Fontaine Pierre - (1957) - La nouvelle course au pétrole

  • Upload
    nunusse

  • View
    194

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

PIERRE FONTAINE LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE Ouvrages du mme auteur______________ France-Allemagne (en collaboration). Les Exotiques, nouvelles. La Mort Mystrieuse du Gouverneur Renard. Ltrange aventure Riffaine. Le Mensonge du Dr Ganiot, nouvelles. El Bir (Sahara), roman. Visions Impriales. Moya (Tahiti), roman. Les Vents de Sable (sud-algrien), roman. Dans lOmbre de Jean Charcot. Saint-Ptrole (Syrie), roman. La Magie chez les Noirs, rimpression (dition du Scorpion). Olo (Afrique quatoriale), roman (dition du Dauphin). Ltoile Noire (Afrique occidentale), roman (dition du Dauphin). La Guerre occulte du Ptrole. Alger-Tunis-Rabat. Touggourt, Capitale des Oasis, illustr (dition Dervy). Bou-Saada, Porte du dsert, illustr (dition Dervy). La Guerre Froide du Ptrole (dition Je Sers ). Bataille pour le Ptrole Franais (dition Je Sers ). Dossier Secret de lAfrique du Nord (dition des Sept Couleurs). La Belle Adrienne, roman (dition du Scorpion). Les ouvrages sans indication de noms dditeurs sont puiss(Note de Lenculus, ils sont tous puiss actuellement ou pour ainsi dire introuvable. Chercher donc pourquoi.)

PIERRE FONTAINE

LA NOUVELLE COURSE AU PTROLE

Les Sept couleurs51, rue de la Harpe, Paris (5e)

@ by ditions LE SEPT COULEURS , Paris, 1957

TABLE DES MATIERESAVANT-PROPOS.........................................................................................................................................................................................

6

ILA ROUTE MARITIME DU PTROLE PAR SUEZ, POUDRIRE MONDIALE PERMANENTE.............

10

IILU.R.S.S. DEVIENT UNE DES PREMIRES PUISSANCES PTROLIRES MONDIALES.........................

41

IIILES MUSULMANS DU PROCHE ET DU MOYEN-ORIENT ET LA FIVRE DU PTROLE ........................ 53

IVTRANSPORTER LE PTROLE LOINTAIN ................................................................................................................................ 66

VLE PTROLE AFRICAIN LIBRERA-T-IL LEUROPE ?....................................................................................................

74

VILA COURSE AU PTROLES EST OUVERTE EN EUROPE ...ET SACCLRE AILLEURS......................

105

VIIPOUR QUELLES RAISONS LA FRANCE A-T-ELLE MANQU DE PTROLE ?............................................

117

VIIIOU EN EST LA FRANCE ?................................................................................................................................................................

130

IXUNE POLITIQUE FRANAISE DU PTROLE EST UNE QUESTION DHOMMES....................................

140

EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE ......................................................................................................................... 155 POSTFACE.................................................................................................................................................................................................

161

AVANT-PROPOS

Le 20 dcembre 1956, un prsident du Conseil franais, M. Guy Mollet, dclara la tribune de lAssemble Nationale : Nous savons enfin que le chantage au ptrole peut tre une ralit. Il a fallu trente ans pour que cette vidence connue des initis et des lecteurs de nos prcdents ouvrages devienne un aveu public. Trente ans pour hisser la question ptrolire son vritable niveau politique et diplomatique ! Le silence volontaire sur les dessous de cette course au ptrole constitue un handicap de la France et de lEurope dont linsuffisance en sources dnergie obre leur indpendance puisquil est dsormais prouv que les conomies intrieures des pays dEurope occidentale sont les esclaves dun carburant tranger lointain et que lnergie ptrolire conditionne une partie du travail national. Nous tions demeurs les seuls dune quipe qui svertua essayer de conqurir lopinion cette vrit : Un pays assujetti lextrieur pour une source dnergie qui lui est indispensable nest pas un pays indpendant ; il est forcment satellite de son approvisionneur . Ce qui explique, en partie, la raison qui mit la France la remorque de la politique britannique pendant un certain nombre de lustres. Notre insistance, inspire de celle du Taciturne, trouva son illustration dans laffaire du canal de Suez dont le sabotage demeure un lment capital dans le triomphe de la gopolitique, une science peu lhonneur en France. Le canal de Suez laisse nouveau passer les tankers, les pipe-lines transdsertiques dynamits sont rpars et permettent au ravitaillement de lEurope Occidentale de redevenir normal. Pour combien de temps ? La menace dasphyxie europenne demeure la mme. Il suffira de quelques minutes de tension pour que tout recommence. 1956 ne fut quune rptition gnrale dune opration qui ne devait se dclencher qu laube du troisime conflit mondial. Avec la lutte amricano-sovitique dans le Moyen-Orient et le Pacte Atlantique, la mme opration dinterruption dans lacheminement du ptrole oriental se reproduira. Nous verrons ce quil convient de penser de la route des ptroliers par le Cap, de la politique des supertankers et du ravitaillement par le ptrole africain, moyens qui ne seront jamais que des palliatifs dans un pays anxieux de carburant pour ses moteurs. Est-il trop tard pour essayer de saffranchir de cette redoutable vassalit ? Non, si le ptrole sinstalle au premier rang des proccupations permanentes de lopinion publique au mme titre que le tabac ou le pain.

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

7

Oui, si, une fois lalerte passe, lindiffrence reprend son cours aide par le silence calcul de la grande information. Pour limmense majorit des Franais, le ptrole est un sujet nouveau aux dessous politiques insouponns jusqualors. Ce nest quaprs la deuxime guerre mondiale quun assez grand nombre de personnes dcouvrirent le ptrole... par la Bourse ; 20 % des oprations boursires seffectuent sur les valeurs ptrolires. Mais limportance du ptrole natteignit le grand public que, lorsquen temps de paix, les commodits souffrirent de la rarfaction du carburant. La presse dut en entretenir ses lecteurs par des relations (souvent incompltes) de dbats et dincidents politiques et diplomatiques. Et lon essaie dj de pousser dans les oubliettes les tiraillements des mauvaises heures afin dviter dtablir le bilan des responsabilits qui cotent cher aux contribuables, directement et indirectement par les amenuisements de devises trangres et par le ralentissement de lactivit conomique gnrale (impts normaux perus en moins quil faut remplacer par dautres ressources). Le ptrole est devenu un problme public ; il est important quil le reste si nous ne voulons pas devenir les victimes permanentes ou les mercenaires de ce chantage au ptrole. La question ptrolire est peut-tre plus grave que jamais puisque ltranger sait dsormais, par laventure de 1956, que lEurope est la merci de son ptrole. Plus besoin de guerre ; il suffira de couper les routes du ptrole pour quune nation soit rapidement dsarme et que son activit conomique paralyse engendre le chmage, donc les troubles sociaux. Pour annihiler un pays dpourvu dune ressource nergtique capitale, la crise de Suez indique le genre de manuvre efficace tendre. Seule riposte : il est possible de se passer en grande partie du ptrole tranger. Encore faut-il le vouloir ! Cette volont napparat pas trs nettement malgr les imprcations de fin 1956. Dans de prcdents ouvrages, nous avons montr quil tait relativement facile de prvoir plusieurs annes lavance les vnements mondiaux en raisonnant ptrole 1 . Dans les causes des guerres, lconomique domine le politique. Cela dure depuis les Croisades quand les marchands gnois et vnitiens subventionnaient des chevaliers afin dtablir dans lombre de leurs conqutes dAsie mineure des privilges commerciaux avec les grandes caravanes venant dExtrme-Orient. Les nations pas plus que les trusts ninventrent donc les mobiles des querelles internationales pour lesquelles des prtextes politiques ou confessionnels sont essentiellement exploits. Les futurs vnements qui bouleverseront le monde sont prvisibles avec autant de sret que les troubles dIran, dAfrique du Nord, de Suez que nous annonmes lavance. Mme si le ptrole venait disparatre comme carburant (il devrait ltre depuis vingtcinq ans), la ptrochimie tirant plus de deux mille drivs du ptrole brut assure une extraordinaire survie rentable aux hydrocarbures. Ce qui1 Ouvrages du mme auteur consacrs au ptrole : El Bir et Saint-Ptrole (romans puiss) ; La guerre occulte du ptrole (puis), La guerre froide du ptrole et Bataille pour le ptrole franais (Editions Je Sers , Paris).

8

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

explique les tentacules des trusts, ptroliers vers les industries chimiques mondiales. Aussi, loin de perdre leur importance par leurs excs, les tenants du ptrole deviennent-ils plus envahissant chaque jour. Le pompiste ne leur suffira plus pour vendre leurs produits, il leur faudra le bazar, lpicier, le quincaillier pour offrir les objets, les tissus, les jouets en matires plastiques, les dtersifs et autres produits insecticides tous extraits du naphte Le danger des monstres industriels du ptrole dans la vie des nations grandit avec le temps. Daprs une statistique gnrale pour lanne 1956, la France compte 1 vhicule motoris pour 11 habitants tandis que les tats-Unis enregistrent le record avec 1 pour 2,6 habitants ; Canada 1 pour 4. Dtachons de la longue liste lU.R.S.S. avec 1 pour 70 habitants et la Chine 1 pour 4 957. Ces indications pourraient, elles seules, expliquer limpratif de la course au ptrole. Aux pays gros buveurs dessence sopposent des pays sous-motoriss marchant pas de gant vers le progrs et qui, bref dlai, auront un besoin de plus en plus grand de carburant qu dfaut de trouver chez eux en quantit suffisante, il faudra bien puiser autre part, avec ou sans devises trangres, moins quils nappartiennent au mme bloc idologique. Notre but est de faire comprendre aux lecteurs les dangers que leur font courir les insatiables apptits du ptrole. La Guerre Froide du Ptrole peignit en de larges touches laction des ptroliers travers le monde en montrant quils taient plus puissants que les gouvernements. Avec Bataille pour le ptrole franais, nous indiqumes que la France et lUnion franaise nchappaient pas cette dictature extrieure. Cet ouvrage est la narration des rapports de lEurope, vivant dsormais sous la menace de la disette de ptrole, avec ses fournisseurs ou ceux en puissance de le devenir. Plus tard, nous aborderons la lutte des trusts entre eux et les guerres quils dclenchrent. Chacun commence comprendre la dictature de lconomique avec le mot ptrole en surimpression. On ralise mieux, depuis Suez, limportance de la partie en cours ; cest la paix qui est en jeu, donc sa propre vie et celle de ses enfants. Avec latome comme toile de fond. La houille devient rare. Dans une re motorise lextrme, la France peut manquer soudainement de tout ou partie des nergies qui lui sont indispensables. Certains esprits sont effars par des problmes dont ils ne croyaient pas lacuit si prsente, ils ne pensaient pas, quun jour, le recrutement des mineurs savrerait si difficile. La puissance du ptrole nest pas une vaine expression. En 1956, avec lobstruction du canal de Suez, donc la sous-consommation force en certains pays grands clients du ptrole, on pouvait croire un ralentissement de la production ptrolire. En 1956, la production mondiale de ptrole sleva au chiffre jamais atteint jusqualors de 835 millions de tonnes (8,5 % de plus que lanne prcdente). Pas dinvendu malgr le manque consommer de lEurope. Remmorons-nous les informations annonant la fermeture de certains puits, le ralentissement de certains autres, les royalties que ne toucheront pas les souverains arabes, etc. Cela

