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La conversion éthique Introduction à la philosophie d’Emmanuel Levinas

Flora Bastiani - La conversión ética

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La conversión ética

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La conversion éthique

Introduction à la philosophie d’Emmanuel Levinas

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La Philosophie en commun

Collection dirigée par Stéphane Douailler, Jacques Poulain, Patrice Vermeren

Nourrie trop exclusivement par la vie solitaire de la pensée, l'exercice de la réflexion a souvent voué les philosophes à un individualisme forcené, renforcé par le culte de l'écriture. Les querelles engendrées par l'adulation de l'originalité y ont trop aisément supplanté tout débat politique théorique. Notre siècle a découvert l'enracinement de la pensée dans le langage. S'invalidait et tombait du même coup en désuétude cet étrange usage du jugement où le désir de tout soumettre à la critique du vrai y soustrayait royalement ses propres résultats. Condamnées également à l'éclatement, les diverses traditions philosophiques se voyaient contraintes de franchir les frontières de langue et de culture qui les enserraient encore. La crise des fondements scientifiques, la falsification des divers régimes politiques, la neutralisation des sciences humaines et l'explosion technologique ont fait apparaître de leur côté leurs faillites, induisant à reporter leurs espoirs sur la philosophie, autorisant à attendre du partage critique de la vérité jusqu'à la satisfaction des exigences sociales de justice et de liberté. Le débat critique se reconnaissait être une forme de vie. Ce bouleversement en profondeur de la culture a ramené les philosophes à la pratique orale de l'argumentation, faisant surgir des institutions comme l'École de Korcula (Yougoslavie), le Collège de Philosophie (Paris) ou l'Institut de Philosophie (Madrid). L'objectif de cette collection est de rendre accessibles les fruits de ce partage en commun du jugement de vérité. Il est d'affronter et de surmonter ce qui, dans la crise de civilisation que nous vivons tous, dérive de la dénégation et du refoulement de ce partage du jugement.

Dernières parutions

Marisa Alejandra MUNOZ, Macedonio Fernández, philosophe. Le sujet, l’expérience et l’amour, 2012. Jacques POULAIN et Irma ANGUE MEDOUX (sous la dir. de) Richard Rorty ou l’Esprit du temps, 2012. Gustavo CHATAIGNIER GADELHA, Temps historique et immanence. Les concepts de nécessité et de possibilité dans une histoire ouverte, 2012.

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Flora Bastiani

La conversion éthique

Introduction à la philosophie d’Emmanuel Levinas

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© L'Harmattan, 2012

5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com [email protected]

[email protected]

ISBN : 978-2-296-99262-7 EAN : 9782296992627

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In memoriam Pierrette et Roger.

Pour Antoine, Juliette et alii.

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INTRODUCTION

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L’enjeu de la philosophie lévinassienne se présente dans le

partage avec son héritage phénoménologique et la tradition talmudique. Il s’agit de permettre une pensée du monde de l’extériorité où les phénomènes seraient respectés, c’est-à-dire considérés au-delà des représentations, dans la particularité de la relation entretenue avec eux. Mais, comme une suite à la proposition de Husserl (ou comme une réponse à son appel) Levinas entreprend de se concentrer sur le problème de l’intersubjectivité, ou en des termes qui lui sont plus propres, sur la place donnée à autrui. L’autre homme est pensé par Levinas comme celui qui est capable de mettre en doute la logique ontologique de l’existant, parce qu’en tant qu’autre, il ne se laisse pas réduire à l’épaisseur de l’être. Si l’enjeu s’entend clairement comme la formulation – la formation – d’une pensée qui rend à l’autre sa place primordiale dans la conscience de l’existant, Levinas part du constat de l’immense écart qui sépare l’humain égocentrique d’une attitude éthique. Si pour Husserl la relation intersubjective soulevait déjà des difficultés pour la pensée, elle restait une forme de relation avec le monde. Chez Levinas, cette relation prend au contraire une importance décisive parce qu’il la place comme la relation capable de modifier le sens des autres relations. Il ne s’agit pas d’une relation parmi les autres, mais de l’événement primordial qui ouvre un domaine au-delà du pur être mondain. La visée de Levinas étant clairement de destituer l’ontologie pour donner à l’éthique une antériorité absolue, il trouve dans la relation intersubjective la possibilité de ce renversement. Autrui serait donc la figure capable de faire tomber la logique ontologique.

Si Levinas est le philosophe de la relation à autrui, la radicale altérité d’autrui paraît s’opposer à toute relation. Dans son ouvrage Soi-même comme un autre, Paul Ricœur conclut sa réflexion sur l’ipséité avec cette réponse de Levinas : c’est par ma relation à l’autre que se prouve et s’éprouve l’ipséité. Il y a donc dans la socialité une manière d’affirmer le soi-même. Mais la question du comment demeure alors pour Ricœur insatisfaite. Comment rejoindre l’autre alors qu’il se caractérise par son étrangeté foncière ? Comment parvenir à la dialogie ?

