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© Casemate 2014. Tous droits de reproduction interdits. Supplément gratuit • Casemate 75, novembre 2014. François SCHUITEN

François SCHUITEN - Casemate · toire par un survol de la tour Eiffel, c’est d’un classique… François Schuiten : Effectivement, c’est l’icône des icônes à un niveau

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Page 1: François SCHUITEN - Casemate · toire par un survol de la tour Eiffel, c’est d’un classique… François Schuiten : Effectivement, c’est l’icône des icônes à un niveau

© Casemate 2014. Tous droits de reproduction interdits.

Supplément gratuit • Casemate 75, novembre 2014.

FrançoisSCHUITEN

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Commencer votre his-toire par un survol dela tour Eiffel, c’est d’unclassique…

François Schuiten : Effectivement,c’est l’icône des icônes à un niveaupresque insupportable. Du coup,nous avions du mal à l’aborder. Heu-reusement, elle ne se résume pas àdes clichés de cartes postales. Cetteséquence d’ouverture fait écho au tra-vail que nous avons effectué avec l’ins-titut « Passion for Innovation » de Das-sault Systèmes pour l’expo duTrocadéro. On découvrira, sur écrangéant, comment la tour et ses alen-tours pourraient se réinventer dans lesiècle futur. Pour l’instant ce qu’on voit de lacapitale dans Revoir Paris n’est pastrès sympathique.Un peu de patience, nous ne faisonsqu’y arriver. Mais il est vrai que notreParis du futur sera très contrasté. Nousdécouvrirons dans le second tome deschoses très étonnantes, très belles, etd’autres pas à la hauteur de ce qu’onpourrait attendre. C’est normal, je croisprofondément que le futur ne sera pasunivoque. Pour l’expo, nous avons ima-giné une planète Paris qu’on voit toutau début du premier tome. Une entitéen soi, avec son atmosphère, son pro-pre équilibre. On plongera dans sonhistoire à travers trois thèmes, Notre-Dame, la tour Eiffel, La Défense. Le visi-teur découvrira la construction de lacathédrale et comment nous l’imagi-nons dans le futur. Je me suis appuyé,

en les prolongeant, sur des travaux anté-rieurs de l’institut « Passion for Innova-tion ». Le visiteur choisira son site et ysera brusquement projeté. On pourraégalement découvrir beaucoup de mesdessins, mes recherches, des planchesde l’album. Dans la réalité, le futur ne s’annoncepas gai gai et le projet du Grand

Paris bien raboté.Raison de plus pour rêver les choses.Les rêves ne coûtent pas cher. Sinon,on se contente de gérer, un verbepéjoratif dans ma bouche. Si on laisseles pouvoirs locaux travailler à la petitesemaine, les visions s’effacent. Nousn’avons pas les moyens de faire leschoses ? C’est donc le moment deles rêver. N’est-ce pas vain ?Bien sûr que non. Je trouve terrible ettriste qu’aujourd’hui personne ne nousdonne envie de demain. Les vision-naires d’hier, Robida, Jules Verne, etc.,

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Interview

Quand la crise économique entraîne la morosité, qui entraîne ledécouragement, qui pousse au repli sur soi et à la nostalgie du passé, le rôle des poètes, des romanciers, des visionnaires n’est-il pas de rêver– c’est gratuit – un monde futur meilleur et plus beau ? C’est la thèse que soutient avec enthousiasme François Schuiten, le complice de Benoît Peeters dans Revoir Paris la BD et Revoir Paris l’expo. Suite de son interview publiée dans Casemate 75, daté novembre.

DR

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Schuiten« Donner envie de demain

à nos ENFANTS »

« Nous n’avons pas les moyens de faire leschoses ? C’est donc le moment de les rêver »

François SCHUITEN

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malgré leurs défauts, leurs aspirationsétonnantes, osaient, donnaient envie.Il me semble que donner envie dedemain à nos enfants est presque uneresponsabilité de citoyen. Pourquoi délaisser un temps le fan-tastique des Cités pour de lascience-fiction ?Pour nous bousculer, Benoît Peeters etmoi, casser certains réflexes de vieuxcouple. Nous voulions prendre desrisques, nous amuser, nous surprendre.C’est excitant, mais risqué. La science-fiction oblige à des hypothèses et vousforce à aller jusqu’au bout de ces hypo-thèses et de leurs conséquences.Casse-gueule…

Revoir Paris est un titre à triple clind’œil, non ?Évidemment, nous jouons sur le verberevoir. Kârinh veut revoir Paris, et nous,dans l’expo du Trocadéro, revoyons,réinventons Paris. Mais quel est votretroisième point ?Revoir Paris est également le titred’une chanson de Trenet.Exact. Il est pour moi la quintessencedu talent français. Son œuvre incroya-

