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FernandoScaerese

PhilosophicaVitae

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©FernandoScaerese,2020

ISBNnumérique:979-10-262-6303-6

Courriel:[email protected]

Internet:www.librinova.com

LeCodedelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.

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"Jeporteenmoicetteblessureetbienqu'ellesoitapaisée,jelasenstoujours.Je la regardeavecun sourire, presque soulagéde savoirqu'elledisparaîtraàtoutjamaislorsquejem'éteindrai".

ElioBenesole

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Prologue

Paris1995.Dansunesalledecoursd’unlycéeparisien.Premierjourd’école.Laclasseal’airbienagitée.Unprofesseurestderrièresonbureau.Ilesthabilléd’une veste en velours marron. Les cheveux mi-longs, poivre et sel, lunettesrondesde lecture sur lenez, sabarbedoitdaterde trois jours. Il a les épauleslarges. Le regard profond. Il termine l’appel. Sa voix est grave, presquenonchalante.

—GuillaumeTrandin.—Présent!

—Anne-MarieUrtelem.

—Présente!

—SophiaVitalonga.

—Présente!

Cettedernièrelerepritsoudain.

—Monsieur,cen’estpasSophia,c’estStella,StellaVitalonga!

Eliojetaunrapidecoupd’œilsursalisteetcorrigeaenfaisantunsignedetêteà la jeune fille aux lunettesà lamonturenoireet la chevelureépaisse.Puis, ilpoursuivit.

—EtSamiaZiriad!

—Présente!

Puisàsontour,ilseprésentadesontoncalmeetécrivitsonnomsurungrandtableaunoir.

—Jem’appelleElioBenesole,je...

Soudain,ilsevitcoupédanssonélan.

—Excusez-moimonsieur,maisd’habitudelesprofsseprésententtoujoursenpremier,vous,vousfaiteslecontraire.

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Quelques élèves se tournant versStellaVitalonga approuvèrent sa remarquenonsansémettrequelquesricanements.

—Vousavezunproblèmeavecça,Sophia?répliqua-t-ild’unairdistant.

—Nonmonsieur, aucun,mais vous par contre, vous en avez un petit avecmonprénom,cen’estpasSophia,c’estStella.

ElioBenesole,surprisparl’audaceetlamanièredésinvoltedontlajeunefillefit preuve, continua impassiblement en reprenant avec un brin d’humourcynique.

— Alors imaginons que l’appel n’ait pas été fait. Je m’appelle donc ElioBenesole et je serai votre professeur de Philosophie durant toute cette annéescolaire.

Desricanementsplusfortssefirententendre,quandunevoixs'exclama.

—Jelekiffetropceprof,ilesttropdrôle!

Une déferlante de rires et de moqueries vinrent agiter toute la classe. Elioaffirmant son autorité répliqua fermement en haussant légèrement le ton et enfixantdroitdanslesyeuxl’undeschahuteurs.

—Jenesuispasicipourvousapprendrelerespectetlacourtoisie,jesuisicipour vous dispenser d’un cours de philosophie. Le reste, je le laisse à vosparents.

Soudain,unautreélève,gaillardcelui-ci,l’interpellaàsontour.

—Ditesmonsieur,c’estbienvousquiétiezchampiondejavelot,non?Parceque, au club où je fais de l'athlétisme, y a unmec sur une photo qui lance lejavelotetilportelemêmenomquevous!

Ilyeutunsilence.

—Ilyalongtempsoui,répondit-ilavecpesanteur.

Puis,laclasses’agitaànouveau.Eliolabalayaduregardcommes’ilcherchaitd’autresélémentsperturbateurs.Lesélèves regardaient leurprofesseuravecunairétrange.Onpouvaitapercevoirdansleregardvaguedecedernierqu’ilétaitprésentparmisesélèvesmaisailleursàlafois.Sesyeuxfixaientquelquechosequelesautresnepouvaientpercevoir.Unélèveinterloquéparleregardpénétrant

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deMonsieurBenesole,l’interpella.

—Eh,monsieur est-ce que les profs de philo ont tous lemême regard quevousquandilss’adressentàleursélèves?

Leschuchotementsetlesbavardagess’estompèrentjusqu’àcelaclasseentièreretrouvelecalme.

