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Frédéric Baudin Frédéric de Coninck Daniel Hillion Monique Holland Silvia Hyka Ricardo Lumengo Franck Meyer Jacques Neirynck Christel Lamère Ngnambi Foi, politique et société

FOI POLITIQUE ET SOCIETE

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Pourquoi associer foi, politique et société? Comment y parvenir? Est-ce vraiment possible? Le thème de l’engagement politique et social de la personne qui se réclame de la foi chrétienne (et de ses limites éventuelles) suscite de nombreuses questions. Qu'en dit le texte biblique? Quels sont les enjeux, les défis? Quels enseignements peuvent apporter les expériences vécues dans ce domaine? Comment peut-on se situer dans une société pluraliste, en termes d’engagement et de responsabilité?

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Foi,politiqueetsociété

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Pourquoi associer foi, politique et société? Comment y parvenir? Est-ce vraiment possible? Le thème de l’engagement politique et social

de la personne qui se réclame de la foi chrétienne – et de ses limites éven-tuelles – suscite de nombreuses questions. Qu’en dit le texte biblique? Quels sont les enjeux, les défis? Quels enseignements peuvent apporter les expériences vécues dans ce domaine? Comment peut-on se situer dans une société pluraliste, en termes d’engagement et de responsabilité?L’objectif général de cet ouvrage est d’offrir autour de ces questions les points de vue et pistes de réflexion de plusieurs auteurs de différents ho-rizons culturels et géographiques. Il comporte huit chapitres qui ne pré-tendent pas à l’exhaustivité mais qui apportent chacun l’éclairage d’un citoyen engagé dans une société plurielle sur l’articulation «foi-politique-société» appliquée à différents domaines:

• «L’individu, la religion et le pouvoir politique face à la crise écologique» (F. Baudin)

• «Etre engagé politiquement, oui mais pour quoi faire?» (F. de Coninck)• «Style de vie simple et engagement sociopolitique» (D. Hillion)• «Le chrétien engagé – valeurs vécues» (S. Hyka et M. Holland)• «Le chrétien face au défi de l’immigration» (R. Lumengo)• «Etre témoin du Christ en politique» (F. Meyer)• «Le christianisme au défi de la démocratie» (J. Neirynck)• «L’étoile et le sextant. L’utilité d’une vision biblique pour la société»

(C. L. Ngnambi)Auteurs: Frédéric Baudin est directeur de Culture-Environnement-Médias (CEM) et membre fondateur de l’association A Rocha France; Frédéric de Coninck est directeur de recherches en sociologie à l’Université Paris Est, Laboratoire Ville, Mobilité, Transport, France; Daniel Hillion est responsable des relations publiques du Service d’entraide et de liaison (S.E.L.), France; Monique Holland est engagée auprès du secrétariat du Parti Evangélique Suisse (PEV); Silvia Hyka est coordinatrice romande du Parti Evangélique Suisse (PEV); Ricardo Lumengo est Conseiller national, Parti socialiste, Assemblée fédérale suisse; Franck Meyer est maire de Sotteville-sous-le-Val (France) et vice président de la CREA; Jacques Neirynck est professeur honoraire à l’EPFL et Conseiller national, Parti Démocratique Chrétien (PDC), Assemblée fédérale suisse; Christel Lamère Ngnambi est directeur du Bureau sociopolitique de l’Alliance évangélique européenne à Bruxelles, Belgique.

Frédéric BaudinFrédéric de Coninck

Daniel HillionMonique Holland

Silvia HykaRicardo Lumengo

Franck MeyerJacques Neirynck

Christel Lamère Ngnambi

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CHF 29.90 / € 22.90

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Frédéric Baudin, Frédéric de Coninck, Daniel Hillion, Monique Holland, Silvia Hyka, Ricardo Lumengo,

Franck Meyer, Jacques Neirynck, Christel Lamère Ngnambi

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Table des matières

Notes liminaires Patrick Brunet ................................................................. 11

1. L’individu, la religion et le pouvoir politique face à la crise écologique Frédéric Baudin ........................................................... 13

2. Etre engagé politiquement, oui mais pour quoi faire? Frédéric de Coninck ......................................................... 47

3. Style de vie simple et engagement sociopolitique Daniel Hillion .................................................................. 73

4. Le chrétien engagé – valeurs vécues Silvia Hyka et Monique Holland ...................................... 105

5. Le chrétien face au défi de l’immigration Ricardo Lumengo ............................................................ 129

6. Etre témoin du Christ en politique Franck Meyer .................................................................. 145

7. Le christianisme au défi de la démocratie Jacques Neirynck ............................................................ 165

8. L’étoile et le sextant – L’utilité d’une vision biblique pour la société Christel Lamère Ngnambi ............................................... 183

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Les auteurs

Frédéric Baudin est directeur de Culture-Environnement-Médias (CEM) et membre fondateur de l’association A Rocha France.

Frédéric de Coninck est directeur de recherches en sociologie à l’Université Paris Est, Laboratoire Ville, Mobilité, Transport (France).

Daniel Hillion est responsable des relations publiques du Service d’entraide et de liaison (S.E.L.) en France.

Monique Holland est engagée auprès du secrétariat du Parti Evan-gélique Suisse (PEV).

Silvia Hyka est coordinatrice romande du Parti Evangélique Suisse (PEV).

Ricardo Lumengo est Conseiller national, Parti socialiste, Assem-blée fédérale suisse.

