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Françoise Sagan, ma mère

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Découvrir quelques pages intérieures du "Françoise Sagan, ma mère " aux éditions Flammarion.

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Bonjour TrisTesse

LA GLOIRE À 20 ANS COMME UN COUP DE GRISOU

Sa rencontre avec René Julliard sera un tournant dans sa vie. René Julliard était un éditeur de grand talent, qui connaissait très bien son métier, qui lisait et qui aimait profondément la littérature. Il perçoit immédiatement à la lecture du manuscrit de cette Françoise Quoirez qu’il y a là une promesse d’écrivain. C’est aussi un homme mûr, solide, un homme qui la protège et qui l’écoute. Il la convoque dans son bureau de la rue de l’Université. Il veut rencontrer ce phénomène, s’assurer que c’est bien elle qui a écrit ce roman et surtout, qu’il n’est pas autobio-graphique. Si tel était le cas il y aurait peu de chances qu’un autre livre voie le jour… Mais non, ma mère, assez impressionnée par cet homme, raconte qu’elle a écrit son livre comme ça, assez vite et simplement.Elle l’avait commencé puis presque achevé et abandonné dans un tiroir, parce qu’en le relisant elle n’avait pas trouvé cela très bon. Sur les encouragements de ses amis, notamment de Florence Malraux qui l’avait lu, elle l’avait retouché, achevé puis déposé chez deux éditeurs, Plon et Julliard. Elle avait noté sur les enveloppes « Françoise Quoirez, 167 boulevard Malesherbes, Carnot 5981 ». François Legris, lecteur chez Julliard, avait été plus rapide à lire le manuscrit et, surpris par la qualité du texte, avait immédiatement prévenu René Julliard qui l’avait lu à son tour dans la nuit. René Julliard s’empresse de téléphoner mais ce jour-là le téléphone ne marche pas ou ma mère dort encore et demande à ce qu’on ne la réveille pas. Il envoie donc un télégramme : « Prière d’appeler d’urgence maison Julliard ».En sortant de chez Julliard et ayant appris que son livre est pris, elle boit un cognac pour se remettre.La sortie du livre est saluée par l’article de François Mauriac dans Le Figaro où il évoque pour la première fois un « charmant petit monstre ». Très vite les ventes du livre s’envolent puis le prix des Critiques déclenche un ouragan médiatique. Prise dans le tourbillon du succès, elle devient un objet de curiosité et de convoitise, en particulier pour les journalistes.

D. W. 

Le « charmant petit monstre » chez son éditeur René Julliard, en 1954.

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En 1958, les Américains achètent les droits du roman Bonjour Tristesse. Le tournage du film a lieu à Saint-Tropez sous la direction d’Otto Preminger avec, dans les rôles principaux, Jean Seberg, David Niven et Mylène Demongeot. Otto Preminger fait vivre l’équipe dans la ter-reur, au rythme de ses colères qui sont imprévisibles et terrifiantes. Ma mère assistera au tournage et se liera d’amitié avec Jean Seberg. Malgré tout, elle gardera un avis mitigé, une certaine distance avec le film qu’elle jugera finalement assez peu fidèle au roman.

LE FILM

D. W. 

En haut et en bas à gauche, puis double page suivante, en bas à droite Sur le tournage, avec les techniciens.

Ci-contre, en bas à droite En pleine discussion avec Otto Preminger, dans une ruelle de Saint-Tropez.

Double page suivante, à gauche : Jean Seberg, Otto Preminger et Françoise Sagan.

LA GLOIRE À 20 ANS COMME UN COUP DE GRISOU

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Écrire, c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire. Le plaisir d’écrire est inexplicable : brusquement, on trouve un adjectif et un substantif qui vont merveilleusement ensemble, on ne sait pas pourquoi, deux mots superbes, une idée qui est absolument en biais par rapport à ce qu’on voulait faire, mais qui est la bonne. C’est comme marcher dans un pays inconnu et ravissant. Ravissant, mais parfois humiliant quand on n’arrive pas à écrire ce que l’on veut. Là, c’est la petite mort, on a honte de soi, on a honte de ce qu’on écrit, on est minable. Mais, lorsque ça « prend », c’est comme une machine bien huilée qui fonctionne parfaitement. C’est comme voir courir cent mètres en dix secondes. On voit le miracle des phrases qui s’accumulent, et l’esprit qui fonctionne presque en dehors de soi-même. On devient son propre spectateur.

