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Acta Ethnographica Hungarica, 55 (1), pp. 171-259 (20JO) DOl: 10.1556/AEthn.55.2010.1.11 COMMlTNICATIONS FRANÇOIS-XAVIER EDER : MISSIONS JÉSUITES AU I8 e SIÈCLE EN AMAZONIE ACTUELLEMENT BOLIVIENNE (NEUVIÈME ET DERNIER ARTICLE) : MODE DE VIE ET VISION DU MONDE DES INDIENS, VIE DANS LES RÉDUCTIONS ET RÉPONSE AUX CRITIQUES TRANSCRIPTION ET TRADUCTION PAR Joseph LAURE ISOrue Jean-Jaurès, E3 - F93470 Coubron, France E-mail: [email protected] Abstract: lndian way of life and vision of the world, lift in the reductions and a response to the critics. This last article is a transcript and French translation of the last seven chapters (6 to 12)of Book 3 of the Latin manuscript by the Jesuit F. X. Eder on the missions or reductions in the Amerindian nations of the Moxos and Baures, It is the continuation of the first eight articles on the Jesuit missions in the now Bolivian Amazon basin in the 18th century, entitled: 1. Lima, Peru, and their inhabitants in the 18thcentury. 2. Jesuit missions in the now Bolivian Amazon basin in the 18th century. 3. Quality ofthe sail and description ofthe Indians. 4. Constructive works, beliefs and superstitions ofthe Indians, and how to convince them to join a reduction. S. Trees,fruits, plants and mammals. 6. Birds, hunting, crocodiles, dolphins.fishes andfishing. 7 Fauna (last part), poisons and antidote, arms used by Indians for hunting and fishing. 8. Choice of a spouse, feasts and games, meals, food and drink, handicraft and arts. Keywords: Amazon basin, Amerind, Baure, Beliefs, Bolivia, Jesuit mission, Moxo, Reduction, Social life, Vision of the world, Way oflife Voici le neuvième et dernier article sur les Missions jésuites au 18' siècle en Ama- zonie actuellement bolivienne. Il concerne les sept derniers chapitres (6 à 12) du Livre troisième. Eder y parle de la manière de vivre, des maladies et du grand détachement des Indiens, puis de la conception, des accouchements et des activités des Indiennes, de la vie et de l'organisation sociale dans les réductions, du financement des missions, de la vie spirituelle et du culte, de la vision du monde des Indiens, enfin il répond aux critiques. Le premier articlel, intitulé Lima, le Pérou et leurs habitants au 18' siècle, présentait l'introduction (Dissertation préliminaire sur le royaume du Pérou) de la Brève descrip- 1 Acta Ethnographica Hungarica, 48 (1-2), pp. 173-247 (2003). 1216-9803/$ 20.00 © 2010Akadémiai Kiadô, Budapest

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Acta Ethnographica Hungarica, 55 (1), pp. 171-259 (20JO)DOl: 10.1556/AEthn.55.2010.1.11

COMMlTNICATIONS

FRANÇOIS-XAVIER EDER :MISSIONS JÉSUITES AU I8e SIÈCLE EN AMAZONIE

ACTUELLEMENT BOLIVIENNE(NEUVIÈME ET DERNIER ARTICLE) :

MODE DE VIE ET VISION DU MONDE DES INDIENS, VIEDANS LES RÉDUCTIONS ET RÉPONSE AUX CRITIQUES

TRANSCRIPTION ET TRADUCTION PAR

Joseph LAURE

ISOrue Jean-Jaurès, E3 - F93470 Coubron, FranceE-mail: [email protected]

Abstract: lndian way oflifeand vision ofthe world, lift in the reductions and a response to thecritics. This last article is a transcript and French translation ofthe last seven chapters (6 to 12)of Book 3of the Latin manuscript by the Jesuit F. X. Eder on the missions or reductions in the Amerindian nationsof the Moxos and Baures, It is the continuation of the first eight articles on the Jesuit missions in the nowBolivian Amazon basin in the 18th century, entitled:

1. Lima, Peru, and their inhabitants in the 18th century.2. Jesuit missions in the now Bolivian Amazon basin in the 18th century.3. Quality ofthe sail and description ofthe Indians.4. Constructive works, beliefs and superstitions ofthe Indians, and how to convince them to join a

reduction.S. Trees,fruits, plants and mammals.6. Birds, hunting, crocodiles, dolphins.fishes andfishing.7 Fauna (last part), poisons and antidote, arms used by Indians for hunting and fishing.8. Choice ofa spouse, feasts and games, meals, food and drink, handicraft and arts.Keywords: Amazon basin, Amerind, Baure, Beliefs, Bolivia, Jesuit mission, Moxo, Reduction,

Social life, Vision of the world, Way oflife

Voici le neuvième et dernier article sur les Missions jésuites au 18' siècle en Ama­zonie actuellement bolivienne. Il concerne les sept derniers chapitres (6 à 12)du Livretroisième. Eder y parle de la manière de vivre, des maladies et du grand détachementdes Indiens, puis de la conception, des accouchements et des activités des Indiennes,de la vie et de l'organisation sociale dans les réductions, du financement des missions,de la vie spirituelle et du culte, de la vision du monde des Indiens, enfin il répond auxcritiques.

Le premier articlel, intitulé Lima, le Pérou et leurs habitants au 18' siècle, présentaitl'introduction (Dissertation préliminaire sur le royaume du Pérou) de la Brève descrip-

1 Acta Ethnographica Hungarica, 48 (1-2), pp. 173-247 (2003).

1216-9803/$ 20.00 © 2010 Akadémiai Kiadô, Budapest

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172 Joseph LAURE

tion des missions de la Société de Jésus de la Province du Pérou dite des Moxos par unPère jésuite qui y fut missionnaire pendant quinze ans, à savoir F. X. EDER.

Le second article2, intitulé Réductions moxos et baures : missions jésuites d'Amazo­nie bolivienne, concernait les cinq premiers chapitres du Livre premier.

Le troisième article3, intitulé Fertilité de la terre et description des Indiens, se rappor­

tait aux chapitres 6 à 8 de ce même Livre premier.Le quatrième article4, intitulé Ouvrages d'art, croyances et superstitions des Indiens,

et comment les attirer dans les réductions, traitait les derniers chapitres (9 à 12) du Livrepremier.

Le cinquième article5, intitulé Arbres, fruits, plantes et mammifères concernait les

deux premiers chapitres du Livre second.Le sixième article6, intitulé Oiseaux, chasse, crocodiles, dauphins, poissons et pêche

présentait quatre chapitres (3 à 6) du Livre second.Le septième article?, intitulé Faune (suite etfin), poisons et antidote, armes de chasse et

de pêche des Indiens se rapportait aux quatre derniers chapitres (7 à 10) du Livre second.Le huitième article8 parlait du choix des époux, des fêtes et des jeux, des repas, des

mets et des boissons, de l'artisanat et des arts chez les Indiens.

Que le lecteur se réfère aux précédents articles pour la présentation du manuscritlatin de F. X. EDER, pour la bibliographie générale et pour la présentation des réductions,missions jésuites auprès des Indiens d'Amazonie actuellement bolivienne, ainsi que pourles remerciements.

Pour le lecteur, les indications suivantes permettront une meilleure compréhensionde la transcription:

? = doute sur la lettre ou le mot du manuscrit (? accolé juste après la lettre ou le motdouteux),

... = partie indéchiffrable,

(ajouté) = ajouté parce qu'illisible ou manquant,

[à supprimer] = lettre ou mot du manuscrit original à supprimer, par exemple en casde faute d'orthographe ou de grammaire,

m est transcrit par mm, Ïi par nn et ppar pp,

2 Acta Ethnographica Hungarica, 49 (3-4), pp. 381-439 (2004).3 Acta Ethnographica Hungarica, 50 (1-3), pp. 259-321 (2005).4 Acta Ethnographica Hungarica, 51 (1-2), pp. 123-201 (2006)., Acta Ethnographica Hungarica, 51 (3-4), pp. 357-455 (2006).6 Acta Ethnographica Hungarica, 52 (2), pp. 363-453 (2007).7 Acta Ethnographica Hungarica, 53 (1) pp. 123-201 (2008).8 Acta Ethnographica Hungarica, 54 (1) pp. 183-255 (2009).

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Missionsjésuites d'Amazonie bolivienne 173

numéro du cahier (numéroté dans le manuscrit) (ici cahier 31) - numéro de page (nonindiqué dans le manuscrit) du cahier de huit pages chacun (ici page 7) et

numérotation des paragraphes (non indiquée dans le manuscrit) identique à celle denotre traduction en français, suivant en cela la numérotation de la traduction espagnole deJosep M. Barnadas (1985) jusqu'au numéro 147. Par la suite, notre numérotation continuealors que Barnadas ne donne pas de numéro à certains paragraphes, d'où un décalageentre nos deux numérotations.

BIBLIOGRAPHIE ADDITIONNELLE CONCERNANTCES CHAPITRES

ALTAMIRANO, Diego Francisco1891: Historia de la misi6n de los Mojos. La Paz (Bolivia), 184 p. Réédité en 1979, Instituto Boliviano de

Cultura, La Paz, 204 p.BARNADAS, Josep Maria (sous la direction de)

2002: Diccionario hist6rico de Bolivia. Grupo de estudios hist6ricos, Ed. Tupac Katari, Sucre. Tome A-K,1152 p.; Tome L-Z, 1217 p., 23 cartes.

DOBRITZHOFFER, Martin, S.J.1784: Historia de los Abipones. 3 vol. Tome 1(\967) traduit par Clara Vedoya de Guillén, Tome II (\968)

traduit par Clara Vedoya de Guillén, Tome III (\970) traduit par Edmundo Wernicke, UniversidadNacional dei Nordeste, Resistencia (Chaco, Argentina).

G6MEZ BACARREZA, Donato1999: Diccionario quechua. La Paz (Bolivia), 246 p.

MAGGlo,A.1880: Arte de la lengua de los Indios Baures, de la provincia de los Moxos. Éditeurs L. Adam et C. Leclerc,

Paris, III p., 118. p.ORELLANA, Antonio de

1704: Relaci6n de la vida y muerte dei Padre Cipriano Barace. In Mauro MATTHEI, 1969-1972, vol. II,141-157: Cartas e informes de misionerosjesuitas extranjeros en Hispanoamérica, 3 vol., Santiagode ChUe, PUCCh/Fac. Teologia, 470 p.

SIMARJ, Antonio1963: Il Muratori e le missioni dei gesuiti nel Paraguay. Nuova Rivista Storica, Roma, 47, 344-365.

ILLUSTRATIONS

Les photographies du 22 octobre 2000 sont de Joseph LAURE.1. Église de la mission jésuite de San Rafael de Chiquitos fondée en 1696.2. Église de la mission jésuite de San José de Chiquitos fondée en 1698.

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2

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne

POIDS ET MESURES UTILISÉS PAR EX. EDER

175

Nom latin Nom espagnol Nom françaisSystème

Explicationsmétrique

digitus (ou digitus dedo doigt 17,4 mmpollex)

leuga ou leuca legua lieue 5572,70m 20 000 pieds

libra libra livre (espagnole) 460g

mille (pl. millia milla mille (marin) 1852m e. 113 lieueou milia)

orgya vara (de Castilla) verge 835,9 mm

palmus ou palma,adj. palmarisspithama

passum paso pas 1393 mm 5 pieds

pes pie (l/3 de vara) pied 278,6 mm 113 de verge

pollex = uncia pulgada pouce 23,3 mm uneia =pouce ouonce

spithama= palmo empan (palme 210 mm e. 114 de vergepalmus ou palma, = e. un travers e. 12 poucesadj. palmaris = une paume de

main)

ulna codo geométrico, - aune 1,188 m ulna a différentsmedia vara sens.(codo real = - coudée; demi- 418 mm Hamadas (1985)33 dedos ou verge traduit parfois574 mm) par vara (verge)

835,9 mm- brasse marine 1,67 m (1,62 à

1,83 m)

uncia = pollex pulgada pouce 23,3 mm uneia = pouce ouonce

uneia onza once 28,75 g 1/16 de livre (espa-gnole)

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176 Joseph LAURE

TABLE(Traduction contenue dans le premier article :)

Brève description des missions de la Société de Jésus de la Provincedu Pérou dite des Moxos

Dissertation préliminaire sur le royaume du Pérou

1. Situation du royaume2. Lima la capitale du royaume3. Caractéristiques de ses habitants4. Lima l'agréable5. Richesse de la terre6. Climat7. Parfois froide et insalubre8. Tremblements de terre9. L'Amérique mère de l'Espagne

10. Fastes somptueux des Liméniens11. Habillement et passion du jeu12. Grand nombre de puces13. Abondance d'infidèles et leur condition14. Usage de deux langues15. Sédition d'un Indien de Tarma16. Son stratagème contre Lima17. Nombre d'habitants18. Abondance et diversité de noms19. Diversité de climats20. Pays pas assez cultivé21. Perte du rio Desaguadero22. Les Alpes péruviennes (les Andes)23. Périls des chemins24. Abondance de mulets25. Diversité et qualité des chevaux26. Mulets et chevaux du Paraguay27. Pénurie de bois et comment on y remédie28. L'alpaga29. La vigogne et le guanaco30. Les Indiens jadis très nombreux31. Le dénuement des Indiens32. L'habitat33. Leur alimentation34. Restes d'idolâtrie35. Raison du si petit nombre d'Indiens36. Haine des Indiens pour les Espagnols37. Les Indiens cachent leurs trésors anciens38. Richesse des mines39. Reconnaissance des Indiens vis-à-vis d'un

gouverneur pauvre mais bon40. De leur boisson appelée chicha41. Des monuments anciens42. La citadelle de Cuzco43. Tombeaux de leurs ancêtres

44. Les mines d'or et d'argent45. L'Illimani46. Des cours d'eau aurifères47. Choquecamata (Chukikamata)48. D'une autre rivière près d'Oruro49. De la compétence du vice-roi de Lima50. De l'archevêché, de l'université et de l'Audience

royale51. Du tribunal de l'Inquisition et des ordres

religieux52. Engouement des habitants de Lima pour les

futilités53. Abondance de fruits54. L'avocat55. Fleurs et légumes56. Du pain de Lima57. Abondance de sucre et ses utilisations58. Excellente cuisine59. Facilité de s'enrichir60. D'où la haine des Américains pour les Espagnols61. Talents des habitants de Lima62. Façon de voyager63. Abondance de poissons64. Du gibier65. La viscache66. Les perdrix67. Le mouton ordinaire68. L'usage de voitures69. Nombre et état des jardins70. Les constructions71. Abondance et utilisation des Noirs72. Les hôtels des monnaies73. Revenus des évêques, des autorités et des curés74. Prix des choses75. Les garnisons et l'armée76. Impéritie des Péruviens dans le maniement des

armes77. Les Portugais sont à l'affût du royaume du Pérou78. Des vins péruviens79. Les Péruviens, dévots80. La sécurité des voyageurs81. Qu'en est-il de leurs défauts?82. Étendue du royaume du Pérou83. Distances entre les villes

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 177

84. Les nouvelles postes espagnoles85. La façon d'écrire des anciens86. Les deux routes pour Quito87. Exemple des richesses des anciens rois

114. La viande manque de goût115. Épaisseur des forêts116. Tout se fend à cause de la chaleur

II. Des vents, des tempêtes et des tremblements de terre(Traduction contenue dans le deuxième article :)

Brève description de la région des Moxos et deses habitants parmi lesquels furent fondées puis

administrées les missions jésuites de la province duPérou

LIVRE PREMIERChapitre 1 : De l'emplacement et du nom de

ces missions, du chemin pour y aller et de leurrépartition

88. Remarque89. Emplacement des réductions90. Réponse à une objection91. Nom des réductions92. Diversité et multitude de langues93. En quelle année furent découvertes ces

nations? De quels Indiens s'agissait-il ?Combien de réductions et combien de chefs?

94. Préjudices causés par les Portugais95. Pourquoi tout cela?96. Les Portugais subornent des Indiens97. Région de plaine98. Forêts au milieu des savanes99. Autres forêts plus grandes

100. Feux de brousselOI. Chasse des oiseaux de proie102. Réfutation de l'idée de l'arrivée de ces Indiens

dans cette région103. Jadis des Espagnols semblent être venus ici104. D'où viennent les Indiens?105. Des mines d'or106. Du tribut des Indiens

Chapitre 2 : De la température de l'air, des vents,des tempêtes, des tremblements de terre, de l'été,

de l'hiver, des constellations et de la rosée

I. De la température de l'air

107. Quelle chaleur accablante!108. En vraiment très peu de temps tout est plein de

vers109. Que deviennent les poissons en saison chaude?110. La chaleur croît avec les feux de brousse111. Nuits chaudes112. Recours aux bains113. Humidité de l'air

117. Les deux principaux vents118. Description du surazo119. Violence et durée du surazo120. Vent extrêmement sec et assez froid121. Les Indiens se baignent de grand matin122. Qu'en est-il au Mato Grosso?123. Les troupeaux souffrent du froid124. Tempêtes125. Tremblements de terre

III. De l'été, de l'hiver et des constellations

126. D'où vient la division en saisons?127. Quels sont les mois pluvieux?128. Rarement du brouillard et jamais de grêle ni de

gelée blanche129. Que pensent les Indiens d'une éclipse?130. Des étoiles et de la pureté du ciel131. Les Indiens donnent des noms aux

constellations132. De la rosée

Chapitre 3 : Des inondations et de leursconséquences

133. Causes des inondations134. De combien montent les eaux?135. Où se réfugient alors les animaux? Et les

fourmis?136. Où sont les poissons?137. Conséquences néfastes des inondations138. Dommages aux troupeaux139. Dégâts aux cultures140. Combien de temps durent les inondations?141. C'est la raison d'autant d'insectes142. Quelle est l'utilité des inondations?

Chapitre 4 : Des cours d'eau et des lacs

143. Principaux cours d'eau144. Rivières de moindre renom145. De la terre de différentes couleurs et des écueils146. Du limon blanc utilisé à la place de la chaux147. Le Mamoré, dangereux pour ceux qui y

naviguent148. Dangereux à cause de ses berges qui s'éboulent149. Dangereux à cause du vent

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178 Joseph LAURE

ISO. Dangereux à cause des arbres151. Dangereux à cause des roseaux152. En outre le Mamoré est très insalubre même s'il

est très riche en gibier153. L'Iténez (ou Guaporé) dangereux à cause d'une

double barre de rochers154. Les cours d'eau bordés d'arbres sur leurs deux

rives155. Du dimojesico ou guano de poissons156. Des lacs

Chapitre S : Des différentes façons de traverserles rivières

157. Au moyen de troncs secs d'arbres158. Autre façon de traverser les ruisseaux159. Autre manière de traverser: sur une peau non

tannée160. Autres moyens de traverser161. Cas d'un cavalier

(Traduction contenue dans le troisième article :)

Chapitre 6 : De la fertilité de la terre

162. On sème en forêt163. Par queUe méthode?164. Des cannes à sucre165. Des forêts et des savanes166. De quelques autres plantes167. Abondance de riz

Chapitre 7 : Description du physique des Indiensnon christianisés

168. Taille et couleur169. Généralement sveltes170. Avec de longs cheveux non peignés171. Ils se peignent le corps172. Ils se tatouent173. Nez ou lèvres percés174. Grandeur des oreilles175. Les Tibois tricéphales176. D'autres Indiens bleuâtres177. Description d'autres parties du corps178. Le front179. Les yeux180. Les sourcils181. La barbe182. Marque d'amour183. Le nez184. Le menton

185. La bouche et les dents186. Les doigts187. Les pieds188. Les cheveux189. Les Indiens s'enduisent d'huile190. Comment comptent les Indiens?191. Habitation des Barbares192. Avoir d'un Indien193. Façon de vivre194. Élevage d'oiseaux195. Polygamie196. De la civilisation des infidèles197. Maison pour les hôtes198. Les chefs chez les Baures199. Autorité de leurs chefs200. Mariages des chefs

Chapitre 8 : Description des qualités et défautsdu caractère des Indiens

1. En voici quelques traits

201. Définition de l'Indien202. D'un avis combien changeant203. Très portés sur la boisson204. Peu continents205. Leur avis sur le célibat206. Toujours prêts à rire207. Endurant la faim et l'adversité208. Ils ne font pas cas de la souffrance209. Ils supportent de même la mort

II. Suite du chapitre 8

210. Par leurs talents, les jeunes dépassent lesadultes et les femmes les hommes

211. Ils ne connaissent pas l'amour212. De misère ils en arrivent à manger de la terre213. Ils ne sont pas sévères214. Ils sont menteurs215. Enclins au vol216. Timides au début, mais redoutables par la suite217. Dotés de capacités très limitées218. Négligents avec leur vie219. L'exemple du tigre220. L'exemple du crocodile

III. Seconde suite du chapitre 8

221. Penchant pour le sexe222. Les Indiens nient maladroitement leurs erreurs223. Ils sont fiers

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 179

224. Lents à comprendre225. Ils apprécient qu'on fasse cas d'eux et de leurs

objets226. Rusés et astucieux227. Incapables de garder un secret228. Toujours prêts à s'enfuir229. Qualités et défauts des femmes

(Traduction contenue dans le quatrième article :)

Chapitre 9 : Des anciens ouvrages d'artdes Indiens

230. Construction de digues231. Fortification des fossés232. Quelques autres ouvrages d'art

Chapitre 10 : Des superstitions des Indiens

1. En voici quelques-unes

233. Mon opinion sur les superstitions des Indiens234. Origine de leurs superstitions235. Qu'est un achane ?236. Du "ceinturon de l'achane''237. De la vaisselle et du repas de l'achane238. Des jumeaux nés lors du même accouchement239. Une bête dangereuse et féroce est un arama (chef)240. Qu'en est-il de la plante marari?

Il. Voici quelques autres de ces superstitions

241. Du tigre arama242. Le tigre, héritier d'un défunt intestat243. Comment apaiser la colère du tigre244. Grand respect pour tout Indien blessé par un tigre245. Autre ruse stupide246. Qu'en est-il de l'arc-en-ciel ?247. Des fleuves, des lacs et des forêts248. Du lac Oriquéré249. Les Indiens conservent ongles et cheveux

III. Suite du même sujet: les superstitions

250. Astucieuses trouvailles des motire251. Autres observances sans fondement252. Des breuvages avec de la poudre d'os d'un mort253. De certains arbres

Chapitre 11 : De quelques méthodessuperstitieuses pour soigner les malades

254. Leur conception de l'origine des maladies255. Motire guérisseur

256. Manière insolite de soigner les maladies257. Traitement contre les douleurs cardiaques258. Traitement en cas d'accouchement difficile259. Musiciens pour les accouchements ou pour les

maladies260. Au sujet des plaies ou des blessures261. Occasion offerte pour une vengeance

Chapitre 12: De la manière d'obtenirla bienveillance des Indiens païens, des

désagréments du voyage, des signes habituelsd'amitié qu'ils manifestent au missionnaire, de

leur accompagnement à la réduction et enfin de lafaçon dont les Portugais les traitent

1. Saison des voyages et leurs désagréments

262. En quels mois les entreprendre263. Type de forêts264. Type de savanes265. Et la nourriture?266. Nuits agitées267. Voyage très lent268. Avec quel guide ou à partir de quel indice le

voyage est-il entrepris?

II. De la méthode pour approcher les païens et pourgagner leur bienveillance

269. Comment est protégé le campement270. Réplique aux sarcasmes de certains271. Que font les Indiens avec les cadeaux

découverts?272. Travail du missionnaire avec les païens273. Signes certains d'amitié: le don de jeunes,

garçons et filles

III Retour difficile et pénible

274. On déplore la pauvreté des missionnaires275. Ce qu'il faut prévoir pour le retour276. Les désagréments du voyage277. Quels sont les désagréments les plus pénibles?278. Les malades et ceux qui sont épuisés

augmentent les difficultés279. Quel étonnement pour les nouveaux arrivants à

la vue de la réduction

IV. Tort causé à lafoi par les Portugais

280. Qui sont les Mameluks et d'où viennent-ils?281. Comment les Mameluks se sont dispersés282. Comment les Mameluks se multiplièrent

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180 Joseph LAURE

283. Décision d'expéditions contre les Indiens nonchristianisés

284. Résistance de la nation des Catururino285. Tromperies des Mameluks286. Cruauté envers les captifs287. Source de ces informations

(Traduction contenue dans le cinquième article :)

LIVRE SECONDChapitre 1 : De différents arbres donnant des

fruits ou n'en donnant pas

I. Présentation de quelques arbres utiles ou à vertusmédicinales

288. Différence entre les arbres d'ici et ceuxd'Europe

289. Le copayer290. L'huile de Marie291. L'ysaga292. Le sassafras293. Le gaïac294. Le cannelier295. Le chunia296. Le quinquina297. Le bois du Brésil298. Le tamarinier

Il. Des cèdres, du cacaoyer, du vanillier, du caféier,des orangers et des citronniers, mais aussi del'abondance de cire et de miel

299. Le cèdre300. Le cacaoyer301. Le vanillier302. Le café et l'abondance des arbres contenant du

miel et de la cire303. L'oranger et le citronnier

III. Des palmiers, des amandiers américains, ducotonnier sauvage, des plantes à poison et del'arbre echomoboco

304. Les palmiers305. Les amandiers306. L'arbre à coton sylvestre307. Les arbres venimeux308. L'arbre echomoboco

IV. Des bananiers, du manioc doux et amer, despignons américains, du cotonnier cultivé et dequelques autres arbres fruitiers ou plantes

309. Le bananier310. Le manioc, appelé aussi cassava ou tapioca311. Les deux sortes de manioc312. Utilisation du manioc doux313. Utilisation du manioc amer314. Les pignons américains315. Le cotonnier cultivé316. Le corossol317. L'avocat318. L'ananas (anana, piiia ou mayosi)319. Les plantes320. Jugement d'un Portugais sur les réductions321. L'arbuste cobaerese

Chapitre 2 : Des animaux mammifères

I. De quelques animaux amphibies

322. Le tapir323. L'ababtiri ou chien aquatique (loutre géante ou

loutre du Brésil)324. Le cabiai ou capibara325. Le pacarana ou peirina

Il. Du tigre

326. Le tigre fauve (puma)327. Le tigre tacheté ou jaguar328. Force du jaguar329. Astucieuse défense de l'âne330. Inertie des chevaux331. Lutte du crocodile avec le jaguar332. Exemple de la force du jaguar333. Le jaguar, animal acharné contre l'homme334. Rapidité du jaguar335. Façon de manger du jaguar336. Curieuse observation concernant les chiens337. Devenir des peaux de jaguar338. Le jaguar gardien de cochons sauvages (pécaris)339. Le jaguar aime les tortues340. Lejaguarpêche341. La chasse aux oiseaux dujaguar342. Moments favorables au jaguar pour chasser343. Le tigre noir Gaguar noir)344. Jusqu'où sont arrivés les jaguars noirs345. Les missionnaires saufs jusqu'à ce jour346. Premier de deux cas extraordinaires347. Second cas

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 181

III. De quelques autres grands animaux

348. Le fourmilier géant ou grand tamanoir349. Force et venaison du fourmilier géant350. Le fourmilier géant est très dangereux pour le

jaguar et pour les chiens351. Les cochons sauvages352. Autres cochons sauvages plus petits353. L'animal ho354. Les cerfs355. Les chevaux et les vaches356. Beaucoup d'animaux périssent357. Les lions358. Les ours

IV. Des singes et de quelques autres petits animaux

359. Les singes360. Les singes sont curieux361. Les singes sont chapardeurs362. Idée plaisante des Indiens sur les singes363. Les singes "scrofuleux"364. D'autres petits singes de différentes couleurs365. Les petits daims366. L'animal melero ou ororipoari367. Perico ligero ou chuivana (le paresseux) et un

loup américain368. Les chats sauvages (ocelots), les lapins ou doi et

les tortues

(Traduction contenue dans le sixième article :)

Chapitre 3 : Des oiseaux

1 Du vautour noir

369. Le vautour noir ou urubu370. Ingrats, les urubus font découvrir le jaguar371. Dégâts causés au bétail par les urubus372. L'iyochere (condor royal ou condor blanc)373. Différences entre les oiseaux d'Amérique et

ceux d'Europe

Il D'autres oiseaux plus grands

374. L'autruche américaine ou nandou375. Une autruche plus petite376. Le coromo ou jabiru377. Le jabiru protège ses oeufs378. Les dindons sauvages

III. D'oiseaux plus petits

379. Les perroquets380. Le haro ou ara rouge381. Autre espèce de ara382. Les perdrix383. Abondance de rapaces384. Les corbeaux d'eau ou cormorans385. Les canards386. Le lequeleque ou terotero (vanneau armé)387. Les merles388. Les moineaux389. L'oiseau yabirei390. L'oiseau cobé391. L'oiseau ichare ou rhinocéros (grue à corne)392. L'oiseau inéari393. Le pic ou oiseau charpentier394. L'oiseau sirapuki395. L'oiseau honore ou spatule396. Les colibris

Chapitre 4 : Différentes formes de chassepratiquées par les Indiens depuis l'antiquité

397. Chasse pendant les inondations398. Technique de chasse des canards royaux399. Autre façon de chasser les canards dans les

étangs400. Technique de chasse aux cerfs401. Chasse aux daims402. Usage de la glu

Chapitre 5 : Des poissons, des crocodileset des dauphins

1 Des crocodiles

403. Il y a trois espèces de crocodiles: la premièrecatipana (caïman commun ou à lunettes)

404. Le cadire (caïman jacaré) appelé communémentcaïman

405. Le cadireina (caïman noir)406. Nourriture du crocodile407. Les crocodiles s'enterrent en saison sèche408. Rapidité du crocodile409. Dans l'eau les Indiens arrivent à se jouer du

crocodile410. Le crocodile dévore sa proie à terre411. Les crocodiles dorment au soleil sur les berges412. Le crocodile est un ennemi de l'homme413. Légende sans fondement au sujet des larmes de

crocodile414. Les crocodiles convoitent les canards et les chiens

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182 Joseph LAURE

415. D'instinct les chiens craignent les crocodiles416. Quand ils veulent boire, les chiens se jouent des

crocodiles417. Les chiens trompent également les crocodiles

quand ils veulent traverser un cours d'eau418. Enfin, quand ils poursuivent un animal, les

chiens trompent aussi les crocodiles419. Comment sont capturés les crocodiles?420. Le nid et les oeufs des crocodiles421. Vertu des dents du crocodile qui sent fort422. Le caïman noir ne périt pas par le poison

II. De quelques grands poissons et des dauphins

423. Préparation culinaire424. Poisson piratinga ou chiaguanaina425. Le dauphin (bufeo ou hiboi)426. Poisson chaiy ou pacu (pacou)427. Autre dauphin appelé autruche d'eau428. Le poisson masena

III. Du poisson torpille

429. La torpille ou achanepi430. Que ressent-on en touchant une torpille?431. Les animaux aussi ressentent les décharges432. Ce que ressentent les autres poissons pris dans

le même filet qu'une torpille433. La ferme intention de soulever de terre une

torpille vouée à l'échec434. Fausse idée des Indiens concernant les femmes

pendant leurs règles

IV. De quelques poissons plus petits

435. La raie ou idino436. Affirmation douteuse des Indiens sur ce sujet437. La raie est hostile à l'homme438. La raie se mange439. Aussitôt capturée, la raie met bas440. Piranha (palometa) ou orimo441. L'anguille motiyo442. Les anguilles443. Le poisson cacimepo444. Le poisson pihore445. Le poisson esane446. Les tortues d'eau douce447. Les escargots448. Les lombrics449. Le petit poisson etenaripo

Chapitre 6 : Des différentes façons de pêcher

1. Des formes de pêche offertes par la nature

450. Première technique de pêche451. Seconde technique de pêche452. Troisième technique de pêche453. Quatrième technique de pêche454. Cinquième technique de pêche

II. Méthodes de pêche des Indiens en utilisant desengins

455. Pêche à la sarbacane456. Pêche à l'hameçon et pêche à l'arc457. Les Indiens ferment avec des barrages les

déversoirs des lacs458. Pêche au filet459. La "molène" (verbasco)460. Autre méthode de pêche plus rapide461. Pêche au lamparo462. Pêche en criant et en faisant du bruit

(Traduction contenue dans le septième article :)

Chapitre 7 : Des serpents

463. Quantité de serpents venimeux ou non464. L'anaconda ou camifi465. Façon de chasser de l'anaconda466. L'anaconda fait chavirer les pirogues467. Serpent à sonnettes (crotale) ou atacabuiri468. Une vipère à deux têtes469. Autre serpent magnifique

Chapitre 8 : Des insectes et de quelquesautres animaux

1. Des fourmis. des termites, des moustiques, dessimulies et des chauves-souris

470. Les fourmis471. Fourmis venimeuses472. Fourmis coupeuses de feuilles, voleuses et

nuisibles473. Fourmis blanches, ou termites, destructrices

d'habitations474. Fourmis inspectrices475. Les simulies et les moustiques476. Les chauves-souris477. Très grand nombre de chauves-souris478. Les chauves-souris attaquent les hommes479. Les vampires attaquent aussi le bétail

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 183

JI. Des crapauds, des araignées, des scorpions etdes mille-pattes

480. Les crapauds nombreux partout481. Les deux inconvénients des crapauds482. Les araignées483. Les scorpions484. Les mille-pattes

III. Des mouches. des chiques et des vers

485. Les mouches486. Les chiques487. Les vers488. Autre ver rouge (filaire)

IV De quelques autres insectes

489. Les tiques (garrapata ou itiche)490. Les cancrelats (cucaracha ou idipire)491. Le réduve (vinchuca)492. La punaise hosetipo493. Les guêpes

Chapitre 9 : Des différentes espèces de poisonset de leurs effets

1. Des poisons utilisés contre les animaux

494. Préparation d'un poison de chasse495. Effets de ce poison de chasse496. Effets surprenants sur le tigre497. Second type de poison498. Expérience avec la dent de crocodile comme

antidote

Il Des poisons utilisés contre les gens

499. Cette nation des Mures (Moré) supprime lesgens au moyen d'un pacte avec le diable

500. Exemple d'un Indien éliminé de cette façon501. Même sort d'un missionnaire502. Avec quoi les Indiens préparent les poisons

utilisés contre les hommes503. Utilisation de ce poison504. Quelques faits vécus505. Autre sorte de poison506. D'autres effets de divers poisons

Chapitre 10 : De l'habileté des Indiens dansl'usage des arcs et des Dèches, du propulseur, de

la sarbacane, du cheval, du lasso, des lances et desboleadoras

1: De l'usage des arcs et des flèches, du propulseuret de la sarbacane

507. L'arc en bois508. Adresse des Indiens dans le tir de flèches509. Arc d'une autre nation et son mode d'utilisation510. Stratagème des CatururinoSIL Qu'est le propulseur?512. Les bambous utilisés comme sarbacanes

II: Des lances, du cheval, du lasso et desboleadoras

513. Usage des lances514. Les Indiens aiment les chevaux et les montent

avec une très grande agilitéSIS. Les Indiens fatiguent à la course les animaux et

les attrapent516. Comment les Indiens capturent au lasso les

animaux517. Même des tigres sont pris au lasso518. Capture de ruches d'abeilles et d'hommes519. Le /ibis (boleadoras ou bolas)520. Les Indiens tirent très bien au fusil

(Traduction contenue dans le huitième article :)

LIVRE TROISIÈMEChapitre 1 : Qualités que recherche une femme

chez l'homme à épouser et réciproquementl'homme chez une femme

521. Comportement des Barbares522. Qualités d'une femme523. Qualités d'un homme524. Inconstance dans le choix525. Qu'apportent l'homme et la femme lors du

mariage?

