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Fiabilité

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Page 1: Fiabilité

Fiabilité et ouvrages de génie civil

J.A. Calgaro

SETRA, Mission de la recherche et de la Réglementation 46 Avenue Aristide Briand - 92225 Bagneux Email : calgaro@setra,fr

RESUME. Les Eurocodes, normes européennes de conception et de calcul des ouvrages de génie civil, sont basés sur une approche semi-probabiliste de la sécurité des constructions, introduisant un certain nombre de concepts états limites, numériquement liés à certains niveaux de fiabilité, fiabilité cible, valeurs de calcul, combinaisons d'actions, erreurs de modèles et coefficients partiels. La fiabilité cible constitue une valeur seuil minimale conven­tionnelle qui doit garantir une durée de vie spécifiée des ouvrages lorsqu 'ils sont construits en respectant certains critères de qualité et maintenus dans des conditions normales. Les probabilités d'occurrence seuil des divers états limites se réfèrent aux conséquences, en cas d'occurrence, d 'une défaillance des ouvrages eux-mêmes, d 'une part, et vis-à-vis des éven­tuelles pertes en vies humaines, d 'autre part. Il convient de souligner, cependant, que la fiabilité réelle est tributaire des modèles de calcul de «résistance» et des modèles de charges ainsi que des risques d'occurrence d'erreurs grossières. Cet article souligne les apports des méthodes et concepts fiabilistes dans le processus d'élaboration des Eurocodes, dont le souci principal est une réduction des risques, une optimisation des coûts, une harmonisation de la sécurité (cas des interactions sol-structure : calcul des hyperstructures, calcul géotechnique et fondations) et une orientation en optimisation du cycle inspection-maintenance-réparation.

ABSTRACT. The Eurocodes, European standards governing the design of civil engineering works, are based on a semi-probabilistic approach. They consider various limit states asso­ciated with probabilities of occurrence: reliability index target (as a threshold of the conven­tional reliability measure), combinations of actions, modelling errors as well as par t ia l fac­tors. These thresholds depend on the failure consequences: failure of structural components as well as loss of human life. The actual reliability is intimately relying on the accuracy of the model used for the design (materials behaviour, structural model, loads model as well as the possible occurrence of gross errors). This paper focuses on the expected benefits of reli­ability and probabilistic methods in the development of Eurocodes : hazards reduction, minimisation of the economical costs, harmonisation of safety (soils-structure interaction, for instance: structures design and geotechnical aspects in foundations design) as well as opti­misation of inspection-maintenance-repair cycle.

MOTS-CLES: Eurocodes, Index de fiabilité. Etats limites, Génie civil, Coefficients partiels.

Codes semi-probabilistes, Durabilité, Erreurs grossières, Erreurs de modèles. Risques, Ac­

tions, Charges, Structures, Géotechnique, Evaluation.

KEY WORDS: Eurocodes, Reliability, Safety Index, Limit states, Civil engineering, Safety fac­

tors. Semi-probabilistic codes. Durability, Gross errors, Modelling errors. Risks, Actions,

Loads, Structures, Geotechnics, Assessment

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Introduction

Les pays de l'Union Européenne sont en train de se doter d'un vaste système norma­tif intéressant tous les secteurs de l'industrie. Dans le domaine des constructions civiles, un processus d'élaboration de normes de conception et de calcul a été amor­cé en 1976, conduisant à un ensemble de textes appelés Eurocodes. Publiés, au fur et à mesure de leur mise au point, en tant que normes provisoires, les travaux de conversion des premiers d'entre eux en normes définitives ont été récemment entre­pris et le retrait des textes nationaux équivalents sera déclenché par la mise en appli­cation progressive des Euronormes correspondantes.

Tous les Eurocodes sont basés sur la même approche du dimensionnement et de la vérification des constructions, à savoir l'approche semi-probabiliste, dont les concepts fondamentaux sont définis dans l'un d'entre eux qui s'appellera bientôt EN 1990 "Bases de calcul" et dans lequel on trouve de nombreuses références à la théo­rie de la fiabilité des constructions. En effet, c'est finalement cette théorie qui fournit la meilleure interprétation du format semi-probabiliste de calcul des constructions, et permet d'aborder de nouveaux problèmes de la manière la plus rationnelle possi­ble. Avant de décrire quelques uns des futurs champs d'investigation, revenons sur certaines bases numériques permettant de quantifier la fiabilité des constructions.

1. Risques réels et probabilités de défaillance

1.1 Qu'est ce que la fiabilité d'une construction ?

De façon générale, on définit la fiabilité comme la probabilité qu'une installation ou un équipement assurent, sous certaines conditions, le service pour lequel ils ont été conçus pendant une durée spécifiée. Si p f désigne la probabilité de défaillance, la fiabilité est égale à r = 1 - p f .