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

9

permet de mieux mesurer les bruits mensongers lancs en pleine crise. 835 millions de tonnes (contre 763 en 1955), pas de rserves disponibles pour la France et le compte-gouttes pour lEurope... Un chantage monumental ! Un universitaire ma crit quil ntait plus possible denseigner les sources dnergie dans les classes terminales sans connatre vos ouvrages sur le ptrole . Nous arrivons au but dune dmonstration commence voici trente ans, savoir que tout avenir de progrs scientifique reposant sur une source dnergie pouvant tout moment se drober, revient construire sur du sable, vouloir difier une maison sans vrifier la solidit du sous-sol. A quoi servent les autos si elles ne peuvent rouler ? A quoi rime le confort moderne sans chemines si les buildings sont glaciaux en hiver faute de fuel pour les chauffer ? Autant de problmes qui eussent d militer pour une srieuse politique des carburants en France et mme en Europe occidentale. Nous savons maintenant que la question ptrolire ne pourra plus tre touffe. Le fait est important. Le ptrole est sorti de la clandestinit et des spcialistes 2 . Le public voulait des faits et non de vagues allusions ; nous lui avons dbroussaill lessentiel et nous continuerons par le dtail. Il sent que dnoncer les manuvres cest en rendre lexcution moins facile et parfois cest les faire chouer. Le malfaiteur est moins hardi lorsquil ne bnficie pas de lombre.

Petite polmique extraite du journal Le Monde sous le titre : Les sujets tabous la R.T.F. . Dans un article intitul La Diplomatie du Ptrole notre collaborateur douard Sablier crivait notamment : Il y a une dizaine d'annes, au lendemain de la dernire guerre mondiale, la Radiodiffusion franaise observait, entre autres directives gouvernementales, un impratif absolu : dfense de parler du ptrole. M. V. Gayman, directeur des informations la R. T .F., nous adresse ce sujet la dclaration suivante : Je puis vous affirmer de la faon la plus absolue que le n'ai jamais reu ni eu connaissance d'une directive gouvernementale concernant une interdiction de parler du ptrole. Il suffit d'ailleurs de se reporter aux missions innombrables ralises par la R.T.F. sur les aspects les plus divers intressant le ptrole : la prospection, l'extraction, la distillation, le cracking, l'utilisation, etc. Nous donnons bien volontiers acte M. Gayman des prcisions qu'il apporte. Nous lui confirmons que dans d'autres services que le sien il tait fait couramment allusion une consigne gouvernementale demandant que les aspects politiques de la question ptrolire ne soient pas voqus sur les ondes. E.S. Reconnaissons que, pour notre part, les services de presse des prcdents ouvrages sur le ptrole envoys la R.T.F. demeurrent sans cho, alors que la radio suisse (Sottens) diffusa une interview importante de l'auteur.2

I LA ROUTE MARITIME DU PTROLE PAR SUEZ, POUDRIRE MONDIALE PERMANENTE

...par quelle fatalit le ptrole a t cherch, dcouvert, exploit dans les dserts arabes les plus reculs, alors que, dans les forts landaises, dans nos valles barnaises, o pouvaient circuler leur aise prospecteurs et ingnieurs, on le dcouvre peine et on lexploite si lentement... Les faits crient aujourdhui. Nous avons t dupes. Nous avons t pris pour des innocents ! Seulement, depuis la dernire crise (Suez), nos yeux souvrent. Nous avons la certitude la fois de votre accaparement et de notre carence... Pierre DUMAS (5 lettres aux Amricains).

LEurope occidentale insouciante, sest brusquement rveille devant les ralits, en 1956, lorsque le Colonel Nasser refusa de laisser passer le ptrole. Elle se complaisait dans ses commodits motorises sans se proccuper de la prennit de son re de progrs assise sur des apports extrieurs dnergie. Il tait juste quelle payt son moindre effort dans le domaine du carburant. Peu importe que le canal de Suez soit remis en tat et permette aux tankers de joindre rapidement le Golfe Persique ou lInsulinde ses ports. Dsormais, cette voie maritime nest plus considre que comme un pis aller dont lEurope doit saffranchir dans le plus bref dlai. Lemprise sovitique sur le Proche et le Moyen-Orient, les heurts qui ne manqueront pas den dcouler avec la nouvelle doctrine Eisenhower dans ces pays, les zizanies permanentes entre les tats arabes et Isral, rendent prcaire tout espoir de confiance absolue dans la constance du trafic ptrolier par le canal. Deux guerres mondiales ninterrompirent pas le transit des tankers ; un incident de la paix suffit plonger lEurope occidentale dans langoisse. Autrement dit, la vie conomique de lEurope occidentale est menace en permanence par les droulements politiques imprvus dune des contres les plus agites du monde. Cela, quil sagisse du canal ou des pipe-lines traversant les pays arabes. Rfrons-nous deux hommes qui, pour une fois, laissrent chapper des bribes de vrit se compltant harmonieusement. M. Dimitri Chepilov, ancien ministre des Affaires trangres de lU.R.S.S., dit lO.N.U. en 1956 : Les monopolistes amricains cherchent dloger du Moyen-

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

11

Orient leurs rivaux anglais et franais. De son ct, M. Foster Dulles dclara devant les commissions des Affaires trangres et des Forces Armes du Snat, Washington : La France et la Grande-Bretagne ne peuvent tre associes notre politique dans le Proche-Orient. Tout le monde parat donc bien daccord sur la dpendance amricaine grandissante qui psera sur lEurope en matire de carburant. La France (et lEurope), peuvent-elles, dans ces conditions desprit, btir allgrement un avenir de plus en plus motoris sans se proccuper dchapper autant Suez qu lhgmonie conomique amricaine sur les plus grandes rserves du monde de ptrole en pays arabes ? Noublions pas que le chantage au ptrole existe. Sans aucun humour noir, nous pensons que les politiciens ralistes devraient lever une statue au colonel Nasser. Son geste du fait accompli en temps de paix relative quivaut au tocsin pour lEurope ; survenant en temps de guerre, il eut t un glas. Expliquons-nous. Un an avant les vnements de Suez, nous crivmes ces lignes : ...Les tats-majors anglais et amricains ont la mme proccupation : ils redoutent, disent-ils, une attaque sovitique (avec ou sans lappui des Jaunes), dirige vers le canal de Suez. En cas de guerre mondiale, cette ventualit est logique. Qui contrlera le Canal de Suez, tiendra le ravitaillement de lEurope surtout en carburant. Qui tablira la jonction Armnie. Egypte coupera tous les pipelines qui viennent dverser le ptrole brut directement dans les ports mditerranens de Banyas, Tripoli, Sada et Haffa. Autrement dit, en isolant lAsie de lEurope, on enlvera cette dernire toute possibilit de recevoir les 93 % de sa consommation de ptrole. Cest pourquoi la ligne U.R.S.S.-Suez est considre comme la ligne vitale pour la stratgie atlantique, car il suffirait la marine sovitique (la plus importante du monde en sous-marins), de bloquer les ctes atlantiques pour provoquer rapidement une disette de ptrole en Europe, sur le pied de la guerre... 3 Nul ntant prophte en son pays, M. Nasser se chargea dapporter la dmonstration pratique de ce pronostic raisonnable. Cette rptition gnrale offerte en priode de paix par le dictateur gyptien une Europe se contentant dadministrer la facilit mriterait donc une statue. On eut le temps de sorganiser (tant bien que mal), dmettre des contre-ordres succdant des ordres pris htivement, dharmoniser la pagaye dans un incivisme quasi-total bien que non pouss par la hantise dune nouvelle guerre mondiale ; nous nosons pas penser aux consquences de cette singulire politique nationale du carburant dans une priode plus dramatique. Nous verrions cette statue dans les jardins du Palais-Bourbon avec un mcanisme intrieur parlant. Moyennant une pice de vingt francs glisse dans une fente, pendant une demi-heure les parlementaires entendraient lavertissement : Pas de ptrole, pas de bagnole . Benjamin Franklin disait : e Il ny a que les imbciles qui trouvent trop lev le prix de lexprience. 3

Cf. La Guerre Froide du ptrole, page 171.

12

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

Lalerte passe, on nous offre le Sahara plus proche mais avec des pipelines traversant des pays arabes nord-africains qui nous chappent. On sait que les pipe-lines transdsertiques du Moyen-Orient furent dynamits par les musulmans pour parachever la strilisation de Suez. On parle de tankers de 60, 80, 100 000 tonnes, qui passeront par le Cap. Outre que ces tankers seront trangers, en priode de tension ils seront de belles cibles pour les sous-marins. Nous ne spculons pas sur les illusions, nous demeurons les pieds sur la terre. Quand le monde en sera au dsarmement gnral, nous raisonnerons autrement et nous lancerons mme lide du pipe-line eurafricain. Aprs le coup de semonce de Nasser, nous sommes obligs de nous attacher des buts plus immdiats. Sans attendre la vulgarisation de latome, la solution du ptrole existe particulirement en ce qui concerne le roulage des vhicules motoriss. Cette solution ne retient pas lattention des pouvoirs publics pour des raisons que nous examinerons en dtail. Nous nous laissons encore hypnotiser par le ptrole. Puisque les tats-Unis nont pas trop de ptrole pour leur consommation et que le Sahara nest pas encore en tat de couvrir les besoins de la France et de lEurope, nous devons donc tourner nos regards vers ce Moyen-Orient qui nous est assign comme essentiel lieu de ravitaillement. Les vritables responsabilits de lAffaire de Suez La lutte pour le ptrole du Moyen-Orient nest pas un fait nouveau comme lon pourrait le croire daprs les paroles de MM. Chepilov et Foster Dulles. Elle date depuis 1916, parut se calmer avec le trait de SanRemo, mais reprit de plus belle avant la guerre lorsque les ptroliers amricains liminrent les ptroliers anglais dArabie Soudite coups de dollars. La guerre 1939-1945 permit aux Amricains daccentuer leur avance (Golfe Persique, Iran), au dtriment de leurs concurrents britanniques. Arrivons la crise de 1956. En principe, les gouvernements rpugnent exposer en public la gense des grands vnements. Lindividu normal nest pas machiavlique et ne comprendrait pas les trames, souvent de romans policiers, qui animent la diplomatie internationale. Un ministre, encore jeune, disait, en 1955, que personne ne voudrait croire la vrit sur certaines oprations politiques. Il avait raison et un ancien prsident du conseil, Andr Tardieu, prtendait quen diplomatie cest souvent le triomphe de linvraisemblable vrai . Il ne faut donc pas stonner que, pour laffaire de Suez, le Franais moyen en reste au refus des crdits amricano-britanniques pour construire le barrage dAssouan comme mobile de gestes qui mirent la paix du monde en danger. Assouan nest quun prtexte et non une cause. ...Pour tre honntes envers nous-mmes, il faut que nous reconnaissions que nous sommes les seuls blmer (dans cette affaire du Proche-Orient) , crit M. J.C. Hurewitz, professeur adjoint dhistoire des Relations Internationales lUniversit Colombia (U.S.A.). Homme