blement talentueuse, pétillante etlégère, traverse le temps avec cettegrâce qu’ont certains poètes. Lesparoles de La Mer rythment d’ailleursles cases de la première planche deBrüsel. Il y a dans les chansons de Tre-net une petite musique, quelque chosequi s’incruste dans votre imaginaire quej’aimerais apporter dans une bandedessinée. J’espère toujours que nospetites histoires laissent une poussièred’imaginaire dans l’esprit des lecteurs.Pour créer, comme Trenet, une sortede jardin extraordinaire ?Oui, dans lequel on se retrouvepresque malgré soi. Il suffit d’un motou deux pour qu’automatiquementremontent une mélodie, un climat, unenostalgie. C’est toute la force des chan-sons. Cela existe aussi pour l’image.Certains objets, certaines choses merappellent tel album d’Hergé ou deFranquin. Leur force est de nous avoirmarqués à un tel point que leurs livres,comme certaines chansons, nousreviennent quand on ne s’y attend pas.Après Bruxelles, dans Brüsel, etRevoir Paris, vous pencherez-voussur d’autres capitales ?Non. Nous avons beaucoup tournéautour de Paris sans réussir à l’intégrerdans les Cités obscures, à part dansquatre récits qui figurent dans la réédi-tion des Murailles de Samaris. Peut-êtreBenoît et moi avions-nous peur de cetteville. Peut-être n’étions-nous pas suffi-samment mûrs pour l’aborder. Et puisle moment de l’affronter est arrivé,comme une évidence. Les histoirescommandent. Il faut que monte le désirdes récits.

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Interview

Revoir Paris #1/2,François Schuiten, Benoît Peeters,Casterman,15 €, 5 novembre.

« J’espère que nos petites histoires laissent unepoussière d’imaginaire dans l’esprit des lecteurs »

François SCHUITEN

Archives François SCHUITENAu bord du vide avec Friedrich, Casemate 50,Le réveil de la dame de fer, Casemate 47,Schuiten source de tant de mots, Casemate 29,etc.

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Le Parys des Cités est-il abandonnéà jamais ?Pourquoi ? Laissez-nous la possibilitéde renouer nos fils entre lui et le vraiParis. Il est si amusant de tourner autourdes choses qui arrivent souvent d’unemanière intuitive. Curieusement, Benoît,biographe brillant et pointilleux, racontenos histoires avec une part d’insou-ciance extrême. Nous ne savons, heu-reusement, pas tout à l’avance. Sinon,où serait le plaisir ?Comment travaillez-vous avec BenoîtPeeters ?On imagine l’histoire ensemble, on ladécoupe ensemble, on la story-boardeensemble. Benoît écrit ensuite les dia-logues et je passe à la réalisation. Maistout reste malléable, chacun peutencore intervenir, réinventer des choses. Je dessine ces planches en grand for-mat, 45 x 60 cm, puis les fais imprimerà ce format. Les couches de crayon,d’acrylique, sur une telle dimension,me permettent de mieux entrer dansl’histoire, de mieux la comprendre. Cetalbum m’a pris deux ans et demi. J’es-père que le suivant ne me prendra quedeux ans.À temps complet ?Non, bien sûr, mais à 70 % tout demême ! Le reste est consacré à l’expodu Trocadéro, au musée du train et àcertains travaux annexes. L’année a ététrès chargée. D’autant que j’ai tenu àassister à l’impression de Revoir Paris.Durant trois jours, j’ai suivi, contrôlétoutes les pages. Découvrir ces nou-velles machines est passionnant, voircomment elles impriment, les typesd’encres qu’on utiliseaujourd’hui, observer com-ment réagit le papier enrichitvotre façon de dessiner…Vous intégrez ainsi toute unesérie de dimensions intrinsè-quement liées à votre travail.J’ai également tenu à visiterl’usine qui fabrique le papier.Tous les métiers de l’éditionsont de beaux métiers.On pense souvent que lesfichiers informatiques per-mettent une excellentesauvegarde des planches.Vous pas. Pourquoi ?Les gens imaginent à tortqu’ils sont le sésame parfait.Il suffit pourtant d’aller voirles imprimeurs, de discuteravec eux pour comprendreque tout est en train de chan-

ger, les papiers, les scanners, lesmachines qui impriment. Commentêtre sûr que, demain, on pourra ouvrirles fichiers d’aujourd’hui ? Qu’ils neseront pas corrompus ? Que le formatde 300 DPI correspondra encore à

quelque chose ? Demain, on pourra sans doute aller bienplus loin dans leur définition, entrerdavantage dans les images. Ce qui nesera pas possible avec des fichiers de300 DPI. Donc rien ne vaudra jamais lesoriginaux sur papier, bien conservés.On a vécu la même illusion avec l’ap-parition des films. Je me souviens deFranquin disant, comme bien d’autres,qu’on pouvait perdre ou vendre sesplanches puisqu’elles étaient immor-

talisées sur films. Quand onrappelle cela aux imprimeurs,ils rigolent.Le musée du train, c’estpour quand ?Mai 2015 à Schaerbeek, enBelgique. J’y travaille depuishuit ans (voir Casemate 47). Unprojet très important pour moi.Le bâtiment, plus de 7 000 m2,est presque terminé. Onconstruit la voie qui va y ame-ner les locomotives. Certainessont déjà arrivées à Bruxelles.

Propos recueillis par Jean-Pierre FUÉRI

Revoir Paris • Paris (XVIe), du 20 novembre au 9 mars, Originaux de Schuiten et Peeters.Cité de l’Architecture et du Patri-moine, 1, place du Trocadéro,citechaillot.fr

III

Interview

« Le musée du train ouvrira en mai sur 7 000 m2.J’y travaille depuis huit ans. Les locos arrivent… »

François SCHUITEN

Illus

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