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22 LES NOUVELLES FISCALES - N° 1168 - 15 DÉCEMBRE 2015 Rappel des faits et de la procédure Les faits étaient similaires dans les deux affaires. En l’espèce, des organismes de droit allemand et espagnol avaient perçu des dividendes de source française. Ces dividendes avaient été sou- mis à une retenue à la source française au taux de droit commun de 25 %, taux applicable à la date des distributions en vertu des dispositions combinées du 2 de l’article 119 bis et du 1 de l’article 187 du Code général des impôts (CGI). Les deux organismes ont demandé à bénéfi- cier de l’application des retenues à la source sur les dividendes au taux réduit de 15 % pré- vues respectivement par les stipulations des articles 9 de la convention franco-allemande du 21 juillet 1959 et 10 de la convention franco- espagnole du 10 octobre 1995. Les deux organismes ont déposé une réclama- tion contentieuse afin d’obtenir la restitution partielle du trop-payé de retenue à la source française. Ces réclamations ont été rejetées par l’admi- nistration fiscale française qui, dans les deux cas, a justifié son refus par le fait que, selon elle, les organismes allemand et espagnol en cause ne pouvaient être considérés comme résidents d’Allemagne et d’Espagne au sens des conventions fiscales franco-allemande et franco-espagnole. Ceci, dans la mesure où les organismes bénéficiaires des dividendes de source française étaient respectivement exo- néré d’impôt en Allemagne et soumis à un impôt au taux de 0 % en Espagne par appli- cation des législations internes allemande et espagnole. La question de la qualification de « résident » au sens des conventions fiscales bilatérales Pour rappel, les conventions fiscales interna- tionales sont des traités bilatéraux conclus Fiscalité internationale : les avantages conventionnels ne sont pas applicables en l’ absence de situation de double imposition effective Dans deux arrêts très attendus du 9 novembre 2015 (1) , le Conseil d’État met un terme à une jurisprudence divergente et hésitante des juges du fond en jugeant, pour la première fois, que des organismes exonérés d’impôt dans leur État de résidence en raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent pas être consi- dérés comme « assujettis » à l’impôt au sens conventionnel, n’ont pas la qualité de « résidents » pour l’application des conventions fiscales bilatérales et, en consé- quence, ne peuvent donc pas bénéficier des avantages et atténuations conven- tionnelles. (1) CE, 9 nov. 2015, n° 370054, Landesärztekammer Hessen Versor- gungswerk ou LHV et CE, 9 nov. 2015, n° 371132, Société Santan- der Pensiones SA EGFP. EXPRESS ÉTUDE CE, 9 nov. 2015, n° 370054, Landesärztekammer Hessen Versorgungswerk ou LHV et CE, 9 nov. 2015, n° 371132, Société Santander Pensiones SA EGFP. POUR EN SAVOIR PLUS : CE, 28 juin 2002, n° 232276, Société Schneider Electric ; CE, 15 juill. 2004, n° 249801, Société Alitalia ; CE, 13 juill. 2007, n° 290266, Société Pacific Espace ; CE 27 juill. 2012, n° 337656, Regazzacci. Repère : Lamy fiscal 2015, § 4396 et s. Par Jean-Christophe BOUCHARD, avocat associé, NMW Avocats et Rémi CASTEBERT, avocat à la Cour, NMW Avocats

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➜ Rappel des faits et de la procédure

Les faits étaient similaires dans les deux affaires.En l’espèce, des organismes de droit allemandet espagnol avaient perçu des dividendes desource française. Ces dividendes avaient été sou-mis à une retenue à la source française au tauxde droit commun de 25 %, taux applicable à ladate des distributions en vertu des dispositionscombinées du 2 de l’article 119 bis et du 1 del’article 187 du Code général des impôts (CGI).

Les deux organismes ont demandé à bénéfi-cier de l’application des retenues à la sourcesur les dividendes au taux réduit de 15 % pré-vues respectivement par les stipulations desarticles 9 de la convention franco-allemande du21 juillet 1959 et 10 de la convention franco-espagnole du 10 octobre 1995.

Les deux organismes ont déposé une réclama-tion contentieuse afin d’obtenir la restitutionpartielle du trop-payé de retenue à la sourcefrançaise.

Ces réclamations ont été rejetées par l’admi-nistration fiscale française qui, dans les deuxcas, a justifié son refus par le fait que, selonelle, les organismes allemand et espagnol encause ne pouvaient être considérés commerésidents d’Allemagne et d’Espagne au sensdes conventions fiscales franco-allemande etfranco-espagnole. Ceci, dans la mesure où lesorganismes bénéficiaires des dividendes desource française étaient respectivement exo-néré d’impôt en Allemagne et soumis à unimpôt au taux de 0 % en Espagne par appli-cation des législations internes allemande etespagnole.

