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Médecine & enfance mars 2015 page 75 Rubrique dirigée par C. Copin E TUDES DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL DES FRACTURES TRAUMATISMES : MALTRAITANCE VERSUS BLESSURES NON VOLONTAIRES Les fractures représentent 8 % à 12 % de l’ensemble des blessures de l’enfant. Les maltraitances faites aux nourrissons et aux petits enfants sont responsables de 12 % à 20 % de fractures [2]. Bien que les fractures secondaires aux mal- traitances aient des caractères particu- liers, n’importe quelle fracture peut être liée à des mauvais traitements. La mul- tiplicité des fractures, un retard pour prendre un avis médical, une augmen- tation du délai de consolidation des fractures, la présence d’autres blessures de la peau, des organes internes ou du système nerveux central doit alerter le clinicien. ÂGE ET NIVEAU DE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT 80 % des fractures dues aux maltrai- tances surviennent chez les nourrissons de moins de dix-huit mois [3]. Un quart des fractures des moins de douze mois sont liées à la maltraitance. Les frac- tures du fémur et de l’humérus sont ty- piques d’une maltraitance chez les en- fants qui ne marchent pas encore. La fréquence des fractures par maltraitan- ce diminue rapidement après l’acquisi- tion de la marche. SPÉCIFICITÉS DES FRACTURES PAR MALTRAITANCE Certains types de fractures sont haute- ment évocateurs d’une maltraitance du nourrisson, comme les fractures de côtes (en particulier postéro-médianes) et des métaphyses des os longs. Il en est de mê- me pour les fractures de l’omoplate, de l’épaule, des vertèbres et du sternum, mais elles sont beaucoup plus rares que les précédentes (tableau I) . Résultant d’une compression antéro-postérieure, les fractures costales du nourrisson ont une probabilité de 95 % d’être dues à une maltraitance [4]. Les causes de frac- tures des côtes autres que la maltraitan- ce sont les accouchements difficiles et les accidents de voiture, même avec un choc modéré ou minime, chez les en- fants ayant une fragilité osseuse. Le Evaluation des enfants atteints de fractures à la recherche de maltraitances Flaherty E.G., Merez-Rossello M., Levine M.A., Hennrikus W.L., American Academy of Pediatrics Committee on Child Abuse and Neglect : « Evaluating children with fractures for child physical abuse », Pediatrics, 2014 ; 133 : e477-89. Article analysé par G. Dutau, Toulouse Les fractures sont les principales blessures provoquées par la maltraitance des enfants. Si passer à côté du diagnostic de mauvais traitements chez un enfant maltraité a de graves conséquences, attribuer à la maltraitance des fractures relevant d’une autre cause en a aussi. Le but de l’étude de Flaherty et al. est de passer en revue les acquisitions récentes sur la spécificité des diverses frac- tures, leurs mécanismes et les causes qui, en dehors de la maltraitance, expo- sent les nourrissons et les enfants aux fractures. Cette revue, basée sur les données de la médecine fondée sur les preuves, s’appuie sur 134 références. Elle fait le point actuel sur le diagnostic différentiel des fractures liées à la mal- traitance et l’évaluation des enfants atteints de fractures. En cas de maltraitan- ce, l’une des difficultés vient de ce que les adultes impliqués cachent intention- nellement les faits. Ainsi, chez les enfants âgés de moins de trois ans, au moins 20 % des fractures provoquées par un mauvais traitement ne sont pas rattachées à leur véritable cause ou sont attribuées à d’autres causes [1].

Flaherty E.G., Merez-Rossello M., Levine M.A., de ... · tures, leurs mécanismes et les causes qui, en dehors de la maltraitance, expo-sent les nourrissons et les enfants aux fractures

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Rubrique dirigée par C. Copin

ETUD

ES

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIELDES FRACTURES

TRAUMATISMES : MALTRAITANCE VERSUSBLESSURES NON VOLONTAIRESLes fractures représentent 8 % à 12 %de l’ensemble des blessures de l’enfant.Les maltraitances faites aux nourrissonset aux petits enfants sont responsablesde 12 % à 20 % de fractures [2]. Bienque les fractures secondaires aux mal-traitances aient des caractères particu-liers, n’importe quelle fracture peut êtreliée à des mauvais traitements. La mul-tiplicité des fractures, un retard pourprendre un avis médical, une augmen-tation du délai de consolidation desfractures, la présence d’autres blessuresde la peau, des organes internes ou dusystème nerveux central doit alerter leclinicien.

