Franc-maçonnerie et alchimie - Editions Trajectoireeditions-trajectoire.fr/bibliotheque/documents/9782841976799.pdf · 7 Introduction Le profane1 qui vient pour la première fois

Jean-François Blondel

Franc-maçonnerie et alchimie

La recherche de la « Pierre cachée des Sages »

Franc maçonnerie et alchimie.indd 3 29/09/15 13:55

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Introduction

Le profane1 qui vient pour la première fois se faire recevoir en franc-maçonnerie, est d’abord introduit dans une petite pièce étroite et obscure, recouverte d’une tenture noire et, disons-le, sinistre, appelée le « cabinet de réflexion » ou « chambre de préparation ». Le cabinet de réflexion est un lieu intermédiaire entre le monde profane et la loge (appelée aussi le temple maçon-nique), qui est un « espace sacré » parce qu’orienté dès que les travaux maçonniques ont commencé. Le candidat va donc être conduit dans ce recoin avant son initiation en Franc-maçonne-rie pour y méditer quelques instants et rédiger son « testament philosophique2 ». C’est le nom que donne l’Ordre écossais à quelques questions qui lui sont posées sur ses devoirs envers Dieu, sa patrie, et l’humanité tout entière, etc.

Mais, bientôt, il découvrira dans ce cabinet bien des choses qui vont le surprendre et le faire s’interroger ! Un crâne posé sur une

1. Nom donné par les francs-maçons à une personne qui n’a pas été initiée dans l’ordre maçonnique.

2. Ce terme est spécifique d’un rite maçonnique appelé le « REAA ». Il y a en effet différents rites en franc-maçonnerie, et chacun a des spécificités qui lui sont propres. Nous avons pris l’exemple de ce rite, qui est universellement connu et l’un des plus pratiqués en France. Nous aborderons aussi d’autres rites dans ce livre.



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petite table et, tout à côté, une bougie allumée qui éclaire faible-ment l’endroit. Il sera confronté aussi à la lecture de sentences austères mises bien en évidence sur un des murs ; ainsi qu’un mot inconnu de lui : V.I.T.R.I.O.L. qui s’y trouve également et, en dessous, un coq devant une banderole où il est écrit : « Vigi-lance et Persévérance ». Sur la petite table devant laquelle il est assis, il y a une cruche remplie d’eau, un morceau de pain, et, dans de petites coupelles, ce qui ressemble à du soufre et du sel, etc. Qu’est-ce que tout cela peut-il bien faire ici, se demandera-t-il ? Il apprendra plus tard que ce qui se trouve dans les coupelles est bien le soufre et le sel ordinaires, mais qu’en réalité, ils repré-sentent des « principes abstraits », que les alchimistes appellent précisément le Soufre et le Sel, avec des majuscules, dont nous donnerons l’explication plus loin dans cette étude. Tandis que le coq représente le troisième principe : le Mercure. Nous verrons plus loin dans le cours de cet exposé qu’ils représentent les trois « principes » de l’alchimie traditionnelle. Et qu’enfin le fameux mot V.I.T.R.I.O.L., fait référence, lui aussi, à l’alchimie…

En fait, il faut savoir que ce cabinet de réflexion que nous venons de décrire est celui d’un rite maçonnique particulier, qui est le REAA ou « Rite Écossais Ancien et Accepté ». Nous allons préciser dans un instant qu’il y a des rites en franc-maçon-nerie, que nous allons définir, et que c’est ce rite-là en particulier qui aura reçu une influence alchimique plus importante que les autres. Dans les cabinets de réflexion des autres rites, ces réfé-rences alchimiques n’existent donc pas ou peu… Mais, comme ce rite est le plus pratiqué en France à l’heure actuelle, beau-coup de personnes ont tendance à faire l’amalgame, et voient à travers les usages de ce rite l’ensemble des pratiques rituelles de la maçonnerie française, ce qui est inexact, répétons-le.

Faire un livre sur le rapprochement existant entre franc-maçon-nerie et alchimie en examinant l’influence de cette dernière sur la première est un exercice difficile pour plusieurs raisons, et qui, à notre connaissance, n’a jamais été beaucoup tenté ! La première


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Introduction

est que l’on ne sait pas très bien, aujourd’hui encore, quand et surtout pourquoi cette influence alchimique a pu s’exercer sur la franc-maçonnerie, et par qui. Ensuite, il faut avoir présent à l’esprit que certains rites ont vu leurs pratiques rituelles écrites être sans cesse modifiées depuis leur création, et ce jusqu’à ce qu’une instance officielle : Grande Loge, Grand Orient ou Suprême Conseil décide de rédiger des rituels définitivement figés pour toutes les instances entrant dans leur juridiction et qu’elles devront désormais strictement observer. Malgré tout, nous sommes obligés de tenir compte des premières versions écrites de ces rites, qui correspondent, selon nous, à l’intention première de leurs rédacteurs.

