honte, comme disait Marx, est un sentiment révolution-naire’.31 La capacité de Beauvoir de se mettre en question et à distance desoi, lui permet de puiser dans la connaissance des conditions authentiquesde son existence, la force de vivre et des raisons d’agir: il lui faut assumerl’ambiguïté fondamentale de sa condition, se défaire des lecta, rechercher unsens vrai de la réalité, défendre la liberté de tous et de chacun.

D’un point de vue philosophique et moral, il apparaît que la période dela guerre d’Algérie, où Beauvoir ressent plus vivement que jamais le para-doxe de sa condition (être dans le monde à la fois sujet et objet), constituepour elle une mise à l’épreuve concrète de la morale existentialiste,développée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans son essaiphilosophique Pour une morale de l’ambiguïté (1947). La liberté, ‘conditionpremière de toute justification de l’existence’, et le rapport indissolubleentre soi et autrui, en constituent le fondement: ‘Se vouloir libre, c’est

418 Annabelle Golay

28. ibid., p. 10.

29. ibid., p. 391.

30. ibid., p. 406.

31. Jean-Pierre Martin,Le Livre des hontes, op.cit., p. 38. Citation deJ.-P. Martin de la préface de Sartre auxDamnés de la terrede Fanon, Paris:Maspero, 1961, p. 14.

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aussi vouloir les autres libres’ 32 (voir la section ‘An Ethics of Intersubjectivity,’J. Murphy, pp. 280–85).

D’un point de vue littéraire, il semble qu’au moment du conflit algérien,Beauvoir ait trouvé dans l’écriture autobiographique une praxis où réalisersa propre liberté, un moyen de se révéler à elle-même, et de reprendre à soncompte l’Histoire et l’histoire de sa vie: ‘Ma vie a été en même temps le pro-duit et l’expression du monde dans lequel elle se déroulait et c’est pourquoij’ai pu, en la racontant, parler de tout autre chose que de moi’.33 La préférenceassumée de Beauvoir pour la littérature autobiographique est un choix fortrare au regard des nombreux détracteurs du genre, qui objectent qu’il neconstitue qu’une ‘littérature mineure’, un genre féminin: il serait ‘le degréle plus bas de la teneur littéraire, celui du reportage ou du témoignage sansapprêts’.34 Il faut toutefois mettre en lumière l’invention littéraire propre àBeauvoir, qui tient au fait que dans un même mouvement, l’écriture de soiest aussi écriture des autres: le destin d’une nation et d’une intellectuelle yest montré en un enlacement génial. Par ailleurs, le recours à l’autobiogra-phie, conçue comme ‘corps écrit’ (Béatrice Didier), constitue le genre littéraireprivilégié pour exprimer la pensée corporelle de la honte en relation auxsouffrances infligées au peuple algérien dans sa chair. D’autre part, cechoix générique, plutôt que celui de l’essai ou du roman, est particulière-ment signifiant, puisqu’il permet à Beauvoir de s’adresser directement etintimement à son lecteur, de le réunir avec le collectif, et de rétablir en lui cesens de la liaison à autrui, qui est à la fois le fondement de la morale et de laliberté.

La lecture critique que Beauvoir donne de la manière dont elle a vécuet s’est engagée pendant la guerre d’Algérie, indique dans l’autobiographiemême, des voies possibles pour une éthique postcoloniale. Le tour de forcede ce texte est d’avoir réalisé dans le moment de l’écriture, et avant que larévolution pour la libération ne soit accomplie, une proposition pour uneconduite morale postcoloniale.

La rencontre Beauvoir-FanonLe texte de La Force des choses, qui vise son propre dépassement, ce textetendu, peut être reçu par le lecteur avec d’autant plus de force queBeauvoir y livre son cheminement dans son ensemble avec un souci con-stant de vérité, ne cherchant en rien à masquer ses propres contradictions,mais s’efforçant au contraire de les saisir dans le geste même de l’écriture.Beauvoir n’hésite pas pour décrire comment, en tant qu’intellectuelle, il luia été difficile dans un premier temps d’apprécier lucidement, par exemple,l’action clandestine de soutien au F.L.N. du réseau Jeanson.

