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FOURBI numéro 2

FOURBI · Fourbi, ce sont des textes en vrac sur le travail salarié. Des réflexions, des ressentis, des expériences sur com-ment cette saleté nous bouffe la vie

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FOURBI

numéro 2

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Fourbi, ce sont des textes en vrac sur le travail salarié. Des réflexions, des ressentis, des expériences sur com-ment cette saleté nous bouffe la vie. Des textes écrits par des travailleurs-euses, des chômeurs-euses, des étu-diants-es et autres précaires. Du militantisme de fait, en quelque sorte.

Pour ce numéro deux, outre mézigue, responsable de cet édito du pauvre, tous les textes sont signés par des femmes. Car en effet, à une exception, tous les retours que j'ai eu suite à la sortie du premier numéro de Fourbi ont émané de femmes. Tu sais, celles qui s'éparpillent dans le féminisme et qui nuisent à la vraie lutte d'après ce que m'en ont dit les stals virilistes, aka ceux-qui-savent (j'attends tou-jours vos éventuelles contributions les gars...).

Mais elles n'éparpillent rien du tout. Elles ont au contraire compris qu'il fal-lait rassembler les luttes, les faire converger, pour pouvoir grossir nos rangs. Peut-être est-ce lié au fait qu'elles sont les premières victimes du salariat, de par leurs revenus infé-rieurs à ceux des hommes, de par leur présence majoritaire dans les emplois les plus précaires et de la façon dont elles sont considérées même hors du monde du travail.

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Pour ton papa l'Etat, entre 18 et

25 ans tu es un bébé, bébé-étu-

diant, bébé-Tanguy, encore chez

les parents ou dans une cité U,

un bébé qui tâtonne dans des

études supérieures souvent dé-

criées, décrétées inutiles

d'emblée. Si ta famille est vrai-

ment très pauvre, ton papa l’État

te filera une bourse, sinon il

estimera que la solidarité fami-

liale permettra ta survie, il te

renverra vers tes vrais papa-

maman qui payeront pour toi. Si

ta famille est juste au dessus de

l'échelon, situation bâtarde de

« pas assez pauvre pour être

aidée mais pas assez riche pour

t'aider », tu auras l'opportunité

de rentrer dans la vie active

avant tout le monde en décro-

chant un job étudiant à

mi-temps, et à toi de jongler avec

ces nouvelles variables du post-

bac qui te tombent sur la gueule,

toutes en même temps sinon c'est

pas marrant. Les courses, le

loyer, les factures, le lavomatic et

les partiels, le stage peu ou pas

payé et le mémoire à rédiger, et

au milieu le timer du Macdo, l'in-

ventaire abrutissant de la grande

surface, la mobylette de Pizza X,

les casiers du tri postal la nuit,

la serpillère et le balai à chiottes,

le costume de guignol pour distri-

buer les flyers, servir les autres

au bar, le sourire obligatoire.

Entre 18 et 25 ans, si ta famille

est pauvre, tu vas en chier, c'est

écrit, c'est normal, t'es jeune, tu

peux encaisser. Apprendre à

vivre à découvert, faire traîner

les factures quand la bourse est

versée en retard ou que les impré-

vus te sautent à la gorge, le

trop-perçu d'APL que t'avais pas

vu venir, les manuels à acheter,

la facture de gaz à trois chiffres.

Tes velléités d'autonomie, tu les

sentiras dans les premiers recom-

mandés qui arriveront dans ta

boîte aux lettres, menace d'inter-

dit bancaire, de confiscation de

chéquier. Le bocal à pièces

jaunes sera l'allié de la dèche,

faire des petits tas de pièces,

toute cette masse métallique qui

plombe ta poche et que tu re-

comptes soigneusement devant

la boulangerie. Tu deviens le pro

du discount, tu connais toutes les

enseignes.

