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Journal rêvé d’un président

amoureux

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François H.

Journal rêvé d’un président

amoureux

Cent Mille Milliards

Roman

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Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122–5, 2e et 3e alinéas, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (article L. 122–4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 135–2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © François H., 2016pour Cent Mille Milliards

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Au fait

Ce livre est une œuvre de pure fiction qui a pour théâtre le monde politique. La formidable pression qu’exercent les acteurs de ce monde sur les médias, et donc sur notre imaginaire collectif, pourrait conduire certains lecteurs à inventer des ressemblances entre les personnages ou des situations de ce roman et des personnes ou des faits exis-tants ou ayant existé. Bien entendu, ces ressemblances ne sauraient être que fortuites.

Pour citer un auteur célèbre, ancien membre du gou-vernement, qui indique en tête de son roman traitant des relations entre la sphère politique et celle des affaires : « Ceci est un roman. L’auteur a donc pu tout inventer. Mais le lecteur peut imaginer que tout est vrai. Et l’auteur ne le démentira pas. »

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« En Orient, on a, de tout temps, multiplié l’usage des femmes, pour leur ôter l’ascendant prodigieux qu’elles ont sur nous dans ces climats. »

Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains

et de leur décadence, 1734

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J’entame ce journal un vendredi soir, trois semaines après la publication de cette couverture de magazine qui a fait le tour de la planète ; celle où j’apparais en tenue de motard, crois-sants au poing, au pied de l’appartement de ma bien-aimée. Au bout de ces trois semaines de tsunami politico-média-tique, scandées par l’hospitalisation de la Première dame, la tenue d’une conférence de presse majeure et l’officialisation de notre rupture par une dépêche AFP, il est venu un moment où mes conseillers, épuisés, ont eu envie de rentrer chez eux. Je me suis soudain retrouvé très seul dans ce palais trop grand pour moi.

Errant, un peu désemparé, dans les appartements pri-vés, j’ai vu un jeu de cartes qui traînait sur une table. Dieu sait si je déteste les cartes, mais ce jeu m’a paru être la seule surprise possible dans cette pièce désespérément déserte et anonyme. J’ai ouvert la boîte, déployé le jeu sur la table. Puis, comme si j’étais guidé par une main invisible, j’en ai

1.

Les fées et le berceau

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sorti les quatre dames et les ai disposées en croix : pique, cœur, carreau, trèfle.

Je suis resté quelques minutes en arrêt, comme fasciné par ces quatre figurines. À force de les fixer intensément, j’ai vu apparaître quatre visages, quatre visages de femme qui, bientôt, se sont confondus avec ceux des cartes : celui, altier, de Ségolène, la mère de mes enfants, s’est posé en premier sur la dame de pique, celle qui symbolise l’ordre et l’autorité ; celui, plus carré, de Valérie, l’ex-Première dame, choisit sans hésiter la dame de carreau, celle qui figure la force et le conflit ; celui, ovale et délicat, de Julie, ma nou-velle compagne, investit plus doucement la dame de trèfle, allégorie de cette chance qui est, comme elle, secrète, furtive et insaisissable.

La dame de cœur, qui incarne l’amour, attendit quelques minutes avant qu’un quatrième visage ne vienne lui prêter ses traits. Ce fut finalement celui de Maria qui s’imposa, souriant et confiant comme à son habitude. Ce choix me sur-prit tant notre idylle fut légère, pour ne pas dire inexistante, comparée à celles qui me lièrent à mes autres compagnes. Mais c’est sans soute cette légèreté, si rare dans mes rap-ports avec les femmes, qui justifia qu’en ce moment précis elle devint dame de cœur.

Dès que les quatre cartes furent couvertes par les quatre visages, une énergie fabuleuse s’empara de la table. En connectant les femmes de chair et les figurines de carton, j’avais mis en route une diabolique machine à remonter le temps. En quelques secondes, le film de ma vie défila en accéléré, et j’eus l’impression de me trouver dans le tambour d’une machine à laver tournant à plein régime.