Lorsque Beauvoir et Fanon se rencontrèrent à Rome pendant l’été 1961,ils se penchèrent de nouveau au cours de conversations qu’ils eurent, surles difficultés avec soi-même auxquelles l’intellectuel doit s’affronter pourpasser à l’action. Ces rencontres et ces conversations sont rapportées dansla Force des choses, où Beauvoir souligne chez Fanon la vivacité du conflitentre l’intellectuel et le révolutionnaire:

Partisan de la violence, elle lui faisait horreur; ses traits s’altéraient quand il

évoquait les mutilations infligées par les Belges aux Congolais, par les Portugais

aux Angolais – les lèvres percées et cadenassées, les visages aplatis à coup de

419Féminisme et postcolonialisme: Beauvoir, Fanon et la guerre d’Algérie

32. Simone de Beauvoir,Pour une morale del’ambiguïté, Paris:Gallimard, 2003(première édition1947), p. 103.

33. Simone de Beauvoir,Tout compte fait, Paris:Gallimard, 1972, pp.39–40.

34. Jacques Lecarme etEliane Lecarme-Tabone,L’Autobiographie,Paris: Armand Colin,2004, p. 7.

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palmatorio – mais aussi quand il parlait de ces ‘contre-violences’ des Noirs et

des durs règlement de compte qu’avait impliqués la révolution algérienne. Il

attribuait ces répugnances à sa condition d’intellectuel: tout ce qu’il avait

écrit contre les intellectuels, il l’avait écrit contre lui-même.35

D’après Beauvoir, les origines de Fanon aggravaient ses conflits:

Dans sa jeunesse, il avait cru pouvoir surmonter, par sa culture et sa valeur,

la ségrégation raciale; il s’était voulu français: pendant la guerre, il avait

quitté la Martinique pour se battre. Faisant sa médecine à Lyon il avait com-

pris qu’aux yeux des Français un Noir restait toujours un Noir et il avait

agressivement assumé la couleur de sa peau.36

Mais quand Fanon fut nommé directeur de l’hôpital psychiatrique de Blida,en Algérie, en 1953, c’était l’intégration dont il avait rêvé. En intro-duisant dans ses services la ‘social-thérapie’, méthode de soin auxaliénés, basée sur la restauration de leurs référents culturels, Fanongagne la reconnaissance du personnel soignant (pour la plupart engagépolitiquement) et celle des militants de la région. De plus, ses positionsanticolonialistes étant peu à peu connues, Fanon est bientôt contacté parle mouvement ‘Amitiés algériennes’, qui lui demande de prendre encharge des maquisards souffrant de troubles psychiques. C’est ainsi, parla proximité entre psychiatrie et engagement politique, que Fanon s’engagedans la lutte.

Pendant un an, Fanon continue à servir la révolution sans abandonnerson poste à l’hôpital: il dispense des leçons aux révolutionnaires, leurapprend à contrôler leurs réactions au moment de déposer une bombe oude lancer une grenade, et à trouver quelle attitude psychologique ouphysique peut les aider à résister le mieux à la torture. Dans le mêmetemps, toutefois, il se doit de soigner des commissaires de police françaisqui ont trop ‘questionné’. Si au cours de cette année-là, Fanon s’était déjàsenti écartelé, ne voulant pas renoncer à un statut difficilement acquis,mais reconnaissant la cause des Algériens comme sienne, en 1956 la con-tradiction lui devient insupportable: dans une lettre ouverte à Lacoste,ministre-résident et gouverneur général de l’Algérie, il démissionne de sonposte, rompt avec la France et se déclare Algérien.

Ce choix de rupture totale – se choisir Algérien contre la France, con-tre le colonialismese double dans l’écriture de Fanon d’une exigence deremise en question intégrale de la situation coloniale. La résistanceextrême de son écriture oblige à s’interroger sur son statut littéraire: ungeste profondément militant dirigé contre I’idéologie colonialiste est àl’origine même du geste d’écriture de l’An V de la Révolution algérienne etdes Damnés de la terre, œuvres révolutionnaires, de combat, nationales.Dans cette mesure, on peut repenser l’œuvre de Fanon à la lumière duconcept de ‘stratégie ou de résistance postcoloniale’, que présente etdéveloppe Jean-Marc Moura, dans un article de 2001, paru dansLittérature postcoloniale et francophonie, et intitulé ‘Sur quelques apports etapories de la théorie postcoloniale pour le domaine francophone’. Le con-cept de stratégie ou de résistance postcoloniale renvoie, selon J.-M.Moura:

420 Annabelle Golay

35. ibid., p. 622.

36. ibid., p. 620.

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[…] aux œuvres qui tentent de résister à l’idéologie coloniale, y compris

durant la période de colonisation. […] A cet égard, Aimé Césaire ou Léopold

Sédar Senghor sont des auteurs postcoloniaux au même titre qu’Edouard

Glissant ou Henri Lopès. C’est une situation d’écriture qui est considérée et

non plus seulement une position sur l’axe du temps.37

Cette conception du ‘postcolonial’ comme non exclusivement chronologique(le post-colonial se constituant nécessairement après le colonial), permetde le redéfinir en termes oppositionnels et critiques. Cette façon nonchronologique d’appréhender le postcolonial se retrouve également dansl’ouvrage d’Anne Donadey, Recasting Postcolonialism. Il faut noter à cet égardque la définition que propose Donadey du terme anticolonial, comme forte-ment marqué par une opposition binaire, correspond bien au manichéismeà l’œuvre dans les essais théoriques de Fanon (sur le manichéisme de Fanon,voir Anne McClintock, ‘No longer in a Future Heaven’, pp. 93–99).

