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90 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JANVIER 2012 - N°438 DROIT BANCAIRE Secret bancaire - responsabilité de la banque Il est de jurisprudence constante que le tireur d’un chèque ne peut pas réclamer à sa banque la copie du verso du chèque, même s’il a un intérêt à la solliciter, car la divulgation des informations y figurant porte atteinte au secret bancaire qui profite au bénéficiaire du chèque. En effet, peuvent figurer au verso d’un chèque des mentions d’endossement portées par le bénéficiaire du chèque (par exemple le numéro de son compte ou encore les nom et coordonnées d’un nouveau bénéficiaire) ; ces informations sont couvertes par le secret bancaire. Mais au cas où le tireur d’un chèque engage à l’encontre de sa banque une action en responsabilité pour ne pas avoir vérifié la chaîne des endossements, et que les endossements figurent nécessaire- ment au verso du chèque, la dite banque ne peut pas invoquer le secret bancaire pour se soustraire à toute responsabilité. Dans le cas d’espèce, une banque (le tiré) avait réglé divers chèques tirés sur les comptes d’un de ses clients (le tireur) et présentés par une autre banque (le présentateur). Le tireur avait recherché la responsabilité des deux banques pour fautes commises lors de l’encaissement et du paiement de ces chèques. Condamné par une cour d’appel à produire la copie recto-verso de l’ensemble des chèques litigieux, le tiré avait fait valoir que la cour avait commis un excès de pouvoir en ordonnant ainsi la divulgation d’informa- tions couvertes par le secret bancaire. La Cour de cassation* a jugé au contraire que les règles du secret bancaire ne pou- vaient pas être invoquées en l’espèce, dès lors que la communication de la copie des chèques intervenait dans un litige opposant les banquiers présentateur et tiré des chèques litigieux au tireur, qui leur reprochait de ne pas avoir vérifié les endossements frauduleux opérés par son comptable. *Cass. com. 11 octobre 2011 n° 10-10.490, Sté BNP Paribas c/Sté Arsie fixations ès qual. © pab_map #17599523 DROIT DES SOCIÉTÉS Force obligatoire des contrats - pacte d’actionnaires - exécution forcée en référé Toutes les SEL et les holdings donnent lieu à un pacte d’actionnaires. Il est donc intéres- sant de voir ce qui se passe en cas de non respect par un partenaire de ses obligations. Au cas qui nous intéresse*, un pacte d’ac- tionnaires conclu entre l’associé majori- taire et le principal associé minoritaire d’une société par actions simplifiée (SAS) prévoyait que le comité de surveillance de la société était composé de cinq membres : trois étaient nommés parmi les candidats présentés par l’associé majoritaire et deux parmi les candidats présentés par l’associé minoritaire. Reprochant à l’associé minoritaire d’avoir concurrencé déloyalement la SAS, l’associé majoritaire avait refusé de voter en assemblée la nomination des deux candidats représen- tant son coassocié et avait voté en faveur des seuls candidats qu’il avait proposés. Saisi en référé par le minoritaire, le président du tribunal de commerce a ordonné sous astreinte à l’associé majoritaire de révoquer deux membres du comité à l’occasion d’une nouvelle assemblée et de nommer deux autres membres parmi les candidats présentés par l’associé minoritaire. Se fondant sur l’article 873, al. 2 du Code de procédure civile, qui autorise le juge des référés à ordonner l’exécution d’une obliga-

Force obligatoire des contrats - pacte d’actionnaires - exécution forcée en référé

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90 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JANVIER 2012 - N°438

DROIT BANCAIRE

Secret bancaire - responsabilité de la banqueIl est de jurisprudence constante que le tireur d’un chèque ne peut pas réclamer à sa banque la copie du verso du chèque, même s’il a un intérêt à la solliciter, car la divulgation des informations y figurant porte atteinte au secret bancaire qui profite au bénéficiaire du chèque.

En effet, peuvent figurer au verso d’un chèque des mentions d’endossement portées par le bénéficiaire du chèque (par exemple le numéro de son compte ou encore les nom et coordonnées d’un nouveau bénéficiaire) ; ces informations sont couvertes par le secret bancaire.

