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Acta Ethnographica Hungarica, 53 (/), pp. /23-20/ (2008) DOl: 10./556/AEtlm.53.2008./.7 COMMUNICATIONS FRANÇOIS-XAVIER EDER: MISSIONS JÉSUITES AU I8 e SIÈCLE EN AMAZONIE ACTUELLEMENT BOLIVIENNE (SEPTIÈME ARTICLE) : FAUNE (SUITE ET FIN), POISONS ET ANTIDOTE, ARMES DE CHASSE ET DE PÊCHE DES INDIENS TRANSCRIPTION ET TRADUCTION PAR Joseph LAURE 150 rue Jean-Jaurès, E3-F93470 Coubron, France email: [email protected] Abstract: Fauna (fast part), poisons and antidote, arms used by lndians for hunting andfishing. This article is a transcript and French translation of the last four chapters (7 to (0) of Book 2 of the Latin manuscript by the Jesuit F. X. Eder on the missions or reductions in the Amerindian nations of the Moxos and Baures. It is the continuation of the first six articles on the Jesuit missions in the now-Bolivion AmaZOIIbasin in the /8th century, entitled: 1. Lima, Peru, and their inhabitants in the I Sth century. 2. Jesuit missions in the now-Bolivian AlIlazon basin in the /8th century. 3. Quality of the soil and description of the lndians. 4. Constructive works, beliefs and superstitions (d' the lndians, and how to convince them to join a reduction. 5. Trees, fruits, plants and mammals. 6. Birds, hunting, crocodiles, dolphins.fishes and fishing. Keywords: Amazon basin, Amerind, Arms. Baure, Bolivia, Fauna, Fishing, Hunting, Jesuit missions. Moxa, Reductions Voicile septième article sur les Missionsjésuites au 18" siècle en Amazonieactuellement bolivienne. II concerne les quatre derniers chapitres (7 à 10) du Livre second'. Eder y décrit des serpents, des insectes, des chauves-souris, des batraciens, des araignées, des scorpions et des vers. Puis il présente les poisons et les armes utilisés par les Indiens pour la chasse, la pêche et contre les personnes. Il parle aussi d'un antidote provenant d'un crocodile. Le premier article', intitulé Lima, le Pérou et leurs habitants au 18" siècle, présentait l'introduction (Dissertation préliminaire sur le royaume du Pérou) de la Brève description des missions de la Société de Jésus de la Province du Pérou dite des Moxos par un Père jésuite qui y fut missionnaire pendant quinze ans, à savoir F. X. EDER. 1 Lui-même suivi du Livre troisième. 2 Acta Ethnographica Hungarica, 48 (1-2), pp. 173-247 (2003). /2/6-9803/$ 20.00@ 2008 Akadémiai taaao. Budapest

François-Xavier Eder : missions jésuites au 18è siècle en

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Page 1: François-Xavier Eder : missions jésuites au 18è siècle en

Acta Ethnographica Hungarica, 53 (/), pp. /23-20/ (2008)DOl: 10./556/AEtlm.53.2008./.7

COMMUNICATIONS

FRANÇOIS-XAVIER EDER:MISSIONS JÉSUITES AU I8 e SIÈCLE EN AMAZONIE

ACTUELLEMENT BOLIVIENNE(SEPTIÈME ARTICLE) :

FAUNE (SUITE ET FIN), POISONS ET ANTIDOTE, ARMESDE CHASSE ET DE PÊCHE DES INDIENS

TRANSCRIPTION ET TRADUCTION PAR

Joseph LAURE

150 rue Jean-Jaurès, E3-F93470 Coubron, Franceemail: [email protected]

Abstract: Fauna (fast part), poisons and antidote, arms used by lndians for hunting andfishing. Thisarticle is a transcript and French translation of the last four chapters (7 to (0) of Book 2 of the Latinmanuscript by the Jesuit F. X. Eder on the missions or reductions in the Amerindian nations of the Moxos andBaures. It is the continuation of the first six articles on the Jesuit missions in the now-Bolivion AmaZOIIbasinin the /8th century, entitled:

1. Lima, Peru, and their inhabitants in the I Sth century.2. Jesuit missions in the now-Bolivian AlIlazon basin in the /8th century.3. Quality of the soil and description of the lndians.4. Constructive works, beliefs and superstitions (d' the lndians, and how to convince them to join a

reduction.5. Trees, fruits, plants and mammals.6. Birds, hunting, crocodiles, dolphins.fishes and fishing.Keywords: Amazon basin, Amerind, Arms. Baure, Bolivia, Fauna, Fishing, Hunting, Jesuit missions.