➜ La question de la qualificationde « résident » au sens des conventions fiscales bilatérales

Pour rappel, les conventions fiscales interna-tionales sont des traités bilatéraux conclus

Fiscalité internationale : les avantages conventionnels

ne sont pas applicables en l’absence de situation dedouble imposition effective

Dans deux arrêts très attendus du 9 novembre 2015 (1), le Conseil d’État met unterme à une jurisprudence divergente et hésitante des juges du fond en jugeant,pour la première fois, que des organismes exonérés d’impôt dans leur État de résidence en raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent pas être consi-dérés comme « assujettis » à l’impôt au sens conventionnel, n’ont pas la qualitéde « résidents» pour l’application des conventions fiscales bilatérales et, en consé-quence, ne peuvent donc pas bénéficier des avantages et atténuations conven-tionnelles.

(1) CE, 9 nov. 2015, n° 370054, Landesärztekammer Hessen Versor-gungswerk ou LHV et CE, 9 nov. 2015, n° 371132, Société Santan-der Pensiones SA EGFP.

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CE, 9 nov. 2015, n° 370054,Landesärztekammer HessenVersorgungswerk ou LHV et CE,9 nov. 2015, n° 371132, SociétéSantander Pensiones SA EGFP.

POUR EN SAVOIR PLUS :CE, 28 juin 2002, n° 232276,Société Schneider Electric ;CE, 15 juill. 2004, n° 249801,Société Alitalia ;CE, 13 juill. 2007, n° 290266,Société Pacific Espace ;CE 27 juill. 2012, n° 337656,Regazzacci.

Repère : Lamy fiscal 2015, § 4396 et s.

Par Jean-Christophe BOUCHARD,

avocat associé, NMW Avocats

et Rémi CASTEBERT,

avocat à la Cour, NMW Avocats

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(2) En ce qui concerne les modalités d’application des conventionsfiscales internationales, voir notamment : CE, 28 juin 2002, n° 232276,Société Schneider Electric ; CE, 15 juill. 2004, n° 249801, SociétéAlitalia et CE, 13 juill. 2007, n° 290266, Société Pacific Espace.(3) En présence d’une convention, il convient donc de toujours pro-céder à une analyse préalable afin d’identifier ses éventuelles parti-cularités.(4) Il convient de noter que le modèle de convention fiscale typeOCDE est le modèle dont s’inspirent la plupart des conventions concluesentre pays développés. Les conventions fiscales conclues entre unpays développé et un pays en voie de développement peuvent éga-lement s’inspirer du modèle de convention fiscale type ONU, modèleplus protecteur des droits à imposer de la partie faible.

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➜ Des solutions divergentesadoptées par les juges du fond

Sur cette question, il convient de préciser toutd’abord que les conventions fiscales définissentde manière autonome la notion de « résident» (3).

Toutefois, le modèle de convention fiscale pro-posé par l’OCDE, sur lequel se basent la plu-part des conventions fiscales en vigueur (4) etnotamment les conventions fiscales franco-alle-mande et franco-espagnole, définit la notionde « résident » au sens conventionnel en préci-sant que :

« Au sens de la présente Convention, l’expression“résident d’un État contractant” désigne toutepersonne qui, en vertu de la législation de cet État,est assujettie à l’impôt dans cet État, en raison deson domicile, de sa résidence, de son siège de direc-tion ou de tout autre critère de nature analogueet s’applique aussi à cet État ainsi qu’à toutes sessubdivisions politiques ou à ses collectivités locales.Toutefois, cette expression ne comprend pas lespersonnes qui ne sont assujetties à l’impôt danscet État que pour les revenus de sources situéesdans cet État ou pour la fortune qui y est située. »

Dans nos deux cas d’espèce, le problème étaitdonc de savoir si un contribuable exonéré d’im-pôt demeurait « assujetti » au regard des conven-tions fiscales bilatérales franco-allemande etfranco-espagnole ?

Sur ce point précis, l’administration fiscale fran-çaise considère, et ce de longue date, que laqualité de « résident » fiscal au sens convention-nel nécessite que le revenu en cause supporteune imposition effective. Cette position reposesur le fait que, selon l’Administration, les conven-tions fiscales doivent être interprétées confor-mément à leur objet qui est notamment de pré-venir les situations de double imposition.