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Si t'es déjà sorti des études, ton

papa l’État t'explique qu'on va

pas te filer le RSA, ça te donne-

rait trop envie de rien foutre,

ça nuirait à ton autonomie, et

puis ça ne serait pas pédago-

gique, de te verser de l'argent

tous les mois sans contrepar-

tie, tu risquerais de le claquer

n'importe comment. Entre

deux contrats précaires, tu

feras avec rien, t'as pas assez

cotisé pour le chômage, t'as

bossé au black parce qu'il y

avait rien d'autre, tu découvres

que la boîte qui t'avait embauché

a mis la clé sous la porte et ne t'a

jamais déclaré, t'as pas assez d'ex-

périence pour avoir un vrai

boulot à temps plein. Sinon, tu

claques un minimum de 200

euros de frais d'inscription à la

fac pour pouvoir garder ton mi-

temps étudiant, ta chambre en

cité et le resto U.

C'est marrant d'ailleurs, ton

papa l’État t'imagine toujours étu-

diant, 18-25 ans = étudiant, c'est

imparable. Jeune. Irresponsable.

Génération enfant-roi, pourrie-

gâtée, on entend souvent ça,

aussi. Génération de mômes qui

ne veulent pas quitter le domicile

parental parce que c'est plus

confortable, maman qui lave les

slips et fait à manger. Oui, si tu

vis encore chez tes parents, c'est

parce que t'es une feignasse sans

volonté, ça n'a rien à voir avec le

coût d'un loyer et les exigences ki-

lométriques des bailleurs. Non,

décidément, on ne va pas en plus

leur donner de l'argent, ils n'ont

qu'à se sortir les doigts du cul et

aller bosser, le travail c'est noble,

l'assistanat c'est sale.

Trop jeunes.

C'est con, ton papa l'Etat a oublié

les petits derniers, derniers de la

classe à vie compliquée, digérés

trop vite par l'éducation natio-

nale, apprentis à 15 ans, pour

l'heure tu n'étais pas trop jeune

pour pelleter du gravier sur un

chantier, c'est dingue. Ceux-là on

ne les entend jamais, les sans-

voix qui en chient discrètement.

Ton papa l'Etat dans un élan de

générosité, il a prévu une excep-

tion, il estime que si tu fais un

enfant avant 25 ans, tu l'auras,

ton RSA. Mère célibataire, sacrifi-

cielle, c'est digne, c'est dans

l'ordre des choses. Il a aussi in-

venté une usine à gaz appelée

RSA jeune, qui dit que si tu as

travaillé à temps plein 2 ans au

cours des 3 dernières années, tu

pourras peut-être avoir des sous.

Un dispositif tellement bien

foutu que seuls 8000 jeunes en

bénéficient, puisque dans ce cas

de figure, normalement, t'as droit

aux allocations-chômage.

Enfin, ton papa l'Etat n'est pas

totalement salaud, il te laisse

une porte de sortie, il te file

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même le costume. Tu seras

jamais trop jeune pour te trim-

baler avec un famas dans une

gare SNCF, il paraît que c'est

pour faire flipper d'hypothé-

tiques terroristes. Tu seras

jamais trop jeune pour te faire

buter en Afghanistan. J'ai en-

tendu ta mère à la radio, elle disait

qu'elle trouvait ça mieux que tu

ailles à la guerre plutôt qu'être au

chômage, texto, j'avais envie de hur-

ler, voilà, on y était, on avait réussi à

rendre le chômage plus effrayant que

la guerre, mais toujours pour les

même, j'ai toujours envie de hurler,

et c'est toujours aussi bordélique ce

que j'écris, et ça part toujours dans

tous les sens, et j'arrive pas à re-

mettre de l'ordre dans ce qui n'a pas

de sens.

18-25 ans, ça ne veut rien dire quand

on y pense, ça devrait être 18-

24,99999999 ans, l'absurdité se

compte parfois en jours.

Souffle les bougies, ça y est, t'y es, tu

l'as ton quart de siècle, remplis ton

dossier, un mois de délai de traite-

ment, de pièces manquantes et de

courriers égarés plus tard, tu le ver-

ras bientôt dans la colonne des

positifs de ton relevé bancaire, le vi-

rement de 400€, tu rentres enfin

dans la grande famille des assistés,

tu verras des types à la télé parler de

tes privilèges pendant que leurs se-

crétaires calculent leurs notes de

frais et distribuent des chèques-em-

ploi à la philippine qui astique le

logement de fonction, je sais, c'est

d'un cliché...