Mais au cas où le tireur d’un chèque engage à l’encontre de sa banque une action en responsabilité pour ne pas avoir vérifié la chaîne des endossements, et que les endossements figurent nécessaire-ment au verso du chèque, la dite banque ne peut pas invoquer le secret bancaire pour se soustraire à toute responsabilité.

Dans le cas d’espèce, une banque (le tiré) avait réglé divers chèques tirés sur les comptes d’un de ses clients (le tireur) et présentés par une autre banque (le présentateur). Le tireur avait recherché la responsabilité des deux banques pour fautes commises lors de l’encaissement et du paiement de ces chèques. Condamné par une cour d’appel à produire la copie

recto-verso de l’ensemble des chèques litigieux, le tiré avait fait valoir que la cour avait commis un excès de pouvoir en ordonnant ainsi la divulgation d’informa-tions couvertes par le secret bancaire.

La Cour de cassation* a jugé au contraire que les règles du secret bancaire ne pou-vaient pas être invoquées en l’espèce, dès lors que la communication de la copie

des chèques intervenait dans un litige opposant les banquiers présentateur et tiré des chèques litigieux au tireur, qui leur reprochait de ne pas avoir vérifié les endossements frauduleux opérés par son comptable. ■■

*Cass. com. 11 octobre 2011 n° 10-10.490, Sté BNP Paribas c/Sté Arsie fixations ès qual.

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DROIT DES SOCIÉTÉS

Force obligatoire des contrats - pacte d’actionnaires - exécution forcée en référé

Toutes les SEL et les holdings donnent lieu à un pacte d’actionnaires. Il est donc intéres-sant de voir ce qui se passe en cas de non respect par un partenaire de ses obligations.

Au cas qui nous intéresse*, un pacte d’ac-tionnaires conclu entre l’associé majori-taire et le principal associé minoritaire d’une société par actions simplifiée (SAS) prévoyait que le comité de surveillance de la société était composé de cinq

membres : trois étaient nommés parmi les candidats présentés par l’associé majoritaire et deux parmi les candidats présentés par l’associé minoritaire.

Reprochant à l’associé minoritaire d’avoir concurrencé déloyalement la SAS, l’associé majoritaire avait refusé de voter en assemblée la nomination des deux candidats représen-tant son coassocié et avait voté en faveur des seuls candidats qu’il avait proposés.

Saisi en référé par le minoritaire, le président du tribunal de commerce a ordonné sous astreinte à l’associé majoritaire de révoquer deux membres du comité à l’occasion d’une nouvelle assemblée et de nommer deux autres membres parmi les candidats présentés par l’associé minoritaire.

Se fondant sur l’article 873, al. 2 du Code de procédure civile, qui autorise le juge des référés à ordonner l’exécution d’une obliga-

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droit

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - JANVIER 2012 - N°438 // 91

DROIT I GESTION I FINANCES I PATRIMOINE I INFORMATIQUE I TEXTES JURIDIQUES I ECHOS PARLEMENTAIRES

tion non sérieusement contestable même s’il s’agit d’une obligation de faire, le président a estimé qu’il y avait un trouble manifeste-ment illicite à ce qu’un pacte d’actionnaires ne soit pas respecté et qu’un associé soit exclu d’un organe de surveillance de SAS : le droit à l’exécution est l’effet le plus direct du principe de la force obligatoire des contrats et une telle « mise en force » est le moyen naturel d’assurer le respect de la loi contrac-tuelle, lequel est fondamental pour le bon fonctionnement des entreprises.

Si, aux termes de l’article 1142 du Code civil, toute obligation de faire se résout en dommages-intérêts, cette règle ne s’appli-quait pas au litige, qui concernait le non-respect d’un pacte d’actionnaires et non une inexécution de la part d’un débiteur.

S’agissant d’une obligation de vote en application d’un pacte, la décision du président du tribunal ne mettait pas en cause la liberté de vote individuelle mais obligeait un associé à agir en conformité avec l’engagement qu’il avait contac-té. L’associé majoritaire n’avait pas à se faire justice lui-même en refusant d’appliquer le pacte qui le liait à son coassocié.