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

13

jouissant dune notorit tablie dans ltude des problmes orientaux 4 , il ne se laisse pas prendre la facile prose destine lopinion publique ; aprs nous 5 , il reconnat que a ... cest en grande partie la suite du soutien quil (M. Jefferson Caffery, ex-ambassadeur amricain au Caire), a apport aux revendications gyptiennes et des pressions quil a exerces sur ses confrres britanniques du Caire, que Londres a consenti tout dabord (en fvrier 1953) rsoudre la controverse sur le Soudan et enfin (en octobre 1954), vacuer la base de Suez par tapes sur une priode de dix-huit mois... Ainsi, un Amricain minent confirme la phrase de M. Chepilov et stigmatise la politique dapprenti-sorcier du Dpartement dEtat de Washington. Apprenti-sorcier est peut-tre beaucoup dire depuis que lon nignore plus le plan Eisenhower en Moyen-Orient de substituer une force amricaine llimination des anglo-franais. Disons plus srement : plan longue chance mrement rflchi et grandement facilit par lerreur anglo-franaise dintervention en Egypte. On sait moins quen octobre 1954, le colonel Nasser demanda aux tats-Unis de lui fournir des armements. Washington en accepta le principe moyennant un accord ... dans lequel lEgypte, en tant que bnficiaire de laide militaire amricaine, sassocierait formellement aux objectifs des plans de scurit collective de lOccident et accepterait laide et les conseils dune mission militaire amricaine... . Condition inacceptable pour lEgypte qui dsirait des armements contre Isral... jusqualors protg amricain. Admettre une mission militaire amricaine tait se passer une paire de menottes et sinterdire de regarder du ct de Tel Aviv. La junte gyptienne repoussa la contre-partie politique de laccord que Washington ne consentit abandonner que si les armes lui taient payes comptant en dollars. Le Caire ntait pas assez riche pour acqurir ces coteux joujoux de guerre cash and carry. Les discussions tranrent pendant que les munitionnaires anglais et franais, dans lesprance de damer le pion amricain, fournissaient avions, tanks, canons, navires de guerre lEgypte, mais de qualit et de quantits insuffisantes au gr de Nasser. Brusquement, en septembre 1955, Le Caire passa un march avec lU.R.S.S. et la Tchcoslovaquie de 200 millions de dollars de chars, de canons, davions raction, etc., en change de coton gyptien longue fibre. Les Sovitiques suivaient attentivement les pourparlers gyptoamricains depuis longtemps et taient intervenus au moment opportun. Des armements aux techniciens et aux conseils, ce qui tait normal du ct amricain le devint avec les livraisons sovitiques. Furieux de ce march darmes gypto-sovitique que, les U.S.A. annulrent leurs promesses de crdits pour le barrage dAssouan auquel devaient participer les Anglais.4 5

Nos erreurs au Moyen-Orient , revue The Atlantic (Boston). La Guerre Froide du Ptrole (ibid).

14

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

En rtablissant les faits historiques, le professeur Hurewitz ne situa malheureusement pas lambiance qui incita les tats-Unis se dchaner contre tout ce qui ne serait pas eux dans cette partie du monde ptrolifre. Preuve que les questions ptrolifres sont aussi du domaine rserv aux U.S.A. M. Hurewitz reconnat que cette politique imprialiste amricaine aboutit ceci : ...notre principal alli (la Grande-Bretagne), avait perdu la base militaire-cl du Moyen-Orient sur laquelle reposait toute la structure de son systme de dfense rgional et, indirectement, tout plan densemble occidental de dfense pour lEurope, lAsie et lAfrique. Quand le Dpartement dEtat pesa cette erreur , le prsident Eisenhower prit la charge de son pays la relve du plan britannique... mais, cette fois, au bnfice exclusif direct amricain. Nuance ! Cette histoire est lourde de consquences internationales, puisque dune part, les tats arabes considrent quil ny a aucun vide remplir par les tats-Unis et que le 11 fvrier 1957, lU.R.S.S. lanait un plan pour ltablissement de la paix dans le Moyen-Orient, avec la cxistence pacifique comme pierre angulaire de la politique sovitique. Chacun demeurant sur ses positions et nentendant pas laisser une part du gteau au voisin, la guerre qui nose pas dire son nom continue, plus pre que jamais. Dans ces conditions de politique darrire-penses, est-il prudent de se rendormir dans une douce quitude parce que le canal de Suez laisse nouveau transiter les bateaux ptroliers pour lEurope ? La France, satellite ptrolire de la britannique Royal Dutch-Shell, compte assez peu dans cette inharmonie orientale. Mais M. Hurewitz nen dcle pas moins le point de dpart de leffondrement europen en ces termes : ...le premier coup a t port en 1945-46, lorsque les Franais se sont vu contraints de retirer leurs forces de Syrie et du Liban... Il ne dit pas devant quelle pression... celle du gnral anglais Spears ayant fait cause commune avec les meutiers syriens dchans par les agents secrets britanniques. Nous lcrivmes dans des ouvrages prcdents, Londres menait alors sa politique ptrolire contre la France. Les apptits des ptroliers anglais prtendaient ne pas partager le Proche et le MoyenOrient. Par complicit daffairisme outrancier, le Foreign Office se trouve responsable au premier chef du dclin de linfluence britannique en pays arabes. Au cimetire de Damas il y a trop de tombes franaises pour que nous ne croyions pas la justice immanente. La France limine du contrle direct de son pipe-line Abdu-Kemal-Tripoli aprs vingt ans defforts continus (de Lawrence et Philby Sterling et Spears), la suite de la guerre du ptrole voyait dix ans aprs, le dynamitage des pipe-lines anglais traversant les pays dont nous fmes chasss. Mektoub ! Nous laisserons donc le barrage dAssouan pour les manuels dHistoire et les images dpinal. Enfin, pour le canal de Suez, on cacha avec pudeur une cause un peu spciale que daucuns eussent qualifie de racisme . A savoir lincapacit du musulman entretenir dcemment le canal. La mconnaissance de lArabe peut, seule, faire esprer un remplacement capacit gale. Tel

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

15

nest pas son temprament de dsorganisateur-n. M. Andr Siegfried, crivit en 1945 un ouvrage prophtique sur Suez 6 et il note que si les musulmans techniciens nouveaux peuvent la rigueur administrer le trantran des affaires courantes, il nest pas dans leurs conceptions de sadapter aux larges vues de lavenir. LAcadmicien est encore gentil. Notre pratique des pays musulmans nous laisse craindre davantage, surtout en Egypte. Une dolce farniente nous permet dexciper dune administration exclusivement gyptienne (qui confondra les recettes du canal avec les trous boucher du Trsor public) des nonchalances et des carences aboutissant des obstructions par envasement ou ensablement. Raison supplmentaire de cesser de fixer comme voie de salut ce passage de ressources nergiques indispensables lEurope. Nouvelle phase de la Guerre du Ptrole Nous en sommes la troisime phase de la guerre du ptrole entre Washington et Londres avec la rapparition dun autre pays ptrolier, lU.R.S.S., trs au courant de ce genre de lutte puisque, entre les deux guerres, il fut dj lalli de la Standard Oil contre la Royal Dutch-Shell dans la lutte des prix du carburant en Asie. La premire manche revint aux Amricains avec J.D. Rockfeller ; la deuxime fut enleve par le Hollando-anglais Henri Deterding pour le compte de la Grande-Bretagne. La troisime manche est en cours. Le forcing amricain saccentua avec la deuxime guerre mondiale, lorsque Londres dut payer des fournitures darmements indispensables avec des actions ptrolires, celles de Bahrein en particulier. Depuis, les ptroliers amricains avaliss par le gouvernement de Washington, ne cessrent de marquer des points depuis le lancement du slogan anticolonialiste dont le but essentiel tait llimination des Europens des terres trangres ptrole ou uranium... Quitte aux Amricains venir sinstaller la place des colonialistes laide de plans divers comme celui qui choua avec Nasser. La Grande-Bretagne et la France nont pas pes lourd dans la balance amricaine, mais lU.R.S.S. a pris la relve des anglo-franais dans le Proche et le Moyen-Orient. Avec les Sovitiques, les Amricains auront une tche beaucoup moins facile quavec leurs allis. Moscou, lui, sait ce quil veut. LU.R.S.S. a compris limportance du ptrole dans les rapports de force mondiaux. Au chapitre suivant, nous verrons son effort gigantesque pour devenir, avec son propre sol, un des principaux fournisseurs de ptrole du monde. Ses progrs sont tels quun jour prochain se posera un problme conomique international lcoulement du ptrole sovitique non grev des frais de dividendes, parts de fondateurs, etc. puisque le ptrole est proprit dEtat. Ou bien lEtat sovitique sentendra avec le capitalisme priv pour des livraisons certains cours rmunrateurs pour les actionnaires, ou bien nous reverrons une coalition ptrolire amricanoSuez, Panama et les routes maritimes mondiales, par Andr Siegfried, de l'Acadmie franaise (Armand Colin, 1945).6

