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— FRANÇOIS NORMAND — ZOOM SUR LE MONDE 10 clés géopolitiques pour comprendre la Chine de Xi Jinping

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— FRANÇOIS NORMAND —

ZOOM SUR LE MONDE10 clés géopolitiques pour comprendre la Chine de Xi Jinping

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Mot de l’auteur .................................................................................................................................................................................................................................................................................. p. 3

Préface ............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................ p. 4

Clé no 1 Comment la Chine veut asseoir sa suprématie mondiale ............................................................ p. 5

Clé no 2 La Chine ne surpassera pas les États-Unis, voici pourquoi ..................................................... p. 7

Clé no 3 Et si la Chine offrait la réciprocité économique ? .................................................................................................... p. 10

Clé no 4 La Chine veut détrôner le dollar américain avec le pétroyuan .............................. p. 12

Clé no 5 Gare à la concurrence chinoise .............................................................................................................................................................................................. p. 14

Clé no 6 Xi Jinping ne renoncera pas au « Made in China » 2025 ..................................................................... p. 15

Clé no 7 Chine : quatre scénarios politiques pour l’avenir .................................................................................................... p. 17

Clé no 8 Vers une guerre froide entre les États-Unis et la Chine ? ............................................................... p. 19

Clé no 9 Stabilité et incertitude dans la Chine de Xi Jinping ........................................................................................ p. 21

Clé no 10 La Chine commence à « manquer de bras » ................................................................................................................................. p. 23

— Sommaire

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Pour une entreprise ou un investisseur, un risque géopolitique est une tendance, un événement ou une décision qui peut avoir, à terme, un impact économique et financier sur sa rentabilité ou le rendement de ses investissements. Les risques

sont nombreux, particulièrement dans le contexte actuel, entre la montée du populisme, la croissance des inégalités, le terrorisme et l’instabilité politique.Pour moi, la géopolitique est une passion, d’autant plus quand il s’agit d’écrire des analyses pour les lecteurs de Les Affaires, dont une partie sont des exportateurs et des investisseurs actifs à l’étranger. C’est pourquoi, chaque samedi, je publie sur lesaffaires.com, dans mon blogue Zoom sur le monde, une analyse pour décortiquer un risque géopolitique auquel ils sont exposés.L’analyse des risques géopolitiques est complexe. Contrairement aux risques économiques (un ralentissement économique en Chine) ou financiers (la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis) qui sont quantifiables, ils sont par nature qualitatifs, donc difficile à mesurer.Le niveau de difficulté s’accroît aussi quand un pays représente à lui seul une multitude de risques géopolitiques. Le meilleur exemple est la Chine, dont la renaissance politique, économique, militaire et culturelle est en train de bouleverser l’ordre économique et politique dans le monde.Or, ce pays est encore trop méconnu au Canada et en Occident, à commencer par son histoire millénaire.Par exemple, nous n’assistons pas à l’émergence de la Chine, mais plutôt à sa renaissance, car l’Empire du Milieu était la première économie de la planète à la fin du 18e siècle. Bref, la Chine ne fait que reprendre graduellement sa place au sommet.

Il va sans dire que ce phénomène provoque des ondes de choc planétaires, à commencer par le Made in China 2025, une politique qui vise à faire de la Chine la première puissance manufacturière en termes de qualité en 2049.Cette stratégie touchera le Canada en raison de la nouvelle concurrence chinoise dans plusieurs secteurs comme l’aérospatiale, les technologies de l’information ou les équipements médicaux.Les « nouvelles routes de la soie », le projet pharaonique d’infrastructures terrestres et maritimes de la Chine pour relier plus efficacement son économie aux marchés asiatique et européen, sont un autre exemple.Là aussi, les entreprises canadiennes et les investisseurs pourraient être touchés, car ce projet va accroître l’influence de la Chine en Eurasie. Or, cette influence pourrait se traduire par l’adoption de normes chinoises en matière de commerce international, incluant la protection de la propriété intellectuelle.Bien d’autres enjeux doivent être sur l’écran radar des entreprises et des investisseurs comme le risque du déclenchement d’une guerre entre la Chine et les États-Unis ainsi que l’incertitude en ce qui a trait à l’avenir politique du géant asiatique (le régime communiste peut-il s’effondrer un jour ?).Pour guider vos décisions d’affaires, nous avons regroupé en un même recueil dix analyses géopolitiques sur la Chine parues depuis deux ans (mais toujours d’actualité, et mises à jour) qui vous aideront à comprendre ce pays aussi complexe que fascinant, que j’ai eu la chance de visiter pour faire des reportages.

Bonne lecture !

— Mot de l’auteur

François Normand est spécialisé en commerce international, en transition écologique, en entrepreneuriat, et en analyse du risque géopolitique. Historien de formation, il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il est inscrit au MBA à temps partiel à l’Université de Sherbrooke.

Au fil de sa carrière, François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger : stage à l’École supérieure de journalisme de Lille en France ; stage auprès des institutions de l’Union européenne à Bruxelles ; stage auprès des institutions de Hong Kong ; participation à l’International Visitor Leadership Program du State Department aux États-Unis.

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— Préface

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L a Chine a beaucoup évolué depuis que Deng Xiaoping a lancé ses réformes économiques en 1979. Le fait que plus de six cents millions de personnes aient été tirées de la pauvreté est remarquable. Le réseau de

trains à haute vitesse de plus de 25 000 km est enviable tandis que la Chine a des années d’avance sur les pays occidentaux en ce qui concerne les médiaux sociaux et les paiements électroniques.

La plupart des observateurs étaient d’avis que les réformes économiques allaient nécessairement entraîner une ouverture sur le plan politique. Malheureusement, cela ne s’est pas produit, particulièrement après les évènements de Tiananmen survenus le 4 juin 1989.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en novembre 2012, les contrôles sur la société civile ont été fortement renforcés, en utilisant au maximum la technologie disponible (reconnaissance faciale, utilisation des bases de données de sociétés comme Alibaba, etc.). La Chine est aussi beaucoup plus présente sur la scène internationale.

Elle a accru ses activités pour influencer l’opinion publique, y compris en menant une campagne soutenue pour faire taire la dissidence, et cherche à élargir sa zone d’influence, et ses marchés, avec l’initiative « La Ceinture, La Route ».

Ainsi, la Chine a investi des centaines de milliards de dollars dans le développement d’infrastructures en Asie, en Europe centrale et en Afrique par le biais de cette initiative. Tout en lui permettant d’accroître sa zone d’influence et ses marchés, ceci lui permet d’écouler ses surplus d’acier, de béton et de verre, et de renforcer ses grandes entreprises d’État.

L’arrestation de Mme  Meng Wanzhou, cheffe de la direction financière du géant chinois des télécoms Huawei, à Vancouver, le 1er décembre 2018, a entraîné la pire crise entre le Canada et la Chine depuis l‘établissement des relations diplomatiques en 1970.

Outre les détentions arbitraires des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor et les peines de mort imposées à deux autres Canadiens, le Canada a perdu des milliards de dollars en exportations, particulièrement en ce qui concerne les produits agroalimentaires.

Ceci reflète les difficultés de faire affaire avec une super puissance qui ignore les règles internationales quand elles ne sont pas à son avantage et qui n’hésite pas à punir sévèrement les pays qui refusent d’obéir à ses diktats.

Les importantes manifestations qui ont eu lieu à Hong Kong en juin pour empêcher l’adoption d’un projet de loi proposé par Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif de Hong Kong, qui aurait permis l’extradition de suspects en Chine, ont permis de freiner, du moins temporairement, une loi qui aurait encore érodé la situation de Hong Kong comme cité

internationale ainsi que le principe d’« un pays, deux systèmes ».

Il faudra continuer de surveiller la question ainsi que toute autre tentative de la part de la Chine d’accroître ses contrôles sur Hong Kong. Étant donné que 300 000  Canadiens résident à Hong Kong, cette question continuera de retenir l’attention de la classe politique au Canada.

Insatisfaite de la place qui lui est faite dans les institutions Bretton-Woods, la Chine a créé ses propres institutions comme la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Ceci étant, elle a su bien profiter du système multilatéral ; ainsi, son entrée à l’Organisation mondiale du commerce en 2001 a résulté en une croissance spectaculaire.

Cependant, elle a une approche très sélective quant aux règles internationales comme on l’a vu avec son rejet en juillet 2016 de la décision du tribunal d’arbitrage sous l’égide de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, à la suite de la plainte des Philippines en ce qui concerne ses installations dans la mer de Chine méridionale.

Le leadership chinois est-il vraiment imminent ? Le modèle chinois attire l’intérêt, mais sans être adopté. Cependant, il est clair que la Chine est de plus en influente sur la scène mondiale et que ses capitaux et sa technologie sont les bienvenus dans plusieurs pays. Les pays occidentaux devront revoir leurs stratégies d’engagement avec la Chine ainsi que leurs politiques d’aide au développement s’ils ne veulent pas perdre la bataille idéologique.

Étant donné le rôle crucial que la Chine continuera à jouer sur la scène internationale, je salue l’initiative de François Normand de publier un livre qui rassemble dix analyses qu’il a produites au cours des deux dernières années.

En effet, malgré les difficultés actuelles que nous connaissons, il faut s’intéresser davantage à la Chine et augmenter notre capacité à comprendre ce qui s’y passe avant que nous en subissions les conséquences. Cela signifie qu’il faut qu’il y ait plus de personnes qui connaissent bien le pays, sa culture et ses systèmes politique et économique afin de permettre de mettre en œuvre une politique d’engagement réaliste ; notre future prospérité en dépend.

J’espère que les personnes qui liront ce livre auront le goût d’en savoir davantage sur ce pays fascinant, mais qui inquiète aussi de plus en plus.

« UN PAYS FASCINANT, MAIS QUI INQUIÈTE AUSSI DE PLUS EN PLUS »

Guy Saint-Jacques,Ambassadeur du Canada en République populaire de Chine (2012-2016)et fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal,28 juin 2019

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— Clé no 1

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

Les « nouvelles routes de la soie » de la Chine sont très ambitieuses, car elles visent à relier directement l’économie chinoise à l’Asie centrale et à l’Europe. Or, si ce projet a d’importantes retombées économiques, il s’agit avant tout d’une stratégie pour asseoir la suprématie politique de la Chine en Eurasie et dans le monde, disent les spécialistes.