Par ailleurs, la dimension radicale et l’urgence à l’œuvre chez Fanonsont à comprendre au regard de sa situation personnelle: il était atteintd’une leucémie, qui le condamnait, lui laissant un très bref sursis. Fanonest donc en lutte tant intimement que collectivement: lutte anticolonialisteauprès du peuple algérien avec lequel il fait corps, lutte contre le dérègle-ment physique de son propre corps. Au moment de sa rencontre avecBeauvoir et Sartre, il savait qu’il n’avait plus qu’un an à vivre (il mourraquelques mois plus tard, le 8 décembre 1961 dans une clinique près deWashington, aux Etats-Unis). Certains de ses textes avaient déjà été pub-liés par la revue des Temps modernes. Sartre et Beauvoir admiraient son tra-vail dans Peau noire, masques blancs et dans L’An V de la révolution algérienne.Il venait de rencontrer Claude Lanzmann à la conférence anticolonialistede Tunis où celui-ci représentait les Temps modernes, et lui demanda deremettre à Sartre le manuscrit des Damnés de la terre, pour qu’il le préface.Lanzmann et Fanon rejoignirent Beauvoir et Sartre à Rome (Fanonsouhaitait y soigner ses rhumatismes). Plusieurs jours de discussions inin-terrompues s’en suivirent avant le retour de Fanon à Tunis.

Dans la Force des choses, Beauvoir s’attache à souligner à la fois l’inten-sité humaine de la rencontre (terme qui revient souvent sous la plume deBeauvoir à l’égard de Fanon; à sa mort, elle écrit: ‘Sa mort pesait lourdparce qu’il l’avait chargée de toute l’intensité de sa vie’, p. 635), mais aussiles limites de leur entente. A un premier niveau, Fanon reprochait à Sartreet à Beauvoir une certaine forme de réserve ou d’économie de soi, qu’il nepouvait tolérer en raison du caractère doublement urgent de la situation:

Nous retrouvâmes Sartre pour déjeuner: la conversation dura jusqu’à 2

heures du matin; je la brisai le plus poliment possible, en expliquant que

Sartre avait besoin de sommeil. Fanon en fut outré: ‘Je déteste les gens qui

s’économisent’, dit-il à Lanzmann qu’il tint éveillé jusqu’à 8 heures du matin

[…] Fanon avait énormément de choses à dire à Sartre et de questions à lui

poser. ‘Je paierais vingt mille francs par jour pour parler avec Sartre du

matin au soir pendant quinze jours’, dit-il en riant à Lanzmann (p. 619).

Fanon leur reprochait, plus sérieusement et à un second niveau, le faitd’être français, et surtout, de ne pas suffisamment l’expier (Fanon n’avait

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37. Jean-Marc Moura,‘Sur quelques apportset apories de lathéorie postcolonialepour le domaine francophone’, inLittératurepostcoloniale etfrancophonie, Paris:Champion, 2001, p. 151.

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sans doute pas connaissance des écrits en cours de Beauvoir, motivés parla honte d’être française). Le reproche vise principalement Sartre dans lamesure où c’était lui (bien davantage que Beauvoir) qui, à ce moment-là,incarnait, pour Fanon et le reste du monde, l’action politique de soutien àtous les opprimés en guerre contre le colonialisme. C’est précisément enraison de la valeur et de la notoriété de l’engagement de Sartre, que Fanonavait souhaité la préface qu’il donna à son livre (qui reste un très beautexte, peut-être davantage lu et commenté au cours des années que lecorps de texte de Fanon). Pourtant, dans l’introduction de l’édition de2002 des Damnés de la terre, Alice Cherki met au jour un aspect importantde la réception du texte de Sartre par Fanon: d’après elle, Sartre s’éloignedu projet initial qu’il présente: d’abord, en l’adressant essentiellement auxEuropéens, tandis que Fanon s’adresse à tous vers un dépassement de la‘peur de l’autre’; ensuite, en radicalisant l’analyse de Fanon sur la vio-lence. Alice Cherki explique comment Fanon reçut cette préface: ‘Fanon,en lisant la préface de Sartre, ne fit aucun commentaire; il resta mêmecontrairement à son habitude, extrêmement silencieux. Néanmoins, ilécrivit à François Maspero qu’il espérait avoir, le moment venu, la possibilitéde s’expliquer.’38

Au-delà des divergences entre Fanon et Sartre (le dialogue semble par-fois impossible), il reste de la rencontre romaine, un magistral portrait deFanon, dressé par Beauvoir dans la Force des choses, et dont il faut soulignerla justesse et la sensibilité:

D’une intelligence aiguë, intensément vivant, doté d’un sombre humour, il

expliquait, bouffonnait, interpellait, imitait racontait: il rendait présent tout

ce qu’il évoquait.

