Fontainebleau par André Billy

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André Billy raconte l'histoire littéraire de la forêt de Fontainebleau.

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ANDR BILLYde l'AcsdmieGoncourl

Du ulru

u.r'DUR

:

OUVIIAGES dY/TIT TRAIT

A

FOIITAIIIEBLEAU

FOI\TAII\EBLEAT]DELICES DES POTESDc laRcnaiannce

E7' A SA

TIORT

Nathalie ou les Enfants de IaTene (roman de Barbizon sous le Second Empire. Flammarion, di-

teur)

1 vol.

Les beaur jours d.e Burbizott (Editions du Pavois). 1 vol.

no iour.r

Le Sb t Ie Trois (roman moderne. Flammarion,

diteur)

1 vol.

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HORIZONS

DE FRANCE

PA R/S

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MON PROPOS

aopyri,ght by Ilorizons de France lt|49

oN propos est de clbrer, travers les potes qui.les ont chants en vers et en prose, Fontainebleau, son palais, son freu.'e, sa fort et les charmants villages d'alentour. On sait I'importance que Fontainebleau eut deux poques de la peinture franaise : sous i" iru""io"ttu t dans le scond tiers du xrr sicte' L'Ecole de Fontainebleau, avec le Primatice, Rosso et Jean Goujon, I'Ecole de Barbizon' avec -Jean; Franois Miliet, Thodore Rousseau et Diaz,-.qgi ott p"t joindre Corot et Courbet, reprsentent deux

8

F ON?

AINEBLEAUici : le dsir

DELICES DESde

POETES

9

"o**"-nonsard. pote pot de "ou", "iailarm, "-1l|^"^1"i,.1-".d, i:::l?:",,t]"",1 presque toute I'histoire de tn'pieri I:ull^tt". Je dis presque, les deux extrmiis de ra cnatne : le moven g.e.et la priode contempraine, dbordant e1 effel f" d,une part et le symbolisme de I'autre,"fu.li"i.Le ;*, ;i aucun pote n'est signal Fontain"li.au-'-urraot Ronsard, l.e.a.uco-up d'autres y sont venus aprs Mallarm. l, li:1"i"" .potique, i'histoi"" lii;""; de Fontaine_ ble_au continue, comme on lc verra.-- Un sentiment plus personnel que l,amour de la posie et I'amou^r Ae nontaineI";; m,a inspir

? donc pas d'cole potique de Foni""fi"",i. Aucun climat littrair p""ii"uti"" ne s,est form Fontainebleau si I'on s'e" i;i -H"rpr""ir"" toute pure. Mais les crivains ont toujours b*u;;;; aim Fontainebleau, d'abord cause de la Cour A.ui l1 attirait na1 leg faveurs qu'ils tiraient dti et puis cause de- la fort ori, au contraire, ils venaient chercher la solitude. D,o un Fontaine_ bleau humaniste et classiquu ao"il" reprsentant le plus minent fut Ronsd, er un-Fontainebleau rom-antique, et, ce qui est au fond la mme symboliste, dont l plus haute incarnation "fror", fut Mallarm, prince des iotes

Fontainebleau. Entendons-nous, je ne prtends pas que la littra_ ture ait jamais eu Fontainebleu p; q"t n,st pa.'ui :TITt,les arts plasti.ques. L1 art-de l'espace. A moins qu'ellenosie fasse ne se irovinciale et rgionaliste, elle e s" localise p;r: il ;1,

g" l'g.plt-t par les potes et

aspects hautement signilicatifs de l,art f""rr"i* , son aspect aristocratique et dcoratif, et.o" urf"i dmocratique et natuiiste. .Ie vourais morrtr"i ies mmes tendances rfractes dans le domaine

crivains

d

un peu mle assurment et o du mdiocre se mle par?ois I'excellent, tous les esprits qui, comme moi, nt aim la vieille fort des druides et des rois. Imaginez une sorte d'Acadmie littraire de Fontainel"u.r, compose d'ombres en majeure partie et o toutes les poques et toutes les tendances seraient reprsenteJ depuis la Renaissance jusqu' nos jours, une Acadmie de Fontainebleau dont le iecteur peut sa convenance se reprsenter les sances tantt dans la galerie de Diane, tantt sous les ombrages du jardin anglais, tantt parmi les bouleaux, les rochers et les bruyres de Franchard, tantt sous les poutres surbaisses de I'auberge Ganne, tantt ailleurs, n'importe o. Les belles assembles, et comme je serais heureux de pouvoir en tre, assis sur un tabouret, au dernier rang' dans un coin ! Ce n'est l qu'un rve. En composant cette histoire littraire de Fontainebleau, du moins ai-je essay de le raliser ma faon.

runir en une sorte de socit idale,

A. B.

Seizime sicle

uIsqun j'cris ce qui pourrait s'appeler l'histoire litiraire de Fontainebleau, il est peut-tre obligatoire que j'en date au moins approximativement le dbut. Je ferai donc commencer en 1364 la vie intellectuelle de Fontainebleau' C'est en effet cette anne'l que Charles V, dit le Sage, fonda

la bibliothque du chteau et lui donna pour conserGilles Mallet, puis Laurent Palmier' Cette ""t"t bibliothque de Charles V contenait 900 mnusaottt le nombre grossit bientt jusqu' 1'200' "titr, eomme dj au moyen ge l'habitude des mais, ernprunteurs tait de ne pas rendre-les-volumes qu'on leui prtait, en 1413 l'ancienne bibliothque de Chari.. V."" comptait plus que 853 manuscrits estims 2.323 livres 4 sols, ioit Z+O.OO0 francs-or' Les Anglais firent main basse sur elle. Le roi-chevalier aimait la posie et les potes' sur' tout ceux de I'antiquit classique. Le premier noyau de ce qu'on a appel la Bibliothque du Roi, la Biblio-la Bibliothque impriale, et qui est thque royale, u"jdu"a'n'ii ntre Bibliothque nationale, s'est form ,o.i. .on rgne et sous son toit qui tait en l'espce le toit de soi chteau de Fontainebleau' Au-dessus de ia galerie Franois I"', la galerie de la Librairie s'clairail sur le jarin de Diane et la cour des Fontaines par treize lucarnes' Elle tait garnie de douze corps

Ilt

,F"ONI'AtNEIILEAU

DELICES DES

POETES

15

transporter de Blois Fontainebt""r, i., 1.S00 volu;;;, -J;;; l_es_ sphres et les globes qu'il avaii iririte. d;; d'Orlans et de Louis_XII ;'".tu;;;";i" pas thque de Fontainebleau- a pfus " -g.dOO la bibtio_ ,ofu*"., chiffre qu'eile atteignait a ta'orte Franoisl{; compris cinq cents ouvrages grecs et non compris les manuscrits dont elle tait irs riche. Ds to"., thque de Fontainebleau.ne .,nu-"ri plust" fitio_ que faiblement. Henri II n-,avait p"" i-i des lettres et des livres. L'esprit ae rranois ir ?i"rt ;;""".d;: il ne rgna que dix-s-ept nrois. Ctrartes'li, s"i;;r;; ;; la posie et faisait del vers, gure pour sa bibliothqug que des manuscrits ltins. ";;;i; Ngligeables f-urent aussi les acquisitions d;-H;;i'rI. La thque-royale de Fontainebteau fui transfre biblio paris sous Charles IX. Sous Henri IV, en i5, ette r;tdftnitivement installe dans les fti*""t- du collge de Clermont, rue Saint-Jacques. _Le premier conservateu^r de Ia bibliothque de Fontainebleau fut le crbre tr"*""i.i"-uiiliu*"-g-ud*, surnomm par Erasne le prodige de la Franc" " qui on cite ce trait :.le feu uvuriip"ir'.on "i logis, vint en toute hte l,en avert"ir, ;;i; sins relever on la tte de dessus le texte Sr". q"if-liruit : < Avertissez rna femme, se contenta-Lil de je ne m,oc_ cupe.pas drr mnage. > Il est "Opo"i", croire que Ie logis en cluestion n'tait nas.celui que nue oupait bibli othc ai re au c h re;; d;- r;";;;u"u... commc Lors_qu'il mourut, en 1b40, l" bibli;thque de Fran_ ois Io' ne contenait encore qu;; ;;iit nombre de

continues sur le mur d'en face. Cette bibliothque, relativement modeste, excitait I'admiration des oiriiu,r".. A__.;; voqu ait ta. bibtiothqu e d,Atexa"a"i" qJ; T,tl^l. :?" orsarf n'avoir pas jt plus belle, mais c,tait rie fa courtisanerie. La hjbliolhque Ae totme Sote.,-aorri Dmtrius de phalre fut le p""-i""-"onservateur et qu'un incendie dtruisit en prtie-lorsque Csar quj! l'Egypte, contenait, dit-n, 200.0 volumes. con_ 'ao"ni,ora""- "- f"ir" . En lb44 Franois I"' avait

de tablettes de ce ct-l, avec des tablettes

volumes et des manuscrits grecs. C'est son successeur, Pierre du Chastel, vque de Mcon et de Tulle, qui, en 1544, fut charg d'installer Fontainebleau les livres venus de Blois. De peur qu'ils ne fussent rongs par les rats, il en conlla la surveillance des gardiens, iibrorum custodes, au nombre desquels tait le pote Mellin de Saint-Gelais, dj en fonction sous Guillaume

Bud. Mellin de Saint-Gelais a laiss, malgr I'habit ecclsiastique qu'il portait et son titre d'aumnier du Dauphin, la rputation d'un galant cavalier. Ronsard, qui il avait reproch de < dnationaliser > la langue franaise, ne l'imait pas. Les premiers vers qu'on possde sur Fontainebleau sont de lui.De Fortluine-Belleau. Je ne vins onc (Sire) en votre rnaison Que d'elle, et plus de vous ne mresbahisse. Vous estes seu'l hors de comparaison Et seule elle est sur tout autre difice : Cette grandeur, estofle et artiffce, Et les entours clairement nous font voir Que seul vostre @uvre est pour vous recevoir; Bien que selon vostre grace et mrite Pour vous loger le ciel deuriez avoir I Car ceste terre est pour vous trop petite. grand aumnier de France et vque d'Orlans, regrett de tous ceux qui I'admirait d'avoir os dfendre

Du Chastel, rest en faveur sous Henri

II,

devenu

Robert Estienne contre la Sorbonne et Etienne Dolet contre le roi, mourut en 1552. Quant Mellin de SaintGelais, comme les mdecins ne pouvaient se mettre d'accord sur la nature du mal dont il souffrait : que sous rserve. Du Chastel eut pour successeur un mathmaticien' Pierre de Montdor, qui prit deux collaborateurs, Mathieu de la Bisse et Jean Gosselin, et, souponn de

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r'ONTAINEBLEAT]

donner dans les ides nouvelles, s,enfuit Sancerre o rempface parla"q"", a-Voi le traducteur de plutarqu", ,r- a Utun et qui aeme-ure I'illustration littraire la plus poputare at, fu ,ei". Evque .d'Auxerre, grand cette "u*", " Fr"rr"", ii trouble bien d'autres soucis q,r" "ui -.4r9gue de la bibliothque cle Fontainebleau. f,e presiaeni "** Auguste de Thou reut sa succession. C'est de Th;; qui obtint de Henri IV le transfert au collge de Clermont de ta bibtiothque des Valis. Sous Louis XIII, il n'y vait donc plus de biblioth_ que- au chteau, mais, en vertu d,uie rgle aaministrative. dont personne ne -consiatera q","ii" uii-"rJe ju.gl'l nos jours des_applieations, il y tuj"".. un bibliothcaire. Le filJe Henri IV nmma bibtioth"u"it caire d'une bibliothque qui ,r,"*i.tuit plus Abel de Sainte-Marthe qui iuccda Abel Sainte_Marthe fils, eui, senta"t , J." .-situation prcaire, .,"tr"il; d'obtenir qu'une biblioilrque ft rcnstitue , Fon_ lifelte?u. It d_yl-y tenoo"r. En manire ae comperr_ satlon, Louis XIV lui accorda une gratification' de 1.200 livres. Aussi bien serait-il excessif de dire qu'il ne restait pas de livres au chteau royal de Fontainebleau. n n restait quelques uns < pour-divertir, nos rois , : t'equival_ent -d" 9-q que pourrait tre, au fnd O'un ptaca-ra, Rambouillet, quelques romans policiers... Au dbut de I'Empire, on signafe plusieurs cabinets de.livres au palais ae Fontainibr;;; E; iez--lr: qu'en.1811-,-une vingtaine de milliers de volumes all_ rent s'empiler dans Ia chapelle haute de la cour oo"i", dite chapelle de Saint-Saiurnin. C,esi- dans une des deux bibliothques du palais, mais surtout dans celle de.son eabinet,,q-ue Napolon passa les j;;;. s-uivirent son abdication, c,est-de l qu'il emporta ;;; "u"f a'es livres I'le d'Elbe. - En 1851, les livres de la chapelle Saint-saturnin furent, sur I'ordre de Napolon lti, transfrs dans la galerie de la Librairie, pis, en 1g6g, installs dans la galerie de Diane oir ils iont encore. '

il mourut en 1b70. Il fut

ffk-ut*fu,,

Chteau

d

e

F.

ontaineblerru'

L'Orangerie. I)rissrN

n'I. Srt,vnstnr.