Lorsque je repris mes esprits, essoré et hagard, tout mon être était pénétré d’une absolue certitude : sans ces

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femmes, je ne serais jamais devenu ce que je suis. Sans elles, je ne serais jamais devenu président.

Cette idée avait beau être en totale contradiction avec le principe de « séparation de la vie publique et de la vie privée » que j’ai toujours érigé en dogme, elle s’est imposée à moi avec la force d’une évidence. Je veux dire qu’elle s’est imposée à moi physiquement.

Dès lors, le rationnel que je suis n’eut plus qu’une seule idée en tête : comprendre comment tout cela avait pu arriver ; démêler l’écheveau ; rejouer, au ralenti, cette partie de cartes

– une partie entre quatre dames et un roi – que je venais de voir défiler à toute vitesse. Une partie où tous les coups étaient permis, où le poker menteur régnait en maître, ou chacun et chacune avaient joué double ou triple jeu.

Je tirai une carte au hasard pour occuper le vide laissé entre les quatre dames, et je tombai sur le valet de cœur. Aussitôt, une autre allégorie s’imposa à moi : ces quatre reines regardant le valet étaient quatre fées se penchant sur un berceau. Le terme de fées me surprit tant certaines, Valérie en particulier, s’étaient éloignées, avec le temps, de cet archétype angélique. L’image du berceau me parut cependant assez juste. Bien que j’aie récemment doublé le cap de la soixantaine, j’ai encore souvent l’impression d’être un vieil adolescent inachevé. L’image de ces dames se penchant sur moi me convainquit de l’idée que ma vie n’avait été qu’une longue éromorphose : je veux désigner par ce néologisme la transmutation, par la magie des femmes, d’un passe-muraille en séducteur, d’un valet en roi, d’un secrétaire en président.

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Si je voulais un jour fendre l’armure, comme le réclament mes communicants, je ne pourrais le faire qu’en parlant d’elles. Elles sont, à l’évidence, les clefs de la cage mentale où, sans m’en rendre compte, je me suis enfermé.

Même mes plus proches amis avouent aujourd’hui ne pas me connaître. Qu’ils se rassurent, je ne me connais pas non plus. La vérité est que je vis depuis quarante ans dans une carapace. Mon ton badin et mes petites blagues ne sont rien d’autre qu’un formidable gilet pare-balles. Depuis que je suis entré en politique, je n’ai jamais baissé ma garde. Et aujourd’hui, je n’en peux plus. Il est grand temps, pour moi, de fendre cette armure qui me corsète et m’étouffe. Si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais. Ma seule façon d’y parvenir, c’est de parler de ce qui m’est le plus cher, de ce qui m’a le plus touché dans ma vie. Mes seuls moments de sincérité, c’est avec elles que je les ai partagés, même lorsque je leur ai menti.

⋆⋆ ⋆

Si j’ai envie, depuis quelques jours, de parler de mes com-pagnes, c’est d’abord pour essayer de me comprendre.

Ces confidences n’ont donc rien à voir avec des mémoires légères dans le style d’un Casanova1. Mon seul point commun avec l’aventurier vénitien, et c’est bien le seul, est l’épouvantable solitude que je dois désormais affronter chaque soir dans ce palais décidément trop vaste pour moi. Comme lui, je me réfugie aujourd’hui dans l’évocation de

1. Casanova écrivit ses célèbres mémoires au château de Dux, en Hongrie, dans la plus totale solitude.

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mes souvenirs pour combler le vide absolu qu’est devenue ma vie affective.

Certains ont leur blog, d’autres ont leurs tweets (et je sais de quoi je parle). Je préfère m’épancher sur du papier, prendre le temps de ciseler les mots, me garder la possibilité de corriger, comme je le fais pour mes discours. Les sen-timents ne peuvent se décrire que dans la nuance, surtout lorsqu’ils sont partagés entre plusieurs femmes. S’il est facile de dire « Je t’aime » à une seule, on ne peut le dire pareillement à deux, à trois ou à quatre.