Moxa, Reductions

Voicile septième article sur les Missionsjésuites au 18"siècle en Amazonie actuellementbolivienne. II concerne les quatre derniers chapitres (7 à 10) du Livre second'. Eder y décritdes serpents, des insectes, des chauves-souris, des batraciens, des araignées, des scorpions etdes vers. Puis il présente les poisons et les armes utilisés par les Indiens pour la chasse, lapêche et contre les personnes. Il parle aussi d'un antidote provenant d'un crocodile.

Le premier article', intitulé Lima, le Pérou et leurs habitants au 18" siècle, présentaitl'introduction (Dissertation préliminaire sur le royaume du Pérou) de la Brève descriptiondes missions de la Société de Jésus de la Province du Pérou dite des Moxos par un Pèrejésuite qui y fut missionnaire pendant quinze ans, à savoir F. X. EDER.

1 Lui-même suivi du Livre troisième.2 Acta Ethnographica Hungarica, 48 (1-2), pp. 173-247 (2003).

/2/6-9803/$ 20.00@ 2008 Akadémiai taaao. Budapest

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124 Joseph LAUHE

Nid de guêpes dans un arbre cl' Amazonie bolivienne il Sali }o{/qll;n (Béni) :cliché de Joseph LAURE, 8 juillet 2002

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Missiolls jisl/iles d'AII/azonie bolivienlle 125

Huanyam tirant à la sarbacane (d'une n'Ilion indienne vivanl au nord du rio Guaporé ou Ilénez). cliché de 1914de Erland Nordenskitild (Nordenskitild. 2001, lamina 58, p. 293)

_______._JIndien ulilisanl un propulseur (Mak6, 1791, figure 4)

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126 Joseph LAURE

H~bitation d'un vill~ge moxo, S(//I/a Rila près de Sali Igllacio dl' Moxos (Béni) : cliché de Joseph LA URE, 1985

Le second arlicle\ intitulé Réductions /1/0XOS et haures: missions jésuites d'Amazoniebolivienne, concernait les cinq premiers chapitres du Livre premier.

Le troisième arlicle4, intitulé Fertililé de la terre et description des Indiens, se rapportait

aux chapitres 6 à 8 de ce même Livre premier.

Le quatrième article" intitulé Ouvrages d'art, croyances et superstitions des Indiens, elcomment les attirer dans les réductions, traitait les derniers chapitres (9 à 12) du Livrepremier.

Le cinquième articlé, intitulé Arhres,jruits, plantes et mammifères concernait les deuxpremiers chapitres (1 et 2) du Livre second.

Le sixième arlicle7

, intitulé oiseaux, chasse, crocodiles, dauphins, poissons et pêcheprésentait quntre chapitres (3 à 6) du Livre second.

Que le lecteur se réfère aux deux premiers articles pour la présentation du manuscritlatin de F. X. EDER, pour la bibliographie générale et pour la présentation des réductions,missions jésuites auprès des Indiens d'Amazonie actuellemenl bolivienne, ainsi que pour lesremerciements. Yves Marguerat a relu la traduction de cet arlic le et des suivants. Qu'il en soitremercié.

, Acta Ethnographica Hungorica. 49 (3-4). pp. 381-439 (2004).4 Acta Ethnogwphica Hungarica. 50 (1-3). pp. 259-32' (2005).'Acla Elhnographica Hungarica. 51 (1-2). pp. 123-201 (2006).(, Acta Elhnographica Hungarica. 51 (3-4), pp. 357-455 (2006).7 Acta Elhnographica Hungarica. 52 (2), pp. 363-453 (2007).

Page 5: François-Xavier Eder : missions jésuites au 18è siècle en

Missions jésuites d'Ali/llwnie ho/il'iel1ne J27

Porche d'une église restaurée d'ulle mission jésuite, SOli X(Jvier (CIJiqu;wll(o, Santa Cruz) : cliché de JosephLAURE, 21 octobre 2000

Page 6: François-Xavier Eder : missions jésuites au 18è siècle en

128 Joseph LAURE

La suite de la transcription du texte latin et sa traduction en français seront publiées aufur et à mesure dans cette revue.

Pour le lecteur, les indications suivantes permettront une meilleure compréhension de latranscription:

? = doute sur la lettre ou le mot du manuscrit (? accolé juste après la lettre ou le motdouteux),

... =partie indéchiffrable,

(ajouté) = ajouté parce qu'illisible ou manquant,

[à supprimer] = lettres ou mot du manuscrit original à supprimer, par exemple en cas defaute d'orthographe ou de grammaire,

m- est transcrit par mm, il - par nn et p- par pp,

numéro du cahier (numéroté dans le manuscrit) (ici cahier 24) - numéro de page (nonindiqué dans le manuscrit) du cahier de huit pages chacun (ici page 1) et

numérotation des paragraphes (non indiquée dans le manuscrit) identique à celle de notretraduction en français, suivant en cela la numérotation de la traduction espagnole de Josep M.Barnadas (1985) jusqu'au numéro 147. Par la suite, notre numérotation continue alors queBarnadas ne donne pas de numéro à certains paragraphes, d'où un décalage entre nos deuxnumérotations.