L’enseignantnerelevapas.Sursonvisage,lestraitsétaientdursetmarqués,on devinait dans ses yeux une certaine souffrance, reflet d'une douleur qu’ildevaitpeut-êtreporteren lui. Iln’avaitpas l’air très inspirantetdéjàquelquesélèvesdont l’intérêtà laphilosophieétait totalementabsentsedemandèrentcequ’ilsfaisaientlà.MaisM.Benesolepoursuivit.

—Contrairementàcertainsquipourraientpenserqu’ilspuissentsepasserdelaphilocetteannée,jepeuxvousassurerd’unechose,etjevousledisenvérité:l'algèbreestauxmathématiques,cequelaphilosophieestàlavie.

Au fond, ça ricanait toujours, devant, ça chuchotait et au milieu, certainsélèves tentaientd’êtreattentifs.Unélèveassis toutprèsde la fenêtre tourna latête vers l’extérieur, son attention était attirée par le bruit d’une tronçonneuse.Des employésde laville étaient en traind’élaguerun arbrequi se trouvait del’autre côté de la rue. Puis, une nuée d’étourneaux passa juste au-dessus del’arbre, formant une vague gigantesque.Amusé par lemouvement régulier deces allers et venues, l’élève fut fasciné par la rapidité et la précision aveclesquelleslesoiseauxsedéplaçaient.Toutengardantleurunité,ilsformaientdessortesdenuagesàcontourgéométrique.

Unautreélève,situéaufonddelasalle,semblaittotalementdésintéresséparlesproposduprofesseuret s’amusaità rattrapersapommequ’il jetaiten l’air.Assis derrière son bureau, Elio Benesole les avait remarqués. Et celacommençaitdéjààl’irriter.

Cesgestesetcomportementsirrespectueuxetincessantsl’agaçaientdeplusenplus. Il sortit soudainementuncouteaude sapoche. Il lemit entre ses jambespour ledépliersansse fairevoir.Lemancheétaitencornepolie, la lameétaitlongue et fine, elle brillait. Ça avait l’air d’être un couteau ancien. Elio seconcentraetobservaavecdesyeuxdelynxlebalancementdelapommedebasen haut puis de haut en bas. Il se leva lentement, sans faire de bruit avec sachaise. M. Benesole était un grand gaillard, sous ses vêtements, on pouvait

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devineruncorpsmassif.Samaindroitequitenaitlecouteauétaitcachéederrièreson dos. Les élèves ne se rendirent compte de rien. Le prof de philo fut-ilemportéparuntorrentd’émotions?Carl’impensableseréalisa.

Le couteau prit la direction des airs, il traversa la classe, et avec untournoiementpresqueparfait,lalamevinttranspercerlapommeenpleinvoldepartenpart,quiàsontourvintseplanterdanslaportedufond.Lecouteauétaitpasséàquelquescentimètresdelatêtedel'élève.

Dehors,lesbruitsd'accélérationdumoteurdelatronçonneusecouvraientlesréactionsdestupéfactiondesélèves.

Calabre,Italie,35ansauparavant...

Je m’appelle Elio Benesole. L’histoire que je vais vous raconter est monhistoire;JesuisnéaufinfonddelaCalabre,enItalie,danslepetitvillagedeSanPastorale,situéaucreuxd’unevallée.Là-bas,ilyalesgensetleurvie.Etilyalavie,belleetmauvaiseparfois,avectoussessecrets,sesmensongesetsessuperstitions. C’est de quoi je suis fait, sans vraiment savoir ce qu’il y a àl’intérieur,telleunecoquilledenoixqu’ilfautcasserendeuxpourdécouvrircequi s’y cache.Moi, j’ai cassé cette noix. J’ai osé briser cet équilibre ; et j’aidécouvert que « la vie n’est que philosophie » comme l’aurait dit AlcidioBenesole,monpère.

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1/L’âmedelaforêt

Calabre1960,findel’été.Lapetitemontagne,oùdesbruitsdehachefendantle bois se faisaient entendre, était verdoyante et vallonnée. Une large forêtaccrochée à cette montagne peuplée principalement de grands charmes et dehêtresrespiraitàpleinspoumons.Lesommetdecelle-cisedécoupaitnettementdans le ciel. Là-haut, l’air est bon et frais. Cematin ensoleillé annonçait unebellejournée,commelesautres,carvuduciel,au-dessusdesnuages,etencoreplushaut, tous les joursse ressemblent.Decettehauteur,de l’espace infinioùtoutsemeutdansunsilenceuniqueetabsolu,onnedistinguequelaterreetonimagine à peine sa rotation ; et de là, cette journée est lamême pour tout lemonde.