Mettons d’abord en perspec-tive ce projet titanesque terrestre et maritime (Belt and Road Iniative, en anglais), qui évoque par son gigan-tisme la Grande muraille de Chine, écrit le spécialiste de la Chine, Claude Meyer, dans

son récent essai L’Occident face à la renaissance de la Chine : Défis économiques, géopolitiques et culturels.

Pour l’instant, le budget final du projet est difficile à établir, car ses différentes compo-santes (les réseaux ferroviaires, les aéroports, les routes, les ports, l’électrification, les télécommunications, etc.) n’ont pas encore été définies.

Cela dit, nous avons néan-moins un ordre de grandeur pour ce projet lancé en 2013.

Pékin dit qu’il pourrait investir jusqu’à 4 000 milliards de dollars américains par l’entre-mise de divers canaux, dont la Banque asiatique d’investisse-ment dans les infrastructures (BAII) fondée en 2014 par la Chine, et ce, pour déployer les nouvelles routes de la soie

d’ici 2049, année du centième anniversaire de la fondation de la Chine communiste.

Ce montant de 4 000 G$ US est énorme.

Il représente 2,5 fois le produit intérieur brut (PIB) du Canada (1 653 G$ US en 2017) et presque l’équivalent de la taille de l’économie allemande (3 677 G$ US en 2017), selon les données de la Banque mondiale.

À terme, ce projet facilitera le commerce entre la Chine et plus d’une soixantaine de pays, incluant des puissances comme l’Italie.

Le président chinois Xi Jinping vient d’ailleurs d’y faire une visite pour signer un protocole d’accord (un total de 29 contrats ou ententes ont été conclus) officialisant l’adhésion de l’Italie aux nouvelles routes de la soie.

Selon le quotidien français Le Monde, cet accord prévoit notamment des investisse-ments chinois dans les ports italiens de Gênes et de Trieste, deux infrastructures stratégiques pour l’accès maritime au marché euro-péen à partir de la Chine.

L’Italie devient ainsi le premier pays du G7 à re-joindre les nouvelles routes de la soie, et ce, au grand dam de Washington et de Bruxelles.

Selon le Financial Times de Londres, l’UE craint que l’initiative de Pékin soit moins un véhicule d’une coopération économique mutuelle qu’une stratégie visant à affirmer la force de la Chine dans le monde.

Claude Meyer, qui enseigne l’économie et les relations internationales à Science Po à Paris, affirme que la Chine a trois ambitions planétaires : g Détenir la prééminence économique et financière en 2030.g Créer un nouvel ordre mondial, en s’imposant d’abord en Asie et ensuite dans le monde.g Accroître son « soft power » (son influence politique) pour inciter d’autres pays à imiter la Chine, à se rapprocher d’elle et à aligner leurs intérêts économiques.

Ces trois ambitions repré-sentent tout un défi pour les Occidentaux, souligne Claude Meyer.

« La fulgurante expansion de la Chine a constitué un premier défi pour l’Occident. Un second l’attend, la conquête de la suprématie planétaire par l’ancien empire du milieu », écrit-il.

Selon lui, la trajectoire « est soigneusement balisée » par le parti communiste dirigé par

COMMENT LA CHINE VEUT ASSEOIR SA SUPRÉMATIE MONDIALEPUBLIÉ LE 30/03/2019(mis à jour le 28 juin 2019)

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Xi Jinping, une trajectoire qui vise à détrôner les États-Unis comme super-puissance en 2050.

Les Américains ont bien compris la stratégie à long terme de Pékin, et surtout ce qu’im-plique sur le plan géopolitique le fait de laisser une puissance dominer cette région du monde.

« Contrôler » ce continent « L’Eurasie se situant au centre du monde, quiconque contrôle ce continent contrôle la planète », écrit d’ailleurs Zbigniew Brzezinski, spécialiste en relations internationales, dans son classique Le grand échiquier (L’Amérique et le reste du monde), publié en 1997.

Selon l’ancien conseiller du président américain Jimmy Carter (1977-1981), la politique étrangère des États-Unis doit favoriser une vraie coopéra-tion mondiale en accord avec les intérêts fondamentaux de l’humanité, comme la paix et la démocratie.

Or, Zbigniew Brzezinski affirme que l’apparition d’un concurrent en Eurasie, capable de dominer ce continent et de défier les États-Unis – comme semble vouloir le faire la Chine, selon plusieurs analyses – remet-trait en cause cet objectif.

Washington essaie d’ailleurs de contrer les routes de la soie de la Chine, et ce, en offrant ses propres services aux pays asiatiques dans le domaine des infrastructures.

Or, les fonds de 113 M$ US proposés à ce jour par les Américains sont dérisoires par rapport aux 4 000 G$ US que les Chinois disent vouloir investir à terme, affirme l’historien de l’Université Oxford spécialisé dans les routes de la soie, Peter Frankopan, cité par The Economist.

Le piège de la detteL’initiative de Pékin ne préoccupe pas que Washington et Bruxelles.

Des organisations comme le Fonds monétaire internatio-nal (FMI) s’inquiètent aussi de la vulnérabilité financière de plusieurs pays à qui la Chine offre de prêter de l’argent pour financer la construction d’infrastruc-tures sur leur territoire.

Pékin est même accusé d’utiliser sa force de frappe financière pour étendre son influence économique et politique sur les pays par lesquelles transiteront les futures routes de la soie.

Selon le magazine français Capital, plusieurs pays sont déjà surendettés vis-à-vis de la Chine et finissent par aban-donner à Pékin le contrôle de leurs infrastructures.

C’est notamment le cas du Sri Lanka, un petit pays insulaire dans l’océan Indien.

L’État avait emprunté 1,4 G$ US à la Chine pour aménager un port en eau profonde. Or, incapable d’assumer ses obligations financières, le gouvernement a été contraint à la fin de 2017 de céder le contrôle complet de l’infrastructure à la Chine pour un siècle.

Le Center for Global Development, un think tank américain, estime que l’initiative chinoise accroît « significativement » le risque de « dévissage » (l’incapacité de rembourser ses dettes) de huit pays très endettés, soit la Mongolie, le Laos, les Maldives, le Monténégro, le Pakistan, Djibouti, le Tadjikistan et le Kirghizistan.

Comme la Chine accorde ses prêts en dollars améri-cains, les pays emprunteurs doivent donc générer des excédents commerciaux

élevés pour garnir leurs réserves de change et rem-bourser la Chine. Or, cette stratégie n’est pas à la portée de tous les pays.

Sur le plan strictement économique, les routes de la soie stimuleront le commerce international et les investisse-ments. La firme McKinsey estime que l’initiative de Pékin

permettra à terme de relier directement 65 % de la popula-tion mondiale et un quart du PIB mondial à la Chine.

Une intégration économique qui se fera toutefois au prix de l’accroissement de l’influence politique. Selon la firme J Capital Research, de Hong Kong, les nouvelles routes de la soie sont un outil d’in-fluence politique, inscrit depuis 2017 dans la charte même du parti communiste.

Cette nouvelle influence politique aura des impacts.

Le jeu des alliances pourrait changer au détri-ment des États-Unis, de la France, de l’Allemagne ou du Royaume-Uni. Des pays pourraient aussi adopter des normes chinoises en matière de droit commercial, incluant la protection de la propriété intellectuelle.

Bref, la mondialisation des marchés telle que nous la connaissons pourrait graduel-lement se « siniser » dans cette région du monde.

Est-ce dans l’intérêt des entreprises et des investis-seurs canadiens ? •la

— Zoom sur le monde

65 %L’initiative «  One Belt, One Road » permettrait à terme de relier directement 65 % de la population mondiale et un quart du PIB mondial à la Chine.Source : McKinsey

Les nouvelles routes de la soie

Source : The Guardian

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LA CHINE NE SURPASSERA PAS LES ÉTATS-UNIS, VOICI POURQUOIPUBLIÉ LE 05/01/2019(mis à jour le 28 juin 2019)

— Clé no 2

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

C’est devenu un cliché martelé ad nauseam par les médias : la Chine surpassera un jour les États-Unis en déclin pour devenir LA superpuissance mondiale. Or, ce lieu commun ne serait pas fondé, révèlent différentes études et analyses.

L’histoire nous apprend d’ailleurs qu’il faut demeurer prudent face à ce type de prévision, nous rappelle le Financial Times de Londres, en donnant deux exemples éloquents.

Dans les années 1980, plusieurs analystes affirmaient que l’économie japonaise surpasserait un jour celle des États-Unis, ce qui ne s’est pas

produit. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 1990, l’économie nippone stagne et n’est plus que l’ombre d’ elle-même.

En 1956, le leader soviétique Nikita Khrouchtchev affirmait que l’histoire était du côté de l’URSS et que le communisme vaincrait le capitalisme. « Nous vous enterrons », avait-il déclaré. On connaît la suite : le communisme s’est effondré et l’URSS a éclaté en plusieurs États aux tournants des années 1990.

Plusieurs facteurs alimentent cette perception selon laquelle les États-Unis se feront un jour ou l’autre damer le pion par la Chine, à commencer par la puissance économique.

En 2018, la Chine avait un PIB de 14 000 milliards de dollars

américains, plaçant le pays au deuxième rang après les États-Unis (20 400 G$ US), selon le Fonds monétaire international (FMI).

Et l’économie chinoise continue de croître très vite. En 2018, le PIB chinois a progressé de 6,6 % comparativement à 2,9 % aux États-Unis, selon le Fonds monétaire international.

La Chine, première puissance économique en 2030Selon diverses études, la Chine pourrait devenir la première économie mondiale dans les prochaines décennies. La banque britannique HSBC estime que cela arrivera en 2030. Le PIB chinois atteindra alors 26 000 G$ US et l’américain 25 200 G$ US.

Ce serait une question de mathématiques : la population chinoise est quatre fois plus importante que celle des États-Unis et sa croissance économique progresse deux fois plus vite.

Un autre facteur fait dire à des analystes que la Chine sera un jour une superpuissance : ses dépenses militaires progressent très vite – elles sont déjà trois fois celles de la Russie – de sorte que l’armée chinoise est de plus en plus puissante.

Le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) estime que les dépenses militaires chinoises se sont élevées à 228,2 G$ US en 2017, tandis que celles des États-Unis atteignaient 609 G$ US.