BIBLIOGRAPHIE ADDITIONNELLE CONCERNANT CES CHAPITRES

ANSON. George1749: Voyage autour du Monde, fait dans les années MDCCXL, [, II, III, IV. Traduit de l'anglais par Élie de

Joncourt. Amsterdam et Leipzig, Arkstee & Merkus, XVI pp., 333 p., 34 vues, cartes et plans dépliantshors-texte.

BARNADAS, Josep Maria (traduit et édité par)1985: Francisco Javier EDER SJ: Breve descripcion de las reducciones de Mojos. Historia bolil'iana.

Cochabamba, CIV p.. 424 p.. 22 fig.BARRET, Jacques (sous la direction de)

2001: Atlas illustré de la Guyane. Laboratoire de Cartographie de la Guyane, Institut d'EnseignementSupérieur de Guyane. Presses de Centre Impression, Limoges (France), 215 p.

HOLMBERG, Allan R.1978: N6madas dei arco largo. Los Sirion6 dei Oriente Boliviano. [nstituto [ndigenista [nteramericano,

México, XII p., 249 p.MAGGlo,A.

1880: Arte de la lengua de los indios Baures, de [a provincia de los Moxos. Éditeurs L. ADAM et C.LECLERC, Paris, II[ p., 118 p.

MAKO, PÜ[1791: Descriptio Provinciae Moxitarum in Regno Peruano, quam e scriptis posthumis Franc. Xav. EDER e

Soc. Jesu annis XV. Sacri apud eosdem Curionis digessit, expolivit, & adnotatiunculis illustravit Abb. &Consil. Reg. MAKo. Budae (Budapest), Typis Universitatis, XVIII p., 393 p., 9 fig .. 1 carte.

Page 7: François-Xavier Eder : missions jésuites au 18è siècle en

Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 129

NORDENSKIOLD, Erland1924; Forschungen und Abenteuer in Südamerica. Strecker un Schroder Verlag, Stuttgart.

Traduction en espagnol par Gudrun BIRK et Angel E. GARCiA;2001; Exploraciones y aventuras en Sudamérica. Apoyo Para el Campesino -Indfgena dei Oriente Boliviano

(APCOB), La Paz (Bolivia), 441 p.NORMAND, P., Pierre AUBRY, P. Gouzien

1981; La myiase furonculoïde sud-américaine. À propos d'une observation. Mel!. Tmp., 1981,41,219-222.OCAMPO, M. Eduardo

1982; Wanda HANKE en la etnograffa boliviana. 1952-1956. Editorial Juventud, La Paz (Bolivia), 150 p.ORBIGNY, Alcide Dessalines d'

1947; El hombre americano. Editorial Futuro, Buenos-Aires, 423 p., annexes.PLAZA MARTINEZ, Pedro, Juan Carvajal Carvajal

1985; Etnias y lenguas de Bolivia. Instituto Boliviano de Cultura, La Paz, 228 p.

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130

(24-1 )

Joseph LAURE

Caput VII.De Serpentibus, et Viperis.

463. Serpentum copia, et Viperarum.Nescio, qua potissimum ratione Lectori ideam aliquam copiœ serpentum,

24-2ac Viperarum ob oculos ponam, quam si breviter dicam, nullum locum reperiri, qui ab [y](ij)simmunis esset. Sive enim campos obambules, sive silvas, sive foris, sive domi, ubiquehospites eos invenies, prœcipue vero eluvionum tempore, quo è campis fugere coguntur.Nemo Patrum noctu sine lucema, aut quod ad rem idem facit, sine Indo prœcedente secureincedit: à plaga enim horum animalium nullus domus angulus, nullum cubiculum estexemptum. Nulla plo]ene dies prœterit, qua non ranas c1amantes hinc inde audias, quasVipera aliqua, aut Serpens apprehensas devorat. Ut proinde sœpe miratus sim Numinisprovidentiam, quod inter tot venenosissima animalia plures quotannis homines nonperimantur. Negabat olim S[.](anctus) Augustinus homines sub JEquatore ob nimium œstumhabitare posse: at si Regio illa tot animalibus ferocibus, venenosis, molestis, ac summoperenocivis referta eidem ex! ]hiberi in imagine potuisset, idem iudicium maiori veritatis specieprotulisset.

464. Camiti.Primus inter serpentes sit ille, quem Tndi Camiti vocant. Lacunas plerumque inhabitant,

et inde, saltem longius non facile discedunt. Color pellis supeme fuscus, in ventre al bus. Nonest venenosus: verum venenum supplent vires, et dentes acuti non minus, ac solidi, etcopiosi. Currit velociter, et hominem quemlibet cursu assequetur. Longitudo, et crassitudodiversa. Octo, et plus ulnarum ipse non paucos vidi, qui crasssitudine hominem beneob[œ](e)sum ad minus œquabant. Habet circa finem caudœ uncum quatuor, aut quinquepollicum, osseum, digito auriculari hominis parem.