16

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

anglaise contre le ptrole sovitique. A ce moment, il y aura danger rel de guerre sous les prtextes les plus divers. Incontestablement et gopolitiquement parlant, lU.R.S.S. possde lavantage de la position stratgique et politique. Moscou ne pouvait demeurer insensible linstallation des anglo-amricains en Iran, cest-dire proximit de ses ptroles du Caucase, laide militaire amricaine la Turquie et au Pakistan ses voisins frontaliers, au Pacte de Bagdad (Turquie, Irak, Pakistan et Iran) constituant une sorte de ceinture au Sud de la Russie... qui veut tre dfensive mais qui, le cas chant, pourrait aussi bien tre offensive. LU.R.S.S. est un immense pays qui manque dun exutoire maritime vers le Sud. La politique des tsars est celle des Soviets. Quand la consommation intrieure russe sera satisfaite et quil faudra exporter, la Baltique insuffisante et mal commode devra se doubler, outre les Dardanelles, dune voie conduisant sur un point du Golfe Persique travers lIran. Depuis toujours la Russie considra cette partie de lOrient comme une zone dinfluence russe. Hlas cest le chemin terrestre direct qui mne aux gisements ptroliers amricains et anglais du Moyen-Orient ! Honntement il est humain de penser que lorigine de laction occulte sovitique en Proche et en Moyen-Orient est avant tout, une mesure de dfense... pour mettre un peu dair musulman entre les bases militaires anglaises et amricaines dans les pays arabes et les frontires de lU.R.S.S. Si le Moyen-Orient reprsente dsormais 72 % des rserves mondiales de ptrole, lAsie sous-volue a dj pos la question : pourquoi ce ptrole serait-il davantage aux occidentaux qui possdent tous les gisements des Amriques plutt quaux Asiatiques qui ont deux sicles de retard rattraper ? Cette source dnergie se trouve dans lorbite gographique naturelle de lAsie, proximit de chez elle ; or, on la lui enlve sous le prtexte quelle nest pas assez riche pour la payer en monnaies chres ! Un tel raisonnement manant de musulmans (lArabe est, dans son ensemble, un grand imprvoyant) neut reprsent aucun danger. Avec laide des techniciens sovitiques les paroles davenir sonnent plus clairement. Un certain laps de temps est encore ncessaire pour constituer une volont musulmane qui aboutira aux ralisations, mais, sauf bouleversement mondial, les projets sovito-asiatiques, surtout avec laide des 600 millions de Chinois, peuvent aboutir une xnophobie gnralise qui voudra rserver les matires premires indispensables de ses zones dinfluence au progrs de son cercle damitis ou de sympathies. Tel est le fond du bouche oreille dun vaste mouvement contre lequel les Amricains auront lutter. LU.R.S.S. compte une quarantaine de millions de musulmans ; elle sut former des lites sans choquer les croyances par une sorte de bible marxo-coranique. Ce sont donc des musulmans qui sadressent aux musulmans du Moyen-Orient. L, les Amricains ny pourront rien opposer sauf la force. A Washington, on spcule sur lappt du gain pour contrebalancer la propagande sovitique. Les montagnes de dollars sont toujours valables en

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

17

pays musulmans, certes, mais le roi dArabie na pas la valeur de son pre qui construisit son royaume la force du poignet. Et depuis feu lmir Fayal, le poignard et le poison laissent opportunment beaucoup de places vides. Les dollars et les livres nenrichissent pas le peuple mais seulement les souverains et les hauts fonctionnaires. Les agents sovitiques le savent tandis que les Amricains veulent lignorer. Moscou a vu trs loin dans ces prises de position mondiales qui se cristalliseront dabord dans le Moyen-Orient. Staline conversant avec lhistorien Emil Ludwig propos de Hitler, lui dit quil saurait sarrter temps et o il faudra. Or, certain tat-major europen remarqua beaucoup que si la flotte des submersibles sovitiques tait de loin la premire du monde, Moscou se dsintressait assez des grands navires de guerre pouvant aider par exemple au transport des troupes et du matriel. Il en dduisit que pour aller Suez, Constantinople, Ryad ou Bassorah, les Sovitiques peuvent partir de leurs propres frontires ; toute marine de surface puissante est donc inutile. Lavenir de la Russie nest donc pas outre-mer ; il serait ventuellement en lair et dans les chars. Il nen est pas de mme des tats-Unis, de la Grande-Bretagne ou de la France qui, pour dfendre leurs intrts dits nationaux engags dans les ptroles du Moyen-Orient, seraient obligs damener troupes et armements par bateaux soumis la surveillance des sous-marins adverses. Autre atout psychologique : pour linstant, les Soviets ne demandent rien aux pays arabes. Au contraire, ils leur apportent des produits manufacturs et leur enlvent leurs surplus de productions locales ; ils pratiquent le troc sur une large chelle, systme conomique peu apprci des tats-Unis, grands exportateurs, mais petits importateurs. Le Proche et le Moyen-Orient sont farcis de ces tranges luttes dinfluences o lont voit des actions qui paraissent conjugues mais qui ne sont que parallles du moins le croyons-nous se liguer contre un troisime larron. Les Sovitiques, dans la coulisse, aidrent les Britanniques dbarrasser le Moyen-Orient de la France. Ils jetrent de lhuile sur le feu couvant entre Anglais et Amricains en Jordanie et soutirent ces derniers pour vincer linfluence anglaise et les 3 000 hommes de troupes britanniques stationnes dans ce coin nvralgique. Les Anglais nous ayant succd au Liban et en Syrie, les agents amricains crurent tenir en laisse ces deux pays, mais, intervenant leur tour, les agents sovitiques acquirent une influence certaine en Syrie. Dans le Sud de lArabie, Aden et Burami, des Arabiens la solde des ptroliers amricains harcelrent les Britanniques ; mme opration contre Aden par les Ymnites arms, eux, par les Tchcoslovaques . En Irak, situation indcise ; linfluence allemande y est encore trs vivace ; le pays est pour la Ligue Arabe, mais le gouvernement demeure pro-anglais... jusques quand ? En Iran, depuis linstallation du consortium anglo-amricano-franco-hollandais dans les ptroles nationaliss iraniens, la cote des Occidentaux parait baisser au profit des Sovitiques : le shah a rendu une visite Moscou en 1956. A Chypre, dernier contrle anglais de la route maritime du ptrole oriental, mmes influences anti-britanniques. Combien de temps durera le projet

18

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

dalliance entre lArabie Soudite, lIrak et la Jordanie mis sur pied en mai 1957 ? Devant les perspectives dun tel chaos, les pipe-lines du Moyen-Orient et le canal de Suez ne semblent plus des moyens srieux dassurer avec continuit le ravitaillement de lEurope occidentale dans la proportion de 93 % de ses imprieux besoins. Le shortage est-il vraiment un drame amricain ? Les Molochs spient. Quand lun arrive quelque part, lombre du second apparat. Et, gnralement, les complications samplifient. Alors, sinterroge lhomme de la rue, pour quelle raison les ptroliers amricains veulent-ils tout prix sinstaller au Moyen-Orient puisque, nous dit-on, les puits du Texas sont rgls pour ne pas donner leur maximum ? 7 Outre le business et la diplomatie de sujtion par le ptrole, une autre question est peu connue : le shortage ou la hantise des Amricains pour une disette de production de ptrole sur leur propre territoire. Dans la plupart des ouvrages et tudes ayant paru entre les deux guerres sur lavenir du ptrole, quils fussent anglais ou amricains, le shortage demeurait le problme n 1. Les U.S.A. vivaient alors sous la menace de voir leurs propres gisements spuiser et de dpendre leur tour du carburant tranger. La Grande-Bretagne se rjouissait de cette chance puisquelle dtenait lpoque les trois-quarts des ressources mondiales de ptrole. Ce servage des tats-Unis devait se produire aux environs de 1940 : LAmrique sera oblige dacheter coups de millions de livres sterling aux socits anglaises lhuile dont elle ne peut se passer et quelle ne sera plus capable de tirer de ses propres rserves... . 8 Une vritable guerre dasservissement conomique par le ptrole rgna entre Londres et Washington. Ce qui explique la raison majeure qui transforma les affaires ptrolires prives en affaires dEtat . Cette nouvelle raison dEtat indique aussi le peu de mnagement des Amricains pour mieux assurer leur revanche sur les Anglais depuis la deuxime guerre mondiale... et la dsinvolture avec laquelle le Dpartement dEtat traite la Grande-Bretagne et, par corollaire, la France la remorque de Londres. Pour ne pas risquer de voir renatre la menace profre publiquement sur lasservissement ptrolier des tats-Unis par les trusts britanniques, sous les prtextes les plus divers il fallait que les deux premires puissances coloniales du monde disparaissent de lavant-scne internationale. A lpoque de cette menace de shortage, trois trusts britanniques menant une politique conomique commune au profit de la GrandeBretagne, dominaient la situation : la Royal-Dutch-Shell, lAnglo Persian Oil C et le groupe Pearson. Par la suite le dernier fut absorb ( raison7 Le Journal des Carburants a rappel qu'au Texas, qui s'est rattach volontairement aux tats-Unis, la Texas Railroad Commission a seule autorit pour rglementer la production ptrolire dans le Texas. Le gouvernement fdral n'a aucun pouvoir sur elle ! 8 Cf. La Guerre Froide du Ptrole, page 99.

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

19

dEtat ) par les autres et Pearson anobli alla siger la Chambre des Lords en remerciement de sa discipline (il devint Lord Cowdray). Les Amricains un peu affols ne prirent pas le temps de prospecter de nouvelles terres. Ils regardrent les exploitations existant dj et en plein rendement. Ces exploitations appartenaient aux Britanniques et leurs filiales. Le dollar partit lassaut de la livre, soutenu par la diplomatie amricaine et par les agents secrets des U.S.A. Ce fut la grande poque des rvoltes, des rebellions, insurrections et guerres dans les Amriques centrale et sudiste, les guerres grco-turques, les sances de charme Moscou pour ses ptroles, etc. 9 Les coups les plus retentissants ports limprialisme ptrolier britannique se siturent au Mexique (Mexican Eagle), en Arabie Soudite (Aramco). Gulbenkian, devenu lennemi mortel du cerveau ptrolier anglais Deterding aprs avoir t son associ, ne fut pas tranger ces succs amricains. A vrai dire, ces victoires amricaines se remportrent sans trop de difficults. Les hommes daffaires britanniques renomms pour leur rapacit noctroyaient que de faibles redevances pour lextraction du ptrole. De plus, les comptes des ptroliers anglais taient fantaisistes lorsquils sagissaient des paiements aux gouvernements locaux. Par exemple, en Iran, ils payaient en income tax au Trsor britannique beaucoup plus quau Trsor iranien en royalties. Le capitalisme britannique garde la nostalgie des hautes marges bnficiaires, comme le capitalisme franais dailleurs, un peu en opposition au capitalisme amricain qui prfre un bnfice moindre sur une plus grande quantit ; la productivit engendrant des activits accrues, finalement, ce sont les Amricains qui gagnent davantage. Les Anglais donnaient 16 % lIran quand les Amricains versaient 50 % plus des avantages considrables en nature lArabie Soudite et ailleurs. Disons tout de mme que les locaux manquent peut-tre dhabitude pour vrifier le tonnage des extractions surtout lorsque les mmes gisements vacuent le ptrole la fois par tankers et par pipe-line. La livre sterling double de la fameuse cavalerie de Saint-George dut se replier devant lavalanche des doubles aigles en or pousss par le spectre du shortage. La science aidant, on saperut que les calculs et valuations des techniciens taient faux et que le shortage aux tats-Unis ne sannonait pas pour limmdiat. La gophysique des Franais Schlumberger joua un rle considrable dans cette reconsidration des rserves prouves. On dcouvrit que des gisements de naphte noffraient pas des couches uniformment planes comme on le croyait gnralement, que la sonde ne visitait pas des alvoles importantes pleines de ptrole brut, que sur un mme axe vertical plusieurs couches dhydrocarbures pouvaient se superposer. Certains puits considrs puiss furent dbouchs, on multiplia les forages et les derricks et lon constata en certains endroits que les gisements rputs mis sec reclaient encore autant de ptrole quil en avait t prcdemment ex-trait. La gologie ptrolire fut bouleverse, les recherches reprirent et stendirent aux U.S.A. mme dans les champs de9

Mme ouvrage.