Fait peu connu, les Chinois détiennent déjà un avantage sur les Américains pour certains types d’équipements et d’armements tels que les bombardiers, les sous-marins d’attaque et les drones.

En revanche, les États-Unis ont toujours un net avantage en ce qui a trait aux porte-avions, aux sous-marins nucléaires ou aux avions tactiques, comme on peut le voir dans le tableau.

La Chine est aussi une puissance technologique, comme l’a démontré sa capacité, en janvier 2019, à poser un engin spatial sur la face cachée de la lune, une première dans l’histoire. Le pays est aussi devenu un leader dans l’intelligence artificielle, la robotique et les télécommunications.

Bref, depuis une quarantaine d’années, la Chine a fait des progrès considérables dans plusieurs domaines. Elle est redevenue une puissance en Asie-Pacifique – comme elle l’a été la plupart du temps dans son histoire – et elle

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étend son influence dans le monde.

Les nombreux talons d’Achille de la ChineMalgré tout, la Chine n’a pas le potentiel pour devenir une superpuissance globale comme les États-Unis, affirment plusieurs analystes. En fait, plusieurs facteurs empêcheront la Chine d’atteindre cet objectif.

La population de la Chine diminuera : le pays compte près de 1,4 milliard d’habitants. Or, la population devrait commencer à diminuer à

partir de 2023, selon l’Organi-sation des Nations unies (ONU). Son scénario médian prévoit que la population descendra à environ 1 milliard en 2100. Pourquoi ? Le taux de fécondité (1,6 en 2016, selon la Banque Mondiale) est infé-rieur au seuil de remplace-ment des générations (2,1) et le pays n’accueille pratique-ment pas d’immigrants.

La Chine manque de bras : comme dans plusieurs pays développés, la population active au pays (les gens âgés de 16 à 59 ans) diminue, en l’occurrence depuis 2012. Et

elle pourrait fondre de 23 % d’ici 2050, selon le magazine britannique The Economist. Cette pénurie de main-d’œuvre mine sa croissance économique.

L’interventionnisme de l’État mine l’innovation : de 1998 à 2003, la Chine a fait plusieurs réformes économiques libérales. Or, depuis la prési-dence de Xi Jinping en 2013, l’interventionnisme de Pékin s’est accru, de sorte que le crédit est essentiellement accordé aux sociétés d’État, selon le Financial Times. Une situation qui peut miner

l’innovation et le progrès économique en Chine.

La Chine n’attire pas assez de talents : depuis la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis sont devenus le centre mondial pour la recherche scientifique et l’éducation de haute qualité. Le pays devrait garder ce statut dans un avenir prévi-sible notamment grâce à l’immigration, selon le magazine japonais The Diplomat. Or, malgré tout son potentiel, la Chine n’est pas, et ne deviendra pas, un aimant pour les meilleurs cerveaux du

— Zoom sur le monde

La puissance militaire comparéeChine États-Unis

Personnel actif (2M/1,3M)

Avions de transport (84/658)

Sous-marins d’attaque (57/54)

Croiseurs, destroyers, frégates (82/96)

Bateaux amphibies (24/31)

Avions ravitailleurs (18/530)

Avions de sur-veillance radar (27/111)

Drones (628/15)

Porte- avions (1/11)

Bombardiers (162/157)

Hélicoptères d’attaque(246/793)

Hélicoptères de transport (383/2 645)

Avions tactiques (1 996/3 424)

Note : données pour 2017Sources : Stockholm International Peace Research Institute, International Institute for Strategic Studies (Military Balance, 2018)

Sous-marins nucléaires (4/14)

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monde comme le sont les États-Unis.

Le yuan n’est pas en voie de détrôner le dollar américain : le yuan chinois est de plus en plus utilisé dans le monde. C’est actuellement la 8e devise qui s’échange le plus dans le monde, selon la Banque des règlements internationaux (BRI). Le dollar américain domine de loin, suivi par l’euro, le yen japonais et la livre sterling. Le dollar canadien arrive au 6e rang. Les analystes s’entendent pour dire que le dollar américain n’est pas en voie d’être détrôné par le yuan, car la devise chinoise n’est pas facilement conver-tible (Pékin contrôle les mouvements de capitaux).

La Chine n’a pas le soutien des principales puissances : en 1945, les Européens ont accepté que les États-Unis deviennent le point d’ancrage de la stabilité économique mondiale. Un statut consacré par les Accords de Bretton Woods (44 pays alliés étaient impliqués), dont l’objectif était de favoriser la reconstruction et le développement écono-mique des pays touchés par la guerre. C’est à ce moment que le dollar est devenu LA devise internationale. Or, aujourd’hui, la Chine est très loin d’avoir l’appui dont les États-Unis ont bénéficié après la Deuxième Guerre mondiale, à commen-cer par l’Europe, souligne le magazine américain Forbes.

L’autoritarisme chinois inquiète : la montée de l’autoritarisme en Chine – après des décennies d’ouver-ture – n’a rien pour rassurer les autres puissances dans le monde, à l’exception de rares pays comme la Russie.

Depuis une quarantaine d’années, la Chine a connu une croissance fulgurante. Or, le pays ne pourra pas pour-

suivre son ascension encore bien longtemps.

Sa population diminuera dans les prochaines décen-nies, comme du reste son économie qui a déjà commen-cé, elle, à décélérer depuis

2010, selon le National Bureau of Statistics of China.

Aussi, selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement écono-miques (OCDE), l’économie américaine pourrait même

progresser un peu plus vite que celle de la Chine en 2060, soit près de 2 % comparative-ment à 1,8 %.

Ceux qui prédisent que la Chine deviendra un jour une superpuissance oublient d’ailleurs un point important : loin de décliner, les États-Unis continueront de prospérer dans les prochaines décennies.

Le pays a plusieurs avan-tages. C’est une démocratie et un État de droit, avec une culture entrepreneuriale et innovante très dynamique. Sa population continuera aussi de croître, rétrécissant l’écart démographique avec la Chine.

Entre 2014 et 2060, le U.S. Census Bureau prévoit que la population américaine passera de 318,7 à 416,8 millions d’habitants, soit une hausse de 98,1 millions, dont 78,2 mil-lions de nouveaux citoyens issus de l’immigration.

« Une “superpuissance” est un pays qui a la capacité de projeter son pouvoir et son influence dominants partout dans le monde, et parfois dans plus d’une région du monde à la fois, et peut ainsi atteindre de manière plausible le statut d’hégémonie mondiale », affirme Alice Lyman Miller, chercheure et spécialiste de la Chine à l’Université de Stanford.

Et pour y arriver, un pays doit exceller dans plusieurs domaines, soit l’économie, l’armée, la politique et la culture (incluant la langue), sans parler du poids démogra-phique et du jeu des alliances.

Les États-Unis excellent dans tous ces domaines, mais pas la Chine, ni aujourd’hui ni à l’avenir, disent des spécialistes.

Un jour, la Chine sera une grande puissance, mais elle ne pourra pas ravir le titre de superpuissance aux États-Unis. •la

— Zoom sur le monde

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Ceux qui prédisent que la Chine deviendra un jour une superpuissance oublient un point important : loin de décliner, les États-Unis continueront de prospérer dans les prochaines décennies. Le pays a plusieurs avantages. C’est une démocratie et un État de droit, avec une culture entrepreneuriale et innovante très dynamique.

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ET SI LA CHINE OFFRAIT LA RÉCIPROCITÉ ÉCONOMIQUE ?PUBLIÉ LE 07/04/2018(mis à jour le 28 juin 2019)

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

Quand une entreprise japonaise exporte ou investit au Canada, une société canadienne peut grosso modo faire la même chose au Japon, c’est ce qu’on appelle la réciprocité économique. Or, la Chine n’offre pas la réciprocité à ses partenaires commer-ciaux, une situation qui explique en grande partie les vives tensions commerciales entre Pékin et Washington.

La Chine est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 2001, une adhésion rendue possible en grande partie grâce au président

américain Bill Clinton. Dans les années 1990, l’administration Clinton était convaincue que cette adhésion allait libéraliser à terme l’économie chinoise.

Or, si des progrès ont été réalisés depuis 2001, la Chine demeure une économie relativement fermée au commerce et à l’investisse-ment international, souligne le magazine américain Foreign Affairs.

Bref, la Chine communiste est loin d’être une économie de marché comme le Canada, l’Allemagne ou le Japon.

Interdictions et restrictions en ChineDes interdictions et des restrictions existent dans

plusieurs secteurs tels que la défense, les télécommunications ou la construction d’infrastructures.

Dans le transport, Pékin oblige les investisseurs étrangers à créer des coentreprises avec des joueurs chinois, ce qui soulève un enjeu de protection de la propriété intellectuelle – un enjeu évoqué actuellement par Washington dans son bras de fer avec les Chinois.

Par contre, les entreprises chinoises ne sont pas confrontées à ce type de barrières lorsqu’elles exportent ou investissent dans les pays industrialisés, même s’il y a bien entendu certaines restrictions.

Autrement dit, la réciprocité économique n’existe pas entre la Chine et ses principaux partenaires commerciaux, soulignent des analystes.

Et nul besoin d’avoir un accord de libre-échange entre deux pays pour avoir une réciprocité économique ou d’avoir une entente en vigueur depuis des années.

Par exemple, le Canada et le Japon ont un accord de libre-échange seulement depuis janvier 2019, qui a été

négocié dans le cadre de l’Accord de partenariat pacifique global et pro-gressiste (anciennement, le Partenariat transpacifique).

Or, même s’il y a encore certains tarifs et des barrières réglementaires, les deux pays s’offrent mutuellement et sensiblement les mêmes accès à leur marché domestique.

C’est ce type de réciprocité économique qui est de plus en plus réclamé, au premier chef par le gouvernement américain, et ce, en raison du déficit commercial qui se creuse entre les États-Unis et la Chine.

Le Canada fait sensiblement face au même enjeu avec la Chine.

Le déficit commercial (pour les marchandises) se creuse en faveur de la Chine. En 2017, il s’élevait à 47,3 milliards de dollars canadiens, soit deux fois plus que les exportations totales du Canada en Chine (23,6 G$), selon Statistique Canada.