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Missiollsjésuites d'Amazonie bolivienne

Chapitre 7: Des serpents l

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463. Quantité de serpents venimeux ou nonJe ne sais pas comment mieux montrer au lecteur l'abondance de serpents, venimeux ou

non, qu'en lui disant tout simplement qu'on en trouve absolument partout. En effet, que tuailles en savane, en forêt, sur les places, dans ta maison, partout tu trouveras de ces hôtes,surtout en saison des pluies, pendant laquelle ils sont forcés de quitter les savanes inondées.De nuit, par sécurité, aucun Père ne sort sans lanterne ou, ce qui revient au même, sans unIndien qui marche devant lui, car de la menace de ces reptiles aucune pièce ni aucun recoindes habitations ne sont exempts. Presque tous les jours, tu entends ça et là pousser des crisdes grenouilles que des serpents, venimeux ou non, ont attrapées et avalent. Aussi ai-jesouvent admiré la Providence divine, car, bien que vivant parmi tant d'animaux trèsdangereux, il ne meurt chaque année que peu de gens. Jadis saintAugustin2 affirmait que leshommes ne pouvaient pas vivre au sud de l'équateur à cause de la chaleur excessive. Et s'ilavait pu s'imaginer cette région pleine d'autant d'animaux féroces, venimeux, désagréableset extrêmement dangereux, c'est avec encore plus de pertinence qu'il aurait émis le mêmejugement.

464, L'anaconda] ou camitiQue le premier de tous les serpents soit le fameux boa appelé par les Indiens camiti4 ! Il

vit en général dans les lacs et ne s'en éloigne pas volontiers bien loin. Sa peau est brune surle dos et blanche sur le ventre. Il n'est pas venimeux, mais sa force et ses nombreuses dents,tranchantes et robustes, remplacent bien le venin, Il se déplace très vite et peut rattrapern'importe quel humain qui court. Il y a des anacondas de différentes longueur et grosseur.J'en ai personnellement vu beaucoup, longs de huit aunes5 ou plus (dépassant 9,5 mètres) etd'une grosseur au moins égale au tour de taille d'un homme obèse. L'anaconda possède aubout de sa queue un ergot osseux long de quatre ou cinq doigts6 (7 à 9 centimètres),semblable à l'auriculaire d'un homme?

1 Littéralement: Des serpents (sous-entendu non venimeux) et des vipères (c'est-à-dire des serpentsvenimeux).

2 Romain de Numidie (Algérie), né en 354 à Tagaste (Souk-Ahras) et mort en 430 à Hippone (Annaba) dont ilétait l'évêque.

J Eder semble bien parler du plus grand des boas d'Amérique, à savoir l'anaconda (Eunectes II1UriIlUS) de lafamille des boidlle.

4 D'après Maggio (1880, p. 112) l'Omiti signifie boa en baure (cité par Barnadas, 1985, p. 237, note 2).5 Une aune équivaut à 1,188 mètre.6 Un doigt équivaut à 1,74 centimètre.7 Surla plaque anale, les boas possèdent de part et d'autre de l'anus des ergots cornés, vestiges des fémurs. Ces

ergots sont plus développés chez le mâle que chez la femelle.

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132 Joseph LAURE

465. Ouomodo pnedatur?Cum vero animal aliquod capere intendit, dictum uncum corpori eius infigit, tum circumdattotum, ac stringit: mutat iterum uncum, arctiusque, ac maioribus viribus stringit, usque dumequo, cervo, aut vaccre omnia ossa confringat, ac in minutissimas partes commoliat. Occisumhac ratione animal saliva sua, velut quodam smigmate perangit, ac sic unctum sensim,integrum tamen, et non per frusta deglutit. Canem siti restuantem, et in lacuna me prresentebibentem minor, qui vix trium ulnarum erat, apprehendit, et momento compressit adeo, ut vixnoscerem canem tantre longitudinis: et cum piura media tentassent Indi, qui bus canemliberarent, omnia incassum abierant, donec audacior unus cultro eius pellem dissecuisset, quarupta caro etiam rumpi coepit, quoties vires exerere intentabat: repetitis demum incisionibuscoactus canem semimortuum di misi t, ipse emortuus.

24-3Solet srepe, cum Indos prope lacunam aliguam piscantes in arbore conspicit, arborem

ipsam ducto ipso carpare circulo circumdare, Indum, cum descenderit, prehensurus. Quarenosse oportet loca illa, qure ipsi plerumgue inhabitant, eaque aut vitare, aut cum socijs, quipericlitanti opem ferre possint, adire.