ÂGE ET NIVEAU DEDÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT80 % des fractures dues aux maltrai-tances surviennent chez les nourrissonsde moins de dix-huit mois [3]. Un quart

des fractures des moins de douze moissont liées à la maltraitance. Les frac-tures du fémur et de l’humérus sont ty-piques d’une maltraitance chez les en-fants qui ne marchent pas encore. Lafréquence des fractures par maltraitan-ce diminue rapidement après l’acquisi-tion de la marche.

SPÉCIFICITÉS DES FRACTURESPAR MALTRAITANCECertains types de fractures sont haute-ment évocateurs d’une maltraitance dunourrisson, comme les fractures de côtes(en particulier postéro-médianes) et desmétaphyses des os longs. Il en est de mê-me pour les fractures de l’omoplate, del’épaule, des vertèbres et du sternum,mais elles sont beaucoup plus rares queles précédentes (tableau I). Résultantd’une compression antéro-postérieure,les fractures costales du nourrisson ontune probabilité de 95 % d’être dues àune maltraitance [4]. Les causes de frac-tures des côtes autres que la maltraitan-ce sont les accouchements difficiles etles accidents de voiture, même avec unchoc modéré ou minime, chez les en-fants ayant une fragilité osseuse. Le

Evaluation des enfants atteintsde fractures à la recherche de maltraitancesFlaherty E.G., Merez-Rossello M., Levine M.A.,

Hennrikus W.L., American Academy of PediatricsCommittee on Child Abuse and Neglect :«Evaluating children with fractures for childphysical abuse », Pediatrics, 2014 ; 133 : e477-89.Article analysé par G. Dutau, Toulouse

Les fractures sont les principales blessures provoquées par la maltraitance desenfants. Si passer à côté du diagnostic de mauvais traitements chez un enfantmaltraité a de graves conséquences, attribuer à la maltraitance des fracturesrelevant d’une autre cause en a aussi. Le but de l’étude de Flaherty et al. est depasser en revue les acquisitions récentes sur la spécificité des diverses frac-tures, leurs mécanismes et les causes qui, en dehors de la maltraitance, expo-sent les nourrissons et les enfants aux fractures. Cette revue, basée sur lesdonnées de la médecine fondée sur les preuves, s’appuie sur 134 références.Elle fait le point actuel sur le diagnostic différentiel des fractures liées à la mal-traitance et l’évaluation des enfants atteints de fractures. En cas de maltraitan-ce, l’une des difficultés vient de ce que les adultes impliqués cachent intention-nellement les faits. Ainsi, chez les enfants âgés de moins de trois ans, aumoins 20 % des fractures provoquées par un mauvais traitement ne sont pasrattachées à leur véritable cause ou sont attribuées à d’autres causes [1].

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risque de fracture costale est très faibleaprès les manœuvres de réanimationcardiopulmonaire utilisant deux doigtset la main. Toutefois, le risque est plusimportant avec les recommandations ré-centes, qui préconisent d’utiliser lesdeux mains en encerclant le thorax. Leslésions des métaphyses sont hautementévocatrices quand elles surviennentpendant la première année de vie.

SYNDROMES, MALADIESMÉTABOLIQUES ET MALADIES DESYSTÈMEDe nombreuses affections préexistantespeuvent entraîner une fragilité osseuseet rendre l’enfant plus vulnérable auxfractures pour de moindres trauma-tismes. Elles doivent être évoquées lorsdu diagnostic différentiel des fracturesde l’enfant battu.Ostéogenèse imparfaiteL’ostéogenèse imparfaite (OI) ou «ma-ladie des os de verre » (1) est un grouped’affections autosomiques dominantes,caractérisées par une fragilité osseuseexcessive, due à un défaut congénitald’élaboration des fibres collagènes dutissu conjonctif qui forme la trame del’os [5]. D’incidence comprise entre1/10000 et 1/20000 naissances, l’OI

est le plus souvent due à des mutationshétérozygotes des gènes COL 1A1 duchromosome 17 et COL1A2 du chromo-some 7 [6]. L’OI autosomique dominanten’est pas liée aux mutations des gènesCOL1A1 et COL1A2. Elle peut aussi ap-paraître de novo. L’OI affecte aussi bienles garçons que les filles. Les symp-tômes peuvent être variables dans lamême famille. A côté du signe majeur, les sclérotiquesbleues, il existe plusieurs autres signeset symptômes, résumés dans le ta-bleau II. Les fractures sont le plus sou-vent transversales et affectent les oslongs. Au cours de l’OI, il est rare queles fractures des os longs et que les frac-tures costales multiples soient isolées,sans autres signes cliniques ou radiolo-giques d’OI. L’OI peut être confondueavec le syndrome d’enfant battu ; la ré-pétition des fractures dans un environ-nement protégé doit faire évoquer lediagnostic d’OI.Naissance avant termeLes enfants prématurés ont une démi-néralisation osseuse à la naissance,mais la densité osseuse se normalise àla fin de la première année [7]. Les plusvulnérables sont les enfants nés à moinsde vingt-huit semaines de gestation oupesant moins de 1500 g à la naissance.Les causes de l’ostéopénie sont nom-breuses, en particulier si l’enfant reçoitune nutrition parentérale de quatre se-