Chapitre 2 : De la manière de célébrer les fêtes

1. Du repas du matin et du costume des hommes etdesfemmes

526. Costume des hommes527. Parure des femmes528. Le festin529. Parure de danse

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530. Les musiciens indiens et leurs instruments531. Quelle est la note tonique?

II. De la danse

532. Autres accessoires du costume533. Penchant des enfants pour la danse534. Danse des femmes535. Penchant des Indiens pour la danse536. Description des ereono (diables)

III. De la danse superstitieuse du crocodile

537. La danse du crocodile538. Description de la danse539. Effroi des femmes et des enfants540. Autres divertissements des Indiens

Joseph LAURE

559. Douzième: toutes sortes d'insectes560. Différentes sortes de pain ordinaire561. Comment les Indiens conservent la viande et le

poisson pendant de nombreux jours

Chapitre 4 : De la boisson des Indienset de la façon de la préparer

562. La chicha ou eronético (bière de maïs)563. Homoréco, autre boisson à base de maïs564. De nouveau la chicha ou eronético565. Façon des Indiens de boire la chicha566. Le guarapo (rhum de vesou)567. Pouvoir curatif de la chicha

Chapitre 5 : De l'adresse des Indienspour l'artisanat

IV. DeJafête de J'Épiphanie, du Samedi saint et dujeu de balle

541. Solennité particulière de la fête de l'Épiphanie542. Jour du Samedi saint543. Les Indiens se bagarrent-ils? Et comment ?544. Jeu de ballon545. Autre jeu de ballon

Chapitre 3 : De la manière de mangeret de la nourriture des Indiens

1. De la manière de manger des Indiens

546. Présentation de la thèse des "naturalistes"547. Présentation de quelques coutumes à respecter

II. De la cuisine des Indiens

548. Premier plat: oeufs de poule, d'autruche et decrocodile

549. Second plat: queue de caïman550. Troisième plat: vers de terre55!. Quatrième plat: singe rôti552. Cinquième plat: canard rôti553. Sixième plat: abdomens de termites554. Septième plat: chauves-souris555. Huitième plat: poisson556. Neuvième plat: tripes de boeuf557. Dixième plat: viandes séchées558. Onzième plat: viande frite plusieurs fois dans

du suif

568. Facilité des Indiens à reproduire n'importe quoi569. Les Indiens ont une excellente mémoire et des

sens très développés570. Leurs oeuvres faites à partir de plumes

d'oiseaux571. Les sculpteurs copient les oeuvres des

Européens572. Forgerons et armuriers573. Fondeurs574. Artistes peintres575. Tisserands576. Musiciens577. Agileté pour suivre les traces du bétail égaré578. Peignes et autres objets des Indiens

(Traduction contenue dans le neuvième article :)

Chapitre 6 : De la paresse des Indiens

579. Jusqu'où peut aller la paresse des Indiens580. Le seul bonheur de l'Indien sur terre581. Quelques exemples de leur paresse582. Ils aiment avoir des serviteurs583. Négligence des Indiens pour leur habillement et

pour les chevaux584. Quels fardeaux porteraient des Indiens?585. Par paresse beaucoup d'Indiens se blessent586. Et des Indiens se tuent même par paresse

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Missionsjésuites d'Amazonie bolivienne 185

Chapitre 7 : Des maladies courantes des Indiens,de leurs médicaments, de leur diète

et de leur peu d'attention pour recouvrer la santé

587. Les Indiens ne sont pas exposés à autant demaladies que les Européens

588. Extrême négligence pour leur santé589. Origine des principales maladies590. Construction malencontreuse d'un hôpital591. Négligence dans l'emploi des médicaments592. Souvent les Indiens s'exposent eux-mêmes à de

graves dangers de mort

Chapitre 8 : Des accouchements des femmesindiennes

593. Les Indiennes sOnt plus souvent stériles que lesEuropéennes

594. Racine médicinale utilisée par les Itonama595. Les hommes redoutent les femmes pendant

leurs règles596. Ignorance des femmes enceintes et des

matrones au sujet de la date des accouchements597. Ce que font les Chiriguano après

l'accouchement598. Devenir des enfants mal formés599. Les Indiens prennent très peu soin des enfants

en bas âge600. Sevrage des enfants601. Négligence dans l'apprentissage à marcher aux

enfants602. Recours fréquent à l'avortement

Chapitre 9 : Des occupations habituellesdes femmes indiennes

603. Oisiveté des femmes604. Travaux habituels des Indiennes

Chapitre 10 : Des Indiens satisfaitsdans leur pauvreté

605. L'homme est-il dans le besoin avec peu dechoses?

606. Égales possessions des Indiens607. Grandes variations chez les Indiens dans leur

attachement à un objet608. Brusques changements d'intérêt de J'Indien

pour les choses y compris à son propredétriment

Chapitre 11 : Situation, statut et façon de vivre dansles réductions des Indiens convertis au christianisme

1. Construction et mobilier des habitations et deséglises

609. Des divers auteurs ayant traité ce sujet610. Description des maisons611. Nombre de familles par maison et distance entre

les habitations612. Description des églises613. Sources de financement de tout cela

Il De l'organisation politique des Indiens

614. Grand travail pour installer une organisationpolitique parmi les Indiens

615. Propreté des vêtements, du corps et des maisons616. Le missionnaire punit les délinquants617. Réponse aux objections618. Autre objection619. Pourquoi pas un Espagnol comme juge620. Le commerce avec les Espagnols était-il

interdit aux Indiens?621. Réponse à une dernière objection affirmant

que les missions n'auraient rien rapporté au roid'Espagne

III. De la direction spirituelle des Indiens

622. Grandes fêtes, en particulier la Fête-Dieu623. La Semaine sainte624. Heureuse introduction des habitudes

chrétiennes

Chapitre 12 (dernier) : Existait-il autrefois chezles Indiens une certaine connaissance

du Créateur, du Déluge, de la création du mondeet de l'immortalité de l'âme?

625. Peu de marques d'intelligence chez l'Indien626. Sérénité totale de l'âme des Indiens en toutes

circonstances627. Il faut louer la divine Providence à l'égard des

Indiens628. Aucune idée du Créateur chez les Indiens629. Aucune notion également de la création du

monde chez les Indiens630. Que savent les Indiens de l'immortalité de

l'âme?631. Les Indiens connaissent-ils les principes

premiers accessibles à la raison naturelle?

Fin

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(31-7)

Joseph LAURE

CaputVI.De Indorum pigritia.

579. Quanta Indorum pigritia ?Inerti<e vitium, si ullum aliud, limites omnes, et ipsam etiam opinandi vastissimam

libertatem, ac forte etiam fidem h<ee legentium pr<etergreditur, cui mederi etsi conatusomnes, ac mediatentaverint varij, actum agere fateri coacti sunt. Neque fames urgentissima,nec filiorum, uxorisve necessitas, nec morbi vis ulla, nec denique certum vit<e periculumsufficiunt ad pigritiam vel momento excutiendum. Unde facile patet, quam improbo[,]labore crucietur Missionarius, qui cum inertibus adeo hominibus iugiter luctari, cumtanto pondere tricari, tot cadaveri calorem, ac ut ita dicam, vitam in( )dies infunderedebet, nisi intra paucum tempus et ipse, et tota cum ipso Missio in fumum, in nihilum,in ultimam miseriam redigi malit. Sunt equidem, inter quos onera dividuntur: uni istiusalteri alterius rei cura, ac custodia iniungitur, nemini, nisi exiguum admodum, et viribuspar onus imponitur, honore, et pr[oe](<e)mijs exeitantur: at, nisi Pater euilibet, quid hacdie, horave agendum, quo eundem, signifieet, nisi urgeat, nisi instet, et solerter indaget, acsuismet oeulis omnia lustret, nihil se verbis, nihil promissis effecisse deprehendet.

580. Indi unica in terris beatitudo.Uniea Indi in terris beatitudo, unieum gaudium est diem, imo vitam integram

stertendo transigere, etsi nec ipse, nec Uxor, nec proIes habeant, quod manducent. Mulieritune ineumbit cibum qu<erere, parare, et si exsaturari posset eibo alieno fames propria,etiam eomedere. Id optimum [y](ij)s in terris, quod sive in qurerendo, sive in parandocibo mulieres parum desudent: si enim nihil omnino pr<e manibus habeant, quo maritosatisfacirent, effossa parvo labore terra sapidissimos, et uberes lumbricos reperiunt, quosinter meliores epulas ab ipsis numerari, alibi dixi. Et hrec una e pr<ecipuis causis est,cur tam eopiose, tamque frequenter terram eibi instar edant, parvuli prresertim, utpotequi nec ipsi sure fami mederi norunt, nec a Parente adiuvantur. Rine pallidorum ubiquepuerorum, ae puellarum turmre,

31-8qure rei ignarum terrere merito possent, utpote spectris, quam hominibus similiores.Accedit tumens venter tympani instar, languor, somnus continuus, et tantus terrre edendreap(p)etitus, ut iam in naturam trans[y](ij)sse videatur, qui omnem alium eibum ipsisexosum reddit adeo, ut licet s<epe ab hac <egritudine restaurentur /: restaurantur verofacillimo, eoque certissimo medicinre genere, pin[q](g)uedine nempe C(r)ocod[r]il[l]icibis immixta :/ in eandem tamen pari facilitate intemperantire vitio relabantur. Quamvero solerter occasionem (quam)libet stertendi aucupentur, is demons(trat,) quod srepe obminimum incommodum, u(t) est pustula exigua in corpore enas(cetur?)(,) aut levissimaincisio cultello fac(ta?)(,) privilegia regri sibi vendicent, et (hoc?) motivo dies integrosdecumbendi (as)signent.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne

Chapitre 6 : De la paresse des Indiens

187

579. Jusqu'où peut aller la paresse des IndiensLeur indolence dépasse toute limite, à supposer qu'il y en ait une. Elle dépasse même la

liberté d'opinion, pourtant très grande, et peut-être même l'acceptation par les lecteurs desfaits qui vont suivre. Car, si différents missionnaires firent beaucoup d'efforts et essayèrentpar tous les moyens possibles de corriger ce défaut, ils durent reconnaître qu'ils perdirent leurtemps. Ni une faim pressante, ni la situation critique de leurs enfants ou de leur épouse, ni lavirulence d'une maladie, ni même le péril certain pour leur vie ne suffisent pour secouer, neserait-ce qu'un instant, la paresse des Indiens. Ainsi est-il facile d'imaginer le labeur incessantqui accable le missionnaire qui doit se démener continuellement avec des gens aussi amorphes,avec un tel fardeau trouver des chemins détournés, réchauffer et pour ainsi dire redonner vie,jour après jour, à tous ces cadavres; à moins qu'il ne préfère qu'en peu de temps lui-même et,avec lui, toute la mission soient réduits en fumée, à néant ou à la plus extrême misère. Bien sûrles besognes sont réparties entre les gens: à l'un sont confiés le soin et la garde de telle chose,à un autre ceux d'une autre. Mais à personne n'est imposée une tâche qui ne soit pas légèreni adaptée à ses forces ; de plus tous sont encouragés par des honneurs et des récompenses.Cependant, si le Père n'indique pas à chacun ce qu'il doit faire chaque jour, à chaque heure, etoù il doit aller, s'il ne le pousse pas, n'insiste, ne surveille attentivement et n'inspecte pas toutde ses propres yeux, par ses seules paroles et promesses il ne verra rien s'accomplir.

580. Le seul bonheur de l'Indien sur terreLe seul bonheur de l'Indien sur terre, son unique plaisir, est de passer sa journée, et

si possible toute sa vie, couché, même si lui-même, son épouse et ses enfants n'ont pas dequoi manger. En conséquence, sa femme doit rechercher puis préparer de la nourriture et,si elle veut apaiser sa propre faim, manger les aliments d'autrui. L'idéal sur terre pour tousest que les femmes se fatiguent peu dans la recherche et la préparation de la nourriture.Car si elles n'ont vraiment rien sous la main pour satisfaire leur mari, elles creusent la terresans grande fatigue et trouvent d'abondants lombrics très savoureux qui, pour les Indiens,figurent parmi les meilleurs plats, comme je l'ai signalé par ailleurs'. C'est également unedes raisons principales pour lesquelles ces gens mangent autant et si souvent de la terre, toutspécialement les enfants, car ils ne savent pas d'eux-mêmes calmer leur faim ni ne reçoiventd'aide de leurs parents. D'où partout la flopée de petits garçons et de petites filles pâles, quipourraient avec raison épouvanter une personne ignorant ces faits, car ils ressemblent plusà des fantômes qu'à des êtres humains. Il faut ajouter leur ventre gonflé comme un tambour,leur langueur, leur continuelle somnolence et leur désir de manger de la terre, si grand quel'on dirait qu'il est devenu un instinct et qu'il leur fait même détester toute autre nourriture;au point qu'ils peuvent retomber dans ce défaut d'intempérance avec la même facilité qu'ilspeuvent en être guéris. Car on peut très facilement et très efficacement soigner cette déviationavec un médicament, à savoir de la graisse de crocodile mélangée à la nourriture.

Vraiment les Indiens sont consciencieusement à l'affût de toute occasion pour aller secoucher. Ce que prouve bien le fait qu'à la moindre gêne, comme un petit bouton qui aurait

1 Au paragraphe 550.

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581. Ouredam desidire specimina.Domuum suarum tam parvam curam gerunt, quam suimetipsius. Perforetur licet

tectum, putrescant columnre, ruinam minetur domus integra, ipse tamen lecto se noneripiet, quoadusque Missionarius ipse detegat, et intentatis etiam minis refectionemiubeat, imperetque, nominatis singillatim [y](ij)s, qui auxilium, opemque ferre debent.Hinc fit, ut qure initio intra horre dimidium reparari domus poterat, iam plurium dierumlabore egeat, aut forte de[y]Qi)ci, aliaque in ejus locum a fundamentis extrui debeat.Quid quod eodem oculo intueantur sementis locum, quem ipse quoque Missionariusipsi per semetipsum, aut per alium ad id nominatum designare debet, simulque quothebdomadis sedulo indagare, an, et quantum arborum numerum straverint, quin, nisifalli ve1it, ipse iter arripere ad ea omnia suismet oculis perlustranda, cum srepe delegatuscommissam sibi Inspectoris provinciam pari desidia victus vel p[o]enitus negligat, velnullo negotio falsa pro veris venditet. Et quamvis ex hac inertia dimanet famis nullismedijs propulsanda necessitas, quam et ipse piger, et tota eius familia perpessuri sunt,quem prresentia non angent, futura nec cogitat, nec si in mentem veniant, perpendit,curatve.

Nec minor cura habenda est sementis sive natre, sive crescentis, sive etiammaturitatem assecutre, ut proinde a quo nascitur usque in diem messis, custodiridebeat. Ut enim minora insecta taceam, qure tritico turcico magno numero infestasunt, a quibus nemo sementem suam, eximere, aut liberare potest, sunt alia maiora,uti Cervi, damulre, porc(in)os greges, Anta, simiarum exercitus, Psit(t)ac[c]orumturmre, et tot alia, quorum aliqua diurnis, aliqua nocturnis horis eam depopulantur, utvel solertissimo, ac vigilantissimo Europreo negotium non leve facesserent. Rrec ut utoptime perspecta habeant Indi, nullam curam, nullum studium in abigendis hisce nocivisanimalibus adhibent, nisi a Missionario designentur, qui tantam pestem propulsent. Etquandoquidem cuilibet Vigili non propria duntaxat, sed alienre etiam sementes aliquo[d](t) custodiendre committuntur, id numeris satis exacte, solliciteque obit quilibet, certusnempe, se a sementum Dominis illico ad Missionarium deferrendum, quamprimumsuam desiderari vigilantiam vel

32-1in minimo passus esset. Ut ut enim, ut ovum ovo sibi sint simillimi, innato tamen omnibushominibus vitio in alijs carpere norunt egregie, qure ipsi eodem die, eadem p[o]ene hora,ac momento perpetrant, aut mox perpetraturi sunt.

582. Amant habere servos.Rinc forte ortum suum habet studium illud, ac aviditas pueros reque, ac puellas

conquirendi, qui ipsis deserviant. Quam laute vero (e)i habeantur, filij proprij, quos fame,nuditate, ac mille miserijs implicitos absque ullo commiserationis indicio perire sinunt,

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poussé sur leur corps ou une légère blessure faite avec un couteau, ils réclament souventpour eux les privilèges des malades et pour ce motifpassent des jours entiers allongés surleur couche.

581. Quelques exemples de leur paresseLes Indiens prennent aussi peu soin de leur habitation que d'eux-mêmes. Le toit

peut être percé, les poteaux pourris, toute la demeure menacer de s'écrouler, cependantl'homme ne se lèvera pas de sa couche jusqu'à ce que le missionnaire se rende compte de lasituation et lui ordonne, avec des menaces s'il le faut, de réparer son habitation et désigne,en les appelant un par un, ceux qui devront l'aider dans ce travail. Ce qui fait qu'unemaison qui aurait pu être réparée en une demi-heure au début des dégâts, nécessiteraplusieurs jours de travail pour être remise en état ou même devra être complètementdémolie et une autre construite à sa place. Mais pourquoi donc le missionnaire doit-ilaussi choisir lui-même les champs à ensemencer ou désigner quelqu'un pour le faire, afinque tous les Indiens les voient de leurs yeux? De même, pourquoi chaque semaine doit­il soigneusement vérifier s'ils ont bien abattu les arbres, et leur nombre, pour défricheren vue des semailles?Pourquoi.s.ilneveutpasêtreroulé.doit-il aller personnellementtout contrôler de ses propres yeux? Car souvent le délégué, gagné par la même paresse,soit néglige complètement la charge d'inspecteur qui lui a été confiée, soit rapporte sansvergogne des mensonges à la place de la vérité. Bien que de cette nonchalance puisserésulter une disette, sans aucune possibilité de l'éviter, dont souffriront le paresseux enpersonne et toute sa famille, les Indiens n'en ont cure dans le présent, ni ne pensent aufutur, ni n'y réfléchissent sérieusement, ni ne s'en préoccupent si d'aventure ils y pensent.Et il ne faut pas relâcher la surveillance des cultures, ni lors des semailles, ni pendantla croissance, ni à maturité; ainsi faut-il les garder du jour des semis jusqu'à celui de lamoisson. Car en plus de petits insectes, dont je ne parlerai pas, mais qui pullulent dans leblé turc (maïs) et que personne dans son champ ne peut éviter ni s'en débarrasser, il fautveiller aux animaux plus grands: cerfs, daims, compagnies de pécaris, tapirs, bandes desinges, volées de perroquets et tous les autres qui de jour ou de nuit dévastent les cultures.Ces prédateurs donneraient du fil à retordre même à l'Européen le plus ingénieux et leplus vigilant. Les Indiens, parfaitement au courant de ces menaces, ne font aucune veilleni aucun effort pour éloigner ces animaux dévastateurs, à moins qu'ils ne soient désignéspar le missionnaire pour chasser ces fléaux. Comme tout gardien est chargé de veillernon seulement sur ses cultures mais aussi sur celles d'autres personnes, la plupart le fontavec soin et attention, car ils savent que si leur vigilance souffrait la moindre défaillance,ils seraient aussitôt dénoncés au Père par les propriétaires des champs. Se ressemblantcomme deux gouttes d'eau, mais animés du défaut inhérent à tous les humains, ils saventtrès bien blâmer chez autrui l'erreur qu'eux-mêmes commettront ce jour, dans l'heure,dans un instant ou sous peu.

582. Ils aiment avoir des serviteursDe là peut-être l'origine de leur zèle et de leur grand intérêt dans la recherche aussi bien

de jeunes gens que de jeunes filles pour qu'ils soient à leur service. Comment ces serviteurssont-ils vraiment traités? Il n'y a qu'à voir comment les Indiens laissent, sans aucune pitié,

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abunde testantur. Nullibi certe, licet orbem universum obeas, misenons conditionisreperies famulum, quam qui in manus Indi cuiuspiam suo infortunio delabitur. Innumeriquippe in illum labores con[y]Ui)ciuntur, et qui srepe nec uno tempore, nec uno die perficipossunt, pro cibo quidquid ipse sibi quresierit, pro veste pellis materna, pro lecto humus,pro potu aqua, pro educatione, quid[ ]vis agendi plenissima libertas datur. Id unum sibigratulari merito potest famulus, quod licet in Dominum delinquat, nec operam suamei commodet, ac proinde ipsius aut incuria, aut desidia omnia pereant, nec fustem, necverba, imo nec faciem iratam metuendam habeat. Dnde non alias melius cum labore servi,merces Domini congruit, concordatque.

583. Incuria circa vestitum. et equos.Nihilo magis reliqua sua curant. Equos, licet summi faciant, nec facile, nisi pluribus

obtentis conquiescant, tam exigua deinde cura prosequuntur, ut quis merito dubitarepossit, an non ideo eos conquisierint, ut in eorundem manibus facilius emoriantur. Reduxequum stipiti prope domum alligatum non raro usque in diem sequentem detinet, quin eivel aqure guttam prrebeat, imo, quin srepe vel sellam deponet. Alias morsibus gravissimisVespertilionum laceratum, vermibusque plenum sibi ipsi relinquit, usque dum vi mali, acvermium copia consummatur. Illud lepidum, quod mortuum coram alijs summis laudibuscelebret, in vermes, ac Vespertiliones gravissime invehatur, quin ullam pigritire surementionem faciat, aut deinceps, ubi alium nanciscitur, cautior evadat. Dnde necessumerat Missionarijs constituere quosdam, qui omnium equorum curam gererent, ea p[o]enein( )dies in sepes concluderent, ibique eorum malis mederentur. Verbo nisi Missionarijcuiusque familire, imo et Capitis curam in se assum[m]erent, qualem fere nutricesparvulorum gerunt, Indi cibo, potu, veste, domo, omnibusque ad vivendum necessarijsdestituere(n)tur. Hinc factum est, ut plerique Missionariorum, eos ut pupillos contemplati,rerum omnium curam in se susceperint, et res singulas pro cuiuslibet indigentia ipsissuppeditaverint, quin ipsi plus, quam usumfructum habuerint. Sic nempe Communisomnibus ager, sic ad domum extruendam, reparandamve convocanbantur omnes, sicgossypium communi labore plantatum, collectumque, sic equi, sic denique reliqua p[o]eneomnia ab [y](ij)s designabantur, curabantur, distribuebanturque. Curo enim hac agendiratione fieret, ut omnes ad opus quodlibet prrestandum concurrere debuerint, ipsi inter seneminem abesse patiebantur: aut si quis desidia victus aberat, illico in eum inquirebant,et apum instar divexabant. An non pueri hi, et pueris deteriores ? an non arduum hominesalioqui valentes, robustosque cibare, potare, vestire, et infantum

32-2instar regere ? idque, quin ipsi beneficium ve1 agnoscant, vel illud levissima etiam gratianimi significatione prosequantur ?Nihil a rei veritate alienum [a?d] me iudico dicturum, sieos bestijs agri comparaverim, qui cum demisso in terram capite pro arbitrio edunt, oculosnunquam in coelum attollunt, quo propitio necessitatibus suis adeo abunde providetur.Ita pariter certissimus equidem esse potest Missionarius, [,] licet diu, noctuque desudet,eorum emolumentis prospiciat, sanos, regrosque cura complectatur paterna, nudos operiat,com(m)oda denique omnia undique conquirat, se nihil utilitatis, imo nec gratitudinissignum re1aturum. Imo, licet miracula faciat, licet noctes, diesque geneflexus orationi

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leurs propres enfants dépérir de faim dans la nudité et dans mille autres difficultés. Surtoute la planète tu ne trouveras sûrement nulle part un serviteur dans des conditions piresque celles de l'un d'entre eux tombé pour son malheur entre les mains d'un Indien! De fait,ce jeune est accablé d'innombrables tâches qui, en plus, ne peuvent souvent être accompliesni en une fois ni en un jour. Il reçoit comme nourriture ce qu'il peut se procurer par lui­même, comme vêtement la peau reçue de sa mère, comme couche le sol, comme boissonde l'eau et comme éducation la plus totale liberté de faire n'importe quoi. Mais le serviteurpeut se réjouir avec raison d'une seule chose: car, bien qu'il commette une faute vis-à-visde son maître, qu'il ne lui fasse pas son ouvrage, et qu'en conséquence par sa négligenceou sa paresse tout soit raté, il n'a pas à craindre de coups de bâton, ni de remontrances, nimême le visage courroucé de son maître. Aussi nulle part ailleurs, le salaire donné par lemaître n'est-il plus en rapport et en conformité avec le travail fourni par le serviteur.

583. Négligence des Indiens pour leur habillement et vis-à-vis des chevauxLes Indiens ne prennent pas davantage soin de leurs affaires. Ils prisent énormément

les chevaux et ne sont pas facilement satisfaits avant d'en posséder plusieurs. Cependant,par la suite, ils en prennent si peu soin qu'on pourrait vraiment se demander s'ils necherchent pas à les obtenir que pour mieux les faire mourir entre leurs mains ! De retourde voyage, ils laissent leur monture attachée à un piquet près de leur demeure, souventjusqu'au lendemain, sans lui donner une seule goutte d'eau à boire et parfois même sanslui enlever la selle. D'autres fois ils laissent sans soin leur cheval, lacéré par de gravesmorsures de vampires, pleines de vers, jusqu'à ce qu'il succombe à ses blessures et àl'abondance d'asticots. Mais le plus ridicule est que le propriétaire fait ensuite devant lesautres Indiens le panégyrique de sa monture morte, maudit vers et chauves-souris, maisne fait aucune mention de son incurie, ni par la suite ne prendra plus soin de son chevalquand il en acquerra un nouveau. D'où la nécessité pour les missionnaires de désignerdes Indiens chargés de faire attention à tous les chevaux de la réduction, de les enfermerpresque tous les jours dans leur enclos et là de soigner leurs maux.

En un mot, si les Pères ne prenaient eux-mêmes en charge chaque famille et mêmechaque personne, presque comme le font des nourrices avec leurs nourrissons, les Indiensmanqueraient de nourriture, de boisson, de vêtements, de logement et de tout ce qui estnécessaire pour vivre. C'est la raison pour laquelle la plupart des missionnaires, considérantles Indiens comme des enfants, prennent tout en charge et fournissent à chacun ce dont il abesoin. Ils ne leur accordent que l'usufruit. C'est ainsi qu'un champ est commun à tous, quetous sont réunis pour construire ou réparer une habitation, que le coton se cultive et se récoltegrâce au travail communautaire, que les chevaux et presque tout le reste sont gérés sous laresponsabilité des Pères et distribués par eux. Avec ce système, tous doivent collaborer àtoutes les besognes et ils ne permettent pas que l'un d'eux s'y dérobe. Si d'aventure quelqu'unmanque, victime de la paresse, aussitôt les autres le recherchent et le tourmentent sansrelâche comme le font les abeilles. Ces Indiens ne sont-ils pas comme des enfants? Et mêmepires qu'eux ? N'est-ce pas difficile de donner à manger et à boire, de vêtir et de devoirdiriger comme des enfants en bas âge, des hommes du reste bien portants et robustes? Etcela sans que les intéressés reconnaissent ces bienfaits ni même ne manifestent le moindresigne de gratitude ! J'estime ne rien dire de contraire à la vérité, si je compare les Indiens

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impendat, se se flammis ustulet, humi iaceat, spinas inter, et tribulos volutet, aut flagris,cultrisve corpus dilaniet, a Deo quidem mercedem, ab Indis vero ne admirationis, minusvero laudis significationem consequetur, quibus ea firma sententia, hominem quemlibetid duntaxat facere, aut omittere, quod corpori placet. Brevissima sane via omnes vanreglorire stimulos retundendi, si nempe desint, qui te mirentur, laudentve.

584. Oualia onera ferant ?Ego quidem, non credens tantam in homine reperiri posse desidiam, conatus sum

ipsos argumentis ab ipsa desidia desumptis convincere, oggerens, uti reipsa verissimumest, eos modum vere pigritandi ignorare. Et revera quis non asserat inepte pigrum illum,qui cum equo suo devehere possit centum tritici libras, ipse decem nonnisi humeris suisdomum deferat, idque non alia de causa, quam quod in vicinum agrum exire, indequeequum abducere neglexerit ? Sic cum domos suas paleis tegunt, identidem et adesse, etinclamare necessum erat, ut eas fortiter non nihil subiectis palis alligarent: quod cumfacere plerumque negligerent, ventus non nihil vehementior eas diripiebat omnes, atqueper aerem circumferebat, ut proinde ipsis necessum[,] fuerit novas paleas evellere,sieeare, radices prrescindere, in Missionem comportare, ac tecto imponere. An noninepta hrec pigritire praxis? an non eo ipso tempore, quo laborem, eumque levissimum,qualis erat paleas fortius alligare, evitabant, se in longe maiores, copiosiores, et magisdiuturnos con[y]Ui)ciebant ? Quis non rideat srepe morem illorum, quibus cum aliquiddeferre necessum sit, id humeris suis non imponant, licet nullius sit ponderis, nisisocij omnes, ad quos rei illius usus pertinet, adsint, iuventque ? Quoties, nec absquealiqua indignatione ipse vidi cribrum, aut pullum aliquem e baculo prrelongo, vi[ges](c)ies ipso cribro graviore a duobus deportari ? Scio fuisse in quadam Missione Indos,quibus pecorum cura demandata fuerat, pigros adeo in e[y]Ui)ciendis vermibus, quiin vulneribus Vitulorum enati fuere, ut p[o]ene omnes perterint: qui ne reperirentura Missionario per campos sparsi, eos solerter in effossos a se magno reque labore, acsudore tumulos sepelierunt.

585. Ob pigritiam plures lreduntur.Sed ut Lectori uberius pateat, quousque eorum inertia pertingat, quamque nullis

limitibus circumscribi queat, referam, qure quindecim annorum spatio, nec sine maximoanimi moerore et ab alijs Missionarijs narrari audivi, et ipse in( )dies p[o]ene expertussumo Inito sub anni finem mortuorum nu[//](-)

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à des animaux à la pâture qui mangent à leur aise la tête baissée vers la terre, sans jamaislever les yeux vers le Ciel, qui avec bienveillance pourvoit si abondamment à leurs besoins.De même, le missionnaire peut être absolument certain qu'aucun bienfait, ni même aucunemarque de reconnaissance ne lui sera donné en retour, bien qu'il ait peiné nuit et jour, veilléà leurs intérêts, entouré malades et bien portants de sa paternelle sollicitude, habillé ceuxqui étaient nus, en un mot toujours cherché leur intérêt. Bien plus, le Père pourrait faire desmiracles, passer nuits et jours en prière à genoux, se jeter dans les flammes, dormir parterre, se rouler dans des épines et sur des chardons, se lacérer le corps avec des fouets ou descouteaux, il serait certes récompensé par Dieu, mais ne recevrait ni un signe d'admirationni encore moins d'éloge de la part des Indiens. Ce qui confirme le dicton: tout homme nefait ou n'évite que ce qui plaît à son corps! Justement, s'il n'y a personne qui t'admire ou teloue, voilà le plus court chemin pour repousser toute tentation de vanité.

584. Quels fardeaux porteraient des Indiens?Il est vrai que moi-même, ne croyant pas qu'il fût possible de trouver chez l'homme

une telle paresse, je me suis efforcé de les convaincre par des arguments provenant dela paresse elle-même, en leur montrant longuement qu'ils ignoraient la vraie façon des'éviter de la peine, ce qui est la pure vérité. Effectivement, qui ne dira qu'il est sottementparesseux celui qui peut transporter cent livres (46 kilogrammes) de maïs avec son chevalet qui n'en ramène chez lui sur le dos que dix (4,6 kilogrammes), uniquement parce qu'ila omis d'aller dans un champ voisin prendre son cheval? Il en est de même quand lesIndiens couvrent de paille leurs habitations. Il faut souvent être présent et crier pour qu'ilsfixent solidement le chaume avec des branches attachées à quelque chose. Comme engénéral ils négligent de le faire, un vent un peu plus fort que d'habitude enlève toute lapaille et la disperse en l'air; ensuite il leur faut donc à nouveau en arracher, la faire sécher,en couper les racines, l'apporter à la réduction et la mettre sur le toit. Cette pratique de laparesse n'est-elle pas inepte? Et en s'épargnant un tout petit travail, à savoir bien fixer lechaume, ne se créent-ils pas des tâches bien plus grandes, plus nombreuses et beaucoupplus longues? Qui ne rira de la coutume suivante, fréquente chez les Indiens? Quand illeur faut porter quelque chose, ils ne la mettent pas sur leurs épaules, même si elle ne pèserien, tant que tous leurs compagnons, à qui cet objet servira, ne soient présents et aident.Que de fois ne les ai-je pas vu, non sans une certaine irritation, porter à deux un tamis, oule petit d'un animal, avec un très long bâton, vingt fois plus lourd que le tamis lui-même?J'ai appris que dans une réduction des Indiens que l'on avait chargés de garder un troupeau,négligèrent même par paresse d'enlever les vers qui s'étaient multipliés dans les blessuresdes veaux, ce qui fit mourir presque tous ces animaux. Mais pour que le missionnaire neles trouve pas éparpillés dans les savanes, ils les avaient savamment enterrés dans destertres creusés au prix d'un grand travail et de beaucoup de sueur.