Franck Meyer est maire de Sotteville-sous-le-Val (France) et vice président de la CREA (Communauté d’agglomération de Rouen Elbeuf Austreberthe).

Jacques Neirynck est professeur honoraire à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et Conseiller national, Parti Démocratique Chrétien (PDC), Assemblée fédérale suisse.

Christel Lamère Ngnambi est directeur du Bureau sociopolitique de l’Alliance évangélique européenne à Bruxelles (Belgique).

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Notes liminaires

Pourquoi associer foi, politique et société? Comment y parvenir? Est-ce vraiment possible? Le thème de l’engagement politique et social de la personne qui se réclame de la foi chrétienne – et de ses limites éventuelles – suscite de nombreuses questions. Qu’en dit le texte biblique? Quels sont les enjeux, les défis? Quels enseigne-ments peuvent apporter les expériences vécues dans ce domaine? Comment peut-on se situer dans une société pluraliste, en termes d’engagement et de responsabilité?

L’objectif général de cet ouvrage est d’offrir autour de ces questions les points de vue et pistes de réflexion de plusieurs auteurs de différents horizons culturels et géographiques. Il com-porte huit chapitres qui ne prétendent pas à l’exhaustivité mais qui apportent chacun l’éclairage d’une personne engagée dans une société plurielle sur l’articulation «foi-politique-société» ap-pliquée à différents domaines: foi, politique et crise écologique (F. Baudin), foi et action politique (F. de Coninck), style de vie sim-ple et engagement sociopolitique (D. Hillion), valeurs bibliques et vie politique (S. Hyka et M. Holland), politiques d’immigration et fondements bibliques (R. Lumengo), témoignage chrétien et politique (F. Meyer), foi et démocratie (J. Neirynck), principes bibliques et société (C. L. Ngnambi).

La question de la responsabilité individuelle et collective traverse en filigrane les diverses contributions de l’ouvrage. La diversité des textes participe du développement d’une réflexion nourrie par des valeurs qui constituent un apport précieux au vivre-ensemble dans une société morcelée.

Patrick Brunet

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L’individu, la religion et le pouvoir politique

face à la crise écologique 1

Frédéric Baudin 2

Il est commun aujourd’hui de dénoncer les dérives d’une société outrageusement consumériste dans les pays de tradition chré-tienne, en Europe ou aux Etats-Unis. Il est vrai que depuis la ré-volution industrielle, nos sociétés occidentales ont cherché à maî-triser la nature tout en négligeant l’enseignement biblique pour définir une éthique saine de l’activité humaine. Les nations qui dé-veloppent aujourd’hui leur économie, quels que soient leurs fon-dements idéologiques, ont tendance à suivre ce modèle, dont les conséquences néfastes sur notre planète ne sont plus à démontrer. Il n’est sans doute pas trop tard pour changer de comportement,

1 Ce texte reprend pour l’essentiel plusieurs chapitres des livres de Frédéric Baudin, D’un jardin à l’Autre, publié par les éditions CEM en 2006, et Dieu est-il vert?, publié par Croire Pocket, en 2007.2 Frédéric Baudin est directeur de Culture-Environnement-Médias (CEM*) et mem-bre fondateur de l’association A Rocha France**. *CEM: Association dont l’objet est de «promouvoir les valeurs chrétiennes» dans ces trois domaines. Elle est animée principalement par Frédéric Baudin, qui donne des conférences et écrit sur divers sujets qui rejoignent cet objectif. (CEM, 49, av. Paul Cézanne, 13090 Aix-en-Provence; www.cemfrance.org; [email protected]). **A. Rocha France: association fondée en 2000, branche française de l’association internationale A Rocha créée par le pasteur Peter Harris en 1983. Elle a pour voca-tion la protection de l’environnement dans une perspective chrétienne, avec deux objectifs principaux: la sensibilisation, en particulier auprès des chrétiens, et l’ac-tion par la recherche scientifique sur des milieux sensibles dont la richesse biologi-que est menacée. En France, elle est basée près d’Arles, dans la vallée des Baux-de-Provence. (A Rocha France, Les Tourades, 133, route de Coste Basse, 13200 Arles; [email protected]; www.arocha.org)

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mais quelle est la marge de manœuvre de l’individu comme des pouvoirs publics face à la crise qui affecte l’environnement?

Etat des lieux

Le développement durableLa croissance de la population est restée longtemps faible, régulée par les grands fléaux naturels, les épidémies et les conflits humains. Mais depuis environ deux siècles, la courbe s’est envolée, les com-bats menés avec succès contre la famine et les virus, la généra-lisation de l’hygiène ont favorisé les naissances et la longévité humaine.

Au début du XIXe siècle, on dénombrait environ un milliard d’in-dividus sur la terre, mais on en comptait déjà deux milliards en 1930, puis quatre milliards en 1975 et près de sept milliards en 2010. Cette «explosion démographique» est en partie la cause de la dégradation de notre environnement actuel. Il a fallu, en ef-fet, pour nourrir cette population sans cesse croissante, dévelop-per l’agriculture et l’industrie puis assurer la distribution à grande échelle des produits proposés sur les marchés. Ces mesures indis-pensables ont malheureusement entraîné une pollution indubita-ble et perturbé les écosystèmes en remettant en cause les équili-bres naturels de notre planète.