DELICES DES POETES

17

Venons-en aux potes. Voici d'abord Rnsard que les Amis de la Fort de Fontainebleau ont lu dans leur cur comme leur patron, bien qu'ils n'osent le revendiquer officiellement. bombien de fois, me promenant dans la fort et assistant certaines dvstations' ne me suis-je pas murmur les vers fameux :Quiconque aura prenrier la main embesongne A te couper, fort, d'une dure congne, Qu'il puisse s'enferrer de son propre baston, nt sente en l'estomac la faim d'Erisichthon' Ecoute, Bucheron, arrte un peu le bras : Ce ne sont pas des bois que tu iettes bas ; Ne vois-tu pas le sang, lequel degoute force Des Nympties qui vivoient dessous la dure corce ? Sacrilge meurtrier, si on p'end un voleur Pour piller un butin de bien peu de valeur, Combien de feux, de fers, de morts et de detresses Merites-tu, mchant, pour tuer nos Desses ?

Les Amis de la Fort de Fontainebleau n'osent pas, ai-je dit, lire Ronsard comme patron ; ce scrupule est peut-tte excessif. Qu'importe,, .aprs tout, si la iameuse lgie XXIV, Contre les bcherons de Ia f ort de Gastgne, ne vise ps ceux de la fort de Fontainebleau ! Elle les vise implicitement. Puisque Ronsard a beaucoup aim sa fort de Gastine, puisque, aussi haut qu'on puisse remontet, tous ses pres avaient t sergents teffs de la fort, puisque son frre l'tait encre, avec la charge de garder, d'entretenir et d'amnager ses bois, il a certainement aim la fort de Fontainebleau. Il I'a aime, mais le chteau, mais la cour, mais les ftes, mais les cartels et les mascarades avaient le pas sur elle dans les vers qu'il a consacrs Fontainebleau

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FTON7'A,INEBL:,,r"69

DELICES DES

POEII'ES

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et oir se peint aussi visiblement que sur un tableau ou dans un ballet Ia joyeuse et belle vie des cavaliers et des dames dont il tait Ie familier Ia cour de l{enri II ou de Charles IX. Quand verrons-nous par tout Fontaine-Bleau De chambre en chambre aller les mascarades Quand oirrons-nous au matin les aubades De divers luths mariez la vois, Et les cornets, les flfres, les hauts.bois, les tabourins, les flutes, espinettes Sonner ensemble avec ies rompettes ?

dans les vers qu'iL ddiait Marie Stuart le sentiment poignant et pittoresque qu'y aurait mis un Hugo, ou *Musset, mais il i'en fallut de bien peu qu'il n'y n

On ue pouvat ps demander Ronsard de mettrc

?

Des vers si chantants et si bien frapps seraient capables de convertir I'ermite le plus enurci la viede courtisan.

atteignt. Delrire les faunes, les nymphes et les ptres, des ntascarades et des bergeries de Ronsard, se devine la prsence de I'immense fort. Certes, Ronsard et ses ontemporains n'aimaient pas la Nature notre faon ; ils I'aimaient la leur et ils savaient la prfrer aux artilices de la vie mondaine. C'est dans une bergetie clonne Fontainebleau que le premier joueur de lyre formule cette profession de foi :L'es chesnes ombrageux, que sans art la Nature Par les hautes forests nourrist I'avanture, Sont plus doux aux troupeaux, et plus frais aux bergers Que les arbres entez d'artice s vergers I Des libres oiselets plus doux est le ramage Que n'est le chant contraint du rossignol en cagp' t la source d'une eau saillante d'un rocher Est plus douce au passant pour sa soif estanahr, Quand sans art elle coule en sa rive rustique' Que n'est une fontaine en marbre magnifique, Jaillissant par effort en un tuyau dor Au milieu de la court d'un Palais honor.

d'Ecosse, nous trace de Marie Stuart en deuil, se promenant-mlancoliquement dans les alles et parmi les pices d'eau de Fontainebleau :

Non moins vocateur et ne faisant pas moins tableau le portrait que Ronsard, ancien page de Ia reine "-:l

Et vers le soir, quand desj Ie Soleil A chef baiss s'en alloit au sommeil.

Vous contemploient comme une chose sainte, Et pensoient voir, pour ne voir rien de telUne Desse en habit d'un mortel Se prom,ener, quand I'Aube retourne Par les jardins poussoit Ia matine,

Qui prend son nom de Ia source d'une eau. Lors les rochers, bien qu,ils n'eussent point d,me, Voyant marcher une si belle dame, les sablons et I'estang !l l.l dserts,cygne yit 9l des maint pins lahabill tout de -btanc, Et hauts cime de verd peint,

Partant, hlas, de la belle contre Dont aviez eu le Sceptre dans Ia main, Lors que, pensive ,et baignant vostre sin Du. beau crystal de vos larm,es roules, Triste marchiez par les longues aIes Du grand jardin de ce royal Chasteau

porcs pturaient la fort.

Rappelons-nous qu' cette poque, et bien plus tard encore, au xrx' sicle, cles troupeaux de bufs et de

sque Henri III, qui Desportes I'avait prsent, s'attacha comme leeteur. Bertaut tait auprs de ce roi lors de I'attentat de Jacques Clment. S'il n'est pas tomb dans les dfauts de Ronsard, il n'avait pas son gnie.

Ronsard protgeait son jeune admirateur Bertaut,

20

FONTAITiEBLEAA

DEI,ICES DAS

POETES

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Du Perron et composa un pome de deux cents vers pour clbrer l'vnement. Son chef-d'uvre potique tient en quatre vers que tout le monde connait : Flicitpasse

IV et la fameuse Confrence de Fontainebleau tenue entre doeteurs catholiques et calvinistes ; il y assista

Le nom de Bertaut reste li la converslon de Henri

Qui ne peut revenir, 'I'ourment de ma p,ense, Que n'ai-je en te perdant perdu le souvenir

!

D'autres vers de lui sont d'un vrai pote J'ay veu souventefois Le ciel dans l'Ocan secouer ses estoilles

:

Comme Ronsard, Bertaut rima pour les ftes de Fontainebleau des cartels et des ballets que, sur la fin de sa vie, il publia sous le voile de I'anonymat, car il tait devenu- un prlat trs austre' mais ce sonnet Sur les figures de marbrc et de bronze qui sont 1u ietU jaiain de Fontainebleau, c'est--dire au Jardin e nine -- le Jardin des Buis sous Frangois I", le Jardin de la Volire sous Henri IV, le Jardin de l'Orangerie sous Louis XIII et le Jardin de la Reine d'autres lui parut pas indigne de porter son poque. noln : Toy qui vis affam de voir un bel ouYrage, Assouvy maintenant ta gnreuse faim, Vol"v i.t plus beaux tiaits dont le cizeau Romain Ou l font Gregeoise ait orn le vieil ge. L de Laocoon la douloureuse rage Fait pleindre le metal par un art plus qu'humain lcy gist Cleopatre : qu'une docte main -vivement portrait la mort en son visage A:

Et ceci

:

La mmoire des morts leur sert d'une autre vie. Et encore : Rien ne seichant si tost qu,une larme de femm,Pleurast-elle de I'ame.

L, Diane chemine : icy le Tybre ondeux Verse des flots d.e bronze, arrestant auprs d'enx Le passant transform de merveille en statn'Aussi raviroient-ils I'esprit le plus brutal' Et qui n'est point meu d'une si rre veu, Il eit certes comme eux de rnarbre ou de mtal'

Il

mettait la gloire du pote au-dessus de celle du:

soldat

Que l'espe est sans nom qui ne

doit rien au livre.

Le Dauphin, fils de Henri IV, le futur Louis XIII, tant n Fontainebleau, comme philippe-le-Bel, Franois II, Henri III et bien d'autres princes, Bertaut fit des stanees Sur la naissance de Monseigneur Ie Dauphin o se lit le vers que je viens de citer. Le baptme du mme lui fournit un peu plus tard I'occasidn

Aucune des statues dsignes dans ce sonnet ne subsiste Fontainebleau. La Diane de marbre et la Diane de bronze qui la remplaa lorsque Henri IV I'eut fait transporter Paris, sont toutes deux au Louvre'

du baptesme de lllonseigneur le Dauphin panarte tait le surnom que Bertaut avait cru opportun de donner au futur roi de F'rance. On se flicife qu'il ne lui soit pas rcst.

de rimer Panarte ou bien f antaisi sur /es crmonies

aPhilippe Desportes, immortalis avec Bertaut par un oeti de Boileau, lecteur et ami de Henri III qu'il

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TlONTAINEBI,EAU

DELICES DES POETESNimphes de ces forests, mes ffdelles nourrices, Tout ainsi qu'en naissant vous me fustes propices, Ne m'abandonnez Pas' : Quand jtachve le cours de ma triste advanture ious flites mon berceau, faites ma sepulture' Et Pleurez mon tresPas'

23

avait suivi en Pologne, mena joyeuse vie Fontainebleau avant d'aller pieusement mourir dans son abbaye de Bonport. Il omposa, lui aussi, des cartels et des mascarades pour Ia cour. Deux pomes lui assurent une place dans l'histoire littraire de Fontainebleau. L'un est le rcit d'une aventure assez scabreuse o, sous des noms d'emprunt : Olympe, Fleurdelys, Camille, Nire, Eurylas et Floridnt, sont mis n scne Marie de Clves, princesse de Cond, le futur Henri III, Marguerite de Valois, le duc de Guise, Desportes lui-mme et une suivante de Marie de Clves. A, cette _Aduentute premire, je prfre beaucoup la Complainte pour le rog Henri III estant Fontainebleau, lieu de sa naissance :Lietrx de moi tant aimez, si doux ma naissance, Rochers qui des saisons ddaignez I'inconstance, Francs de tout changement ; Effroyables deserts, et vous, boiJ solitaires,

Dirait-on'pas qu'en mettant ces accents dsesprs dans la bouche d son matre, Desportes avait le pressentiment du coup de couteau de .Iacques Clment ?

Pour la dernire fois soyez les secretaires De mon deuil vehement.

Je ne suis plus celuy dont le grce et la veu Rendoit ceste contre en tout tans si pourveu D'amours et de plaisirs, Qui donnait ces eaux un si plaisant murmure, Tant d'mail ces prez, aux bois tant de verdure, Aux curs tant de desirs.Quand j'approche de vous, belles fleurs printanires, Vostre teint se flestrit; Ies.prochaines iivieres Cherchent d'autres destours : Je fay tarir I'humeur de ces fontaines claires Qui craint que de mes yeux les sources mortuaires Ne profanent son cours.

Pleust au ciel dont les lois me sont si rigoureuses, Que je firsse entre vous, grand,s masses pirreuses i LIn rocher endurcy...