Nous avons donc découpé ce travail en deux grandes parties.

Dans la première partie, nous avons fait un rappel des diffé-rents courants ésotériques ayant pu avoir une quelconque influence sur la franc-maçonnerie naissante au xviiie siècle. Puis, nous avons abordé l’histoire maçonnique depuis sa créa-tion en Angleterre, jusqu’à son arrivée sur le continent européen et, plus particulièrement, sur le sol de France, en ne manquant pas de signaler les évolutions qu’a subies la maçonnerie une fois implantée sur notre sol. Nous avons ensuite essayé de donner une définition claire de cette mystérieuse alchimie, ses origines, sa conception de la matière, ses adeptes. Ce qui nous a amenés à nous interroger sur cette non moins mystérieuse société de la Rose+Croix, qui apparut à l’aube de ce xviie siècle et dont les membres s’intéressaient à l’alchimie, et qui eut une influence certaine sur la franc-maçonnerie à ses débuts. Le lien se serait-il noué par l’intermédiaire de cette mystérieuse organisation secrète ?

Dans une seconde partie, et à la suite de ces observations, nous sommes allés à la recherche de ce rapprochement, en constatant que celui-ci ne s’est effectué que dans un seul rite maçonnique et non dans l’ensemble de la maçonnerie : celui se réclamant d’un courant de pensée fortement marqué par la tradition hermétique,



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ainsi que par les autres courants ésotériques issus de la tradition judéo-chrétienne : « l’Écossisme ». Chemin faisant, nous avons abouti au dernier maillon de cette chaîne qui est le Rite Écos-sais Ancien et Accepté, constitué définitivement au congrès de Charleston (Caroline du Sud) en 1801, dont nous avons analysé les différents degrés, et en particulier ceux où l’influence alchi-mique aura été la plus sensible.

Nous avons quand même décidé de présenter ce travail, malgré toutes ses imperfections et approximations…


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Première partie

Ces courants ésotériques aux sources

de la franc-maçonnerie spéculative


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Chapitre 1

Des sources lointaines jusqu’à la création

de la Grande Loge de 1717

Si la franc-maçonnerie n’existera « officiellement » qu’en 1717, selon les historiens, avec la création de la première Grande Loge de Londres, formée au départ de quatre loges que les Anglais nommèrent « the Lodges of Antiquity », et le fait qu’elles sont censées exister « de temps immémorial », pour insister sur leur ancienneté, on peut penser que depuis longtemps c’est-à-dire depuis les xvie et xviie siècles, dans les loges « opératives » un changement était déjà en train de se faire et une évolution vers une démarche « spéculative » avait commencé à paraître.

Au Moyen Âge : Villard de Honnecourt et l’art de géométrie

Villard de Honnecourt, l’emblématique maître d’œuvre du siècle de Saint Louis, considérait la géométrie comme un art, et, comme tel, écrivait dans son carnet :



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« Ici commence la méthode du Trait pour dessiner la figure, ainsi que l’art de Géométrie l’enseigne pour facilement travail-ler, et de l’autre feuille vous trouverez celle de Maçonnerie ». Maçonnerie pratique évidemment, appelée maçonnerie « opéra-tive » pour la distinguer de la maçonnerie « symbolique » contemporaine. Son célèbre carnet, conservé à la BNF (Biblio-thèque Nationale de France), est chargé de figures symboliques que ne désavoueraient pas les francs-maçons modernes.

Dès le xiiie siècle, époque où vivait Villard, un lien étroit se trouvait établi entre la géométrie et « l’art du trait » qui en découle pour la coupe des pierres, et la maçonnerie qui en est l’aboutissement. Cette géométrie pratique, que les Compagnons appellent « le trait », fut associée chez Villard, au dessin des figures « comme l’art de géométrie l’enseigne », explique-t-il, en une sorte de commentaire. Le trait était à la fois une géomé-trie pratique, exempte de calcul, et une méthode graphique de représentation des figures en rabattement sur un plan.