20

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

coton brls de la Louisiane. Les Amricains assuraient leur place de premiers producteurs mondiaux avec des rserves values alors 30 %. Le danger tait cart momentanment, mais la menace du shortage demeure : La crise de Suez a attir nouveau aux tats-Unis lattention des milieux politiques sur les prophties dramatiques des experts ptroliers qui, il y a plusieurs annes, avaient annonc que dici dix ans les tats-Unis manqueraient aussi de ptrole. Si certains intrts privs se rjouirent de pouvoir pendant quelque temps vendre du ptrole lEurope 10 il nest nullement dans lintrt national des tats-Unis dencourager ces ventes. Les rserves en ptrole du continent amricain sont aujourdhui connues. Elles sont insuffisantes. Ds 1975, lAmrique devra importer 125 millions de tonnes de ptrole. Ces faits ont t consigns ds 1952 dans un rapport qui fit grand bruit, le rapport Paley ; ils tiennent un rle important dans la dtermination de la politique trangre des tats-Unis. Ils expliquent que les U.S.A. sintressent de plus en plus aux rgions o les rserves de ptrole sont grandes, telles que lArabie et le Sahara. 11 Nous ne savons pas sil faut donner au rapport Paley autant de crdit quaux rapports similaires publis trente ans auparavant. Les Amricains paraissent en faire cas tout en vitant de porter la question du shortage sur le plan international. Cet aveu quun jour les tats-Unis seraient obligs davoir recours aux ressources extrieures comporte un amenuisement de potentiel de force morale, surtout dans un pays de 170 millions dhabitants qui est le plus dvelopp du monde pour la circulation automobile. Nous sommes bien obligs dvoquer la politique longue chance de lU.R.S.S. et sa flotte de sous-marins en parlant dun shortage qui obligeraient les moteurs amricains dpendre de lextrieur puisque M. Rickover, membre de la commission de lnergie atomique a dclar que tous les gisements de ptrole des tats-Unis seront puiss avant un sicle et que lnergie atomique ne remplacera certainement pas lessence indispensable aux automobiles. Si les tats-Unis viennent au premier rang des producteurs mondiaux, ils sont aussi les premiers consommateurs du monde. En 1955, ils produisirent 332 millions de tonnes de ptrole mais en consommrent 401 millions de tonnes. Il est important de constater que pour mnager leurs rserves les U.S.A. font dj appel du carburant extrieur. Si les Amricains ne dcouvrent pas de nouveaux gisements de ptrole chez eux, les rserves actuelles ne pourront garantir que dix ans de consommation amricaine, affirme le rapport des experts de la Chase Manhattan Bank qui est le cerveau financier de la Standard Oil. Le nombre des puits secs a pass de 29,8 37,1 % en dix ans et les rserves mondiales prouves que lon donnait 30 % aux tats-Unis ne se chiffrent plus qu 15,5 % en 1957 alors quelles montent 72 % au Moyen-Orient. La menace du

10 Le programme de livraisons amricaines l'Europe provoqua une hausse d'environ 25 cents au baril, soit de dollar ( multiplier par 7 pour une tonne de ptrole brut) dclenchant une enqute parlementaire amricaine. 11 Dimanche-matin (janvier 1957).

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

21

shortage se prcise-t-elle ? 12 . Doit-on interprter la profondeur des sondages (Texas : 5 600 mtres), comme une ncessit de trouver du ptrole ? Shortage prochain ou lointain, les tats-Unis nattendirent pas la dernire minute pour intensifier leurs conqutes de nouvelles sources de carburant. Que les ptroliers soient des trusts ou des indpendants (qui, groups, deviennent leur tour dautres trusts), ils relvent dun organisme officiel The Petroleum reserves Corporation veillant aux destines ptrolires du pays. Il y a des adversits, des concurrences, mais tous suivent des principes gnraux qui ne peuvent aller lencontre des intrts amricains. Dailleurs pour viter les comptitions et les concurrences trop vives, la plupart renoncrent se dvorer entre eux. De son ct, le gouvernement amricain peut avoir son mot dire puisque ses manuvres diplomatiques eurent le mrite darracher des concessions appartenant dautres pays. Cest ainsi que la raison dEtat fait du Moyen-Orient un centre de fantastiques intrts amricains en Asie Mineure. Commenons par lArabie Soudite dont on parla trop, entre les mains dun consortium amricain appel Aramco (Arabian American Oil C). Ce groupe est compos de la Standard Oil California (30 %), de la Standard Oil of New-Jersey (30 %), de la Texas Oil (30 %) et de la Socony Mobil (10 %). Pour les actions de Bahrein donnes en change de matriel de guerre aux Amricains par les Anglais, nous avons la Bahrain Petroleum C avec 50 % la Standard California et 50 % la Texas Oil. Dans la Getty Oil, de la zone neutre (Wafra) du Golfe Persique, lAmerican Independent Oil C groupe dix compagnies amricaines diverses. Quand la Grande-Bretagne subit sa plus grande dfaite daprs-guerre en tant oblige de cder 40 % de ses ptroles dIran aux Amricains (1954), cette manne fut ainsi rpartie : Gulf Oil (7 %), Socony Mobil (7 %), Standard New-Jersey (7 %), Standard California (7 %), Texas Oil (7 %) et neuf autres socits amricaines se partagrent 5 %. En Irak, la part de 23,75 % cde par lAnglo Persian Oil C aux Amricains devint proprit de la Standard New-Jersey et de la Socony Mobil. Au Quatar, la proportion est la mme et aux mmes quen Irak. Le Koweit (Kuwait Oil C) est 50 % British Petroleum et 50 % amricaine avec la Gulf Oil.

12 (1) Nous rptons que nous tenons pour suspects tous les chiffres publis par les ptroliers. Ceux que nous indiquons ne peuvent tre considrs que comme valuatifs. Il est possible que beaucoup de chiffres soient truqus pour influencer le politique et l'obliger prendre des mesures de diplomatie extrieure dans un intrt national quelconque favorisant certaines industries. Les considrables bnfices raliss par les ptroliers dans les pays en dehors des tats-Unis (o le ptrole leur revient 30 % et mme 50 % moins cher que celui extrait du sol des U.S.A.) peuvent inciter beaucoup de campagnes et de propagandes sous le couvert de l'intrt national .

22

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

Cela pour lessentiel et seulement dans les rgions en exploitation, car il y a des prises de position un peu partout comme la Richfield Oil Corporation prospectant dans le sud arabien dans la rgion de Dofar, tandis que la Mobil Overseas C exploite le ptrole en Egypte. Ces rpartitions astucieuses (bien que certaines socits soient troitement apparentes) rpondent par avance une objection de lopinion publique amricaine qui ne comprendrait pas, en cas de complications, que le gouvernement fasse sien lintrt dune seule socit. Ainsi, lorigine, les 23,75 % du ptrole dIraq appartenaient la seule Standard Oil of New-Jersey ; pour viter daccuser le gouvernement davoir travaill uniquement pour le groupe Rockefeller, la Socony Mobil fut admise partager avec la Standard. On se trouve donc en face dun parpillement des intrts amricains qui ncessite videmment lattention et la protection du gouvernement de Washington. Le 5 janvier 1957, le prsident Eisenhower en lanant son plan pour le Moyen-Orient ne pouvait que rencontrer la comprhension totale du parlement amricain : le reste du monde estima cet apptit un peu grand de vouloir annexer moralement cette partie dAsie sans liens terrestres ni spirituels avec les tats-Unis dAmrique. En loccurrence, il se trouve que le ptrole, une importante flotte ptrolire, lanti-communisme, lanti-britannisme et lanti-colonialisme trouvent tous leur compte dans cette prise de position vitale . La hantise du shortage nest peut-tre quun prtexte pour justifier la pression des ptroliers amricains, mais il expliqua, pour lopinion, la ncessit de conqutes de positions stratgiques extrieures. Le rpublicain Eisenhower poursuit la politique du dmocrate Roosevelt. Autrement dit, il ny a quune seule politique trangre aux tats-Unis, celle des businessmen se retranchant derrire une ide assez peu connue. LImprialisme par le ptrole ? Le public est assez mal renseign sur ltranger et en particulier sur le plan de gouvernement mondial de Roosevelt qui est la base des malheurs de lEurope et dans lequel vient se cheviller le contrle des sources ptrolires hors des tats-Unis. Pour Roosevelt et les cercles qui linspiraient, la guerre de 1939 (dans laquelle il a de lourdes responsabilits) devait tre le coup de balai aux vieilles institutions pour former les tats-Unis du monde, gouvernement mondial de direction amricaine dont lO.N.U. devait constituer lautorit suprme. Pour parvenir son but le morceau principal tant ladhsion de lU.R.S.S. Roosevelt sacrifia lEurope au slavisme 13 . Il crut se concilier les bonnes grces de Staline (pour lamener son plan) en abandonnant tout ce que lui demandait Moscou. Le prsident amricain pensait quaprs ses concessions, Staline ne lui refuserait rien. LU.R.S.S.13 Cf. Franklin Roosevelt, l'homme de Yalta, par Georges 0llivier (Librairie Franaise, diteur, Paris).

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

23

prit tout ce quon lui donna sans marchander y compris les tats de lEurope orientale, mais ne voulut pas se laisser coloniser politiquement par ce gouvernement mondial ... qui sopposait dailleurs au plan de rvolution mondiale du communisme. Roosevelt tait assez naf et ignorant en politique trangre et quand son successeur voulut concrtiser lide, les Soviets se drobrent. Tout le plan amricain tait par terre ; les autres puissances en profitrent pour reprendre leurs distances et garder leur libert daction, la Grande-Bretagne en particulier. Alors, la loi prt-bail fut supprime Moscou et Londres et les campagnes anti-communistes commencrent dferler sur le monde. LO.N.U. ne demeure que la caricature de la fdration mondiale rve par les dmocrates amricains. La loi prt-bail, le plan Marshall, etc. ne furent que des manuvres pour crer une dpendance qui, dfaut de lesprit, enchanait le porte-monnaie. Comment rduire les principaux rcalcitrants cette O.N.U. intgrale dirige par le Dpartement dEtat amricain ? 1) les rejeter dune communaut conomique ; 2) amenuiser leur standing mondial pour les affaiblir et loigner deux les petits pays lis par une vieille amiti ; 3) les asservir par le dollar. Dus, les tats-Unis allaient commencer une autre guerre dintimidation. Les deux thmes principaux furent lanti-communisme et lanti-colonialisme. Les slogans taient bons : ils dmembrrent les empires britanniques et franais 14 . Pour lU.R.S.S. et la Chine, plan dembargo sur les matires stratgiques. A chacun son genre de domptage. A la vrit, personne ne vit le jeu temps. LU.R.S.S. le distingua sans doute la premire et se servit du slogan amricain anti-colonialiste pour poursuivre sa politique davant-guerre en Europe. Les Amricains ne renoncent pas leur grand dessein malgr des checs rpts et le ptrole peut leur fournir un argument dont nous connaissons dsormais la valeur. Si les socits ptrolires amricaines captent la plupart des sources de production du naphte, les nations qui ont besoin de carburant pour14 A.-H. Leighton, dans Human Relations in a changing world (1950) a dmontr clairement que le monde est engag dans la guerre psychique, sans doute plus terrible que l'autre au point de vue survie d'une nation car elle dtruit tous les ressorts d'un peuple. Son commentateur, M. Georges Rotvand, note qu'un homme supporte aussi mal d'tre soumis au ridicule et au mpris qu'au surmenage ou l'absence de nourriture... et il ajoute : ...Si la tension (psychique) dpasse certaines limites, on verra chez un nombre croissant d'hommes et de femmes l'une des quatre ractions morbides suivantes : instabilit motive, oscillant de la peur la rage, agressivit et recherche de boucs missaires , fatalisme apathique, fuite dans la trivialit goste, dans l'utopie ou dans des mystiques compensatoires... . Il cite encore l'exploitation de l'motivit des masses . Le but : un peuple en proie ces dpressions psychiques est un esclave en puissance. Ces symptmes ne se rvlent-ils pas depuis quelques annes en France et... ailleurs ? Les Amricains comptent-ils sur la guerre psychique pour raliser le plan Roosevelt ?