Dix septime sicle

dtracteur de Ronsard, gentilhomme ordinaire de la Chambre et qui, ce titre, fut souvent Fontainebleau, s'y ennuyait, s'il faut en croire ce qu'il crivait sa matresse, la vicomtesse d'Auchy, et que cite .Iacques Madeleine dans son intressante tude sur Quelques potes franais des XVl" et XVil'sicles d Fontaineblearr : Mon Dieu, on peut s'ennuyet.partout, cela dpend de l'entourage, comme cela peut dpendre des gens dont on dplore I'absence, comme cela peut dpendre de votre caractre, et Malherbe ne l'avait pas bon : insenALHERBE, l'empchait pas d'tre un plat courtisan et de s'abaisser jusqu' rimer des billets doux pour le compte du roi son matre, mais puisque les murs du temps taient

sible, irascible, orgueilleux, grincheux, ce qui

ne

il n'existe d'ailleurs qu'un sonnet < fait r\ Fontainebleau pour Mme d'Auchy en 1608 > :De Malherbe sur Fontainebleau, Beaux et grands bastimens d'ternelle strncture, Superbes de matire et d'ouvrage divers, O le plus digne roy qui soit en l'univers Aux miracles de I'art fait cder la nature ;

ainsi faites

!

28

FONl-4lNEBLEA(I

DELICES DES POETES

29

Beaux parcs et beaux jardins, qui, dans votre closture,

Avez toujours des fleurs et des ombrages verts, Non sans quelque demon qui dfend aux hivers

D'en effacer jamais l'agrable peinture ;

Lieux qui donnez aux curs tant d'aimables desirs, Bois, fontaines, canaux, si, parmy vos plaisirs, Mon humeur est chagrine et mon visage triste,Ce n'est point qu'en effet vous n'ayez .des apas ; Mais, quoy que vous ayez, vous n'avez point Caliste, Et moy, je ne vois rien quand je ne la vois pas.

Le liant, I'affable Gui{laume Colletet, I'historien de la premire Acadmie, celle d'Antoine Baif, le pa-gvrg Coiletet, condamn en mme temps que Thophile etre pendu et trangl si on le reprenait sur le territoire-du royaume, pour avoir, avec son ami Frenicle, -satgrique, s'ennuyait- aussi Fonpubli le Prnasse On lui doii dux sonnets relatifs au chiainebleau. teau, la cour, la fort. Voici Les Seraines de Fon'tainebleau :Je suis danc un dsert, pompeux et magniflque, Ori les Dieux sont mortels, oir les peuples sont Roys' Oit I'on void des rochers, des fontaines, des bois, Et des Divinitez qui n'ont rien de rustique. Mais quoy que pour llatter le Soucy qui me pique D'estr loin de Cloris dont j'adore les loix, J'oye un concert de luths, j'oye un concert de voix, Paimi tant de plaisirs, ie suis mlancolique.Je voy si peu d'amour, et si peu de bont, Que j puis bien ailleurs chercher la volupt Et l'adoucissemnt d'e ma fatale peine.

L'exemple de Tristan prouve I'utilit pour un crivain d'appartenir un groupe, une coterie, une Acadmie. Parce qu'il a t un solitaire et un hohme, parce que Boileau I'a pass sous silence, il en est encore attendre la conscration qu'il a mrite. Il vcut, page, Fontainebleau. Il y revint en 1621, puis en 1628, avec Monsieur, et rima la fade allgorie dt Vogage fabuleu fait Fontaine-bleau. Un peu plus tard, il y fut encore et d'alors date, selon Jacques Madeleine, ce pome o il dnombre les arbres mis en mouvement par Orphe :A ses premiers accords on vid soudain parestre Le Noyer, le Cormier, le Tilleul 'et le Hestre, Le Chesne gui jadis couronnoit le vainqueur... Le Cdre imprieux y vint baisser la teste Suivi du vert Laurier qui brave la tempeste... Le Tremble y vint couvert de sa feuille timide...L'arbre qu'aime Vnus, celuy qu'aime Dian'e, L'Erable, le Sapin, le Tamarin, le Plane, Le Cycomore noir, le Saule palissant, Le Bouleau chevelu, l'Aubepin fleurissant... La Plante paciflque Pallas consacre...I

XIII

dans ses expditions contre

,

Le Coudre dceleur de thrsors

Le Cyprs y parut en verte piramide...

enterrez,

32

FONTAINEBLEAU

Enfln depuis le Fresne ennemy des serpens Jusques I'humble Vigne aux bras toujours rampans, L'Oranger qui son fruit de sa fleur accompagne, L'Encens, le Violier et le Iasmin d'Espagne...amour, je veux tenir pour assur qu'il I'avait contract..

Tristan a t un sincre amant de la Nature.

Cet

Fontainebleau..

Je n'en dirai'pas autant de Racan, l'auteur des Bergefies, qui fut page de Hnri IV et, ce.titre,'hte de Fontainebleau. On cite quelques vers,de lui o'passe comme un trs lger souffle venu de la fort. Je leur

prfre ceci

:

Ce qui nous fait porter le casque et la cuirace A d'autres fait porter la hre et la besace. Penses-tu que celui qui fist de son tonnbau Son Luxembourgn son Louvre et son Fontainebleau, ' Son portal, son dongeon, son dme et son chteau, Fust moins ambitieux que ceux qui, sous la lune, Font dans leurs hauts palais esclater leur fortune ?

R.Parmi nos potes classiques, je nommerai encore, comme ayant chant Fontainebleau, 'Jean Doublet, venu de Dieppe en 1555 pour prsenteer Henri II une requte de ses concitoyens, Laugier de Porchres, un certain sieur de Mesme, auteur d'un pome sur la grande chemine, dont il ne reste que I'image questre de Henri IV, actuellement place dans la chambre de saint Louis, Claude Garnier, Abel de Sainte-Marthe, fils du grand Scvole, qui, bibliothcaire du chteau, crivit des Sylues, et son cousin Nicolas, chez qui Tristan se rfugia lors de sa fuite de Fontainebleu, I'auteur anonyme du Pasqui/ du Rencontre des Cocus de Fontainebleau, libelle fait I'occasion d'un long sjour (1623) de Louis XIII :

I

O

lteau de

Fo

ntainebleau.I)r.:ssrN nn Pe,rril.

La Cour

de.s Fonlairtes.

DELICBS DESMais je veux

POETES

33

Vous apprenant en homme sage, Qu'en ce lieu de Fontainebleau

flnir mon voyage'

On entend Partout I'air nouveau, De plaisant oiseau le ramage, Qui dit Coucou en son langage' et un autre anonyme, auteur du Vogage d'Olgmpe et d'Herminie Fontainebleau dont Jacques Madeleine avait raison de gotter la cinquime strophe : Ils vous presentoient des ombrages Si calins, si verds et si fraiz, Qu'on n'y sentit jamais les traicts Ny du Soleil' ny des orages ; Ils vous faisoient voir des Valons,Des Prcipices, des Montaignes

Des Prez, des Rochers, des Sablons,

Et toutes ces diversitez

;

De Ruisseaux, d'e Bois, de Campaignes Qu'habitent ces Divinitez.

On nomme galement I'acadmicien Malleville, le vieux Roland, Anglais, >

38d'excellentes

en leur compagnie. > Sous le rgne de Henri IV, les auberges taient dj nombreuses Fontainebleau. Un sonnet adress Marie de Mdicis par l'auteur anonyme du Paisonfranais en mentionne six:

FONTAINEBLEAA gens que ces joueurs, et il fait bon vivre

Je logeai aa Douphin, petit hostelage, Ne pouvant I'Escu, pour y peu dpenser, Ny la Fleur de Zys, car il y fait trop cher,

Hostelleries des grands, non des gens de village

;

Je fus bien autrefois. Puiss-je, dis-je alors, Trouver me loger au Dauphin, toujours, lors, Ou qu' la Fleur de Lgs, ou qu' l'Escu d.e Frcnce,

Je ne pourray loger : or encore, dit-on, Que I'on est bien trait et qu'en somme A lnEscrr Mtlicis, ou celui d,e Florence,

Dix-huitime

sic1e

il

fait bon

Dans une utre auberge du xvII'sicle, Ie Lion d.'Ot, Mme de Svign et sa fille, Mme de Grignan, descendaient quand la premire raccompgnait la seconde jusqu' Fontainebleau, sur la route de Provence. Amde de Bast, I'auteur de Mameluk de la Grcnauillre, crivain fcond mais bien oubli, qui avait t oftcier dans les armes de Napolon et que Louis XVIII avait mis la demi-solde, a publi dans ses Conles d rna uoisine un rcit plus ou moins imaginaire, intitul Les adieur de Fontainebleau en 1677, o Mrne de Svign et sa fille nous sont prsentes se sparant au Lion d'Or. Je n'ai pas retrouv trace du passage de Mme de Svign au Lion d'Or en 1677, mais dans une lettre date de Nemours, 26 juin 1676, elle crit sa fille : < Nous allons ce soir coucher la capitainerie de Fontainebleau, car je hais le Lion d'Or depuis que je vous y ai quitte ; j'espre me raccomoder avec lui en vous y allant reprendre. >> Le Lion d'Or tait situ rue des Bons-Enfants. C'est aujourd'hui une dpendance de l'Htel du Palais, place Denecourt;

ommons en passant Andr Tappin qui fut pote et greflier Fontainebteau (1689-1765) et que

sous le nom de Balbin par Coll. Le proeureur du roi et Ie prvt l'avaient suspendu, mais il n'tait pas homme se laisser faire, il obtint du Parlement d'tre rtabli dans sa charge. C'est tout ee qu'il y a de plus logieux dire de lui. Voltaire tait Fontainebleau l'automne de 1725, faisant sa cour la Reine et attendant d'elle une pension : < J'ai t ici trs bien reu par la reine, crivait-il son ami Thieriot le 17 octobre. Elle a pleur Mafianne, elle a ri l'lndiscref ; elle en parle souvent ; elle rn'appelle mon pauute Voltaire'. Un sot se conteriterait de tout cela ; mais malheureusement j'ai pens assez solidement pour sentir que les louanges sont peu de chose, et que le rle d'un pote la eour tralne toujours avec lui un peu de ridicule, et qu'il n'est pas permis d'tre en ce pays-el sans aueun ta' blissement. On me donne tous les iours des esprances clont je ne me repais gure. Vous ne sauriez croire, mon eher Thieriot, combien je suis las de ma vie de courtisan... > Ce qui suit se rapporte trs directement notre propos : Tout cela dit I'un sur I'autre et moi rest l pour reverdir, si bien que ce matin I'ayant rencontr, je I'ai abord en lui disant : < Fort bien, monsieur, et prt vous servir. > Il ne savait pas ce que je lui voulais dire, et je l'ai fait ressouvenir qu'il m'avait quitt la veille en me demandant comment je me portais, et que je n'avais pas pu lui rpondre plus tt. > Piron, que Louis XV n'aimait pas et qui ne fut du fait de I'opposition du roi, avait pourtant auprs de lui un protecteur, le comte de Livry, matre I'htel de Sa Majest Trs Chrtienne, qui, de Paris, il crivit un jour cette ptre en vers' le comte tant auprs de son matre Fontainebleau : Or, vous savez, monsieur le Comte, Que je fesais trs bien mon comPte D'aller ou par terre ou par eau Faire un tour Fontainebleau. Armes, bagages, habits, lit, selle, Meubles, batterie et vaisselle, Tente, harnais, caparaon, J'avais tout mis dans un chausson Quand deux de nos bonnes amies Qu' midi ie trouve endormies, Et dont je fus prendre cong,

grand'messe...

quelques heures, la lorgnette la rnain, et Dieu sait le plaisir que j'ai de voir les allants et les venants ! Ah les masques ! Si vous voyez comme les gens de votre robe ont I'air diliant ! Comme les gens de cour l'ont important ! Comme d'autres I'ont altr de crainte et d'espoir ! et surtout comme tous ces gens-l, pour Ia plupart, sont faux des yeux clairvoyants ! C'est une mer-

Je m'ennuierais beaucoup la cour sans une encoignure de fentre, dans la galerie, o je me poste

I

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FONTAINEBLEAAEn lieux o sans cesse on chevauche Que le roi, vous et les forts Vous ne vous guittez plus jamais ;M'ont dit que j'tais enrag De porter ma flgure gauche;