Selon les évaluations les plus réalistes, on estime que la popu-lation mondiale pourrait culminer à neuf ou dix milliards d’indi-vidus d’ici un demi-siècle. Contrairement à ce que présageait le pessimisme malthusien3, il semble qu’il soit possible de nourrir cette population, à condition qu’aucune perturbation majeure ne survienne.

3 Thomas Malthus (1766-1834) était pasteur anglican et économiste, il s’inquiétait des écarts entre la croissance de la population et celle des ressources disponibles pour nourrir l’humanité.

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L’individu, la religion et le pouvoir politique face à la crise écologique

Le défi est donc aujourd’hui de trouver des solutions agricoles, industrielles et urbaines qui nuisent le moins possible à l’environ-nement, tout en permettant de nourrir et d’abriter au mieux le plus grand nombre d’individus et cela sans freiner le progrès éco-nomique, technologique et scientifique. C’est une définition du «développement durable». Le rapport de Madame Brundtland (1987)4 ajoutait dans le même sens que le développement actuel devrait permettre aux générations futures de vivre dans des condi-tions de confort optimales. Le projet de développement durable s’apparente cependant au problème de la quadrature du cercle: l’idéal ainsi défini et les ambitions sont élevés, mais ils sont contra-riés par les appétits humains, peu maîtrisables.

La nature forcéeDepuis les débuts de l’âge industriel, la domination de l’homme est immodérée: il a tendance à exploiter les ressources naturelles sans mesure. Les conséquences de cette surexploitation sont parfois tragiques.

Il n’est pas normal que le souci du rendement, qui a sa part lé-gitime, ait conduit les éleveurs, par exemple, à forcer la nature en utilisant, souvent sans esprit critique ni modération, des farines animales, des antibiotiques ou des hormones de croissance. Il n’est pas juste d’utiliser la formidable puissance de nos machines pour détruire sans frein les espaces naturels. La gestion de l’espace ur-bain n’a pas toujours été la meilleure; l’organisation de nos villes ou de nos régions nous laissent parfois pensifs. La dépendance de l’homme envers son véhicule favori s’accroît de jour en jour: la voiture, symbole et instrument de sa liberté, est sans aucun doute l’un des fleurons de sa technologie, mais l’asservissement aux commodités qu’elle offre finit par être suspect. On a multiplié

4 G. Brundtland était alors Premier ministre en Norvège et présidente de la Com-mission Mondiale sur l’Environnement et le Développement.

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les flux entre plusieurs pôles – résidentiels, commerciaux, indus-triels, de loisirs, etc. – précisément parce que l’on comptait sur ce moyen de transport privilégié. Il n’est enfin pas normal que l’on dé-veloppe l’industrialisation sans se préoccuper aussi de la pollution qu’elle peut engendrer. Certains sites ont été totalement défigurés, souillés, anéantis par une pollution parfois dramatique et mortelle qui atteint tous les êtres vivants.

On a recensé dans le monde environ un million deux cent cin-quante mille espèces animales et cinq cent cinquante mille espè-ces végétales. Il y aurait probablement, en réalité, quatre à cinq fois plus d’espèces sur la surface de la terre. Mais les milieux les plus riches disparaissent, en particulier la forêt équatoriale et les zones humides, par milliers d’hectares chaque jour. D’après la Liste rouge publiée par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), environ 10 000 à 15 000 espèces sont directement menacées, dont 12% des oiseaux, 21% des mammifères, 37% des poissons d’eau douce et 70% des plantes.

Parmi les causes de ces disparitions prématurées figurent la pression démographique, l’extension des zones industrielles et ré-sidentielles, le drainage quasi-systématique des marais, la destruc-tion des forêts, les pratiques agricoles discutables. Il faut ajouter à cette liste sommaire nos mauvaises habitudes et notre négligence individuelles. Comme l’écrit Hubert Reeves:

Le réchauffement de la planète, l’amincissement de la couche d’ozone, la pollution des sols, de l’air et de l’eau, l’épuisement des ressources naturelles, la disparition des forêts et des zones humides, l’extinction accélérée des espèces vivantes, l’accumulation démentielle de déchets chimiques et nucléaires: notre planète est bien mal en point5…

5 Hubert Reeves, Mal de terre, Paris, Seuil, 2003.

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L’individu, la religion et le pouvoir politique face à la crise écologique

La prise de conscience de cette crise est récente. Les réactions salutaires ont tardé; les initiatives pour protéger l’environnement, à l’échelle individuelle ou collective, sont restées longtemps rares et peu suivies.

Le débat écologiqueLes questions écologiques ont pris une importance réelle dans le débat public vers le milieu du XXe siècle. Il y eut bien, au siècle précédent, quelques précurseurs aux visées idéalistes, naturalis-tes, philanthropiques et esthétiques. En Europe et en Amérique du Nord, influencés par l’attention nouvelle portée à la «nature» grâce au romantisme et à l’essor des sciences naturelles, ces pré-curseurs ont tenté de sauvegarder les animaux sauvages de toute atteinte ou exploitation par trop cruelle et mercantile. Ils ont éga-lement cherché à préserver les espaces ruraux, à défendre la qua-lité de la vie ou de l’air menacée par l’expansion des grandes villes industrielles. On leur doit la création des parcs nationaux comme Yellowstone, en 1872, aux Etats-Unis ou le National Trust en Grande-Bretagne, en 1895. C’est aussi grâce à leurs efforts, bien-tôt exercés au sein d’organisations internationales comme l’Office International pour la Protection de la Nature (OIPN), créé à Bruxel-les en 1928, que la législation s’est renforcée pour protéger les oiseaux, les forêts ou la nature au sens large. Mais l’impact concret de ces mesures est resté entravé par les impératifs économiques et les difficultés politiques nées des grands conflits mondiaux; il demeurait faible devant les avancées de la civilisation industrielle. Les défenseurs de la nature passaient le plus souvent pour de doux rêveurs.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’humanité prend bru-talement conscience de la puissance de l’arme nucléaire. Pour la première fois dans l’histoire, une seule bombe est capable de dé-truire tous les êtres vivants sur une surface et dans des proportions