La fiabilité envisagée dans le système des Eurocodes désigne, conformément à l'usage international en matière de construction, la fiabilité structurale, c'est-à-dire l'aptitude d'une structure à satisfaire un certain nombre d'exigences spécifiées. Cette notion recouvre différents aspects qui sont fonction des états-limites et des situations de projet auxquelles se rapportent les exigences en question : • la sécurité structurale (Cf. Normes ISO 8930 ou ISO 2394), censée couvrir,

quelle que soit la situation de projet considérée, la sécurité des personnes à l'égard des risques d'origine structurale et essentiellement attachée au non dépas­sement des états-limites ultimes ;

• l'aptitude au service associée aux états-limites de service dans le cadre de situa­tions durables et de certaines situations transitoires ;

• la tenue aux influences de l'environnement relative à l'intégrité physico­chimique, concernant principalement les situations durables ;

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• la robustesse associée à des états-limites ultimes et à des situations accidentelles

prévues ou non prévues.

Aucun de ces aspects, ni a fortiori la fiabilité structurale elle-même, ne peut en l'état actuel des connaissances être quantifié globalement en termes de probabilités. De plus ces aspects ne peuvent être appréciés qu'à travers des vérifications individuelles (états-limites individuels dans des situations de projet individuelles). Il est cependant fondamental de pouvoir préciser quelques bases numériques afin que les codes de calcul ne soient pas que de simples jeux de l'esprit.

Notons qu'il y a lieu de distinguer la fiabilité structurale effective de la fiabilité structurale de projet : la première concerne les structures existantes et fait intervenir la qualité réelle de leur exécution et de leur maintenance ; la seconde, seule considé­rée dans les Eurocodes, a un caractère conditionnel. Elle diffère de la précédente par le fait qu'elle ne prend pas en compte, notamment, les risques d'erreur humaine grave ni, en sens inverse, les marges implicites de sécurité négligées dans les cal­culs.

1.2 Risque structural

Nous venons de voir que la sécurité structurale, composante majeure de la fiabilité, fait intervenir la notion de risque structural. Le Petit Larousse fournit la définition suivante du risque : danger, inconvénient plus ou moins probable auquel on est exposé. Et l'Eurocode 1 définit le "danger potentiel" comme un événement excep­tionnel et grave, par exemple une action anormale, une influence anormale de l'envi­ronnement, une résistance insuffisante ou un écart excessif par rapport aux dimen­sions prévues.

En réalité, les dangers potentiels dont il s'agit dans les Eurocodes sont seulement ceux qui sont pris en compte dans le format de fiabilité, c'est-à-dire le système de règles et de valeurs numériques de diverses natures (valeurs représentatives, coeffi­cients partiels...) qu'on superpose aux divers modèles (variables de base, comporte­ment structural) pour déterminer ou vérifier le dimensionnement de la structure en incluant, lorsqu'il y a lieu, les marges implicites de sécurité introduites dans les modèles. D'autres dangers potentiels, notamment des risques d'erreur grave, existent et représentent souvent un risque plus grave que les dangers potentiels envisagés dans les Eurocodes. Les risques d'erreur constituent une catégorie particulière de dangers potentiels. Les erreurs ne sont normalement pas couvertes par les règles de calcul courantes. L'expérience montre cependant qu'elle sont loin d'être rares, no­tamment les erreurs d'exécution, et, fort heureusement, les plus bénignes d'entre elles (que l'on qualifie parfois « d'acceptables ») restent sans conséquences majeu­res grâce aux marges prévues par les codes.

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Ainsi donc, le risque est relié à la possible réalisation d'événements non désirés. Il prend en compte non seulement la probabilité d'occurrence de tels événements, mais aussi l'importance de leurs conséquences. Il peut s'exprimer sous différentes formes, par exemple :

• une probabilité d'occurrence : le risque peut être défini par la probabilité d'occur­rence de l'événement préjudiciable ; ainsi, on calcule une probabilité d'impact par pont et par passage de bateau pour l'ensemble des voies navigables du terri­toire national ;

• une fréquence : le risque peut aussi s'exprimer par la fréquence de l'événement sur une période de temps donnée ;

• la vulnérabilité : il s'agit du produit d'un aléa (probabilité de l'événement) par le montant des dommages qu'il provoque : V = P a iéa x C d ommage- La vulnérabilité s'ex­prime en unité monétaire.

Les codes, ou même certaines études particulières, se réfèrent, implicitement ou non, à une quantification du risque. Cette quantification est nécessairement, en grande partie, subjective et certaines valeurs numériques doivent être utilisées avec une grande prudence car elles sont liées à la notion de risque acceptable ou inac­ceptable par référence, dans la plupart des cas, à l'opinion publique.

Illustrons la notion de risque acceptable à travers quelques exemples.

1.2.1 Le risque sismique en France.

Le décret n° 91-461 du 14 Mai 1991 relatif à la prévention du risque sismique éta­blit une distinction entre ouvrages "à risque normal" et ouvrages "à risque spécial". La première catégorie comprend les bâtiments, équipements, et installations pour lesquels les conséquences d'un séisme demeurent circonscrites à leurs occupants et à leur voisinage immédiat. L'ensemble des ouvrages d'art, hormis les ponts-canaux, relève du risque normal.