Les rares pays comme la Suisse qui ont un accord de libre-échange avec la Chine font aussi face à un enjeu de réciprocité.

Dans un récent éditorial, le quotidien suisse Le Temps

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affirme qu’il existe un « déséquilibre » dans la relation économique avec la Chine au niveau des partenariats scientifiques avec la Suisse, et qu’il est temps « d’exiger la réciprocité ».

« La vague de rachats d’entreprises suisses par des groupes d’État chinois ces dernières années est loin de suivre la même logique. Là où Pékin peut s’emparer sans que Berne bronche d’un groupe aussi important que Syngenta, au nom de la liberté de commerce, il est impensable d’envisager l’inverse, à savoir le rachat d’un géant chinois par un acteur suisse », déplore Le Temps.

Pas facile de changer la ChineLes spécialistes de la Chine

vous le diront : il est très difficile de changer la Chine avec des pressions externes.

Cette culture millénaire, riche et fière de son histoire, a des priorités économiques et politiques que les

Américains, les Européens, les Indiens ou les Japonais auront beaucoup de difficultés à infléchir.

Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine témoignent en grande

partie de l’exaspération de Washington à l’égard du manque d’ouverture du marché chinois à la concurrence étrangère, soulignent des analystes.

L’administration Trump réussira-t-elle à convaincre la Chine d’accorder plus de réciprocité aux États-Unis ?

Bien malin qui peut répondre à cette question.

Chose certaine, le principe de réciprocité deviendra sans doute un enjeu entre le Canada et la Chine, alors que les deux pays souhaitent conclure un accord de libre-échange et que le déficit commercial se creuse.

Reste à voir toutefois si Ottawa exigera la réciprocité à Pékin avant d’engager le Canada dans un libre-échange qui aura un impact majeur sur l’économie canadienne. •la

— Zoom sur le monde

Chose certaine, le principe de réciprocité deviendra sans doute un enjeu entre le Canada et la Chine, alors que les deux pays souhaitent conclure un accord de libre-échange et que le déficit commercial se creuse.

Le déficit commercial des États-Unis avec la Chine

Source : Bureau du recensement des États-Unis

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LA CHINE VEUT DÉTRÔNER LE DOLLAR AMÉRICAIN AVEC LE PÉTROYUANPUBLIÉ LE 18/11/2017(mis à jour le 28 juin 2019)

— Clé no 4

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

Personne ne parle de cet enjeu ou presque au Canada. Pourtant, il pourrait avoir des répercussions sur la valeur du dollar américain et, par la bande, du huard. La Chine veut lancer des contrats pétroliers à terme libellés en yuans et convertibles en or sur les Bourses de Hong Kong et de Shanghai. Des pays comme la Russie, l’Iran, l’Angola, le Brésil et le

Venezuela ont déjà accepté que la Chine paie leur pétrole en yuans, souligne le quoti-dien La Libre Belgique. Par contre, Pékin va beaucoup plus loin avec ce contrat pétrolier à terme.

Selon des spécialistes, Pékin veut concurrencer le dollar américain, voire le détrôner, comme devise de référence pour les échanges pétroliers, alors que la Chine est deve-nue le plus important impor-tateur de pétrole.

En plus de favoriser la mon-tée en puissance de la Chine,

la stratégie du gouvernement chinois permettrait aussi aux pays qui ont des tensions avec les États-Unis, comme la Russie ou l’Iran, de s’affran-chir d’éventuelles sanctions économiques américaines.

Caroline Galactéros, politologue et directrice du cabinet français de conseil en intelligence stratégique Planeting, affirme que ce projet de la Chine pourrait être le début d’un long pro-cessus de « dédollarisation » de l’économie mondiale.

Et il risque d’y avoir un impact sur les taux de change entre les principales devises dans le monde, selon le pé-riodique français d’économie DAF Magazine.

Comme la valeur du dollar américain est déterminée par le jeu de l’offre et de la de-mande, la dédollarisation de l’économie mondiale pourrait à terme réduire la demande de billet vert et faire dimi-nuer sa valeur.

Toutes choses égales par ailleurs, le dollar canadien pourrait aussi s’apprécier par

rapport à la devise américaine.Or, quand le taux de change canado-américain varie, cela peut avoir un impact sur la dynamique des échanges commerciaux des deux côtés de la frontière (un huard fort défavorise les exportations canadiennes), sans parler des fusions et acquisitions (un huard fort favorise l’acquisition d’entreprises américaines).

La création d’un pétroyuan est clairement un enjeu éco-nomique. Mais il représente aussi un enjeu de domination politique de l’Eurasie (la masse continentale englobant l’Europe et l’Asie) et des cir-cuits mondiaux de l’énergie, disent les spécialistes.

Or, quand une puissance domine l’Eurasie, celle-ci exerce une influence ma-jeure dans le monde, sou-lignent les historiens.

Les États-Unis ne se laisseront pas faireLes Américains n’assisteront pas les bras croisés au déclin de leur monnaie, car ils de-meurent encore la première

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économie. C’est pourquoi, à leurs yeux, les États-Unis doivent conserver une devise dominante pour le commerce du pétrole.

Il faut remonter aux années 1970 pour mieux comprendre cette situation.

En 1974, les Américains ont signé un accord avec l’Arabie saoudite. L’objectif était de stopper l’affaiblissement du dollar à la suite de l’abandon de l’ étalon-or par l’admi-nistration républicaine de Richard Nixon en 1971.

Le royaume saoudien a accepté alors de vendre son pétrole uniquement en dollars américains. En contrepartie, Washington s’est engagé à protéger l’Arabie saoudite, tan-dis que cette dernière devait recycler ses dollars dans l’éco-nomie américaine.

C’est cet accord qui a don-né naissance au pétrodollar, qui a contraint le monde entier à acheter l’énergie en dollars américains.

Selon certains analystes, l’attitude intransigeante de l’administration Trump à l’égard de l’Iran – l’ennemi juré de l’Arabie saoudite – depuis quelque temps pour-rait faire partie d’une straté-gie pour rappeler à Riyad qui sont ses vrais alliés. Et garder du coup le royaume saoudien dans le giron américain.

Pourquoi la Chine pourrait échouerMême si la Chine veut détrôner le billet vert avec le pétroyuan, il est loin d’être acquis qu’elle puisse y arriver. À vrai dire, Pékin fait face à plusieurs obstacles, affirment des spécialistes en finance interviewés par le réseau américain CNBC.

Premièrement, les marchés mondiaux de l’énergie esti-ment que la Chine exerce

trop de contrôle sur l’éco-nomie. Dans ce contexte, il pourrait être difficile pour un pétroyuan de vrai-ment concurrencer avec des « benchmarks » pétro-liers comme le West Texas

Intermediate (WTI), dont les prix sont vraiment détermi-nés par le libre marché.

Deuxièmement, pour être viables, les contrats à terme doivent être très liquides afin qu’il y ait toujours assez de

vendeurs et d’acheteurs. Les marchés pétroliers du Brent de la mer du Nord ou du WTI sont très liquides. Pékin pourra-t-il changer cette situation au profit de son contrat à terme ? Des spécia-listes en doutent.

Troisièmement, contraire-ment au dollar américain, le yuan chinois n’est pas encore une devise entière-ment convertible, sans parler du fait que le gouvernement chinois exerce un contrôle sur les mouvements de capi-taux. Ce sont « deux prises » pour la Chine.

Quatrièmement, puisqu’il est déjà très intervention-niste dans l’économie, le gou-vernement chinois pourrait favoriser les sociétés d’État énergétiques de la Chine dans ce nouveau marché du pétroyuan. Les marchés pétroliers craignent ce favori-tisme potentiel.

Le projet de la Chine de créer des contrats pétroliers à terme libellés en yuans et convertibles en or est proba-blement l’un des mouvements de plaques tectoniques finan-ciers les plus importants dans le monde depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Si la Chine réussit à détrô-ner le dollar américain avec son pétroyuan ou seulement à le marginaliser, cela aurait bien entendu des impacts financiers, économiques et politiques majeurs.

La gestion des risques de devises deviendrait plus com-plexe. Il y aurait bien entendu aussi de nouvelles occasions d’affaires et d’investissements.

Le grand jeu de la Chine fonctionnera-t-il ? Personne ne peut le dire avec certitude.

Chose certaine, cet enjeu doit être sur l’écran radar des décideurs politiques et économiques au Canada. •la

— Zoom sur le monde

Le projet de la Chine de créer des contrats pétroliers à terme libellés en yuans et convertibles en or est probablement l’un des mouvements de plaques tectoniques financiers les plus importants dans le monde depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

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GARE À LA CONCURRENCE CHINOISEPUBLIÉ LE 24/06/2017(mis à jour le 28 juin 2019)

— Clé no 5

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

La première vague de la concurrence chinoise amorcée dans les années 1990 a fait très mal aux entreprises manufacturières occidentales. Mais nous n’avons peut-être rien vu, car la prochaine vague dans les produits à haute valeur ajoutée risque de faire davantage de ravages.

Made in China 2025. Retenez bien cette expression ; vous en entendrez parler de plus en plus dans les prochaines années. Lancée en 2015 par le gouvernement chinois, cette politique vise notamment à faire de la Chine LA puissance manufacturière mondiale en termes de qualité en 2049, année où le pays célébrera le centenaire de la fondation de la Chine communiste.

Pékin a entrepris cette ré-forme ambitieuse parce que l’industrie chinoise perd de

sa compétitivité internatio-nale. Et la raison en est fort simple : les salaires en Chine augmentent plus rapidement que les gains de productivité.

En Asie, les investisse-ments directs étrangers (IDE) se déplacement d’ail-leurs graduellement vers des pays à plus faibles coûts de production tels que le Vietnam ou le Cambodge.

La Chine est toujours « l’usine » du monde, mais elle risquait de devenir une puissance manufacturière à moyenne valeur ajoutée.

De plus, ce que souhaitent les autorités chinoises avec le Made in China 2025, c’est que la Chine soit aussi l’endroit au monde où l’on fabrique les meilleurs pro-duits manufacturiers.

Dix secteurs sont priori-taires aux yeux du parti com-muniste chinois : 1. Les nouvelles technologies de l’information avancées

2. Les machines automati-sées et la robotique3. Le matériel aérospatial et aéronautique4. Le matériel maritime et le transport de haute technologie5. Les équipements de trans-port ferroviaire moderne6. Les véhicules et les équi-pements électriques7. Les équipements de pro-duction d’énergie8. Le matériel agricole9. Les nouveaux matériaux10. La biopharmaceutique et les produits médicaux avancés.