24

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

maintenir un standing dnergie indispensable au travail de leurs ouvriers devront accepter aussi des recommandations politiques. Do la fin de non-recevoir oppose Paris et Londres aprs la destruction du, canal de Suez, la proclamation du chantage au ptrole , par M. Guy Mollet. Donnant-donnant ! Efforts lO.N.U. pour donner satisfaction la France sur le problme algrien, travaux de dblaiement du canal activs, le prsident du conseil franais se rendit Washington, suivi du premier britannique... Nous ne pensons pas que le prestige de la France et celui de la Grande-Bretagne en sortirent plus reluisants, mais enfin, tout sarrange en coulisse, avec un petit peu de Sahara par exemple. Et jusqu la prochaine fois. 15 Pour soutenir une telle politique, les plus grandes rserves de ptrole du monde doivent ncessairement devenir amricaines et tre sans concurrence possible. Do lannexion morale du Moyen-Orient par les U.S.A. Sa Majest le ptrole avec sa suite... Rappelons que la Chase Manhattan Bank est un organisme Rockefeller donc Standard Oil et que la banque Lazard frres et Cie est lorganisme financier de la Shell en France. La poudrire : les tats arabes et Isral Pays riches en souvenirs anciens, mais mornes et pauvres, les tats arabes vcurent jusquau quart de ce sicle dans la plus profonde des misres. LArabie Soudite, en particulier subsistait de dons de ses voisins et des taxes prleves sur les plerins de la Mecque. Le ptrole enrichit soudainement ces rgions vaguement dlimites et le plus souvent en luttes continuelles. En 1950, lArabie Soudite recevait des ptroliers amricains de lAramco 112 millions de dollars ; en 1956 ses royalties avoisinrent les 300 millions de dollars pour un pays presque quatre fois grand comme la France parsem denviron quatre ou cinq millions dhabitants. (Personne ne sait le chiffre peu prs exact de la population de ces pays, mme en Egypte). Les Arabiens sont considrs comme des schismatiques du mahomtanisme dit orthodoxe ; ils pratiquent le wahhabisme sorte de coranisme pur ; ils nont ni constitution, ni lois que le Coran. Le voleur a15 Les bonnes affaires nes de la crise de Suez. Pendant que M. Guy Mollet se trouvait aux tats-Unis, l'Agence France-Presse cbla en date du 27 fvrier 1957 : Les ngociations qui avaient t entames New-York depuis plusieurs jours en vue de financer l'importation en France de ptrole et de produits ptroliers payables en dollars amricains au moyen de crdits commerciaux, ont abouti mardi un accord de principe. Aux termes de cet accord, un groupe des plus importantes banques amricaines, organis par la Chase Manhattan Bank of New-York, est prt ouvrir un groupe de banques franaises, organis par Lazard frres et Cie, des crdits dont le total pourra atteindre un montant de 100 millions de dollars.

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

25

la main coupe et lautre en cas de rcidive. Lesclavage y est en vigueur et toujours commerce florissant. LArabie tant amie des U.S.A., lO.N.U. refuse de se saisir des pratiques dun de ses membres. 16 Bref, pour cette Arabie mdivale en ses centres et primitive en ses points loigns, les tats-Unis nont que sourires. Quand, en 1957, le roi Soud vint en visite aux U.S.A., le paquebot qui le transportait fut escort par un destroyer et sept vaisseaux de ligne. Pour la premire fois dans lhistoire protocolaire des tats-Unis, le Prsident se dplaa personnellement larodrome pour accueillir ce souverain doprette aux dix douzaines de femmes et aux quarante fils. Nous insistons sur ces dtails pour en finir avec la politique amricaine daltruisme et sur son sens de la haute moralit. Cest une politique de marchands qui soigne ses fournisseurs importants, un point cest tout, et il est prfrable quon le sache pour que nous abolissions de nos rapports la sentimentalit des La Fayette et autres souvenirs attendrissants. Avec des businessmen, il vaut mieux discuter en businessmen sans sattarder sur les liens damiti. Les Allemands le comprirent bien, raison de leur cote leve Washington. Cest aussi la dmonstration que les plus hautes personnalits amricaines ne sont que les reprsentants dintrts privs considrables, si considrables quil est permis de se demander qui gouverne en ralit ce pays se voulant la tte du monde. Les Britanniques navaient pas renonc abattre cette puissance arabioamricaine dans lespoir quune dfaite de la dynastie rgnante en Arabie suffirait changer les titulaires des concessions ptrolires. Sous lgide du Croissant fertile , Londres essaya de constituer un Grand Royaume de Syrie englobant la Syrie, lIraq et la Jordanie (en tout, environ dix millions dhabitants) pour le lancer la conqute de lArabie Soudite. Prtexte : guerre sainte, les musulmans orthodoxes contre les schismatiques wahhabites. Cet essai de royaume couvrant toutes les terres ptrole dArabie choua devant les efforts parallles des agents amricains et sovitiques. Do la guerre sourde entre Amricains et Anglais dans cette partie du monde que M. Foster Dulles traduisit en dclarant que les soldats amricains se sentiraient plus en scurit dans le Moyen-Orient sans les soldats anglais et franais leur ct (1957). Le roi dArabie est-il tellement riche ? En recettes, certainement, mais depuis dix ans, il bouche les trous des budgets des pays arabes ; dautre part, la paix relative qui rgne sur son territoire nest garantie que par les traitements quil sert aux chefs de tribus. Rgime assez prcaire et, si un avion inconnu venait un jour lcher une bombe sur un conseil des ministres prsid par le roi, pour maintenir lordre sur cet immense territoire il faudrait avoir recours une force arme trangre... La base de

16 Ds le dbut de 1956, des tracts anti-franais imprims aux tats-Unis et voyageant sous le couvert de la valise diplomatique furent saisis Orly. Ils taient destins aux rebelles nord-africains par l'entremise de l'Arabie Soudite. Des journaux spcialiss affirmrent que ces tracts taient envoys par des ptroliers en relation d'affaires troites avec Ryad.

26

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

Dahran, un des principaux centres de lAramco, est loue bail au gouvernement amricain (25 millions de dollars dit-on). LIraq touche aussi des revenus ptroliers importants (environ 250 millions de dollars). Le Koweit, cette enclave ne de la lutte des ptroliers, peroit autant que lArabie Soudite ; lancien cheik nomade, devenu mir, plus libral, supprima limpt de ses sujets ( peine 300 000). Les anciens pillards de Bahrein, Quatar, Wafra, etc. roulent maintenant en voitures amricaines, ne sachant pas trop quoi faire de leur argent, car le souci du bien-tre de la population nest pas un sujet de proccupation pour les souverains musulmans. A louest de ces pays restent la Syrie, le Liban, la Jordanie et lEgypte qui malgr la fraternit religieuse enviaient ces voisins de lEst croulant sous lor des ptroliers trangers. Ici intervient un autre drame pass sous silence : la mfiance de lArabie riche contre lEgypte et ses amis pauvres. La Ligue arabe russit souder les tats musulmans. Cette runion est du travail arabe (bien en apparence mais peu solide) plus quune coopration sincre et ternelle. Il fallait un terrain dentente, on se mit daccord sur le colonialisme et surtout sur lanti-Isral. Le musulman, sil est souvent pote est aussi un matrialiste qui sait assez reconnatre ses faiblesses. Il nignore pas la supriorit dIsral avec ses spcialistes et ses ingnieurs venant de tous les points du monde rassembls en Palestine. II redoute quun jour les Israliens se sentent trop ltroit dans leur enclave et partent la conqute de pays musulmans. Il sait quil sera balay. Aussi rappelle-t-il, pour montrer que ses apprhensions sont justifies la phrase qui orne le btiment du parlement isralien : Ceci est le parlement du pays dIsral qui stend du Taurus jusquau Nil . Pour linstant Isral est loign de ces limites antiques et le musulman pense que sil laisse les Israliens devenir trop puissants, lavenir ne lui permettra plus desprer vaincre. 17 Daccord avec les autres pays arabes sur lantismitisme, lArabie Soudite prouve nanmoins une certaine inquitude en voyant les armements saccumuler en Egypte pour, en principe, anantir Isral. LArabie se souvient quelle est wahhabite, trs peu peuple, indfendable et la plus riche de tout le Moyen-Orient, non seulement actuellement, mais aussi en esprances, puisque son sous-sol nest pas prospect au centime. LEgypte a vingt millions dhabitants, la Syrie veut se joindre elle et ces deux pays sont occidentaliss en partie. Le roi Soud tout en entretenant de bons rapports avec ses voisins les tient lil. Il napprcie pas leur trop17 ...Les Arabes sont convaincus que l'agressif et dynamique Etat d'Isral nourrit l'ambition de s'tendre territorialement aux dpens des tats arabes voisins... L'Etat d'Isral espre galement tendre sa domination conomique partout o il ne sera pas en mesure de le faire politiquement... (Revue de la Chambre de Commerce et de l'Industrie de Beyrouth (fvrier 1957).