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jusqu’alors inimaginables. Les effets radioactifs de cette explosion atomique demeurent plus longtemps sensibles que ceux des ar-mes classiques; bien après qu’ils ont été produits, ils poursuivent leurs ravages biologiques. L’arme apocalyptique s’est multipliée, bien qu’on ait tenté d’en limiter la production en privilégiant cer-taines puissances politiques antagonistes, considérées comme raisonnables…

Dès les années 1950, on commence à souffrir, à grande échelle et de façon plus sensible, des conséquences de la pollution engen-drée par l’exploitation industrielle des ressources naturelles. Les réactions contre cette dégradation restent isolées. En France, le roman Les racines du ciel publié par Romain Gary, qui dénonce à sa manière le massacre des éléphants d’Afrique, est couronné par le prix Goncourt en 1956. On le qualifie volontiers de «premier roman écologique», mais dans la préface de l’édition de 1980, l’auteur souligne qu’il ne mesurait pas alors «l’étendue des destructions qui se perpétraient ni toute l’ampleur du péril»6. Aux Etats-Unis, en 1960, Rachel Carson publie son ouvrage Printemps silencieux, qui fait date dans l’histoire de l’écologie moderne. Elle n’est toutefois pas la seule à dénoncer avec vigueur, preuves scientifiques indu-bitables à l’appui, les ravages de l’utilisation abusive de l’arsenal chimique mis à disposition des agriculteurs, afin de réduire les po-pulations d’insectes nuisibles et les plantes adventices7.

L’alerte est enfin davantage relayée par les médias; elle sem-ble prise au sérieux. L’écologie est devenue une science reconnue et enseignée dans les universités. Elle est érigée en mouvement

6 Romain Gary, Les racines du ciel, préface, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1980. R. Gary ajoute (préface): «On a bien voulu écrire, depuis la parution de ce livre, il y a vingt-quatre ans, qu’il était le premier roman «écologique», le premier appel au secours de notre biosphère menacée. (…) Les temps n’ont guère changé depuis la publication de cet ouvrage (…) La prise de conscience «écologique» elle-même se heurte à ce que j’appellerais l’inhumanité de l’humain.»7 «Se dit d’une plante qui colonise par accident un territoire qui lui est étranger sans y avoir été volontairement semée.» (Dictionnaire Le Petit Robert)

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idéologique, avec son versant politique, aux visées plus discutables lorsqu’elles sont teintées de contre-culture hippie, d’idées révolu-tionnaires ou de spiritualité diffuse, sectaire ou nébuleuse, et bien-tôt d’alter-mondialisme plus souvent rouge vif que vert tendre.

Idéologie et écologieLes hommes et les femmes dans leur ensemble n’ont pas vraiment su anticiper la crise écologique. Dans un article de la revue Science, Lynn White Jr. affirme que les chrétiens portent une responsabi-lité particulière dans cette crise8. Il est vrai que la civilisation chré-tienne, en particulier depuis la Renaissance, n’a pas toujours été un modèle de bonne gestion des ressources naturelles. Les Etats-Unis et l’Europe, que l’on considère volontiers comme des nations de tradition chrétienne, ont donné au monde entier un exemple équi-voque de développement.

Les chrétiens n’ont pas toujours réagi avec la rapidité que l’on était en droit d’attendre de leur part. Certains textes bibliques ont parfois servi de prétexte et de caution à des chrétiens pour justifier leur exploitation sans frein des ressources naturelles. Deux questions de fond restent cependant posées: une lecture sincère et attentive de la Bible autorise-t-elle une vision stricte-ment anthropocentrique et une domination humaine sans par-tage de la nature? Et les chrétiens sont-ils plus responsables que d’autres?

L’humanisme rationaliste, agnostique ou athée, a joué un rôle certain dans l’évolution de nos sociétés modernes en Europe. Cer-taines idéologies politiques récentes, comme le communisme en Chine, en URSS et dans les pays d’Europe de l’Est ont totalement négligé l’environnement. La situation écologique de ces régions est souvent désastreuse, elle présente de sérieux dangers pour

8 Lynn White Jr., «The Historical Roots of our Ecologic Crisis », Science, 1967.

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les populations. Dans les pays sous l’influence d’autres religions, le bilan est mitigé. L’Orient, réputé si respectueux de la nature, à juste titre dans bien des cas, a fini par tomber dans les mêmes tra-vers que les pays occidentaux, notamment au Japon bouddhiste ou shintoïste. Les conséquences de la culture sur brûlis en Afrique animiste ou du surpâturage en Méditerranée dans les empires po-lythéistes grecs ou romains, demeurent aujourd’hui encore sen-sibles sur les sols et visibles dans les paysages. On vante les ver-tus des Indiens d’Amérique qui vivaient en relatif équilibre avec la nature, mais cette harmonie, souvent idéalisée, n’était-elle pas troublée, en réalité, par la crainte superstitieuse des «esprits» de la nature? Et leur mode de vie aurait-il résisté longtemps à une croissance démographique plus intense, aux nécessités de nourrir, chauffer et abriter un plus grand nombre d’individus?