466. Naviculas mergit.Quam vero periculosum sit navicula per infestas his serpentibus lacunas vehi, experientiasrepe docuit. SoIent enim eas insequi, et iniecta cauda iam hominem aliquem evellere, iamnavim totam circumdare, et secum in fundum mergere. Vidi in certa Missione Iuvenem,quem in littore lacus piscantem aggressus, et fugientem secutus est. Cumque iam sibiproximum videret, arborem miser deprehendit tantillum cavam, cui proinde aptare poteratcorpus integrum. Vix eo se velut abdidit, quando serpens arborem cinxit, ratus se hominemprehendisse. Stringebat interea arborem, et identidem uncum mutabat. Venit oportune inmentem misero Iuveni cuIter, quem secum ferebat, et cum tympani instar extensuminimicum, arborem ultimis viribus stringentem adverteret, ipse guoque cultro pellem, etcamem ipsius secuit, ut avulsus ab arbore deciderit, quidem simul tamen prre rabie Iuveniuno morsu medium tergus abstlilerit, à quo vllinere tamen feliciter convaillit. serpente adpedem arboris emortllo. Reperiuntur passim in rip[p]is lacunarum, alij iacentes, alij vero incirculos compositi, ita ut circulus circulo incumbat, ut proinde columnis cinctum lacum àlonge credas. Plures Indi sunt, qui eum sapidissime edunt. Ab his narrari audivi, quod halituaves, hominem, et qurelibet animalia attrahat, atque proinde opus esse, ut interiectum aeremalter aliquis baculo findat, si hominem, vel attractum animalliberare velit. Memini me in non

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MissiO/lsjésuites d'Amazonie bolivienne 133

465. Façon de chasser de l'anacondaQuand l'anaconda essaie d'attraper un animal, il lui enfonce dans le corps ses fameux

ergots, puis l'entoure complètement et le serre; ensuite il déplace ses ergots et avec plus deforce encore il serre jusqu'à rompre tous les os du cheval, du cerf ou de la vache et à lesréduire en tout petits morceaux, Après avoir tué de cette manière l'animal, il l'enduitcomplètement de sali ve, comme d'une marque d'infamie, et après l'avoir recouvert de bave,insensiblement il l'avale tout entier et non pas par morceau. Une fois, un petit anaconda d'àpeine trois aunes (3,5 mètres) attrapa un chien assoiffé qui devant moi buvait dans un marais.En un instant il le comprima si fort que, vu sa longueur, c'est à peine si je pouvaisreconnaître que c'était un chien. Alors par plusieurs moyens les Indiens tentèrent de libérer lechien, mais toujours en vain, jusqu'au moment où l'un d'eux, plus hardi, trancha la peau duserpent avec son couteau; celle-ci coupée, la chair se rompait un peu plus chaque fois que leboa essayait de serrer plus fort. Enfin, sous les coups de couteau répétés, l'anaconda tué dutlâcher le chien moribond.

Quand un anaconda voit des Indiens perchés sur un arbre en train de pêcher dans un petitlac, il arri ve souvent qu'il vienne s'enrouler sur cet arbre, pour attraper un des pêcheurs quidescendrait. C'est pourquoi il faut connaître les endroits où vi vent en général ces boas et soitles éviter, soit y aller avec des compagnons qui peuvent vous porter secours en cas de danger,

466. L'anaconda fait chavirer les piroguesL'expérience a souvent montré qu'il est vraiment très dangereux de naviguer en pirogue

sur les lacs infestés de ces serpents; car ils ont l'habitude de poursuivre les embarcations et,en projetant leur queue, enlèvent un homme ou s'enroulent autour de la pirogue pourl'entraîner au fond. Dans une réduction j'ai vu un anaconda attaquer un jeune qui pêchait aubord d'un lac et le poursuivre quand il a cherché à fuir. Se voyant presque rattrapé, le pauvrejeune homme aperçut un arbre en partie creux dans lequel il put cependant entrer en entier, Àpeine s'y était-t-il caché, que le serpent s'enroula autour de l'arbre, pensant saisir l'homme.En réalité le boa enserrait l'arbre et à plusieurs reprises y planta ses ergots en des endroitsdifférents. Heureusement le pauvre jeune homme pensa au couteau qu'il portait sur lui.Quand il vit son ennemi tendu comme la peau d'un tambour serrer l'arbre, avec ses dernièresforces, à l'aide de son couteau il lui trancha la peau puis lachair, pour que l'anaconda tombeau sol en se détachant de l'arbre. Cependant, avant de s'écrouler mort au pied de l'arbre, leserpent put encore dans sa fureur arracher d'une seule morsure la moitié du dos du jeunehomme qui fort heureusement se remit par la suite de sa blessure, On trouve de toutes partsdes anacondas sur les rives des lacs, les uns étendus, les autres enroulés sur eux-mêmes,empilant leurs circonvolutions les unes sur les autres de telle façon que, de loin, tu croieraisque le lac est entouré de colonnes. Beaucoup d'Indiens mangent avec grand plaisirl'anaconda. J'ai également entendu raconter par les Indiens que ce boa attire par son haleineles oiseaux, l'homme et n'importe quel animal; c'est pourquoi il faut qu'avec un bâtonquelqu'un d'autre fende l'air situé entre le serpent et sa proie, si l'on veut sauver l'homme oul'animal attiré par l'anaconda. Je me souviens d'avoir lu la même chose chez quelquesauteurs. Mais je ne sais pas si ces écrivains en furent témoins et virent ces faits, ou bien s'ilsne rapportaient que ce que d'autres leur avaient raconté. Quant à moi, avec leur permission,