En d’autres termes, en l’absence de doubleimposition effective, les requérants ne peu-vent pas bénéficier des avantages conven-

entre la France et un autre État afin de réglerleurs relations en ce qui concerne la fiscalité.Ces conventions ont vocation à régler les pro-blématiques pouvant survenir dans le cadrede flux transfrontaliers, c’est-à-dire lorsquedes personnes physiques ou morales résidentesd’un État contractant perçoivent des revenusprovenant d’un autre État.

Les conventions fiscales permettent donc derépartir, entre les États parties à la conven-tion, le droit d’imposer un revenu transfron-talier, ce qui a pour conséquences de préve-nir ou d’éliminer le risque de doubleimposition dont pourraient être victimes lesressortissants de chaque État dans leurs rela-tions avec l’autre.

En ce qui concerne certains types de revenuscomme les dividendes ou les redevances, lesconventions fiscales autorisent de façon géné-rale l’État de source du revenu à appliquer laretenue à la source prévue par son droit interne.Les conventions fiscales fixent quant à elles untaux maximal d’imposition. Dès lors, les Étatsne peuvent pas appliquer une retenue à la sourceà un taux excédant le taux maximum conven-tionnel, dans la mesure où les conventions fis-cales ont une valeur supérieure aux législationsnationales (2).

Dans l’hypothèse où un revenu de source fran-çaise est perçu par un contribuable, domiciliédans un État ayant signé une convention fis-cale avec la France, et que ce revenu a fait l’ob-jet d’une retenue à la source à un taux excé-dant ce plafond conventionnel, le bénéficiaireest en droit de demander à bénéficier des avan-tages conventionnels ainsi que de la restitutiondu trop-versé comme l’ont fait les deux orga-nismes de retraite allemand et espagnol au casparticulier.

Toutefois, pour pouvoir bénéficier des aména-gements conventionnels, les requérants doi-vent prouver que la convention fiscale dont ilsdemandent l’application leur est applicable.En d’autres termes, ils doivent démontrer qu’ilspossèdent la qualité de « résident » au sens deladite convention.

La question qui se posait donc dans ces deuxaffaires était celle de savoir si la qualité de « rési-dent » au sens des conventions nécessite, commele soutenait l’Administration, une impositioneffective du bénéficiaire dans son État de rési-dence ?

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jugeant que la qualification de « résident » ausens conventionnel doit être interprétée « confor-mément au sens ordinaire à attribuer à leurstermes [des conventions fiscales], dans leurcontexte et à la lumière de leur objet et de leurbut ; qu’il résulte des termes mêmes de ces stipu-lations, qui définissent le champ d’application dela convention, conformément à son objet princi-pal qui est d’éviter les doubles impositions, queles personnes qui ne sont pas soumises à l’impôten cause par la loi de l’État concerné à raison deleur statut ou de leur activité ne peuvent êtreregardées comme assujetties au sens de ces stipu-lations […] ».

Et la Haute juridiction d’en conclure que :« Dès lors, une personne exonérée d’impôt dansun État contractant à raison de son statut ou deson activité ne peut être regardée comme assujet-tie à cet impôt au sens du a) du 4 du (1) de l’ar-ticle 2 de cette convention, ni, par voie de consé-quence, comme résident de cet État pourl’application de la convention. »

Avant d’annuler l’arrêt de la Cour adminis -trative d’appel de Versailles pour erreur dedroit (9).

Pour le Conseil d’État, la notion convention-nelle de « résident » doit s’interpréter restricti-vement, ce qui ne manque pas de susciter cer-taines interrogations. La position adoptée parle Conseil d’État semble aller dans le sens d’uneconfirmation de l’approche retenue dans l’ar-rêt « Regazzacci », dans lequel celui-ci avait déjàjugé que, dans le cas particulier du régime bri-tannique dit de Remittance basis qui n’a paspour objet d’exonérer « définitivement » de l’im-pôt sur le revenu bri tannique les revenus desources étrangères, un contribuable soumis àce régime ne peut de ce seul fait perdre sa qua-

tionnels et le plafonnement ou l’exonérationde retenue à la source conventionnelle ne s’ap-plique pas. La France est donc en droit d’ap-pliquer le taux de retenue à la source prévupar son droit interne.

L’analyse des commentaires officiels du modèlede convention diffusés par l’OCDE n’apportepas de réelle réponse à cette problématique.Ceux-ci se contentent de relever que les Étatsadoptent des positions divergentes sur cettequestion, certains admettant que l’absence d’ap-plication de l’impôt dans l’État de résidencen’interdit pas à un contribuable d’être consi-déré comme étant « assujetti » et par suite « rési-dent » au sens conventionnel.