maines ou plus, et/ou est atteint debronchodysplasie, et/ou reçoit un trai-tement prolongé par diurétiques ou cor-ticostéroïdes. L’ostéopénie, maximaleentre six et douze mois, est amélioréepar une supplémentation nutritionnelleet minérale adéquate. Les particularitésde l’ostéopénie du prématuré sont : lesfractures costales ; les fractures des oslongs ; le développement d’un rachitis-me ; l’élargissement métaphysaire.RachitismeCertaines fractures du nourrisson pour-raient être dues à des concentrations devitamine D au-dessous des seuils opti-maux et au rachitisme. En milieu ur-bain, 40 % des nourrissons et des petitsenfants âgés de huit à vingt-quatre moisont une concentration sérique de 25-hy-droxyvitamine D inférieure ou égale à30 ng/ml [8]. Les facteurs qui contri-buent au développement d’une hypovi-taminose D sont un allaitement au seinprolongé sans supplémentation en vita-mine D, une augmentation de la pig-mentation de la peau et une insuffisanced’exposition au soleil. Bien que l’hypovi-taminose D soit fréquente (plus de 10 %des nourrissons normaux) (2), le rachitis-me est rare : parmi 40 enfants de huit àvingt-quatre mois ayant une hypovita-minose D (25-OHD ≤ 20 ng/ml), 2(5 %) avaient des signes radiologiquesde rachitisme, 2 autres (5 %) une démi-néralisation osseuse, et aucun n’avait defracture [9]. Le déficit en vitamine D nesemble pas favoriser les fractures, enparticulier celles des côtes ou des ver-tèbres, qui, par contre, sont très évoca-trices de maltraitance. OstéomyéliteLes irrégularités métaphysaires mul-tiples de l’ostéomyélite peuvent ressem-bler à certaines anomalies de l’OI, maisle contexte clinique est différent. Deplus, au cours de l’ostéomyélite, qui estrare, les images radiologiques évoluentavec des zones de lyse osseuse et desappositions périostées.

(1)Ou maladie de Lobstein, ou parfois maladie de Porak et Duran-te dans les formes mortelles.(2) Sur 365 nourrissons et petits enfants en bonne santé vus pourune consultation de routine, 12,1 % avaient un taux sérique devitamine D ≤ 20 ng/ml [9].

Tableau ISpécificité des fractures par maltraitancechez le nourrisson et le petit enfant selonleur localisation et leur type

Haute spécificité :� métaphyses � omoplate � sternum� côtes � vertèbres

Spécificité modérée :� fractures multiples� fractures d’âge différent� épiphyses� corps vertébraux� luxations vertébrales� doigts� crâne (fractures complexes)

Spécificité faible :� appositions osseuses sous-périostées� clavicule� crâne (fractures linéaires)� os longs (fractures diaphysaires)

Tableau IISignes et symptômes de l’ostéogénèseimparfaite

� Croissance staturale diminuée� Macrocéphalie� Visage de forme triangulaire� Sclérotiques bleues� Hypoacousie due à une otosclérose� Anomalies dentaires : hypoplasie, dentstranslucides ou décolorées, caries, retardd’éruption dentaire� Ecchymoses� Hernies inguinales et/ou ombilicales� Déformation des membres� Hyperlaxité articulaire� Scoliose et/ou cyphose� Présence d’os wormiens au niveau du crâne� Déminéralisation osseuse