585. Par paresse beaucoup d'Indiens se blessentEt pour que soit encore plus clair pour le lecteur jusqu'où peut aller la nonchalance

des Indiens, qui ne connaît pas de limite, je vais rapporter, non sans très grande tristesse,ce que pendant quinze ans j'ai entendu raconter par d'autres missionnaires et ce que j'aimoi-même observé presque quotidiennement. Comptabilisant en fin d'année le nombre de

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32-3(-)mero, examinatisque morborum generibus, deprehendi longe plures ex mera inertia,quam morbi vi abreptos. Et primo quidem ex insectorum illo(r)um, quos alibi sub nominePique, vel Titaco descripsi, [,] corpus totum cor(r)odentium copia varij fuere, qui cum necipsi ea effodere, nec ab alijs ea ed(u)ci paterentur, diem obiarunt pigritire immolatis(.) Acatarrhis Missioni metuebam reque, ac Europrei metuere soient luem pestiferam, non quodvis mali esset vehementior, ac alibi esse assolet, sed quod Tndi eo correpti stipitum instariaceren(t), quibus medicinam aliquam, qua: durius phlegma pectori insidens dissolveret,p(o)rrigere, non aliud erat, quam mortem accelerare. eum enim iIlud tussi a pectore (re?)vulsum e[y](ji)ciendum erat, iacebat immobilis, usque dum suffocatus expiraret. Aliascerta quredam inflammatio oculos p[o]ene omnium afflixerat; et cum in medico quodamlibro ilIam descriptam reperissem, omnium regrorum oculos ex eiusdem medici sententiaurina parvulorum ipse per plures dies lavi, extersique, felicissimo prorsus successu. Sedcum ultra ducentos numerarem hoc morbi genere tactos, et diem omnes proprijs manibuscurandi, [,] alijs quo[ ]que distentus curis non possem, et prreterea tum medicina, tumcurandi methodus cuilibet facilis esset, ac expedita, omnibus, cum ad eos inviserem, quidfacere deberent, edixi, hortatusque sum, ut exequerentur. Diebus aliquot prreterlapsis, cumquotidie sciscitanti non modo ad rem respondissent, sed se optime iam valere assererent,miratus, cur oculos non aperirent, [,] ipse eos inspexi, et deprehendi plerosque non modonon valere, sed etiam nubem, mea equidem arte nusquam depellendam, contraxisse.Expostulanti mihi, atque qurerenti, cur re tam obvia usi non essent, frigide, contractistantisper humeris reposuere, se quoque nescire eius causam, tantaque animi tranquil(J)itate, ac indifferentia suam c[oe](re)citatem ferebant, quanta nos ne canis alicuius vilissimiferre possemus.

586. imo et occiduntur.Alijs non alio, quam inertire morbo confracta membra, imo et effusum non raro

disrupto cranio cerebrum. eum enim, nisi Missionarius continuo invigilet, omniaqueetiam minutissima videat, scruteturque, ipsi obvias quasque arbores, aut a vento dudumprostratas, putridasque, aut alias nullius firmitatis sive pro domus columnis, sive proappendendo lectulo suo arripiant, et socpe vix ad spit(h)amoc altitudinem defodiant, fiebatsocpissime, ut pondere corporis in lectulo iam decumbentis columna aut frangeretur, aut eterra evelleretur, rectaque linea et dormientem Indum, et interdum alios quoque gravissimelocderet, aut, uti dixi, effuso cerebro enecaret. Tolerandum id infortunij genus aliquaratione esset, si longius dissita: forent ilIre arbores, quas nulla p[o]ene retas vel arroderepotest: quas tamen quia ante domus p[o]ene ianuam reperiunt, nec, desidia nempe victi,dese[c](r)ent, commiseratione vix digni censendi sunt ex [el iIlo quoque capite, quod necalieno, nec suo periculo sapere discant, cum factum sit, ut confracta ob putredinem nonsine decumbentis lresione columna, ilIius pars ea, qure remanserat, iterum erecta fuerit,[y](ij)sdem usibus

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décès par maladie, j'ai constaté que la pure inertie des gens en était la cause principale,bien plus souvent que la maladie elle-même. Tout d'abord, plusieurs personnes eurenttout le corps rongé par une multitude de ces insectes que j'ai déjà décrits ailleurs2 sousle nom de pique ou de titaco3 (chique) ; comme elles n'enlevèrent pas ces chiques ni nelaissèrent personne d'autre les retirer, elles perdirent la vie, victimes de leur paresse. Pourla réduction je craignais les rhumes autant que les Européens craignent la contagieusepeste; non pas parce qu'ils sont plus forts qu'ailleurs, mais parce qu'ici les Indiens atteintssuccombent d'un coup et parce que leur donner n'importe quel médicament pour fluidifierle mucus adhérent très fort dans la poitrine, ne fait qu'accélérer la mort'. Quand en toussantun malade tente d'expectorer cette humeur, il s'immobilise et expire asphyxié.

Une autre fois presque tous les Indiens furent atteints d'une infection des yeux.Comme je l'avais trouvé décrite dans un manuel de médecine, pendant plusieurs jours j'ailavé et nettoyé les yeux de tous les malades avec de l'urine d'enfant, selon la prescriptiondu médecin auteur de ce livre: ce fut un succès total. Mais il y avait plus de deux centspersonnes atteintes de ce mal et je ne pouvais pas passer la journée entière à soignertout le monde de mes propres mains, tout en remplissant mes autres obligations. De plusle remède était facile à se procurer et son utilisation des plus simples, aussi, en visitantles malades, je leur indiquais ce qu'ils devaient faire et les engageais vivement à s'yconformer. Quelques jours après, comme je m'informais comme chaque jour, certainsrépondirent non seulement à mes questions mais également en affirmant qu'ils étaient denouveau en excellente santé. Étonné, car ils n'ouvraient pas les yeux, je les examinai etme rendis compte que la plupart non seulement n'étaient pas guéris mais avaient en plus lavue voilée, ce que je ne pouvais vraiment pas guérir avec mes connaissances médicales.Demandant et cherchant à savoir pourquoi ils n'avaient pas fait le traitement simple, ilsme répondirent froidement tout en haussant les épaules qu'eux-mêmes ne savaient paspourquoi. En même temps, ils acceptaient leur cécité avec une tranquillité d'âme et uneindifférence que nous, nous ne pourrions même pas avoir pour le plus vil des chiens.

586. Et des Indiens se tuent même par paresseUniquement par nonchalance, d'autres Indiens se fracturent des membres ou même

souvent le crâne avec épanchement de cervelle. Car si le missionnaire ne veille pascontinuellement, s'il n'examine pas tout avec soin, y compris les plus petites choses, desIndiens prennent les premiers arbres trouvés, récemment abattus par le vent, car pourrisou pas solides, pour les utiliser comme poteaux de leur maisons ou pour y accrocher leurhamac. Et bien des fois ils ne les enfoncent en terre que d'un empan (21 centimètres), ce quifait que très souvent, à cause du poids du corps couché dans le hamac, le poteau se casseou s'arrache du sol et blesse très gravement le dormeur et parfois aussi d'autres personnes,ou même, comme je l'ai dit plus haut, le tue en répandant sa cervelle. 11 y aurait peut-être

2 Au paragraphe 486. II s'agit du diptère Tunga penetrans ou Pulex penetrans, appelé puce-chique ouchique.

3 En baure titaca signifie pulga (puce en espagnol) d'après A. Maggio (1880, p. 118), cité par Bamadas(1985, p. 332, note 9). C'est la première fois que F. X. Eder donne le nom baure de la chique, appelée pique ounigua en espagnol.

4 Membre de phrase absent dans la traduction espagnole de Barnadas (1985, p. 332).

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32-4deinceps servitura. Quid, quod res quasvis, quarum et moles, et pondus sinit, non manu,sed pede e terra mira facilitate elevat, ac dein manui prehendendam a tergo porrigit, digitisduobus, pollice nempe, et alio proximo instar forcipis alicuius pro arbitrio reseratis, autclausis? Repeto hic, antequam ad sequens caput transeam, quod superius dixi, et Lectoremoro, opinionem suam de his automatis edicat; tum vero, quam volupe sit cum huiusmodihominibus agere, ac conversari, perpendat: ac demum, an auro, ullave humana mercedequis induci se pateretur, ut eorum curam in se suscipiat, [y](ij)sdem de rebus necessarijsprospiciat, eorum morbos aptis remedijs depellat, [y](ij)s denique diu, noctuque assistat,ac misceatur, quin vel vires amittat, vel animum despondeat. Sola certe vocationis divinregratia est, cui hrec omnia in acceptis referre est necesse, qua qui destitutus fuerit, utut pin[q](g)ui mercede conductus in vinea laborare cogatur, nescio, an non sub onerefatiscet, et visa tam sterili, ac laboriosa provincia primum quidem animis, tum e[x](t)iamcorpore concidat.

Caput VIIDe ordinarijs Indorum morbis, medicinis, dieta, et exigua salutis recuperandre cura.

Quamvis varia hoc opere insinuarim, qure huc pertinere videntur, et prretereaLector ipse intellectu assequi possit, quales futuri sint, cum regrotant, qui optime etiamvalentes nullis legibus ligari posse videntur, peculiari tamen capite de eorum morbis,ac quibusdam remedijs, tum etiam de supina salutis recuperandre incuria agere statui.Id, quod cuidam Iesuitre, artis medicre peritissimo, evenit, breviter referam. Missus isfuerat a superioribus in eum finem, ut in prrecipuos Indorum morbos inquireret, tum eoscurandi methodum, ac herbas Missionarios edoceret. Cumque is regros, ut fieri solet,inviseret, videretque novum hominum genus, qui cum capitis doloribus vexarentur, deventre, aut alio quovis membro quererentur, et nullis legibus adfringi paterentur, atqueidcirco plerique omnes emorerentur, indignatus Missiones deseruit id asserens: se malleequorum, quam horum morbos curare: equi enim, aiebat, cum loqui nesciant, nec etiamnorunt mentiri, uti hi faciunt: prreterea clare edixit, nec ipsos medicinis, nec has illis aptasesse; pergerent proinde Missionarij cum [y](ij)s, eorumque morbis, uti eousque fecerant,congredi, luctarique.

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une raison pour excuser ce genre d'accident, si des arbres quasiment imputrescibles setrouvaient très loin; or les Indiens les trouvent presque devant leur porte et les délaissent,vraiment victimes de leur inertie. Ils sont à peine dignes de pitié, car ils n'apprennent pasà être prudents après avoir été, eux ou d'autres, en danger. Il arriva même, après la cassured'un poteau, due à sa pourriture, suivie de blessures au dormeur qui y avait attaché sonhamac, que la partie du poteau qui restait fut remise en place pour les mêmes usagesqu'auparavant.

Pourquoi donc un Indien soulève-t-il du sol avec une admirable facilité toute chose,dont le volume et le poids le permettent, non pas avec la main mais avec le pied? Ensuite,par derrière, il passe à sa main l'objet qu'il a saisi entre deux orteils, le gros et le suivant, quifonctionnent comme une pince, en s'ouvrant ou se resserrant à volonté. Avant d'aborder lechapitre suivant, je vais répéter ici ce que j'ai déjà dit et je supplie le lecteur de donner sonavis sur ces automates. Puis qu'il juge combien il est agréable de passer son temps et deconverser avec cette sorte de gens. Enfin qu'il estime si pour de l'or ou pour un bon salairequelqu'un serait disposé à accepter de les prendre en charge, de leur procurer le nécessaire,de soigner leurs maladies avec des remèdes appropriés, d'être nuit et jour au milieu d'euxprésent et à leur service, sans perdre cependant ni force ni courage. Il est certain qu'il fautseulement mentionner la grâce de la vocation divine pour pouvoir supporter tout cela; quine la possède pas, même attiré par une grasse rémunération et envoyé à travailler danscette vigne du Seigneur, succombera sous le fardeau ou perdra d'abord courage puis touteforce physique, à la vue d'une province si stérile et si pénible.

Chapitre 7 : Des maladies courantes des Indiens, de leurs médicaments, de leur diète etde leur peu d'attention pour recouvrer la santé

Certes dans cet ouvrage j'ai déjà signalé plusieurs choses qui concernent ces thèmes.En outre le lecteur lui-même peut, par ce qu'il sait déjà, s'imaginer le comportement desIndiens qui tombent malades, eux qui, alors qu'ils sont très bien portants, ne semblent obéirà aucune règle. Cependant j'ai décidé de traiter dans un chapitre à part leurs maladies,certains de leurs remèdes ainsi que leur indifférence et leur négligence pour se soigner.Je vais d'abord brièvement raconter ce qui est arrivé à un jésuite, grand spécialiste enmédecine. Il fut envoyé par ses supérieurs pour enquêter sur les principales maladies desIndiens pour ensuite apprendre aux missionnaires la façon de les soigner et l'utilisationdes plantes médicinales. Alors qu'il visitait les malades, comme nous en avons l'habitude,il vit qu'il avait à faire à une nouvelle espèce d'humains qui souffraient de maux de tête ouse plaignaient du ventre, d'un membre ou d'une autre partie du corps, mais n'acceptaientpas de se soumettre à la moindre discipline, ce qui fit que presque tous moururent. Indigné,il abandonna les missions en affirmant qu'il préférait soigner les maladies des chevauxplutôt que celles de ces gens-là, car si les chevaux ne savent pas parler, ils ne saventégalement pas mentir comme le font les Indiens! De plus, il proclama sans détour que cesgens n'étaient pas faits pour les médicaments, ni les médicaments pour eux ! Ainsi, lesmissionnaires durent continuer à faire des efforts et à se démener avec les Indiens et leursmaladies, comme ils l'avaient fait jusqu'alors !

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587. Indi non sunt tot morbis exposit(i) ac Europrei.Id tamen lubens fateor, Indos longe paucioribus morbis esse obnoxios, quam Europreos.

Sic Variolarum nulla apud eos noti[c](t)ia, nisi quod ultimis hisce temporibus ab Hispanisin duas Missiones allatre fuerint, quas etiam p[o]ene ad nihilum redegere. Ignoti etiammorbi sunt Apoplexia, calculus, hremorrhoides, lepra, Gallicus, et alij plures. Ii vero, quiplerumque grassantur, sunt: Dys[s]enteria, Pleuritis, febres calidre, Catarr(h)us, omnisgeneris tumores, et apostemata, ac demum, et quidem omnium maxime lumbrici, e quibusplerique in tumulum prrecipitantur. Medicinarum vero ipsis notarum tanta est parcitas, utvel ex hoc uno capite pateat,

32-5quam parum de sua valetudine sint solliciti. Butua, Lusitanis Medicis optime nota, arbustigenus, arboribus maioribus funium instar se se obvolvens, unica est, qua Colicre doloresdepellere sollent. Prret(e)rea herbam quandam pauci aliqui noverant, quam venenosismorsibus piscis, Raia dicti alligant. Id, quod mihi prreplacuit, erat certum arbusti genus,cuius radi(c)es soli siccandos exponunt, et tum domi recondunt. Cum vero se a dentiumdoloribus vexari advertunt, modicissimam radicis huius particulam denti imponunt tamfelici eventu, ut momento p[o]ene dolorem omnem depellat. Si vero quis dentem evulsumvelit, id absque ullo doloris sensu intra octiduum consequetur, modo radicem dictamdenti ap(p)ositam circumferat, utpote qure singulis ferme diebus frustillum aliquoda reliquo separat. His tribus omnem eorum pharmaceuticre artem constare memini,quod eo mirandum magis, quo ipsi regionem herbis, radicibus, arboribusque resinosisabundantissimam incolant, qure ipsi tot sreculorum decursu, si ratione recte uti nossent,experiri potuissent, nisi et mortem prrecocem, et vitam longiorem pari animi indifferentiaintuerentur.

588. Quam desides in curanda salute.Sed utinam vel hodie, cum iam et fide, et moribus cultiores erant, sapere didicissent,

et aut ea, qure a Missionarijs edocti sunt, morbis suis opponerent, aut [y](ij)s a Missionarioparatis, oblatisque, ut hominem ratione prreditum decet, uterentur. Quale enim solatium,vel quem non m[oe](re)rorem Missionarius sentiat, qui tot, tamque heterogeneis curisdistractus, ubi manibus suis et herbas conquisivit, et paravit, mortem regri se [y](ij)saccelerasse non raro deprehendat, idque non aliunde, quam quod is id, quod maximostudio vitare debuisset, biberit, aut comederit ? Sed ob[y](ji)ciet non nemo, qua fronte semuneri tam arduo, quale esse censetur periti Medici, ingerant Missionarij, qui plerumquehuic facultati addiscendre parum, aut nihil incubuerunt. Respondeo, verissimum quidem

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587. Les Indiens sont exposés à moins de maladies que les EuropéensCependant je conviens de bon gré que les Indiens sont exposés à beaucoup moins de

maladies que les Européens. Par exemple, ils n'avaient aucune notion de la varioles jusqu'àson introduction récente par des Espagnols dans deux réductions qu'elle anéantit presqueentièrement6• De même étaient inconnus l'apoplexie, les calculs, les hémorroïdes, la lèpre,la syphilis et beaucoup d'autres maladies. Celles qui touchent vraiment le plus les Indienssont la dysenterie, la pleurésie, le paludisme7, les rhumes, toutes sortes de tumeurs, lesabcès, enfin, mais également les plus répandues, viennent les vers qui mènent la majoritédes infectés à la tombe. D'un autre côté, le nombre de médicaments que connaissent lesIndiens est si faible, que cela seul montre bien le peu de soin qu'ils prennent de leur santé.L'espèce d'arbuste butua, très bien connu des médecins portugais, qui s'enroule commeune liane autour des grands arbres, est l'unique remède qu'ils ont l'habitude d'utiliser pourlutter contre les douleurs des coliques. Quelques-uns connaissent en plus une herbe qu'ilsappliquent sur les piqûres vénéneuses de la raie appelée raya8• Mais le médicament que j'aile plus apprécié est un certain arbuste dont les Indiens sèchent les racines au soleil, puis lesemportent chez eux. Quand ils commencent à souffrir d'une dent, ils mettent sur celle-ciune toute petite quantité de cette racine séchée et l'efficacité est telle que toute douleurcesse presqu'instantanément. Maintenant, si quelqu'un veut s'arracher une dent sansdouleur, il l'entoure avec un peu de cette racine pendant une bonne semaine, ce qui faittomber presque chaque jour un morceau de la dent. Je me souviens que leur pharmacopéeconsiste uniquement en ces trois éléments; ce qui est d'autant plus étonnant qu'ils viventdans une région très riche en plantes, racines et arbres résineux qu'au cours des sièclesils auraient pu expérimenter, s'ils savaient utiliser correctement leur intelligence et neconsidéraient pas avec la même indifférence une mort précoce et un allongement de la viegrâce aux soins.

588. Extrême négligence pour leur santéSi seulement, maintenant que les Indiens sont déjà plus instruits dans la foi et les

moeurs chrétiennes, ils avaient appris à connaître et à appliquer contre les maladies ce queleur enseignent les missionnaires ou utilisaient les remèdes que ceux-ci leur préparent etleur donnent ; ce que ferait d'ailleurs tout homme doué de raison. Car quel soulagementou plutôt quelle grande tristesse le missionnaire ne ressent-il pas quand, bien qu'occupéà d'innombrables et diverses besognes, il a recherché et préparé de ses propres mainsles plantes médicinales, puis constate souvent qu'avec celles-ci la mort du malade a étéprécipitée pour l'unique raison que le patient a bu la potion ou pris le médicament qu'il

, Comme le rappelle Hamadas (1985, note 2, p. 335) Eder avait contracté la variole. Ainsi est-il décrità Cadix (Ctidiz) lors de son départ d'Espagne pour le Pérou en 1750 : "âgé de vingt-trois ans, mince, blanc,avec des cicatrices de variole, nez épais et cheveux châtain clair", d'après la citation de Hamadas (1985, p.LXXIII).

6 L'introduction de maladies inconnues des autochtones est la principale cause de la diminution drastiquede leur population après l'arrivée des Espagnols en Amérique, bien davantage que les brutalités et les massa­cres perpétrés par ces colonisateurs.

7 Littéralement: les fièvres.8 Orthographié Raia par Eder. Se référer aux paragraphes 435 à 439 concernant la raie.

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esse, neminem fere Missionariorum ne a longe quidem salutasse hanc artem, imo necquidem somnianti incidisse, ut se se huic quondam obeundo muneri aptarent: aderanttamen libri complures ex [y](ij)s, qui facili methodo, et absque illis superfiuis, et mysterioplenis ambagibus morborum species, et remedia exponebant; aderant multa manuscriptaseniorum, et quod maximum est, aderat Numinis bonam voluntatem iuvantis dextera, cuiunice in acceptis referendum, quidquid feliciter gestum. Denique ere erant medicinre, quasporrigebamus, ut si regro non medebantur, certo certius non oberant.

589. Origo prrecipuarum infirmitatum.Communis erat omnium Missionariorum opinio, quotidiana experientia confirmata,

Indos lumbricis esse refertos, atque ex [y](ij)s, tanquam ex fonte, plerosque eorum morbosoriginem habere. Moris nempe apud eos est, prolibus suis ab ipsa p[o]ene nativitatis diefructus, tum coctos, tum etiam crudos edendos porrigere, quia reputant lac maternumsustentandre proli prorsus esse insufficiens: et quamvis ipsis errorem hunc, prolibus tamnoxium, conatus fuerim adimere, nonnisi cum unice mi[//](-)

32-6(-)hi res e vota cessit, idque unico, duntaxat antequam expelleremur, anno, ut proindenesciam, an exemplum imitati deinceps fuerint. Mos vero erat binis in( )dies vicibusregros invisendi, eorumque tum animas, tum corpora curandi.

590. Infausta Xenodochij constructio.Cum vere morbus epidemicus quondam ingruisset, ac ducentis plures graviter

regrotarent, statuerat Missionariorum unus Xenodochium extruere, eoque regrotosomnes inferre, ut hac ratione omnibus necessariam opem prrebere posset, cum alias diesnon sufficeret, si per domos singulas circumcursare, sacramenta conferre, medicinascircumferre, eas propinare, ap(p)licareque, tum cibos, quantum loci, et rerum angustirepermittunt, et parare, et ipsis prrebere, uti moris erat, voluisset. Proposuerat hoe mediumNationum Capitibus, et ea, qure inde in regros derivabantur commoda, a quibus nonassensum modo, sed et laudem consecutus est. Extruitur tumultuarie domus spatiosa, nonminus, quam idonea, in quam prompti advenere regri omnes ipsa rei novitate allecti. Atubi Ianitorem /(:) ipse Missionarius id quoque munus in se assumpsit :/ acerbiorem, quamipsi vellent, experti fuissent, qui nempe vetitos cibos, potusque ipsis inferri vetabat, quimedicinas non prrebebat modo, sed ut sum[m]erentur etiam, urgebat, qui egredi eos indead solita in fluvio balnea prohibebat, sustinuere quidem, quia paiam adversari, aut fugamcapere non audebant, at tanto in posterum odio prosecuti sunt Xenodochium, in quoplerique omnes sanitatem nacti sunt, ut nemo iam suum morbum detegere Missionariovoiuerit, ne sua quidvis edendi, bibendique libertate privaretur in Xenodochio, factumquefuerit, ut regri in vieinis silvis se abdiderint, ibique non pauci pecorum instar obierint,proindeque Missionarius Xenodochium e fundamentis diruere coactus sit, ut ipsis omnemeo deveniendi suspicionem adimeret.

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devait à tout prix éviter? Quelques-uns objecteront: par quelle audace les missionnaires selancèrent-ils dans cette tâche si difficile de s'aviser experts en médecine, alors que la plupartd'entre eux n'avaient pas ou peu étudié cette discipline? Je répondrai qu'il est tout à faitexact que presque aucun Père n'a abordé, même de loin, l'art de la médecine, ni n'a reçu ensonge ce don. Cependant on trouve beaucoup de livres qui, de façon simple et sans détoursinutiles ni mystères, décrivent les différentes maladies et les remèdes pour les combattre. Lesmissionnaires disposent également de nombreux écrits de leurs prédécesseurs et par dessustout peuvent compter sur le bras droit de Dieu qui aide celui qui est de bonne volonté et c'està Lui seul qu'il faut attribuer toute réussite. Enfin, les médicaments que nous administrionsaux malades, s'ils ne les soignaient pas, du moins ne leur faisaient à coup sûr aucun mal.

589. Origine des principales maladiesEn général tous les missionnaires pensaient, et leur expenence quotidienne le

confirmait, que les Indiens étaient pleins de vers et que là étaient la source et la causede la plupart de leurs maladies. En effet, presque dès leur naissance, ils ont coutume dedonner à manger à leurs nouveau-nés des fruits cuits et même crus, car ils pensent que lelait maternel est très insuffisant pour assurer la nourriture de leurs enfants. Et bien queje me sois efforcé de leur ôter cette erreur de la tête, si préjudiciable à leur progéniture,mon souhait ne s'est réalisé qu'une fois, et ce fut un an seulement avant notre expulsion.Aussi, je ne sais pas si les Indiens continuèrent à suivre cet exemple. Notre habitude étaitde rendre visite deux fois par jour aux malades pour soigner leurs âmes et leurs corps.

590. Construction malencontreuse d'un hôpitalQuand une épidémie sérieuse survint et que plus de deux cents personnes tombèrent

gravement malades, un des Pères décida de construire un hôpital et d'y installer tous ceuxqui étaient atteints, pour ainsi pouvoir leur apporter toute l'assistance nécessaire. Autrementtoute lajournée n'aurait pas suffi, s'il voulait, comme il en avait l'habitude, passer dans toutesles maisons, administrer les sacrements, apporter, distribuer et appliquer les médicaments,ensuite préparer et donner de la nourriture autant que la rareté des produits en ce lieu lepermettait. Il proposa donc ce projet aux Chefs des nations en exposant les avantages quien découleraient pour les malades. Ceux-là non seulement approuvèrent l'idée mais enfirent également l'éloge. On éleva donc en hâte un édifice spacieux et commode dans lequeltous les malades vinrent avec empressement, attirés par la nouveauté. Mais ils constatèrentque le portier était plus strict qu'ils ne le souhaitaient: c'était le missionnaire lui-même quiassumait cette fonction. En effet il interdisait qu'aux malades soient apportés boissons etaliments défendus, il leur fournissait des remèdes mais il insistait également pour qu'ilsles prennent et leur interdisait de sortir pour prendre leur bain habituel dans le fleuve. Leshospitalisés supportèrent tout cela parce qu'ils n'osèrent pas s'y opposer ouvertement niprendre la fuite. Mais par la suite ils détestèrent tant l'hôpital, dans lequel cependant lagrande majorité avait retrouvé la santé, que plus personne ne voulait déclarer au Père samaladie, pour ne pas être privé dans l'hôpital de la liberté de boire et de manger tout cequ'il voulait. Et il arriva même que des malades s'enfuissent dans les forêts environnantes,où beaucoup moururent comme du bétail. Aussi le missionnaire fut-il obligé de faire raserl'hôpital pour enlever aux Indiens toute crainte d'y être amenés.

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591. Desidia in usu medicinarum.Qua facilitate eos interrogatos de re quavis respondere alias memini, videlicet non id,

quod est è rei veritate, sed quod promptius in buccam venit, ita etiam interrogati de morbosuo reponunt, ut nempe cum caput male affectum sentiunt, de stomacho, cum vero huiusdoloribus divexantur, de quovis alio membro conquerantur. Unde prima Missionariorumregula aut non interrogare, aut non assentiri, nisi post longiorem inquisitionem. Si enim isv(erbi )g[:](ratia), qui de stomacho false queritur, interrogetur, qua parte stomachi doloresexperiatur, tunc enim vero monst(r)at partem affectam, sive pectus, sive caput sit, ut proindestomachum in capite, caput in pectore, qurerere, curareque sit necesse. At longe deterius idest, quod cum morbi locum repereris, ac regro parata pharmaca submiseris, ea non horrorealiquo nobis plerisque indito, sed desidia sum[m]ere negligat, un[q](g)uenta columnrealicui do(mus,) aut parieti appingat, velut si no(n ip)se, sed domus eius regrotaret(,) ap(p)osita iterum solvat, reponatque, tabellas, quibus pes, aut brachium diffractum alligatumerat, [,] quamprimum sibi inde aliquam molestiam enasci advertit, ab[y]Ui)ciat, quinsrepe, de gravi vitre periculo monitus aliud reponat, quam se emendaturum, licet id ne inmentem quidem venerit, minus in animum suum induxerit.

32-7592. Srepe se ipsos in gravissima mortis pericula conijciunt.

Quid, quod multi post sumptam aliquam evectivam, cum hrec vel maxime operatur,siti aliqua, ut tunc fieri assolet, ve(x)ati, illico ad solitum potandi remedium appellant, quininfausto aliorum eventu cautiores reddantur. Quoties accidit, ut cum maxime abstinendumfuisset a cibo, non unum aliquem, sed obvios quosvis sive fructus, sive pisces immoderateederent, et novam, eamque priori graviorem regritudinem contraherent ? alij, cumvehementissima febri restuarent, et sudore maderent, ad fiuvium balneaturi properarent,aut si vires ad id deerant, comportata per suos domum aqua, et corpori sensim affusarefrigerium momentaneum qurererent, ex quo plerumque aut mors repentina, aut diuturnamorborum gravissimorum seges consurgeret. Denique ut brevi pessim[a](u)m eorummorbi tempore agendi modum depingam, expertus sum, Indos regrotos sive facere, siveomittere, non quod ipsis svadetur, sed quod ipsis arridet, nulla dictorum, nulla periculoruminterminatorum, nulla proprire experientire, nulla denique valetudinis recuperandre habitacura. Quod si deinde ingruente iam morte, in quam ipse se sponte coniecit, arguatur,increpeturque, summa animi tranquilitate, non secus ac nos de aliquo folio sicco ex arboredeciduo moniti faceremus, reponere solebat: sinamus moriar, bene equidem. Utinam pariserenitate Missionarij hisce in occasionibus gauderent, quorum dolor iustissimis de causissrepe gravissimus esse solet, cum suos non vi morbi, utpote qui non raro levissimus, acne minimo quidem periculo obnoxius erat, sed vitio intemperantire emori vident, quostanto labore, conatuque in arte aliqua Missioni ut utili, aut etiam necessaria erudierant, etquibus( )nunc pares novo labore, sudoreque elaborare, ipsius humeris incumbit.

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591. Négligence dans l'emploi des médicamentsJe me souviens avec quelle facilité les Indiens répondent à côté quand on leur pose une

question, quelle qu'elle soit; ils ne disent pas la vérité mais bien la première chose qui leurvient à l'esprit. Il en est de même si on les interroge sur leur maladie; ils répondent, alorsqu'ils souffrent de maux de tête, que c'est de l'estomac; s'ils ont des douleurs d'estomac, ilsaffirment qu'ils souffrent d'une autre partie du corps. C'est pourquoi la première règle desmissionnaires est de ne pas poser de questions, ni de faire confiance à ce qu'on lui dit, si cen'est qu'après une consultation minutieuse. Car si quelqu'un, par exemple, se plaint à tortde l'estomac, il faut lui demander de préciser l'endroit exact de l'estomac qui le fait souffrir,alors il montrera la partie où il a mal; ce sera la poitrine ou la tête. Ainsi faut-il chercheret soigner l'estomac dans la tête ou la tête dans la poitrine! Mais il y a pire: quand tu asrepéré l'endroit du mal et que tu as donné au malade les remèdes que tu as préparés, celui­ci peut omettre de les prendre non par crainte vis-à-vis de la plupart d'entre nous mais parsimple négligence, appliquer à un poteau ou à une paroi de sa maison les onguents commesi ce n'était pas lui mais sa demeure qui était malade, enlever puis remettre les emplâtres,ôter les attelles qui soutiennent une jambe ou un bras cassé, dès qu'il ressent une gêne. Bienplus, averti d'un grave danger pour sa vie, il répond à autrui qu'il va s'amender, bien quecela ne lui soit vraiment pas venu à l'esprit, ni qu'il ait la moindre intention de le faire.

592. Souvent les Indiens s'exposent eux-mêmes à de graves dangers de mortPourquoi beaucoup de malades, après avoir pris un laxatifqui a très bien agi, tourmentés

par la soif, comme cela arrive normalement, réclament-ils aussitôt à boire à nouveau de cettepotion habituelle, sans être plus prudents car l'issue fatale est déjà arrivée à d'autres qui ontfait cette même erreur? Combien de fois arriva-t-il que, quand il leur fallait une diète totale,les malades mangeaient sans retenue non pas une seule chose, mais tous les aliments qu'ilstrouvaient à leur portée, fruits ou poissons, et attrapaient une nouvelle maladie plus graveque la première? D'autres, brûlants de fièvre et trempés de sueur, se hâtaient vers le fleuvepour s'y baigner ou, s'ils n'avaient pas la force d'y aller, recherchaient un rafraîchissementmomentané en se versant peu à peu sur le corps de l'eau apportée par leurs proches. Avec cestraitements, la plupart obtenaient une mort subite ou une longue série de complications trèsgraves. Enfin, pour résumer brièvement leur très mauvaise façon de se comporter quand ilssont malades, j'ai vu par expérience que les Indiens ne font pas ce qu'on leur conseille, maisbien ce qui leur plaît, sans tenir aucun compte ni de ce qu'on leur dit, ni des risques qu'ilsencourent, ni de leur propre expérience, ni enfin de leur santé à recouvrer. Or, si ensuite onfait des reproches et on invective le malade déjà au seuil de la mort vers laquelle il s'est lancélui-même de plein gré, il a l'habitude de répondre en toute sérénité, pas autrement que nousle ferions en pensant à une feuille sèche qui tombe d'un arbre; laissez-nous mourir, c'estbien ainsi. Fasse le Ciel que dans de telles conditions les missionnaires aient cette mêmetranquillité d'âme! Car la peine des Pères est souvent, àjuste raison, très grande, en voyantles leurs mourir non pas à cause de leur maladie, qui bien souvent est bénigne et ne présentepas le moindre danger, mais bien à cause de l'intempérance des malades. Avec beaucoup delabeur et d'efforts, ils avaient formé ces défunts à des métiers utiles ou même indispensablesà la mission; maintenant ils ont sur leurs épaules la charge d'en préparer avec soin d'autrespour les mêmes postes, à nouveau au prix de beaucoup de travail et de sueur.

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Caput VIII.De mulierum partubus.

593. Mulieres Indre steriliores Europreis.Etsi Indi tam corporis proceritate, quam viribus longe sint inferiores Europreis,

necessitas tamen Missionarijs persvasit, ut matrimonia inter Iuvenes iniri non modosinerent, sed etiam svaderent, quamprimum prrefixos a sacris canonibus annos attigissent,ut videlicet longe gravissimis malis obviarent. Et licet non incongrue his prrematurismatrimonijs, eiusque immoderato usui adscribi possit paucitas prolium, et iactura nonmodo virium, sed etiam valetudinis, alire tamen rationes non parum conferunt, quod, ex[ ]cepta duntaxat unica natione, paucissimre mulieres fuerint, qure quinque, aut sex proIesin lucem edidissent, multre vero, qure nec unicam, licet etiam triginta, aut quadragintaannis, idque varijs Viris nuptre fuissent. Natio unica Itonama erat, qure prolibus exsatiariposse nunquam vix debatur, ut proinde visu mirum sane, atque iucundum fuerit turmasInfantum, sive in Catechesibus solitis, sive in publicis supplicationibus videre, ipsiqueofficiales Hispani testati sint, se non facile alibi simile quid reperisse.

32-8Vir huius nationis, recens matrimonio iunctus, consvetudine in legem abeunte, uxorem,quousque gravidam non adverteret, vix alloquio dignabatur, nullum ei prrebebat cibum,neque admittebat, ut solito rerum ornatu, etsi proprio, uti auderet, sed canis instardespiciebat, et domi reclusam manere iubebat. Quamprimum vero prolis spem addessesenserat, mutabatur scena, et si quidem feliciter enixa est, mercedem a marito certamhabebat, quem morem apud plerasque Nationes deprehendi, etsi tantisper dissimilem:apud quasdam enim Vir mulieri, apud alias mulier Viro prolem solvebat, ita enim ipsimetaiebant.