Il est intéressant de noter que ces commen-taires, datés de 2010, invitent les États à réglercette question lors de la négociation de leursconventions fiscales (5). Sur ce point, il est tou-tefois précisé que la plupart des conventionsbilatérales auxquelles la France est partie ontété conclues antérieurement aux commentairesde 2010. On notera pourtant qu’aucune desconventions récemment renégociées par laFrance (6) ne comporte de précision permet-tant de clarifier cette question du champ d’ap-plication des conventions fiscales.

L’analyse des solutions adoptées par le juge del’impôt français ne permet pas non plus detrancher clairement cette question et permet,tout au plus, de constater que les juges du fondont, à ce propos, une position fluctuante, lejuge de l’impôt suivant tantôt la position del’administration fiscale consistant à interpré-ter les conventions fiscales conformément àleur objectif d’élimination des doubles impo-sitions (7) ou, au contraire, admettant que l’ap-plication des conventions fiscales n’est passubordonnée à l’imposition effective des reve-nus dans l’État de résidence de leur bénéfi-ciaire (8).

Les deux affaires ont ainsi donné l’occasion auConseil d’État d’apporter, pour la premièrefois, des précisions sur la notion de « résident »au sens conventionnel.

➜ La solution adoptée par le Conseil d’État

Dans les deux arrêts commentés, le Conseild’État tranche en faveur de la position défen-due par l’administration fiscale française en

(5) Les commentaires du modèle de convention OCDE datés de 2010se bornent à rappeler dans un para graphe 8.6 consacré à l’article 4que si «dans de nombreux États une personne est considérée commeétant assujettie à une obligation fiscale illimitée même si l’État contrac-tant ne lui applique pas en fait d’impôt […], dans certains États cesorganismes ne sont pas considérés comme assujettis à l’impôt s’ils sontexonérés d’impôt en vertu de la législation fiscale nationale».(6) On pense notamment à la convention fiscale franco-luxembour-geoise avec un avenant signé le 4 septembre 2014, à la conventionfranco-allemande avec un avenant signé le 31 mars 2015 ou encoreà la convention fiscale franco-belge en cours de renégociation.(7) Pour une illustration récente : TA de Poitiers, 5 févr. 2015,n° 1200893, SARL indigo Yacht.(8) TA Versailles, 23 janv. 2001, n° 94-5442-97-3388, Jurcik ; CAAVersailles, 2 avr. 2013, n° 1IVE00141, Société ApothekerversorgungNiedersachsen ; CAA Versailles, 11 juin 2013, n° 12VE03161, SociétéSantander Pensionnes SA.(9) Le considérant cité est celui de l’arrêt relatif à l’organisme Alle-mand. Il est toutefois précisé au lecteur que la solution a été rédi-gée dans les mêmes termes en ce qui concerne l’affaire impliquantl’organisme de droit espagnol. Seule la référence à l’article de laconvention fiscale diffère.

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lité de « résident » du Royaume-Uni au sens dela convention franco-britannique (10).

Par ailleurs, les arrêts commentés semblentmarquer l’abandon de la théorie de l’interpré-tation littérale des stipulations des conventionsfiscales. En effet, les définitions de « résidentfiscal » prévues par les conventions fiscalesfranco-allemande et franco-espagnole ne subor-donnaient pas cette qualité à un assujettisse-ment effectif à l’impôt dans ces pays.

➜ L’approche adoptée par le Conseil d’État dansces affaires suscite certainesinterrogations

Dans ces affaires, il semblerait que le Conseild’État ait considéré que les stipulations desconventions fiscales définissant la notion de« résident » n’étaient pas suffisamment dénuéesd’ambiguïtés et qu’il a décidé de les lire enrecourant à une méthode d’interprétation. Laméthode d’interprétation retenue, en l’espèce,combine l’interprétation littérale avec l’objetet le but du texte conventionnel.

Le Conseil d’État semble donc faire applica-tion des principes d’interprétation de la conven-tion de Vienne (11) dont l’article 31 stipule que :

« Un traité doit être interprété de bonne foi sui-vant le sens ordinaire à attribuer aux termes dutraité dans leur contexte et à la lumière de sonobjet et de son but. »

Cette approche semble ainsi reprendre celleadoptée récemment par le Conseil d’État enmatière d’interprétation des conventions inter-nationales à objet autre que fiscal (12). Il sem-blerait donc que, pour la Haute juridiction, letexte d’un traité international quel que soit sonobjet doit toujours être interprété compte tenude celui-ci, même lorsqu’il est clair comme celasemble être le cas en l’espèce.