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Fractures secondaires àune déminéralisation par inactivitéL’inactivité sévère quelle que soit sacause s’accompagne d’une déminérali-sation osseuse et d’un risque de frac-tures, plus souvent diaphysaires quemétaphysaires, en particulier à la suitede manœuvres de physiothérapie oud’exercices pour améliorer les mouve-ments [10]. La distinction est difficileentre fractures involontaires ou volon-taires. De plus, comme pour la préma-turité, les handicaps exposent à unrisque plus élevé de maltraitance, qu’ilfaut soupçonner en cas de fracturesmultiples.ScorbutLa vitamine C est indispensable à la syn-thèse du collagène. Rare de nos jours, lescorbut expose à des fractures chez l’en-fant exclusivement nourri au lait devache sans supplémentation en vitami-ne C. Les symptômes radiologiques as-socient déminéralisation, sclérose deszones en voie de calcification et calcifi-cations sous-périostées. Déficit en cuivreUn déficit en cuivre peut être observéau cours des désordres nutritionnels sé-vères, de l’insuffisance hépatique et dusyndrome du grêle court. En raison desréserves en cuivre accumulées pendantla grossesse, le déficit en cuivre ne peuts’observer qu’après six mois chez l’en-fant à terme et après deux mois et demichez l’enfant prématuré. Retard psycho-moteur, hypotonie, pâleur, hypopig-mentation de la peau, anémie sidéro-blastique, anomalies radiologiques (as-pect en cupule et becs métaphysaires)et sous-périostées (appositions osseusessous-périostées) en sont les symptômes.Maladie de MenkèsLa maladie de Menkès, affection liée auchromosome X, affecte uniquement lesgarçons, les femmes étant conductricessaines. Son incidence annuelle se situeautour de 1/300000 (3). Due à un déficiten cuivre, elle touche différents or-ganes. Elle se caractérise par une neuro-dégénérescence progressive, des ano-malies du tissu conjonctif et des che-veux, qui sont clairsemés, en « fil defer ». Normaux à la naissance (sauf par-

fois un céphalhématome ou des frac-tures spontanées), les nourrissons déve-loppent au cours des premiers mois unictère prolongé, une hypothermie, unehypoglycémie, des troubles de l’alimen-tation. Les radiographies montrent unefragmentation épiphysaire et des appo-sitions périostées que l’on observe aussidans les maltraitances. Ces anomaliesosseuses pouvant prêter à confusionavec celles des maltraitances. Les autressymptômes de la maladie de Menkèssont en particulier la présence d’os wor-miens, un retard de croissance et du dé-veloppement neurologique.Maladies de systèmeL’insuffisance rénale chronique s’accom-pagne d’un déficit en vitamine D à l’ori-gine d’une ostéodystrophie dont lessignes radiologiques ressemblent au ra-chitisme. Il en est de même dans le syn-drome de Fanconi, l’hypophosphatasie etcertains rachitismes vitamino-résistants.Au cours de l’atrésie des voies biliaires, ilexiste un risque accru de fractures. Fragilité osseuse temporaireEn 1993, Patterson et al. ont fait l’hypo-thèse que certains enfants pouvaientnaître avec une fragilité osseuse tempo-raire les exposant à un risque de fractu-re dans le cadre d’une manipulationnormale [11]. Les hypothèses pour expli-quer ce « temporary brittle bone disea-se », déficit en oligo-éléments (cuivre)ou troubles de maturation du tissu col-lagène, n’ont pas été confirmées. PourMiller, cette fragilité temporaire, due àl’immobilisation fœtale intra-utérine,pourrait entraîner une ostéopénie [12].En faveur de cette hypothèse, les mèressignalaient une diminution des mouve-ments fœtaux.

ÉVALUATION MÉDICALE

HISTOIRE DE LA MALADIEACTUELLE

Il faut interroger l’enfant capable deverbaliser (en dehors des adultes quis’en occupent) et les adultes impliqués,qui doivent pouvoir donner des détailssur la position de l’enfant avant le trau-matisme et après celui-ci. L’adulte au-

teur de maltraitances ne donne pasd’explication à la blessure ou bien relateun événement mineur, alors qu’en casde blessure non liée à une maltraitance,la personne en charge de l’enfant rap-porte un événement majeur dans 29 %des cas [13]. La plupart des blessures nonliées à la maltraitance sont dues à unechute de chaise ou à un traumatisme dejeu entre enfants (fracture des oslongs). Les éléments en faveur de lamaltraitance sont, en particulier chezun nourrisson : l’absence de descriptionde l’histoire du traumatisme ; une des-cription vague de l’événement en parti-culier chez un nourrisson qui ne marchepas encore ; un délai pour solliciter lessoins (tableau III).

ANTÉCÉDENTS MÉDICAUXLe médecin doit recueillir toutes les infor-mations possibles sur la grossesse, l’ac-couchement, la nutrition de l’enfant, lesaffections éventuellement contractées,

(3) Plus précisément, l’incidence est de 1/360000 au Japon et de1/300000 en Europe. Elle est beaucoup plus élevée en Australie,1/50000 à 1/100000, probablement par effet fondateur. La mala-die est due à des mutations (200 ont été décrites) du gèneATP7A (Xq21.1) codant une protéine de transport du cuivre.ATP7A pour Cu2+-transporting ATPase-alpha polypeptide(www.orpha.net/consor/cgi-bin/OC_Exp.php?Expert=565.0&Lng=FR).