594. Radix medicinalis Itonamarum.Et quoniam deesse nonpoterantmulieres, prresertim in tantonumero, qualemhrecnatio

conficiebat, qure ultra 6 mille Capita in unica S. Marire Magdalenre Missione numerabat,naturali sterilitate laborantes, ne Virorum suorum srevum agendi modum diutius ferrecogerentur, alire quidem media fidei matrimoniali contraria, alire vero naturalia, etplerumque fortunato eventu tentarunt. Radicem plantre cuiusdam, an seminatre, an verosponte enatre, non memini, per aliquot horas igni affusa aqua admovebant, et hausta adinstar quotidiani potus eius aqua, asseverabant se humores quosdam crassos, ac viscosossan[q](g)uine permixtos e[y]Ui)cere, qui impedimento ipsis erant, quod foetum anteaconcipere nequiverint. Res innumeris feliciter cessit. Quod cum audijssem, petij ab huiusnationis Missionario tam proficuas radices; et eas proprio experimento maximi faceredidici.

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Missionsjésuites d'Amazonie bolivienne

Chapitre 8 : Des accouchements des femmes indiennes

205

593. Les Indiennes sont plus souvent stériles que les EuropéennesBien que les femmes indiennes aient une taille et des forces très inférieures à celles des

Européennes, les missionnaires ont été amenés par nécessité, non seulement à permettreaux jeunes de contracter mariage, mais également à les y encourager dès qu'ils atteignentl'âge fixé par le droit canon, dans le but d'éviter ainsi des maux pires. Certes le petit nombred'enfants des femmes, ainsi que la perte de leurs forces et de leur santé, peuvent très bienêtre attribués à ces mariages précoces et au recours excessif à ceux-ci. Cependant il y abien d'autres raisons qui expliquent ce manque d'enfants, car, à l'exception de celles d'uneseule nation, il y a très peu d'Indiennes qui ont eu cinq ou six enfants et même beaucoupd'entre elles n'ont aucune progéniture, bien qu'âgées de trente ou quarante ans et ayantété mariées à plusieurs hommes. La nation des Itonama est la seule qui semble ne jamaisse lasser d'avoir des enfants. Aussi était-il très étonnant et agréable de voir des flopées depetits au catéchisme ou aux prières publiques, ce que les officiels espagnols eux-mêmesaffirmèrent ne pas avoir fréquemment rencontré ailleurs. Selon une coutume devenue loi,chez les Itonama, jusqu'à ce que sa femme tombe enceinte, l'homme nouveau marié luiparle à peine, ne lui fournit aucun aliment, ni n'admet qu'elle se permette d'utiliser lesparures habituelles même si elles lui appartiennent; en plus illa méprise comme un chienet lui ordonne de rester enfermée à la maison. Mais dès qu'il constate qu'il y a un heureuxévénement qui se prépare, les choses changent. Et si la femme enfante avec succès, ellereçoit alors de son mari un prix fixé par la coutume. Coutume que j'ai trouvée dans laplupart des nations, même si c'est avec des différences : selon les propres termes desintéressés, c'est l'homme qui achète la descendance dans certaines nations; chez d'autresc'est au contraire la femme qui la paye à l'homme.

594. Racine médicinale utilisée par les ItonamaIl y avait beaucoup de femmes affectées de stérilité naturelle, spécialement dans

cette nation itonama, si nombreuse que la seule réduction de Santa Maria Magdalena9

comptait plus de six mille habitants. Pour ne pas être forcées de supporter plus longtempsle comportement impitoyable de leurs maris, les femmes itonama essaient, et la plupartdu temps avec succès, plusieurs moyens. Certains sont certes contraires à la fidélitéconjugale, d'autres consistent en remèdes tout à fait naturels. Ainsi, dans de l'eau ellesfont bouillir sur un feu pendant quelques heures la racine d'une plante particulière dont jene me souviens plus si elle est cultivée ou spontanée. Ensuite, elles utilisent cette eau decuisson comme boisson quotidienne et affirment que cela expulse des humeurs épaisseset visqueuses, mêlées à du sang, qui les empêchaient auparavant de garder le foetus. Cetteméthode a réussi à d'innombrables femmes. Ayant appris cela, j'ai demandé au Père decette mission de ces racines si efficaces. Et ensuite je les ai encore plus appréciées, suiteaux résultats dont j'ai été témoin.

9 Mission jésuite située à l'ouest de celle du Père Eder (San Martin de Baures), sur le rio Itonamas, an­ciennement rio Magdalena.

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206 Joseph LAURE

595. Viri horrent mulieres menstruo (la)borantes.Quamprimum Maritus mulierem menstruo fluxu laborare advertit, eam cane peius,

et an[q](g)ue fugit. Sciscitanti mihi huius pavoris, ac omnimodre separationis causam,respondit quidam, se ideo metuere vel propius accedere ad huiuscemodi mulierem, quodsciret plantas, et arbusta etiam emori, qure tunc vel veste attigisset. Ipsre mulieres hoctempore se ultronee, quantum fieri potest, a reliquis eiusdem domus incolis separant:lectulum quippe suum, sive Hamacam altissimo loco domus columnis appendunt, indeque,quoadusque fluxus perseverat, non nisi ad maxime necessaria obeunda, per scalam, autfunem se se demittunt, non secus, ac gallinre, dum ovis suis incubant.

596. Ignorantia prregnantium circa tempus par(tus) et obstetricum.Sed ut ad parturientes redeam, adverto, nihil incertius me unquam deprehendisse,

quam tempus, quod prregnantes partui suo prrefigunt. Utitur earum error ex summa siveignorantia, sive incuria, ut proinde vix aliquam sit reperire, cuius calculus cum rei veritatecongruat, idque mensium etiam discrimine. Accedit ad hrec obstetricum imperitia, qureplerumque rudes adeo sunt, et sui muneris ignarre, ut omnis earum opera fus[l/](-)

33-1(-)tibus, ne quid gravius dicam, exsolvi mereretur. Alire enim superstitioso quodam cantu,alire reddito aliquot an[n]atibus propitio Acsane, alire alijs ineptioribus medijs parientibusmederi intentant: cumque hisce omnibus nihil se levari sentiant, ad Missionariumrecurrunt. Plerreque mulieres nullo p[o]ene labore foetum suum edunt. Si tamen issponte suo utero non egrediatur, ut proinde conatu aliquo, ac dolore constet, in ultimamsegnitiem delabuntur, quin ullis verbis induci, aut ullo periculo se ad vires exerendasterreri patiantur. Quibus nisi Missionarius prresto sit, plerumque et Mater, et foetus de vitapericlitaretur. Verum quidem est, ipsis vires necessarias non raro deesse, utpote quibuset cibi solidiores, et aura salubrior deest: quare mihi ipsi interdum accidit, ut porrectomodico vini pro Missre Sacrificio dedicati haustu difficultatem omnem non minus feliciter,quam brevissime sustulerim. A partu peracto ere sunt, quas nunquam vel uterum gestasseiudicares, nisi forte pallidior vultus indicium illius prrebeat. Nulla in surgendo mora,nuIlre epulre, nulla virium recuperandarum cura, nulla in quaquaversu[m](s) pervagandomora, nulla denique in obeundis quibuslibet munijs, in summendis promiscue cibis, insolitis balneis solicitudo.

597. Quid Csiriguani transacto partu ?Natio erat, cui nomen Csiriguana, nostris Missionibus Vlcma, [,] et infidelitatis

tenebris ob non nullorum avaritiam, ac invidiam adhuc involuta, quibus hic, nescio an risu,an indignatione dignus mos. Mulier edito in lucem partu lectulo suo valedicere iubetur, in

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Missionsjésuites d'Amazonie bolivienne 207

595. Les hommes redoutent les femmes pendant leurs règlesDès qu'un mari remarque que sa femme a sa menstruation, illa fuit plus qu'un chien

ou un serpent. M'informant sur la raison de cette peur et de la séparation totale de safemme à ce moment, un homme me répondit qu'il craignait de s'en approcher quand elleétait dans cet état, car il savait qu'alors elle faisait mourir plantes et arbustes, uniquementen les touchant avec ses vêtements. Pendant cette période les femmes elles-mêmes semettent, autant qu'elles le peuvent, volontairement à part des autres occupants de lamaison. Ainsi, elles tendent leur couche, à savoir leur hamac, le plus haut possible auxpoteaux de l'habitation et elles restent là-haut tout le temps que dure leur menstruation,ne descendant par une échelle ou une corde que pour faire leurs besoins, tout comme despoules couvant leurs oeufs.

596. Ignorance des femmes enceintes et des matrones au sujet de la date desaccouchements

Mais pour revenir aux femmes enceintes, je remarque que je n'ai jamais rien trouvéde plus imprécis que l'idée du moment de leur accouchement qu'ont les Indiennes. Leurerreur est due à leur extrême ignorance ou indifférence; aussi est-il difficile d'en trouverune dont les calculs coïncident avec la réalité et parfois la différence atteint plusieursmois. À cela s'ajoute l'incompétence des matrones qui pour la plupart sont si incultes etincompétentes que pour leur travail elles méritent d'être payées à coups de bâton, pour nepas dire pire. En effet, elles essaient de soigner les parturientes avec un chant soit-disantmagique, par une offrande de quelques canards pour rendre propice l'esprit (achane) oupar d'autres remèdes encore plus ineptes ; puis, quand elles se rendent compte que rienn'y fait, elles vont trouver le Père. En général la plupart des Indiennes enfantent presquesans douleur. Cependant si le bébé ne sort pas spontanément de la matrice, ce qui nécessitealors un certain effort accompagné de douleurs, les parturientes se laissent aller à la plusgrande apathie. Afin qu'elles utilisent leurs forces, elles ne se laissent hélas pas guider pardes paroles d'encouragement ni effrayer par le danger qu'elles encourent. En général, si lemissionnaire n'intervient pas, mère et enfant sont en danger de mort. Il est vrai que souventles femmes ne disposent pas des forces nécessaires à l'expulsion, car leur manquent unealimentation plus consistante et un air plus salubre. Il m'est parfois arrivé de leur donnerà boire un peu de vin de messe et ainsi de faire rapidement et heureusement disparaîtretoute difficulté. Dès la délivrance, les mères semblent ne jamais avoir été enceintes, si cen'est peut-être par une certaine pâleur du visage. Elles se lèvent sans tarder, ne prennentaucune alimentation spéciale, aucun soin pour récupérer leurs forces, aucun délai pouraller de tous côtés, enfin elles ne s'imposent aucune restriction pour accomplir n'importequelle besogne, pour consommer toute nourriture ou pour prendre leur bain habituel dansle fleuve.

597. Ce que font les Chiriguano après l'accouchementIl y a une autre nation, proche de nos missions, celle des Chiriguano, encore plongée dans

les ténèbres du paganismelO, à cause de l'avarice et de lajalousie de quelques-uns, où l'on trouve

10 Littéralement: de l'infidélité, c'est-à-dire sans la foi chrétienne,

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208 Joseph LAURE

quem eius maritus decumbit, p[o]enes quem Uxor sagittas cum arcu, et reliquem omnemViri suppellectilem deponit, eique tum, sui loco debili, ac male valenti qua maxima potestcura deservit, quin ipse, ne pro cibo quidem qurerendo, aut pro ulla alia re inde vel pedemper nescio quot hebdomadas efferat. Sed redeo ad Missiones.

598. Quid de monstris ?Si interdum contingat monstrum in lucem edi, omnis Indorum cura in eo versatur, ut

illud quantocius effosso in ipsa parturientis domo tumulo sepeliant, licet optime valeat,quin unquam consequi potuerim, ut me ad visendum illud evocarent.

599. Exigua parvulorum cura.Nullre apud Indos cunre, nullre fascire, imo nullum, quo parvulos vel tantillum tegant,

lacinium. Quod cum mihi constaret, non potui non re[y]Ui)cere opinionem illorum, quielegantem membrorum humanorum, totiusque corporis coordinationem fascijs debericensent. Quid si his ipsis fascijs, et usque ad torturam colligatis membris tot distortosadscriberem, qui hodie in prrecipuis quibusvis familijs potius, quam inter rusticosreperiuntur ? Exemplo nobis est America, cuius partem sat magnam peragravi, quintamen meminerim me vel unum Indum deprehendisse, qui aliqua corporis, membrorumvesuorum parte d[if](e)formis fuisset. Cumque id ipsum argumentum in medium attulissemin quadam nobilissima Italire urbe, ubi longe plures huiusmodi distortos, d[if](e)formesquehomines vidi, quam forte in universa Italia numerari queant, aderant duo alij lesuitreexules Americani e Regno Quitensi, natione Itali, qui pariter

33-2asserebant se nuspiam in Indum incidisse, qui vitio aliquo corporis laborasse. Quantumvero homo a teneris annis, duris assvetus possit, docent parvulre Indorum proIes, qurecum nudre omnino educentur, sensim culicum morsibus ita assvefiunt, ut, licet interdumfumi instar circumvolitent, et parvulum contegant, is tamen nec a somno excitetur, necpustulas contrahat.

600. Quanto tempore lactent matres.lam supra me dixisse memini, moris apud Indos esse, parvulis cum lacte materno

fructus sive coctos, sive crudos etiam dare. Nec prius fere ab ubere depellunt prolem, quamcum ipsa illud respuit. Unde nihil novi est videre Matrem, cuius uber unum proIes paucisantea mensibus edita, alterum vero puer quinquennis sugit. Aliud etiam humanitatis, acbenevolentire indicium apud mulieres notavi, quo fit, ut quotquot alicui sive san[q](g)uine,sive amicitia iunctre sunt, cum ad illam invisunt, vel ei obviam fiunt, eius proli uberasugenda porrigant, licet viginti etiam annorum vidua adsit, et qure forte a totidem, autpluribus etiam annis proIe caruerit.

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Missionsjésuites d'Amazonie bolivienne 209

la coutume suivante qui mérite ou le rire ou l'indignation: je ne sais. Sitôt après la délivrance,la femme doit quitter sa couche dans laquelle s'installe son mari. Près de lui son épouse déposeson arc, ses flèches et tous les autres ustensiles de l'homme. Ensuite elle le sert avec toutel'attention possible, lui qui prend sa place comme personne affaiblie et en convalescence.L'homme ne se lève pas de là pendant je ne sais combien de semaines, pas même pour allerchercher de la nourriture ni pour tout autre motif. Mais revenons aux réductions.

598. Devenir des enfants mal formésSi d'aventure naît un enfant difforme, les Indiens s'appliquent soigneusement à

l'enterrer au plus vite en creusant une tombe dans la propre demeure de celle qui vientd'accoucher; et ce, même si le nouveau-né semble en bonne santé. Je n'ai jamais pu obtenirqu'ils m'appellent à temps pour l'examiner.

599. Les Indiens prennent très peu soin des enfants en bas âgeChez les Indiens, pas de berceau, pas de bande, ni aucun vêtement qui protège, ne serait-ce

qu'un peu, les nouveau-nés. En constatant cela, j'ai dû rejeter l'idée de ceux qui pensent que laconstitution harmonieuse des membres et de tout le corps d'un homme est due aux bandes quil'emmaillotent nouveau-né. Et j 'attribuerais plutôt à ces bandes, qui emprisonnent les membresparfois jusqu'au supplice, toutes les personnes difformes que l'on trouve aujourd'hui Il ,plus dansles familles aisées que dans celles qui sont modestes. L'Amérique est pour nous un exemple:j'en ai parcouru une assez grande partie, cependant je n'ai pas souvenance d'y avoir vu un seulIndien avec le corps ou un membre mal formé. Alors que je parlais de ce sujet dans une trèsnoble ville italienne, où j'ai vu beaucoup plus de gens infirmes et difformes que n'en comptepeut-être tout le reste de l'Italie, étaient présents deux autres jésuites, également expulsésd'Amérique. C'étaient des Italiens qui venaient du royaume de Quito'2 et qui confirmèrentque nulle part ils n'avaient rencontré d'Indien qui souffrît d'une quelconque malformationcorporelle. Les tout jeunes enfants des Indiens montrent ce que peut vraiment supporter un êtrehumain soumis dès son bas âge à de dures conditions. Élevés complètement nus, ils s'habituentpeu à peu aux piqûres de moustiques de sorte que, même s'ils sont entièrement entourés etcouverts de nuages d'insectes, ils ne se réveillent pas ni ne se couvrent de pustules.

600. Sevrage des enfantsJe me souviens d'avoir déjà dit13 qu'il est coutume chez les Indiens de donner aux tout

petits enfants des fruits cuits ou crus avec le lait maternel. Et d'ordinaire les Indiennes nesèvrent pas totalement leurs enfants avant que ceux-ci ne rejettent le lait maternel. Aussiest-il courant de voir une mère donner un sein à un enfant de quelques mois et l'autre à unde cinq ans. Chez les Indiennes j'ai également remarqué une autre marque de savoir-vivreet de bienveillance. Cela consiste, chez celles qui visitent ou rencontrent une parente ou uneamie, à offrir leurs seins à téter aux enfants de celle-ci, même si elles sont veuves depuisdéjà vingt ans et n'ont plus eu d'enfant depuis lors ni même depuis plus longtemps.

Il C'est-à-dire dans la seconde moitié du dix-huitième siècle.12 Actuellement l'Équateur dont la capitale est la ville de Quito.13 Au paragraphe 589.

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210 Joseph LAURE

601. Incuria in edocendo gressu.Quod vero curam illam attinet, qua Europ[e](œ)i proies suas pedem figere, ac ingredi

edocent, ipsis omnino ignota, ac inusitata est: parvulus Indus incedet nempe, quando ipsevoluerit, ac conatus fuerit, quin ad id vel impellatur, vel saltem adiuvetur. Rinc est, quodquadriennio etiam maiores vix humi repere norint. Et quod amplius est, cum elapso annoparvulos nostros ablactari, et gressum figere ipsis enarrassem, pro more suo reposuerunt,mentiris. Et re ipsa duravit hœc eorum opinio, quousque ilium eundem, quem lacteduntaxat materna educari curavi, et anno prœterlapso ab ubere semotum, et incedentemnon sine admiratione viderunt. Utrum tamen deinde id exemplum imitati fuerint, an secus,asserere non audeo. Si enim res aliqua Missionarij opera, conatuque fiat quod ipsorummoribus, ac prœviœ opi(nioni?) contrarium sit, nihil fere eos ad imitationem movet, utpotequi frigida ilIa, ac usitata Indis omnibus phrasi se ipsos deludunt, qua aiunt: Pater est aliares, quam nos. Hoc dicto sibi ipsis plene satisfaciunt, vim exempli subterfugiunt, et cumnon levi Missionarij, eos ad paria incitare volentis m[oe](œ)rore [y](ij)dem, qui semperremanent, quin uHis verbis ad eadem audenda flecti queant.

602. Frequenter abortum procuran(t.)Dissimulari facile possent hucusque enarrata mulierum in curandis, educandisque

prolibus vitia, si ab alijs longe gravioribus sibi caverent. Aliœ quippe, licet in herbarumsaluti proficuarum scientia stupidissimœ sint, ac rudes, eas quam( )optime norunt, quœad malum inferendum aptiores sunt. Varias mihi ipsi detexerunt, quarum succo opotoid assequuntur, ut uterum omnino ineptum reddant, ad foetum ullo unquam temporeconcipiendum. Aliœ iam conceptum certis medijs expellunt, et viventem licet, caute insylvis vicinis, aliove loco recondito sepeliunt. Non defuere aliœ in mea Missione, ubimalum hoc promiscue grassabatur, quœ sive propr[y](ij)s manibus, sive alienis lapidemprœgravem super utero gravido volvebant, foetum, massœ instar non sine propriœ vitœdiscrimine conterentes, ut proinde necessum mihi fuerit, tentatis

33-3nequidquam medijs omnibus, quœ menti occurrerant, gravidarum nomina Cat[h]alogoinserer(e), et singulis mensibus in eas, earumque foetum inquirere, ac demum suo temporede eo in lucem iam edito certior reddi(.) Roc tandem medio, et facta sponsione, me curamomnem lactandœ, vestiendœ, nutriendœ, ac educandœ prolis in me unum suscepturum(,)id assecutus sum, ut quarn plurimœ utramque vitam, et temporalem nempe, et spiritualemmihi deberent, earum prœcipue, quœ nondum nuptœ, aut Viro suo privatœ Matres essemeruerunt.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 211

601. Négligence dans l'apprentissage à marcher des enfantsQuant au soin qu'ont les Européens à apprendre à leurs enfants à se mettre debout

et à marcher, il est complètement ignoré et absent chez les Indiens: leur petit marcheraquand il le voudra et en fera l'effort, sans y être poussé ni même aidé. Ainsi, des enfantsde plus de quatre ans savent à peine se traîner à terre. En outre, quand je racontais auxIndiens qu'à un an nos enfants sont sevrés et commencent à marcher, ils me répliquaientselon leur habitude: tu mens! Et ils restèrent sur cette idée jusqu'à ce qu'ils aient vu avecétonnement marcher l'enfant, pour lequel j'avais veillé qu'il fût uniquement nourri au seinpuis sevré à un an. Cependant je n'ose affirmer qu'ils imitèrent par la suite cet exemple.Car si, grâce à la peine et à la persévérance du missionnaire, peut se faire quelque chosede contraire à leurs coutumes et à leurs préjugés, cependant presque rien ne peut amenerles Indiens à imiter cet exemple, vu qu'ils se trompent eux-mêmes avec cette phrase figéeet dans la bouche de tous: le Père est différent de nous autres 1'4 Avec ces mots ils sontsatisfaits, se soustraient à la force de l'exemple, restent sans changer et continuent à ne pastenter ces nouveautés malgré toutes les invites; cela à la grande tristesse du missionnairequi essaie de les inciter à de nouveaux comportements.

602. Recours fréquent à l'avortementOn pourrait facilement passer sur les défauts des femmes concernant le soin et

l'éducation des enfants que nous venons d'évoquer, si elles se gardaient d'autres beaucoupplus graves. En effet, il y en a qui, bien que totalement ignares et inexpérimentées dans laconnaissance des plantes médicinales bénéfiques pour la santé, connaissent parfaitementcelles qui sont les plus efficaces pour faire le mal. Elles m'en montrèrent plusieurs dontla sève bue rend l'utérus complètement et définitivement inapte à concevoir et garder unfoetus. D'autres Indiennes, par certains moyens, arrivent à expulser le foetus déjà conçuet, bien que vivant, l'enterrent en cachette dans les forêts voisines ou dans un autre lieuretiré. Dans ma réduction où ce mal était partout présent, ne manquaient pas celles quienceintes faisaient rouler une très grosse pierre sur leur ventre, de leurs propres mains ouavec l'aide d'autrui, pour réduire en bouillie le foetus sans se soucier de leur propre vie.Après avoir tenté sans succès toutes les possibilités qui me vinrent à l'esprit, j'ai doncdû inscrire sur une liste le nom de toutes les femmes enceintes, les examiner ainsi queleur bébé chaque mois pendant leur grossesse et enfin m'assurer qu'au terme de celle-ci,elles avaient bien donné le jour à leur enfant. C'est de cette façon, et en promettant deprendre entièrement à ma charge le soin du nouveau-né pour le faire allaiter, vêtir, nourriret éduquer, que je suis enfin parvenu à ce que beaucoup d'Indiennes me doivent la vie,aussi bien temporelle que spirituelle, surtout celles qui devinrent mères en n'étant pasencore mariées ou qui n'avaient plus de mari.

14 Voir paragraphe 205.

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212 Joseph LAURE

Caput IX.De ordinarijs mulierum occupationibus.

603. Otium mulierum.Non dubito nostrates foeminas pIura in hoc opusculo reperisse, qure ipsis

admirationis, ac risus etiam ansam prrebuerint, nihil vero, in quo aliquam cum illismorum similitudinem detegere potuissent. Cui id in acceptis referre debent, primumest, verre fidei lumen, tum legum sapientissimarum au(c)t[h]oribus. At ! veniam dabuntnon paucre huius revi primre etiam conditionis mulieres, si eas et doctrinre [X](Chris)ti, et morum antiquorum immemores Indis comparavero, qure tunc unice beatas se, acfelices iudicant, cum tempus omne otio terere possunt. Id forte discrimen inter utrasqueintercedit, quod Indre natura sua, hre vero honoris, et existimationis causa otio diffluant:illre necessitate quadam, nostrates vero electione propria orbi, honori, an dedecori, utilitati,an ponderi nescio, esse pergant. Unica certe in terris beatitudo mulierum Indicarum estdiem confabulando, ac circumcursitando exigere, reliquarum actiones, ornatumque adexamen revocare, aut crepundias suas pro ingruente festivo die nova ordine instaurare,et alia id generis, qure, cum omnibus per orbem mulieribus quotidiana, ac p[o]ene adnatasint, silentio prretereo.

604. Ordinarij earum labores.Propria tamen earundem munia ad pauca capita revocari possunt. Vestem quotannis

gossypinam, qualem alibi descripsi, marito, alteram sibi, si superi velint, contexit:maritum in colligenda tritici turcici messe, ac in ea, quando, et quomodo libuerit, domumpro necessarijs usibus deferenda iuvat. Prreterea mulierum munus est triticum in farinamredigere, eamque tostam marito edendam apponere. Hanc autem, ne forte contra inertireleges delinquant, humi sedentes moliunt, comminuendo nempe lapide aliquo mediocrisponderis grana semitosta in subiecto arboris trunco, non nihil effosso. Ipsis quoqueincumbit cura altilium, et potus quotidiani parandi, apud eas prrecipue nationes, quredicto tritico abundantiores sunt, atque idcirco aquam pluribus annis ne ultimis quidemlabris attingunt, nisi a domo eos abesse contingat. Ipsarum quoque officium est anteauroram in campos vicinos exire, et lumbricos tunc egressos corradere, ac domumdeportare: soli funibus appensos exponere, ac siccos iam in fasciculos, uti nos fere cumEsparragis fa[//](-)

33-4(-)cimus, alligare, ac futuris usibusasservare. Item, lignapro culina comportare, aut e viciniaemendicare, maritum, quoties ad id uxorem evocaverit, pectere, et oleo amygdalorumpalmestrium capillos ungere. Storeas insuper illas, quas alio capite laudavi, ipsre quoquecontexunt: opus unicum, ex quo laudem aliquam promerentur. Acu laborare omninoignorant, ut proinde a Viris omnia consui debeant. Tales tamen cum sint, eas nihilominusViris prrestare arbitror, cum re ipsa facilius sive laudibus, sive propositis pr[oe](re)mijs

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne

Chapitre 9 : Des occupations habituelles des femmes indiennes

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603. Oisiveté des femmesJe suis certain que les femmes de chez nous ont trouvé dans ce petit ouvrage beaucoup

de choses qui les ont étonnées ou même fait rire, mais aucune ressemblance avec leurshabitudes. Elles doivent attribuer cela d'abord à la lumière de la vraie foi 1s, ensuite auxauteurs de lois d'une très grande sagesse. Mais attention ! que beaucoup de dames denotre époque!6, même de haute condition, me permettent que je les compare, elles qui ontoublié l'enseignement du Christ et les moeurs d'autrefois, aux Indiennes qui ne s'estimentheureuses et contentes que quand elles peuvent passer tout leur temps dans l'oisiveté.La différence entre les unes et les autres consiste peut-être en ceci : les Indiennes secomplaisent dans l'oisiveté car telle est leur nature, tandis que ces Européennes le fontpour leur dignité et pour leur considération. Les premières persistent à rester oisives parune certaine nécessité, en revanche celles de chez nous le font par choix personnel, maisje ne sais si c'est en leur honneur ou pour leur honte, si c'est dans leur intérêt ou pourleur importance. Il est certain que sur terre l'unique bonheur des Indiennes est de passerla journée à aller d'un côté à l'autre pour bavarder, à cancaner sur les agissements et lesparures des autres femmes, à préparer d'une autre façon leurs colifichets pour le prochainjour de fête ou à faire d'autres choses semblables que je passerai sous silence, car elles sontl'apanage quotidien et presque inné de toutes les femmes de notre planète.

604. Travaux habituels des IndiennesLes tâches propres aux femmes indiennes concernent toutefois peu de domaines.

Chaque année elles tissent pour leur mari un vêtement en coton, dont j'ai parlé par ailleurs,et un autre, Dieu le veuille, pour elles. Elles aident leurs maris dans la moisson du blé turc(maïs) puis, quand elles en ont envie et de la façon qu'elles veulent, pour son transport à lamaison en vue de ses différentes utilisations indispensables. En sus, incombe aux femmesde moudre le maïs en farine et, après l'avoir grillée, de la servir à manger à leur mari.Mais, peut-être pour ne pas aller contre les lois du moindre effort, elles moulent assises surle sol, en écrasant les grains de maïs à demi-grillés avec une pierre de poids moyen dansun mortier formé d'un tronc coupé d'un arbre et légèrement creusé. Il leur revient encorele soin de la volaille et la préparation de la boisson quotidienne, tout spécialement dansles nations qui ont du maïs en abondance et pour cette préparation elles vont chercherdel'eau avec de grands récipients depuis de nombreuses années, saufces derniers temps, caril arriva que les gens se trouvèrent éloignés de chez eux. Les Indiennes doivent égalementaller avant l'aurore dans les savanes voisines pour y ramasser des lombrics, qui sont alorssortis de terre, et les ramener chez elles. Là, elles les mettent au soleil en les suspendantà des fils ; une fois secs, elles les attachent ensemble en bottes, un peu comme nousle faisons avec les asperges, pour les conserver en vue de leur consommation future.De même les femmes doivent aller chercher du bois pour cuisiner, ou en mendier chezles voisines, peigner leur époux autant de fois que celui-ci le sollicite et lui enduire les

" Sous-entendu: chrétienne.16 C'est-à-dire du dix-huitième siècle.

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excitari possint. Prreterea fateri debeo, non defuisse, licet paucre ere fuerint, qure nunquamotiosre deprehensre sunt, cum tamen nec de unico Viro id asserere queam. Scio, cum Virifere omnes ad onus aliquod in alium locum devehendum non raro convenissent, et prremera desidia re infecta, velut si oneri movendo impares forent, iterum abyssent, evocatasdimidio pauciores mulieres rem ioco confecisse, quin id intuentes Viri confusione, autrubore perfunderentur.

CaputX.De Indis sua egestate contentis.

605. Guam paucis homo egeat.Quam verum sit illud, non eum qui multa possidet, sed qui nullius eget, nihilque

ap(p)etit, esse inter beatos adnumerandum, Indi comprobant, dum omnia sua secum,quoque migrent, deferre possint, nulla necessitate premuntur, quia nihil, quod ultraappetant, menti occurrit. Adstipulabuntur huic veritati, quotquot, licet optime, lautequein Patria olim educati, eo ex Europa transiere, ubi experientia teste in( )dies edocti sunt,quam paucis rebus homo indigeat, quin vel dormire, aut solita obire munia desinat. Etsi quidem ex hoc Capite Naturalistre huius revi eos non modo laudare, sed etiam imitarivoluerint, tum equidem eorum [o]encomia gratis auribus excipiemus. Oculis debemus,quod qurecumque intuemur, nobis illico deesse credamus, et ad ea aut procuranda, autap(p)etenda excitemur.

606. Indorum thesauri pares.Quam paucis Indi penus describatur, iam retuli. Dnus, alterve cantharus, olla

lutea, sagittre aliquot cum arcu plerarumque nationum, antequam [X](Chris)tiana sacraamplectantur, thesaurum conficiunt. Sin vero ad ista iam transivere, accedit lectulus illependulus, vestis unica, aut dure, et triticum turcicum. Hrec sunt, e quibus Indi suppellexconsurgit, nisi quod varijs non nulla ex his desint. Quam ignotum sit ipsis aurum,argentumque, id indicat, quod nec vocabulum horum metallorum in ipsorum lin[q](g)uisreperiatur: unde quod primum oculis suis noscere discunt, est, cum e silvis in Missionemdeducuntur, et argentea Ecc1esire vasa ipsis exhibentur. Certe, cum Hispanre CopireMissiones ingressre essent, eas contra Lusitanos defensurre, vix induci poterant Indi, utipsis ova, pisces, aut alia id generis, qure Hispani qurerebant, pro rere divenderent, unica

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 215

cheveux d'huile extraite des amandes des drupes de palmiers. En outre, elles tressent aussices fameuses nattes dont j'ai fait l'éloge dans un autre chapitre17 : chefs-d'oeuvre vraimentuniques, pour lesquels elles méritent des louanges. En revanche elles ignorent totalementl'art de l'aiguille, aussi les hommes doivent-ils faire tout travail de couture. Bien qu'ellessoient ainsi, néanmoins j'estime que les femmes indiennes valent mieux que les hommes,car elles peuvent plus facilement être motivées par des louanges ou la promesse derécompenses. De plus, je dois convenir qu'il y avait des Indiennes, certes en petit nombre,que je ne trouvais jamais oisives, ce que je ne peux dire d'aucun Indien. J'ai souvent vupresque tous les hommes se réunir pour déplacer une lourde charge, puis s'en aller parpure paresse sans faire le travail, comme s'ils étaient incapables de déplacer le fardeau;des femmes appelées à la rescousse, en nombre deux fois moindre, accomplissaient labesogne en plaisantant, sans que les hommes les observant ne se sentent le moins dumonde gênés ni couverts de honte.

Chapitre 10 : Des Indiens satisfaits dans leur pauvreté

605. L'homme est-il dans le besoin avec peu de choses?Comme est vrai cet adage : il faut compter parmi les gens heureux, non pas celui qui

possède beaucoup, mais celui qui n'a besoin de rien et ne désire rien. C'est ce que confirmentles Indiens, car où qu'ils migrent ils peuvent emporter avec eux tout ce qu'ils possèdent etaucun besoin ne les tourmente parce que rien ne leur vient à l'esprit qu'ils désirent ardemment.Confirmeront également cette vérité tous ceux qui, élevés dans leur pays dans de très bonnesconditions et à l'aise, d'Europe arrivèrent ici en Amazonie où l'expérience quotidienne leurenseigna, comme un témoignage, que l'homme n'a vraiment besoin que de très peu de choseset que cela ne l'empêche pas de bien dormir ni d'accomplir ses devoirs d'état. Et si sur ce pointles auteurs "naturalistes"18 de notre époque19 voulaient bien non pas seulement admirer lesIndiens mais également les imiter, nous écouterions leurs éloges avec reconnaissance. Toutce que nous voyons, nous croyons aussitôt que cela nous fait défaut et nous sommes poussésà nous les procurer ou à les désirer ardemment: voilà où nous conduisent nos yeux!