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Comment entendre l’autre alors qu’il se présente comme insaisissable et, selon la dernière phrase du livre de Ricœur, « sous peine que l’altérité se supprime en devenant même qu’elle-même »1 ? Ce sont à ces questions et à ces menaces qui planent sur la relation que nous tenterons d’apporter des éclaircissements. Comment se peut-il que le sujet devienne soudainement éthique ? C’est donc comme une interrogation que se présente à nous la conviction de Levinas : l’homme apparaît sans éthique et enfermé dans l’ontologie, pourtant il serait apte à l’éthique, il pourrait sortir de la lourdeur matériale. La naissance de l’homme en fait un existant tourné vers sa propre existence. Elle pose une relation intime et exclusive entre le moi et son soi – une relation que Levinas décrit comme « pathétique »2 dans son perpétuel retour au même. Cependant cet homme égocentré serait propre à se tourner soudainement vers l’autre, et à en faire son unique visée. Le changement qui consiste dans le passage à l’éthique semble si extrême et inopiné qu’il nous paraît important de nous pencher sur l’instant de l’expérience éthique, comme inauguration d’une nouvelle manière d’être du sujet. Le moment du passage de l’état naturel à l’optique éthique apparaît comme l’événement décisif de la pensée lévinassienne. Il n’en est certainement pas l’aboutissement, puisque au-delà de ce moment, Levinas poursuit une réflexion sur la justice dans la société des hommes, avec l’intervention de l’autre autre – du Tiers – dans sa réflexion. Mais il est le tournant qui permet, par sa conception, de donner à l’éthique un ancrage authentique et non plus hypothétique. La proposition de Levinas est que si l’homme naît sans éthique, il doit l’apprendre en recevant l’enseignement de l’autre, en entendant son appel. Cette proposition sera mise en question notamment concernant ses conditions de possibilité et les nouvelles perspectives qui lui sont données dans le déroulement de la pensée de Levinas. Reste qu’au départ de l’éthique, le sujet doit entendre la parole de l’autre. Mais 1 Soi-même comme un autre. Paris : Editions du Seuil, Collection Points, Série Essais, 1990, p. 410. 2 Le temps et l’autre. 9e édition. Paris : Presses Universitaires de France, collection Quadrige Grands Textes, 2004, p. 66.

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comment s’y ouvrir ? C’est là la question principale de notre réflexion : comment commencer à être éthique ?

Partant d’une situation initiale reposant sur l’ontologie, comment le sujet peut-il adopter une vision différente du monde ? Si le projet de Levinas apparaît dans la rupture avec l’ontologie, c’est la manière de rompre qui semble l’enjeu d’une grande partie de ses réflexions. Il insiste non seulement sur son opposition foncière à la pensée de l’ontologie, mais il pose aussi les bases de la pensée de l’éthique comme authentique possibilité humaine. Le moment du basculement de la nature humaine en un autre type d’existence est celui de l’expérience éthique. Il s’agit d’un instant crucial puisqu’il est à la fois exceptionnel dans la vie de l’homme, et consiste dans un saut irréversible. C’est donc un moment extrême de l’attitude naturelle qui se trouve expropriée du sujet, laissant place à la nouveauté éthique. Non seulement le sujet saute d’une sphère à l’autre, mais il se trouve aussi intimement bouleversé par l’entrée dans cette nouvelle manière de voir le monde. Il ne s’agit pas seulement de subir une modification partielle dans la manière d’être de l’homme avec son milieu, mais, dans l’éthique, l’homme fait l’expérience d’un profond renouveau de sa conscience de soi et des valeurs qui le guident à travers son existence. L’expérience éthique consiste dans l’adoption de l’optique éthique. Or la vision dépend autant de l’intériorité que de l’extériorité puisqu’il s’agit du lien qui s’établit entre elles. Alors que sa propre persévérance dans l’être engendrait dans sa vie toutes les préoccupations, un sens du non-sens, ainsi que chacune de ses actions dans le monde, l’existant trouve le goût de l’autre et abandonne pour lui son souci de soi. En franchissant la barrière de l’indifférence à l’altérité de l’autre, l’homme découvre un monde nouveau, où l’autre et la préoccupation pour lui deviennent la conscience fondamentale – voire le commencement de la conscience. Le problème reste le franchissement de cette barrière.