Les mouvements du «Nouvel Age» s’inspirent de la contre- culture hippie des années 1960-70. Ils assimilent et synthétisent les diverses traditions philosophiques et religieuses, dont les reli-gions orientales, l’animisme et le paganisme. Ils prônent le culte de la déesse Gaia (la Terre) sur fond de panthéisme hérité de la philo-sophie de Spinoza, afin de justifier un écologisme ambigu. Les te-nants de la Deep Ecology9 estiment que les mesures de protection de l’environnement habituellement proposées restent superficiel-les. Ils affirment que l’homme est dénaturé et qu’il faut, pour pré-server réellement la biodiversité, agir «en profondeur» et changer de paradigme. Selon eux, les hommes doivent donc renoncer à leur anthropocentrisme pour le remplacer par un «biocentrisme» pro-pre à une civilisation évoluée et postmoderne. L’être humain se re-trouve alors relégué à la périphérie du système, il n’est plus qu’un

9 Deep Ecology ou «Ecologie profonde», que l’on nomme aussi «Ecologie radicale». Ce terme a été proposé par le philosophe norvégien, Anne Naess, l’un des chefs de file de ce mouvement. Une bonne synthèse (critique) de ce mouvement est proposée par Luc Ferry dans son ouvrage Le nouvel ordre écologique, Paris, Grasset, 1992, 2e partie, cha-pitre 1: «Penser comme une montagne, le grand dessein de l’écologie profonde».

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élément insignifiant sur cette terre qui le devance dans le temps et lui survivra. Pour les plus radicaux, sa disparition pourrait même favoriser la biodiversité puisqu’il est la principale cause de son ap-pauvrissement! Cette affirmation n’est ni humaine, ni chrétienne. Faut-il que l’homme meure pour que vive la nature? Ce n’est pas l’avis, fort heureusement, des hommes et des femmes en général, et le point de vue chrétien reste porteur d’un projet de vie pour ce monde présent, même si les fidèles du Christ n’en ont pas toujours été les meilleurs témoins, loin s’en faut!

Des responsabilités partagées

Une prise de conscience généraleLe mouvement a commencé à s’inverser de façon significative, avec une portée politique, à la fin des années 1960. Les confé-rences internationales sur le thème de la protection de l’environ-nement ont débuté avec le sommet «Une seule terre» organisé par les Nations Unies à Stockholm en 1972. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) est créé cette même année, afin de renforcer et de coordonner les initiatives publi-ques et privées pour la protection de l’environnement au niveau mondial.

Plusieurs catastrophes écologiques contribuent alors à éveiller les consciences dans les pays riches portés par l’euphorie des «Trente glorieuses», ces années d’expansion économique et de relative abondance. Les images de populations amaigries et déci-mées par les sécheresses récurrentes en Ethiopie et au Sahel ou par les inondations au Bangladesh émeuvent profondément les populations occidentales. En 1976, les fuites mortelles de dioxine à Seveso, en Italie, suscitent la méfiance devant l’industrie chimique. Ces craintes sont renforcées en 1984 par l’accident de Bhopal, en

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Inde, où les émanations d’isocyanate de méthyle (MIC) font près de trois mille morts et plus de cinquante mille victimes au total. En 1986 survient l’explosion du réacteur nucléaire de Tcherno-byl, en Ukraine. Un nuage toxique survole une vingtaine de pays européens, désarmés devant cet accident qui jette le discrédit sur l’énergie atomique, pourtant jugée indispensable pour répondre aux besoins énergétiques croissants de l’industrie et des popula-tions. Les marées noires les plus spectaculaires, consécutives aux naufrages du Torrey Canyon (1967) et de l’Amoco Cadiz (1978) ont fortement perturbé la faune et la flore marine et côtière. Elles ont également permis d’alerter l’opinion mondiale sur les risques de pollution. Mais les intérêts économiques demeurent supérieurs, souvent au détriment des impératifs écologiques et de la protec-tion des richesses naturelles à moyen et long termes.

Face à ces situations tragiques, les autorités politiques ont com-mencé à prendre des mesures efficaces pour encadrer les diverses activités industrielles les plus sensibles et polluantes. Dès 1979, les délégués internationaux réunis à Genève se penchent plus particu-lièrement sur le thème des changements climatiques, en collabo-ration avec l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) créée en 1947. Les rencontres se multiplieront ensuite dans le monde entier. Les années suivantes, lorsqu’on découvre le «trou dans la couche d’ozone», la communauté internationale réagit et interdit rapidement, en Amérique et en Europe du nord, l’utilisation d’hy-drocarbures fluorés (CFC), sous forme gazeuse ou liquide, respon-sables de cette dégradation de l’atmosphère10.

En 1992, la conférence de Rio de Janeiro marque une étape importante. Elle rassemble 117 chefs d’Etat ou délégués des gou-

10 22 mars 1985, Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone et 16 septembre 1987, Protocole de Montréal: Les Etats décident d’interdire la produc-tion et l’utilisation avant l’an 2000 des CFC (chlorofluorocarbones) responsables de l’amincissement de la couche d’ozone.