ELICES DCS

POETES

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Et qu' moins d'tre eerf ou chien 0n ne peut vous servir rien. Or chien ni cerf je ne puis tre Autant que je peux m'y connaltre : Car il faut bon il et bon pi Deux points de moi qui font piti.Si on ne s'attend pas que Voltaire et Piron s'meuvent devant les dserts, les futaies et les rochers de Fontainebleau, on s'tonne que, dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau n'en ait souffl mot. De pareils sites qu'il avait traverss dj qu cours de ses voyages taient propres lui plaire. Si lors de son sjour Fontainebleau avec Mlle Fel, Grimm et I'abb Raynal, pour la reprsentation du Deutn du uillage devant la cour, il n'eut pas le ternps de se promener hors de la ville, il put apercevoir les rochers Cuvier.Chatillon d'un ct de la route, ceux d'Apremont de I'autre. Mais

Que vous courez aprs les btes,

le Genevois en avait d'autres ! Le jour de la reprsentation, il alla prendre une tasse de chocolat au caf du Grand-Commun et alors se produisit un incident caraetristique de la timidit nerveuse dont il tait afllig :< Il y avoit l beaucoup dc monde. On parloit rle la rptition de la veille et de la diflicult qu'il y avoit eu d'y entrer. Un oflicier qui toit l dit qu'il y toit entr sans peine, conta au long ce qui s'y toit pass, dpeignit I'auteur, rapporta ee qu'il avoit fait, ce qu'il avoit dit ; mais ce qui m'mervellla de ce rcit assez long, fait avec autnt d'assuranee que de simplicit, fut qu'il ne s'y trouva pas un seul mot de vrai. Il m'toit trs clair que celui qui parloit si savamment de cette rptition n'y avoit point t puisqu'il avoit devant les yeux, sans le connatre, cet auteur qu'il

clisoit avoir tant vu. Ce qu'il y eut de plus singulier dans cette scne fut l'effet qu'elle fit sur moi. Cet homme toit d'un certain ge ; il n'avoit point I'air ni le ton flat et avantageux ; sa physionomie annonoit un homme de mrite, sa croix de Saint-Louis annonoit un ancien oftcier. Il m'intressoit malgr son impudence et mdlgr moi ; tandis qu'il dbitoit ses mensonges, je rougissois, je baissois les yeux, j'tois sur les pines ; jc cherchois quelque fois en.moi-mme s'il n'y auroit pas moyen de le croire dans I'erreur et de bonne foi. Enfin, tremblant que quelqu'un me recollnt et ne lui en ft l'affront, je me htai d'achever lon chocolat sans rien dire, et baissant la tte en passant devant lui, je sortis le plus tt qu'il me fut possible, tandis que les assistants proraient sur sa relation. Je rn'aperus dans la rue que j'tois en sueur' et je suis sr que, si quelqu'un m'ett reconnu et nomm avant ma sortie, on m'auroit vu la honte et I'embarrs d'un coupable, par le seul sentiment de Ia peine que 9e pauvre homme auroit souffrir si son mensonge toit I'econnu. > Faut-il rappeler la suite et comment avec sa grande barbe et sa prruque mal peigne, Rousseau fut plac dans une loge, en face de celle du roi et de Mme de Pompadour, et le raisonnement qu'il se faisait pour- se lrersuader que sa tenue tait trs convenable ? Il n'en tait pas moins tout tremblant. Le mme soir, le duc d'Aumont lui fit dire de se prparer tre prsent au roi le lendemain ; il s'agissait d'une pension et le souverain voulait en donner lui-mme Jean-Jacques Ia bonne nouvelle. Aprs avoir pass la nuit dans la peur de rponclre par une balourdise aux propos-obligeants qui lui seiaient tenus, il repartit pour Paris as te lendemain matin sans avoir t prsent au roi s[ sxns pension.

-

r

Jean-Jacques Chateaubriand et Senancour, ses disciples, le passage est naturel.

teaubriand sur Senancour, puisque le premier n'a consacr la fort que quelques mauvais vers et rlue le second a t le vritable dcouvreur de la fort romantique, mis on suit autant que possiblo I'ordre chronologique. Les vers de Chateaubriand datent e1788:

On ne devait pas donner le pas

Cha-

Balancent tour tour leurs guirlandes mobiles. Fort, agitez-vous doucement dans les alrs : Moi, de vos charmes seuls, j'entretiens vos dserts,

Fort silencieuse, aimable solitude, Que j'aime parcourir votre ombrage ignor ! Dans vos sombres dtours, en rvant gar, J'prouve un sentiment libre d'inquitude. Prestige de mon cur, je crois voir s'exhaler Des arbres, des gazons, une douce tristesse. Cette onde que j'entends murnure avec mollesse Et dans le fond des bois semble me rappeler. Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entire Ici, loin des humains ! Au bords des frais rrrisseaux. Sur un tapis en fleur, dans un lieu solitaire, Qu'ignor je sommeille I'ombre des ormeaux ! Tout parle, tout m'e plat sous ces votes tranquilles ; Ces gents, ornements d'un sauvage rduit, Ce chevrefeuille atteint d'un vent lger qui fuit,

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FONTA,INBL,AU

DELICES DES

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Durand. Un cho de cette visite se retrouve dans une note mise par I'auteur at Liure IX des Martgrs, dition des CEuures compltes de 1836 : Nemus, nemoris, en latin veut dire forf. Non plus que les arbres peints sur ses armoiries, l'tymologie du nom de Nemours ne saurait laisser aucun doute : le Loing traversait autrefois d'paisses forts.

L'illustre vicomte n'tait pas lier de ce pch de jeunesse. Aussi ne les laissa-t-il paratre que dans l'AImanach des Muses de 1836, un an aprs qu'il eut visit la fort en compagnie du pote menuisier Alexis

paire, dans le quartier Saint-Denis, l'ombre des Halles. La dmolition de Saint-Spulcre lit en 1791 migrer la famille Senancour sur la rive gauche, rue point Senancour tait parisien, et que pendant virgt sous cette ans il respira I'air malodorant des HallesPrincesse.

Senancour tait n en 1770, Paris, rue de Beaure-

Il n'est pas sans intrt

de souligner quel

rserve, pourtant, qu' l'ge de quatorze-ans il avait t mis chez le cur de Fontaine, petit village voisin de Chalis, en bordure de la fort d'Ermenonville dont les trembles, les bouleaux et les chtaigniers le prparrent aimer ceux de Fontainebleau. L il resta un an. Aprs quoi, il entra comme pensionnaire au collge de la lVlarche, rue de la Montagne Sainte-Genevive. C'est cette poque qu'il dcouvrit Fontainebleau. Pour un petit Parisien de la rue Beaurepaire, quelle rvlation ! Elle se serait faite ea trois fois : La citation sera un peu longue, tant pis ! Je continue: < Je n'tais pas gai pourtant : presque heureux, je n'avais que l'agitation du bien-tre. Je m'ennuyais en jouissant, et je rentrais toujours triste. Plusieurs fois j'tais dans les bois avant que le soleil partt. Je gravissais les sommets encore dans I'ombre ; je me mouilIais dans la bruyre pleine de rose ; et quand Ie soleil paraissait, je regrettais Ia clart incertaine qui prcde I'aurore. J'aimais Ies fondrires, les vallons obscurs, Ics bois pais ; j'airnais les collines couvcrtes dc

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}.ON7'.A,INI'BLEAU

DEI,ICES DES

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bruyre ; j'aimais beaucoup les gr's renverss et les rocs ruineux ; j'aimais bien plus ces sables vastes et mobiles, dont nul pas d'homme ne marquait l'aridc surface sillonne a et I par la trace inquitc de la biche ou du livre en fuite. Quand j'entendais un cureuil, quand je faisais partir un daim, je m'arrtais, j'tais assez bien, et pour un ntoment je ne cherchais plus rien. C'est cette poque que je remarquai le bouleau, arbre solitaire qui m'attristait dj et que depuis je ne rencontre jamais sans plaisir. J'aime le bouleau ; j'aime cette corce blanche, lisse et crevasse ; cette tige agreste ; ces branches qui s'inclinent vers la terre ; la mobilit des feuilles ; et tout cet

abandon, simplicitdserts...>

de la nature, attitude

des

Si j'ai reproduit cette belle page, digne du rival

5;lorieux de Senancour, Chateaubriand, c'est dans I'espoir qu'elle tombera sous les yeux d'un de ces jeunes

campeurs que l'on voit, Ie sac au dos, gagner pour passer la nuit quelque grotte de la fort, et qu'il pourra ainsi comparer ses impressions celles d'un adolescent de son ge, mis par le hasard mme de dcouvrir tout seul, sans avertissement livresque d'auc.une sorte, ce que les guides, les romans et I'exprience de ses ans I'ont prpar, lui, I'adolescent de 1949, aimer et comprendre. Sous la Rvolution, Senancour avait migr en Suisse. Il revint en France sous le Directoire et c'est alors, ou au dbut du Consulat, qu'il revit Fontainebleau. La Lettre XII est faite d'impressions directcs, irnmdiates : Mais Senancour est urr peu du. Darne ! F'ontainebleau n'est pas la Suisse, et la Suisse, il la connat, il en revient, il y a vcu le temps de l'migration : < Quand je passai le soir Ie long de la fort et que je descendis Valvin, sous les bois, dans Ie silence, il me sembla que j'allais me perdre dans des torrents, des fondrires, des lieux romantiques et terribles. J'ai trouv des collines de grs culbuts, des formes petites, un sol assez plat et peine pittoresque ; mais le silence

y

pais deux biches fuir devant un loup. Il tait assez prs d'elles ; je jugeai qu'il les devait atteindre, et je m'avanai du mme ct pour voir la rsistance et l'aider s'il se pouvait. Flles sortirent du bois dans une plaine dcouverte, occupe par des roches et des bruyres ; mais lorsque j'arrivai je ne les vis plus. > Vous y croyez, vous, cette chance qu'aurait eue Senancour d'assister la poursuite de deux biches par un loup assez dnu de flair pour ne pas I'avoir senti approcher ? Oh, je sais bien que la fort d'avant Napolon I"" n'tait pas celle de Napolon III ; elle tait encore moins la ntre. Sans aller jusqu' prtendre, comme on le fait parfois, qu' partir des romantiques la fort de Fontainebleau a perdu son vrai caractre, je reconnais volontiers qu'on en a pouss l' < amnagement > un peu trop loin ; c'est pourquoi nous nous efiorons d'empcher qu'on l' davantage ; mais ce loup qui se laisse approcher au point que Senancour pense prter main-forte aux biches !... Le mme jour, il tomba sur un ancien carrier qui vivait dans une sorte de souterrain < ferm en partie naturellement par les rocs, et en partie par cles grs rassembls, par des branches de genevriers, de Ia bruyre et de la mousse. > Son chien, son chat, de l'eau, du pain et la libert ! L'ancien carrier tait heureux ! Le jeune Senaneour tend ir I'homme un cu : La vie devait lui apprendre que le premier hesoin de l'homme est d'oublier sa misre. Dans la Lettre XVUI, Oberman exprime I'insatis-

et I'abandon, et la strilit m'ont suffi. > Et SenancnurOberman de nous expliquer que I'ardeur du ciel et les diflicults de la marche ont pour vertu d'apaiser I'ardeur et les tourments de son cur. Suit le rcit d'une rencontre peu vraisemblable, mme avant 1789 : < Un jour que je parcourais ces bois-ci, je vis dans un lieu

5/L

FONTAINEBLEAII

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.Iungfrau. La Lettre XX// nous dcrit Valvins : < Valvins n'est

faction que lui cause la fort : < J'ai bien une terre libre parcourir, mais elle n'est pas ssez sauvage, assez imposante. Les formes en sont basses ; les roches petites et monotones ; la vgtation n'y a pas en gnral cette force, cette profusion qui m'est ncessaire; on n'y entend bruire aucun torrent dans des profondeurs inaccessibles : c'est une terre des plaines. Rien ne m'opprime ici, rien ne me satisfait. Je crois mme que I'ennui augmente : c'est que je ne souffre pas assez... > Quand on en est l, on ne se plat nulle part, pas plus sur le Mont-Chauvet que sur la