Or, les conventions fiscales doivent, en prin-cipe, être interprétées selon une méthode d’in-terprétation littérale qui consiste à rechercherle sens ordinaire des mots en tenant comptede l’ensemble des règles écrites de la conven-tion qui doivent être combinées.

En présence d’un texte clair, le juge de l’impôtn’a pas à s’interroger sur le point de savoir si

l’interprétation littérale du texte est conformeaux objectifs du traité. Toutefois, le recours àl’objet et au but de la convention semble pou-voir être utilisé en combinaison de l’interpré-tation littérale mais uniquement à titre acces-soire, dans l’hypothèse où les termes même dela convention sont trop imprécis et donnenteux-même lieu à interprétations, ce qui n’étaitpas le cas en l’espèce.

Ainsi, en matière fiscale, dans son sens ordi-naire, une personne « assujettie » à un impôt estune personne qui remplit les critères posés parla loi pour entrer dans le champ d’applicationd’une imposition donnée (13). Par conséquent,il n’est pas exclu que cette même loi nationalepermette, sous conditions, qu’un assujetti soitexonéré de ce même impôt.Sur ce point, on notera d’ailleurs que la CAAavait considéré s’agissant précisément de l’or-ganisme de droit allemand que la qualité d’as-sujetti doit, en vertu des termes mêmes desconventions conclues sur le modèle OCDE,être appréciée au regard de la loi nationale.Aussi, dans l’hypothèse où la loi étrangère recon-naît au contribuable la qualité d’« assujetti »alors même qu’il serait exonéré d’impôt du faitqu’il remplirait les conditions nécessaires pourbénéficier d’un tel régime de faveur, il demeureun « résident fiscal » de cet État au sens conven-tionnel.

Il en résulte que l’assujettissement à l’impôtn’implique pas nécessairement son paiementeffectif. Dans ces deux affaires, le Conseil d’État donne toutefois une interprétation res-trictive de la notion conventionnelle de « rési-dent » en jugeant que des assujettis exonérésd’impôt ne peuvent être considérés commepouvant bénéficier des aménagements conven-tionnels. La solution répond ainsi à un objec-tif de prévention de toute situation de doubleexonération susceptible de découler de l’appli-cation d’une convention fiscale.

La solution adoptée par le Conseil d’État impli-querait cependant un risque de divergence d’in-terprétation entre les États signataires et parconséquent une possible application asymé-

(10) CE, 27 juill. 2012, n° 337656, Regazzacci.(11) La France n’est pas signataire de la convention de Vienne surle droit des traités du 23 mai 1969 mais les règles d’interprétationposées par les articles 31, 32 et 33 sont considérées comme unecodification de la coutume internationale que le Conseil d’État appliquede manière plus ou moins implicite (sur ce point, Ph. Martin, L’inter-prétation des conventions fiscales internationales, Dr. fisc. 2013, n° 24,320).(12) CE, 6 mai 2015, n° 378534, Époux X.(13) Sur ce point les conventions fiscales renvoient, en général,expressément au droit national des États parties.

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trique des conventions, dans l’hypothèse oùd’autres États continueraient de considérercomme « résidents » au sens conventionnel desorganismes bénéficiant d’exonération en appli-cation de leur législation nationale et de leuraccorder les aménagements conventionnels, cequi est loin d’aller dans le sens d’une sécurisa-tion fiscale des opérations transfrontalières.

Les arrêts commentés sont également extrême-ment favorables à l’administration fiscale enlui permettant de passer outre les éventuellesapproximations et erreurs rédactionnelles quisurviennent lors de la négociation des conven-tions fiscales bilatérales et aboutissent, danscertains cas, à des doubles exonérations lors-qu’il est fait une interprétation littérale des sti-pulations conventionnelles.

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On notera que les deux décisions commentées ontle mérite de permettre au Conseil d’État de se pro-noncer, pour la première fois, sur la question del’appréciation du champ d’application des conven-tions fiscales bilatérales et de mettre un terme àune jurisprudence divergente des juges du fond.On ne peut que se réjouir des éclaircissements etde la sécurité juridique apportés pour les contri-buables. On regrettera toutefois que le Conseil d’État ait choisi de limiter le champ d’applicationdes conventions fiscales bilatérales en excluantles assujettis exonérés d’impôt, ce qui n’allait tou-tefois pas de soi. On attendra avec intérêts leséventuelles évolutions des commentaires OCDE surce point.

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