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En relisant ces premières pages, je comprends que ce journal est déjà en train de m’échapper, de s’écrire presque malgré moi. Et je trouve l’idée formidablement excitante.

Le fait le plus remarquable est que mon écriture consi-dérée, à juste titre, comme illisible par mes collaborateurs, s’est déjà redressée et arrondie. J’ai pris le temps de former des lettres, de peser mes mots et de rédiger des phrases.

Ce journal a déjà modifié mon rapport au temps, et donc mon rapport à moi-même. J’attends maintenant de lui qu’il me libère complètement. Qu’il me transforme.

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Je suis un animal politique, et tous ceux qui, abusés par ma jovialité, ont pu en douter, l’ont en général regretté. Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs, il me semble que mes émois amoureux ont toujours eu une dimension politique. Les filles qui m’attiraient étaient soit celles qui jouissaient d’une position particulière dans le groupe que je fréquentais, soit celles qui m’aidaient, par leurs regards, leurs sourires ou leurs encouragements, à prendre position dans ce groupe.

Mon attirance pour Ségolène n’échappa pas à cette règle mais, comme toujours avec elle, en suivant une trajectoire un peu compliquée. Dans la promotion de l’ENA où nous nous sommes connus, Ségolène était loin d’être la diva qu’elle est devenue aujourd’hui. Elle était plutôt dans le rôle de la petite institutrice provinciale qui regardait avec méfiance ce bocal très parisien. Quant à moi, je jouissais déjà d’une position privilégiée puisque j’avais réussi à me

2.

La dame de pique

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faire élire comme délégué des élèves. Elle n’était pas pour autant prête à me porter allégeance. Je crois même que mon personnage de chef de bande – François, Michel, Jean-Pierre et les autres – l’agaçait passablement.

À la voir aujourd’hui, la soixantaine rayonnante, on pourrait penser que nous étions tous amoureux d’elle. Ce fut loin d’être le cas. Il faut dire qu’elle se donnait beaucoup de mal pour décourager nos libidos frémissantes. Avec ses lunettes sécurité sociale, ses jupes taillées dans du tissus d’ameublement, ses postures d’institutrice, ses serre-têtes en velours et ses sourcils brut de brut, elle arborait la pano-plie complète de la nonne qui tient à le rester. La protection (car c’en était une) était si parfaite que certains de mes amis l’avaient surnommée Miss Glaçon. Pour s’assurer qu’aucun de nous ne serait tenté de la faire fondre, elle ajoutait à ce look peu avenant des attitudes distantes, une participation minimale à nos réunions amicales et une sympathie affichée pour les thèses féministes. Bref, nous étions loin de nous bousculer autour de l’égérie, comme les copains de Paulette dans la célèbre chanson À bicyclette.

Je découvris la vraie Ségolène lors d’un stage de ski organisé par l’ENA à Font-Romeu, un stage où nous devions choisir le nom de notre promotion. Le débat faisait rage entre les réalistes qui, comme moi, en tenaient pour Vol-taire, et les romantiques qui préféraient Rousseau ou Droits de l’Homme (ce débat est d’ailleurs toujours d’actualité au sein de la gauche). Comme on lui demandait son avis, Ségolène proposa tout à trac le nom de Louise Michel, en arguant qu’une seule promotion portait un nom de femme (la promotion Simone Weil) et qu’il était grand temps de remédier à cette scandaleuse injustice. Le ton véhément, passionné, sans concession, de son plaidoyer installa un

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silence immédiat. La provinciale timide nous démontra, en quelques secondes, qu’elle en avait sous le pied. Si elle ne parvint pas à convaincre l’auditoire (certains de mes amis se laissèrent même aller à quelques ricanements), elle réussit à m’émouvoir. Connaissant le peu de crédit dont elle disposait dans la promotion, je lui trouvais un sacré culot. Cette fille, à l’évidence, était capable d’affronter n’importe quel public, sur n’importe quel sujet, dans n’importe quel coin de France ou de Navarre.