Chauvet, attir par sa fontaine. C'est une des sources

De Valvins, Senancour se transporta au Mont-

L'auberge est isole, au pied d'une minence, sur une petite plage facile, entre Ia rivire et les bois. Il faudrait supporter l'ennui du coche, voiture trs dsagrable, et arriver Valvins ou Thomery par eau, Ie soir, quand la cte est sombre et que les cerfs brament dans la fort. Ou bien, au lever du soleil, quand tout repose encore, quand le cri du batelier fait fuir les biches, quand il retentit sous les hauts peupliers et dans les collines de bruyre toutes fumantes sous les premiers feux du jour. C'est beaucoup si l'on peut, dans un pays plat, rencontrer ces faibles effets qui du moins sont intressants certaines heures. Mais le moindre changement les dtruit : dpeuplez de btes fauves les bois voisins, ou coupez ceux qui couvrent le coteau, Valvins ne sera plus rien. Tel qu'il est mme, je ne me soucierais pas de m'y arrter : dans le jour, c'est un lieu trs ordinaire ; de plus l'auberge n'est pas logeable. > D'avoir ycu en Suisse avait rendu le bon Senancour trop exigeant. Cela lui avait la lettre gt le gott ; moins que ce ne soit nous que la laideur industrielle ait rendus bon gr mal gr moins difliciles. Mme sans btes fauves, mme Jans cerfs bramant au clair de lune, mme avec son chemin de fer qui I'a compltement transform en dtruisant ses bois il y a un sicle, le paysage de Valvins nousenchante.

point un village et n'a pas de terres laboures.

de la fort donf il est fait mention le plus anciennement ; elle est cite dans des actes de 1638. Abrite sous un petit monument en forme de grotte dans le got de l'poque Louis XIII, elle porte aujourd'hui deux dates : 1624-1889, bien que, d'aprs Flix Herbet' la carte de Picart n'en fasse aucune mention en 1624. Ce qu'en dit notre auteur prouve que, mrne avant le premier Empire, la fort s'embourgeoisait et s'encanaillait : < L'on y rencontre quelquefois des chasseurs, des promenettrs, des ouvriers ; mais quelquefois aussi une triste socit de valets de Paris et de marchandes du quartier Saint-Martin et de la rue Saint-Jacques, retirs dans une ville o le roi fail des DoUages. Ils sont attirs de ce ct par I'eau qu'il est commode de trouver quand on veut manger entre voisins un pt froid, et par un certain grs creus naturellement, qu'on rencontre sur le chemin, qu'ils s'amusent beaucoup voir. Ils le vnrent, ils le nomment confessionnal. Ils y reconnaissent avec attendrissement ces ieur de Ia nature qui imitent les choses saintes et qui attestent que la religion de Jsus crucifi est la fin de toutes choses. > Par les rochers Cuvier et les gorges d'Apremont, Senancour, plein de cette tristesse qu'il cultivait si soigneusement, atteignit vers le soir Franchard, < ancien monastre isol dans les collines et les sables ; ruines abandonnes que, mrne loin des hommes, les vanits humaines consacrrent au fanatisme de I'humilit, la passion d'tonner Ie peuple. Depuis ce temps, des brigands y remplacrent, dit-on, les moines ; ils y ramenrent des principes de libert, mais pour le malheur de ce qui n'tait pas libre avec eux. > Les brigrands apportant la libert l oir avec les moines avait rgn le fanatisme de I'humilit, on veut croire que le bonhomme Senancour plaisantait doucement. < La nuit approchait, poursrrit-il ; je me choisis une retraite dans une sorte de parloir dont j'enfonai la porte antique, et oir je rassemblai quelques dbris de bois

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FONT"AINEBLEAU

Fontainebleau avec regret, mais content, < si toutefois quelque chose peut me donner prcisment du plaisir ou du regret >. r_s ai.je dit qu'Oberman habite la fort en pleine -Vo solitude ? Dans quelles conditions, il ne nous I'explique pas trs clairement z < Je veux vous dire, quand nous nous verrons, comment je me suis choisi un manoir et comment je I'ai ferm ; comment j'y ai transport le peu d'effets que j'ai amens ici sans mettre personne dans mon secret ; comment je me nourris de fruits et de certains lgumes ; oir je vais chercher de l'eu ; comment je suis vtu quand il pleut ; et toutes les prcautions que je prends pour rester bien cach, et pour que nul Parisien, passant huit jours la campgne, ne vienne ici se moquer de moi. > Mais voici l'automne et le froid, les intempries vont lui rendre ce genre de vie impossible : < La fume me trahirait, je ne saurais chapper aux bcherons, aux charbonniers, aux chasseurs ; je n'oublie pas que je suis dans un pays trs polic. D'ailleurs, je n'ai pu prendre les arrangements qu'il faudrait pour vivre ici en toute saison ; il pourrait m'arriver de ne savoir trop que devenir pendant les neiges molles, pendant les dgels et les pluies froides. > Il dcide donc de rentrer Paris, mais ce ne sera pas sans nous avoir dclar ce qu'il pense, en somme, de Fontainebleau et de sa fort : < J'aime ici l'tendue de Ia fort, la majest des- bois dans quelques parties, la solitude des peiites valles, la libert des landes sablonneuses; beaucoup de htres et de bouleaur (il n'a donc pas remarqu les chnes, les vieux chnes, les chnes lgendaires qui donnent notre fort son caractre gaulois, celtique, druidique ?) ; une sorte de propret et d'aisance eitrieure dans la ville ; I'avantage assez grand de n'avoir jamais de boues, et eelui non moins rare de voir peu de misre ; de belles routes, une grande diversit de chemins ! et une multitude d'accidens, quoigue,

avec de la fougre et d'autres herbes, afn de ne point passer la nuit sur la pierre,.. > Le lendemain, il tait Recloses, puis la Malmontagne, et il rentrait

Bords de la Seine Prs de 1'l6ret, Drssrx uE Tstn.+ur'

DELICBS DES

POETES

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ne saurait convenir rellement qu' celui qui ne connat et n'imagine rien de plus. Il n'est pas un site rl'un grand caractre auquel on puisse srieusement comparer ces terres basses qui n'ont ni vagues, ni torrents, rien qui tonne ou qui attache; surface nronotone 'qui il ne resterait aucune beaut si on en eoupait les bois ; assemblage trivial et muet de petites plaines de bruyre, de petits ravins et de rochers mesquins uniformment amasss ; terre des plaines dans laquelle on peut trouver beaucoup d'hommes avides rlu sort qu'ils se promettent et pas un satisfait de celui qu'il a. La paix d'un lieu semblable n'est que lc silence d'un abandon momentan ; sa solitude n'est point assez suvage. Il faut cet abandon un ciel pur rlu soir, un ciel incertain, mais calme, d'automne, le soleil de dix heures entre les brouillards. Il faut des lrtes fauves errantes dans ces solitudes : elles sont intressantes et pittoresques, quand on entend des cerfs bramer la nuit cles distances ingales, quand l'cureuil saute de branches en branches dans les beaux bois de Tillas (lisez : de la Tillaie) avec son yretit cri d'alarme. Sons isols de l'tre vivant ! Vous rre peuplez point les solitudes comme le dit mal I'expression vulgaire, vous les rendez plus profondes, lllus mystrieuses ; c'est par vous qu'elles sont romanliques. > Ainsi, pour Senancour, les paysages de Fontainellleau n'taient romantiques qtt'en raison des cerfs et rles cureuils qui les peuplaient. En comparaison des Alpes, les rochers de Franchard et d'Apremont,

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FONT"4,INEBLEAU

En septembre 1811, il tait encore Fontainebleau et il y chassait de nouveau puisqu'une note de sa main, du 29 dcembre 1819, releve dans les marges d'un ouvrage conserv la bibliothque Sainte-Geieviye, numre quatre aspects de lmour, dont le plaisir physique, le deuxime :

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en 15/16 verts qui sont en mauvais tat parce qu'on les a laisss dans la chapelle au lieu de les en retirer comme on faisait chaque lundi pendant Ie sjour des souverains. Dans l pavillon Saint-Louis, des meubles dors et couverts en velours de soie sont galement gts. Cela rsulte de la msintelligence qui rgne entre le concierge et les valets de chambre, bnistes et tapissiers :

Ce Stendhal rput si timide ! Voyez-vous cela ! En 1812, auditeur au Conseil d'Elat, inspecteur du mobilier de la Couronne, il est ramen_ pai ses fonctions Fontainebleau. Le 13 mars, il mande son chef, M. Desmazis, administrateur du mobilier des Palais impriaux : Stendhal a si bien pris le parti du concierge contre les valets de chambre que, dans des observati-ons rela-

< J'ai demand au concierge de Fontainebleau il athibuait les ngligences dont j'ai mis I'expos sous les yeux de V. Ex. Il m'a rpondu qu'il avait lieu de croire que les valets de chambre herchaient quoi

mon invitation, fera la correction aa cragon sui le double qu'il renverra au garde-meuble. >gnral, duc de Cadore, signale, outre une lgre irrgularit dans I'inventaire des meubles d; palais, l'humidit de la chapelle et que les fauteuils de-Leurj Majests, non ,.Fecouverts, curent le risque de s'y dtriorer, et de nouveau il fait mention es chssi.s

natre. Tous les trois mois, un inspecteur lui serait cnvoy dont les frais seraient prlevs sur les fonds d'entretien du mobilier. Stendhal se montre trs soucieux d'viter le gaspillage. Quel prcieux fonctionnaire de la IV' Rpublique il et t ? Ecoutez-le :

bleau, il recommande au duc de Cadore ne solution conomique eonsistant en charger le concierge, dont il garantit le zle et le dsintressement et que, d'ailleurs, S. E. le Grand Marchal du,Palais veut seul con-

tives au mode d'entrelien du mobilier de Fontaine-

Une autre lettre de 1812, adrse

I'Intendant

de I'entretien fixe, soit directement, soit indirectement, il serait uniquement entre leurs mains un objet de pure st'culation et ne prsenterait aucune sret pour le iervice ct encore moins d'conomie, puisqu'indpendamment

M: I'Intendant gnral pensera sans - o valets de chambre taient chargs doute que, si les

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FONTAINEBLEAU

DELICES DES

POETES

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du salaire qui leur serait accord pour leurs travaux somme entrepreneurs, ils recevraient encore de I'Administration du mobilier leurs gages de 1.800 francs par an, I'habillement, le chauffage et l'clairage comme valets de chambre, dont ils ne rempliraient les fonctions que pendant le court sjour deL. L. M. M. au palais, Ie reste de I'anne serait employ paierait deux fois leur temps et il en rsulterait encore beaucoup d'autres inconvnients nuisibles aux intrts de S. M. comme au bien de son service. >

tout entier leur entreprise. L'Empereur

Un troisime rapport de Stendhal sur le mobilier de Fontainebleau insiste sur la ncessit de faire parveir des instructions dtailles au concierge et signale de nouveau le mauvais tat des siges et des rideaux Louis.

dans la tribune de l'Empereur, I'appartement de prince n" 10 et le garde-meuble du pavillon Saint-

