Françoise Dastur, La mort. Essai sur la finitude

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  • 7/28/2019 Franoise Dastur, La mort. Essai sur la finitude

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    La mort. Essai sur la finitude, F. Dastur

    28 02 2010

    Javais entam, en le lisant, un rsum du passionnant livre de Franoise Dastur sur La

    Mort, mais les vicissitudes de la vie (qui ont bon dos) mont furieusement empchdachever ce livre, ce quil faudra que je fasse un jour. Ce rsum date dil y a plus dunan, seule la premire partie est rsume, mais enfin, toutes fins utiles

    *

    Beaucoup ont essay en vain de dire joyeusement la plus haute joieVoici pour finir quelle se dit pour moi, aujourdhui, dans le deuil

    Hlderlin, trad. Ph. Lacoue-Labarthe, cit p. 49

    Ce livre prsente la reprise dune rflexion publie en 1994 chez Hatier, sous le mmetitre.

    Le point de dpart de ce livre est le constat que la philosophie sest toujours orientevers un dpassement de la mort, par la rflexion sur la partie ternelle, immortelle delhomme : depuis Platon, elle sest attache ce qui en lhomme participe de lternel,afin de saffranchir des contingences de la finitude. Lambition de ce livre, formuleclairement est de penser un rapport la mort qui ne soit pas d esquive , et deparvenir voir dans l ternit dont nous faisons parfois lexprience en tant qutrepensants moins la preuve de notre appartenance ce qui chappe lindterminationfoncire du temps quuneproduction propre la temporalit elle-mme, qui serait ainsicapable, en ltre humain, de projeter par elle-mme lhorizon de son propredpassement. (p. 12)

    Dans son introduction, F. Dastur fait une gnalogie de ce que lon pourrait nommer cerenversement de la pense du temps. Sappuyant dabord sur les RomantiquesAllemands notamment Schelling, Hlderlin et Hegel lauteur montre dabord quelexistence Dieu a fait alors lobjet dune attestation phnomnologique , et non plusdune dmonstration ontologique. Lternel nest plus ce qui prexiste, mais ce qui estconsquent la condition humaine : la finitude. Commentant Husserl, Franoise Dasturrsume admirablement : lternit divine nest plus pour [Husserl] la toile de fond surlaquelle senlve la finitude humaine, laquelle doit tre mise au contraire en corrlationavec lhorizon indfini dun temps sans limite. (p. 14) Puis, dans le sillage de

    Heidegger, qui cesse dopposer ltre au devenir, dassocier ltre lternit, laphilosophe propose de faire du sentiment du temps le fondement du rapport ltre.Selon elle, cest lun des pas philosophiques de Heidegger : en finir avec la pense duntemps infini qui comprend le temps humain, et restaurer la dure humaine commefondatrice de la pense du temps. Car ce nest pas partir de lternit quon peutpenser le temps, mais cest au contraire lternit elle-mme qui ne se comprend qupartir du temps. (p. 16)

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    Immortels : mortels, mortels : immortels ; vivant ceux-ci de la mort de ceux-l, mourantceux-ci de la vie de ceux-l.

    Hraclite, Fragment n62, trad. Marcel Conche, cit p. 18

    Eh oui ! les dieux ont besoin de nous, de notre mortalit pour avoir le sentiment de leurternit ! Inversement, la finitude nest plus pour nous un manque , un dfaut, maisbien une capacit , puisquelle est le nant absolu, face quoi toute chose a la chancedexister et de trouver sa valeur : la mortalit nous ouvre la comprhension du divin.Ds lors, la condition humaine est galement ouverte la joie et aux larmes, faisant de lavie cette tragi-comdie dont parle F. Dastur. Certes consciente de limpratif desabandonner la terreur de la mort, la philosophe nen dveloppe pour autant pas unepense morbide, mais rsolument optimiste.

    Dans la premire partie, intitule La culture et la mort , F. Dastur sattache dabord ausens des rites funraires. Le refus dabandonner la dpouille dun congnaire est lunedes marques propres qui distingue lhomme de lanimal ; trs tt, la certitude duneme, dun principe de vie qui dpasse la contingence de lexistence, sest impose,souffle dont il fallait assumer le dpart. Lassomption dune mmoire collective tant labase de la cit, la socit des hommes stendant non seulement ses congnresvivants, mais aussi et surtout aux dfunts ; et partant, le deuil est ce qui fonde uneculture. F. Dastur remarque aussi que trs tt, lassomption de la mort a permis depenser la vie sur un mode eschatologique : depuis Platon, et mme avant lui dans laPerse zoroastrienne, et jusqu saint Paul, et saint Augustin, les mes sont destines unjugement, les actions de la vie terrestre seront sanctionnes. Lattente sotriologique,selon les doctrines paulinienne ou augustinienne, conduit un dsintressement de lavie tererstre, le contemptus mundi, au profit dune attente de la vie ternelle. La vie duchrtien tant en permanence ouverte la possibilit de la mort et donc du salut,lassomption chrtienne de la mort nen est pas une, puisque mourir cest dpasser lamort ; elle a la forme, dialectique, dune reconnaissance qui est en mme temps undni (p. 42). Cest Sophocle, et les lectures quen ont fait Schelling et Hlderlin, quiouvrent une pense de la finitude assume. La figure dAntigone reprsente ce souciabsolu dhonorer la mmoire des morts ; elle est celle qui, se rfrant la loi naturelle,brave linterdit politique : Hegel voyait en elle lincarnation dune subversion de lordrepolitique par lordre thique. Plus gnralement, les personnages de Sophocle sont lesvritables hros tragiques ; contrairement aux hros dEschyle, ceux de Sophocle nesavent pas quils outrepassent les limites de leur condition ; la modernit de Sophoclevient de labsence de signaux divins. La tragdie grecque donne la possibilit la libertindividuelle de sexprimer dans une lutte contre le destin ; la mort fait paradoxalement

    accder la vritable libert. Dans un monde que les dieux ne balisent plus, dipe,lemblme favori du philosophe (celui qui veut savoir), est condamn se punir lui-mme :

    dipe Roi nest pas ce pour quoi on la longtemps prise, savoir la tragdie du destinhumain puisque cest seulement avec le stocisme que le destin sera compris commedtermination -, mais la tragdie de lapparence humaine (K. Reinhardt, Sophocle),une apparence laquelle il est ncessaire de finir par faire rpondre ltre. Cest

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    pourquoi il ne sagit pas de voir dans le dernier geste ddipe se crevant les yeux uneexpiation, mais la volont de devenir enfin ce quil est et dgaler ainsi ltre lapparence.

    pp. 49-50

    Labsence des dieux renvoie dipe sa condition de mortel ; il est victime daborddune mort spirituelle qui lui interdit laccs au monde divin. dipe Colone, picedans laquelle le personnage aveugle est vou lerrance, vivre sa mort, ouvre unepense de la mort apprivoise, une comprhension de ltre-mortel : premier pas verslassomption de la finitude.

    *

    Franoise Dastur, La mort. Essai sur la finitude, PUF, Epimthe, 2007, 202 p., 26