Nos conversations furent toujours d’un extrême intérêt, grâce à la richesse

de son information, son pouvoir d’évocation, la rapidité et l’audace de sa

pensée. Par amitié, et aussi pour l’avenir de l’Algérie et de l’Afrique, nous

souhaitions que sa maladie lui accordât un long sursis. C’était quelqu’un

d’exceptionnel. Quand je serrais sa main fiévreuse, je croyais toucher la

passion qui le brûlait. Il communiquait ce feu; près de lui, la vie semblait une

aventure tragique, souvent horrible, mais d’un prix infini.39

De Beauvoir à Fanon, quelque chose est passé, le feu a été communiqué. Demême que Fanon est considéré aujourd’hui comme un auteur postcolonial,il faut relever une dimension comparable dans l’œuvre de Beauvoir, qui, trèstôt et radicalement, s’est opposée au système colonial, a posé la nécessitépour les femmes comme (pour les) individus colonisés, de transcender la con-dition de l’Autre imposée de l’extérieur par leurs oppresseurs, et a ouvert lesvoies d’une conduite morale pour un avenir postcolonial. Beauvoir suggèreainsi une dialectique qui va de la position de l’Autre à une position autre, àun avenir autre, qui est mouvement tendu vers l’avenir, engagement et liai-son aux autres. Chez Beauvoir et Fanon, se trouve une même volonté dedépassement, qui ressortit à une conception commune de la temporalité: àpartir de la conscience de la valeur du présent, il s’agit de retourner l’expéri-ence du négatif, pour s’arracher vers l’avenir (le titre du livre de Fanon, L’AnV de la révolution algérienne, manifeste ce projet). Dans Pour une morale de l’am-biguïté, Beauvoir écrit que ‘chacun doit mener sa lutte en liaison avec celle

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38. Alice Cherki, ‘Préfaceà l’édition de 2002’,in Les Damnés de laterre, op. cit., p. 11.

39. Simone de Beauvoir,La Force des choses, op.cit., p. 620 et 624respectivement.

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des autres et en l’intégrant au dessein général’,40 ce qui souligne l’inter-dépendance et la solidarité de toutes les luttes de libération. L’oppressionayant plus d’un visage, si dans le contexte historique de la fin des années 50et du début des années 60, l’engagement féministe de Beauvoir semble sub-ordonné à la lutte pour la décolonisation, c’est d’une part que l’urgence de lasituation l’exigeait, et d’autre part, que la libération des nations coloniséesservait la lutte de libération des femmes (ce que défend Fanon dans ‘L’Algériese dévoile’): ‘First things first’, pourrait-on dire en reprenant la formule-titre de Kirsten Holst Petersen.’41 Les luttes de libération nationale et fémin-iste s’expriment dans le même moment de l’histoire, dans les mêmes termes,possèdent de nombreux enjeux communs, et sont donc extrêmement liéessans pour autant toutefois s’équivaloir. Nous voyons au terme de cette étudecomment une hiérarchie peut être établie entre elles, avec l’urgence historiquede l’une par rapport à l’autre exprimée chez Beauvoir, et la subordinationinclusive chez Fanon de la lutte pour la libération des femmes à travers lareconquête nationale.

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40. Simone de Beauvoir,Pour une morale del’ambiguïté, op. cit., p. 111.

41. Kirsten HolstPetersen, ‘First ThingFirst. Problems of aFeminist Approach to African Literature’,in The Post-colonialStudies Reader, BillAshcroft et al. (eds), op. cit., p. 251.

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Suggested citationGolay, A. (2007), ‘Féminisme et postcolonialisme: Beauvoir, Fanon et la guerre

d’Algérie’, International Journal of Francophone Studies 10: 3, pp. 407–424,doi: 10.1386/ijfs.10.3.407/1

Contributor detailsAnnabelle Golay is a Ph.D. candidate in French, specialist of the twentieth-centuryliterature. The title of her dissertation project is: ‘Les autobiographies de Simone deBeauvoir, témoignage capital d’un siècle’. She is preparing her Ph.D. in a ‘cotutelle’,which is an agreement that allows her to prepare a co-directed Ph.D. both at TulaneUniversity and at the University of Lyon 2 in France. Contact: Tulane University,French Department, 311 Newcomb Hall, New Orleans, La 70118.

E-mail: [email protected]

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