Le renouveau humaniste à la Renaissance

Philibert Delorme mettra à l’honneur dans son Traité d’Archi-tecture, dont la première édition sera publiée en 1567, cet « art ancien », qui demeure « malaisé d’entendre à ceux qui ne sont pas de l’art »…

Il y aura encore des Maîtres maçons à l’époque de la Renais-sance, mais leur rôle de concepteur leur aura échappé et sera passé entre les mains de « l’architecte ». Le rôle du Maître maçon sera réduit à celui de chef de chantiers et redeviendra un homme de terrain. En revanche, l’architecte sera un homme nouveau, à la fois théoricien et concepteur, qui contrôlera le travail du Maître maçon, le dépossédant de son rôle de maître d’œuvre. Il aura une tout autre formation : celle-ci sera intellectuelle et savante. Selon la conception de la Renaissance, on lui attribue la responsabilité des travaux et la création des plans.


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Des sources lointaines jusqu’à la création de la Grande Loge

Cette théorie est inspirée de Vitruve, dont on a redécouvert l’œuvre. En 1414 se produira un événement qui fera date : la redécouverte au mont Cassin du manuscrit de Vitruve, le De Architectura, l’unique traité du géomètre romain, perdu depuis pas moins d’un millénaire et demi ! La mise à jour de ce docu-ment fut une véritable révélation. Quelles sont, selon Vitruve, les qualités intellectuelles qui sont demandées à l’architecte ? C’est ce que nous apprend le Livre I, où il développe un certain nombre d’idées sur ce que doit savoir l’architecte pour avoir une parfaite maîtrise de son art :

« Il doit comprendre les langues, être habile en peinture, bien instruit en géométrie, ne pas ignorer la perspective, posséder l’arithmétique, connaître l’histoire, avoir été l’auteur assidu des philosophes, être habile en musique, ne pas ignorer la physique, connaître la jurisprudence et avoir une bonne connaissance de l’astronomie et des mouvements célestes. »

Philibert Delorme est peut-être l’architecte le plus connu de la Renaissance. Architecte et humaniste, car dans son Épître au lecteur, qui précédait son Traité d’Architecture de 1567, il résumait en quelques pages toute la conception hermétiste de l’architecte de la Renaissance.

Le Traité d’Architecture sera réédité en 1648, légèrement modifié, en particulier dans son Épître au Lecteur.



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L’architecte sortant de sa caverne, lieu de méditation et de recueillement.

La devise en latin qui entoure la figure signifie : « De mille peines et mille empêchements est retardé l’Artisan docte et sage, quand par son Art, son savoir et ses instruments, il cherche vers la Palme le passage. »

(Extrait du Traité d’architecture de Philibert Delorme, 1567).

Delorme donnera, dans le troisième livre, une figure emblé-matique représentant l’architecte tel qu’il le conçoit et tel qu’il doit être. Il le représente sortant d’une caverne obscure, lieu de


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solitude, de contemplation et de méditation. N’y a-t-il pas là l’ancêtre du « cabinet de réflexion » maçonnique instauré un siècle plus tard ? Delorme connaissait-il l’adage alchimique de la pierre cachée du V.I.T.R.I.O.L.11, que l’on retrouve dans les traités d’alchimie du moine Basile Valentin, qui lui est pratique-ment contemporain ? Sur cette figure illustrant son traité, l’archi-tecte se dirige vers la palme de l’honneur, malgré les nombreux cailloux pointus qui le retardent dans son avancement. Y aurait-il déjà ici la notion « d’épreuve et de parcours initiatique », que l’on découvrira plus tard dans les rites maçonniques ?

Dans les écrits de l’architecte, nous pouvons y déceler une influence hermétiste. En effet, nous découvrons sur le bandeau de la première page de son huitième livre d’architecture (édition de 1567), en compagnie d’autres symboles :

− le niveau surmonté d’une colombe (du Saint-Esprit ?) ;

− la sphère céleste avec plusieurs symboles représentant les planètes, tels Mercure, Vénus, Soleil, Lune, Jupiter… ;

− le pot à feu ;

− le buste d’Hermès accompagné du caducée et de la trompette de la Renommée ;

− le buste de Vénus, accompagné des palmes ;

− des têtes de lions, représentant la Force ;

− au centre une couronne de laurier, liée par des rubans.

Et, à cette occasion, nous pouvons lire, dans « l’Épître au lecteur » de 1567 du Traité d’Architecture de Philibert Delorme, la désignation de Dieu en tant que « Grand Architecte de l’Uni-vers », expression qui sera adoptée par la future franc-maçonne-rie spéculative deux siècles plus tard.