Sur un faux plat de la montagne, une drôle de musique résonnait au loin.Commesiunpetitorchestreétaitlà,présentaumilieudelaforêt.Descoupsdehachesetdesvoixsefirententendre.Deuxbûcherons,laquarantaine,lesjambesécartéesetlebusteenavant,jetaientleurhachecontrelepiedd’unarbrepourlefairetomber.

L'undeuxs'adressaàl'autre.

—Encoreunegrossejournéequis'annonce,Bonimento.

—Oui,encoreune.Etaveclesdeuxjeunes,ellevaêtrerentable.

—…etàpropos,cetargentquejet'aiprêté,tucomptesmelerendrequand?Çafaitbientôtdeuxansmaintenant!

—Bientôt,Gustino,bientôt.

—Mais à chaque fois, tu me dis bientôt. 25000 lires, c'est une somme etmaintenantj'enaibesoin!

—Jet'aiditbientôtGustino!…onadutravail,là.

MonsieurBonimentofutbrefetGustino,contrarié,n'insistaplus.

Quelquesmètresplusbas,onentendaitunautresondemusique,unesortede

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ronronnementrégulier.C’étaitunegrandescie,unénormepasse-partoutmaniépardeuxautresbûcherons,deuxjeunesadolescentsauxalluresgaillardesquisetenaient au milieu d’arbres jonchant le sol. Chacun d’eux était vêtu d'unechemisette de couleur dont les manches étaient relevées, l’un, d’une jaune àcarreaux,trapu,ilportaitunefinemoustache;l’autre,d’unemarronunie,ilavaituneallureélancéeetathlétique.Ilétaitplusgrandquesonvis-à-vis.

Surleurcorpsseprofilaientdesmusclessaillants.Ilsn’avaientpasvingtans.Concentréssur lamusiquequisedégageaitdesdentsférocesdupasse-partout,ilsétaientdécidéstelsdeuxforcenés,àfairetomberungrandhêtredeplusieursmètresdehaut.Aufuretàmesurequelalameallaitetvenait,s’enfonçantplusprofondémentdanslalargeurdutronc,elleprojetaitunegrandetraînéedesciurederrièreelle.Auxalentours,descubesdestèresétaientparfaitementamoncelésetalignésformantdesparallélépipèdesrectangles.

En contre-bas, un chien attaché par une corde au buisson, se tenant à platventre,étaitentraindeléchersespattesavant.Justeàcôté,unechèvred’unairgoguenardétaitentraindeprendresonrepasallègrement.Sesmâchoires,tellesde véritables cisailles, s’en prenaient au buisson dont le branchage lui étaitsûrementd’ungoûtalléchant toutautantque lacordeduchiend'ailleurs.Toutcela, sous l’œil attentif d’un âne, ou plutôt, d’unmulet qui se tenait non loin.Patient et impassible, il agitait ses deux grandes oreilles au son effréné deshaches et de la scie, et quand cela lui prenait, il lançait de retentissantshennissements. L’orchestre des bois semblait leur donner à tous les trois, lerythmed’uneviepaisibleetlégère.

Detempsàautre,lesdeuxbûcheronsplusexpérimentésjetaientunœilsurlesdeux adolescents. Ils avaient le regard fixe et les oreilles tendues lorsque lepasse-partoutcessadefaireronronnerseslonguesdents.Uncraquementsourd,suivid’unlonggrincementeffaçasoudainlesouvenirdelamusiquejouéeparlepetit orchestre des bois.Le hêtre de plusieursmètres de haut se laissa tombertoutdoucementcommeuncorpsmortpourrejoindrelessiensgisantausol.L’undes deux adolescents, l'athlète à la chemise marron se dégagea de l’arbreprécipitammentpoursaisir lacordequiavaitétéattachéeàl’unedesbranches,cequiluipermettaitainsidedirigerlachutedel’arbreentirantdessus.L’autre,leplustrapuenfonçaàtoutevitesse,àl’aided’unemassue,deuxcoinsenaciersouslaplantedel’arbrelàoùilavaitétésciépouraideràlefairebasculer.

À cemoment précis, la chèvre arrêta de brouter, les deux oreilles dumulet