On constate rapidement que ces secteurs sont stra-tégiques dans la plupart des pays développés.

Par exemple, au Canada, la grappe de l’aérospatial – concentrée au Québec – sentira de plus en plus la concurrence chinoise, en Chine, et aussi sur les mar-chés étrangers.

Les Américains, les Européens, les Japonais et les Sud-Coréens sentiront aussi cette nouvelle concurrence parmi ces dix secteurs.

L’objectif de la Chine est simple : détrôner les Allemands et faire du label Made in China un label aussi fort et synonyme de qualité que le fameux Made in Germany.

La politique du Made in China 2025 s’inspire d’ailleurs de la politique de l’Industry 4.0 (ou la quatrième révolu-tion industrielle) lancée en Allemagne en 2012.

Le plan de match de la ChineComment les Chinois comptent-ils devenir les « Allemands » du 21e siècle ?

Ils le feront par étapes, en déployant une stratégie à très long terme, un concept souvent étranger à la façon de penser des Occidentaux.

Trois années charnières sont à retenir : 2025, 2035  et 2049.

En 2025, la Chine veut que son industrie manufactu-rière soit très innovante et très efficace, ce qu’elle n’est pas actuellement.

En 2035, la Chine veut être capable de compétitionner en termes de qualité avec les principales puissances manufacturières des pays développés.

En 2049, la Chine veut être LA puissance manufactu-rière dominante.

Bien entendu, le Canada et les autres pays développés pourront garder leur indus-trie manufacturière.

Après tout, nos entre-prises ont pu relativement bien résister à la montée en puissance du Japon et de la Corée du Sud dans les niches des hautes technolo-gies dans la deuxième moi-tié du 20e siècle.

Par contre, elles ont dû s’ajuster, comme elles de-vront le faire avec la Chine.

Mais la tâche risque d’être beaucoup plus difficile.

Et douloureuse. •la

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XI JINPING NE RENONCERA PAS AU « MADE IN CHINA » 2025PUBLIÉ LE 11/05/2019(mis à jour le 28 juin 2019)

— Clé no 6

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

La politique industrielle chinoise Made in China 2025 est au cœur de la guerre commerciale entre Pékin et Washington. Le président américain Donald Trump veut la démanteler parce qu’elle menace les intérêts américains. Il devra déchanter, car son homologue Xi Jinping ne renoncera jamais à cette politique.

Pourquoi ? Parce qu’elle est vitale pour le développe-ment économique et social de la Chine, en plus d’être le projet du président Xi pour faire à nouveau de la Chine une grande superpuissance – il s’est même arrogé la pré-

sidence du pays à vie pour y parvenir.

Aussi, à moins que Washington ne réduise ses attentes, la guerre commer-ciale entre les deux géants du Pacifique – qui vient de s’intensifier avec la hausse de tarifs douaniers de 10 % à 25 % sur 200 milliards de dollars américains d’impor-tations chinoises – pourrait durer encore très longtemps, disent des spécialistes.

Les investisseurs et les entreprises canadiennes pré-sentes aux États-Unis dont la chaîne d’approvisionnement est liée à la Chine doivent donc en tenir compte dans leur gestion des risques et leur gestion des opérations.

Pour les États-Unis, le Made

in China 2025 n’est rien de moins qu’une stratégie pour acquérir leurs technologies, en forçant les entreprises américaines actives en Chine à faire d’importants transferts technologiques pour avoir accès au marché chinois.

Lancée en 2015, cette poli-tique industrielle chinoise vise deux grands objectifs, selon diverses analyses : g Faire de la Chine LA puis-sance manufacturière mon-diale en 2049 en termes de qualité, année où le pays célé-brera le centenaire de la fonda-tion de la Chine communiste.g Accroître l’autosuffisance de la Chine en matière de hautes technologies, en réduisant sa dépendance aux importations des pays occi-dentaux et en ayant davantage de contenu chinois dans les produits vendus dans le pays (le seuil passera de 40 % en 2020 à 70 % en 2025).

Le Made in China 2025 met l’accent sur dix secteurs clés, comme on peut le voir sur cette infographie du site Asia Briefing (voir page suivante). Cette politique vise aussi à stopper la perte de compéti-tivité de l’industrie chinoise, alors que les salaires en Chine augmentent plus rapidement que les gains de productivité.

Résultat ? Le pays devient moins attrayant pour les investisseurs étrangers.

Les investisseurs japonais, chinois et sud-coréens inves-tissent d’ailleurs de plus en plus dans des pays à plus faibles coûts de production en Asie du Sud-Est tels que le Vietnam et le Cambodge, selon le Financial Times de Londres.

Bien entendu, la Chine demeure « l’usine » du monde, mais elle risquait de devenir une puissance manufacturière à moyenne valeur ajoutée si Pékin ne corrigeait pas le tir.

Enfin, il y a aussi des consi-dérations politiques derrière le Made in China 2025.

« À l’heure où l’économie chinoise ralentit, l’adoption de ces industries et techno-logies émergentes est consi-dérée comme un moyen essentiel de maintenir et d’améliorer la croissance », souligne le magazine japo-nais The Diplomat.

Selon plusieurs spécialistes, la Chine a besoin d’une crois-sance économique relative-ment élevée pour créer des millions d’emplois, assurer la stabilité sociale dans cet État policier et, surtout, assurer le maintien au pouvoir et la survie du parti communiste.P

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Comment fonctionne le Made in China 2025Regardons maintenant com-ment se déploie le Made in China 2025, qui inquiète tant les États-Unis, mais aussi l’Allemagne, qui vient de se doter d’une politique indus-trielle pour contre-attaquer la politique chinoise.

En fait, le Made in China 2025 accélère les efforts an-térieurs de Pékin de consa-crer plus de ressources et d’intensifier la planification des politiques afin de coor-donner les activités des gou-vernements, des entreprises privées et du monde univer-sitaire, souligne le magazine Foreign Affairs.

Selon cette publication américaine, ces efforts com-prennent des politiques connues publiquement, mais aussi des actions « plus opaques ». Ces tactiques incluent plusieurs éléments : g Fixer des objectifs explicites : à la fois par la définition d’objectifs publics et par la coordination officieuse et indirecte, les dirigeants chinois encou-rageant les entreprises pri-vées et publiques à orienter leurs décisions en fonction des priorités du Made in China 2025.gFournir des subventions directes : Pékin augmente son soutien direct aux 10 indus-tries chinoises prioritaires grâce à un financement pu-blic, à des prêts à faible taux d’intérêt, à des allégements fiscaux et à d’autres subven-tions. Ce soutien pourrait atteindre plusieurs centaines de milliards de dollars amé-ricains (G$), selon certaines estimations.g Investir à l’étranger et faire des acquisitions : Pékin encourage les entreprises chinoises, tant privées que

publiques, à investir dans des sociétés étrangères, notamment des sociétés de semi-conducteurs, pour avoir accès à des technologies de pointe. Aux États-Unis seulement, les acquisitions chinoises ont totalisé plus de 45 G$ US en 2016, selon le Rhodium Group.g Mobiliser les entre-prises soutenues par l’État : une grande partie de cet investissement de 45 G$ US provient de sociétés d’État, d’entreprises ou de fonds soutenus par Pékin. Les ré-formes économiques des an-nées 1990 ont réduit le rôle des entreprises publiques dans l’économie, mais elles représentent toujours un tiers du PIB et environ deux tiers de l’investissement chinois à l’étranger.g Forcer les transferts technologiques : les sociétés étrangères se plaignent que pour investir ou faire des af-faires en Chine, elles doivent former des coentreprises avec des sociétés chinoises dans des conditions les obli-geant à partager la propriété intellectuelle sensible et un savoir-faire technologique de pointe. La Chine a déjà utilisé cette stratégie pour

acquérir des technologies étrangères, et ce, des bat-teries ferroviaires à grande vitesse aux batteries de véhi-cules électriques.

Washington et Pékin devront faire des compromisBien malin qui peut prévoir comment évoluera la guerre commerciale qui vient de s’intensifier entre les deux principales économies de la planète. Chose certaine, Pékin et Washington devront mettre de l’eau dans leur vin.

La Chine doit faire un sé-rieux examen de conscience.

Le géant asiatique doit comprendre que sa manière de forcer les transferts tech-nologiques en Chine et sa campagne mondiale d’acqui-sitions de joyaux industriels et technologiques inquiètent et irritent plusieurs pays, à commencer par les États-Unis.

À terme, Pékin doit aussi accepter la réciprocité éco-nomique avec ses partenaires commerciaux et respecter leur propriété intellectuelle en Chine, ce qui représente tout un défi pour un régime communiste, sans État de droit indépendant.

Pour sa part, les États-Unis doivent accepter que la Chine a le droit légitime de se déve-lopper et d’aspirer à devenir la première puissance manu-facturière en termes de qualité dans le monde, même si cela menace des entreprises américaines.

Du reste, les Américains ne sont pas démunis face à la Chine.

Les États-Unis sont un pays d’innovation, qui est doté d’immenses ressources natu-relles, matérielles, financières et humaines, sans parler de son esprit entrepreneurial qui fait l’envie du monde entier.

Les Américains n’ont qu’à se battre pour garder leur leadership en matière de haute technologie, comme ils l’ont fait durant la guerre froide (1945-1991) contre l’ ex-Union soviétique grâce à des innovations et des révolutions technologiques comme l’Internet.

En revanche, Donald Trump doit renoncer à vou-loir démanteler la politique Made in China 2025 ; cela n’arrivera pas, affirment des spécialistes.

Car Xi Jinping n’abandon-nera jamais sa politique et son China Dream . •la

— Zoom sur le monde

Made in China 2025 : les secteurs visés

Équipements électriques

Technologies de l’information

Machinerie agricole

Équipements pour l’aérospatiale

Nouveaux matériaux

Équipements ferroviaires

Véhicules électriques

Ingénierie mari-time et navires de haute technologie

Robotique et outils de contrôle

numérique

Équipements médicaux

Source : Asia Briefing

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CHINE : QUATRE SCÉNARIOS POLITIQUES POUR L’AVENIRPUBLIÉ LE 13/04/2019 (mis à jour le 28 juin 2019)

— Clé no 7

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

Nous sommes inondés d’articles, de rapports et de livres sur l’avenir économique de la Chine. Par contre, peu de choses se publient sur son avenir politique. Pourtant, cet enjeu est crucial, car la stabilité économique de la Chine – et du monde – est liée à la stabilité politique de cette puissance mondiale.