11. V.I.T.R.I.O.L. est la compression d’une expression alchimique écrite en latin qui est : « Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem », soit en français : « Visite le centre de la Terre et en rectifiant ta pensée tu trouveras la Pierre cachée des Sages ». C’est à ce travail d’introspection que Philibert Delorme invite l’architecte.



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Hermétistes, kabbalistes et alchimistes…

Après avoir abordé brièvement l’importance de la pensée de la Renaissance sur l’art de la construction, quels sont maintenant les autres courants de pensée qui ont pu exercer une influence sur ce qui sera plus tard la maçonnerie spéculative à ses débuts ? On décèle plusieurs sources convergentes. Nicolas de Cuse essaie de montrer l’existence d’un même Dieu à travers la multiplicité des croyances ; l’académie florentine dirigée par Cosme de Médicis se penche sur le néoplatonisme, la kabbale et l’hermétisme. La science d’Hermès est redécouverte en cette période, avec la traduction du Corpus Hermeticum par Marsile Ficin en 1463 ; la kabbale juive deviendra la kabbale chrétienne, christianisée par Pic de la Miran-dole et Reuchlin qui en seront les plus brillants représentants ; la tradition pythagoricienne et platonicienne sera mise à l’honneur par Plotin. À travers toute l’ Europe, les élites intellectuelles vont donc se pencher sur toutes ces doctrines. Des noms illustres vont ainsi émerger : Campanella, Giordano Bruno, Paracelse, John Valentin Andrea, John Dee, Robert Fludd, Corneille Agrippa, etc.

Johan Valentin Andreae (1586-1654). À côté un second tableau représentant des emblèmes alchimiques et les vertus correspondantes.

(Source, Bibliotheca Philosophica Hermetica, Amsterdam)


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Portrait du docteur Robert Fludd (1574-1637).« Robertus de Fluctibus, alias Robert Fludd écuyer et docteur en médecine

de l’université d’Oxford ».(Source, Bibliotheca Philosophica Hermetica, Amsterdam)

Buste de l’occultiste Henri Corneille Agrippa (1486-1535).(Extrait du Traité de philosophie occulte, Éd. Chacornac, 1910, coll. personnelle)



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John Dee, Monas Hieroglyphica, Anvers, 1564.« Opuscule hermétique où John Dee démontre l’unité de l’univers à partir de l’un :

le point, qui est “la monade”, d’où sont issus la ligne et le cercle. »(Source, Bibliotheca Philosophica Hermetica, Amsterdam)

En Angleterre, nous rencontrons dans la première moitié du xvie siècle le fameux John Dee (1527-1608), mathématicien, astro-nome et occultiste, qui a passé une grande partie de sa vie à s’occu-per d’alchimie. Au moment où paraît la première traduction d’Eu-clide en langue anglaise en 1570, à laquelle il a participé pour une grande partie, il en fera la préface pour les ouvriers des « arts méca-niques » selon l’expression de cette époque. C’est important, car


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cela montre l’intérêt que portaient certains mages et occultistes de cette époque sur les francs-maçons opératifs et sur leur confrérie. On comprendrait mieux alors les influences qui ont pu s’y exercer.

Contemporain de Philibert Delorme, Jacques Barozzi est né à Vignola, une petite ville près de Bologne en 1507. Il s’intéressa d’abord à la peinture, puis à l’architecture et travailla à Rome où il construisit diverses églises et en particulier à la basilique Saint-Pierre-de-Rome. Jacques Barozzi de Vignoles fera un développement sur les cinq ordres d’architecture.

Philibert Delorme et Jacques Barozzi de Vignoles apparaissent comme les représentants d’un phénomène de civilisation et d’un mouvement de pensée, qui nous paraissent étroitement liés aux origines de la franc-maçonnerie, et qui ont certainement contri-bué de façon déterminante à modeler la spiritualité maçonnique.

L’apparition de la franc-maçonnerie en Angleterre et en Écosse

Un siècle plus tard (xviie siècle), on assiste en Angleterre et en Écosse à la naissance de ce que l’on pourrait appeler une maçon-nerie « préspéculative », et peut-être dès la fin du xvie siècle chez cette dernière. À cette même époque, la mythique Rose+Croix, nous en reparlerons plus loin, est apparue subitement dans les dix premières années du siècle, et ne cessera de fasciner les esprits. La tombe de Christian Rosenkreutz, soi-disant redécou-verte, « libéra un fantôme qui devait hanter l’Europe jusqu’à nos jours ». Certains ne crurent y voir qu’un mythe, d’autres crurent y déceler l’existence d’une société secrète bien réelle. René Descartes (1596-1650) les cherchera en vain. Mais Robert Fludd (1574-1637), même s’il n’avoua jamais son appartenance à ce mouvement, en sera un de ses plus illustres représentants.