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vernements de 178 pays. Ce sommet débouche sur la rédaction d’une Convention-Cadre sur les Changements Climatiques (CCCC), aujourd’hui signée par près de 190 Etats. D’autres textes concernent plus spécifiquement la préservation de la diversité biologique. Les délégués rédigent les «Agenda 21», un programme dont les princi-paux objectifs pour le XXIe siècle sont «la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, la production de biens et de services dura-bles et la protection de l’environnement». Des accords pour régler les problèmes de la désertification et sur l’aide au développement sont signés. Ils reprennent et formalisent plusieurs textes antérieurs pour définir le développement durable et jeter les bases d’un pro-gramme d’actions urgentes à entreprendre, afin de préserver l’envi-ronnement à l’échelle mondiale. Le bilan du Sommet mondial pour le développement durable, qui s’est tenu à Johannesburg en 2002, est dans l’ensemble positif, mais certaines ombres subsistent sur la mise en œuvre de ces textes fondamentaux, que les prochains congrès internationaux ne dissiperont probablement pas de façon définitive. L’échec relatif du Sommet de Copenhague, en décembre 2009, a donné une nouvelle preuve de la difficulté à concilier les exi-gences économiques et les impératifs écologiques à l’échelle inter-nationale. D’autre part, le débat reste peu ouvert aux scientifiques qui émettent des doutes sur les méthodes et les modèles mathéma-tiques et informatiques mis en oeuvre, notamment par le GIEC11, et donc sur les résultats obtenus, afin d’appréhender des phénomènes aussi complexes que le réchauffement climatique ou le recyclage du gaz carbonique. Un rééquilibrage et un contrôle accru des données scientifiques, aux conséquences politiques certaines à toutes les échelles, sont donc souhaitables.

11 L’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) ont créé, en 1988, le Groupe d’Experts Inter-gouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC).

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Une prise de conscience chrétienneLes Eglises historiques ont suivi ce mouvement des conférences in-ternationales en organisant un premier rassemblement œcuménique à Vancouver, en 1983, sur le thème «Justice, Paix et Sauvegarde de la Création», sous l’impulsion du physicien allemand C.F. Von Weizsäcker.

En 1989, la Conférence des Eglises Européennes convoque près de 650 délégués à Bâle, en Suisse, toujours sur ce thème, qui sera repris en juin 1997 à Graz, en Autriche. Dans le même élan, le ré-seau écologique chrétien européen (European Christian Environmen-tal Network, ECEN) est mis en place en 1998.

Il adresse régulièrement des appels aux églises chrétiennes et leur propose de célébrer un «Temps de la Création», avec des liturgies appropriées, du premier dimanche de septembre au deuxième di-manche d’octobre.

L’ouvrage du penseur calviniste Francis Schaeffer La pollution et la mort de l’homme12 a été sans doute l’un des plus vigoureux plaidoyers en faveur d’une saine gestion des ressources et de la protection de la nature dans les milieux protestants évangéliques. Schaeffer répond en particulier à Lynn White Jr. en lui donnant d’abord en partie raison pour mieux souligner ensuite que la foi chrétienne, bien comprise et vécue avec authenticité, conduit à garder la terre et non à la détruire. Les philosophes Jacques Ellul et Jean Brun ont également nourri cette prise de conscience des problèmes écologiques dans les églises et bien au-delà des cercles religieux: ils critiquent le scientisme et le technicisme outranciers de nos sociétés modernes et dénoncent la vanité du salut qu’elles en attendent aveuglément. Jacques Ellul plaide pour une responsa-bilité religieuse bien assumée:

L’homme appartient à cette création, mais il y porte une pré-sence de Dieu, on dira souvent alors qu’il est gérant de la créa-

12 Ouvrage publié en 1970 et traduit en français en 1974, Guebwiller, LLB.

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tion pour Dieu. Il est Lieutenant de Dieu dans la création. (…) L’homme ne doit pas gérer cette création pour la puissance et la domination, mais en tant que représentant de l’amour de Dieu13. Les chrétiens évangéliques, réunis en 1987 à Villars, en Suisse, si-gnent une Déclaration sur l’Entraide et le Développement, mais ce texte passe souvent inaperçu. Plusieurs articles sur le thème de l’écologie sont publiés dans les revues théologiques, notamment par le théologien évangélique Henri Blocher14. Les travaux du Co-mité de Lausanne ont également rendu les évangéliques, depuis 1974, plus sensibles à la nécessité de préserver la création dans son ensemble. L’association A Rocha15 (en portugais: Le Rocher), créée en 1983 par le pasteur anglican Peter Harris, a inauguré un premier centre d’études et de recherche dans l’Algarve, au sud du Portugal, afin de mettre en œuvre un projet de protection de l’environnement dans une perspective chrétienne. Cette associa-tion basée en Grande-Bretagne est soutenue depuis l’origine par John Stott, pasteur éminent du courant évangélique de l’Eglise anglicane et ornithologue passionné; il est aussi l’un des maîtres d’œuvre du Comité de Lausanne. Ces dernières années, l’associa-tion A Rocha a pris une dimension internationale et regroupe ac-tuellement une vingtaine d’associations sur plusieurs continents (Grande-Bretagne, Kenya, Liban, France, République Tchèque, Canada, Inde, Pérou, etc.).