Elle enleva ses lunettes pour essuyer la buée qui s’y était formée ou, peut-être, pour ne pas voir les camarades qui se moquaient d’elles. Je fus frappé par la finesse de ses traits et par l’intensité de son regard qui avait quelque chose de félin. Je ne fus pas insensible, non plus, à l’éner-gie qui émanait de son corps, un corps qu’un fuseau de ski ajusté me laissait enfin découvrir. Je pense pouvoir affirmer que j’éprouvais ce soir-là une émotion nouvelle pour moi, une émotion qui était tout à la fois politique et érotique, et cette émotion hybride se mit progressive-ment à résonner dans tout mon être avec une violence incroyable. Je ne me doutais pas encore que ma vie ne cesserait d’être ballottée entre ces deux formes d’énergie. Capables de me donner une force inouïe quand elles se combinaient, elles faillirent plusieurs fois me détruire quand elles s’opposèrent. Je ne soupçonnais pas non plus que le caractère hybride de mon attirance pour Ségolène signait sa non pérennité ; que le jour où nous serions politiquement concurrents, Eros rentrerait dans sa niche ou, pire encore, se muerait en Thanatos.

Je n’étais ni le plus beau ni le plus intelligent de la promotion, et ce fut pourtant moi qu’elle choisit. Avais-je deviné sa formidable envie d’autonomie ? Avais-je pressenti

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sa méfiance viscérale vis-à-vis des garçons trop sûrs d’eux ? J’avais su, en tout cas, l’apprivoiser.

Je tissais ma toile avec la patience d’une araignée. Je m’arrangeai pour faire équipe avec elle à l’occasion d’un stage dans l’habitat social dont personne ne voulait. C’est ainsi que nous nous retrouvâmes tous les deux en pleine pampa, du côté de Chanteloup-les-Vignes, laissant les petits camarades grenouiller sur les moquettes ministérielles.

Elle connaissait de moi le joyeux compagnon, le chef de bande, le champion des petites blagues. Je m’efforçai de lui démontrer que j’avais aussi une vraie sensibilité sociale. Je lui appris à jouer au baby-foot avec les gamins du quartier et, bien vite, elle devint une attaquante redoutable, préférant tenir les avants et me laisser garder les buts. Je fus si convaincant dans mon rôle d’animateur social qu’elle m’offrit notre premier baiser dans une cage d’escalier HLM en sortant d’une réunion de mères célibataires. Mère céli-bataire ! Elle aurait dû se méfier.

Je me débrouillais pour être choisi. Je crois que j’ai toujours procédé ainsi. Ma timidité maladive, mon manque de confiance en moi, ma peur de l’échec amoureux m’ont appris dès le plus jeune âge à adopter des stratégies de patience, des stratégies d’encerclement. Certains chassent à courre, en bruyant équipage ; moi, je chasse à l’affût, tapi dans l’ombre, attendant que les biches viennent me manger dans la main.

Comme je les ai enviés, dans mon lycée Pasteur, ces beaux gosses qui n’avaient qu’un petit doigt à lever pour séduire les filles. Comme je les ai détestés, à HEC, ces fils de familles habillés chic et parlant fort qui captivaient d’emblée l’attention des plus belles. C’est à cette époque que j’ai commencé à cultiver un talent dans les petites blagues.