On ne sait plus très bien aujourd’hui qui, de l’Écosse ou de l’Angleterre, a été à l’origine de l’apparition de la franc-maçonnerie dite « spéculative », ouverte aux adeptes de tous



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âges et de tous métiers, à côté de l’ancienne maçonnerie dite « opérative », qui n’était composée que de gens de « métiers », et qui conservait peut-être dans ses loges un savoir secret, héri-tier de la géométrie d’Euclide et des théories pythagoriciennes.

Il y a lieu de ne pas confondre ces deux formes de maçonnerie. La première comprend essentiellement des opératifs : maçons, tailleurs de pierre, sculpteurs, pour ne prendre que les métiers de la pierre. Leurs « secrets » étaient essentiellement des secrets de métier qu’ils gardaient d’ailleurs jalousement dans l’espace fermé des loges. Avaient-ils des secrets d’une autre nature ? On peut le penser, sans toutefois en avoir la preuve formelle. Mais, dans la mesure où leur principal commanditaire était l’Église, qui les employait sur les immenses chantiers de cathédrales ou de monastères, celle-ci a sans doute voulu créer un ordre de travail-leurs manuels, et n’a pas manqué de leur rédiger des statuts et règlement, auxquelles s’est ajoutée une histoire légendaire de leur confrérie, dans le but de faire honneur à ces ouvriers habiles et ingénieux, ces « logeurs du Bon Dieu », comme on les appelait parfois. Histoire remplie de merveilleux, tirée des Apocryphes et de la construction du temple de Salomon, qui conférait à l’acti-vité de maçon un passé glorieux et mythique tout à la fois.

La seconde, dite « maçonnerie spéculative », se propose par le biais de l’initiation de mieux se connaître, de comprendre le monde et ses semblables.

La théorie de la « transition » et de « l’acceptation »

Ce point de vue exprimant une continuité historique des premiers vers les seconds repose sur la vieille théorie de la « transition » de l’historien anglais Harry Carr (1900-1983), qui le prétendait, et qui ne fait plus force de loi depuis plusieurs décennies déjà. En quoi consistait-elle ?


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Elle partait de l’existence en Angleterre, des maçons de métier ou « maçons opératifs » depuis les temps les plus reculés, travaillant en particulier durant le Moyen Âge chrétien sur les chantiers de cathédrales. C’était le cas sur le continent ainsi qu’en Angleterre ou en Écosse. Après la guerre de Cent Ans, les épidémies de pestes et autres calamités naturelles, les guerres de religion, et pour certains, l’arrestation des templiers12 ont contri-bué à ralentir l’activité des chantiers, tandis que l’Église était obligée de recourir aux indulgences pour trouver de l’argent afin de terminer ce qui avait été commencé. Les loges de bâtisseurs auraient alors songé à recevoir dans leurs rangs des « non-opéra-tifs », qui n’étaient pas des gens de métier, et qui devenaient ainsi des garants de la survie de celles-ci. Elles auraient reçu ainsi des nobles, des bourgeois aisés, des artisans boutiquiers, et, enfin, des intellectuels, tous étant attirés par les mystères et les secrets qui se trouvaient cachés au sein des loges. À la fin du xvie et au début du xviie siècle, les opératifs seraient devenus mino-ritaires, puis, à la fin de ce siècle, auraient disparu complète-ment, peut-être avec l’arrêt définitif des grands chantiers. Ce que nous venons de dire ne concerne évidemment pas le continent, puisque la maçonnerie y est venue d’Angleterre dans les années 1725-1730, alors que les rites de la maçonnerie spéculative s’y étaient déjà constitués, comme en témoignent les premières divulgations (Le lieutenant de police Hérault, 1735 et l’abbé Pérau, L’ordre des francs-maçons trahi, 1742, etc.).

Cette théorie a montré quelques faiblesses.