Mais le morceau principal sur Fontainebleau se trouve, comme on peut s'y attendre, dans les Mmores d.'un Tourisfe. un de ses ouvrages prfrs des stendhaliens, mais peu got du public puisque ce n'est ps un roman. Un diteur lui avait command un guide de la France. II en rsulta cette piquante odysse d'un prtendu marchand de fer qui, tout en voyageant pour vendre sa marchandise, note de jour en jour ses impressions, et ce sont les impressions de Stendhal, un peu arranges de manire donner le change sans le donner tout en le donnant. C'est trs amusant. C'est parfois un peu agaant, en particulier quand Stendhal s'abandonne sa manie antifranaise au profit de I'Italie, mais les stendhaliens lui ont pardonn ce travers depuis longtemps, au cher homme ! Certaines parties des Mmoires d'un Touriste furent crites d'aprs des souvenirs rcents, Ia suite de dplacements faits exprs. Ce ne fut pas le cas pour les premiers chapitres du livre. L'auteur avait fait assez souvent la route de Paris Lyon et en Italie pour n'avoir pas besoin de Ia refaire. Aussi est-ce de

souvenir que, sous la date du 10 avril 1837, Ie soidisant marchand de fer nous dcrit sa premire tape < dans une bonne calche achete de rencontre >>, en compagnie de son domestique, le fldle Joseph. Il ne nous dit ps par quelle barrire il tait sorti de Paris. Ce ne fut pas pai celle d'Italie puisqu'il traversa les bois de Verrires, comme s'il ft parti, non de Paris, nrais de Versailles. Sur Ie pays qu'il traverse avant d'atteindre Essonues, son jugement n'est pas flatteur : il le dclare < horriblement laid >. Quant au ton des habitants, < il a cette pointe de malice et de plaisanterie qui annonce Ia fois I'absence des grands malheurs et des sensations profondes. Ce ton railleur n'existe point en Italie ; il est remplac par le silence farouche de la passion, par son langage plein d'images ou par la plaisanterie amre. > A Essonnes, un des correspondants du marchand de fer lui offre de la bire et lui parle d'lections municipales, ce qui le dgote de la dmocratie et l'incline aux ides contraires. Avant d'arriver Fontainebleau, un endroit trouve grce ses yeux : > Sans doute s'agit-il de Ia boucle de la Seine entre le Coudray et Saint-Fargeau. A Fontainebleau, o il arrive pour dner, il fait un excellent repas I'htel de Ia ViUe de Lgon .' Dirait-on pas que notre Stendhal a t hussard, lui, ancien dragon ! Puisque le chteau n'est pas ouvert aux visiteurs, il dcide de s'en aller ; ce ne sera pas sans avoir dcoch ses anciens compatriotes quelques traits de sa faon. Pour crire de spirituels articles de journaux, eux la palme ! Mais ils sont incapables de restaurer une fresque du Primatice ! A cette poque, l'cole franaise de peinture tait.pourtant dj la premire du monde ; Stendhal ne s'en doutait pas. Son opinion sur le chteau et la fort vaut peu prs son opinion sur la peinture : Comme tous les chteaux de l'poque classique pour lesquels on recherchait le voisinage de I'eau. < Il ressemble un dictionnaire d'architecture ; il y a de tout, mais rien n'est touchant. >> Nous verrons plus loin que Flaubert, artiste et pote, a t au contraire profondment touch par le chteau de Fontainebleau. < Les rochers de Fontainebleau sont ridicules ; ils n'ont pour eux que les exagrations qui les ont mis la mode. > Il serait si facile de soutenir que c'est au contraire le Mont-Blanc qui est ridicule ! Tous les paradoxes de ce genre sont lgitimes ; I'essentiel est d'y mettre de I'imprvu et de la fantaisie, ce qui n'est pas ici le cas du dauphinois Stendhal : < Le Parisien qui n'a rien vu se {igure, dans son tonnement, qu'une montagne de deux cents pieds de haut fait partie de

la grande chane des Alpes. Le sol de la fort est donc fort insignifiant... > Mais non ! Mais non ! La constitution gologique de Fontainebleau est fort curieuse; elle a mis en branle I'imagination de tous les savants. < Mais dans les lieux o les arbres ont quatre-vingts pieds de haut, elle est touchante et fort belle. > Dcidment, la beaut, dans la nature' est pour Stendhal affaire de dimensions. < Cette fort a vingt-deux lieues de long et dix-huit de large. Napolon y avait fait pratiquer trois cents lieues de routes sur lesquelles on pouvait galoper. Il croyait que les Franais aimaient les rois chsseurs... > Quand ils ne leur coupaient pas le cou ! Croire que Napolon se donnait des airs de chasseur pour se rendre populaire est d'une naivet dsarmante. Napolon, mauvais cavalier, dtestait chasser, mais il croyait la chasse ncessaire son prestige. En quoi il se montrait plus nouveau riche que certains chocolatiers ou certains fabricants d'apritifs qui, eux, chassent courre parce qu'ils aimentcela.

{Dans la Comdie humaine, deux romans nous rappellent les sjours que Balzac fit la Bouleaunire, chez sa vieille amie Mme de Berny z Ursule Mitout el Splendeurs et Misres des Courtisanes. La Bouleaunire, reconstruite sous le Second Empire, est situe sur le territoire de Grez-sur-Loing, droite de la grand route, pour qui vient de Paris, et environ deux lieues et demie de Nemours. Balzac vint souvent Nemours et la municipalit de cette ville a t bien inspire en donnant son nom un cours longeant ce canal du Loing dont il est fait mention ds les premires lignes d'Ilrsule Mirout Nemours du ct de Paris, on passe sur le canal du Loing, dont les berges forment la fois de champtres

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remparts et de pittor-esques promenades cette jolie petite ville. Depuis 1830, on a rnalheureusement -bti plusieurs maisons en de du pont. Si cette espce de.faubourg s'augmente, la phyiionomie de la ptite ville y perdra sa gracieuse originalit... > On fimit de penser I'horreur qui serait celle de Balzac devant ce que sont devenues nos petites villes franaises, si charmantes encore il y a un sicle et que le mauvais g-ot des petits bourgeois, joint la laieur spcilique des constructions industrielles et ferroviairei, a On_ gures si terriblement ! Il n,y ava,it pas de gare Nemours au temps d'Ilrsule Mirout. eu tieu O tratOtement et des sifflements des locomotives, on entendait le galop des chevaux et les claquements de fouet des postillons, et l o s'lvent d'ffreuses btisses,. sttendaient des prairies tachetes de bestiaux ; Balzac d-it tout cela expressment. Il ajoute : < eui connat Nemo_urs sait que Ia nature y est aussi bell que I'art, dont la mission est de Ia spiritualiser ; l, le-paysag a des ides et fait penser. > . .Sous Louis-Philifpe, l'glise de Nemours se prsent-ait sous un aspect tout diffrent de celui qu,elle a de nos jours : < Du ct du Gtinais, Nemurs est domin par une colline Ie long de Iaquelle s'tendent la route de Montargis et le Loing. L'glise, sur les pierres de laquelle Ie temps a jet ion rhe manteau noir, car elle a t sans doute rebtie au xrv" sicle par_ les Guise, pour lesquels Nemours fut rig en duch-pairie, se dresse au bout de la petite ville, au bas d'une grande arche qui I'encadre. pour Ies monuments comme pour les hommes, la position fait tout. Ombra'ge par quelques arbres et mise en relief par une, place,proprette, cette glise solitaire produit un efiet grandiose. > L'glise de Nemours est harmante, mais il serait exagr de dire que les maisons environnantes et Ia statue du mathmaticien Bezout ont ajout quelque chose sa beaut. Balzac nous dcrit ensuite I'entre de Nemours du ct de Montargis, ou de la Bourgogne, comme il dit : * Sur Nemours, c'est tout ce que contient Utsule Mitout. Encore mrits ou non, de pareils loges expliquent que le nom de Balzac ait t donn I'une u^s pit. joiies promenades intrieures de la petite ville. Le nom de Bouron reparalt la fn de la deuxime partie- de Splendeurs et-misres des Courtisones,,inti' ill r A c'ombien I'amour reuient aut uieillards' A tapt tt."t"s du soir, Lucien de Rubempr est parti ds son cabriolet en poste avec un passeport pour Fontainebleau' otl il a couch dans la dernire au' n.tg., u ct'de Nemours. Vers six heures du matin'

l hasard,-mis si Lucien peise ce n'est pas propos du sacre, 'est au contraire propos de I'abdication, qui est d'avantage de circonstance. < C,est l, se dit-il n s'asseya;i il; une des roches d'o se dcouvre le beau paysage de Bouron, I'endroit fatal o Napolon espia faii" u" effort gigantesque l'avant-veilie de son abdication. Au jour, Lucien entend le bruit d,une voiture de poste : c'est une briska transportant les gens de ia jeune duchesse de LenoncourtlChaulieu et la femme de chambre de Clotilde de Grandlieu: < Les voil, se dit-il. Allons, jouons bien cette comdie j; sauv, je .serai le gendre du duc malgr lui. > Une "t ;ui; heure aprs, la berline o sont les deu-x femmes fait entendre ce roulement si facile reconnatre, dit Balzac, d'une voiture de voyage lgante. Ces dames demandent qu'on enraye ia u*".it de Bouron . cette descente que Balzac connaissait bien et au b_as de laquelle tait la Bouleaunire * et le valet de chambre fait arrter Ia berline. A ce moment Lucien s'avance. < Clotilde, crie-t-il en frappant la glace. "mon_ Non, rlit la jeune duchesse - pas dans Ia voiture, et nous son^mie, il ne seules tera ne serons pas avec lui, ma chre. Ayez un dernier entretiei avec l, j'y.consens, mais ce ser sur la route oir nous irons pied, suivies de Baptiste... La journe est belle, nous sommes bien vtues, nous ne iraignons pas le froid. La voiture nous suivra. > Les dex femmes descen9.r.t.-o Baptiste, dit la jeune aucnesse, le postillon ira tout d_oucement, nous voulons faire un peu de chemin ? pied, et vous nous accompagnerez. u"J.r.i""' " Mortsauf prit Clotide par le bias et laissa Lucien lui parler. Que lui dit-il ? Balzac ne nous a pas mis dans la confidence, mais il dut tre bien loquent, car il russit convaincre Clotilde et de son amour et de I'inanit des infmes accusations portes contre lui. Ils descendirent ainsi jusqu' Gr;;,;b;i:-dire jusqu,$," Napolon,>>

72 FONTAINEBLEAU il a pris seul, pied, travers la fort, la direction de Bouron. Il a donc pass par la croix de Saint_ Hrem, o Napolon r-egut le ppe pie VII en feid;"t .u,trouver par

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la Bouleaunire, ce qui reprsente une demi-heure de marche. Il tait huit heures quand Clotilde dit Lucien en prenant cong de lui : Mais le galop de plusieurs chevaux se fit entendre : les gendarmes ! En un instant le petit groupe fut entour : < Que voulez-vous ?... dit Lucien avec l'arrogance du dandy. Vous tes Monsieur Lucien Chardon de Rubempr? dit le Procureur du Roi de Fontainebleau. Oui, monsieur. Vous irez coucher cette nuit la Force, rpondit-il, j'ai un mandat d'amener dcern contre vous. Qui sont ces dames ?... s'cria le brigadier. Ah, oui, pardon, mesdames, vos psseports ? Car monsieur Lucien a, selon mes instructions, des accointances vec des femmes qui sont pour lui capables de... Vous prenez la pour une fille ? dit duchesse de Lenoncourt-Chaulieu Madeleine, en jetant un regard de duchesse au Procureur du Roi. Vous tes assez belle pour cela, Baptiste, montrez rpliqua linement le magistrat. nos passeports, rpondit la jeune duchesse en souriant. Et de quel crime est accus monsieur ? dit Clotilde, que la duchesse voulait faire remonter en De complicit dans un vol et un assassinat, voiture. rpondit- le brigadier de gendarmerie. > A ces mots, Clotilde s'vanouit et la scne, une des plus dramatiques de la Comdie humair?e, se termine sur ces mots : < A minuit Lucien entrait la Force, prison situe rue Payenne et rue des Ballets, o il fut mis au secret ; l'abb Carlos Herrera (lisez Vautrin, lisez Trompe-la-Mort, lisez Jacques Colin), s'y trouvait depuis son arrestation. >

Mme de Berny, la Dilecta, mourut la Bouleaunire en juillet 1836. Spare de son mari, elle l'tait aussi, ou presque, de son cher Honor. Il tait en

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Italie quand elle rendit le dernier soupir, aprs une longue maladie de cur et quand la mort d'un de ses Iils Armand lui eut port le coup de grce.

amie, plus que toute autre crature peut tre pour une autre. Elle ne s'explique que par la divinit. Elle m'avait soutenu de parole, d'action, de dvouement, pendant les grands orages. Si je vis, c'est par elle, elle tait tout pour moi ; quoique, depuis deux ans, Ia maladie, le temps nous eussent spars, nous tions visibles distanee I'un pour I'autre; elle ragissait sur moi, elle tait un soleil moral. Mme de Mortsauf, du Zgs, est une ple expression des moindres qualits de cette personne ; il y a un lointain reflet d'elle, car j'ai horreur de prostituer mes propres motions au public et jamais rien de ce qui m'arrive ne sera connu. Eh bien, au milieu des nouveaux ievers qui m'accablaient, la mort de cette femme est venue...r>

< La personne que j'ai perdue tait plus qu'une mre, crivait Balzac en a,pprenant sa Iln, plus qu'une

La tombe d.e la Dilecta aurait pu tre le but d'un mouvant plerinage balzacien, mais en 1870 un nou-veau cimetire a rmplac I'ancien cimetire de Grez.Les cendres de Mme de Berny n'ont pas t conserves.