L’enjeu est de taille pour les entreprises et les investisseurs, canadiens et étrangers actifs dans la deuxième économie mondiale, sans parler de ceux qui s’intéressent à ce marché de 1,3 milliard d’habitants.

Il y a quelques années, un spécialiste nord-américain en gestion du risque géopoli-

tique me confiait que le plus grand risque auquel était confrontée son organisation en Chine était un « prin-temps chinois », soit l’effon-drement ou le renversement du parti communiste.

L’onde de choc serait im-mense, tout comme l’incer-titude. Qui dirigerait le pays, dans quelles circonstances ? Quel serait l’impact sur l’éco-nomie chinoise, le commerce international, la Bourse, les investissements, le prix des matières premières ? Les chaînes d’approvisionnement mondiales liées à la Chine seraient-elles touchées ?

D’aucuns minimiseront ce risque, le qualifiant même d’impossible. Gardons en tête que peu de personnes, en 1988, avaient prévu la chute du mur

de Berlin un an plus tard, suivi par la chute du communisme européen, la réunification alle-mande et la désintégration de l’Union soviétique.

La prudence est donc de mise quant à l’avenir poli-tique de la Chine.

La meilleure façon d’y voir clair est de lire les meilleurs spécialistes à ce sujet, et l’un d’eux est sans contredit Claude Meyer, un Français qui a conduit une double carrière de banquier interna-tional et d’universitaire spé-cialisé sur l’Asie.

Actuellement conseiller au centre Asie de l’Institut fran-çais des relations internatio-nales (IFRI), il a récemment publié un essai (L’Occident face à la renaissance de la Chine) très intéressant pour ceux et celles qui s’intéressent à la montée économique et politique de la Chine.

Dans ce livre, Claude Meyer s’intéresse justement à l’avenir politique de la Chine. Selon lui, quatre scé-narios sont possibles, dont certains sont plus probables que d’autres.

Scénario no 1 – La démocratie en douceurCe scénario évoqué par cer-tains spécialistes s’appuie sur la théorie de la transi-

tion selon laquelle la hausse du niveau de vie en Chine entraîne inéluctablement la démocratisation du pays, comme cela s’est notamment déroulé à Taïwan et en Corée du Sud.

L’ancien président améri-cain Bill Clinton s’est inspiré de cette théorie, quand son administration a donné le feu vert en 2001 à l’entrée de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le chien de garde du commerce international.

« Elle était convaincue qu’une étroite intégration de la Chine dans l’écono-mie mondiale grâce à son entrée à l’OMC accélérerait la libéralisation politique et l’instauration d’un véritable État de droit », souligne Claude Meyer.

Dans ce scénario, la démo-cratisation se fait par le haut. Le parti communiste s’adapte et initie les réformes, comme l’a fait le Guomindang (le parti nationaliste chinois) à Taïwan.

Or, si ce scénario pouvait se concevoir en Chine sous les présidences de Jiang Zemin (1993-2003) et de Hu Jintao (2003-2013), le tournant auto-ritaire imposé par l’actuel président Xi Jinping le rend « hautement improbable », affirme Claude Meyer.

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L’an dernier, le parlement chinois a aboli la limitation des mandats présidentiels, ouvrant la voie à une prési-dence à vie pour Xi Jinping.

Scénario no 2 – Une révolution violenteCe deuxième scénario envi-sage une évolution violente par le bas ou une réplique de Tiananmen (manifestation étudiante réprimée dans le sang au printemps de 1989).

La crise souvent annoncée par plusieurs spécialistes – économique, financière et sociale – se déclenche brutale-ment et entraîne un effondre-ment du régime communiste, sans exclure le déclenchement d’une guerre civile.

Difficile d’imaginer la suite des choses et un retour à la normale après un tel scénario cataclysmique à maints égards.

Même si rien ne semble annoncer pareil scénario actuellement, on ne peut toutefois pas l’exclure com-plètement à terme, estime Claude Meyer.

Fragilisé par des difficultés multiples aux quatre coins du pays, le gouvernement chinois se durcirait encore davantage. L’accumulation des frustrations des Chinois conduirait alors la Chine au point de rupture, faisant bas-culer le pays dans les convul-sions d’un effondrement.

Là aussi, Claude Meyer affirme que ce scénario reste très improbable.

Pourquoi ? Parce que le pragmatisme des dirigeants communistes les incitera à s’adapter afin de sauver le régime, bien avant le déclen-chement d’un tel séisme.

Scénario no 3 – Le statu quo ou la consolidation du régime« C’est l’hypothèse la plus

probable pour la prochaine décennie, compte tenu des dé-cisions prises récemment par les instances dirigeantes, qui ont entériné la dérive auto-ritaire de l’empereur rouge », explique Claude Meyer.

Ainsi s’est mis en place en Chine un nouveau régime assimilable à une forme de présidence impériale. Tout un virage par rapport à la direction collégiale (mandat maximum de 10 ans) qui avait été mis en place après la mort de Mao Zedong.

Ce dernier a dirigé la Chine communiste de 1949 à 1976, une période au cours de laquelle le pays a connu des bouleversements drama-tiques, à commencer par le Grand bond en avant (de 1959 à 1961-1962) et la Révolution culturelle (de 1966 à 1976).

Dans ce contexte, Xi Jinping a les coudées franches pour réaliser ses deux objectifs : g À l’international : faire de la Chine LA superpuis-sance mondiale devant les États-Unis.g À l’intérieur : conduire et mener à terme la transition vers un nouveau modèle de croissance, moins dépendant des exportations et plus axé sur la consommation.

Scénario no 4 – Vers le modèle singapourien ?À plus long terme, selon Claude Meyer, il existe peut-être un quatrième scé-nario pour l’avenir politique de la Chine, une voie qui sortirait le pays du dilemme démocratisation et effon-drement, soit le recours à l’héritage confucéen de la Chine. Et Singapour pour-rait être un modèle pour la Chine communiste.

Ce petit pays de 6 millions d’habitants (dont près de

75 % sont d’origine chinoise) allie bonne gouvernance et régime autoritaire dans la pure tradition confucéenne. C’est pourquoi il pourrait à terme être une source d’inspiration pour les dirigeants chinois.

Du reste, les Chinois sont déjà fascinés par le modèle singapourien. Le dirigeant Deng Xiaoping s’en est d’ail-leurs inspiré quand il a lancé sa politique de réformes et d’ouverture en 1978, après la fin de l’ère de Mao Zedong.

La réussite de la petite cité-État (son PIB par habi-tant s’élevait à 57 714 $ US en 2017, comparativement à 45 032 $ US au Canada) repose sur plusieurs valeurs qui séduisent Pékin : g L’efficacité économique associée à une forme de socialisme.g Le culte de la méritocratie.g L’éthique confucéenne.

g Le choix de « l’asianité » contre les valeurs occidentales.

Cela dit, s’inspirer davan-tage de Singapour représente tout un défi pour la Chine, car les deux pays sont très différents : superficie, taille de la population, complexité de l’organisation territoriale, atouts stratégiques ou politique étrangère.

Bien malin qui peut pré-voir l’avenir de la Chine avec précision.

Même Claude Meyer de-meure d’ailleurs très prudent.

Il n’exclut pas non plus que l’évolution du régime chinois puisse combiner plusieurs scénarios afin de garder le pouvoir ou, à tout le moins, demeurer le parti dominant advenant qu’il perde le mono-pole du pouvoir.

Autant d’éléments à considé-rer lorsqu’on analyse les risques géopolitiques en Chine. •la

— Zoom sur le monde

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VERS UNE GUERRE FROIDE ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET LA CHINE ?PUBLIÉ LE 26/01/2019(mis à jour le 28 juin 2019)

— Clé no 8

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

Nous commémorerons en novembre 2019 le trentième anniversaire de la chute du mur du Berlin, marquant la fin de la guerre froide entre les États-Unis et l’ ex-Union soviétique. Cette année 2019 pourrait aussi toutefois marquer le début d’une nouvelle guerre froide, cette fois entre les États-Unis et la Chine.

Si jamais la rivalité entre Washington et Pékin se trans-formait en guerre froide, cela aurait un impact sur le com-merce et les investissements internationaux. Comme le soulignait récemment Le Monde, cela pourrait diviser la planète en deux blocs com-

merciaux, « chacun centré sur sa superpuissance ». Le système financier pourrait aussi se « désagréger ».

Au siècle dernier, la guerre froide qui a opposé les Américains (et leurs alliés) aux Russes (et leurs alliés) a duré près de 50 ans. Deux camps s’affrontaient, l’Ouest et l’Est. Les pays capitalistes (pour la plupart des démo-craties libérales telles que le Canada) contre les pays com-munistes (des dictatures ou des régimes autoritaires tels que l’ ex-Allemagne de l’Est).

Il y avait aussi des dizaines de pays non-alignés sur l’un des deux camps comme l’Inde.

Après des décennies d’une course à l’armement et de guerres régionales inter-posées (par exemple, au

Vietnam), l’Ouest a finale-ment gagné la guerre froide avec l’effondrement du com-munisme en Europe.

Aussi, pendant une ving-taine d’années, de la chute du mur de Berlin à la récession mondiale de 2008-2009, les États-Unis ont dominé l’échiquier mondial sur le plan politique et économique, libéralisant entre autres le commerce international aux quatre coins du monde.

Nous vivions alors dans un monde unipolaire.

Cette époque est main-tenant révolue. La montée fulgurante de la Chine (sa renaissance, car elle était la première économie mondiale à la fin du 18e siècle) depuis une trentaine d’années a changé la donne.

En 2018, la Chine avait un PIB de 14 000 milliards de dollars américains, la plaçant au deuxième rang après les États-Unis (20 400 G $ US), selon le Fonds monétaire international (FMI). La Chine pourrait même dépasser les États-Unis en 2030, estime la banque britannique HSBC.