La franc-maçonnerie est anglaise et écossaise (géographiquement parlant) de par ses origines

Mais, bien qu’elle ne fasse son apparition dans l’Histoire qu’en 1717, près d’un siècle plus tôt, en Angleterre et en Écosse, on voit

12. Raoul Vergez, Les Tours inachevées, Éd. Julliard, 1959.


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Table des matières

Remerciements 5

Introduction 7

Avant-propos 11Mais pourquoi l’alchimie a-t-elle été introduite dans la franc- maçonnerie ? 11L’Écossisme et la franc-maçonnerie 12Les Frères de la Rose+Croix et leur influence 14

Première partieCes courants ésotériques aux sources de la franc-maçonnerie spéculative

Chapitre 1

Des sources lointaines jusqu’à la création de la Grande Loge de 1717 21Au Moyen Âge : Villard de Honnecourt et l’art de géométrie 21Le renouveau humaniste à la Renaissance 22Hermétistes, kabbalistes et alchimistes… 26L’apparition de la franc-maçonnerie en Angleterre et en Écosse 29La théorie de la « transition » et de « l’acceptation » 30La franc-maçonnerie est anglaise et écossaise (géographiquement parlant) de par ses origines 31



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La franc-maçonnerie va se constituer en un système en trois degrés : Apprenti, Compagnon et Maître 33

Chapitre 2

Les évolutions de la maçonnerie au cours du xviiie siècle 37La franc-maçonnerie s’est approprié un « pan entier des traditions ésotériques de l’Occident » 37La franc-maçonnerie sur le sol de France 39Les courants « illuministes » au xviiie siècle. Leur rôle dans la franc-maçonnerie 40La Théorie « occultiste », selon René Le Forestier 44

Chapitre 3

Qu’est-ce que l’alchimie ? 49De l’hermétisme à l’alchimie 49La Table d’Émeraude ou Tabula Smaragdina 53L’alchimie et sa doctrine 57 Origines de l’alchimie 75Les grandes étapes de l’alchimie 77Les étapes et la conduite de l’œuvre alchimique 81Résumé des différentes étapes du Grand Œuvre alchimique 92

Chapitre 4

Symboles maçonniques ou alchimiques ? Le problème est loin d’être résolu ! 95Le Soleil et la Lune 96Le delta lumineux 97Le « Rebis alchimique » 98La rose mystique 100Le phœnix et le pélican 102L’alchimie aurait-elle été transmise aux maçons spéculatifs par les maçons de métiers du Moyen Âge ? 102

Chapitre 5

Rose+Croix et alchimistes, une singulière rencontre 109La filiation lointaine du rosicrucianisme 112Le cercle de Tübingen et les manifestes du xviie siècle 112L’évolution de la Rose+Croix du xviie siècle à nos jours 121


Table des matières

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Chapitre 6

Alchimistes rosicruciens précurseurs de la franc-maçonnerie ? 123Un siècle après le temps de la Fama 124La Royal Society et les adeptes de la Rose+Croix 125La Gold und Rosenkreutz : un ordre maçonnique et rosicrucien 126La réception de Sigismund Bacstrom à l’île Maurice en 1794 128La quête de l’immortalité chez les anciens Rose+Croix 130

Seconde partieAlchimie et Écossisme

Chapitre 7

Le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) et les « mystères de l’Écossisme » 137Les débuts de la maçonnerie en France seraient-ils « écossais » ? 137Quelle est l’origine du grade de « Maître Écossais » ? 141Historicité du Rite Écossais 141Création en 1802 du Rite Écossais Ancien et Accepté ou REAA en 33 degrés 143Qu’est ce qui caractérise la symbolique du REAA ? 144La devise Ordo ab Chao 146

Chapitre 8

Le Rite Écossais Ancien et Accepté et l’alchimie 149L’alchimie dans les trois premiers degrés ou « degrés symboliques » 149L’alchimie au REAA dans les « Loges de perfection » 170L’alchimie au REAA au sein des « Degrés capitulaires » 177L’alchimie au REAA dans les aréopages 196

Conclusion 207

Annexes 211

Annexe 1

Le compas des Sages de la « Rose+Croix d’or » 213Les symboles de ce tableau de loge 214



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Explication sommaire de cette figure 215

Annexe 2

Le « Rebis » de Basile Valentin et ses symboles hermético-maçonniques 219

Annexe 3

Lexique des termes et expressions alchimiques utilisés 225

Annexe 4

Admission de S. Bacstrom, dans la Société de la Rose+Croix à l’île Maurice en 1794 (extrait de The Rosicrucian, Londres, 1876) 229

Orientation bibliographique 235Franc-maçonnerie 235Hermétisme et alchimie 236Rose+Croix 237

Index des noms propres 239


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