On peut lire, dans les règles nationales PS92, que « le niveau de l'agression à pren­dre en compte dans l'établissement d'un projet est conventionnellement spécifié au moyen d'un paramètre unique aN, c'est-à-dire l'accélération nominale au sol ». Le territoire national a été divisé, par voie de décret, en zones de sismicité croissante, mais les textes officiels ne donnent aucune indication sur la façon dont ont été fixées les accélérations nominales. L'Eurocode 8 propose de fixer une valeur caractéristi­que de l'action sismique par référence, lorsque cela est possible, à une période de retour de 475 ans, transformable en valeur de calcul par l'intermédiaire d'un coeffi­cient multiplicateur appelé coefficient d'importance. Sachant que l'action sismique est introduite dans une combinaison de type accidentelle, c'est-à-dire sans pondéra­tion, on peut légitimement s'étonner du faible niveau « d'agressivité » de l'action sismique de calcul, d'autant plus que l'on est prêt à accepter un travail des structures très avancé dans le domaine non linéaire.

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1.2.2 Les risques de chocs de bateaux sur les piles de ponts

En matière de chocs de bateaux et de navires, les causes de collision sont multiples :

• erreur humaine (de 60 à 85 % des accidents),

• incident mécanique, • mauvaises conditions hydrauliques et/ou climatiques (ces dernières étant plutôt

des facteurs additionnels augmentant les risques), • trafic et conditions géométriques du chenal.

L'évaluation du risque acceptable peut être faite sur la base : • de critères dérivés d'une limite acceptable par l'opinion publique de la fréquence

annuelle d'une collision, • d'un critère de coût minimum, fondé sur l'évaluation du coût de la structure et de

ses protections par rapport à la réduction des risques qu'offre la solution.

En réalité, il faut distinguer le risque acceptable pour l'ouvrage du risque acceptable vis-à-vis des pertes de vies humaines.

En ce qui concerne le risque acceptable pour l'ouvrage, le "Nordic Committee for structural design" situe, par exemple, la probabilité acceptable de ruine d'un pont à la suite d'une collision entre 10"3 et 10 4 en 100 ans. Selon la norme ISO cd 10252, la valeur représentative de l'action accidentelle doit être déterminée de telle sorte que son énergie d'impact corresponde à une probabilité d'occurrence inférieure ou égale à 10"4 par an. Le guide de la Federal Highway Administration des USA distingue :

- les ponts d'importance exceptionnelle, dont la fréquence de ruine doit être infé­rieure à 0,01 en 100 ans, soit une période de retour de 10 000 ans,

- les ponts d'importance normale, dont la fréquence de ruine doit être inférieure à 0,1

en 100 ans, soit une période de retour acceptée de 1000 ans.

A titre indicatif, l'annexe A de l'Eurocode 1 Partie 2.7 (Actions accidentelles dues aux chocs et aux explosions) indique que si l'on dispose de données suffisantes sur les types de navires et leurs vitesses, la densité du trafic et les taux d'erreurs, la va­leur de calcul de la force modélisant le choc de navire peut, en principe, être déduite de la formule :

P ( F > F d ) = n T ( l - P a ) \ l A(x)P[v r (x ,y)yj(km) > F à ] f s ( y ) à x d y = \ 0 " 4

où : vT(xy) est la vitesse du navire au moment du choc en fonction de l'erreur ou de

la défaillance mécanique au point {x,y) ; k est la raideur équivalente du navire ; m est la masse du navire ; n est le nombre de navires par unité de temps (intensité du trafic) ; T est la période de référence (1 an) ;

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p a est la probabilité pour qu'une collision soit évitée par une intervention humaine ;

A est la probabilité de défaillance par unité de longueur de déplacement ; f s(y) est la distribution de la position initale du navire dans la direction y.

x

Scénario de collision d'un navire contre un obstacle fixe

1.3 Peut-on quantifier un risque acceptable vis-à-vis de pertes humaines ?

Pour ce qui est du risque acceptable vis-à-vis des pertes humaines, il y a lieu de distinguer le risque individuel du risque collectif : le premier est défini comme la probabilité de décès d'un usager d'un pont, par exemple. Il doit être largement infé­rieur au risque encouru en section courante d'une route ou d'une voie ferrée. Le second, plus défavorable, prend en compte le nombre de pertes humaines provo­quées par un accident et la fréquence annuelle de cet événement. Ce critère est per­tinent dans la mesure où une population réagit plus activement lorsque se produisent des accidents impliquant un grand nombre de victimes.

A la suite d'une étude très documentée, J. Menzies, actuellement responsable du développement de l'Eurocode 1, publia un article dans "The Structural Engineer / Volume 73 / No 21/7" (Novembre 1995) dans lequel il établit une évaluation "ob­jective" des risques relatifs de décès au Royaume-Uni par type d'activité. Certaines valeurs sont reproduites ci-après.

Activité Risque de décès par

10' 8xh:FAR'

Epidémie de peste de Londres en 1665 15 000

Varappe, pendant l'ascension sur une face rocheuse 4 000

Pompier de Londres pendant les raids aériens de 1940 1000

' FAR = "Fatal Accident Rate" = taux d'accidents mortels, exprimé par heure d'activité et par 100 mi l­lions de personnes.

'Objet

Structure