13 Jacques Ellul, «Le rapport de l’homme à la création», dans Foi et Vie, «Ecologie et Théologie», Rodes, Ellul, Charbonneau, etc., n° 5-6, décembre 1974, p. 138.14 Notamment «Dieu est-il vert?» (Fac Réflexion, n° 15, janvier 1990), dont nous avons repris le titre pour notre ouvrage paru aux éditions Croire Pocket, Paris, 2007. Voir aussi Philippe Gold-Aubert, «La Pollution, ses dangers, ses limites», Ichtus, n° 40, Février 1974; Luc de Benoît, Jean Humbert, «La responsabilité écologique du chrétien», Ichtus, n° 50, février-mars 1975; «Ecologie et Création» (articles de J. M. Daumas, H. Blocher, A.-G. Martin, C.H. Poizat, J. Brun et P. Jones), La Revue Réformée, n° 169, juin 1991.15 L’association A Rocha France, fondée en 2000, est la branche française de l’asso-ciation internationale A Rocha.

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Dans un souci de justice, le pape Jean-Paul II a exhorté les fidè-les catholiques romains à s’intéresser aux questions de l’environ-nement et du développement durable:

L’homme, saisi par le désir d’avoir et de jouir plus que par celui d’être et de croître, consomme d’une manière excessive et désordonnée les ressources de la terre et sa vie même. A l’origine de la destruction insensée du milieu naturel, il y a une erreur anthropologique, malheureusement répandue à notre époque. (…) Il [l’homme] croit pouvoir disposer arbitrairement de la terre, en la soumettant sans mesure à sa volonté, comme si elle n’avait pas une forme et une destination antérieures que Dieu lui a données, que l’homme peut développer mais qu’il ne doit pas trahir. Au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme se substitue à Dieu et, ainsi, finit par provoquer la révolte de la nature, plus tyrannisée que gouvernée par lui16.

Le patriarche orthodoxe Bartholomaios I et le pape Jean-Paul II ont signé ensemble, en juin 2002, la Déclaration de Venise sur la protection de la création. Ils relèvent que «la conscience de la relation

16 Jean-Paul II, Lettre encyclique Centesimus Annus (publiée à l’occasion du cen-tenaire de l’encyclique Rerum Novarum). Jean-Baptiste de Lamark (1744-1829) le constatait et l’exprimait déjà en des termes très proches dès 1817: «L’homme, par son égoïsme trop peu clairvoyant pour ses propres intérêts, par son penchant à jouir de tout ce qui est à sa disposition, en un mot, par son insouciance pour l’ave-nir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction même de sa propre espèce. En détruisant partout les grands végétaux qui protégeaient le sol, pour des objets qui satisfont son avidité du moment, il amène rapidement à la stérilité ce sol qu’il habite, donne lieu au ta-rissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance, et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes…» J.B. de Lamark, L’homme, définition, 1817. Voir aussi: Système analytique des connaissances positi-ves de l’homme, 1820.

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entre Dieu et l’humanité confère un sens plus complet à l’impor-tance de la relation entre les êtres humains et l’environnement na-turel, qui est la création de Dieu et que Dieu nous a confié pour le garder avec sagesse et amour…».

La prise de conscience des problèmes écologiques s’est donc ap-profondie parmi les chrétiens dans leur ensemble; elle s’est accom-pagnée, dans certains cas, d’une repentance pour les fautes com-mises dans le passé, pour les négligences dans ce domaine; elle s’est traduite encore par des projets de protection active de la na-ture. Nul ne pourrait affirmer aujourd’hui que les Eglises chrétien-nes ne se préoccupent pas de la préservation de l’environnement ou du développement durable. Les membres des diverses parois-ses et communautés chrétiennes n’ont cependant pas toujours été informés ou enseignés sur ce sujet. Les chrétiens saisissent souvent mal le rapport spécifique entre leur foi en un Dieu créateur et la nécessité de préserver la création.

Responsabilité humaine et religieuseD’après la Genèse, les hommes et les femmes étaient, à l’origine, invités à remplir, dominer et cultiver la terre en communion avec leur Créateur, c’est-à-dire avec l’amour, la sagesse et le discerne-ment que Dieu leur inspirait. Il ne s’agissait pas pour eux d’exercer leur tyrannie sur la création, mais plutôt d’en prendre soin pour le bien de toutes les créatures et pour la gloire du Créateur. L’un des verbes traduits de l’hébreu par dominer (radâ), est employé à plu-sieurs reprises dans la Torah (ou Pentateuque), les cinq premiers livres de la Bible. Au-delà du sens littéral, les verbes «cultiver» (’avad) et «garder» (šamar) ont aussi une connotation religieuse. Le lien entre les deux sens n’est pas évident, mais il n’est pas exclu de lire dans cette parenté linguistique un encouragement à envi-sager notre activité au-delà des simples réalités matérielles. Selon le contexte, le verbe cultiver peut avoir le sens de «servir Dieu»,

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«rendre un culte à Dieu». Ce verbe est employé pour désigner, par exemple, l’activité des Lévites dans le temple. Le peuple d’Israël est invité à garder les commandements, l’alliance de Dieu, le sabbat, son âme. La domination des êtres humains peut ainsi se définir par leur vocation de remplir et de cultiver la terre, mais aussi de la pro-téger. Cela implique leur responsabilité humaine et religieuse. La nature porte l’empreinte du Créateur, suggère l’apôtre Paul au pre-mier chapitre de l’Epître aux Romains:

En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient depuis la création du monde, elles se comprennent par ce qu’il a fait. Ils [les hommes] sont donc inexcusables. (Romains 1.20)

Cette révélation de Dieu est partielle, mais les hommes et les femmes créés à l’image de Dieu peuvent au moins reconnaître, dans la nature, la marque de la divinité. Cela les rend même, insiste l’apôtre, «inexcusables (anapologogétous, indéfendables) de ne pas avoir honoré Dieu». Cette révélation accroît leur responsabi-lité, et d’une certaine manière, elle dévoile leur faute devant Dieu: ils se sont tellement fourvoyés qu’au lieu de travailler pour servir le Créateur, ils ont servi la créature, ils lui ont rendu un culte!