606. Égales possessions des IndiensJ'ai déjà dit que les provisions d'un Indien consistaient en peu de choses. Son trésor,

dans la plupart des nations, avant qu'elles n'embrassent la foi chrétienne, se composed'une ou deux jarres, d'une marmite en terre cuite et d'un arc avec quelques flèches.S'il est déjà christianisé, il faut ajouter ce fameux hamac, un ou deux habits et du mad's.Voilà tout le bagage d'un Indien et encore à certains manque une partie de ces choses.Les noms de l'or et de l'argent n'existent pas dans leurs langues, ce qui montre bien àquel point ces métaux sont inconnus de ces peuples. Ainsi les découvrent-ils pour lapremière fois de leurs propres yeux quand, sortis de la forêt, ils sont emmenés dans uneréduction et que là on leur montre les vases sacrés de l'église qui sont en argent. Quand

17 Au paragraphe 578.18 Qui défendent l'idée du "bon sauvage" chez les Amérindiens: voir paragraphes 546 et 547.19 Le dix-huitième siècle.

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rerum permutatione mercari assveti. Quare pecunias omnes, quas pro divenditis rebussuis congregaverant, Missionario consignabant, lanas tinctas, numismata, cultros, et aliahuiusmodi sive usibus eorundem necessaria, sive iucunda pro nummis expetentes. Fe1icessane, qui metalla hrec,

33-5hominum plurimorum ruinam ignorant, et ipsum thesauri nomen nesciunt.

607. Instabilis Indorum erga rem quamlibet affectus.Verum equidem est, Indum interdum rei alicuius desiderio tantopere exardescere, ut

nihil sit tum carum ipsi, tamque onerosum, quo(d) non offerat se daturum, facturumve, uttotam eius felicitatem in eo consistere credas. Sed qua ve10citate crevit, eadem discessitcupido omnis. Rem enim, quam tantis votis ap(p)etijt, ac etiam consecutus est, ante diemprreterlapsum alteri ve1 dono, vel pre(t)io vilissimo dabit, imo non raro obstrudet. Cumpost fatale illud incendium, quo Missio tota in cineres redacta est, quin vel de rebusEcclesire, vel de [y](ij)s, qure Missionis, mereve erant, ne nummi quidem valorem eriperepotuissem, ad plurasque Missiones excurrissem, ut mihi de rebus maxime necessarijsreliquorum Missionariorum liberalitate prreviderem, Indi, itineris socij inter suos variamercati sunt. Cumque in regressu sub meridiem, ac etiam ante solis occasum subsisterem,Indus quilibet, quidquid coemerat, prout tempore nundinarum fieri solet, exponebat, accum alio permutabat, nulla rerum, nulla pretij habita ratione. Repetebantur hre nundinrequotidie per mensem fere integrum binis in( )dies vicibus, quousque tandem in Missionemappulimus, nondum finem habiturre, si iter diutius durasset, ut proinde res eadem pluriesin manus primi Domini redierit, iterumque abierit.

608. Etiam cum proprio detrimento.Quousque hrec eorum animi indifferentia in rebus etiam maxime necessarijs pertingat,

docent quotidiana exempla. Contingit srepe, ut quis à mane in seram usque noctemcapiendis, assandisque piscibus insudet, ac demum sequenti die domum revertatur. Vixpedem è navicula effert, advolant reliqui viri reque, ac mulieres, et oblata tritici turcicispica, modico gossypio, aut filo mercantur, non quos Piscator vult, sed quos ipsi et specie,et numero pisces volunt, quin Piscator Indus ad hrec omnia velos aperiat, non secus, acsi negotium illud ad ipsum minime pertineret. Et licet ipse nec gossypio, nec filo, necre ulla alia indigeat, sed abundet potius, ea tamen omnia admittit, quin norit, in quosusus sint servitura. Imo pari animi serenitate intuetur eos, qui nullo omnino oblatoprecio pisces suos diripiunt, auferentque, quod ipsi plerumque tanta celeritate, fiduciaquefaciunt, ut Piscator suis duntaxat sagittis onustus domum abeat, quin ve1 unicus piscis,quo suam, uxoris, filiorumque famem satiet, residuus manserit. PIura, qua: in rei huiusconfirmationem facere possunt, ex prreteritis Lector intellexerit.

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les troupes espagnoles entrèrent dans les missions pour les défendre des Portugais, onput difficilement convaincre les Indiens de leur échanger contre de l'argent des oeufs,du poisson ou d'autres aliments, car les autochtones ne connaissaient que le troc commeforme de commerce. C'est pourquoi les Indiens réunirent et apportèrent au missionnairetout l'argent qu'ils obtinrent de ce qu'ils avaient vendu, pour lui demander de l'échangercontre de la laine teinte, des médailles, des couteaux et d'autres objets dont ils avaientbesoin ou qui leur faisaient plaisir. Bienheureux ces Indiens qui ne connaissent pas cesmétaux, cause de la perte de beaucoup d'hommes, et qui ignorent même le mot trésor !

607. Grandes variations chez les Indiens dans leur attachement à un objetII est également vrai que parfois un Indien est pris d'un désir si violent d'une chose qu'il

est prêt pour l'obtenir à donner ce qu'il a de plus cher ou à faire ce qu'il y a de plus pénibleau point que tu croirais que tout son bonheur consiste en cet objet. Mais cette soif disparaîtaussi vite qu'elle est venue. Car ce qu'il a désiré avec tant d'ardeur et enfin obtenu, en moinsd'un jour, il le donnera à quelqu'un d'autre pour rien ou presque rien, ou souvent même ille jettera. Après ce catastrophique incendie qui réduisit en cendres toute la réduction, sansque je puisse sauver des objets de l'église, de la mission ou de mes affaires personnellespour la valeur d'un sou, je suis allé dans plusieurs autres réductions pour solliciter de lagénérosité des autres missionnaires des biens de toute première nécessité. Les Indiens quim'accompagnaient achetèrent diverses choses à leurs compatriotes. Au retour, je faisaisfaire un arrêt à midi et un autre avant le coucher du soleil. Alors chaque Indien, comme ilest de coutume lors des jours de marché, exposait ce qu'il avait acheté et le troquait avecquelqu'un d'autre, mais sans tenir aucun compte de la valeur des objets. Pendant presque unmois ces marchés eurent lieu deux fois par jour, jusqu'à notre retour à notre mission. Et ilsauraient continué à se tenir si le voyage avait duré plus longtemps. Ainsi, les mêmes chosesrevinrent plusieurs fois dans les mains du premier propriétaire pour en repartir ensuite.

608. Brusques changements d'intérêt de l'Indien pour les choses y compris à son propredétriment

Des exemples de la vie courante montrent jusqu'où peut aller chez les Indiens cedétachement des biens, même de première nécessité. Il arrive souvent que quelqu'un, quia peiné du matin jusqu'à tard dans la nuit pour pêcher puis faire griller du poisson, rentrele jour suivant. À peine a-t-il mis le pied hors de sa pirogue, qu'arrivent des hommes etdes femmes restés à la réduction qui achètent pour un épi de maïs, pour un peu de cotonou de fil, non pas ce que veut le pêcheur, mais bien les espèces et le nombre de poissonsqu'eux désirent, sans que l'Indien de retour ne dise mot, vraiment comme si ce commercene le concernait pas du tout. Et bien qu'il n'ait pas besoin de coton ni de fil ni d'autre chose,en ayant plutôt en abondance, il accepte cependant tout cela sans savoir ce qu'il en fera.Même plus: il regarde avec la même sérénité ceux qui, sans rien lui donner en échange,se disputent ses poissons et les emportent, en général avec une telle rapidité et audace quele pêcheur rentre chez lui uniquement chargé de son arc et de ses flèches, sans même unseul poisson pour apaiser sa faim ainsi que celle de sa femme et de ses enfants. De tout cequi vient d'être dit, le lecteur trouvera bien des points qui confirment chez les Indiens laréalité de ce détachement des biens.

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quidpiam addere, temeraritatis, et audacire nota censurari merito posset. Nec ego hicrecolo ordinis nostri Historicos: videatur Doctissimus Muratori, legatur IIIustrissimusPeralta ordinis Prredicatorum, qui [,] perlustratis ex officij sui munere, tum Nostris,tum quorundam aliorum Missionibus, eam ad Regem Philip(p)um dedit Epistolam, qureMonarcham impulit, ut Iiteris publicis reternum nomini nostro decus, et non arrodendumab invidis hostium dentibus testimonium parare non recusaverit. Alia, nihil inferioradocumenta, hisce ultimis temporibus, ac ut ita dicam, paueissimis ante infelix fatummomentis emanata in medium proferre possem, nisi cum [y](ij)s me agere nossem(,)qui eum oculos habeant, voluntaria tamen crecitate laborant, et sure, aliorumque sibisimilium opinioni adhrerere malunt, quam se vel errasse fateri, vel errorem deponere.Perfrictre certa: frontis, et non ferenda: audaeia: est, quem convincere nequeas, mendacijredarguere, cum ne apud homines quidem malus quispiam esse pra:sum[m]atur. Sedtypis /inquiunt/ edita sunt Iesuitarum, qure hucusque occulta erant, crimina. Qua:ro, annon edita quoque, idque ab exteris, et forte longe pIura, qure eorum nomen, famamqueargumentis et verissimis, et gravissimis tuentur ? an au(c)t[h]ores au(e)t[h]oribus,scriptores scriptoribus, argumentis denique argumenta comparare animus ? heus ! quammetuo, ne causa cadant, et op(p)robium, quod alteri apingere cogitabant, in poenamarbitraria: credulitatis auferant.

33-7Et ha:c sufficiant [y](ij)s, qui canum instar cunctis oblatrant, quos nec fugere, ne timorissignificatione animati mordeant, nec iusta resistendi audacia excipere, ne magis oblatrent,[,] sed potius obturatis auribus pra:terire convenit, ut dum se negligi advertunt, pessimreconsvetudini vel invit(e?) valedicere cogantur.

610. Describuntur domus.Cura omnium prima Missionarij, Missionem novam molientis est, locum ca:teris

altiorem inqua:rere, ut eo remotior ab eluvionibus annuis degat. Domos, quarumomnium Architectus est ipse Missionarius, varij varie, prout nempe oportunum magisquivis iudicat, exstr(u)unt, licet quoad rem parum differant. Ego hic meam Missionemdepingam, utpote cuius magis memini. Domus qua:libet decem altitudinis, viginti quatuorlongitudinis, latitudinis vero tredecim ulnas numerabat, ita ut locus ipse habitationiassignatus octo, ambitus vero duarum cum dimidia ulnarum latus esset. Ambitus hi valde

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 221

si nombreux et si grands? Vouloir ajouter quelque chose à leurs ouvrages pourrait avecraison être considéré comme une marque de témérité et d'audace. Et ici je ne mentionneraimême pas les historiens de notre ordre25

: voyez le très docte Murator[26, lisez le très illustrePeralta27 de l'ordre des Frères prêcheurs. Celui-ci, après avoir parcouru en tant qu'évêque nosréductions et quelques autres situées dans son diocèse, envoya au roi d'Espagne Philippe Vune lettre qui incita le monarque à proclamer officiellement une gloire éternelle à notre nomet à attester publiquement que celui-ci ne serait pas terni par les coups de dents de nosennemis jaloux. Je pourrais présenter d'autres documents tout aussi importants, publiés cesderniers temps et, pour tout dire, juste avant ce funeste coup du sort que fut notre expulsion28 •

Mais je sais que j'ai à faire à des personnes qui, bien qu'ayant des yeux, souffrent cependantde cécité volontaire et préfèrent suivre leur idée ou celle de gens qui leur ressemblent plutôtque reconnaître qu'ils se sont trompés et renoncer à leur erreur. C'est vraiment bannir toutepudeur et faire preuve d'impudence insupportable que de réfuter par un mensonge quelqu'unque tu ne peux pas convaincre, car tous les hommes sont présumés de bonne foi. Mais nosdétracteurs disent que les crimes des jésuites, jusqu'alors occultés, viennent d'être dévoiléssans fard. Or je demande : n'a-t-on pas aussi publié des ouvrages, peut-être en bien plusgrand nombre, écrits par des auteurs étrangers aux jésuites, qui défendent la réputation de laCompagnie de Jésus avec des preuves des plus authentiques et des plus sérieuses? Ne faut­il pas comparer les sources, les auteurs et les preuves des uns et des autres? Hé ! je crainsfort que nos contradicteurs ne perdent lors de cette confrontation et que, comme peine pouravoir volontairement donné du crédit à des mensonges, ils n'obtiennent le déshonneur qu'ilspensaient nous infliger. Cela suffira contre ceux qui, comme des chiens, aboient après tout lemonde. Il ne faut pas les fuir sinon, encouragés par ce signe de peur, ils pourraient mordre,ni leur faire face avec une audace justifiée pour leur résister, car ils aboieraient encore plusfort; il vaut mieux passer son chemin en se bouchant les oreilles, pour qu'en voyant qu'on lesignore ils soient obligés d'abandonner leur comportement déplorable, fût-ce à contrecoeur.

610. Description des maisonsLe tout premier soin d'un missionnaire qui veut établir une nouvelle réduction est

de rechercher une hauteur qui restera à l'abri des inondations annuelles. Ensuite chacunpeut construire sa maison à sa façon, selon ce qui lui paraît le plus commode. En réalitéles constructions sont peu différentes, car l'architecte de toutes est le missionnaire lui­même. Je vais donc décrire ma mission, car c'est d'elle dont je me souviens le mieux. Unemaison y mesure dix aunes29 de haut (12 mètres), vingt-quatre de long (28,5 mètres) ettreize de large (15,5 mètres), dont huit (9,5 mètres) destinés à l'habitation proprement dite,

" À savoir les jésuites ou Société de Jésus. Bamadas (1985, p. 354, note 6) signale pour les réductions chezles Moxos le Père Barace (Orellana, 1704) et le jésuite espagnol Diego Francisco de Altamirano (1626 - 1704) :voir bibliographie additionnelle.

26 Ludovico Antonio Muratori (1672 • 1750), historien italien. auteur de II cristianesimo felice (1743 ­1749), voir dans la bibliographie additionnelle Simari (1963) : d'après Bamadas (1985, p. 354, note 7).

27 Le dominicain Fray José de Peralta ( ? - 1746) : d'après Bamadas (1985, p. 354, note 8)"Par décret du roi d'Espagne Charles III de Bourbon, supprimant en 1767 la Compagnie de Jésus sur ses

terres et ordonnant l'expulsion de tous les missionnaires jésuites d'Amérique espagnole."Une aune équivaut à 1,188 mètre.

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neeessarij sunt; atque percommodi, ut nempe parietem domus ab imbribus tueantur, tumut calorem interioris domus fugientibus, umbram, et liberiorem ventum suppeditent.Ambitus dieti nullo pariete prrec1udebantur, sed ex [y](ij)s liber in plateam patebatexitus. Domus tota una eum ambitibus illata aliunde terra ad spit(h)amre altitudinemplanitiem reliqure Missionis superabat, ne videlieet rivi aquarum domum inundarent, autIncolre e nimia aqure vicinia morbos eontraherent. Columnre, qure teetum supra ambitusprominens sustentabant, quadratre, et non male elaboratre erant. Parietes sat lati undique,et ex argilla paleis permixta, eaque tam tenaci, ut postquam exsiccata foret, repetitis etiamligonis ictibus vix cederet. JEdes Missionarij hac eadem methodo exsurgebant: etsi aliquitemporis deeursu e laterculis sole coctis, et quidem ad unius, ut aiunt, (c)ontignationisaltitudinem eduxerint, rati, se hoc modo ab insectis pacem (n)acturos: sed experti sunt,et viperas, et buffones, aliaque id generis, imo multo vero facilius eulices eo etiam (s)caticopia evasisse. Domus tota sive intus, sive foris eleganter dealbata, non quidem calce, quacarebamus, sed terra albissima, qure calcem requat, aut forte excedit etiam. Ima parietum,superliminaria portarum, ae fenestrarum varijs coloribus teneis satis affabre, marmorisinstar aspersa, depictaque. Portre, et fenestrarum vaIvre et tabulis cedrinis omnes, uti etcrates fenestrarum torno elaboratre. Domus tota gramine tecta. Antiquiores Missionesimbricibus non Ecc1esiam modo, ac Missionarij domum, sed plerasque etiam, non nullaetiam omnes omnino Indorum domos contexerant, ex quo id incommodi experti sunt,quot quantum millenarius unitatem superat, tantundem vespertilionum copia Missionesgramine tectas excederent.

611. Familiarum in una domo numerus, domorum distantia.Duas ut minus familias in eadem domo collocavi, idque ob varia, tum spiritualia, tum

corporalia emolumenta: sin vero paucorum essent capitum, etiam tres. Bene meritis, aut[y](ij)s, quorum curre consignaveram aliquos e copiosis orphanis, aut a1ia ratione derelictis,domum peculiarem habitandam designavi. Platere omnes, quoniam nihil obstabat, linearectissima ductre erant, et ordine eodem domus exredificatre, ita tamen, ut una ab alter[e]a sexaginta passibus dissita esset, ne videlicet orto incendio, quod inter homines tamincurios, et nihili omnia pendentes pronissimum, tota Missio momento,

33-8uti non raro contigit, conflagraret. Et cum portre domorum utrinque pari distancia aeriscausa inter se distarent, non modo facile, sed iucundum etiam erat uno oculi intuitu totaminsequentium domorum seriem per apertas portas lustrare. In medio Missionis forum erat

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Missions jésuites d :4mazonie bolivienne 223

le reste formant tout autour un corridor extérieur large de deux aunes et demie (3 mètres).Ces espaces extérieurs couverts sont très utiles et très commodes, car ils protègent lesmurs des fortes pluies et procurent également ombre et ventilation à ceux qui veulentéchapper à la chaleur de l'intérieur de la maison. Ces couloirs ne sont fermés par aucuneparoi, laissant ainsi libre passage à la rue. Toute la maison avec ses corridors externesest surélevée d'un empan (21 centimètres) par rapport au sol de la réduction avec de laterre rapportée, afin que les torrents d'eau de pluie ne l'inondent pas, ni que ses occupantsne contractent de maladies dues à la trop grande proximité de l'eau. Les poteaux quisoutiennent le toit qui couvre aussi les corridors extérieurs, sont carrés et travaillés avecsoin. Les murs de tous les côtés sont assez épais et faits en pisé, c'est-à-dire d'argile mêléeà de la paille; ils sont si solides que secs ils cèdent difficilement sous les coups répétés dehoue. La maison du missionnaire s'élève de façon identique. Néanmoins, avec le temps,certains Pères en firent construire en petites briques séchées au soleil et ajoutèrent mêmeun étage, persuadés, dit-on, qu'ils seraient ainsi à l'abri des insectes. Ils firent l'expériencequ'ainsi ils évitaient aussi les serpents, les crapauds et d'autres visiteurs indésirables,mais surtout plus facilement les moustiques, même si ceux-ci étaient très nombreux. Onblanchit joliment toute la maison, à l'intérieur et à l'extérieur, non pas à la chaux dont nousmanquions, mais avec du kaolin très blanc qui vaut bien la chaux, s'il n'est pas meilleur.30

Le bas des murs ainsi que les linteaux des portes et des fenêtres sont peints avec art aumoyen de terres de différentes couleurs, ce qui donne l'aspect du marbre. Les battants desportes et des fenêtres sont tous faits en planches de cèdre. Toute la maison est couverted'une toiture en paille. Dans les réductions les plus anciennes, non seulement l'église etla maison du missionnaire mais également beaucoup, si ce n'est la totalité, des habitationsdes Indiens sont couvertes de tuiles creuses. Mais l'on s'aperçut d'un inconvénient, àsavoir que dans ces missions la quantité de chauves-souris dépasse mille fois celle desréductions où les constructions sont couvertes de paille.

611. Nombre de familles par maison et distance entre les habitationsDans chaque maison je mettais au moins deux familles; ceci a plusieurs avantages,

tant spirituels que matériels. J'installais même trois familles si celles-ci avaient peu demembres. Je donnais une maison particulière comme habitation à ceux que je voulaisrécompenser ou à ceux à qui j'avais confié quelques-uns des nombreux orphelins ouenfants abandonnés pour une autre raison. Toutes les rues sont tracées bien droites car iln'y a aucun obstacle. De même, les maisons sont construites bien alignées avec cependantune distance entre elles de soixante pas3l (84 mètres) ; cela pour qu'en un instant nebrûle pas toute la mission, comme c'est arrivé plusieurs fois, si un incendie se déclare,ce qui arrive très facilement avec des gens aussi insouciants et n'attachant du prix à rien.Comme, pour faciliter la ventilation, les portes sont placées de façon symétrique des deuxcôtés des maisons, il est facile et plaisant d'apercevoir d'un seul coup d'oeil par les portesouvertes l'alignement de toutes les maisons.32 Au milieu de la réduction se trouve une place

30 Eder en a déjà parlé au paragraphe 146.31 Un pas équivaut à 1,393 mètre.32 Indirectement Eder indique ainsi que les maisons n'étaient pas divisées intérieurement par des cloisons

et ressemblaient donc aux grandes cases traditionnelles.

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perfeete quadratum, euius latus quodlibet eentum sexaginta passus numerabat. In quolibetfori angulo Crux prregrandis eum sacello pro obeundis sup(p)licationibus, prresertimTheophorire, Sab(b)at[h]inis, et Hebdomadre maioris tempore. In medio fori itidem Cruxereteris maior, eratibus septa, et arboribus rite eollocatis eireumdata.

612. Deseribuntur Eeclesire.Plures Missionarij, quietem ab alijs magis necessarijs operibus naeti, et Indis ad maiora

audenda animatis, eas extruxere Eeclesias, qure vel in Europa laudem consequerentur.Muri quidem e lateribus ad solem eoetis eompaeti erant, sed eius altitudinis, ad quam eosdefeetu ealcis assurgere posse vix eredidissem, proprijs oeulis eos et erigi, et pluribus iamannis stare vidissem. Et quamvis nitor templorum ibidem tanti eonstet, sive ob inseetorumomnia deturpantium eopiam, sive ob innatam Indorum desidiam, is tamen est, ut nihiladdi posse videatur. Altaria, eathedrre eoncionatorire, confessionalia, ea prresertim,qure celebres duo Bohemi, Saeerdos unus, alter Coadiutor Laieus tum delinearunt, tumelaborarunt, cuilibet Ecclesire decus non exiguum eonferrent, eum et elegantissimo opereelaborata, et prreterea auro tecta sint. Neque minoris, sive elegantire, sive pretij suntpegmata varia, quibus allatas ex Italia plerumque statuas Domini, Beatre Virginis, aesanctorum pro temporis ratione in publicis sup(p)licationibus circumferunt. Sed excedumomnia hucusque dicta, saeerdotalia paramenta, qure in quibusdam Missionibus tamcopiosa erant, ae pretiosa simul, ut cum multis, etiam maioris momenti Europre Eeclesijsdeeertare potuerint. Neque exornandis altaribus deerat suppellex argentea, eaque alieubisat eopiosa.

613. Dnde sumptus ad hree eomparar(e) necessarij emanaverint ?Hic enimvero Lector benevole oportunum iudico, quin neeessarium etiam referre

fontes illos, e quibus necessarios ad hrec omnia, sive qure Ecclesias, sive qure Indosspectant, sumptus hausimus, tum ut euriositati non nullorum satisfaciam, tum, et quidemamplius, ut obloquentium, et thesauros ubique somniantium opinionibus oecuram. Primumequidem id adverto, nostris Peruanis Missionibus nihil unquam a Regibus Hispanis fuissedatum, assignatumve, sive dein Ecclesias, sive Missionarios ibi laborantes, sive conversosad fidem Indos spectes. Adverto etiam, Peruanarum Missionum Indos nullum tributi,vectigalis, aut euiusvis contributionis genus Regibus unquam pendisse. Et forte Indinostrarum Missionum uniei erant, quibus a Regijs Ministris onus nullum impositum fuit:creterre enim, aut omnes, aut plerreque non modo, uti nostrre Regi Hispaniarum parebant,sed etiam constitutum tributum pendebant. Et quamvis eertam huius diversitatis causamassignare non possim, arbitror tamen me ab ea non

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 225

parfaitement carrée de cent soixante pas (223 mètres) de côté. À chaque angle de la placeil y a une grande croix avec un oratoire pour les célébrations liturgiques, principalementpour la Fête-Dieu, les samedis et la Semaine sainte. Au milieu de la place se dresseégalement une croix, plus grande que les autres, protégée par une claie et entourée d'arbresrégulièrement plantés.

612. Description des églisesAprès l'achèvementdesconstructionsdepremièrenécessité, beaucoupde missionnaires

et d'Indiens, disposés à tenter d'en bâtir de plus grandes, édifièrent ces églises qui mêmeen Europe seraient admirées)). Les murs étaient certes en briques cuites au soleil, maisjusqu'à une hauteur que j'aurais du mal à croire que ce fût possible sans chaux, si demes propres yeux je ne les avais vu s'élever et résister depuis déjà plusieurs années. Etbien que là-bas maintenir la beauté des églises nécessite beaucoup de travail à cause dela grande quantité d'''insectes''J4 qui souillent tout et de la paresse innée des Indiens,leur splendeur est cependant telle que rien ne semble pouvoir y être ajouté. Les autels,les chaires, les confessionnaux, particulièrement ceux que dessinèrent ou travaillèrentdeux hommes célèbres originaires de Bohême35 , un prêtre et un coadjuteur laïc, ornentmagnifiquement chaque église; en effet ce sont de très belles oeuvres qui, de plus, sontdorées. Ne sont pas moindres en élégance et en valeur les différents brancards sur lesquelson porte pendant les processions, les statues, la plupart du temps importées d'Italie, deNotre-Seigneur, de la Bienheureuse Vierge Marie ou d'un Saint, selon la fête. Mais lesornements sacerdotaux dépassent encore en splendeur tout ce dont nous venons de parler.Dans certaines missions, ils étaient si nombreux et en même temps de si grande valeurqu'ils auraient pu rivaliser avec ceux des églises d'Europe, même les plus importantes. Etpour l'ornementation des autels les objets en argent qui dans certaines missions étaienttrès nombreux ne manquaient pas36•

613. Sources de financement de tout celaMaintenant, cher lecteur, je pense opportun et même indispensable de citer avec

bienveillance les sources d'où nous tirons les fonds nécessaires pour obtenir tout ce qu'ilfaut pour les églises et pour les Indiens. Ainsi, je satisferai la curiosité de quelques-unset plus encore je riposterai aux dires des critiqueurs et aux suppositions de ceux quis'imaginent qu'il y a partout des trésors. Tout d'abord, j'attire l'attention sur le fait que lesrois d'Espagne n'ont jamais rien donné ni assigné à nos missions du Pérou37

; ni pour leséglises, ni aux missionnaires oeuvrant sur place, ni aux Indiens convertis à la foi catholique.Les Indiens de nos réductions étaient peut-être les seuls à n'avoir pas été imposés par lesfonctionnaires royaux. Car toutes les autres missions, ou du moins la plupart, dépendaient

33 En 1990, les églises des missions jésuites auprès des Chiquitos de Bolivie ont été déclarées parl'UNESCO patrimoine de l'humanité.

34 Parmi lesquels Eder classe les chauves-souris, principale cause de salissement des églises: voir para-graphe 477.

3' Dans l'actuelle République Tchèque.36 Et qui souvent furent pieusement conservés par les fidèles après le départ des jésuites.37 Incluant à cette époque le territoire qui deviendra la Bolivie.

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34-1longe aberrare. Est nempe is per omnem Americam mos, ut quamprimum Indi tributumRegi pendere iubentur, eorum quoque Parochus pensionem annuam a Regio rerarioaecipiat, suntque hrec duo tam inter se connexa, ut non facile, nisi forte summa Indorumegestas aliud svadeat, separentur. Accedit, quod e Regum voluntate omnes ij, qui publieoaliquo muneri, aut officio, Missioni utili, aut necessario addicti sunt, nihil omnino pendant,idque exemptionis genus non solum Missionibus nostris, sed etiam reliquis Indorum pagisconcessum est.

Nunc iam ad opinionem meam declarandam accedo. Imprimis Indi nostrarumMissionum [y](ij) erant, quibus pauperes magis vix credo reperiri posse, etsi omnes orbisangulos perscruteris. Regio prreterea ea erat, in qua frequentissimi, [y](ij)que Epidemicimorbi, ut proinde numerus Capitum unius Missionis, numerum mille quingentorumnon excesserit, plerreque ne mille attigerint, alire vix sexcenta numerarint. Unica Nationonama erat, qure foecunditati mulierum, et loci salubritati debebat suum singulis annisincrementum. Id vero ex eo fine factum, ut lue aliqua grassante bini Missionarij commoderegris omnibus de utrisque remedijs providere possint. Taceo onera alia, rerum etiamtemporalium curam, locorum ob e1uviones pro redificandis pluribus redibus angustias,terras pro seminandis granis, pascendisque pecoribus aptas. Numerus non modoMissionum, sed etiam Capitum Ministris Regijs notus erat, uti et causre, cur pluribus nonconstarent Capitibus: regionem lustravit proprijs etiam oculis Excell.mus Regius PrresidensIoannes de Pestafia, et rem, uti hucusque enarravi, deprehendit, ne facta quidem tributiullius mentione. Si enim illud solvendum decrevisset, exceptis, uti moris est, senibus,parvulis, morbo inveterato impeditis, ac [y](ij)s omnibus, qui publico commodo deserviunt,quo nomine per totam Americam veniunt textores, fabri sive Iignar[y](ij), sive ferrarij,musici, pecorum Pastores, tum etiam [y](ij) omnes, qui dignitate aliqua sive san[q](g)uinis, sive offieij excellunt, pauci adeo residui fuissent, ut rerarium regium plus detrimentiex pensione Missionarijs, tanquam Paroehis danda, quam eommodi ex eorrasis Indorumtributis percepisset. Et hane arbitror fuisse rationem, quod hueusque Indis MissionumPeruanarum nihil oneris impositum, et vicissim, quod ipsorum Paroehis nihil nummorumassignatum fuerit.

Sed ad detegendam sumptuum in Ecclesias, ac Indos expensorum originem veniamus.Hrec quadruplex erat. Prima ab Hispanis ibidem residentibus, quorum non pauci, eum non

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 227

comme les nôtres du roi d'Espagne3' mais en plus lui payaient le tribut prévu. Bien que je ne

puisse donner la raison certaine de cette différence, je pense cependant ne pas me tromperbeaucoup avec la suivante. Dans toute l'Amérique39 l'usage veut que quand on estime quedes Indiens doivent payer un tribut au roi, alors leur curé reçoit également une pensionannuelle du Trésor royal. D'ailleurs ces deux choses sont si étroitement liées qu'ellesne sont pas facilement séparées, sauf peut-être quand l'extrême indigence des Indiensconseille de procéder différemment. Il faut ajouter que, selon la volonté des rois, tous ceuxqui exercent une charge publique ou une fonction utile ou indispensable à la mission nepaient absolument aucun impôt et cette exemption n'a pas été concédée uniquement à nosréductions mais également à tous les autres groupes indiens.

Maintenant je vais donner mon avis. Avant tout, les Indiens de nos missions étaienttels que je crois très difficile de pouvoir trouver sur toute notre planète des gens pluspauvres. De plus dans cette région amazonienne sévissent de très nombreuses maladiesépidémiques; aussi le nombre d'habitants d'une réduction n'excédait-il pas mille cinqcents ; la plupart des réductions ne comptaient pas mille âmes et les autres arrivaient àpeine à six cents personnes. Seule la nation itonama voyait sa population croître chaqueannée, grâce à la fécondité de ses femmes et à la salubrité de son territoire. De plus ellebénéficiait du fait qu'il y avait deux missionnaires qui pouvaient l'un et l'autre apporterfacilement des remèdes à tous les malades en cas d'épidémie. Je passerai sur les autrescharges, ainsi que sur la gestion des choses matérielles et sur le peu d'endroits à l'abri desinondations, permettant de construire beaucoup de maisons, de semer des céréales et defaire paître du bétail. Les fonctionnaires royaux connaissaient le nombre de réductionsainsi que celui de leurs habitants et les raisons pour lesquelles elles n'en avaient pasdavantage. Qui plus est, Son Excellence le Président royal de l'Audience de Charcas, Juande Pestafia40

, visita la région et put constater de ses propres yeux que les choses étaientcomme je les ai décrites jusqu'à présent: il ne fit aucune mention d'un quelconque tribut.Or, s'il avait décrété qu'il fallait le payer, il aurait dû en exonérer, comme cela en estl'usage, les vieux, les enfants, les personnes atteintes d'une maladie chronique et tousceux qui contribuent au bien public, ce qui dans toute l'Amérique concerne les tisserands,les menuisiers, les forgerons, les gardiens de troupeaux et tous ceux qui jouissent d'unecertaine considération due au sang ou à la fonction. Ainsi, il ne serait resté que très peud'assujettis à l'impôt et pour le Trésor royal la dépense qu'il aurait fallu faire pour payer lespensions des missionnaires en tant que curés aurait dépassé la recette provenant du tributdes Indiens. Voilà, je crois, la vraie raison pour laquelle jusqu'à présent les Indiens desréductions du Pérou n'ont été soumis à aucun impôt et qu'en même temps aucun traitementn'a été versé à leurs curés.

Mais voyons l'origine des sommes dépensées pour les églises et pour les Indiens. Ily avait quatre sources.

38 Littéralement: des Espagnes.39 Sous-entendu: espagnole.40 Juan Francisco de Pestai'la y Chumacero (1710-1767) Président de l'Audience de Charcas (actuellement

Sucre, capitale de la Bolivie) de 1757 à 1766, année où il fut destitué de la présidence après son expéditionmilitaire désastreuse (1765-1766) contre les Portugais du Brésil, qui avaient occupé plusieurs missions jésuitesdans la province de Moxos (d'après l'article dans Hamadas, 2002, vol. 2, p. 527-528).

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minus rere, quam pietate essent insignes, et de vieinis Missionibus pIura audirent, sivevivi, adhue valentesque, sive in ultimo morbo eum, eui divitias suas se debere noverant,in partem earundem advoca(ve)runt. Plerique horum Provincire, simulque MissionumPrresidi peeunire, quam dare statuerant, quantitatem deponebant, qui deinde singulistriennijs Limre res omne in [y](ij)s rebus emendis expendebat, quas Missionibus maximeprofuturas monitus erat. Alij horum Benefactorum, ut pietatem suam eommendarentmagis, possessiones quasdam fixas cesserunt, quarum annui reditus Neophytis, earumqueEcclesijs prodes[I/](-)

34-2(-)sent, qui prioribus permixti in eosdem fines a dicto Provincire Prreside expendebantur.Secundus sumptuum fons in ipsis Missionibus erat. Mittebantur Indi, qui ceram e silvisadferrent: non nullre Missiones sylvis cacao feracibus viciniores, istud etiam curabant:alire sevum, orizam, telas e gossypio textas, struthionum plumas, et alia id generis minorismomenti semel quotannis in dissitam a Missionibus ducentis po[e]ne milliaribus primamHispanorum urbem S. Crucis naviculis adverso fiuvio devehebant, quibus omnibus interHispanos a Procuratore ad id designato divenditas ea cuilibet, anno sequenti mittebantur,qure ipse per literas postulavit.