Tableau IIIEléments permettant de soupçonnerqu’une fracture est due à unemaltraitance

� Croissance staturale diminuée� Absence d‘histoire de la blessure� Histoire non plausible de la blessure : lemécanisme décrit n’est pas compatible avec letype de fracture, la violence du traumatismenécessaire pour entraîner la fracture, ou lasévérité du traumatisme� Histoire clinique inconsistante ou variationsdes explications données par les parents� Fracture chez un nourrisson avantl’acquisition de la marche� Localisations évocatrices de maltraitance(par exemple fractures costales)� Fractures multiples� Fractures d’ancienneté différente� Autres traumatismes faisant suspecter unemaltraitance� Délai pour rechercher les soins

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en particulier les affections chroniquessusceptibles de perturber la minéralisa-tion osseuse.

HISTOIRE FAMILIALE ET SOCIALEL’interrogatoire recherche des anoma-lies familiales (fractures multiples, sur-dité précoce, anomalies dentaires, sclé-rotiques bleues, etc.) qui peuvent orien-ter vers un diagnostic particulier. Il fautégalement connaître la situation fami-liale, le mode de garde, le niveau socio-économique et culturel, les éventuellesaddictions des parents, la notion d’unsignalement aux services de protectioninfantile.

EXAMEN CLINIQUEIl comporte la reconstitution de la cour-be de croissance staturo-pondérale,l’étude du carnet de santé et un examenclinique complet (peau, mobilité, systè-me nerveux, etc.) à la recherche dessymptômes indiqués plus haut (« Dia-gnostic différentiel des fractures »).

EXAMENS DE LABORATOIRE

Les principaux examens, orientés parl’examen clinique, sont un bilan phos-phocalcique, le dosage sérique de la 25-OHD et de la parathormone, un bilanhépatique, un examen cytobactériolo-

gique des urines. Des dosages sériquesspéciaux (cuivre, vitamine C, céruléo-plasmine) et une enquête génétique(recherche des gènes associés à l’ostéo-genèse imparfaite) complètent les in-vestigations en fonction des donnéescliniques.

IMAGERIELes enfants âgés de moins de deux ansatteints de fractures suspectes devraientbénéficier d’une radiographie de l’en-semble du squelette à la recherched’autres traumatismes ou anomalies os-seuses. Les radiographies détectent desfractures supplémentaires dans environ10 % des cas [14]. L’American College ofRadiology a publié des recommanda-tions sur l’examen radiologique dusquelette des enfants : il nécessite tren-te et une images dans différents plans(frontal, sagittal, latéral, oblique) [15].L’imagerie 3D est importante pour dé-celer des fractures qui seraient passéesinaper çues sur les clichés convention-nels. Il faut répéter ces radiographiesdeux à trois semaines après l’exameninitial si une maltraitance est fortementsuspectée, pour identifier de nouvellesfractures ou des lésions qui n’auraientpas été détectées. La scintigraphie os-seuse, très sensible, peut être utile encomplément des radiographies. Desimageries complémentaires (scanner,

IRM) peuvent être utiles en cas de lé-sions associées, crâniennes, cervicales,abdominales, etc.

ÉVALUATION DE LA FRATRIEIl faudra aussi évaluer la fratrie, en par-ticulier les jumeaux [16, 17]. Une étudeportant sur 795 frères et sœurs apparte-nant à 400 familles dans lesquelles unenfant avait été victime de maltraitanceou négligé a montré que toute la fratrie(dans 37 % des foyers) ou certains desautres enfants (dans 20 % des foyers)avaient été également victimes de mau-vais traitements [16].

CONCLUSIONSLes maltraitances faites aux enfants peu-vent survenir dans tous les milieux, quelque soit le niveau socio-économique, etdans tous les groupes de la population.Le diagnostic, souvent complexe, estd’abord basé sur une étude minutieusede l’anamnèse et sur un examen cliniquecomplet, qu’il faut savoir répéter. L’aidede spécialistes (orthopédistes, endocri-nologues, généticiens, etc.) est souventindispensable. Un signalement est né-cessaire quand le médecin « suspecte »ou « a des raisons de croire » qu’un en-fant est maltraité ou négligé. �L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rapportavec la rédaction de cet article.

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