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134 Joseph LAURE

nllllis scriptoriblls idem legisse. Utrum vero ipsi id experti sint, viderintque, an ab alijs relatadescripserint, nescio. Ego quidem et Indis, et plerisque itinerum scriptoribus cum bonaeorundem venia non statim assentior, utrorumque mendacia non raro expertus.

467. Vipera nolularia, sive Atacabuiri.Inter Viperas, quœ frequentiores reperiuntur, primo loco venit, quam Hispani Cascabel,

latine nolulam, sive nollllariam, Indi vero Atacabuiri vocant, derivato nomine à fulmine, ac sidiceret, percussum à fulmine. Pellis aliquantum alba, maculis tamen obscuris non nihildiscreta. Sub cauda habet quasdam velut nolulas, quas viso homine sonat, ut sibi homocavere possit. Nolulœ hœ nihil aliud sllnt, quam tela aliqua subtilis, sicca,

24-4rotunda, magnitudine unius nucis avellanœ, habetque intus velut pisum aliquod recens, quodmota cauda dum in pelliculam impingit, sonum memoratum edit. Aliœ plures, aliœ paucioreshabent. Octodecim in qlladam numeravi. Dicunt quidam eas totidem annorum esse, quotnolulas habent. Quomodo id rescire potuerint, ignoro. Forte non nemo pretiosum hunchospitem domi edllcavit. Maxima, quam vidi, duas circiter ulnas attigerit, et crassitudinepueri brachium. Morsus huius Viperœ, quœ ubique locorum reperitur, est mortiferus, idquetam velociter, ut intra pauca minuta homo, aut animal expiret. Quamprimum dentes infigit,homo pel' nares, oculos, aures, ac varias alias corporis partes san[q](g)uinem e[y](ji)cit, etsensibus, ac intelligendi facultate privatur. Si tamen prompte medicina aliqua ex [y](ij)s, quasibidem proficuas scimus, adhibeatur, vis mali depellitur. Dens C(r)ocod[r]il[l]i tertiœ speciei,olorosi nempe nunquam fefellit, et qui appensum è collo habuit, uti plerique habent, vimveneni aut parum admodllm, aut nihil omnino sensit. Indi, qui continuo oberrant, pIuraexperimenta huius dentis tentarunt, et in diversis occasionibus sibi proficuum experti sunt.Pulveres huius dentis in aqua ordinaria bibit quidam, duplici morsu à Vipera hac lœsus, etconvaluit. Hospitem et ego habui non semel in cubiculo.

468. Vipera biceps.Viperam bicipitem unam duntaxat intra tot annos vidi, ut proinde testari possim eas re

ipsa dari. Vix mediœ ulnœ longitlldinem œquaverit: color sllbniger. Capita vero non iuncta,sed separata erant, ita ut caudœ loco caput aliud habuerit. Occisam à Cato, cum quo à longecolluctantem diu aspexi, reperi. Indi venenosam esse dicunt. Legi pIura in quibusdamLusitanorllm Ch[y](i)rurgorum, qui in Brasilia scripsere, libris, quœ vera esse mihi narravitCoadiutor noster Pharmaceuticœ peritus, qui id se sœpius expertum fuisse testatus est. Dicuntautem Viperam hanc, etiam in pIura frusta scissam, nisi quantocius separentur, iterum coire,eamque sanari. Tentasse viso hoc varios, pulveribus huius Viperœ ad solem siccatis prœcisas

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 135

je ne prends pas pour argent comptant tout ce que rapportent les Indiens ou la plupart leschroniqueurs de voyages, car plusieurs fois j'ai trouvé des fables chez les uns comme chezles autres.