Tertius, isque procul dubio omnium abundantissimus, ab ipsis Missionarijs emanabat.Fuere non pauci opulentorum Parentum filij, qui cum Societati nomen dedissent, absolutisstudijs Missiones petierunt, et hrereditatem sibi a Parentibus transcriptam Missioni, quamaut fundaverant, aut excolendam susceperant, donarunt, parte in ornandis Ecclesijs, partein procurandis quibusvis Indorum commodis impensa. Ouartus, isque ordine ultimusEuropreis Benefactoribus debetur. Debeo hic quorundam Magnatum pietatem comendare,quorum utinam mihi forent nota nomina, uti nota sunt monumenta. Non dubito plures ex[y](ij)s mercedem iam recepisse apud Deum, qui, quo ipsi magis hominibus suam celaruntpietatem, eo amplius eam mundo patefàciet, et remunerabitur. Felices sane, qui status, autmuneris sui conditione impediti in Vinea illa laborare, eam quo poterant modo coluerunt,et Infidelium reductioni, Ecclesiarum decori opum suarum partem consecrarunt. Felicesiterum, qui quod alij in luxum, lusus, famulos, convivia, deploranda crecitate effundunt, inredium Deo dicatarum nitorem, in munera, quibus Infideles captarentur, in eorum vestes,ac reliquam suppellectilem expederunt, ut proinde propitium sibi Numen promitterepossint, ad cuius tribunal tam insignia utriusque miserieordire opera prremiserunt.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 229

La première provenait des Espagnols résidant en Amérique dont beaucoup étaientconnus tant pour leur fortune que pour leur piété. Ils avaient de nombreuses informationssur les missions relativement proches. Aussi de leur vivant, quand ils étaient en très bonnesanté ou lors de leur dernière maladie, ils donnaient une partie de leurs richesses à Celuidont ils savaient qu'ils les tenaient. La plupart de ces donateurs déposaient la quantitéd'argent qu'ils avaient décidé d'offrir dans les mains du Supérieur de la province, quiétait aussi celui des missions. Ensuite, tous les trois ans, celui-ci dépensait tout l'argentpour acheter à Lima les marchandises dont il était informé que les missions avaient leplus besoin. D'autres bienfaiteurs, pour faire encore plus valoir leur piété, léguèrent despropriétés dont les revenus annuels servaient à l'entretien des nouveaux baptisés et deleurs églises. Le Provincial dépensait ces revenus en même temps que les autres fonds etdans les mêmes buts.

La seconde source de financement se trouvait dans les réductions elles-mêmes. Onenvoyait des Indiens dans les forêts pour y ramener de la cire. Dans quelques missionstrès proches de forêts produisant du cacao, on en récoltait également. D'autres réductionsenvoyaient par pirogues remontant les rivières une fois par an du suif, du riz, des toilesen coton, des plumes de nandou et d'autres produits de moindre importance à la premièreville avec des Espagnols, Santa Cruz de la Sierra, distante d'environ deux cents milles41

(370 kilomètres)42. Là le Procureur chargé de ce travail vendait le tout au détail à desEspagnols, puis l'année suivante envoyait à chaque mission ce qu'elle avait demandé parécrit.

La troisième source de revenus, sans aucun doute la plus importante de toutes,provenait des propres missionnaires. Il y eut beaucoup de fils de parents riches qui, aprèsêtre entrés chez les jésuites et y avoir terminé leurs études, demandèrent à être envoyés enmission et firent don de l'héritage reçu de leurs parents à la réduction qu'ils fondèrent oudont ils reçurent la charge. Cet argent servit en partie à l'embellissement des églises et enpartie à procurer toutes sortes de choses aux Indiens.

La quatrième source de dons, lamoins importante, provenait de bienfaiteurs européens.Bienheureux ceux qui, empêchés par leur état ou leur charge de travailler dans cette vignedu Seigneur, la cultivèrent de la façon qu'ils purent, en consacrant une partie de leursrichesses à la réduction43 d'Indiens païens44 et à l'embellissement des églises. Égalementbienheureux ceux qui, au lieu de gaspiller sans compter et de façon déplorable comme lefont certains pour le luxe, pour la domesticité, dans le jeu ou dans des banquets, dépensentpour la splendeur des lieux de culte consacrés à Dieu, en présents pour attirer les Indienspaïens, en vêtements pour les habiller et pour l'achat d'autres ustensiles dont ceux-ci ontbesoin. Ils peuvent ainsi s'attendre à un Dieu bienveillant au Jugement dernier, car leurs sibelles oeuvres de miséricorde pour le spirituel et pour le matérielles y précéderont.

41 Un mille équivaut à 1 852 mètres.42 Distante sous-évaluée: rien qu'entre Santa Cruz de la Sierra et Trinidad il y a plus de 550 kilomètres

et la plupart des missions se trouvaient bien au-delà de cette réduction.43 C'est-à-dire à décider des Indiens pas encore christianisés à venir vivre dans une mission dirigée par

un jésuite, en particulier grâce à des cadeaux.44 Littéralement: infidèles

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§ II.De Indorum regimine Pol[y](i)tico.

614. Inducitur magno Jabore form(a) regiminis.Quanto labore, et quam continua vigilantia opus sit, ut relictis prioribus ferinis

moribus ad leges humanitatis se se Indi accomodent, is duntaxat novit, qui apud iIIos, etcum iBis moratus est. Cum enim rationibus parum deferant, et sola p[o]ene utilitate, autcommodo in agendo ducantur, quod in hisce legibus non reperiunt, fit, ut eis regre, ac tardeadmodum se submittant. Verum, quia Missionarijs omnibus firmissime persvasum fuerat,eos non prius fidei bene, firmiterque adhresuros, quam exuta feritate mores humanosinduerint, iIlis instabant identidem, et tum exemplo aliarum Nationum, tum laudibus, acetiam muneribus persvadere conati sunt, ut quod ap(p)arebant, reipsa essent veIIent. Hincinducta iIla mun[i](er)a, qure in omni Urbe recte instructa reperiuntur. Designabantura Missionario quotannis festo Circumcisionis Dominicre die, qui ea obirent: qui annoprreterito suum munus solerterperegerat, is promovebatur: sin minus, plebi adnumerabatur:quod quidem ipsorum animos adeo pungebat,

34-3ut non semper consuitum fuerit id exequi. Risu dignissima scena singulis annis redibat.Vergente enim in finem anno, omnes curre, ac industrire eo tendebant, ut aliqua rationeexpiscarentur, num in suo munere a Missionario conservandi sint, num promovendi, anvero amovendi. Iucundum erat mense Decembri ac Ianuario Missionem regere; omniaenim fervebant, omnes commissam sibi Provinciam strenue exequebantur, ita ut monendisrepe fuerint, ne nimia rerum peragendarum exactione Indos obruerent. Mense quidemDecembri id agebant, ut Missionario complacerent, et in suo officio conservari mererentur:Ianuario vero, ut electionem suam opere confirmarent. Hoc vero mense elapso vix erat,qui qurerenti etiam Missionario, ac srepius inclamanti prresto esset, desidia nempe locumsuum occupante. Repeto iterum, qui toto orbe magis pueri, quam hi ? anne commiseratione,indignatione, vei potius risu digni ?

615. Mundities in vestibus, corpore, et domibus.Idem labor principio in vestibus nitide servandis, sed qui breviori tempore perdurat.

Et cum de [y](ij)s alibi sat fuse egerim, pIura addere superfluum censeo. Corpora suahodie sat bene curant, prrecipue si in publicum prodire opus sit. Nemo certe erit, qui nonlotus, pexusque sive in Ecclesia, sive apud Missionarium se sistat [A](a)d sacra peragenda

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne

II. De l'organisation politique des Indiens

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614. Grand travail pour installer une organisation politique parmi les IndiensCombien ne faut-il pas de travail et de continuelle vigilance pour que les Indiens

abandonnent leurs anciennes moeurs sauvages et se plient à des lois vraiment humaines?Seul le sait celui qui a vécu auprès d'eux et avec eux. Car la raison n'influe que peu sur leurconduite, qui n'est à peu près régie que par l'utilité ou la commodité de leurs actes; commeils ne retrouvent pas cela dans les nouvelles lois, ils ne s'y soumettent qu'à contrecoeur ettrès lentement. En réalité parce que tous les missionnaires étaient absolument convaincusque les Indiens ne seraient pas bien fermement enracinés dans la foi avant qu'ils n'adoptentdes moeurs vraiment humaines en se dépouillant de leur sauvagerie, ils insistaient souventauprès d'eux et s'efforçaient de les persuader, par l'exemple d'autres nations indiennes, pardes honneurs mais aussi par des cadeaux, de vouloir vraiment devenir ce qu'ils n'avaientque l'air d'être. Dans ce but furent établies toutes les fonctions que l'on trouve dans touteville bien organisée. Tous les ans, le jour de la fête de la Circoncision du Seigneur (lepremier janvier), le missionnaire désignait ceux qui occuperaient ces charges. Celui qui aucours de l'année précédente avait bien rempli sa tâche était promu; dans le cas contraireil retournait à la base, ce qui en vérité l'humiliait beaucoup, aussi n'était-il pas toujoursconseillé de le punir de cette façon. Chaque année revenait une scène très amusante. Car,l'année touchant à sa fin, tous tentaient avec soin et application de chercher un indice poursavoir s'ils seraient maintenus dans leur charge par le missionnaire, s'ils seraient promusou destitués. En décembre et en janvier il était agréable de diriger la réduction, car toutbattait son plein et tous accomplissaient avec courage la mission qui leur avait été confiée,au point qu'ils devaient souvent être repris pour qu'ils n'accablent pas les autres Indienspar une exigence excessive pour les choses à faire. En décembre ils agissaient ainsi pourse faire bien voir du missionnaire et mériter d'être maintenus dans leur poste. Enjanvierc'était pour montrer que leur choix avait été opportun. Mais fini le mois, il était difficilede trouver quelqu'un de disponible, même si le Père le demandait et l'interpellait plusieursfois, car la paresse avait repris sa place. Je demande à nouveau: sur toute notre terre, y a+il plus enfants que ces Indiens? Et que méritent-ils: pitié, indignation ou plutôt rire?

615. Propreté des vêtements, du corps et des maisonsAu début ce fut une tâche également difficile, mais cependant moins longue, pour

obtenir que les Indiens maintiennent propres leurs vêtements. Et comme j'en ai déjà assezlonguement parlé ailleurs45

, il me paraît superflu de m'étendre plus. Actuellement ilssoignent plutôt bien leurs corps, surtout quand ils doivent paraître en public. Du moins,sans s'être lavé et peigné, personne ne se présentait à l'église ou chez le missionnaire pouraccomplir une démarche religieuse. En ce qui concerne leurs maisons, j'ai obtenu qu'ils enchassent lavolaille pour l'enfermer dans des endroits qui lui soient réservés. Car auparavantil leur plaisait beaucoup d'être ensemble46, au point qu'en s'asseyant pour prendre le repas

., Au paragraphe 583.46 Cette promiscuité existait toujours dans des villages indiens moxos à la fin du vingtième siècle (obser­

vation du traducteur).

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solutis. Quod vero domos eorum attinet, id quoque assecutus sum, ut altilia ex [y](ij)seiectant, loco destinato includerent. [g](G)ratissimum enim ipsis erat ijsdem permisceriadeo, ut assident[t]es ad prandendum, quot aItilium capita, tot convivas numerarent,qui ex eadem patina, quidquid possent, nemine prohibente rostro diriperent. lmo, ultraetiam progressi passi sunt eo se inducere, ut domos suas, ac omnem circum viciniam subauroram in( )dies verrerent, ut nihil, quod oculos, naresve offenderet, uspiam reperiretur.Plures erant, quibus scamna, et mensulam, imo et sedilia lignea, corio tecta distribui,ne canum more humi passim considerent: quod cum interdum fieri necessum sit, egi, utstoreas eleganti illo labore textas sibi sub[y](ji)cerent, quas nonnulli temporis decursu prointegra domo diebus solemnioribus stemenda pararunt.

616. Delinquentes a Missionario corriguntur.Dubitavi, ut verum fatear, an huic meo operi adiungere debeam, a quo, et qui[ ]bus

modis delicta lndorum puniantur. [,] Neque enim ignoro, quid de Missionarijs passim amalevolis et verbo, et scripto sparsum sit, quos sive volentes, sive nolentes, Reges efficere,ac proclamare conantur, ut deinde vastum sibi aperiant obloquendi campum, et eos ipsos,quos Reges pro arbitrio suo fecerant, e hominum restimatione, consortio, ac memoria,tanquam ultimam Reipublicre pestem expungant. Et forte id ipsum, quod nunc tractandumaggredior, ipsis in omnia intentis uberem materiam suppeditabit. Verum ita sit[,]: arripiantper me licet, exag(g)erent, minentur: fidem fortasse facient; sed apud eos duntaxat, quorumnec laudes expeto, nec curo vituperia. Delicta igitur lndorum ad Missionarium deferuntur,qui re examinata eos pro delicti gravitate punit. Poen[e](re) autem decemi solitre hre sunt:carcer cum moderata a cibis abstinentia, ita ut hrec sola poena: locum habeat: ille enimsolus potius mercedis

34-4aut commodi nomen meretur, cum liberam stertendi, etotiandi occasionem uItro suppeditet.Item ictus flagello aliena manu inflicti, qui ne numerum duodecimum excederet, gravitercautum fuit. Si delictum gravius erat, capilli forficibus abscindebantur, utpote in quibustota vanitatis ratio consistit: maxima vero, uti incendia sponte excitata, seditio, et alia idgeneris rarissima, exilio plectebantur, reo in aliam Missionem, aut interdum in RegnumPeruanum ad proximam Hispanorum coloniam certo annorum numero, aut ad finemusque vitre deportato. His terminis circumscripta erat tota Missionariorum iurisdictio,hoc sive ludicis, sive Patris tribunal.

617. Respondetur obiectionibus.Nemo quidem erit, qui in bene ordinata Republica contendat, delicti alicuius reos non

esse puniendos, atque poenarum metu ad frugem meliorem revocandos. Sed ob[yKii)cient

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 233

de midi ils avaient également toutes les volailles comme convives qui prenaient avec leurbec tout ce qu'elles pouvaient du plat commun, sans que personne ne les en empêchât. Etmême, les Indiens acceptèrent de progresser plus encore, en décidant de balayer chaquejour dès l'aurore leur maison et les alentours pour qu'il ne reste nulle part quelque chosequi choque la vue ou l'odorat. À beaucoup j'ai distribué des bancs et une petite table, etmême des sièges en bois recouverts de cuir, pour qu'ils ne s'assoient pas par terre n'importeoù comme des chiens. S'ils devaient parfois s'asseoir sur le sol, j'ai obtenu qu'ils le fassentsur des nattes joliment tressées47

; au bout d'un certain temps, lors des plus grandes fêtes,quelques Indiens en recouvraient même tout le sol de leur maison.

616. Le missionnaire punit les délinquantsJe me suis demandé s'il fallait dire la vérité et signaler dans ce livre par qui et comment

les délits des Indiens étaient punis. Car je n'ignore pas ce que colportent partout contreles missionnaires, par la parole et par l'écrit, des gens malveillants. Ils entreprennent,volontairement ou non, de faire des Pères des rois ou de les proclamer tels, pour ensuites'ouvrir un vaste champ pour dire le contraire; ceux-là mêmes qu'à leur fantaisie ils ontproclamés rois, ils les rayent de l'estime, de la société et de la réputation des hommes, entant que la pire calamité de l'État. Et peut-être ce que je vais traiter maintenant donnera-ilabondante matière à ceux qui scrutent tout avec application. Pourtant qu'il en soit ainsi:pour moi, ils peuvent attaquer, exagérer, menacer. Peut-être trouveront-ils crédit auprès decertains, mais ce sera uniquement chez ceux dont je ne souhaite pas recevoir de louanges,ni faire cas de leurs critiques.

Donc, les délits des Indiens sont rapportés au missionnaire qui, après avoir examiné laplainte, punit les auteurs en fonction de la gravité de leurs actes. Les peines habituellementinfligées sont les suivantes. Il yale cachot avec une privation modérée de nourriturequi est en fait la seule vraie peine, car la prison mérite plutôt d'être appelée récompenseou avantage car elle fournit automatiquement l'occasion de dormir et de paresser entoute liberté. De même nous faisions très attention aux coups de fouet donnés par unemain étrangère qui ne pouvaient pas dépasser la douzaine. Si le délit était plus grave, oncoupait avec des ciseaux les cheveux du coupable, par exemple à la hauteur des épaules4s,

car c'est dans la chevelure que les Indiens placent tout leur orgueil49• Dans les cas les

plus sérieux, comme les incendies volontaires, la sédition ou d'autres fautes du mêmegenre, heureusement très rares, les criminels étaient condamnés à l'exil, pour un certainnombre d'années ou à vie, dans une autre réduction ou parfois dans la plus proche villeespagnole du royaume du Pérou50. Dans ces limites se trouvait le pouvoir juridictionneldes missionnaires; voilà ce qu'était le tribunal du juge, c'est-à-dire du Père jésuite.

617. Réponse aux objectionsC'est vrai qu'il n'y a personne qui conteste que dans un État bienpolicé les délinquants

doivent être punis et ramenés dans le droit chemin par la peur du châtiment. Mais

47 Voir paragraphe 578.4S Précision donnée au paragraphe 189.49 Voir paragraphe 188.'0 Dont faisait alors partie l'actuelle Bolivie.

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nempe, id non a Missionarijs, sed ab alijs ad id muneris destinatis faeiendum. Optimesane: assentior plene, tantumque abest, ut sententire huie eontradieam, ut potius fatear, idnos omnes dudum desiderasse. Nemo enim tam expers mentis erat, qui non videret, quamalienum id esset a nostra Voeatione, a nostro munere, a nostra eum Indis agendi, ac, iustelieet, in reos sreviendi ratione. Quis enim non videat, et simul detestetur neeessitatemhine quidem pleetendi, inde vero animum, quem maxime tibi addietum, faventem, ettimoris omnis expertem servare eonvenit, exulcerandi, et abalienandi ? eum enim Indisuapte natura sint supra quam diei, credive possit, timidi, ac pusillanimes, et non tamratione, quam impetu quodam de rebus sententiam ferant, nec tam delictum, quam seodio haberi, punirique arbitrentur, testis est mihi eonscientia, quoties inter diram puniendinecessitatem, ae hos quos enumeravi obiees, velut inter sacrum, et saxum consilij ancepshreserim, et quid potissimum statuerem, p[o]enitus ignoraverim. Quid enim, si Indusdesperata inde eonsilia non meditetur modo, sed etiam, uti non raro factum, exequatur?quid si ipse ad sylvas redeat ? Si seditionem moliatur, et apud nuIlius roboris animospersvadeat ? quid si momento in eineres multorum annorum sudorem redigat ? Nequehrec inanes Missionariorum metus sunt, ut faeili conatu depeIli queant. Missio mere currecommissa ter conflagravit: alias mane e somno surgens, septem capita residua numeravi,reliquis omnibus ea nocte in silvas dilapsis, quin au(c)t[h]orem seditionis aliter lreserim,quam muneris sibi commissi in digniorem translatione. Brec, et pIura alia efficiunt, utnonnisi compulsi in eos animadvertamus.

618. Alia objectio.Sed dicet aliquis: eur Iudieis munus non defertur Indo ? eur non Hispanis ? Rem acu,

vel potius subula tetigit, qui hree ob[y](ji)cit. Heus qure nova Reipubliere norma ! haberetsane, quod rideret orbis, si e sententia Indi regeretur. Prima tune lex, otium: primumdelictum, labor: primus legum transgressor Iudex. Meminerit qureso Leetor, atque inmemoriam tantisper reducat ea, qure de Indorum eondi[t](e)ione, exiguo rationis usu,desidia ac in vitia propensione

34-5attuli, et tum pronuntiet, num dotibus ad obeundas Iudieis partes idoneis instruetus sit.Aecedit, quod una, eademque Missio diversas sa:pe nationes eomplectatur, qua: olimodijs, bellisque eontinuis se se mutuo lacessebant: et licet bella eessaverint, eorumtamen memoria, imo et odij quredam reliquia: animis infixa: adhuedum hrerent. Qua

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justement, objecte-t-on, cela ne revient pas aux missionnaires de le faire mais à d'autresagents désignés pour cette tâche. Parfait! j'approuve totalement et suis loin de m'opposerà cette affirmation, car je déclare que c'est ce que nous tous missionnaires avons naguèresouhaité. Car aucun de nous n'était si dépourvu de bon sens pour ne pas voir que ce rôlede juge était étranger à notre vocation, à notre ministère, à notre manière d'agir avec lesIndiens et à notre façon de sévir contre les délinquants, bien que ce fût toujours avec équité.En effet, qui ne voit et en même temps ne déteste précisément cette nécessité de punir, carà la fois on blesse et on rend hostile l'âme du coupable quand il convient de la protéger, del'accueillir et de la libérer de toute crainte? Or les Indiens de par leur nature sont peureuxet pusillanimes, bien plus qu'on ne le dit ou croit; ils se font une idée des choses plus parinstinct que par réflexion et ils croient être punis non tant pour leur délit que parce qu'ona pour eux de la haine. Je prends à témoin ma conscience: que de fois entre la redoutablenécessité de punir et les inconvénients que j'ai énumérés, partagé entre les deux options,comme entre le marteau et l'enclume, j'étais embarrassé et je ne savais vraiment pas quelétait le meilleur choix. Que faire si un Indien non seulement songe à de noirs desseins maiségalement les exécute comme cela arrive souvent? Que faire s'il retourne en forêt? S'ilfomente une sédition et entraîne des êtres sans force de caractère? Si en un instant il réduiten cendres de nombreuses années d'efforts? Ces craintes de la part des missionnaires sontfondées et ne peuvent pas être aisément écartées5

!. La réduction dont j'avais la charge(San Martin de Baures) fut brûlée trois fois; un matin à mon réveil, je n'ai plus trouvé quesept personnes, toutes les autres avaient fui en forêt pendant la nuit: je n'avais offensécelui qui était le meneur de cette sédition qu'en lui attribuant une fonction supérieure àcelle qu'il occupait jusqu'alors ! Ces faits et bien d'autres expliquent pourquoi nous nepunissions les Indiens que quand nous ne pouvions pas faire autrement.

618. Autre objectionMais quelqu'un dira: pourquoi la charge de juge n'est-elle pas confiée à un Indien ?

Pourquoi pas à des Espagnols? Celui qui fait ces objections touche l'endroit où le bât blesseou plutôt remue le couteau dans la plaie. Aïe! quelles nouvelles lois régissant la société auraitle monde, s'il était soumis à la façon de penser de l'Indien: vraiment de quoi rire. La premièreloi serait alors l'oisiveté52

; le premier délit, le travail ; le premier transgresseur des lois, lejuge.53 Je prie le lecteur de se souvenir et de se remémorer ce que j'ai rapporté sur la manièred'être des Indiens, sur leur usage limité de la raison, sur leur paresse et sur leur tendance auvice ; qu'ensuite il se prononce sur le fait de savoir si les Indiens sont pourvus des qualitésadéquates pour occuper les fonctions de juge. Il arrive souvent qu'une réduction soit composéede différentes nations qui jadis se harcelaient mutuellement à cause de haines et de guerrescontinuelles; et bien que les guerres aient cessé, cependant leur souvenir et même des relentsde haine persistent dans les esprits jusqu'à maintenant. Par conséquent, de quelle façon desIndiens accepteraient-ils un juge d'une autre nation qu'ils savent leur être hostile? Cela neconduirait-il pas à transformer la mission en un horrible champ de bataille? L'Europe, bien

" Voir les paragraphes 499 à 506.52 Otium peut se traduire par oisiveté (point de vue du Père Eder) ou par loisir (point de vue des In­

diens)." Qui n'a rêvé vivre cette utopie, incompréhensible pour le Père Eder ?

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igitur facie admitterent alienre Nationis Iudicem, quem sibi infensum scirent ? an non idesset Missionem in foedissimum belli theatrum convertere ? Europa, ut ut et moribus, etreligione cuItissima tristia nobis monumenta hoc etiamnum sreculo exhibuit, et exemplosuo testata est, quam amari fructus ex huiusmodi Nationalium odiorum seminibusenascantur. Quid quod cum nemo sit, qui ulla san[q](g)uinis, aut virtutis prrerogativa intereos excellat, cui proinde reliqui sub[y]Ui)ci vellent, contentio, dissidia, et aperta seditiomerito pertimescenda foret, quamprimum sibi parem prrefici viderent.

619. Cur non Hispanus ?MuIto vero minus Hispanus [y](ij)s prreponi potest. Quis enim hic, aut unde, cum in

Missionibus nullus reperiatur ? eritne obvius quisque, aut qui aliquantum excellat ? Siprimum, nec officium recte peraget, nec Indi plebeire cuivis aut subdi possunt, aut obedient.Si aIterum, mercedem exiget, quam quis soluturus sit, nescio. Et cur Ministrij Reg[y](ij),cur Peruanus Prorex quotannis novos Iudices non nominavit, submisitque ? quis vetuit ?quis missos eiecit ? Cur Aula Cessioni antiquiorum, et in fide, ac moribus instructarumMissionum non acquievit ? Mihi equidem constat egisse variarum Provinciarum Prresides,ut id consequerentur, sicque illi, qui [y](ij)s curandis detinebantur, ad novas Nationesin silvis conquirendas expediri possent. At quid responsum a proxime defuncto RegeFerdinando, quid Proregi imperatum ? dicam, quod res est. Non modo non est assensus,sed hortatus est Proregem Peruanum, ut curam Parochiarum, qure tunc eius iussu ademptresunt omnes Religiosis diversorum ordinum, nobis, quot[ ]quot posset, consignaret,id quod tamen nobis ipsis obluctantibus nunquam executioni datum est. Expecto abAdversarijs paria documenta, quibus asserta sua probent, ipsisque omnem, quanta quantaest iurisdictionem, dignitatem, ac munus Iudicis inter Indos absque ulla remunerationecedo: cedo itidem omnes reditus, ac commoda, qure sane et muIta sunt, et tam varia, utnon facile alius pIura numeret: restum videlicet Zonre torridre, eluviones annuas, qureipsi C(r)ocod[r]il[l]os ad cubiculi ianuam adducant, buffones, in lecto persrepe hospites,culicum diu, noctuque examina, Viperas, ac Serpentes, tigrides, formicarum exercitus,araneas, et Scorpiones venenatissimos, desidiam, inconstantiam, stupiditatem, et pluresalios Indorum defectus. Hi nempe erant honores, hi proventus, qui liberali prorsus manunobis obveniebant.

620. An Indis interdictum cum Hispanis commercium ?Sunt, qui, ut nullum non moveant lapidem, illud quoque oggerunt, nos, Indis omne eum

Hispanis commercium vetuisse, [y](ij)sque nescio quem metum, ac horrorem ingessisse.

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que de culture bien enracinée quant aux moeurs et à la religion, nous a montré des événementsfâcheux y compris en ce siècle et cet exemple indique clairement quels fruits amers naissentde tels germes de haine nationaliste54• Que dire encore à ce sujet? Comme il n'y a personneparmi les Indiens qui se distingue par un privilège dû au sang ou à ses qualités morales, à quipar conséquent les autres accepteraient d'obéir, il y a toute raison de redouter conflits, disputes,discordes et révoltes ouvertes dès qu'ils verront un de leurs égaux établi comme chef.

619. Pourquoi pas un Espagnol comme jugeBien moins encore, ne peut être mis un Espagnol à la tête des Indiens. En effet qui

serait-il et d'où viendrait-il? Car il n'yen a aucun dans les réductions. Sera-t-il le premiervenu ou quelqu'un qui se distingue de façon notable ? Dans le premier cas, il n'effectuerapas correctement sa tâche et les Indiens ne se soumettront pas, ni n'obéiront à n'importe quide la plèbe. Dans la seconde alternative, il exigera un salaire et je ne sais pas qui le paiera.Pourquoi donc tous les ans les représentants du roi ou le vice-roi du Pérou n'ont-ils pas nomméet envoyé de nouveaux juges ? Qui les en a empêchés ? Qui a chassé ceux qui auraient étéenvoyés ? Pourquoi la Cour royale n'a-t-elle pas accepté la cession des réductions les plusanciennes, déjà formées aux coutumes et à la foi chrétiennes? Il est vrai que je constate queles Supérieurs de différentes provinces ecclésiastiques agirent pour obtenir ce transfert, dansle but de pouvoir envoyer les missionnaires ainsi libérés de leur charge dans les forêts pourrechercher de nouvelles nations. Mais qu'a répondu le roi Ferdinand récemment décédé55 ? Qu'adonc ordonné le vice-roi? Je vais dire ce qu'il en est. Non seulement le roi n'accepta pas, maisen plus il chargea le vice-roi du Pérou de nous56 confier toutes les paroisses qui, sur son ordre,venaient d'été enlevées à des religieux de différents autres ordres. Il signa tout ce qu'il put,mais nous nous sommes opposés à cette injonction qui ne fut pas suivie d'effet. J'attends de nosadversaires de semblables preuves démontrant la justesse de leurs affirmations. Par ailleurs jeleur cède absolument tout ce qui est compétence, honneur et charge de juge sans rémunérationparmi les Indiens. De même je leur cède tous les revenus et avantages, si nombreux et diversque tout autre que moi aurait du mal à énumérer, à savoir la chaleur étouffante de cette zonetorride, les inondations annuelles qui vous amènent des crocodiles jusqu'à la porte de votrechambre, très souvent des crapauds dans votre lit, nuit et jour des nuées de moustiques, desvipères et d'autres serpents, des tigres57, des armées de fourmis, des araignées et des scorpionstrès venimeux, la paresse, l'inconstance, la stupidité et bien d'autres défauts des Indiens. Voilàles honneurs et les bénéfices que nous récoltions à pleines mains.

620. Le commerce avec les Espagnols était-il interdit aux Indiens?Il y a des gens qui, pour ne laisser aucun point sans critique, rajoutent ceci : nous

aurions interdit aux Indiens tout commerce avec les Espagnols et aurions inculqué je nesais quelles crainte et terreur envers ces derniers58

• Ici évidemment, je prends à témoin et

54 Le Père Eder parle du dix-huitième siècle, mais son constat reste valable pour les siècles suivants."Ferdinand VI dit le Sage (1713-1759), roi d'Espagne en 1746. Quand Eder écrit son ouvrage, ce roi est

mort depuis déjà une douzaine d'années.,. Jésuites.'7 Jaguars et pumas." Membre de phrase omis dans la traduction espagnole de Bamadas (1985, p. 366).

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Hic equidem omnium illorum Hispanorum, qui ve1 prresidium Lusitanorum S[S'](anctissim)i Sacramenti in Paraquaria expugnarunt, vel Missiones Peruanas tum annohuius sreculi sexagesimo tertio, tum iterum anno

34-6sexagesimo sexto, ac septimo ad eosdem Lusitanos inde expellendos ingressi sunt, oro,obtestorque, ac imprimis Ducum, ac Prrefectorum, num aliquam huius tam decantati odijumbram repererint ? an non Paraquar[y](ij) nostrarum Missionum Indi in ea obsidioneHispanos iuvere tantopere, ut Lusitanos ad deditionem coegerint ? an non in PeruanisMissionibus tanto amore excepti, ut eos non alio, quam Fratrum nomine compellarint,meritique sint, qui a Ducibus et Proregi, et Regi ipsi plurimum commendarentur ? Hapariter se res habet quoad alterum obiectionis caput. Quis enim unquam Hispanum eMissionibus expulit ? quis, ne sua divenderet, prohibuit ? Verum equidem est iterataRegum edicta emanasse, quibus Hispani Missiones ingredi vetabantur. Sed contrariaconsvetudine gravibus de causis inducta obsolevere. Intrabant certe singulis annis, etsipauci, necessitate potius, quam lucri maioris causa compulsi. Quid enim in tanta Indorumegestate qurereret ? Adhrec metus contrahendre in ea regione regritudinis, solis restus,fluviorum, rivulorum, paludum copia, vire impervire feris obnoxire, nulla per tantumiter hospitia, nulla domus, hrec nimirum omnia plerosque ab inusendis Missionibusdeterrebant.

Non inficior plUIes Hispanos e Missionibus, Patribus infensos ab[y]Ui)sse, et pIuradeinde sparsisse, qure forte causam his rumoribus dedere. Erant quip(p)e, qui per fas, etnefas lucro suo unice intenti, et conscientire sure prorsus immemores, ab Indis, rerum,ac pretiorum ignaris, pro paucis vitreis granis, pro nolulis, aut aI[y](ij)s id generis nugisVestem, lectum, aut gossypij complures Iibras sibi dari petierunt. Et cum Indus tam exiguamrerum suarum restimationem habeat, et laborem suum nihili faciat, fiebat, ut soIuto pretioipse nudus non raro remanserit, et pluribus mensibus a Sacrificio Missre audiendo, velipsis festis diebus abstinere debuerit. Inde factum, ut srepe discissi contractus, atque aMissionario coactus fuerit Hispanus pretium rei venditre non sine dolore, ac iracundiareddere. Hoc quam verum sit, inde patet, quod ipse Hispani exercitus Imperator Missionesingressus suis edixerit, contractum omnem cum Indis inscio Missionario initum ipsoiure fore irritum, Hispanumque condemnandum iri ad mercis sure iacturam. Anne ergo

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prie de répondre tous les Espagnols, surtout leur chef et leurs officiers, qui soit chassèrent lagarnison portugaise de Santisimo Sacramento au ParaguaYS9, soit vinrent dans nos missionspéruviennes en 1763 puis à nouveau en 1766et 1767 pour également y repousser les Portugais,pour dire s'ils y ont trouvé la moindre trace de cette soi-disant haine si souvent invoquée.Les Indiens de nos missions au Paraguay n'aidèrent-ils pas si fortement les Espagnols lorsde ce siège qu'ils forcèrent les Portugais à la reddition ? Dans les réductions du Pérou, lesIndiens n'accueillirent-ils pas les Espagnols avec tant d'affection qu'ils ne les appelaientque du nom de "frères" et par leurs mérites ne furent-ils pas couverts d'éloges par les chefsmilitaires, le vice-roi et même par le roi d'Espagne? Il en est de même quant à l'autre aspectde l'objection. Qui donc a jamais expulsé un Espagnol des réductions? Qui lui a interditde vendre ses marchandises ? Il est certes vrai que les rois ont plusieurs fois émis desdécrets interdisant l'accès des réductions aux Espagnols. Mais par une habitude contraire,due à de sérieuses raisons, ces ordres restèrent lettre morte. Oui, chaque année venaientdans les missions des Espagnols, certes peu nombreux, poussés plus par le besoin que parl'appât du gain. Car, que chercher à obtenir du dénuement si grand des Indiens? Jusqu'àaujourd'hui la peur de contracter une maladie dans cette région, la chaleur torride du soleil,la grande quantité de rivières, de ruisseaux et de marécages, les voies d'accès impraticableset exposées aux bêtes sauvages, aucune auberge ou maison au cours de ce si long chemin,voilà tout ce qui sans doute dissuade la plupart des gens à se rendre dans les réductions.