I,ui Fontainebleau et Franchard ne sont dsigns par' leur nom. Dans la, Confession le hros s'appelle Octave et I'hroine, plus ge que lui, Brigitte Pierson. Elle habite le village de N..., o son jaloux et cynique amant entretient avec elle une liaison qui, naturellement, fait beaucoup jaser. A proximit du village s'tend une fort dans laquelle il n'est pas difficile de reconnatre celle de Fontainebleau : < Lorsque, par un beau clair de lune, nous traversions lentement la fort, nous nous sentions pris tous les deux d'une mlancolie profonde. Brigitte me regardait avee piti. Nous allions nous asseoir sur une roche qui dominait une gorge dserte; nous y passions des heures entires ; ses yeux demi voils plongeaient dans mon cur travers les miens, puis elle les reportait sur la nature, sur le ciel et sur la valle. < Ah ! mon cher < enfant, disait-elle, que je te plains ! Tu ne m'aimes > Pour gagner cette roche, il fallait faire deux lieues dans les bois. De la Fourche I'Ermitage de Franchard, la distance est vol d'oiseau de quatre kiloprs exacte. Brigitte tait bonne marcheuse et ne redoutait pas I'obscurit. Les deux amants se mettaient en route onze heures du soir et souvent ne rentraient qu' I'aube. Brigitte s'accoutrait d'une blouse bleue et d'habits d'homme, ce qui tait la mode en ce temps-l pour les femmes d'une certaine catgorie sociale, qui ne seraient pas surprises de voir nos contemporaines en pantalons et mme en sftorf. < Elle marchait devant moi dans le sable, d'un pas dtermin et avec un mlange si charmant de dlicatesse fminine et de tmrit enfantine, que je m'rrtais pour la regarder chaque instant. Il semblait,mtres environ. L'estimation de Musset est donc peu

Confession d'un enfant du sicle, qui est un roman, et Sand dans E/le et Lu, roman aussi, mais plus autobiographique que l Conf ession, et or la nuit de Franchard nous est raconte avec plus d'exactitude et de dtails. Pas plus dans la Confession que dans ElIe et

.lrJd.

A Fontainebleau, le romantisme s'est afllrm en septembre 1833 par le passage de deux de ses protagonistes les plus reprsentatifs : George Sand et Alfred de Musset. Nous avons sur cet pisode de leurs amours leurs deux tmoignages, assez diffrents, bien entendu. Chacun d'eux I'a transpos sa manire ; aucun ne lui a donn une forme directe comme aurait pu le faire deux mmorialistes ordinaires ; ils l'ont romanc, comme on dit de nos jours, Musset dans la

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une fois lance, qu'elle ett accomplir une tche difficile, mais sacre ; elle allait devant comme rm soldat, les bras ballants et chantant tue-tte ; tout d'un coup, elle se retournit, venait moi et m'embrassait. C'tait pour aller ; au retour, elle s'appuyait sur mon bras : alors, plus de chanson ; c'taient des confidences, de tendres propos voix basse, quoique nous fussions tous deux seuls plus de deux lieues la ronde. Je ne me souviens pas d'un seul mot chpng durant le retour qui ne ftt pas d'amour ou d'amiti. > Voil des notations charmantes, videmment vcues et qui ne doivent certainement rien I'imagination. Les deux amants sont devant nous, on les voit, on les

La roche que Brigitte et son amant avaient pri.s comme but habituel tait, croit-on, la Roche'qui' Pleure. Reportons-nous ici la Lettre Ll d'Aberman :< Un nomm Flix, qui fut ermite Franchard, a, dit-on, sa sQpulture auprs de ce monastre sous la Roche-qui-Pleure. C'est un grs dont le cube peut avoir les dimensions d'une chambre de grandeur ordinaire. Selon les saisons, il en suinte ou il en coule goutte goutte, de l'eau qui tombe sur une pierre plate un peu concave, et comme les sicles I'ont creuse par l'effet insensible et continu de l'eau, cette eau a des vertus particulires. Prise pendant neuf jours, elle gurit les yeux des petits enfants. On y apporte ceux qui ont mal aux yeux, ou qui pourraient y avoir mal un jour ; au bout de la neuvaine, plusieurs sont en bon tat.>

Au paragraphe suivant, I'image que Musset nous offre de sa matresse va se prciser encore. Il la fait blonde et Sand tait brune ; n'importe ! < Sa petite casquette de velours sur ses grands cheveux blonds lui donnait si bien I'air d'un gamin rsolu que j'oubliais qu'elle tait femme lorsqu'il y avait quelque pas difficile franchir. > Les sentiers Denecourt n'existaient pas encore. < Plus d'une fois elle avait t oblige de me rappeler pour l'aider grimper aux rochers, tandis que, sans songer elle, je m'tais dj lanc plus haut. Je ne puis dire I'effet que produisait alors, dans cette nuit claire et magnifique, au milieu des forts, cette voix de femme demijoyeuse et demi-plaintive, sortant de ce petit corps d'colier accroch aux gents et aux troncs d'arbres et ne pouvant plus avancer. Je la prenais dans mes bras. < Allons, madame, lui disais-je en riant, vous tes un < joli petit montagnard brave et alerte ; mais vous < corchez vos mains blanches, et, malgr vos gros < souliers ferrs, votre bton et votre air martial, je < vois qu'il faut vous emporter. > Que je les plains, ceux qui liront ces lignes sans qu'elles leur voquent quelque moment analogue de leur jeunesse ! Et nos jeunes cmpeurs, qu'en pensent-ils ? Cela ressemblet-il la faon dont les choses se passent entre eux et leurs compagnes du samedi et du dimanche ?

entend.

Flix Herbet, auteur da Dictionnaire de Ia fort de Fontaineblecu, refuse d'admettre que la Roche-quiPleure verse des larmes sur un crime dont elle a t tmoin : Raoul de Montfort, jaloux de son frre Lonce qu'aimait Blanche de Coursy, les aurait tus au pied de la ocfte gfise, depuis Roche-qui-Pleure. Cela se serait pass sous Louis XI. Rapporte en 1871 par un rudit local du nom de Dorvet, cette lgende semble sortie tout entire de sa tte. Sur la Roche-qui-Pleure, Lottis Lurine raconte, dans un ouvrage collectif, Les Enuirons de Paris, que prfaa Charles Nodier, une lgende plus surprenante encore. Le mystrieux comte de Saint-Germain, qu'il imagine n en Palestine deux ou trois ans avant JsusChrist et rincarn je ne sais combien de fois, avait, dit-il, pour la fort de Fontainebleau une prdilection marque. Y sjournant sous le rgne de saint Louis, il fut frapp par le bruit argentin de I'eau s'gouttant rgulirement il ne savait d'o : c'tait le Juif errant qui pleurait !... Presque aussitt, une voix clatante se lit entendre, qui criait : < Marche ! Marche ! Le Juif errant disparut et, par un enchantement>>

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est dans le rcit de Louis Lurine I'aflirmation la plus vraisemblable. Lurine semble ignorer que la chapelle Saint-Louis s'levait, non Franchard, mais sur la butte qui porte le nom du pieux roi et qu'elle eut pour origine un pisode de chasse assez banal : saint Louis

cleste, le rocher qu'il avait arros de ses larmes se mit pleurer son tour. Inform du phnomne par celui qui devait s'appeler au xvrrr" sicle le comte de Saint-Germain, saint Louis purilia la fort en y fondant un hpital et deux chapelles, et depuis lors le Juif errant n'apparut plus jamais personne, ce qui

vie qui soit encore vtu de blanc lorsgu'il passe devant mes yeux. Tel est, arrang par Musset, l'pisode de ses amours>>

qui est rest pur ; c'est un des seuls spectres de ma

sommes jamais retourns cette roche. C'est un autel

I'endroit o ses ofllciers ne tardrent pas le retrouver. Il fut admis dans la suite que Ie huchet du roi avait des proprits merveilleuses, que c'tait le cor d'Astolphe, duc d'Angleterre, retrouv en Palestine ; ainsi saint Louis tait-il rattach, nous dit Flix Herbet, au cycle d'Artus de Bretagne et de I'enchanteur r\[erlin... Revenons la Confession d'un enfant du sicle. Brigitte et son amant sont donc sur la roche. Elle lui demande Ia bouteille d'osier qu'il a emporte, mais qu'il a perdue avec Ie briquet dont il se servait pour lire les noms des routes sur les poteaux indicateurs, Ils dcident alors de passer Ia nuit sur place. Suit le rcit que Brigitte fait de sa vie et qui sort de notre propos. Puis : < Nous nous renversmes sur la pierre. Tout se taisait autour de nous ; au-dessus de noi ttes se dployait le ciel resplendissant d'toiles. < Le reconnais-tu ? dis-je Brigitte ; te souviens-tu du premier jour ? > Dieu merci, depuis cette soire, noui ne

s'garant, sonnant de son huchet et faisant le vu d'lever sous l'invocation du saint du jour, saint Vincent, une chapelle, plus tard chapelle Saint-Louis,

avec George.Sand, connu sous le nom d'pisode de Fontainebleau. Arrang, dulcor mme, et mme beaucoup, s'il faut ajouter plus de crdit la version cJe ElIe et Lui. Laurent avait propos Thrse d'aller passer quafante-huit heures dans les bois. C'tait Ie septime jour de leur amour. Ils prirent le bateau probablement au quai Saint-Bernard, comme Frdric Moreau et la premire page de l'Education sentimentale, arrivrent le soir dans un htel d'oit, aprs le dlner, ils sortirent pour une promenade en fort, au clair de lune. Ils avaient lou des chevaux et un guide. Ils {irent deux lieues et arrivrent dans des rochers que Laurent connaissait dj. Dcids tout coup passer la nuit l, ils renvoyrent chevaux et guide et s'assirent en haut d'un rocher, sur la mousse. Renvers sur le dos, Laurent contemplait les toiles dont il commentait les appellations. L'allusion qu'il fit une matresse avec laquelle il tait dj venu en cet endroit blessa Thrse. Il lui demanda de chanter. EIle refusa. II s'carta sous prtexte de lui faire entendre l'cho et disparut dans un ravin o il se jeta sur l'herbe pour calmer ses nerfs. Ne le voyant pas revenir, elle prit peur et elle se levait pour I'appeler lorsqu'elle entendit un cri de dtresse, ruque, affreux, dsespr, qui Ia remplit d'horreur. Elle s'lana dans la direction de la voix et le trouva debout, hagard, agit d'un tremblement convulsif. < Ah, te voil ! lui dit-il en lui saisissant le bras. Tu as bien fait de venir, j'y serais mort. Sorfons d'ic ! > et il l'entrana droit devant eux, I'aventure. Au bout d'un quart d'heure, il tait un peu calm. Ils s'assirent dans une clairire dont le sol tait sem de roches plates pareilles des tombes et de gnvriers pareils des cyprs. < It{on Dieu, gmit il, nous sommes dans un cimetire. Pourquoi

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m'as-tu amen ici ? > Elle lui proposa de revenir sous les arbres. Il divagUa encore un instant et elle voyait bien qu'il sortait d'un accs de dlire. Il lui expliqua qu'il avait eu une hallucination. Sa tte s'tait trouble, il avait entendu l,cho chanter tout seul, et ce chant, c'tait un refrain obscne. Puis, comme il se redressait pour se rendre' compte du phnomne, il avait vu passer devant, lui,' sur la bruyre, un homme qui courait, ple, les vtements dchirs et les cheveux au vent. < Je I'ai si bien vu que j'ai eu le temps de me dire que c,tait un voleurs, et mme j'ai cherch m canne poui aller son secours, mais la canne s'tait perdue dans l,herbe et.cet hornme avanait toujouis vlrs moi ! euand il a t t_gut prs, j'ai vu qu'il tait ivre et non pas poursuivi. Il a pass en me jetant un regard hbt, hieux, et en me faisant une laide grimce de haine et de mpris. Alors, j'ai eu peqr, et je me suis jet la face contre terre, car cet.homme... c'tait moi ! Oui, c,tait mon spectre, Thrse ! Ne sois pas effraye, ne me crois pas fou, c'tait une vision. Je l'ai bien compris en Te retrouvant seul dans l'obscurit. Je n'aurais pas pu distinguer les traits d'une {igure humaine, je nlavais vu -celle-ci que dans mon imagination ; mais qu'elle tait nette, horrible, effrayante ! c'tait moi avec vingt ans de plus, des traits creuss par la dbauche ou ia maladie, des yeux effars, une bouche abrutie, et, malgr tout cet effacement de mon tre, il y avait dans ce fantme un reste de vigueur pour inulter et dIier l'tre que je suis prsent. Je me suis dit alors : < O < mon Dieu ! Est-ce donc l ce que je serai dans mon * ge mr ? ...J'ai eu ce soir de mauvais souvenirs < que j'ai exprims malgr moi ; c'est que je porte < toujours en moi ce vieil homme dont je me cryais

promeneur attard, surpris

et.