Le poids économique de la Chine s’est naturellement transformé en poids militaire.

Ses dépenses militaires sont déjà trois fois celles de la Russie. En 2017, elles

s’élevaient à 228,2 G$ US, tandis que celles des États-Unis atteignaient 609 G$ US, selon le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).

La Chine est aussi devenue une puissance technolo-gique, et ce, dans plusieurs domaines, allant de l’intel-ligence artificielle aux télé-coms, sans parler de la poli-tique du Made in China 2025, lancée en 2015, qui progresse à grands pas, selon le Wall Street Journal.

Cette politique s’articule au-tour de trois années charnières : g En 2025, la Chine veut que son industrie manufacturière soit très innovante et très efficace, ce qu’elle n’est pas actuellement.g En 2035, la Chine veut être capable de compéti-tionner en termes de qualité avec les principales puis-sances manufacturières des pays développés.g En 2049, la Chine veut être LA puissance manufac-turière dominante.

Selon plusieurs analystes, la présente guerre commer-ciale entre Washington et Pékin est en grande partie une réponse de l’adminis-tration Trump au Made in China 2025, car cette poli-tique chinoise menacerait P

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des secteurs clés de l’écono-mie américaine.

La montée en puissance de la Chine a aussi des impacts géopolitiques. Elle se traduit par des tensions de plus en plus grandes en Asie-Pacifique, à commencer par la mer de Chine méri-dionale, que Pékin considère comme sa zone d’influence historique depuis des siècles, voire des millénaires.

L’Asie aux AsiatiquesEn 2015, le président chinois Xi Jingping a même fait allusion à une « Asie pour les Asiatiques ».

Difficile de ne pas y voir un clin d’œil à la fameuse doc-trine Monroe de « l’Amérique aux Américains », qui a carac-térisé la politique étrangère des États-Unis au 19e siècle et au début du 20e siècle, évinçant les puissances euro-péennes du continent.

L’objectif ultime de la Chine est d’ailleurs d’évincer à terme les États-Unis de leur zone d’influence de l’ Asie-Pacifique. Ces derniers y sont présents depuis la fin du 19e siècle, une présence qui s‘est accrue après la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) et la Guerre de Corée (1950-1953).

Or, l’establishment militaire américain estime que les États-Unis sont et doivent demeurer une puissance du Pacifique, rappelle Robert D. Kaplan, un spécialiste de la politique étrangère amé-ricaine, dans le magazine Foreign Policy.

Une situation qui accroît le risque de guerre entre les deux pays, disent les spécialistes.

Car, lorsqu’une puissance montante menace la position d’une puissance établie, une guerre éclate dans la grande majorité des cas, souligne l’intellectuel Graham Allison

dans son essai Destined for War :Can America and China Escape Thucydides’s Trap ?.

Depuis 500 ans, dans 12 cas sur 16, la montée en puis-sance d’un pays ou d’un em-pire a provoqué une guerre, à l’exception notamment des États-Unis et de l’ ex-Union soviétique, comme on peut le constater sur ce tableau tiré du livre de Graham Allison.

Une guerre entre les États-Unis et la Chine est-elle inévitable ?

Bien sûr que non, mais le risque d’un affrontement direct entre ces deux puis-sances est réel.

Chose certaine, les ten-sions entre la Chine et les États-Unis seront au cœur de l’échiquier mondial au cou-rant de ce siècle, comme la rivalité entre Washington et Moscou l’a été au 20e siècle.

Tous les analystes ne par-tagent pas ce point de vue.

Plutôt qu’une guerre froide, Ngaire Woods, doyenne et fon-

datrice de l’école Blavatnik de politiques publiques de l’Uni-versité d’Oxford, estime que le monde pourrait s’orienter vers un système international dirigé par quatre puissances, les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Allemagne.

« Elles domineraient cha-cune sa région et cherche-raient à prendre la main dans les négociations internatio-nales », écrit-elle dans une tribune publiée dans le quoti-dien suisse Le Temps.

Du reste, la Chine ne souhaite pas déclencher une guerre froide avec les États-Unis, affirme Yan Xuetong, l’un des plus grands experts chinois en relations internationales.

Dans un entretien accordé l’an dernier à la presse offi-cielle chinoise (dont fait état Courrier international), il a déclaré que Pékin craignait deux choses : une nouvelle guerre froide et une confron-tation avec les États-Unis à

propos de Taïwan. Cela dit, la montée en puissance de la Chine est là pour rester, selon l’intellectuel chinois. « L’ordre mondial évolue : les centres de pouvoir ne sont plus uniquement situés en Occident, ils sont de ce fait plus dispersés », souligne-t-il.

Reste à voir comment les États-Unis s’accommoderont de la montée en puissance du géant asiatique. Le dialogue entre les deux pays est la clé pour éviter un conflit, disent les spécialistes.

En revanche, la rivalité politique, économique et militaire persistera entre les deux puissances.

Dans ce contexte, de deux choses l’une : soit elles apprendront à cohabiter et à collaborer sur des enjeux fondamentaux, soit elles se lanceront dans une course à l’armement, comme à l’époque de la guerre froide au 20e siècle. •la

— Zoom sur le monde

L’impact de la montée en puissance de pays depuis 500 ans

Source : Graham Allison, Destined for War : Can America and China Escape Thucydides’s Trap?

Période Puissance dominante Puissance montante Échiquier Résultat

Fin du 15 siècle Portugal Espagne empire mondial pas de guerre

1ère moitié du 16e siècle France Autriche Europe occidentale guerre

16e et 17e siècle Autriche Empire ottoman Europe orientale guerre

1ère moitié du 17e siècle Autriche Suède Europe du Nord guerre

2e moitié du 17e siècle Pays-Bas Angleterre empire mondial guerre

Fin 17e- milieu 18e siècle France Angleterre empire mondial guerre

Fin 18e et début du 19e siècle Angleterre France Europe guerre

Milieu 19e siècle France/Angleterre Russie empire mondial guerre

Milieu 19e siècle France Allemagne Europe guerre

Fin 19e et début 20e siècle Chine/Russie Japon Asie de l’Est guerre

Début 20e siècle Angleterre États-Unis suprématie économique pas de guerre

Début 20e siècle Angleterre/France/Russie Allemagne Monde guerre

Milieu 20e siècle URSS/France/Angleterre Allemagne Europe guerre

Milieu 20e siècle États-Unis Japon Asie-Pacifique guerre

1945-1990 États-Unis URSS Monde pas de guerre

1990-aujourd’hui Angleterre/France Allemagne influence en Europe pas de guerre

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STABILITÉ ET INCERTITUDE DANS LA CHINE DE XI JINPINGPUBLIÉ LE 17/03/2018(mis à jour le 28 juin 2019)

— Clé no 9

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

Le président de la Chine, Xi Jinping, est devenu en mars 2018 le leader chinois le plus puissant depuis Mao Tsé-toung (1893-1976) avec la suppression de la limite des mandats présidentiels. Un geste qui assure une plus grande stabilité à moyen terme, mais qui insuffle une dose massive d’incertitude à long terme, affirment les spécialistes.

Sans surprise, le parlement chinois a voté le 11 mars 2018 en faveur de ce changement constitutionnel (la limitation à deux mandats de 5 ans) par 2 958 voix pour, deux contre et trois abstentions. Xi Jinping, qui amorce son deuxième

mandat, peut donc demeurer président à vie de la deuxième économie mondiale et de LA puissance militaire montante.

Le leader chinois de 64 ans devient non seulement pré-sident à vie, mais il cumule aussi de plus en plus de pou-voirs aux niveaux politique, économique et militaire. Une situation qui inquiète les spécialistes de la Chine tels que Willy Lam, politologue à l’université chinoise de Hong Kong, dans un entretien à l’Agence France-Presse.

« Nous assistons au retour de l’ère de Mao Tsé-toung, lorsqu’une seule personne décidait pour des centaines de millions. Il n’y a pas de contre-pouvoirs. C’est très dangereux, car Xi Jinping

risque de commettre des erreurs parce que personne n’osera s’opposer à lui. »

C’est l’ancien leader chinois Deng Xiaoping – le père de l’ouverture de la Chine com-muniste au capitalisme et au commerce international – qui avait imposé la limite de deux mandats dans la constitution de 1982.

Lui-même une victime des purges de Mao durant la révolution culturelle lancée en 1966, Deng Xiaoping a voulu ainsi éviter un retour à un régime dictatorial de l’ère du fondateur de la Chine communiste.

De plus, cette limite de deux mandats permettait un renou-vellement de l’élite dirigeante chinoise, avec un changement de garde à tous les dix ans. Ainsi, avant Xi Jinping, Jiang Zemin et Hu Jintao avaient notamment dirigé la Chine.

Pourquoi Xi veut-il être président à vie ?Plusieurs facteurs expliquent pourquoi Xi Jinping a voulu faire sauter la limite des deux mandats présidentiels, selon les spécialistes de la Chine.

Il veut d’abord avoir les cou-dées franches et tout le temps nécessaire pour mener à terme les réformes qu’il a amorcées

dans son premier mandat, selon la firme américaine d’analyse du risque politique Eurasia Group.

Le président a quatre priori-tés : la stabilisation du système financier chinois, la réduction de la pauvreté, la protection de l’environnement et le déve-loppement des industries de haute technologie.

Ces réformes sont amorcées dans un contexte où la crois-sance économique chinoise a ralenti ces dernières années.

Sur le plan politique, Xi Jinping veut aussi pour-suivre sa politique étrangère afin que la Chine reprenne sa place au sommet en Asie et dans le monde. Or, une telle stratégie prend beau-coup de temps, bien au-delà de deux mandats de 10 ans, soulignent les analystes.

Cette stratégie passe prin-cipalement par le déploie-ment de la marine chinoise en Asie-Pacifique, et par la construction de bases mili-taires à l’étranger – la pre-mière a été inaugurée dans la corne de l’Afrique, à Djibouti, en 2017.

Enfin, en devenant président à vie, le président Xi veut sans doute aussi garantir sa propre sécurité, estime Lun Zhang, un spécialiste de la Chine.P

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« La campagne de lutte anticorruption extrêmement violente qu’il a menée pour éli-miner ses adversaires l’a placé dans une situation très dange-reuse. Supprimer la limite des mandats est par conséquent une garantie institutionnelle pour sa survie politique et phy-sique », écrit-il dans une tribune publiée dans Le Monde.