Je reconnais que plusieurs Espagnols sont repartis des missions irrités par les Pères etqu'ensuite ils ont colporté des bruits qui sont peut-être la source de ces rumeurs. En vérité ils'agit d'individus uniquement motivés par le profit et totalement oublieux de leur consciencequi, par tous les moyens, licites et illicites, exigeaient des Indiens, ignorants de la valeur deschoses et de leur prix, d'échanger leurs vêtements, leur hamac ou plusieurs livres de cotoncontre quelques perles de verre, des clochettes ou d'autres pacotilles. Et comme l'Indienvalorise très peu ses biens et ne fait aucun cas de son travail, il arrivait souvent qu'après avoirdépensé le prix de la transaction, il se retrouvait tout nu et devait attendre plusieurs moisavant de pouvoir à nouveau assister à la messe ou même participer aux fêtes. Cela fit quesouvent la transaction fut annulée et que, forcé par le missionnaire, l'Espagnol dut s'acquitter,non sans peine et colère, du juste prix de la chose achetée. Que cela est véridique, le prouvebien la proclamation que le commandant en chef de l'armée espagnole en personne fit à sestroupes en entrant dans les réductions: toute transaction avec les Indiens conclue à l'insu dumissionnaire serait nulle et non avenue, de plus l'Espagnol serait puni par la confiscation dela marchandise acquise. Ou fallait-il tolérer impunément les tromperies? Un père ne jouit-il

,. Actuellement en Uruguay, Colonia dei (Santisimo) Sacramento (inscrite au patrimoine de l'humanitéde l'UNESCO) est située sur la rive nord du Rio de la Plata en face de Buenos Aires. Fondée en 1680 commeColonia do Sacramento par les Portugais du Brésil, elle fut l'objet de violents conflits entre l'Espagne et lePortugal. Échangée en 1750 (Tratado depermuta signé àMadrid) contre sept réductions orientales du Paraguayd'alors. Ce qui provoqua une guerre de quatre ans (Guara guaranitica) pendant laquelle les Guarani et lesautres groupes d'Indiens des réductions jésuites luttèrent avec les Espagnols et ne purent être battus. Le traitéde Madrid fut donc annulé et l'antérieur (celui d'Utrecht de 1713) remis en vigueur. Mais en 1756 commençaune nouvelle guerre, celle de Sept ans, entre le Portugal et l'Espagne. Le 31 octobre 1762 la garnison portugaisede Sacramento capitula devant les Espagnols, toujours aidés par des Indiens. Mais avec le traité de Paris (13janvier 1763), la ville redevint portugaise jusqu'en 1777 quand Pedro de Cevallos la conquit à nouveau pourl'Espagne, ce qui sera reconnu la même année par le traité de San Ildefonso.

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impune tollerandre erant fraudes? an non Pater requali iure in filios, maritus in uxorem,in servos Dominus gaudet ? anne hoc prohibere commercium ? anne Iudices Urbiumsimilibus fraudibus in vigilantes illud vetare, ac subvertere dicendi ? Utinam pluresHispani incommoda tam longi, molestique itineris superare in animum suum induxissent,et singulis annis non ad proximas duntaxat, sed ad reliquas quoque Missiones mercibusonusti divertissent, ne Limam semper, aut ad alias remotissimas Urbes appellare necessumnobis fuisset, atque res inde petitas magnis conductionis sumptibus, post duos srepe annosprreterlapsos, ac forte etiam semi putridas, madidas, aut confractas irreparabili

34-7damno accipere. Hre morre, hrec detrimenta omnia subla(t)a fuissent, si Hispanisquaquaversu[m](s) divagari placuisset, quibus insuper ob(vi)a quoque, usui domesticoipsis profutura, et quidem absque ullo nobis inde eme(r)gente damni periculo, imo maximeMissionum nostrarum emolumento da(r)i poterant, qure tamen, quia viliora erant, domiputrescebant.

621. Ultimre obiectioni, qua Missiones Regi nihil profuisse dicuntur, satisfit.Ultimum est, quod etiam plurium Adversariorum lin[q](g)uam acuit, Regi nempe

nihil emolumenti ex hisce Missionibus emersisse. Quod quam falsum sit, sole clariusmox demonstrabo. At interim, liceat mihi hosce muscis ipsis impertinentiores tantisperinterrogare, num ipsis Rex Hispanus rerarij sui curam commiserit ? num eos, quibusea incumbit, tam stupidos, aut Regis sui emolumentorum oblitos, aut vero segnesexistiment, ut illa quibus vijs peterant, non curaverint ? 0 perspicaces oculos, qui qurevicini Missionibus Proreges, ac Prresides Regij non vident, ex remotissima abinde Europaconspiciunt ! 0 homines ! rerarij Hispani insignes Curatores ! ite absque more vos oroMadritum, et Regi oeulos aperite: nullus dubito futurum ut, vos illico honoribus, etthesauris Americanis, cumulet, statuas erigat, memoriam vestri nominis marmoribusconsignet, et, quod maxime in rem vestram faciet, rerario prrefieiet, eum quo tamen utcautius agatis, quam cum tot hominum innocuorum fama, exhortor, obtestorque, nisi, quoverba vestra abeunt, vos etiam infelicissimo exitu abeatis.

Verum, ut alteri quoque expostulationis parti plene satisfaciam, amicum Lectoremoro, aures mihi accomodet, et mecum ingratos hosce hospites patienter toleret. Optaremsane orbi, hic ob[y]Ui)cere posse mappam, qure eas duntaxat regiones complecteretur,quas Iesuitœ non modo sudore suo, sed etiam sumptibus proprijs, et quod carius, san[q](g)uine sua non modo detexerunt, sed etiam Ecclesire, ac Regi Hispano, nihil tale cogitanti,subiecerunt. PIura Europre Regna, quin imo !:audacter proferam, quod demonstrarenon erubesco:! Europa tota vix tantum terrarum tractum efficit, quantus is est, quem

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Missionsjésuites d'Amazonie bolivienne 241

pas d'un droit semblable sur ses enfants, un mari sur sa femme, un maître sur ses serviteurs?Cela interdit-il le commerce? Faut-il dire aux juges qui dans les villes sanctionnent de tellesfraudes d'arrêter de le faire et casser leurs décisions? Si seulement beaucoup d'Espagnolss'étaient résolus à entreprendre ce voyage si long et si désagréable! Et si chaque année ilsétaient arrivés, chargés de marchandises, non seulement dans les missions les plus prochesmais aussi dans les autres plus éloignées! Cela nous aurait évité de devoir toujours recourirà Lima ou à des villes très éloignées, puis de recevoir ce qui avait été commandé, souventaprès deux ans d'attente et avec des coûts de transport élevés, et parfois aussi, à moitiépourri, mouillé ou irrémédiablement cassé. Ces commandes lointaines auraient été inutileset tous ces dommages évités, si voyager partout plaisait aux Espagnols. De plus ils auraientreçu en échange des choses courantes, mais utiles pour leur usage personnel; cela sans aucunpréjudice pour nous et même pour le plus grand profit de nos réductions, car ces produitspourrissent sur place car n'ayant que peu de valeur.

621. Réponse à une dernière objection affirmant que les missions n'auraient rien rapportéau roi d'Espagne

Ladernière critique, qui rend encoreplus acerbe la langue de beaucoup de contradicteurs,consiste à affirmer que le roi n'aurait retiré aucun profit de ces réductions. Sous peu je vaisdémontrer, avec encore plus d'éclat que le soleil, combien cette affirmation est fausse. Maisauparavant qu'il me soit permis de poser quelques questions à ces personnes encore plusimportunes que les mouches. Le roi d'Espagne leur a-t-il confié la charge du Trésor royal?Croient-elles si sots ceux dont c'est la fonction, ou si peu soucieux des ressources de leur roi,ou encore si paresseux pour qu'ils ne s'intéressent pas aux moyens d'obtenir ces bénéfices?Ô quels yeux perçants ont ces gens qui, de la très lointaine Europe, découvrent ce que lesvice-rois et les fonctionnaires royaux, proches des missions, ne voient pas ! Ô Messieurs,insignes gestionnaires du Trésor d'Espagne! Je vous prie, allez donc sans façon à Madridet ouvrez les yeux du roi. Je ne doute pas que sur-le-champ il vous comblera d'honneurs etde richesses provenant d'Amérique, qu'il vous fera ériger des statues, qu'il fera graver vosnoms dans le marbre et, ce qui convient encore plus dans votre cas, vous nommera à la têtedu Trésor royal. Là cependant, je vous conseille et vous conjure d'agir plus prudemmentque vous ne le faites avec la réputation de tant et tant d'hommes innocents. Sinon vousdisparaîtrez et votre fin sera aussi misérable que vos affirmations fausses.

Mais aussi pour répondre complètement à l'autre aspect de cette plainte, je prie le lecteurami de m'écouter attentivement et de supporter patiemment avec moi ces hôtes désagréables.J'aimerais bien pouvoir montrer ici une mappemonde qui n'indique que les régions que lesjésuites découvrirent, mais également soumirent à l'Église et au roi d'Espagne, qui d'ailleursles ignorait complètement, non seulement grâce à leur peine mais aussi par leurs moyenspropres et, prix plus élevé, en versant leur sang. Plusieurs royaumes européens ou plutôt toutel'Europe - je le déclare hardiment carje n'ai pas à en rougir pour le démontrer - arrivent à peineà égaler la superficie des territoires que les jésuites ont soumis à l'impôt pour le roi d'Espagne.Est-ce que cela est peu ou rien ? Mais examinons encore d'autres bénéfices apportés au roid'Espagne. Dans certains royaumes d'Amérique, je connais des nations si sauvages et sihostiles aux Espagnols que jamais elles ne purent être, je ne dis pas soumises, mais mêmevaincues lors d'une bataille, malgré les énormes dépenses et moyens militaires engagés. Aussi,

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242 Joseph LAURE

Iesuitre Hispano Regi vectigalem fecere. Anne nihil, anne parum hoc? Sed alia quoquecommoda perscrutemur. Scio in quibusdam Americre regnis Nationes tam feras, tamqueHispanis inimicas fuisse, ut nunquam, non dico sub[y]Ui)ci, sed nec proelio uIIo frangipotuerint, licet immensi sumptus, et pares ap(p)aratus fierent: ut proinde iussi fuerintProvinciarum ilIarum Prrefecti inimicitijs, sumptibus, ac beIIo ab ipso p[o]ene Americreoccupatre exordio finem imponere. Testes mihi sint nationum aliqure, uti nempe Guaicuru,Abipones, Aucaes, et alire nonnuIIre, quarum nomina, dum hree scribo, memorire minimeoccurrunt, qua: aperto iam bello finito, incursionibus continuis colonias, urbesqueHispanorum diu, noctuque infestabant, adeo ut ne momento quieti, aut de vita sua securivel domi sure vivere potuerint. Opera nostrorum factum est, quod et humanitatem, etfidem acceperint,

34-8ac Hispanis amici, Regis vero subditi effecti sint: imo novre Missiones eo Iocre](0) extructresunt, quo alire Hispanis infestre nationes erumpere solebant, quorum proinde impetumipsi, dormientibus interea Hispanis retundere debebant. An hoc quoque inter commodaHispanorum non adnumerandum ?

Quantum vero Missionum nostrarum Indi exorto nuper Hispanum inter, ac LusitanumReges bello contulerint, novit perquam optime uterque Regum, Hispanus quidem cum suihonoris, alter vero cum dedecoris sui incremento. Dicam breviter, quidPeruanre hoc ultimo,cuius paulo ante memini, bello prrestiterint. Exercitum integrum in Missiones naviculisdevexerunt, annona omnis tum pro officialibus, tum pro gregario ultra annum gratis, etabsque ulla mensura suppeditata: annonre autem nomine intelligo, triticum turcicum,caro bubula, oriza, crematum, [Z](s)acc(h)arum, fabre diversi generis, cucurbitre, platani:ligna militi allata, regris omnibus a Missionarijs de medicinis provisum: submissi equip[o]ene omnes pro milite in viciniam hostium deducendo, quorum plerique vel incuriamortu(i,) vel dilapsi, fusre machinre bellicre: reparat[i](a) scIop(et)[i](a) p[o]ene omn[es](ia) nostro ferro, nostro chalybe, nostris fabris: devecta plurium dierum itinere ab Indistormenta: et victualia ad locum obsidionis: extructre per viam domus, alio pro transigendocalore meridiano, alio pro nocte: opera omnia pro cingenda Lusitanorum munimentonecessaria erecta. Omitto reliqua, qua: fusiori descripta calamo ipse BeIIidux, ac primimilitia: Prrefecti Regi transmiserunt. Quis prreterea impedit, ne Hispani inde ligna varia,arborum resinas, herbas, ac radices medicinales, gossypium, aliaque pIura inde evehant,et commercia sua promovent ?

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Missionsjésuites d'Amazonie bolivienne 243

presque dès le début de la conquête de l'Amérique, l'ordre fut donné aux gouverneurs de cesprovinces d'arrêter les incursions, les dépenses et la guerre contre ces peuples. Mes témoinssont un certain nombre de nations, telles les Gaicuru, les Abip6n, les Awqa60 et bien d'autresdont les noms, maintenant que j'écris, ne me reviennent pas à l'esprit. La guerre ouverte menéepar les Espagnols terminée, ces nations continuèrent à attaquer, nuit et jour lors d'incessantesincursions, des colonies et des villes espagnoles. Ainsi, en aucun moment leurs habitants nepouvaient vivre tranquillement chez eux sans danger pour leur vie. Grâce au labeur des nôtresces nations indiennes acceptèrent des moeurs humaines et la foi chrétienne. Une fois amis desEspagnols, ces Indiens devinrent effectivement sujets du roi d'Espagne. De nouvelles missionsont été fondées sur les lieux mêmes qu'avaient l'habitude d'attaquer d'autres nations hostilesaux Espagnols. Du coup, c'étaient les Indiens de ces réductions qui devaient ainsi repousser lesassauts, pendant que les Espagnols pouvaient alors dormir tranquillement! Cela n'est-il pas àcomptabiliser comme un avantage pour les Espagnols?

Quelle fut en réalité la contribution des Indiens de nos missions à la guerre qui arécemment éclaté entre les rois d'Espagne et du Portugal, la connaissent fort bien ces deuxmonarques, à savoir un plus grand honneur pour l'Espagnol et de la honte pour le Portugais.Je vais brièvement dire ce que les réductions du Pérou61 ont apporté lors de la guerre que jeviens juste de mentionner. Avec leurs pirogues les Indiens transportèrent l'intégralité del'armée espagnole vers les missions. Ils fournirent gratuitement et sans restriction tous lesvivres aux officiers et à la troupe pendant plus d'une année. Or j'entends par vivres: maïs,viande de boeuf, riz, alcool, sucre, différentes légumineuses, courges, banane plantain. Tlsfournissaient les militaires en bois, et le missionnaire donnait les médicaments à tous lesmalades. Presque tous les chevaux furent envoyés et conduits à l'armée jusqu'aux abordsde l'ennemi; la plupart des montures moururent par manque de soins ou furent perdues.Des armes à feu furent fondues dans les réductions. Les fusils furent presque tous réparésavec notre fer, notre acier et par nos forgerons. Les Indiens transportèrent jusqu'au lieu dusiège les canons et les victuailles au cours de voyages de plusieurs jours. Ils édifièrent pourl'armée des huttes en chemin, les unes pour s'abriter du soleil de midi, les autres pour ypasser la nuit. Ils construisirent tous les ouvrages nécessaires au siège du fort portugais. Jepasse sur les autres services fournis, dont le commandant en chef et les officiers supérieursde l'armée rendirent compte par écrit et en détail au roi d'Espagne.

En outre, qui empêche les Espagnols d'emporter de là du bois de différentes essences,des résines des arbres, des plantes et des racines médicinales, du coton, et bien d'autresproduits, et de développer leur commerce?

Enfin pour conclure tout cela en peu de mots : tous les profits et avantages pour le roi

'0 Écrit par Eder Aucaes ; Aqwa signifie en quechua ennemi ou adversaire (voir bibliographie addition­nel1e : Diccionario quechua de Donato G6mez Bacarreza, 1999). Ce nom était donné à différentes nationsindiennes, rebel1es à la colonisation espagnole. Les M'baya Gaicuru (ou Guaycuru), ensemble de peuples semi­nomades, habitaient les plaines du Gran Chaco (dans les actuels Paraguay, Argentine, Bolivie et Brésil). Lesjésuites fondèrent plusieurs réductions parmi ces Indiens, qui utilisèrent très tôt les chevaux et étaient desguerriers redoutés. Les Abipon, aujourd'hui disparus, formaient un de ces peuples; voir la bibliographie addi­tionnelle : Dobritzhoffer (1784). Les actuels Kadiwéu ou Caduveo (Mato Grosso du Sud au Brésil et Paraguay)seraient des descendants des M'baya. Toutes leurs langues appartiennent à la grande famille arawak.

'1 Incluant alors l'actuel1e Bolivie, donc les missions des Moxos et des BaUTes

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244 Joseph LAURE

Ut denique paucis omnia concludam, nihili sint omnia, qure hucusque enumeravicommoda, patiatur detrimenti aliquid rerarium Regium, an non satis Regi Catholicotot millia Capitum infidelium, qure nullam Creatoris notitiam, nullam humanitatisspeciem prreferebant, et homines, et Ecclesire filios effecisse ? an non gloriosum magistot Ecclesias, vero Deo dicatas numerare, ubi prius incultre sylvre, et mera camporumvastitas ? an non auro pretiosiores tot animre, parvulorum prrecipue, qure submissis aRege Missionarijs salutem suam debent ? an non magni faciendre a Regibus Catholicistot, tamque vastre regiones, quarum ne nomina quidem Antecessoribus suis notre erant,nomini Hispano hodie devotre, idque quin ullos eam in rem sumptus expendissent ?an non [o]encomijs dignissimum, Barbaros ferissimos, nudos, absque Rege, ac legevivere assvetos, do[ ]morum commodo destitutos, bellis, ac odijs mutuis se se mutuodepascentes(,) carnibus humanis epulari in del(icijs?) numerantes, probra deniquehumani generis in eum ordinem redegisse, ut primitivre Ecclesire formam exhibeant, etRempublicam bene ordinatam constituant? Desinant obsecro obmurmurare hi rerumetiam optimarum censores, et vel negent hrec esse commodis adnumeranda, ve1 fateanturpIura, eaque maximi momenti, esse commoda, qure in Reges Catholicos ex tot milliumIndorum conversione emanant.

35-1§ III.

De regimine spirituali Indorum.

622. Solemnitates festorum, prrecipue Theophorire.Etsi varia secundo huius libri Capite, qure ad hanc rem fa(ci)unt, enarraverim,

quoni(am) Lectori iucundum fore arbitror, ea fusius enarrabo, et mutationem DexterreExcelsi non admiretur solum, sed etiam laudet, qui ex lapidibus filios Abrahre nullolabore efficere potest. Est equidem id proprium omnibus, ut externo rerum nitore, acsplendore pietas non leves progressus faciat et devotia accendatur; apud Indorum ver(o?)an(i)mos eo magis hrec prreficiunt, quo minus ipsi intellectu prrediti esse videntur, atqueomnem rerum restimationem ex solo visu metiuntur. Inde fit, ut Missionarij maxima, quacuilibet licuit, solemnitate festa ce1ebrarent, et mysteria nostrre Redemptionis, ac VirginisMatris statuis, aut iconibus reprresentarent. Nullum tamen erat, quod tanta magnificenciacelebraretur, ac festum Theophorire. Missionem scio, qure totum forum, idque prregrandestoreis e1egantissime pictis stravit. Nemo eorum, qui supplicationi intersunt /:intersuntautem omnes;/ et, cui candela non prrebeatur: cera enim in plerisque locis abundat.Varire Missiones sua mortariola ad singulas aras explodebant: ipse templi, altariumqueornatus, Ministrorum indumenta, musica selectior, vexillorum sericeorum inductus usus,arcus triumphales, allatre arbores, qure utrinque per forum et compita palmis immixtrecollocabantur, nescio quid Europre assimile spirabat.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 245

d'Espagne que j'ai énumérés jusqu'àprésent ne compteraient-ils pour rien? Le Trésor royal a-t­il subi le moindre préjudice? N'est-ce pas suffisant pour le Roi Catholique que tant de milliersde païens, qui ne connaissaient rien du Créateur et ne manifestaient aucune sorte d'humanité,aient été transformés en vrais hommes et en fils de l'Église? Compter tant d'églises consacréesau vrai Dieu, là où il n'y avait que forêts vierges et savanes sans fin, n'a-topas beaucoup ajoutéà la gloire du monarque? Ne valent-elles pas plus que de l'or les âmes si nombreuses, surtoutcelles des enfants, sauvées grâce aux missionnaires envoyés par le roi ? Les Rois Catholiquesn'apprécient-ils pas grandement ces si vastes régions, dont leurs ancêtres ne connaissaientmême pas le nom, qui sont à présent soumises à la nation espagnole et ce sans aucune dépensede leur part? N'est-il pas digne des plus beaux éloges le fait que des barbares très sauvages,vivant tout nus, habitués à vivre sans roi ni loi, renonçant au confort de maisons62, se dévorantmutuellement par des guerres et des querelles intestines, mangeant avec délice de la chairhumaine6

), en un mot la honte du genre humain, aient été amenés à une administration quirappelle celle de l'Église primitive et constitue une société politique bien organisée. Je conjureces critiques de cesser de murmurer contre toutes choses, même les meilleures, et soit desoutenir que tous ces avantages ne doivent pas être pris en compte, soit de reconnaître que laconversion de tant de milliers d'Indiens sert grandement les intérêts, et les plus importants,des Rois Catholiques.

III. De la direction spirituelle des Indiens

622. Grandes fêtes, en particulier la Fête-DieuBien que j'ai déjà abordé ce sujet dans le second chapitre de ce Livre troisième64, je

vais y revenir plus en détail car je pense que cela intéressera le lecteur. Celui-ci pourranon seulement admirer les changements obtenus par la main droite du Très-Haut, maisaussi louer Celui qui sans effort peut transformer des pierres en fils d'Abraham65

• Pour toutle monde il est certes vrai que la magnificence et la splendeur des cérémonies favorisentbeaucoup la piété et enflamment la dévotion. Mais cela a d'autant plus d'effet sur les âmesdes Indiens qu'ils semblent être pourvus d'une intelligence moindre et qu'ils apprécientuniquement les choses par ce qu'ils en voient. Voilà pourquoi les missionnaires célébraientles fêtes avec le maximum de solennité possible et représentaient les mystères de notrerédemption, ainsi que ceux de la Vierge Mère de Dieu, par des statues et des tableaux.Cependant aucune fête n'était célébrée avec autant de faste que la Fête-Dieu. Je connaisune mission dont l'immense grand-place était alors tapissée de nattes très joliment teintes.Aucun participant à la procession, et tous y venaient, qui ne porte un cierge, car la cire estabondante dans la plupart des endroits. Plusieurs missions faisaient tirer leurs petits canonsà proximité de chacun des autels; la décoration de l'église et des autels, les ornements descélébrants, le très bon choix de la musique, l'introduction de l'usage de bannières en soie,les arcs de triomphe, les arbres ornés de palmes, amenés et placés des deux côtés de lagrand-place et aux carrefours, tout cela rappelait je ne sais quoi de l'Europe.

62 Car nomades ou semi-nomades.63 Membre de phrase ajouté par le Père Eder dans son manuscrit latin.64 Paragraphes 541 et 542.•, Référence aux Évangiles: Matthieu 3, 9 et Luc 3, 8.

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246 Joseph LAURE

623. Hebdomadre maioris.Quod sacratissimum quadraginta dierum ieiunium attinet, inducta sunt ibi quoque

frequentiora pietatis, et p[oe](re)nitentire opera, uti fere in Europa fit. Hebdomadremaioris dies, die Palmarum eum solita sup(p)Iicatione inchoantur. Reliquis diebus adeoad amussim omnia celebrantur, ut eorum desideres nihil, qure vel in prrecipuis EccIesijsfieri soient. Vesperre tenebrarum ternis diebus decantantur: tum passio eorum idiomate.Indi omnes a die Cinerum, l,] usque ad diem Resurrectionis nigris duntaxat vestibus sese induunt, quin toto eo tempore, ne mulieres quidem, vel minimo ornatu utantur. DieIovis Sancto solita pedum lotio, ac prandium duodecim Indis exhibetur. Sed nihii sanead Indorum recomendationem reque facit, ae silentium iIIud, et ordo in sup(p)licatione,die Parasceve haberi soIita, ad quod non parum facit et musica lugubris, et pegmatumelaboratis in Italia statuis, mysteria passi pro nobis Domini reprresentantium vivacitas,ac repetitre ad singulas stationes conciones. Vidi in var[y](ij)s Missionibus Indos, qui pertotam sup(p)licationem flagris in se acriter desrevierunt: commune vero omnibus est, eamcomitari Corona Spinea redimitos, et Crucem manu gestantes.

624. Mores [X](chris)tiani feliciter inducti.Qure vero stabili per annum ordine servantur, hrec sunt: ad solita Campanre signa

salutatione Angelica Virginem Matrem, utpote Missionum omnium Patronam venerari,cuius festa ea magnifieentiaperagebantur, ut quam verbis instiIIare conabamurdevotionem,ipsis etiam persvaderent. Quoties prandebant, aut etiam coenabant, brevem orationemrecitare edocti sunt. Mane dato sub auroram campanre signo, uti et noctu, singulre domusinquilini genua fl(exa) versa ad EccIesiam faeie, eIataque voce orabant solitas preees, eteantu brevi

35-2S(aneti)S(sim)i aitaris Saeramenti, Virginis, Tutelaris Angeli, ae reliquorum MissionisPatronorum laudes deeantabant. Ante solis ortum, qui laboribus necessarijs, aut morbonon impediebantur, ad Missam audiendam signo Campanre evocabantur, et conveniebant.Hree quotidie dicebatur, etsi a ducentis p[o]ene leucis necessaria ad eam mulis deferrentur.Et quamvis solis diebus Sab(b)at[h]i eantaretur, reliquis etiam per hebdomadamomnibus, musica absque vocibus personabat. Horis pomeridianis singulis Sab(b)at[h]isdeeantabantur solemnes L[y](i)tanire, uti fieri in Europa solet: tum ducebatur supplicatio,et deeades Marianre ab universo populo recitabantur: qure reliquis diebus post solisoceasum dicebantur. Diebus Dominicis reque, ac festis ante Missam dicebat ad populumMissionarius, prius tamen ab omnibus, prreeunte eodem Missionario, orationes scitunecessarire, Deealogus, Sacramenta, Ecclesire prrecepta, et Catech[y](i)smus eIata vocipercurrebatur. Diebus feriatis eadem, sed parvuli duntaxat, dicta Missa repetebant.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 247

623. La Semaine saintePendant le jeûne sacré de quarante jours du Carême, sont également introduits ici de

plus en plus d'actes de piété et de pénitence, presque comme cela se passe en Europe. Lesjours de la Semaine sainte commencent par le dimanche des Rameaux avec la processiontraditionnelle. Les autres jours, on célèbre tout avec exactitude au point qu'il ne manquerien de ce qu'on a l'habitude de faire, y compris dans les églises les plus importantes. Onchante les vêpres des Ténèbres pendant trois jours et la Passion du Christ dans la langue desIndiens. Du mercredi des Cendres66 jusqu'au jour de Pâques tous les Indiens ne s'habillentque de noir et pendant cette période les femmes ne portent aucune parure. Le Jeudi saint letraditionnel lavement des pieds et la Cène sont célébrés avec douze Indiens. Mais en véritérien ne joue autant en faveur des Indiens que leur silence et leur bon ordre lors de laprocessionqui traditionnellement a lieu le Vendredi saint. Y contribuent beaucoup la musique triste,le réalisme des décors, composés de statues faites en Italie, qui représentent les mystèresde la Passion que le Seigneur a soufferte pour nous, et les commentaires accompagnantchaque station du chemin de Croix. Dans différentes réductions, j'ai vu des Indiens qui seflagellaient violemment pendant toute la procession; par ailleurs, tous les participants sonten général ceints d'une couronne d'épines et portent une croix dans la main.

624. Heureuse introduction des habitudes chrétiennesMais voici ce qui s'observe avec une grande régularité au cours de l'année. Lors de

l'angélus, sonné traditionnellement par une cloche rappelant l'Annonciation par l'Ange, laVierge Marie, Mère de Dieu, est vénérée comme Patronne de toutes les missions. Les fêtesmariales célébrées avec grande magnificence devaient également conduire les Indiens à ladévotion à Marie que nous nous efforcions par ailleurs d'inculquer par la parole. Nous leurapprîmes également à réciter un brefbénédicité avant chaque repas. Au son de la cloche, degrand matin, dès l'aurore, ainsi qu'à la tombée de la nuit, les habitants de chaque maison, àgenoux et regardant vers l'église, récitaient à voix haute les prières habituelles et chantaientde courts cantiques en l'honneur du très Saint Sacrement de l'Eucharistie, de la ViergeMarie, des anges gardiens et des autres saints patrons de la mission. Avant le lever du soleil,ceux qui n'étaient pas occupés à des travaux indispensables ou empêchés par la maladieétaient appelés par le son de la cloche à venir à la messe et s'y rendaient. Elle était célébréetous les jours, même s'il fallait faire venir le nécessaire (vin et hosties) à dos de muletd'environ deux cents lieues67 (1115 kilomètres). À la messe en semaine, on ne chantait quele samedi; les autres jours il y avait de la musique mais pas de cantiques. Chaque samediaprès-midi, on chantait de solennelles litanies des saints, tout comme c'est la coutume enEurope ; ensuite partait une procession et tout le peuple récitait les dizaines du rosaire qui,les autres jours, était dit après le coucher du soleil. Quant aux dimanches et jours de fête, lemissionnaire disait la messe face au peuple; mais auparavant tout le monde répétait à hautevoix après le Père les principales prières, les dix commandements de Dieu, les sacrements,les commandements de l'Église et le catéchisme. Il en était de même les jours de semaine,mais uniquement avec les enfants qui répétaient tout cela au cours de la messe du matin.

66 Le premier jour du Carême.67 Une lieue correspond à 5 572,70 mètres.

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248 Joseph LAURE

Coronam, more Hispanis usitato, Viri, ac mulieres omnes e Collo pendulam gerunt.Diebus, quibus Ecclesia nobis solemniora Domini, aut eiusdem Matris mysteria recolendaproponit, plures conscientiam expiant, et tum mensre Divinre accumbunt, idque cumnon exigua compositione. Et certe, si illi, quam oculis srepe spectavi, Devotioni, parinterior quoque est, cuius unus Deus testis, Europreos urbanam ad minus in templisCompositionem, ac devotionem edocere possunt. Quod enim delicta attinet, pIura sunt;de quibus, nec in quo consistant, iudicare norunt. Quis enim unquam vel vestigium reperitlevissimre blasphemire, superbire peccaminosre, iurisiurandi, ambitionis, detractionis, falsitestimon[y](ij), invidire, supplantationis, et id genus aliorum, qure apud nos tam familiariasunt, ut quotidiana dici mereantur ? Superfluum sane est de his eos vel interrogare: eaenim, in quibus delinquunt, ad hrec fere capita reduci possunt: affectum nempe lascivum,ebrietatem, mentiendi, et minora qureque, suffurandi propensio. Felices sane, qui pIuraculparum genera ne quidem sciunt. Hanc fe1icitatem Naturalistis in Indis dilaudandam,depr[e](re)dicandamque propono, si quidpiam in illis celebrare velint: imo opto, ut eamnon modo vocibus extollant, sed et imitentur, aut ut minus imitari conentur.

Caput XII, et ultimum.Num aliqua Creatoris, Diluvij, Creationis mundi, immortalitatis animre olim apud Indos

noti[c](t)ia?

625. Exigua intellectus Indi indici(a.)Quam parum ab homine, expedito rationis usu destituto sperari possit, nemo est,

qui non videat. Quid enim de puero, rationis nondum perfecte compote, quid de hominesemisopito expectes ? Tales ego semper animo reputavi Indos, id me et propria pluriumannorum, et aliorum longe antiquiorum

35-3Missionariorum experientia edocente. Idem iudicium m(i)hi de [y](ij)s, qui hoc opusattentius legerint, polliceor, in quo singulre fere paginre n(o)va rei huius argumentaexhibent. Sed omnium maximum illud sane este,) quod primi Americre Episcopi, cumIndorum indolem, et capacitatem pluribus annis experti fuissent, nec ullum p[o]eneindicium expeditioris intellectus reperissent, ad Summum Ecclesire Pastorem Romamdedere l(itt)eras, interrogantes, num eos sacramentorum recipiendorum capaces censeret.Episcoporum litterre convocatis Viris doctissimis exhibitre sunt, quibus dubi examinandiprovincia demandata fuit. Post collata pluries consilia a Pontifice definitum fuit, Indos esserationales, ac proinde sacramentorum capaces, ut proinde dubitare, aut de eorum capacitatecontendere vetitum sit, ac interdictum. Hoc ita factum non fabula, sed verissimum est,et videri potest apud omnes Americanos scriptores. At simul Lector perpendat, quodhominum genus id esse debeat, cui plerique omnes Episcopi rationis usum concederedubitant, ac sacramentis ad salutem necessarijs privare, ut oraculo Pontificio contrarium

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 249

Selon une coutume espagnole tous, hommes et femmes, portent un chapelet en collier.Les jours pendant lesquels l'Église nous propose de commémorer les principaux mystèresdu Seigneur ou de Sa Mère, beaucoup soulagent leur conscience par la confession et ensuites'approchent de la table du Seigneur par la communion dans de très bonnes dispositions. Etvraiment si leur dévotion intérieure, dont Dieu est seul juge, est aussi grande que celle quiapparaît souvent extérieurement, alors les Indiens peuvent être un exemple de comportementet de dévotion pour les Européens, du moins dans les églises. Quant aux péchés, il y en abeaucoup dont ils ne savent même pas en quoi ils consistent. Car qui donc a jamais trouvéchez les Indiens le moindre signe de blasphème, même le plus léger, d'orgueil coupable, dejuron, d'ambition, de médisance, de faux témoignage, de jalousie, de tromperie ou d'autrechose du même genre, qui chez nous sont si courants pour ne pas dire quotidiens? Il est mêmetotalement inutile de les interroger au sujet de ces fautes. En effet celles qu'ils commettentpeuvent presque se résumer à ceci: désirs lascifs, ébriété, mensonges et tendance au vol depetites choses. Très heureux sont-ils, eux qui ne connaissent même pas beaucoup de péchés!Je propose aux "naturalistes''68 s'ils veulent admirer quelque chose chez les Indiens de loueret de vanter partout ce bonheur ; bien plus, je les invite à leur rendre hommage non pasuniquement en paroles mais également en les imitant ou du moins en s'efforçant de le faire.

Chapitre 12 : Existait-il autrefois chez les Indiens une certaine connaissance du Créateur,du Déluge, de la création du monde et de l'immortalité de l'âme?