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

27

grande puissance militaire. Il demanda aux tats-Unis de lui fournir des tanks quon lui refusa tout dabord, pour les lui envoyer par la suite. Ces apprhensions incitrent le roi Soud prendre une part active au remue-mnage arabe, moins par conviction que par souci de ne pas faire natre des motifs dhostilit contre lArabie. Il accepta une part importante dans la subvention accorder la Jordanie pour remplacer la somme que versait annuellement Londres (13 milliards) pour le sjour du corps expditionnaire britannique. Ainsi, il ne pouvait tre accus dgosme dans la cause musulmane, mais tout en sachant que lon avait besoin de ses services, le roi dArabie vint chercher des assurances Washington et les remporta. La mauvaise humeur de Nasser lannonce du Plan Eisenhower pour le Moyen-Orient montre que le bikbachi nest pas dupe de la manuvre de son coreligionnaire qui, lui, sest dclar partisan du fameux plan. Les visites Madrid, Rabat, Tunis, Tripoli du roi Soud, les signatures daccords, indiquent une nouvelle orientation du monde musulman dans le sens dollar en opposition plus ou moins visible la tendance gyptosyrienne roubles. Ce qui permet dassurer que lactualit du Proche et du Moyen-Orient va devenir permanente. Jusquau jour o Amricains et Russes sinstalleront en matres et en force dans ces pays trop versatiles. Il est encore trop tt pour valuer ce que donneront les nouveaux blocs orientaux : Egypte-Syrie contre Arabie-Irak-Jordanie et sans doute Liban par la suite, autrement dit musulmans pro-sovitiques contre musulmans pro-amricains. Le facteur nouveau est la confirmation de la mdiocre valeur de larme gyptienne. Aucune volution marquante depuis la premire guerre isralo-arabe de 1947-1948 malgr lapport dun matriel ultra-moderne. On avait oubli quen 1941 lIraq se rvolta contre les Britanniques sous la conduite de Rachid Ali, qui sempara de Bagdad et mme de laroport dHabassi le 30 avril. Pendant trois semaines, la presse allemande publia des bulletins de victoire, la base du ravitaillement en ptrole des Anglais allait tre coupe. Le 23 mai, les Anglais se mirent en marche (avec des contingents fournis par lmir de Cyrnaque (Libye) et le 30 mai, la rvolte de lIraq tait termine. Nous ne gnralisons pas ; les Kurdes, les Druzes et les Soudanais constituent des corps guerriers dlite surtout en rase campagne ; mais ils ne sont pas tout le Proche et le Moyen-Orient. Cest sans doute la ralit de la valeur militaire gyptienne qui explique (journaux du 25 fvrier 1957), lenvoi de six mille techniciens sovitiques en Egypte, ainsi quun nouveau matriel de guerre en Syrie et en Egypte (pour 200 millions de dollars selon les informations du 13 mars 1957) annonc sous le titre : Le Prsident Eisenhower fait des plans , M. Dulles des discours mais les Soviets agissent. Tmoin laffaire de juin 1957 des trois sous-marins russes livrs lEgypte. Lvnement majeur sera provoqu par un incident mettant aux prises les musulmans et les Israliens. Ces derniers refusrent dvacuer Gaza tant que leur scurit ne serait pas assure par lO.N.U. parce quils savent et ils ont raison que les musulmans stimuls par une propagande qui dure depuis plus de dix ans finiront par tenter la grande

28

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

aventure. En plus, il y a le projet de construction dun pipe-line transisralien qui viterait au ptrole de passer par le canal de Suez et lEgypte ragit contre ce voisin qui lui empchera de raliser des recettes substantielles. La premire guerre isralo-arabe de 1947-48 fut perdue par les musulmans autant par le peu de valeur de leurs troupes que par lincroyable vnalit de leurs chefs ; nous signalmes lpoque, que des commandes darmements passes par les gyptiens et payes par eux arrivrent directement chez les Israliens. Il avait suffi de soudoyer un chef de convoi. Dans cette guerre les Anglais soutinrent les Arabes et les Amricains se trouvrent directement derrire les Israliens. Les positions taient exactement renverses moins de dix ans aprs lors de la deuxime guerre qui opposa Tel Aviv au Caire. Dans la pagaye arabe, les atlantiques portent une certaine responsabilit, chaque clan esprant miser sur la partie la plus capable dagir avec efficacit sur la route des ptroles. Londres pensait quune victoire des Arabes sur Isral lut permettrait de regagner son influence dans le Moyen-Orient ptrolifre. Quand la bataille tourna la dfaite, larmistice de Rhodes mit fin la guerre et empcha Isral de conclure. Les Israliens redoutant la manuvre du cheval de Troie obligrent les Arabes vacuer lintrieur de leurs frontires. Ainsi naquit le cas des rfugis arabes qui empoisonne depuis dix ans les rapports judo-musulmans. Camps le long des frontires dIsral, en Egypte, en Jordanie, en Syrie, ces 400 ou 500 000 (personne ne sait au juste) rfugis sont un prtexte permanent dexcitation entre musulmans et Israliens. Le public connat dailleurs mal la question des rfugis arabes. Avant le grand exode de 1948, il y avait 630 000 musulmans en Isral. En 1956, 192 000 avaient prfr demeurer en Isral et 90 % adoptrent la nationalit isralienne. En Isral, 112 coles primaires pour musulmans sont frquentes par 35 000 enfants arabes. Les 192 000 musulmans vivant en Isral sont ainsi dcompts : 51 000 dans les villes, 120 500 dans les villages et 20 500 nomades. Nayant pas eu raison de Tel Aviv par les armes, lEgypte se vengea en interdisant le passage du canal de Suez aux navires israliens ainsi que laccs au golfe dAkaba qui commande lexutoire sud dIsral. Que firent lO.N.U. et la Compagnie Universelle du Canal de Suez ? Rien. La convention internationale tait viole mais la Grande-Bretagne alors soutien des musulmans laissa faire. Personne ne protesta. Surtout pas lO.N.U. qui ne songea jamais transformer larmistice de Rhodes en paix dfinitive et prfra verser des subsides trs importants aux rfugis arabes plutt que de rechercher la solution consistant utiliser cette main-duvre la construction des grandes artres transcontinentales arabiennes qui devaient lutter contre la sous-volution conomique et humaine du Moyen-Orient. Premire faillite de lO.N.U. avec la double complicit des tats-Unis et de la Grande-Bretagne, Washington tant partag entre les pressions de

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

29

la finance juive amricaine, ayant sa tte la banque Khn Lob et Cie soutien majeur dIsral, et celles des ptroliers de lAramco ne pouvant pas indisposer les musulmans par des mesures officielles prosmitiques. Pour manifester aux Arabes leur amiti agissante, les Anglais strilisrent leur tronon de pipe-line Abdu-Kmal-Haffa et leur raffinerie en Isral. (Notons que cette dcision fut prise par lIraq Petroleum C qui est une socit anglo-franco-amricano-armnienne). Chacun prtendant ne mener que le jeu de ses intrts privs, les cotes mal tailles et le provisoirepermanent entretinrent la voie des dsordres. 1956 nayant pas davantage ouvert les yeux pour une solution rapide de justice, il parat aventureux desprer le calme dans cette poudrire, car maintenant il faudra compter avec les intrigues syro-gyptiennes dans les pays musulmans favorables au plan Eisenhower. La Grande-Bretagne habitue rgner en Orient par le bakchich ne sut pas sopposer laction amricaine pour la dloger dEgypte, position-cl sur la route des ptroles. Avec Neguib puis avec Nasser, elle perdit son formidable camp retranch gyptien avec Ismalia (600 milliards de matriel et 75 000 hommes), ligne de dpart pointe vers lOrient. Les Amricains ne craignaient plus cette force toujours prte intervenir pour protger les intrts des ptroliers britanniques sils venaient tre menacs. En mme temps, la route du ptrole par Suez chappait en partie aux Anglais. La deuxime phase de cette viction se ralisa en 1956 avec la rupture du trait anglo-jordanien qui limina la dernire garnison anglaise sur la rive orientale de la Mer Rouge. Politique continue dlimination britannique de la grande route maritime du ptrole. La dernire phase se joue Chypre pour le ct mditerranen et Aden (avec laide des tribus de lHadramout et du Ymen), pour le contrle de lentre de la mer Rouge par le golfe dAden. Laffaire de Suez continuera vraisemblablement encore quelques annes jusqu limination complte des Anglais des contrles stratgiques du Moyen-Orient. Les buts de cette politique furent confirms par le journaliste Karl von Wiegand (janvier 1957). Le colonel Nasser lui dclara avoir reu loffre dun milliard de dollars (400 milliards de francs), pour la location du canal de Suez pendant dix ans. Cette offre manant du groupe financier Rockefeller Chase Bank (donc Standard Oil of New-Jersey) aurait t transmise par M. Herbert Hoover junior, alors quil tait secrtaire dEtat du Prsident Eisenhower pendant la maladie de M. Foster Dulles. Nasser annonait quil avait refus. Les intresss dmentirent aussitt, bien entendu. Il nest pas exclu quentre ce refus et le Plan Eisenhower pour le Moyen-Orient, des relations directes nexistent pas. Bafoue par lEgypte, la Grande-Bretagne se lana dans la politique du dsespoir. Elle entreprit darmer massivement le colonel Nasser en lui vendant crdit des avions, des tanks, des navires de guerre, etc. Elle entrana la France sur cette voie. Que pouvaient esprer Londres et Paris en armant lEgypte antianglaise et commanditaire officiel des rebelles dAfrique du Nord ?

30

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

Le recul du temps sera ncessaire pour tirer ces mobiles exacts au clair. Les avis sont partags. Certains prtendent que Franais et Anglais espraient la formation dun bastion qui, arm par eux, ne pouvait tre, croyaient-ils, que dfavorable aux Amricains ayant refus les livraisons darmes lEgypte. Cest le raisonnement logique de la manuvre, mais rien nest logique dans ce genre doprations. On oublie de faire remarquer que, dans le mme temps, Londres livrait aussi des armes aux Israliens et le journal gyptien Cairo sen fit lcho en donnant les caractristiques du matriel dbarqu. Le gnral isralien Mosh Dayan, dans sa dclaration victorieuse du 15 dcembre 1956, reconnut laide de la France dans ce domaine 18 . Il semble que nous nous trouvons en face dune de ces ex-pressions du machiavlisme historique britannique qui, depuis une vingtaine dannes, ne tourne plus en fin de compte en faveur du Foreign Office. (Sans oublier qu la Chambre des Communes, les parlementaires britanniques accusrent la France davoir entran leur pays dans laffaire gyptienne). En cas de victoire des musulmans, Londres pouvait esprer normalement une reconnaissance de Nasser... qui aurait encore payer la note des armements fournis. En envoyant des armes Nasser, on lui donnait lenvie irraisonne dattaquer Isral. Or, la faible valeur des armes gyptiennes nest pas une lgende et en excitant Nasser contre Isral, on savait le pousser vers la dbcle et en finir une fois pour toutes avec lui... et ses supporters amricains. En somme, les armements anglofranais devaient provoquer un suicide. Laction isralo-anglo-franaise de 1956 relverait de cette tactique. En livrant leur tour des armes aux tats arabes, les Soviets montrrent quils avaient perc la combinaison franco-anglaise qui eut pu russir 24 heures prs, avec plus de dcision de M. Antony Eden.