.poursuivi par

des

Chteau de Bourron.

Dussrx nrl GoslarN.

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s'tonna-t-elle. Ah, ne me chicane pas sur les dates Tu vois bien que je n'ai pas encore ma tte. Marchons Cela me remettra tout fait. > Ils se perdirent, marchrent pendant quatre heures. Elle ne pouvait plus se traner dans l sable lin et lourd, mais lui allait devant, ranim par la marche... Le lendemain, il avait tout oubli. La ralit de l'pisode de Franchard a t conteste par les biographes ; elle ne l'est plus. Le rcit de George Sand, bien que rdig plus de vingt ans aprs l'vnement, est admis comme vridiqu dans son ensemble. On ne discute que sur ce que l,on appelle < le mal de Musset >. Epilepsie ? Cyclothymie ? Excitabilit morbide ? Tendance l'hallucination et au dlire ? Alcoolisme ? Il faut regretter que ce < mal > n'ai pas t tout simplement un excs gniat d'imagination et de sensibilit. Combien cela flatterait davantage l'ide que nous nous faisons d'un pote en proie aux sortilges combins de I'amour et de la fort ! Il existe une route de I'Echo ; cet cho n'est pas celui que Musset crut entendre chanter tout seul, puisqu'elle est situe de I'autre ct clu champ de tir, ans Ie canton du Mont-NIorillon. Un jour que Je faisais une excursion F-ranchard avec un ami, celui-ci se mit en tte de retrouver l'cho de Musset, et il allait de ci, de l, poussant des eris, des appels, lanant des notes, dans I'espoir d'veiller l'cho romantique. L,cho resta

< dlivr ! Le spectre de dbauehe ne veut pas lcher < sa proie, et, jusque dans les bras de Thrse, il < viendra me railler et me crier : II est trop tard ! > Alors, je me suis lev pour te rejoindre, ma pauvre Thrse. Je voulais te demander grce pour m.a misre ct te supplier de me prserver ; mais je ne sais combien de minuies ou de sicles j'aurais tourn sur moitnme sans pouvoir avancer si tu n'tais enlin venue. Je t'ai reconnue tout de suite, Thrse : je n'ai pas eu peur de toi, et je me suis senti dlivr. > Elle lui demanda s'il tait sujet des hallucinations. < Oui, dans I'ivresse, mais je n'ai t ivre que d'amour depuis quinze jours que je suis avec ti. Quinze jours

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muet. Mon ami en fut attrist. Il vit l une sorte de signe, de symbole, la preuve que l'me romantique avait dsert jamais la vieille fort. < Qu'avel-vous besoin, lui dis-je, de l'cho de Musset pour croire la posie de ces lieux ? Puisque vous tes pote vousmme, insufflez-leur donc votre propre esprit, veillez vos propres chos ! > Mais il me rpondit en hochant Ia tte que les choses, les objets, les paysages ont, comme les individus, un ge potique au-del duquel il est vain de vouloir tirer d'eux l'inspiration, et il me cita les vers de Hugo :Objets inanims, avez-vous donc une me Qui s'attache notre me et la force d'aimer?

de Senancour et de Stendhal pour qu'on ne l'enregistre pas ici avec plaisir.

Dans ces mmes Impressions et Souuenirs, George Sand prte Thophile Gautier, dj connu pour avoir dtest la musique, un paradoxe qui le fait voir trs faiblement pris de la nature :< Il nous disait un jour que les plantes taient, relativement nous, des suoirs qui absorbaient notre air respirable et que son idal hyginique, lui, tait de vivre dans un jardin compos d'alles, et de platesbandes de bitume, avec de bons siges capitonns et des narghils toujours allums, en guise de parterres et de massifs. >

Eh oui, il avait t une poque otr l'me de F-ranchard provoquait I'amour et la posie les potes et les amants ; elle s'tait peu peu teinte et l'cho de Musset s'tait tu dfnitivement, de mme que certains aspects de la nature avaient cess d'mouvoir les peintres. Je refusai d'adopter cette faon de voir, du moins en ce qui concerne la fort, et il n'y eut pas moyen de me faire convenir gue c'tait de ma part un parti-pris. Dans ses Impressions et Souuenfrs, George Sand a consaer un chapitre la fort de Fontainebleau :< La fort de Fontainebleau n'est pas seulernent belle par sa vgtation ; le terrain y a des mouvements d'une grce et d'une lgance extrmes. Ses entassements de roches offrent chaque pas un dcor magniIique, austre ou dlicieux. Mais ces ravissantes clairires, ces chaos surprenants, ces sables mlancoliques deviendraient navrants, peut-tre vulgaires, s'ils taientdnuds.

Ce n'tait que de I'esprit de conversation, rachet par une belle page que Gautier fit paratre la mort de Decamps. Charg par le Moniteur de rendre compte des obsques du peintre, il leur consacra un feuilleton dont"il faut extraire ces lignes concernant le cimetire de Fontainebleau :< Bientt l'on sortit de la ville et le convoi s'engagea dans la fort. Il semble I'homme, lorsqu'il est triste, que la nature doive s'associer son deuil et, les jours d'enterrement, dployer sous le ciel le crpe de ses images. La nature ne s'occupe ni de nos joies ni de nos peines ; selon le hasard, elle pleure aux naissances et rit aux morts. Le premier ryon de I'anne luisait sur le cercueil de Decamps ! La fort qui, sous les pluies, avait gard le vert printanier, balanait joyeusement ses feuillages d'meraude, I'herbe tincelait, le soleil j'etait ses disques d'or aux mousses, les lpidoptres clos le matin faisaient gaiement I'essai de la vie et,

Et-ce dire que George Sand approuva les plantations de pins contre lesquelles protestrent Thodore son loge de la fort rpond trop bien aux critiques

Rousseau et les peintres de Barbizon ? Je l'ignore, mais

au bout des branches, les oiseaux un peu inquiets regardaient passer le noir corbillard, les noirs cloquemorts et le noir cortge maculant de son deuil cette srnit lumineuse, et marchant de ce pas htif ou ralenti que rgle I'allure du char funbre. A la porte du champ de repos, les croquemorts, espce de fantmes chapeau rbattu et froc de bure, prirent la bire

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DELICES DES

par la mort, pouvait choisir sa dernire demeure,

bleu du ciel, ses tombes coifies de turbans ou gracieusement arrondies, ses vols de colombes et ses femmes assises effeuillant des roses. En effet, ce cimetire de Fontainebleau plein de fleurs, d'oiseaux et de soleil rappelle les cimetires d'Orient ; il inspire la mlancolie et non I'horreur. Si I'homme, toujours surpris

sur leurs paules et derrire eux la foule se rpandit parmi les tombes, se dirigeant vers la fosse. Le cimetire de Fontainebleau n'a pas I'aspect lugubre des cimetires de grande ville, la mort n'y fait pas cohue et les tombes s'y espacent I'aise. Pris dans un coin de Ia fort, il tale sa pente incline au soleil ; sur sa lisire, de grands arbres le couronnent; parmi lesquels se dtachent des cyprs et des pins d'Italie. On doit bien dormir l ! Pendant qu'on descendait Ie cercueil dans la fosse, un mirage s'bauchait malgr nous devant nos yeux : il nous semblait voir le charmant champ des morts de Smyrne, prs du pont des Caravanes, avec ses hauts cyprs se profilant sur l'mail

fritures, on montra longtemps .

bnite jete par Ie goupillon que chacun se repassait tristement, les soldats s'approchrent et dchargrent leur arme tour tour sur le cercueil ; la fume de la poudre remontait vers la lumire en petits nuages bleutres et la fosse bante avait I'air d'une cassolette. Comme officier de la Lgion d'honneur, Decamps avait droit ce suprme adieu. Etourdi de ce fracas, un beau papillon aux ailes de soufre stries de rainures noires revint obstinment sur la manche de Pengilly qui le prit et I'emporta comme souvenir de cette douiouieuse journe. > at

Decamps et indiqu cette place. Les prires dites, I'eau

;

A Fontainebleau, chez Tattet, Musset composa Frdric et Bernerette et le pome du Souuenfr, vocateur de son grand amour pour George Sand et du pathtique pisode de Franchard:EtLes voil, ces coteaux, ces bruyres fleuries, ces pas argentins sur le sable muet, Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, O son bras m'enlaait.;'t

-XMusset revint souvent Fontainebleau, soit directement de Paris, soit de Melun oir il avait une parente et o, dans une auberge de la Seine, rpute pour ses

Les voil, ces sapins la sombre verdure, Cette gorge profonde aux nonchalants dtours, Ces sauvages amis dont l'antique murmure A berc mes beaux jours.

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DELICES DES

POETES

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Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas. Lieux charmants, beau dsert o passa ma matresse,

Les voil, ces buissons o toute ma jeunesse, Ne m'attendez-vous pas?

Edmond Bir note gue' par une singulire rencontre, Musset snest servi dans Souuenir du mme mtre que Malherbe dans sa pice pour Alcandre, sur un rctour d'Oranthe Fontainebleau :Avecque se beaut toutes beauts arrivent; Ces dserts sont iardins de l'un I'autre bout, Tant I'extrme pouvoir des grces qui la suivent Les Pntre Partout.r

Je ne viens point jeter un regret inutile Dans l'cho de ces bois tmoins de mon bonheur. Fire ,est cette fort dans sa beaut tranquille, Et fler aussi mon cur.

la lune monte travers ces ombrages. Ton regard tremble encor, belle reine des nuits Mais du sombre horizon dj tu te dgages Et tu t'panouis.Yoyez,

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Que deux tres mortels changrent sur terre, Ce fut au pied d'un arbre effeuill par les vents,

Oui, les premiers baisprs, oui, les premiers sermentsSur un roc de poussire.

Ils prirent tmoin de leur joie phmre Un ciel toujours voil qui change tout moment, Et des stres sans nom que leur propre lumireDvore incessamment.

L'ermitage de la Madeleine, dont Alfred Tattet se rendit acqureur en 1851 pour la somme de 17.000 fr. et ou Musset fut souvent invit par lui, n'existe malheureusement plus. Il a t dmoli et, ltexception d'un pavillon de gardien auquel s'accroche une tourelle de guet romntique, compltement rebti en 1911. C'est maintenant une trs confortable habitation bourgeoise d'un bon style classique, mais lourde de lignes. Les avatars de la Madeleine sont dignes de mmoire. Citons d'abord ce texte de Racan et Malherbe :

Tout mourait autour d'eux, I'oiseau dans le feuillage, La fleur entre leurs