625. Peu de marques d'intelligence chez l'IndienTout le monde comprend qu'on ne peut attendre que peu de choses d'un homme dépourvu

d'un usage aisé de la raison. Car que peux-tu attendre d'un enfant qui n'a pas encore atteintl'âge de raison? Ou d'un adulte à moitié endormi? C'est ainsi que j'ai toujours considérél'Indien, en me basant sur ma propre expérience de plusieurs années et sur celle encore pluslongue d'autres missionnaires. Je suis persuadé que ceux qui liront attentivement cet ouvragey trouveront presque à chaque page de nouveaux arguments en faveur de mon opinion.Mais le plus important de tous les avis vient des premiers évêques d'Amérique, qui firentpendant plusieurs années l'expérience du caractère et des capacités des Indiens. N'ayanttrouvé chez eux presque aucun indice d'intelligence très vive, ils envoyèrent une lettre àRome au Pasteur suprême de l'Église en lui demandant s'il jugeait les Indiens capables derecevoir les sacrements. La requête des évêques fut présentée à une assemblée d'hommestrès savants à qui fut confiée la mission d'étudier la question. Après de vifs et longs débats,le pape conclut en déclarant que les Indiens étaient des êtres rationnels et qu'en conséquencecapables de recevoir les sacrements : donc douter de cette capacité ou s'opposer à cettepossibilité étaient défendus et interdits. Ce fait n'est donc pas une fable: il est absolumentauthentique et peut être lu chez tous les auteurs américains. Mais que le lecteur considèrequel type d'hommes doivent être les Indiens pour que presque tous les évêques aient doutéqu'ils soient doués de raison et aient failli les priver des sacrements nécessaires au salut, etqu'il ait fallu une décision du Souverain Pontife pour décréter le contraire. Et si ces premiers

68 Penseurs du dix-huitième siècle qui défendaient l'idée du "bon sauvage".

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decerni oportuerit. Et si id iudicium de [y](iDs, qui et Rege, et legibus, ac optime institutaRepublica gaudebant, fecere primi illi Americre Prresules, in quam obsecro sententiamnon abirent, si in Infidelium nostrorum turbam aliquam inter silvas inciderent, quibus ve1nomen Regis, legum, Reipublicre ignotum, quive vix alio indicio a feris discrepant, quamquod hre quatuor, illi vero binis pedibus gradiantur.

626. Summa in omnibus quies.Et hinc non dubito oritur pax illa, ac invariabilis quredam animi tranquillitas, tam

commoois omnibus, ut ne in 000 quidem ullum minimi metus, m[oe](re)roris, tristitire,aut perturbationis indicium ooquam detexerim, ut proinde credam, prius e saxo, quamab Indorum animis aliquod cuiuspiam affectus signum exsculpi posse. iEgrotet, valeat,desint, y(el) aboodent omnia, filios habeat, aut eos ooa cum uxore amittat, consequatur,y(el) deperdat rem quamlibet, Indum eoodem, sibique semper requalem deprehendes.Invidenda sane, et votis omnibus exoptanda mihi videbatur eorum mors, quoties mortiproximis aderam: iacebant, ac si svavissimum somnum dormirent, licet srepe [y](ij)smorbis divexarentur, quos acerbissimos, et hominis viribus intol[l]erabiles nemo ignorat.Sciscitanti, num aliquid conscientiam turbaret, num se tentari experirentur, serena facierespondeban(t,) se nihil horum sentire: ut non incongrue post tam diuturnas experientiasillud demum apud me statuerim, Deum, qui viribus hominum se accom(m)odat adeo(,) utnunquam pondus [y](ij)s impar in[y](ji)ci, aut supra quam ferre possint, tentari patiatur,omnem in supremo eorum agone potestatem D[oe](re)monis reprimere, ne eos suaptenatura debiles, ac in peccatum proclives artibus suis prosternat, et a salutis semita in viamperditionis prrecipitet. Huius autem declinandre tanta gaudent securitate, ut interrogati, anmori velint, prompte respondeant, ita equidem: Sum Christianus, ad Coelum pergo. Et siquidem Inferni mentio aliqua ipsis in[y](ji)ciatur, loquentem audioot equidem, at velut dere ad ipsos nullatenus pertinente: alij

35-4vix non subrident, alij etiam contradicunt, id ooum oggerentes, se esse [X](chris)tianos,Infernum vero pro Infidelibus, et malis [X](chris)tianis esse conditum. Fiducia certoeorum tanta est, ut parem mihi maximis votis a Deo deprecor.

627. Adoranda Numinis circa Indos providentia.Scio non defuturos, qui hrec ad Crisis sure leges examinare volent, et piura ex hucusque

dictis pro more notabunt. Et si quidem ex eorum numero fuerint, qui mysteriorumdivinorum, maxime in salvandis, aut damnandis mortalibus abyssum vere immensamad humanre prudentire regulas accomodare volunt, ultro fateor piura reperturos, qureevolvere, ac enucleare ipsis etiam, primre notre Theologis maxime arduum accidet. Sivero [y](ij) sint, qui plus fidei, quam rationi, plus Divinre potestati, ac Providentire, quam

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évêques d'Amérique avaient une telle opinion des Indiens qui bénéficiaient d'un roi, delois et d'une très bonne organisation, je vous demande quelle aurait été leur jugement s'ilsétaient tombés en pleine forêt sur une bande de nos Indiens païens qui ignorent même lesmots de roi, de loi et d'État, et ne se différencient à peine des bêtes sauvages que par le faitque celles-ci marchent à quatre pattes et eux sur leurs deux jambes.69

626. Sérénité totale de l'âme des Indiens en toutes circonstancesEt maintenant je ne doute plus de cette paix et de cette impertubable sérénité de

l'âme, générale chez tous les Indiens, car je n'ai jamais trouvé chez aucun d'eux la moindremanifestation de crainte, de détresse, de tristesse ou de trouble; c'est pourquoi je pense qu'unepierre exprimera avant un Indien ses états d'âme. Qu'il soit malade ou bien portant, qu'ildispose de tout ou de rien, qu'il ait ses enfants ou les perde avec son épouse, qu'il obtiennequelque chose ou en soit privé, tu trouveras toujours l'Indien égal à lui-même. Chaquefois que j'assistais des mourants, je trouvais leur mort vraiment admirable et enviable: ilsgisaient comme plongés dans un sommeil très agréable, même torturés par des maladies quetous savent très douloureuses et insupportables à la résistance de l'homme. Interrogés si ence moment-là quelque chose troublait leur conscience ou s'ils étaient soumis à une tentation,avec un visage serein ils répondaient ne rien ressentir de tel. Enfin, après une telle expériencesi souvent répétée, j'en conclus logiquement que lors de leur dernière heure Dieu ôtait toutepuissance au Démon pour qu'il ne puisse les terrasser par son adresse, eux naturellementsi fragiles et enclins au péché, ni les précipiter sur la voie de la perdition en les détournantde l'étroit chemin du salut. Car Dieu fait tant attention aux possibilités de l'homme qu'Il nepermet pas qu'il ait à supporter un fardeau trop lourd ou qu'i1soit tenté au delà de ses forces.7o

En outre, les Indiens montrent une telle assurance d'échapper à la perdition que si on leurdemande s'ils désirent mourir, ils répondent aussitôt : Bien sûr ! je suis chrétien et vais auCiel. Et si on leur fait une quelconque mention de l'Enfer, ils écoutent certes celui qui parle,mais comme s'ils n'étaient nullement concernés par ce sujet ; c'est à peine si certains nesourient pas, d'autres répliquent en répétant uniquement qu'ils sont chrétiens et que l'Enferest fait pour les infidèles ou pour les mauvais chrétiens. Vraiment leur confiance est telle que,de tout coeur, je demande à Dieu la grâce de m'en accorder une aussi grande.

627. Il faut louer la divine Providence à l'égard des IndiensJe sais qu'il ne manquera pas de gens pour vouloir examiner ces faits au crible de

leur critique et selon leur habitude noter plusieurs points exposés jusqu'à présent. Etsi vraiment ils sont de ceux qui veulent appliquer les règles de la prudence humaine àl'abîme insondable des mystères divins, concernant tout particulièrment le salut ou ladamnation des hommes, j'avoue spontanément qu'ils trouveront beaucoup de choses quiseront très difficiles à bien comprendre et à expliquer, y compris pour les plus grands

69 Le Père Eder reste prisonnier de ses préjugés mais est profondément heureux de l'affirmation du Papeau sujet des Indiens car sans cela sa mission perd tout sens ; en effet on évangélise des hommes et non desanimaux. Bien que la position officielle de l'Église catholique fût claire dès 1537 par la voix du pape Paul III, lapolémique continua. Sous Charles-Quint, en 1550, eut lieu la fameuse controverse de Valladolid, qui se terminapar la confirmation de la qualité d'homme à part entière des Indiens d'Amérique.

70 Référence à saint Paul: première épître aux Corinthiens 10, 13.

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nostro ingenio concedunt, tunc equidem una mecum inscrutabilia Dei iudicia humilesreverebuntur, et adorabunt, id unum cogitantes, Deum, qui homines, et iumenta sesalvaturum dudum edixit, eorum esse au(c)t[h]orem, pro [y](ij)s reque, ac pro doctissimismortuum, ab eodem missos in illam vineam Viros, qui ipsos fidei mysteria, et rectevivendi normam edocerent, quod utique eum fecisse, ut hinc maiorem, certioremqueeos damnandi occasionem nancisceretur, nemo, nisi sacrilegus, nisi blasphemus, ac Deinostri prorsus ignarus dicet. Si enim fidei mysteria non assequuntur, si eadem pari, acnos animi firmitate non credunt, si quredam Divina prrecepta facile transgrediuntur, sioperibus bonis remissius, quam par sit, vacant, si denique tam diversi sunt a nobis, idquoque prre oculis habendum est, illis longe minora talenta concredita esse: atque idcirconon exigendam ab ipsis eandem rationem, ac a nobis. Non enim homo homini, sed talentatalentis a nostro Iudice comparabuntur, nisi forte velint huiusmodi scioli lege nova, atquein nostris tribunalibus hucusque inusitata pari omnino ratione examinari, iudicari, acetiam puniri parvulum aliquem septennem, atque alium consummatre retatis, ac prudentireVirum; quod quam absurdum, inhumanum, et a recta ratione alienum sit, vel Indus aliquisassequetur. Memini me primis annis, cum nempe invisre in eam usque diem ruditatis pIurain( )dies exempla viderem, fuisse non raro anxium, et de Indorum salute dubium. At ubiplene comperi arbores illas non vitio aliquo, sed natura ipsa plures fructus, aut melioresdare non posse, animo p[o]enitus conquievi, et vineam mihi concreditam, licet sterilem,atque eapropter colonis valde difficilem, quoad licuit, elaboravi. Contulit quoque ad remnon parum illud, quod in vita S[.](anctre) Rosre Limanre legi: eam nempe non raro indolemsuorum Patriotarum m[oe](re)renti animo volvisse, atque de ijs male suspicatam fuisse.Die quadam vehementior salutis eorundem cura mentem perculit, ut proinde familiaremsibi sponsum ardentius pro ijs orare statuerit, a quo etiam edoceri merita est, se longediversam Indos, quam creteros homines salvandi methodum habere.

35-5Qui his pIura desiderat, thronum Dei accedat, et librum myster(i)orum, septem sigillisobsignatum sibi pandi, explicarique audacter petat.

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théologiens. En revanche, s'ils sont de ceux qui accordent plus de crédit à la foi qu'à laraison, à la puissance divine et à la Providence qu'à notre intelligence, alors sans doute,avec moi, humblement ils respecteront et vénèreront les desseins impénétrables de Dieu.Car ils penseront seulement que Celui qui jadis déclara qu'Il sauverait hommes et bêtesde somme71 est l'auteur de ces décrets; qu'Il est mort pour les Indiens autant que pour lesplus savants, qu'Il a envoyé des hommes à cette vigne pour enseigner les mystères de lafoi et le chemin d'une vie droite. Et personne, si ce n'est un impie, un blasphémateur ouquelqu'un totalement ignorant de notre Dieu, pourrait dire qu'Il a surtout fait cela pourque les Indiens aient ainsi une possibilité plus grande et plus certaine de se damner. Carsi les Indiens ne comprennent pas les mystères de la foi, s'ils ne croient pas avec la mêmeforce de caractère que nous, s'ils transgressent facilement certains commandements deDieu72

, s'ils accomplissent les bonnes oeuvres avec plus de négligence qu'il ne faudrait,si enfin ils sont si différents de nous, il faut aussi avoir devant les yeux qu'ils ont reçubeaucoup moins de talents que nous; c'est pourquoi on ne peut pas leur demander autantqu'à nous. En effet notre Juge ne compare pas un homme à un autre, mais juge d'après lesfruits produits par les talents reçus par chacun73

; à moins que les critiques ne veuillentpeut-être par une démarche demi-savante une nouvelle loi qui, même dans nos tribunaux,n'est pas en vigueur jusqu'à présent : juger, condamner et aussi punir exactement de lamême manière un enfant de sept ans et un homme d'âge mûr et d'expérience. Cela, mêmeun Indien comprendrait que c'est absurde, inhumain et irrationnel. Je me souviens que,dans mes premières années dans les réductions, quand je voyais justement jour aprèsjour de nombreux exemples de leur impéritie jusqu'à ce jour inconnue, j'avais souventdes craintes et des doutes quant au salut des Indiens. Mais quand j'ai vraiment comprisque ces arbres ne pouvaient pas donner plus, ni de meilleurs fruits, non pas à cause d'undéfaut particulier des Indiens mais bien de par leur nature propre, j'ai totalement retrouvéla paix de l'âme et de tout mon possible me suis dédié à la vigne qui m'avait été confiée,bien qu'elle fût improductive et du coup très difficile à travailler pour les ouvriers.74 À cechangement contribua aussi beaucoup ce que j'ai lu de la vie de sainte Rose de Lima75 • Elleméditait souvent, l'âme triste, sur la nature de ses compatriotes et les soupçonnait d'êtremauvais. Un jour qu'un souci encore plus fort de leur salut envahissait son esprit, elle fit lapromesse de prier pour eux avec encore plus de ferveur; c'est alors qu'elle reçut égalementla connaissance que les Indiens avaient un chemin vers le salut très différent de celui desautres hommes. Qui souhaite plus d'explications que celles-là, qu'il s'approche du trône deDieu et demande avec impertinence que lui soit dévoilé et expliqué le livre des mystèresscellé de sept sceaux76 !

71 Référence au Psaume 36, 7 : Seigneur, tu sauves hommes et bêtes.72 Membre de phrase omis dans la traduction espagnole de Hamadas (1985, p. 377).73 Référence à la parabole des talents dans l'évangile de Matthieu 25, 14-30.74 Référence à plusieurs passages des Évangiles: Matthieu 7, 16-20 et 12, 33 ; Luc 6, 43-44 et 13, 6-9." Rosa de Santa Maria (Lima, 1586 - Lima, 1617), vierge laïque, est la première sainte née en Amérique

canonisée par l'Église (1671). Proclamée Patronne du Pérou (1669), du Nouveau Monde et des Philippines (1670)avant même d'être canonisée. Très pieuse, elle mena une vie d'ascèse, de prière et d'attention aux plus pauvres.

7. Apocalypse de saint Jean 5,1.

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628. Nulla apud Indos Creatoris notio.Sed ut ad huius Capitis qurestionem propius accedam, ingenue fateor, me apud

Indos nullam omnino Dei noticiam reperisse. Et cum reduci mihi ex America occasionon defuerit, cum al[y](ij)s quoque diversarum part(i)um Missionar[y](ij)s agendi, atqueloquendi, sermonem hac super re cum [y](ij)sdem ins(t)itui, rogavique, quid ipsi de suisIndis sentiant, et num aliquam Creatoris noti(t)iam apud eos repererint(,) neminem tamenreperi, qui eiusdem mecum non esset opinionis, atque sententire. Quod sane mirum esset,atque incredibile, nisi nobis constaret, eos ratione sibi data tam parce uti, idque non culpasua, sed ipsius intellectus, aut potius Dei, dona sua distribuentis arbitrio, ut ea recte, acexpedite uti dici nequeant. Nemo certo ex omnibus, cum quibus hac de re egi, fuit, quiculpam aliquam in Indo, Creatoris sui ignaro detegeret, sed assensu communi asserebant,supponendum potius, quam probandum, Indum esse à natura incapacem huius cognitionis,aut dubij alicuius, aut investigationis: et si forte aliquis eorum tentasse de creaturarumorigine indagare, absurda non nisi, dissona, risu digna, ac fabulis adnumeranda menteconcepisset. Sed illud probabilissimum, Indo ne in mentem quidem venisse, ut viso sole,luna, stellis, al[y](ij)sque creaturis de earum Conditore cogitaret. Contigit mihi cum Indisquondam Infidelibus hac super re colloqui, ac qurerere, quid ipsi otim de his creaturiscogitarint? Semper idem responderunt, se nempe nihil his de rebus cogitasse, sed duntaxatde cibo, potu, saltu, bellis suis, et alijs id genus rebus. Imo plures sunt, qui, licet fidemiam edocti fuerint, cum ex [y](ij)s qurererem, Cur sol calidus sit, cur certa lege oriatur, etoccidat, quis pisces in aqua fecerit, et his similia, more pristino, Indis omnibus communirespondebant, retirabaino, velut si dicerem: est illius proprium ita esse, ac facere: necaliud vel malleo extundere potui. Si tamen allata mea, et omnium, quos consului opinionon arridet, erroris redargui non regre feram. et si quidem argumentis contra propriamexperientiam allatis victus fuero, loco cedam, et Indos Creatoris noti[c](t)iam habuisseconcedam, sed modo nobis, forte et illis prorsus incognito.

629. Nec Creationis mundi.Inciderat mihi aliquot ante abitum meum annis, ex omni Natione tum Viros, tum

mulieres, canitie venerabiles convocare, eosque de Creatione mundi, ac primi hominissciscitari. Plerique aut nihil, aut more paulo ante dicto responderunt(.) Duo fuere, quiinsulsas has fabulas obtruserunt. Unus Nominavit locum quendam arboribus obsitum,Missioni vicinum, in quo hodiedum visitur fossa profundior /:puteum fuisse arbitror[,](:/) e qua non unum modo Protoparentem sed hominum turmam ex[y](ji)sse narrabat.Interroganti, quis eos ibidem, quis pr(i)mum eorum, aut quomodo creasset, illud occinuit

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628. Aucune idée du Créateur chez les IndiensMais pour revenir plus précisément au thème de ce chapitre, je dois sincèrement avouer

que je n'ai jamais trouvé chez les Indiens la moindre idée de Dieu. Et lors de mon retourd'Amérique, les occasions ne m'ont pas manqué de rencontrer et aussi de discuter avecd'autres missionnaires de différentes régions. Ayant mis la conversation sur ce sujet, je leurai demandé ce qu'ils pensaient de leurs Indiens et s'ils avaient décelé chez eux quelque notiondu Créateur; je me souviens parfaitement de n'en avoir trouvé aucun qui était d'une opinionou d'un avis différents des miens. Ce qui serait très étonnant et inimaginable si nous n'étionstombés d'accord pour constater que les Indiens n'utilisent que fort peu la raison dont ils sontdotés; et ce n'est pas de leur faute, mais bien celle de leur propre intelligence ou plutôt deDieu, seul juge de la distribution de ses dons, car ces hommes sont incapables de s'en servircorrectement et aisément. Mais, bien sûr, aucun de mes interlocuteurs ne rejetait sur l'Indienla faute de ne rien savoir de son Créateur; mais il y avait un consensus entre nous pour direqu'on devait supposer plutôt que prouver que l'Indien était par nature incapable d'une telleconnaissance, d'une quelconque recherche ou d'un doute intellectuels. Et si d'aventure ils'interrogeait sur l'origine des créatures, son esprit ne concevrait que des idées absurdes,confuses et ridicules qui ne seraient que pures fabulations. Mais le plus probable est qu'envoyant le soleil, la lune, les étoiles et le reste de la création, l'idée de penser à leur Créateurne vient sans doute pas à l'esprit de l'Indien. Il m'est arrivé de parler de ce sujet avec desIndiens autrefois païens et de leur demander ce qu'ils pensaient jadis de ces objets et êtrescréés. Ils répondaient toujours la même chose : ne jamais penser à cela mais uniquementà la nourriture, à la boisson, à la danse, à leurs guerres et à des choses semblables. Bienplus, beaucoup de ceux qui connaissaient déjà la foi chrétienne, quand je les interrogeaispourquoi le soleil est chaud, pourquoi il se lève et se couche selon une loi fixe, qui a faitles poissons qui vivent dans l'eau ou sur des sujets semblables, me répondaient simplementselon une antique coutume, commune à tous les Indiens: retirabaino. C'est comme si jedisais: c'est la nature du soleil d'être ainsi et de se déplacer ainsi. Je n'ai jamais pu obtenirune autre réponse, même en répétant et martelant mes questions. Cependant, si ma façonde voir que je viens de présenter et qui est aussi celle de tous ceux que j'ai consultés, neplaît pas, j'accepte sans difficulté qu'elle soit réfutée. Et bien sûr si les arguments présentéscontre mon idée contredisent ma propre expérience et me convainquent, j'abandonneraialors mon opinion et accepterai l'idée que les Indiens avaient une certaine connaissance duCréateur, mais d'une façon inconnue de nous et peut-être aussi d'eux-mêmes.77

629. Aucune notion également de la création du monde chez les IndiensQuelques années avant mon expulsion il m'est arrivé de convoquer les anciens de

toutes les nations de ma réduction, vénérables par leur calvitie, tantôt les hommes tantôt lesfemmes, et de leur poser des questions sur la création du monde et du premier homme. Laplupart ne répondirent rien ou de la façon que j'ai indiquée quelques lignes auparavant. Ily en eut cependant deux qui contèrent les fables niaises suivantes. L'un indiqua un endroit

77 Comme le fait justement remarquer Hamadas (1985, p. 379, note 10) d'autres sources, y compris jésui­tes, rapportent que les Indiens avaient une notion de Dieu. Certains le nomment Uchiabaré ou Maymona, cedernier terme signifierait Intelligence invisible.

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retirabaino. Alter ineptius eo mentum protulit. Dicebat enim primum hominem, eumquevenustissimre formre iuvenem per sylvas obambulasse, quem eum anus silvarum earundemineola detexisset, ei insidias velut feris faeere solet

35-6struxit, in quas etiam primus ille homo ineaute lapsus est. En Leetor benevole primumhominem, et eo antiquiorem anum fraudibus eelebrem: en Chaos; euius nec prineipium,nec finem video, in quo solius Indi ingenium, et eapaeitas eonquieseit, quin ipsi ullumdubium, aut diffieultas ulla suboriatur. Et si aliquam ob[y]Ui)eias, uti feei, subridendo,illud suum retirabaino pro omnium argumentorum solutione millies oggeret. Eademdiluvij, eadem Evangelij quondam prredieati, aliarumque rerum ignorantia, ita ut nelevissimum earum vestigium sit invenire.

630. Quid de animre immortalitate.Pari eonatuadlaboravi de animre immortalitate aliquid detegere. Binas Nationes reperi,

qure quandam animarum transmigrationem, sed tenebris plurimis obfuseatam admisissevidebantur. Dieebant enim: bonos à morte eopioso potu, eibo, ae mulieribus esse donandos:malos vero in poreum, tigridem, aut aliud animal transformandos. Loeum tamen prioribusnullum assignare norant, his terram ineolendam dedere. Quresivi, quid nomine bonorum,malorumque intelligant ? reposuere: boni sunt, qui dextere venari, piseari, saltare, flautisludere, [,] farinam, et potum parare norunt, mali vero, qui harum rerum ignari, aut pigrierant. Ad alia quresita, num anima sola, an vero etiam eorpori assoeiata id expeetura sit,a quo sint aecepturi sive pr[oe](re)mium, sive poenam, an utrumque sit futurum reternum,humeris eontraetis, se id neseire reposuerunt. Sane, si pigri omnes ex eorum sententia inporeos transmutati essent, iam sylvre hominibus impervire forent. Et hine forte usus illeapud Indos invaluit, Defuneti tumulo areum, sagittas, gossypium eum fusis, tritici tureieipauxillum eum potus sui vaseulo imponere, quem morem omnibus, quas novi, nationibuseommunem esse deprehendi. Imo audivi quondam Indum, qui eum mulieri pigritiamsuam exprobrasset, addidit, se post mortem aliam in uxorem aeeepturum, et dentes ipsiexeussurum, ne videlieet in poenam sure desidire amygdala sylvestria frangere possit, sedsolis herbis vitam sustentare eogatur.

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boisé proche de la mission où l'on peut voir jusqu'à aujourd'hui une fosse profonde, je croisque ce fut un puits, d'où est sorti, raconta-t-il, non pas seulement un premier parent maisune multitude d'humains. Interrogé sur qui les avait créés à cet endroit, lequel fut créé enpremier et comment, l'Indien répéta le refrain retirabaino. L'autre conta une histoire encoreplus inepte. Il disait en effet que le premier humain était un très beau jeune homme quiparcourait les forêts. Une vieille sorcière, qui habitait les mêmes forêts, le vit. Elle lui tenditalors un piège utilisé habituellement pour les bêtes sauvages, dans lequel par imprudencetomba ce premier homme. Voilà, cher lecteur, le premier homme et la vieille sorcière, encoreplus ancienne que lui, qui est célèbre par ses pièges. Voilà le Chaos, dont je ne vois ni débutni fin, capable de satisfaire uniquement l'esprit et les facultés de réflexion de l'Indien, sansfaire naître chez lui ni doute ni difficulté. Et si tu présentes une objection comme je l'aifait, en souriant, il te répètera mille fois, comme unique réponse à tous les arguments, sonfameux retirabaino. Tu rencontreras la même ignorance concernant le Déluge, l'annonceancienne de l'Évangile et bien d'autres thèmes, de sorte que tu ne trouveras chez les Indiensque de très rares traces d'une éventuelle connaissance de ces faits.

630. Que savent les Indiens de l'immortalité de l'âme?J'ai fait les mêmes efforts pour essayer de découvrir quelque chose concernant

l'immortalité de l'âme. J'ai rencontré deux nations qui semblaient admettre une certainemigration ou réincarnation des âmes, mais avec beaucoup d'obscurité dans ces notions.Ces Indiens soutiennent qu'à leur mort les bons reçoivent moult boisson, nourriture etfemmes78

, tandis que les mauvais sont transformés en cochon, en tigre ou en un autreanimal. S'ils ne précisent pas le lieu où séjourneront les bons, en revanche c'est sur la terreque demeureront les mauvais. Je leur ai demandé qui étaient d'après eux les bons et lesmauvais. Ils répondirent: les bons sont ceux qui savent bien chasser, pêcher, danser, jouerde la flûte, préparer la farine et la boisson; quant aux mauvais, ce sont ceux qui ne saventpas faire tout cela ou bien ceux qui sont paresseux. Devant mes autres questions poursavoir si c'était à l'âme seule ou à l'âme jointe à un corps que cela arriverait, qui donneraitcette récompense ou ce châtiment, et si cette sentence serait éternelle, ils répliquaient enhaussant les épaules qu'ils n'en savaient rien. Il est vrai que si tous les paresseux étaienttransformés en cochons, selon leur dire, les hommes n'auraient déjà plus accès aux forêts!Et de là vient peut-être la coutume qui s'est répandue chez les Indiens de déposer surla tombe du défunt arc, flèches, coton et fuseau, un peu de maïs avec un petit récipientplein de boisson; j'ai découvert que cette habitude existait dans toutes les nations que j'aiconnues. J'ai même entendu un Indien qui, alors qu'il reprochait à sa femme sa paresse,ajouta que mort il prendrait une autre épouse et qu'à l'actuelle il arracherait les dents pourque, comme châtiment de sa paresse, elle ne puisse plus casser les amandes cueillies enforêt mais soit obligée pour survivre de ne manger que de l'herbe.

78 Cela rappelle le Paradis dans le Coran (sourate 56) : dans les deux cas, seuls les hommes sont directe­ment concernés, les femmes ne sont citées que comme récompense des premiers.

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258 Joseph LAURE

631. Quid de primis princip[ylCij)s. lumin(e) naturre notis.Tantre Creatoris ignorantire illa quoque accedit, quam de legibus a natura inditis

habent. Licet enim e com(m)uni hominum sententia leges illre ignorari nequeant, utpotequre cum ipso rationis usu nobis intimantur, Indi tamen ab hac hominum classe alieni essevidentur. Unicum est, in quo cum creteris conveniunt, imo in quo multas Europre nationesexcedunt. Nunquam quippe auditum fuit, san[q](g)uine iunctos foeda carnis commerciamiscuisse, abhorrente ab [yJeij)s reque, ac muliere. Non gaudet hoc privilegio affinitatisvinculum, utpote quod ipsis ante susceptam fidem ignotum erat, et hodiedum, ut par esset,non servatur. In illo autem primo adeo nimij sunt, ut nul1is rationibus se induci patiantur adineundum matrimonium, etsi interdum vix vestigium consan[q](g)uinitatis detegi queat,ipsisque dicat Missionarius se pro amplissima sibi concessa potestate impedimentumquodlibet, quod forte intercedit, dispensaturum: ut proinde hrec tam ampla potestas nul1uip[o]ene usui apud ipsos fuerit, nec unquam

35-7in opus deduci potuerit. Reliqua, ut lumine naturre nota dicantur, ipsos latuere. Si enimfurta devitabant, id, ipsis testibus, metu Domini, ac illius sagittarum erat, non vero, quodipsis tu(rp)e, ac indecens esse videretur. Unde, quoties rem quampiam desiderabant, eamcerto auferebant etiam, nisi se Domino detegendos iudicarent. Utinam, postquam fidemetiam amplectuntur, res alienas minus appeterent, ac subduc(e)rent. Evenit sane mihi cumquadam die acerbius coram Nationum Capitibus de repetitis furtis, etsi punitis conquererer,ut mihi responderent, me incassum laborare in extirpando hocce vitio, quod peius nunc,quam in infidelitate grassari asseverabant: tune enim /aiebant/ sagittarum metu securiorerat penus nostra, quam nunc aliquot inflictis in poenam ictibus. Verum equidem est,eorum furta non facile esse gravioris momenti, utpote qure ad res usu ipso consumptibiles,et quidem in exigua quantitate se extendunt. Unde iuvenem quemdam Missionarium dehisce furtis, utpote continuis sollicitum, alter rerum magis peritus lepide sane solatus est,dicens: animo esset sedato, in fine quip(p)e anni omnes esse requales, neminemque esse,qui alteri quidpiam deberet, ipsis mutuo sibi tantundem subripientibus.

Finem operi impono, simulque Lectorem oro, requi, bonique consulat laborem hune,quem si aliud nihil com(m)endat, veritas certe exornat. Huic studui, et hanc me assecutumtestor. Quod si diversa ab [y](ij)s, qure hoc opere refero, in alijs au(c)t[h]oribus legerit,videat Lector, an de eadem mecum Regione, de [y](ij)sdem Nationibus scribant, nec priussententiam ferat. Tum, si quid inconcinne scriptum repereriet, uti certo reperturus estplurima, benigne indulgeat homini al[y](ij)s longe diversis munijs, quam scribendi artiassveto. Postremum, tum me, tum Vineam quondam meam Numini assiduis precibuscommendet. ./.

F(inis).

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 259

631. Les Indiens connaissent-ils les principes premiers accessibles à la raison naturelle?À cette profonde ignorance du Créateur, s'ajoute chez lesIndiens celle des règles de la

morale naturelle. En effet, selon l'opinion commune parmi les hommes, ces lois naturelles nepeuvent être ignorées car elles sont accessibles à notre raison; pourtant les Indiens semblentêtre étrangers à cette espèce d'hommes. Sur un seul point ils se retrouvent avec les autreshumains et même dépassent bien des peuples d'Europe : en effet on n'a jamais entendudire que des proches par le sang aient eu des relations charnelles incestueuses auxquellesrépugnent aussi bien les hommes que les femmes. Mais le lien créé par une parenté paralliance ne jouit pas du même rejet, car avant d'accepter la foi chrétienne les Indiens ne leconnaissaient pas et jusqu'à aujourd'hui, il n'est pas respecté comme il devrait. Vis-à-vis dela notion d'inceste ils sont vraiment excessifs, car sous aucun prétexte ils n'acceptent d'êtreconduits à contracter mariage, même dans le cas où l'on trouve à peine trace de consanguinitéet que le missionnaire leur dit qu'il peut les relever de tout empêchement éventuel, grâce aularge pouvoir de dispense qui lui a été donné. De sorte que chez eux cette très grande facultéde dispense n'a pour ainsi dire pas été utilisée, ni jamais pu être appliquée.79 Le reste dela morale naturelle que l'on dit également connu par la simple raison, leur est resté caché.Par exemple, s'ils évitaient de voler c'était, d'après leur propre témoignage, par crainte dupropriétaire et de ses flèches, et non pas parce que cela leur paraissait honteux et messéant.Aussi, chaque fois qu'ils désirent quelque chose, il est sûr qu'ils vont s'en saisir, sauf s'ilspensent qu'ils vont être découverts par le propriétaire. Si seulement, après avoir adhéré à lafoi chrétienne, ils convoitaient et dérobaient moins le bien d'autrui! Un jour donc, très irritéje me plaignai aux chefs des nations de la réduction à cause de larcins répétés, certes punis;ils me répondirent que c'était en vain que je peinais pour éradiquer le vol et ils m'affirmèrentqu'il était beaucoup plus fréquent maintenant qu'au temps où ils étaient encore païens; caralors, disaient-ils, nos provisions étaient plus en sécurité par crainte du voleur de recevoir desflèches qu'à présent par la menace du châtiment de quelques coups de fouet. Il est égalementvrai que ces vols ne sont, c'est sûr, pas très graves car ils consistent en denrées périssables,de plus dérobées en petites quantités. C'est pourquoi un missionnaire bien au courant de cettehabitude réconforta avec esprit un jeune Père soucieux à cause de ces larcins continuels. Illui dit: aie l'esprit tranquille, car à la fin de l'année tous, s'étant mutuellement et égalementvolés, en seront au même point et personne ne devra plus rien à personne!

Je termine cet ouvrage et en même temps prie le lecteur de faire à ce travail bon etéquitable accueil, car du moins la vérité l'honore au cas où rien d'autre ne le mettrait envaleur. C'est la vérité que j'ai recherchée et j'affirme y être parvenu. Si le lecteur trouvechez d'autres auteurs des témoignages différents de ceux que j'ai rapportés, avant de porterun jugement qu'il s'assure que les faits concernent bien la même région et les mêmesnations d'Indiens. Puis s'il trouve chez moi des parties écrites maladroitement, ce quisûrement arrivera souvent, qu'il soit indulgent envers un homme habitué à d'autres tâches,très éloignées de l'art d'écrire. Enfin que par des prières incessantes il me recommande àDieu ainsi que la vigne qui m'a été confiée pour un temps.

Fin

79 Voir paragraphes 221 et 521. Dans ce dernier paragraphe Eder présente les choses un peu différem­ment.