Emmanuel Levinas décrit le processus de la découverte de l’autre comme l’instant où le sujet se constitue en tant qu’existant éthique. Sa volonté sera tout au long de son œuvre de se défaire du primat de l’être. Il tentera, dans les écrits

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postérieurs à Totalité et Infini, de forger un vocabulaire répondant au souci de ne pas tomber dans le piège de l’ontologie. La méfiance pour le langage de l’être, renvoyant sans cesse à la connaissance, à la possession, à la compréhension, vient de ce qu’il faut utiliser le langage pour constituer la pensée ; les apparitions du langage et de la pensée sont considérées par Levinas comme étant concomitantes. Le changement éthique est impliqué par deux actions conjointes : la survenue de l'autre et l’émergence du sujet comme agent. Chacun de ces deux avènements met en évidence différents concepts propres à la pensée lévinassienne.

Quoique la position éthique ne soit pas exactement adoptée par chacun, l’intérêt consiste moins dans l’utopie du développement de l’éthique au monde que dans la pensée du fondement de l’humain en tant qu’il est capable d’éthique. La conception d’Emmanuel Levinas constitue une authentique possibilité pour chaque homme. L’expérience éthique se présente comme l’expérience de l’autre selon le sixième commandement, « la règle d’or », mais aussi une nouvelle signification de l’existence propre comme œuvrant en direction de l'autre. Il ne s’agit donc pas d’une approche de circonstance, mais de l’analyse du rapport qui se crée entre moi et l’autre. L’instant de l’expérience éthique, inauguré par la rencontre de l’autre démasqué, conduit à une déprise du sujet sur sa production active : elle-même ne lui appartient plus qu’en tant qu’objet du don qu’il fait à l’autre. Et pourtant c’est dans ce moment-là qu’il trouve l’ultime valeur de l’objet qui lui appartient et qu’il offre toujours déjà. Le problème posé par l’altérité n’est pas un problème de réflexion, mais de relation entre le sujet et l’autre.

La rupture de l’indifférence consiste dans la rupture avec le primat de l’être. C’est-à-dire qu’en reconnaissant l’altérité de l’autre, une distance vis-à-vis de l’être s’ouvre tout à coup de telle sorte que la mêmeté est dévaluée au profit de l’altérité. Le problème réside dans le passage d’une sphère à l’autre, entre ce que Levinas appelle l’économie et l’éthique. En approchant l’expérience éthique, il pose la question de la pensée de l’humain. Le problème porte sur les conditions de

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commencement de l’éthique, mais à travers la pensée de l’éthique, l’humain est décrit dans sa capacité à la socialité. À travers son aptitude à adopter l’optique éthique, l’humain semble devenir de plus en plus humain. Il trouve une place dans le monde qui n’est plus celle de la marginalité du maître. Tout se passe comme si ses possibilités personnelles devaient se développer secondairement par rapport à l’impersonnalité de l’ontologie. L’éthique est ainsi pensée comme le lieu, non seulement d’une relation authentique avec l’autre en tant qu’autre, mais aussi et du même coup comme l’ouverture à la possibilité de voir s’articuler dans ce nouveau comportement de l’homme l’expression d’un domaine personnel.

L’entrée dans l’éthique est l’instant et le lieu de la

découverte du monde dans le monde. Un sens nouveau vient le remplir – l’illuminer. Une lumière nouvelle vient éclairer l’existence du sujet, qu’il n’envisageait que sous le thème de la maîtrise de l’être. Son appréhension du monde en général se trouve modifiée par le fait qu’il n’en est plus le centre. La nouvelle sphère à laquelle le sujet accède repose sur la reconnaissance de l’antériorité de l’autre. Ce changement renvoyant non plus à un principe mais à une altérité anarchique, vient modifier tout le cours de l’existence du sujet, la qualité même de sa vie intérieure. Ses mouvements n’ont plus rien de commun avec ceux précédant la découverte de l’autre. Il s’agit donc d’un moment crucial où l’existence du sujet se réorganise absolument autour de sa découverte de l’altérité, en fonction de son entrée dans un domaine constamment nouveau, celui de l’éthique. Le chemin qui mène l’homme de la jouissance à la tension éthique vers l’autre – de la « première morale » à la « philosophie première » – apparaît dans la philosophie d’Emmanuel Levinas en parallèle avec l’apprentissage de l’écoute. Si le visage interpelle, la nudité du visage est un appel qui « déchire la plasticité ». Il s’agit d’entrer dans l’expérience de la relation avec l’autre – pas en tant qu’alter ego mais en tant que tout autre. Le problème de l’intersubjectivité conduit Levinas sur les traces de ce qui outrepasse tout sujet, dans la

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perspective pré-intentionnelle d’une juste diachronie : « la respiration même de cette peau avant toute intention »3.

3 Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence. Réédition. Paris : Le livre de poche, collection biblio essais n°4121, 2001, p. 83.