Le renversement est alors complet: au lieu de dominer, pour-suit l’apôtre Paul, sur les animaux17, les hommes et les femmes en sont réduits à adorer ces créatures, à les diviniser. Les vices men-tionnés par l’apôtre dans la suite de son Epître aux Romains sont éloquents: ils trahissent la prétention de l’être humain à vivre dans la démesure, à franchir les limites de sa condition, tant sur le plan spirituel que moral et pratique, dans tous les domaines, familial, sexuel, économique, social et politique.

17 Selon les catégories déjà mentionnées dans la Genèse ou dans la Loi de Moïse, cf. Exode 20.3-5; Deutéronome 5.6-9.

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Dans un éditorial de l’hebdomadaire Le Point, Claude Imbert dé-nonce ainsi les racines de la crise financière:

Le principal coupable (de la crise financière) – évidence oubliée! –, c’est la démesure. Cette hubris où les anciens Grecs identifiaient le poison majeur de la vie collective. La démesure c’est la défaite du bon sens, du «sens commun», fils bâtard de la raison et de l’expérience. Beaucoup d’hommes sont doués de raison, mais fort peu de bon sens. Et le sens commun n’est pas de nos jours «tendance». Il déserte nos palais de pouvoir et de finance, dévalué par les frénésies d’époque, les vertiges de l’accélération, l’évasion dans le virtuel, le mépris du juste milieu, le dédain de la modération18...

Il n’y a qu’un pas entre cette attitude et les conséquences qu’elle engendre sur les plans économiques et écologiques. Les définitions données par le dictionnaire Le Petit Robert sont explicites: l’éco-logie est «l’étude des milieux où vivent les êtres vivants ainsi que des rapports de ces êtres entre eux et avec le milieu». L’économie est «la science qui a pour objet la connaissance des phénomènes concernant la production, la distribution et la consommation des ressources, des biens matériels dans la société humaine». Un lien étroit, étymologique, unit les deux termes écologie et économie: l’un et l’autre se rapportent à la gestion de la maison (oïkos), et par extension celle de la cité ou du pays, de la nature dans son ensem-ble. Hélas, l’écologie ne rime pas toujours avec économie et le lien sémantique qui les unit est distendu par l’attitude débridée des êtres humains. Que faire donc, pour réconcilier ces deux termes devenus trop souvent antithétiques et pour modérer les passions humaines?

18 Claude Imbert, Editorial, «La défaite du sens commun», Le Point n° 1882 du 09.10.2008. On retrouve des propos semblables dans l’éditorial de Dominique Bourg dans L’Express du 24.09.2009, «Apprendre à vivre dans un monde limité».

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Ecologie et politique

Les mesures préconiséesElaboré en 1997, le protocole de Kyoto sur les changements clima-tiques est approuvé par l’ensemble des Etats présents à Johannes-burg en 2002. Il prévoit la réduction des émissions de six gaz à effet de serre d’au moins 5% entre 2008 et 2012, par rapport au niveau atteint en 1990, pour une quarantaine de pays industriels. Ce texte est entré en vigueur en février 2005, en partie grâce à la ratifica-tion, in extremis, annoncée par la Russie en novembre 2004; il est désormais ratifié par les Etats qui s’étaient engagés à Johannesburg, à l’exception notable de grandes puissances comme les Etats-Unis et l’Australie, qui en ont affaibli la portée symbolique et pratique.

Les retenues étaient déjà très sensibles lors de la Conférence de La Haye, en novembre 2000. Georges W. Bush, encore récemment élu président des Etats-Unis, avait annoncé dès le mois de mars 2001, son refus de ratifier l’accord qu’il soutenait par ailleurs. Pour se justifier, il avait invoqué le spectre habituel des emplois me-nacés par ces mesures. Les Etats-Unis ont donc mis en place, en 2002, leur propre protocole de réduction des gaz à effet de serre, plus modeste et surtout moins contraignant, peu en rapport avec les exigences au niveau mondial et surtout en Amérique du Nord. Les mesures prises cependant par certains Etats, comme la Califor-nie, le film d’Al Gore, Une vérité qui dérange, dont le rayonnement et l’influence ont porté des fruits tangibles, l’élection en 2009 de Barak Obama, jugé plus favorable à une politique qui tient compte des enjeux écologiques, la crise financière consécutive aux excès d’une domination économique abusive, tous ces faits atténuent sensiblement les réticences montrées jusqu’alors par les autorités et le peuple américains.

Certains pays comme l’Inde, la Chine ou le Brésil ont obtenu de ne pas s’impliquer actuellement dans le processus de Kyoto, qui