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Puisque je ne pouvais m’imposer comme un séducteur cré-dible, je revendiquais le rôle de confident. C’est ainsi que j’appris à connaître les femmes. En confiance, elles me racontaient tout de leurs espoirs, de leurs peines et de leurs stratégies amoureuses. Je les faisais rire, je les écoutais avidement mais ne me livrais point. J’étais le bon copain, le dépanneur, une position qui me laissait quand même de belles compensations. J’appris à en tirer le meilleur. En ces temps-là, j’avouais à mes amis : « Avec les filles, c’est comme en anglais, je suis médiocre. » Cette phrase résume assez bien l’état d’esprit qui était alors le mien. Une partie de la phrase (« je suis médiocre ») exprime ma lucidité. Une autre (« comme en anglais ») explique que je ne considérais pas cette médiocrité comme irrévocable ; qu’en travaillant un peu, je pouvais améliorer la note. Et c’est bien, il me semble, ce qui s’est produit.

Pendant de longues années, j’ai adoré ce contraste entre la Ségolène publique, et ses allures d’institutrice, et la Ségo-lène privée, qui ne se privait pas. Si certains justifient leurs écarts amoureux par la froideur de leur épouse, je ne pourrai décemment invoquer cette excuse. Ségolène savait apporter à l’amour toute l’énergie qu’elle met dans les autres affaires. Les migraines ne faisaient pas partie de son vocabulaire.

De son éducation militaire, elle avait gardé l’idée que toutes les choses de la vie, amour compris, doivent être menées tambour battant. « À nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent ! » chantaient les Saint-Cyriens, que je fréquentais pendant deux mois à Coëtquidan. Nous étions loin d’imaginer que nos rodéos, joyeux et innocents, étaient le prélude d’affrontements moins tendres et plus musclés.

D’après les témoins de l’époque, nous formâmes immé-diatement un couple très politique. Dès la sortie de l’ENA,

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nous allâmes contacter ensemble ceux qui comptaient dans l’entourage du candidat de l’Union de la gauche aux pré-sidentielles. Et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes, un an plus tard, tous les deux conseillers du président, dans ce Château que j’occupe aujourd’hui.

Je garde un souvenir merveilleux de cette époque. Que j’envie aujourd’hui notre belle insouciance ! Nous rédigions des notes et nous pensions gouverner. Il suffisait que nos copies reviennent avec un « Vu. » du président pour que nous fussions convaincus d’avoir changé le monde. Nous buvions les premières gouttes de cet élixir délicieux qui s’appelle le pouvoir. En fait, nous ignorions tout de lui, des sacrifices qu’il faudrait accepter pour le conquérir, des fièvres et des haines qu’il nous faudrait affronter pour le conserver.

Le président nous proposa des circonscriptions qui n’étaient pas toujours faciles. Après quelques ratés, nous devînmes tous deux députés et fîmes notre entrée ensemble à l’Assemblée nationale. J’adore cette photo, publiée en couverture d’un grand magazine populaire, où l’on nous voit tous les deux, posant devant la Chambre des députés, un cartable à la main. Elle dit à la fois notre jeunesse, notre ambition et notre totale confiance en l’avenir. Les journa-listes nous surnommèrent alors les Peynet de la gauche, en référence à ces gentils amoureux un peu niais inventés par le dessinateur éponyme. Seul le photographe avait compris la formidable énergie politique qui se dégageait de ce cliché apparemment inoffensif. Lui seul avait pressenti que le mignon petit couple que nous formions était une bombe qui allait bientôt faire exploser la vie politique de notre pays.

Ces premières années passèrent comme un éclair. Nous fîmes quatre beaux enfants dont les parrains furent, bien sûr, les camarades de Sciences Po et de l’ENA. Quand je revois

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les photos de cette époque, je suis fasciné par le bonheur qui en émane. Un bonheur que je n’ai jamais retrouvé dans une forme aussi simple.

Ségolène m’a comblé au-delà de tout ce que je pouvais imaginer. Je n’ai pas commis de plus absurde bêtise que le jour où j’ai dit publiquement à une autre, c’est-à-dire à Valérie, qu’elle était la femme de ma vie. Ségolène, seule, méritait ce genre de déclaration. Mais aujourd’hui, si je la faisais, qui me croirait ? Sûrement pas elle, en tout cas.

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