Le président du tribunal a ordonné un nou-veau vote au lieu de rendre une décision valant vote de la délibération qui aurait dû être adoptée. Il a respecté en cela l’inter-diction pour le juge de se substituer aux organes sociaux compétents pour prendre les décisions collectives

Cette solution ne pose pas de problème devant le juge des référés, qu’un texte spécial autorise à ordonner l’exécution d’une obligation de faire dès lors qu’elle n’est pas « sérieusement contestable ».Tel était le cas en l’espèce où la rédaction du pacte ne laissait place à aucune contes-tation : les membres du comité étaient certes « nommés librement » mais cette liberté était limitée par l’obligation de choi-sir certains membres parmi les candidats présentés par l’associé minoritaire. ■■

*T. Com. Paris, 3 août 2011, n° 2011052610, ord. réf., SAS Mederic Innovation c/SA Assis-teo Europe.

Décret N° 2011-1473 du 9 novembre 2011 relatif aux formalités de communication en matière de droit des sociétésLa loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration du droit a apporté certaines modifications au régime des fusions et scissions*. L’intitulé de la loi laissait espé-rer un allégement des procédures mais la lecture du texte était autre. Une explication sera probablement trouvée dans le fait que ce texte répond in extremis à l’obligation de transposition de la troisième directive du Conseil sur les fusions dont le délai venait à échéance le 30 juin 2011. Il n’en demeure pas moins que l’urgence de la transposition n’a pas permis une réelle cohérence entre le régime préexistant et les exigences du droit communautaire.

On espérait que le décret d’application viendrait corriger, autant que faire se peut, le texte initial. Toutefois, la lecture du décret n° 2011-1473 du 9 novembre 2011, concernant notamment les formali-tés de publicité de la fusion, laisse encore une fois le praticien perplexe.

Rappel du dispositif antérieur

Le projet de fusion devait faire l’objet d’un avis publié dans un journal d’annonces légales (JAL) au plus tard 1 mois avant l’approbation de la fusion par les assem-blées générales des sociétés concernées. Le recours au JAL, même s’il peut paraître incongru quant à l’effectivité de la publi-cité, permettait aux sociétés de maîtriser

dans un délai court la date de parution et ainsi la date de la réalisation de la fusion.

Régime issu du décret du 9 novembre 2011

Le délai d’1 mois est remplacé par un délai de 30 jours et la publication dans un JAL est remplacée par une publicité au BODACC ou par la mise en ligne du projet de fusion sur le site internet de chacune des sociétés.

Dans la mesure où la publication au BODACC est faite à la diligence des gref-fiers des tribunaux de commerce et n’est donc absolument pas maîtrisable (un délai supplémentaire de 10 à 20 jours est à pré-voir), le recours à la publicité sur le site internet semble logiquement être la solu-tion à privilégier.

Cependant, le recours à une telle publicité apparaît problématique compte tenu de la rédaction du nouveau texte :

• l’objet de la mise en ligne n’est pas clair : s’agit-il du traité de fusion ou de l’avis ? ou des deux ? ;

• la publication doit être faite sur le site internet de chacune des sociétés : com-ment répondre à cette exigence lorsque les sociétés n’ont pas un site propre ? Notam-ment, lorsque le site est commun à diverses sociétés d’un même groupe, la publica-

tion sur le site du groupe répond-elle à l’obligation ? ;

• la publication doit intervenir « dans des conditions de nature à garantir la sécu-rité et l’authenticité des documents » : cette précision impose donc l’application de mécanismes spécifiques de protec-tion dont le choix est laissé aux sociétés concernées ;

• une interruption continue de 24 heures du site internet pendant le délai de 30 jours oblige la société à procéder à une publication au BODACC, ledit délai de 30 jours étant suspendu jusqu’à cette parution ;

• les sociétés doivent-elles se réserver des modes de preuve d’accomplissement de cette formalité ?

Ce nouveau dispositif est entré en vigueur immédiatement. Pour les fusions en cours, il existe donc un risque d’empêchement matériel quant à leur réalisation avant le 31 décembre 2011, les sociétés n’ayant pas pu intégrer dans leur calendrier, soit le risque d’un délai de publication plus long (BODACC) soit la mise en place d’une publication sur leur site internet. ■■

*Armelle Maitre et Cyrille Boillot, Avocats, Stehlin & Associés.