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CHAPITRE I

L’INSUFFISANCE DE L’ETRE ECONOMIE DE LA MATERIALITE ET

ETHIQUE DE L’AUTRE

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Le passage à l’éthique se traduit par une mutation radicale

dans l’attitude du sujet. Il se produit, dans le rapport de l’existant4 au monde, une fracture. Son histoire prend une nouvelle direction qui ne tient plus seulement à sa propriété mais à ce qui lui échappe toujours, l’autre. L’existant voit se transformer non seulement son mouvement, mais aussi son image de lui-même et sa perception du monde. Le problème posé par Levinas, dans son opposition avec la tradition philosophique, jusque dans la philosophie qui lui est contemporaine, s’appuie sur cet état de la question. Le renversement éthique semble à la fois impossible et miraculeux et ceci pour la même raison : la venue de l’éthique présente une véritable rupture dans l’attitude naturelle de l’existant. Levinas prend soin de décrire les différents aspects du sujet autocentré, celui qui agit selon sa tendance égoïste, avant qu’il ne se transforme en agent éthique. C’est précisément la question de la possibilité éthique qui est au centre de cette philosophie, parce qu’elle permet de penser la nature de l’humain et la possibilité d’un changement dans sa relation avec le monde. Il s’agit de dépasser l’idée d’une perception soumettant un objet afin de donner une place à l’autre qui ne le priverait pas de son altérité. Il est donc question d’une lutte contre la réduction de l’autre au même.

Le point de départ de la pensée lévinassienne consiste dans

l’obligation de répondre à un problème qui se présente à lui, celui de l’emprise de l’ontologie sur notre vie. Le sujet n’est pas toujours éthique – il ne l’est parfois jamais. Cette attitude ne lui est pas naturelle. Ce qui lui est naturel, c’est, au contraire, d’être centré sur lui-même, sur sa propre aspiration à rester semblable à lui-même, à justifier le lien qu’il entretient par force avec son soi. L’éthique ne s’inaugure que dans le 4 Dans son article « Levinas et la question de l’espace », Jean-Michel Salanskis précise que Levinas « utilise le mot existant à la place du mot étant de Heidegger, pour signifier l’étant humain comme celui qui donne la mesure : la "différence ontologique" devient ainsi chez lui la différence de l’exister et de l’existant », in Levinas vivant. Paris : Les Belles Lettres, collection l’arbre de Judée, 2006, p. 134.

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traumatisme d’être face à l’autre – là le soi n’a plus la place déterminante de centre de l’attention et visée de l’action. Une fois pour toutes, la violence de l’égoïsme deviendra impuissante. Mais avant tout changement, avant toute expérience de l’autre, le sujet se trouve en présence de lui-même. Et un lui-même qui apparaît dans la réflexivité comme vivant dans le cercle continu de la mêmeté, comme emprisonné, dans ce que Levinas appelle le « définitif de l’hypostase »5 c’est-à-dire de l’identité. Par là, il fait déjà l’expérience de la solitude, de l’attachement au soi. Le bonheur de sa maîtrise du monde laisse le goût du vide à travers son objet précisément parce que le monde qui l’entoure est vide. Il n’y a personne. Être pour soi-même ouvre cette condamnation à être seul, c’est-à-dire non dans le manque de l’autre mais devant le « no man’s land » au sens propre. Par sa consommation, l’existant dissout sa propre identité dans le vide qui est laissé là.

En pensant l’ontologie comme le principe d’un emprisonnement, parce qu’elle impose d’ignorer l’autre et empêche donc de sortir du même, Levinas met au jour un problème qui traverse non seulement les relations sociales, mais qui renvoie à elles-mêmes toutes les philosophies où l’éthique n’est pas première. Ce problème est développé dès l’écriture de De l’évasion, qui fait apparaître le souci de Levinas de libérer l’humain du joug de l’ontologisme. Et quoique sa conception de l’éthique ne vienne pas encore en réponse, il introduit déjà l’obligation de trouver une issue à cette situation de captivité du moi. L’urgence de l’évasion de l’être s’inscrit comme le début d’une volonté d’ouverture à quelque chose d’autre, de nouveau. Il s’agit déjà de conduire la pensée sur un autre plan, dans un autre domaine, par la reconnaissance de la limitation de la philosophie à la totalité. Il s’agit déjà de se dégager de la pesanteur instaurée dans la pensée par le primat de l’être. En identifiant ce problème, Levinas ouvre la voie pour sa réflexion et il peut élaborer par la suite l’idée de l’expérience éthique comme la seule voie possible. Car il apparaîtra rapidement que pour lui, l’éthique est soit première soit ignorée. Le sujet se trouve soit sous l’emprise de l’ontologie, soit libéré d’elle dans 5 Le temps et l’autre, p. 38.

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une nouvelle optique. Le projet de Levinas est, dès le départ de sa philosophie, de trouver la voie pour libérer l’existant de la pesanteur ontologique, non seulement pour sa propre condition à exister, mais surtout de manière à le défaire de son rôle de bourreau ignorant de son propre geste.

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