Ma mère travailla très longtemps avec une machine à écrire, car « une machine à écrire demande à ce que l’on fasse plus attention et puis cela fait plus propre ». Elle l’emportait partout avec elle. Les machines à écrire portables de l’époque se transportaient très facilement dans une petite housse. Elles prenaient peu de place et étaient très légères, à l’image de nos machines actuelles, à ceci près qu’elles ne consom-maient pas d’énergie.Elle ne se mettra à dicter ses textes qu’à partir des années 1980 et seulement à une personne en qui elle avait une absolue confiance, Isabelle Held. Ma mère n’en resta pas moins toujours très attachée à ses petits cahiers à spirales et à carreaux, qu’elle utilisait pour prendre des notes, voire y apposer des chapitres entiers. Elle écrivait à la main avec des feutres de couleur bleue – jamais en noir – et de marque Tempo.Plus tard, elle essaya de travailler avec un ordinateur et un traitement de texte mais le principe de l’électronique et ses règles l’ennuyaient. Bien qu’on lui ait vanté les mérites de ces nouvelles machines qui per-mettaient de déplacer des paragraphes entiers, elle considérait que ce qu’elle écrivait ne nécessitait pas de tels remaniements.

Le pLaisir d’écrire est inexpLicabLe

ROMANCIÈREÀ DÉFAUT D’ÊTRE POÈTE

Réponses | 1974

D. W. 

À sa machine à écrire, en 1954.

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La mise en scène : c’était un métier et je n'avais aucune disposition pour Lui

ROMANCIÈREÀ DÉFAUT D’ÊTRE POÈTE

Un peu par défi aux spécialistes et par curiosité, je me suis lancée dans la mise en scène : Bonjour, impair et passe. Je n’ai pas tardé à éprouver que c’était un métier et que je n’avais aucune disposition pour lui. Ça a été une catastrophe. Il faut connaître le métier et surtout avoir de l’autorité, savoir faire marcher les lampes, faire marcher les gens, et comme pour mon plaisir personnel je n’avais pris que des amis à moi – Trintignant, Juliette Gréco, Michel de Ré –, tout le monde me disait : « Assez travaillé, si on allait prendre un verre. » Et on y allait. Mon véritable rôle, en fait, doit se borner à noter pendant les répétitions mes remarques et à en faire part à la fin au metteur en scène.

Elle aimera toute sa vie le théâtre qu’elle avait découvert sur les bancs de classe avec Corneille et Racine.Dans sa première pièce, Château en Suède, elle voulut écrire une sorte de grand huis-clos où les personnages, enfermés dans un châ-teau sous la neige, seraient confrontés à eux-mêmes sans possibilité de s’échapper. Plus tard, pour Bonheur, impair et passe, elle souhaita prendre elle-même en main la mise en scène de sa pièce. Le travail de l’écriture théâtrale et celui de la direction des comédiens sont très différents, et le montage de la pièce s’avéra beaucoup plus difficile que prévu, surtout lorsque les acteurs l’entraînèrent à multiplier les pauses plus ou moins longues au café du théâtre. L’aventure se solda par un piètre résultat. Lors des premières, elle s’enfermait dans une loge pour écouter les réactions du public, ainsi elle savait très vite si la pièce serait un succès ou un four.

Réponses | 1974

D. W. 

Ci-contre Décembre 1963,

lors des répétitions de Bonheur, impair et passe, au théâtre Édouard-VII à Paris.

Double page suivante, en haut Avec Juliette Gréco.

En bas à gauche Avec Daniel Gélin.