467. Serpent à sonnelles (crotale) ou atacabuiriParmi les serpents venimeux que l'on rencontre le plus fréquemment, se trouve en

premier lieu le crotale ou serpent à sonnellesH, que les Espagnols nomment cascabel (grelot),

c'est-à-dire en latin nolula (clochelle) ou nolularia (à c1ochelle) ; mais les Indiens l'appellentatacabuiri, nom dérivé de l'éclair, comme si l'on disait "frappé par la foudre". La peau ducrotale est en grande partie blanche, avec cependant quelques taches foncées. Sous la queue,il possède comme de petites sonnettes qu'il agite quand il voit un homme, pour que cedernier puisse l'éviter. Ces grelots ne sont rien d'autre que des membranes fines, sèches etrondes, de la grosseur d'une noiselle; ils contiennent à l'intérieur comme un petit pois fraisqui frappe contre la membrane ou étui corné quand le serpent agite sa queue, produisant ainsile son mentionné de crécelle ou de castagnelle. Certains crotales ont beaucoup de ces cônescreux, d'autres peu : j'en ai compté dix-huit sur l'un d'eux. Cel1ains disent que le nombre desonnelles correspond au nombre d'années de l'animal. J'ignore comment ils ont pu le savoir.Peut-être ont-il élevé chez eux cet hôte de marque? Le plus gros crotale que j'ai vu alleignaitenviron deux aunes de longueur (2,4 mètres) et avait la grosseur d'un bras d'enfant. Lamorsure de ce serpent, qui se rencontre partout, est mortelle et fulgurante, tuant en quelquesminutes homme ou bête. Dès qu'un crotale a planté ses dents dans un homme, celui-cicommence à saigner par le nez, les yeux, les oreilles et par di verses autres parties du corps,ainsi qu'à perdre tous ses sens puis connaissance. Cependant, si promptement on a recours àun des remèdes que nous savons efficaces dans ce cas, la force du venin est contrée. Une dentde crocodile de la troisième espèce, de celui qui sent fort9

, ajustement toujours été efficace.Celui qui en porte une à son cou, comme la plupart le font, ne ressent pas du tout ou à peinela force du venin. Les Indiens, qui se déplacent continuellement, en firent souventl'expérience et en plusieurs occasions bénéficièrent personnellement de cette dent.Quelqu'un mordu deux fois par un crotale but de la poudre de celle dent dans de l'eauordinaire et se rétablit. J'ai même eu plusieurs fois cette personne chez moi.

468. Une vipère à deux têtesPendant tant d'années passées là-bas, je n'ai vu qu'une seule vipère bicéphale, aussi

puis-je témoigner qu'un tel serpent existe bien. Il mesurait à peine une demi-aune (moins de60 centimètres) et était de couleur noirâtre. En réalité les deux têtes n'étaient pas jointes maisséparées: ainsi à la place d'une queue il avait une seconde tête. Je l'ai trouvé tué par un chatque j'ai vu lutter logtemps avec lui. Les Indiens disent qu'il est venimeux. J'ai lu beaucoupde choses à son sujet dans des livres de chirurgiens portugais écrits au Brésil, que notre Frèrecoadjuteur, spécialiste en pharmacie, m'affirma être vraies et en avoir été très souventtémoin. On dit aussi que cette vipère même coupée en plusieurs morceaux, si ces derniers ne

" Crotalus durissus.9 Il s'agit du caïman noir (Melanosuchus niger): voir paragraphes 405. 421 et 422.

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136 Joseph LAURE

ense, aut alio armorum genere corporis humani partes aspersas iungere, easque illicocoaluisse, ut vix cicatricis locus adverteretur. Quando Viperam illam à Cato peremptamdeprehendi, nondum hœc legeram; deinde vero in aliam non incidi, ideoque nec confirmare,nec in[ll](-)

24-5(-)ficiari audeo ea, quœ varij se se expertos testantur.

469. Alia elegantissima.Aliud serpentem genus sane iocosum (h)abetur in Missionibus. Longi duarum etiam

ulnarum, digiti auricularis sunt crassitudine. Sed quotquot colores expetere potes, in eoreperies. Nihil veneni, aut malitiœ habet, et dentibus prorsus caret. Turmatim incedunt percampos silentij amantissimi, et strepitus osores. Unde fit, ut si hominem, sive peditem, siveequitem sentiant, omnes accurant velocitate tanta, ut equum, nisi è velocioribus sit,assequantur. Indi tamen ordinarie non fugiunt, sed ut habeant, quod deinde narrent,rideantque, eos accurentes magna animi tranquilitate prœstolantur. Tum eum, qui strepitumconcitavit, invadunt omnes, cingunt, discurrunt à capite ad calcem, intra vestes se seintrudunt, nihiJ [a] denique intactum relinquunt, usque dum fessi iam pari fere velocitate, quavenere, discedunt. Aliœ, quœ innumerœ sive in aquis, sive in campis, aut silvis reperiuntur,cum nihil peculiare habeant, non videntur mihi hic enumerandœ: aquaticœ secundum Indosomni veneno carent. Quœ vero extra aquas degunt, vi veneni aliœ alias superant.