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A force de ne pas trouver de

travail, vous finissez par arriver

en fin de droits. Il s'agit alors

d'accepter tout et n'importe quoi,

vous avez une gamine en âge

d'aller à l'école à élever, sinon

vous vous casseriez volontiers à

la campagne faire pousser des

poules.

Vous voici donc de retour dans

un centre d'appels à inciter les

naïfs qui laissent traîner leurs

coordonnées n'importe où à

souscrire à une couverture santé

totalement indispensable.

Tronche de dégoûté de la plupart

des gens quand vous leur avouez,

un rien honteuse, à quelle

activité vous consacrez vos

journées. Les gens de gauche

vous sauteraient bien à la

gueule, vous faites un boulot

vraiment inutile, vous participez

au grand merdier, vous seriez

Satan que ça les étonnerait

moyen. Ils vous enveloppent du

même mépris que les femmes de

ménage. Au moins, elles font un

travail dégradant mais utile, est-

ce que vous avez bien compris la

nuance ? Les gens de droite ne

vous causent pas du tout, il

faudrait voir à ne pas mélanger

les torchons et les serviettes,

nous n'avons pas les mêmes

valeurs, pas de ça chez nous, etc.

Bref, vous êtes soit une

feignasse, soit une moins que

rien, c'est agréable, comme

sensation !

Retour

pondoirau

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7 heures au téléphone à raconter

la même chose, ça laisse le temps

aux pensées de vagabonder, aux

questions de tourner tandis que

la pendule fait son boulot benoîte-

ment dans le coin gauche de

l'écran de l'ordinateur.

Le temps de travail est organisé

en session de deux heures ou une

heure et demie de travail ("blabla-

blablablablablablablablablablabla

blablablablablablablablablablabla

blablablablablablablablablablabla

blablablablablablabla")

avec une pause de quinze mi-

nutes entre chaque session.

Je fuis les pauses : j'ai arrêté de

fumer et tout le monde se préci-

pite dehors pour téter goulûment

sa clope, tandis que je résiste

vaillamment à la tentation

d'aller sniffer toute cette bonne ni-

cotine et toutes ces non moins

délicieuses cochonneries qui

flottent dans l'air. Et puis les dis-

cussions sans fin sur le nombre

de ventes et est-ce que les primes

seront payées, ça m'épuise.

C'est fou comme c'est l'aventure,

la vie sur les plateaux télépho-

niques, un monde bourré

d'inconnues incertaines et mysté-

rieuses, du genre est-ce que si je

cartonne au niveau de mes

ventes, j'aurai autant d'argent

qu'on me l'a annoncé.

La vie au turbin devient de plus

en plus compliquée, et le salaire

un sujet sans fin d'expectatives

et de supputations.

Les plus méritants et les plus ef-

ficaces à pulvériser les objectifs

tirent des tronches de trois pieds

de long lorsqu'ils reçoivent leur

fiche de paie : « Comment ça, je

vends comme un mongolien pour

me retrouver avec à peine plus

du SMIC ? »

Certains de mes collègues, qui

s'étaient déjà construit veaux

vaches cochons couvées et toute

la smala, redescendent brutale-

ment sur terre et se demandent

si par hasard on ne leur aurait

pas vendu du rêve : ils ont quitté

d'autres plateaux ou d'autres

boulots pour celui-ci et au final,

c'est pour toucher exactement le

même salaire, avec un boulot dif-

ficile (le fichier n'est pas qualifié

et on tape dans le dur du dur en

pratiquant de la vente en un

temps, les forçats du casque ap-

précieront), beaucoup de blabla

émotionnel mais pas beaucoup

de reconnaissance sonnante et

trébuchante... et l'impression de

moins en moins fugace qu'on

nous prend en prime pour des

gogos.

Le travail, c'est décidément

l'alpha, l'oméga et tout le tralala !

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Textes rassemblés, mis

en page, photocopiés et

agrafés fin mars 2014.

[email protected]