Stabilité et incertitudeQuelles seront les consé-quences de la fin de la limite des deux mandats présiden-tiels sur la Chine ?

À court terme, il n’y aura pas de changement, car Xi Jinping amorce ces jours-ci son deuxième mandat de cinq ans qui se termine en 2023. À moyen terme, la politique chinoise sera plus prévisible, font valoir certains analystes.

Le président poursuivra ses réformes économiques, qui visent notamment à dévelop-per un marché intérieur. Il veut aussi faire de la Chine à terme une puissance manu-facturière de qualité comme l’Allemagne et les États-Unis avec la politique du Made in China 2025.

Xi Jinping pourra aussi poursuivre la lutte à la cor-ruption en Chine (qui est aussi, dans le même temps, une lutte contre ses oppo-sants politiques).

Aussi, ceux qui avaient pensé s’en tirer en gardant un profil bas d’ici 2023 devront déchanter : la lutte anticorrup-tion pourrait durer très long-temps, voire des décennies.

À long terme, la fin de la limite des mandats présiden-tiels crée beaucoup d’incer-

titude. Et les raisons sont nombreuses, selon les spécialistes.

Qui succédera à Xi Jinping s’il décide un jour de céder volontairement le pouvoir ou s’il décède ? C’est la grande inconnue. L’ancien système aboli le 11 mars permettait justement de planifier cette transition à partir de la fin du premier mandat d’un président chinois.

La fin de la limite des deux mandats enlève aussi la « valve de pression poli-tique » qui garantissait une certaine stabilité à long terme en Chine, souligne la chaîne CNN.

Dans l’ancien système, les factions au sein du parti communiste chinois (PCC) qui n’étaient pas au pouvoir pouvaient prendre leur mal en patience et attendre un changement de garde tous les 10 ans. Aujourd’hui, ces factions seront écartées du pouvoir pour très longtemps.

Ce qui crée un nouveau risque politique en Chine : le renversement violent de la faction au pouvoir par une autre faction au sein du PCC. Et le président Xi en est certainement conscient. Par conséquent, la répres-sion politique en Chine pourrait s’accentuer.

Enfin, la fin de la limite des mandats présidentiels crée un risque géopolitique ma-jeur, dont il est très difficile d’évaluer aujourd’hui l’am-pleur, disent les analystes.

Xi Jinping deviendra de plus en plus puissant et incontesté dans les prochaines années. Or, dans ce contexte, personne n’osera remettre en question ses décisions ou ses orienta-tions politiques si elles s’avèrent désastreuses pour la Chine, l’ Asie-Pacifique et le reste du monde. •la

— Zoom sur le monde

Mao Tsé-toung (fondateur de la

Chine communiste)

Hua Guofeng (premier ministre)

Zhou Enlai (premier ministre)

Deng Xiaoping (père des réformes

économiques)

Jiang Zemin (secrétaire

général)Hu Jintao (secrétaire

général)

Zhao Ziyang (secrétaire général)

Xi Jinping (secrétaire général)

Hu Yaobang (secrétaire

général)

Qui succédera à Xi Jinping s’il décide un jour de céder volontairement le pouvoir ou s’il décède ? C’est la grande inconnue.

La chronologie du leadership chinois depuis la création de la Chine communiste

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LA CHINE COMMENCE À « MANQUER DE BRAS »PUBLIÉ LE 24/02/2018(mis à jour le 28 juin 2019)

— Clé no 10

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ANALYSE GÉOPOLITIQUE —

Il n’y a pas qu’au Québec que la pénurie de main-d’œuvre commence à miner l’économie. La Chine – le pays le plus populeux de la planète – commence elle aussi à « manquer de bras ». Et cette situation a et aura un impact sur le rythme de croissance de la deuxième économie mondiale.

Comme dans plusieurs pays développés, la population ac-tive en Chine (les gens âgés de 16 à 59 ans) diminue, en l’oc-currence depuis 2012. Et elle pourrait fondre de 23 % d’ici 2050, rapporte le magazine britannique The Economist.

Actuellement, la population active de la Chine représente les deux tiers de la population totale du pays. Or, en 2050,

elle pourrait représenter moins de 55 %, comme le montre cette projection (voir page suivante) comparée à l’Inde de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Il va sans dire que cette situation a un impact sur la croissance économique.

Pourquoi ? Parce que la pro-gression du PIB dans une éco-nomie tient à deux facteurs, la croissance démographique et les gains de productivité, disent les économistes.

Or, quand l’un de ces deux éléments s’affaiblit (voire les deux), la croissance ralentit dans une économie. La Chine, elle, est doublement touchée : sa population active diminue, tout comme sa productivité.

En 2015, la productivité du travail en Chine a progressé de 3,7 %, selon le Conference

Board. C’est beaucoup moins que la progression moyenne observée de 8,1 % par année entre 2007 et 2013.

Résultat ? Le rythme de croissance économique de la Chine a ralenti, même s’il affiche un taux largement supérieur à la plupart des pays dans le monde.

En 2017, le PIB chinois a progressé de 6,8 %, puis de 6,6 % en 2018, selon le Fonds monétaire international (FMI). Il devrait s’établir à 6,3 %, en 2019.

Un autre facteur mine à très long terme le potentiel de croissance économique de la Chine : le déclin de l’en-semble de la population.

Ce phénomène n’a pas encore commencé, mais il débutera dans les prochaines années, disent les spécia-listes. Ce graphique (voir page suivante) publié par le site indien StatisticsTimes.com montre bien la progres-sion anticipée des popula-tions de la Chine et de l’Inde.

Quel sera l’impact sur la Chine ?Le déclin de la population active en Chine et celui de l’ensemble de sa population pourrait faire vivre à terme au pays un scénario à la japonaise, estiment plusieurs spécialistes.

Depuis quelques décennies, le Japon connaît une diminu-tion de sa population active et de l’ensemble de sa popu-lation. En 2017 seulement, la population du pays a fondu de 403 000 habitants, selon le Financial Times de Londres.

Résultat ? Depuis les années 1990, le Japon pâtit d’une stagnation économique. Et la Banque du Japon peine tou-jours à vaincre la déflation, une baisse générale des prix, incluant l’immobilier.

En Chine, la diminution de la population active pourrait non seulement « entraver l’économie du pays », mais aussi « la stabilité sociale » à long terme, selon le site chinois China.org.cn.

Une main-d’œuvre plus âgée pourrait rendre la Chine moins innovante que des pays comme les États-Unis où la main-d’oeuvre est plus jeune, rapporte The Economist.

Comment investir en ChineLa diminution de la popu-lation active en Chine pose tout un défi aux investisseurs qui sont déjà exposés ou qui souhaitent s’exposer au mar-ché chinois. Dans ce contexte, comment investir en Chine ?

Nous avons posé la question à Richard Farrell, gestion-P

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naire de portefeuille, marchés émergents, chez RBC Gestion mondiale d’actifs, à Londres.

« Compte tenu de la démo-graphie vieillissante de la Chine, l’automatisation est l’un des thèmes d’investisse-ment que nous envisageons dans notre portefeuille », affirme le portefeuilliste.

Selon lui, la diminution de la population en âge de travailler est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’inflation des coûts de la main-d’œuvre est restée stable en Chine, malgré le ralentissement de la crois-sance économique du pays.

Richard Farrell estime que le présent contexte (une hausse des coûts de la main-d’œuvre et une baisse des coûts du matériel d’auto-matisation) fait en sorte qu’il est plus « économique » pour les entreprises chinoises d’automatiser leurs procédés.

« Ceci est un puissant moteur pour la demande de robots industriels en Chine », dit-il. Du reste, cette ten-dance a déjà commencé de-puis quelques années dans le monde et en Chine, souligne le gestionnaire de RBC.

De 2010 à 2017, les ventes de robots sont passées de

121 000 à environ 346 000, selon la Fédération inter-nationale de la robotique, établie en Allemagne. « La Chine était de loin le plus grand marché représentant 35 % de la demande mon-diale, et nous prévoyons que ce chiffre atteindra 50 % des ventes mondiales d’ici 2020 », dit Richard Farrell.

C’est pourquoi, à ses yeux, les entreprises chinoises spécialisées dans les pro-cessus d’automatisation « représentent un ensemble d’occasions attrayantes pour les investisseurs qui peuvent identifier les gagnants à long terme dans cette industrie ».

Même si la Chine est un pays de 1,4 milliard d’habi-tants, le géant asiatique commence à manquer de main-d’œuvre. La situation ne manque pas d’ironie.

Les estimations des ana-lystes de Bank of America Merrill Lynch illustrent bien toute l’ampleur de cette pro-blématique en Chine.

Ainsi, la population active pourrait fondre de 212 millions d’ici 2050, soit l’équivalent de la population du Brésil.

Cette situation est exa-cerbée par la politique de l’enfant unique, qui a été en vigueur de 1979 à 2015.

Et, malgré la fin de cette politique, cette tendance démographique (baisse de la population active et baisse à terme de l’ensemble de la population) ne devrait pas changer dans les prochaines années, disent les spécialistes.

Par conséquent, la crois-sance économique de la Chine continuera de décélé-rer. Les occasions d’affaires et d’investissement resteront toutefois nombreuses.

En revanche, elles seront peut-être différentes et dans de nouveaux secteurs. •la

— Zoom sur le monde

Croissance annuelle du PIB réel en Chine

Sources : Trading Economics, National Bureau of Statistics of China

Population en âge de travaillerPopulation en âge de travailler

% d

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pop

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Source : ONU, scénario moyen

Inde Chine

« L’automa-tisation est l’un des thèmes d’investisse- ment que nous envisageons dans notre portefeuille. »

– Richard Farrell, gestionnaire de portefeuille, RBC Gestion mondiale d’actifs

La population de l’Inde et de la Chine

Pop

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IndeChine1 800 000 000

1 600 000 000

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Source : StatisticsTimes.com

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— Crédits

Auteur : François Normand / Rédactrice en chef : Marine Thomas / Révision : Thérèse Le Chevalier / Mise en page : Charles DesGroseilliers, Marie-Pier Frappier, Louis-Philippe Larocque, Marie-Annick Pelletier / Marketing : Esther Riendeau, Emilie Mueller