En bas à droite  La troupe de Bonheur, impair et passe, en décembre 1963.

avec de gauche à droite : Jean-Louis Trintignant,

Michel de Ré, Françoise Sagan, Daniel Gélin et Juliette Gréco.

À droite Ma mère dans la loge

de Juliette Gréco le soir de la première, le 10 janvier 1964.

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MaternitéMIEUX QUE LA POSTÉRITÉ

Peut-être que le fait d’avoir un enfant nous libère de l’immortalité. Ça devient un sujet secondaire. L’enfant, c’est comme quand un arbre a une branche de plus.

Répliques | 1992

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Quand il est né, et qu’on me l’a mis dans les bras, à la première minute il s’est passé un phénomène purement physiologique que les médecins connaissent et que les hommes sont incapables de connaître. J’ai eu une impression d’extravagante euphorie. Je crois qu’elle était due au fait d’être délivrée plus qu’à la présence de l’enfant, mais pendant une heure j’ai été très heureuse. Puis, j’ai dormi et ensuite, pendant quinze jours, j’ai été très déprimée. Ceci est aussi expliqué par les médecins, c’est une question de fatigue physique, ça n’a rien de psychologique. Toutes les femmes passent par là.

Dès que je suis né, ma mère a fait son possible pour que je sois à l’abri des photographes, des journaux, des curieux. Elle ne voulait pas que je sois « l’enfant de ». De ce fait, et heureusement, il y eut très peu de photos de moi dans la presse, mais j’avais un grand-père drôle, original, fantaisiste et parfois autoritaire qui adorait faire des photos et dont je fus pendant longtemps l’un des principaux modèles. Sa formation d’ingénieur, couplée à son originalité et à la tendresse qu’il avait pour moi, le conduisait même parfois à me construire des petites voitures sur mesure.

J’ai eu une impression d’extravagante euphorie

MaternitéMIEUX QUE LA POSTÉRITÉ

Réponses | 1974

D. W. 

Ma naissance, le 27 juin 1962, suscita la convoitise de tous les journaux. Les couloirs de l’Hôpital américain, à Neuilly, étaient tellement emplis de fleurs qu’il fallait littéralement s’y frayer un chemin.

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Pour moi, tout être humain est fragile et faible. Les gens de la nuit, les noctambules, à un moment ou à un autre, se mettent toujours à parler, à craquer. On commence par se parler d’une table à l’autre, puis on rapproche les tables ; ce n’est pas la peine de poser de questions : ils craquent sur leur histoire, ils ont envie d’expliquer, de raconter, ou parfois simplement d’être gais. La nuit est peuplée d’inconnus, qui parlent et qui souvent ne savent pas qui je suis. C’est délicieux, ou c’est pénible, mais toujours c’est fascinant.

Ma mère vécut beaucoup la nuit. Elle s’est longtemps couchée alors que le jour se levait soit parce qu’elle avait passé la nuit avec des gens suffisamment intéressants ou distrayants pour que l’on reste avec eux aussi tard, soit parce qu’elle travaillait et que la nuit était le seul moment qui lui offrait assez de tranquillité pour écrire. La nuit, parce qu’elle permet de disposer de son temps librement, rejoint ce luxe dont je parlais plus tôt. Écrire, lire, ne rien faire sans être dérangée par le téléphone, les rendez-vous, le bruit, les mille choses qui font qu’une journée accapare votre temps en le morcelant en autant de fragments. Ma mère est beaucoup sortie la nuit, justement, je crois, parce que la nuit ne connaît pas ces règles, ces obligations, ce cisaillement du temps. Les gens la nuit sont plus libres, plus disponibles, ils peuvent porter des masques, ils peuvent jouer, ils peuvent vous ignorer ; ils sont plus intéressants puisque plus sincères, même s’ils vous racontent des histoires invraisemblables…

Réponses | 1974

La nuit est peupLée d’inconnus qui parLent

UN CERTAIN REGARDAUTOPORTRAITS

D. W. 

Au night-club La Licorne, dans les années 1960.

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