Mon homonyme belge, le journaliste Pierre Fontaine, crit (Europe-Magazine, 27 avril 1957) que ...c'est l'escorteur d'escadre Kersaint qu'est due la reddition du destroyer gyptien Ibraim-el-Awal, capture que la marine franaise s'empressa de refiler la marine isralienne... De mme pour les Mystres IV venus de France pour servir d'ombrelle protectrice aux villes d'Isral De mme que c'est d'Isral qu'ont pris leur vol les Thunderstreak pilots par les Franais. Comme ce sont encore les Franais, bord de Nord 2-501 dont la base tait Chypre, qui ont ravitaill l'arme isralienne engage dans le Sina... Et il demande s'il n'existe pas une alliance militaire secrte franco-isralienne ou un pacte moral tout aussi efficace. M. Georges Ollivier note d'autre part : Les cinq millions de Juifs des tats-Unis, si influents qu'ils soient, n'ont rien pu contre les grands intrts ptroliers... Manifestations de masses juives Madison Square Garden, mobilisation des chefs des partis reprsents au Congrs de Washington et de la presse du monde occidental, tout a t vain... (Dfense de l'Occident, avril 1957). Illustration de la surpuissance des ptroliers amricains et de la fragilit de la politique franaise la fois dans le clan anti-ptroliers amricains tout en ayant un besoin absolu de ptrole, et dans la position d'allie des ennemis raciaux des musulmans peuplant le monde et... l'Union franaise...18

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

31

Les mobiles dintervention franaise ntaient pas les mmes que ceux de la Grande-Bretagne, part les participations franaises dans la Compagnie de Suez et dans les socits ptrolires majorit britannique. Les gouvernants de Paris comparrent Nasser Hitler pour justifier laction prventive. A la vrit, les arguments franais taient assez divers. Le but secret dintervention rsidait dans la crainte que les armements sovitiques et leurs techniciens au service de lEgypte provoquent une rupture de lquilibre des forces en dfaveur dIsral. Dans le cas dune victoire sur Tel Aviv, Nasser, enivr de victoire (temprament musulman), ne se retournerait-il pas immdiatement du ct de la Libye pour se joindre elle et aller au secours des rebelles algriens avec cette fameuse arme de libration promise depuis cinq ans par radio-Le Caire ? Ce danger dinvasion tait (et est encore) un sujet de proccupation. Si la Tunisie, voisine de la Libye, veut une arme nationale et entrane les fellagha algriens, si M. Bourguiba se fcha parce que la France refusa de retirer toutes ses troupes de Tunisie, on doit convenir que de grands desseins taient sous roche en collaboration avec lEst... une poque o la politique tunisienne sorientait de ce ct. Elle changea depuis et elle changera encore si lon en croit les dclarations incendiaires (pour la France en Algrie) du leader tunisien de mai 1957. Les gouvernants franais espraient que Nasser vaincu serait oblig de se dmettre (la propagande officielle le rpta trop et le dfia) et quainsi les rebelles algriens ne recevant plus daide du Caire ne tarderaient plus demander laman. Raisonnement prcaire semble-t-il puisqu cette poque les Soviets avaient dj relev les gyptiens dans la fourniture des armes, la propagande, et que le Maroc et la Tunisie, indpendants, ne se gnaient pas pour venir directement en aide aux rebelles. Autre point obscur : existe-t-il un trait dalliance militaire francoisralien sign secrtement par Lon Blum en 1946 ? 19 Cette information, passe sous silence par la grande presse, ne provoqua aucune raction officielle. Elle corroborerait le machiavlisme du suicide que nous avons voqu. Elle fut presque confirme par de nettes allusions de la presse isralienne. Notre logique nest pas unilatrale. Nous dnonons le scandale de lO.N.U. laissant lEgypte brimer Isral en lui interdisant le passage de ses navires, aussi ne nous insurgeons-nous pas contre lobstruction du canal de Suez par Nasser, lorsquil fut attaqu par les anglo-franais. En rompant ses digues pour empcher les Allemands davancer en 1914, la Belgique ne fit pas dautre geste que celui de lEgypte en 1956. Si rien ne va plus dans ntre monde, cest prcisment parce que la moralit internationale varie selon les acteurs auxquels elle sapplique.

19 Rvl par Mme Genevive Tabouis, Radio-Luxembourg, le dimanche 4 novembre 1956, 13h15.

32

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

La nationalisation du canal de Suez 20 tait une affaire intrieure gyptienne au mme titre que les nationalisations franaises de 1946. La plupart des entreprises dlectricit nappartenaient-elles pas des groupes suisses et belges ? Ces derniers portrent-ils le cas sur le plan international ? Le motif de colre anglo-franais en Egypte tait mauvais, puisque le canal demeurait ouvert au trafic. On voulut aussi sauver des intrts immenses, dont une partie la couronne britannique. Premire raction sur laquelle vinrent se greffer les calculs que nous avons vus. Des gouvernants quilibrs devaient dabord ne pas trop sapercevoir de ce coup de force sils connaissaient exactement les stocks de rserve de ptrole de leurs pays et de lEurope. La destruction de Suez est la consquence normale dune opration ne dans un caf du commerce. Hlas, ce ne sont pas les politiciens qui supportent les poids de leurs erreurs. LEgypte abritait une partie importante de lconomie extrieure franaise... et anglaise. Nationalisations, gyptianisations , expulsions de nationaux dpouills de leurs biens et de leur travail, boycottages divers, squestres, Nasser prit sa revanche comme il pouvait, sans gloire. Mais les consquences politiques des ressentiments ne sont pas finies. Cette aventure se complique avec lEgypte terre ptrole, entre les mains de groupes amricains et britanniques : la Mobil Oil Egypt (amricaine) et lAnglo Egyptian Oilfields (British petroleum (30,89 %), Royal Dutch-Shell (30, 89 %), gouvernement gyptien 9,5 %, participations diverses prives 28,72 %). Le ptrole britannique est nationalis mais lEgypte manque de techniciens. De plus, les raffineries gyptiennes dune capacit de 3,5 millions de tonnes appartiennent aux prcdents. Est-ce dans la crainte de voir les spcialistes sovitiques sinstaller dans les ptroles gyptiens que le prsident Eisenhower rsolut de venir combler le vide laiss par les Anglais et les Franais ? LEgypte est encore autre chose que lon se garda de mettre sur le pavois et qui explique quelle intresse les tats-Unis autant que lU.R.S.S. Elle est, pour linstant, un pays ptrolifre en puissance en bordure du bassin mditerranen. Outre ses quelques exploitations que nous avons signales, le dsert ouest du pays pourrait devenir un des plus grands gisements du monde actuellement prospect par la Sahara Petroleum Cy, groupant des socits amricaines : Continental Oil C, Ohio Oil C, avec la Cities Services C et la Richfield Corporation. Les prospections avancent assez lentement, il faut dabord enlever un million, dit-on, dobus et de mines non clats. En effet, cest au milieu des milliers de morts dEl Alamein, de Sidi Barrani et de Marsamatrouh que se situent les anticlinaux ptrolifres les plus favorables dj annoncs par des schistes bitumeux. Le dminage des terrains aurait cot dix milliards de francs

20 L'affaire de Suez fut-elle un mystre pour tout le monde ? Plusieurs organes franais firent savoir que, quelques jours avant la nationalisation du canal, des parts de fondateur se liquidrent an plus haut cours. Le vendeur serait la Compagnie de Jsus et l'acheteur la dlgation commerciale sovitique. Ces informations ne furent pas dmenties.

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

__________________________________________________________

33

jusqu ce jour et 80 000 tonnes dexplosifs seraient dj dtruits. Les travaux se poursuivent sur des centaines de kilomtres. Le chque en blanc donn au prsident des tats-Unis pour la politique amricaine au Moyen-Orient est donc un pouvoir spcial dune porte bien plus considrable quon ne le pense communment. Moscou la pes sa valeur en intervenant avec nergie jusqu lO.N.U. ; pourtant les Soviets avaient manuvr avec beaucoup de nuance, puisque tous les pipe-lines transdsertiques furent dynamits, sauf le Tape-Line amricain venant de lArabie. On ne respecte que les forts , dit M. Malenkov au XIXe congrs communiste. Les Arabes profitent des querelles occidentales La nationalisation du canal de Suez qui dclencha la crise occidentale ne fut que le maillon dune chane dont le premier anneau sauta quelques mois auparavant et autour duquel on vita toute publicit. A tort, pensonsnous. Peut-tre est-ce cause du peu de ractions enregistres par la nationalisation opre par le Liban que lEgypte se crut autorise de rpter la mme opration chez elle ? Depuis 1955, la Syrie et le Liban discutaient avec lIraq Petroleum Cy le relvement des droits de passage des pipe-lines amenant le ptrole de Msopotamie dans leurs ports. Les pourparlers tranaient en longueur. Les ptroliers ne se htent jamais dexaminer les revendications des autres ; ils semblaient ignorer les activits spcialises des musulmans. La Ligue Arabe a install au Caire un Bureau ptrolier sigeant en permanence pour synchroniser la politique ptrolire des tats arabes qui alimentent la caisse commune de la propagande anti-colonialiste en Islam. Il est normal que les Arabes essaient de tirer le maximum des ptroliers ; les forts dfendent les faibles. Ce Bureau Ptrolier demanda tous les tats arabes des copies des traits et conventions passs avec les socits trangres exploitant le ptrole de leur sous-sol. (On assure que cette initiative est dinspiration sovitique, renseignements sur les conditions et lieux dexploitation des socits amricaines, anglaises et franaises). Aprs tude de ces documents, le Bureau ptrolier de la Ligue arabe tablit une rgle gnrale respecter par les tats membres pour le paiement des royalties et des passages de pipe-lines. Il est mme envisag de demander une rvision des conventions en cours afin que les redevances payes aux gouvernements arabes ne soient plus infrieures 50 %. (Les Arabes se dfendent mieux que le gouvernement franais avec les socits trangres extrayant le ptrole franais de son sol). Cette ide qui tait dans lair et non encore passe au stade obligatoire incita le Liban et la Syrie demander une augmentation des droits de passage des pipe-lines de lIraq Ptroleum Cy. Les deux pays dabord daccord ne tardrent pas se chamailla et, en fvrier 1956, le Liban rompit le front commun contre lI.P.C. Cette dernire menaa le Liban denlever son pipe-line et de le faire dboucher en Syrie.

34

__________________________________________________________

LA NOUVELLE COURSE AU PETROLE

Le pipe-line libanais na que 32 kilomtres de long et sert dexutoire 7 millions de tonnes de naphte par an, tandis que le pipe-line syrien en coule 17 millions, en priode normale, bien entendu. Le Liban recevait 380 millions de francs (en mettant le sterling 1 000 frs), par an, pour ce passage sur son territoire. LI.P.C. offrit 600 millions. Le Liban exigea 2 milliards. La compagnie ptrolire prfra fermer ses robinets et striliser son pipe-line dboucher libanais. Le 29 juin 1956, donc avant la nationalisation de Suez, le Liban nat