Caput VIII.De Insectis.

§I.De Formicis, Ciniphibus, et Vespertilionibus.

Scio esse hodie quamplurimos, qui toto conatu, ac studio insecta quœrunt, et examinant,quin eorum votis unquam satisfieri possit. His equidem ego compendij gratia svadeo, ut inillas regiones iter arripiant, ubi equidem desiderijs suis indulgere, et quidem non sinemaximo animœ profectu poterunt, dum modo navim, qua devehendi sunt, coempta hinc indeuberi pa[c](t)ien[c](t)ia onerent, quœ quam necessaria ibi vel maxime sit, e mox secuturanarratione patebit. Volupe quidem est singula scrutari: at! longe diversum est, eacopiosissima, pulveris instardiu, noctuque infesta experiri. Pauci forent, qui studio suo tantis

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 137

sont pas séparés sur-le-champ, se ressoude à nouveau et guérit. Ayant vu cela, plusieurspersonnes tentèrent de remettre ensemble des parties du corps humain, coupées par une épéeou par une autre arme, en les saupoudrant avec de la poudre de cette vipère séchée au soleil,et celles-ci se recollèrent aussitôt en laissant à peine une cicatrice. Quand j'ai découvert cettefameuse vipère tuée par un chat,je n'avais pas encore eu connaissance de ces écrits. Et par lasuite je n'ai plus rencontré de serpent bicéphale, aussi je n'ose ni confirmer ni infirmer cedont différentes personnes déclarent avoir été témoins.

469. Autre serpent magnifiqueDans les réductions il y a une espèce de serpent très amusant. Long de deux aunes

(environ 2,40 mètres), il a la grosseur du petit doigt de la main et possède toutes les couleursque tu peux souhaiter lO

• Il n'est ni venimeux ni dangereux et n'a aucune dent. Ces serpentsvivent en bande dans les savanes. Ils aiment beaucoup le silence et ont horreur du bruit.Aussi, s'ils entendent un homme à pied ou à cheval, ils arrivent à une vitesse telle qu'ilspeuvent rattraper un cheval, sauf si ce dernier est extrêmement rapide. Or en général lesIndiens ne s'enfuient pas, mais attendent tranquillement leur venue pour avoir ensuitequelque chose à raconter pour en rire. Car ces serpents se jettent sur celui qui faisait du bruit,l'entourent de toutes parts, se répandent sur lui de la tête aux pieds, pénètrent dans sesvêtements, en un mot ils ne laissent rien qu'ils ne touchent ll . Ceci jusqu'à ce qu'ils se lassentet s'en aillent presqu'aussi vite qu'ils étaient venus. Il y a d'innombrables autres serpentsd'eau, de savane ou de forêt, qui ne présentent rien de spécial. Aussi,je ne les présenterai pasen détail. Selon les Indiens les serpents d'eau ne sont pas venimeux. Quant aux terrestres, ilsse différencient par la force de leur venin.

Chapitre 8: Des insectes et de quelques autres animaux 12

1. Des fourmis, des termites, des moustiques, des simulies et des chauves-souris

Je sais qu'aujourd'hui il y a des gens, fort nombreux, qui recherchent à grand-peine etavec application des insectes pour les étudier, sans que leur désir puisse toujours êtresatisfait. Dans l'intérêt de leurs recherches, je leur conseille vraiment d'entreprendre unvoyage vers ces contrées où ils pourront satisfaire leurs souhaits; et ce sera même d'un trèsgrand profit pour leur âme, pourvu qu'ils emportent aussi sur le bateau qui les amènera lapatience la plus grande possible. Bientôt la suite du récit montrera clairement combien là-baselle leur sera vraiment nécessaire. Certes il est agréable de rechercher des insectes un à un ;

10" s'agit probablement du serpent arc-en-ciel, dont la queue a la propriété de décomposer la lumière commeun prisme.

Il Ces deux derniers membres de phrases ont été omis dans la traduction espagnole de Hamadas (1985, p. 240).12 et de quelques autres animaux: ajouté par le traducteur.

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138 Joseph LAURE

impensis vacare vellent: plerique alij occlusis libris inde in Europam redire mallent, ubinempe hominem non ab [y](ij)s qureri, sed ea qurerere oportet. Si Lector in memoriamreducat ea qure primo libro de solis restu, temperie aëris, copiosis imbribus, et aquis hinc indestagnantibus memoravi, facile de copia, ac varietate insectorum sententiam ferre potest.

24-6Dubitavi sane non parum, an de ijs separato capite agere debeam ? quia, ut verum fatear, undepotissi mum ordirer, ignorabam. Sed, ne Lectorem, insectorum fortasse curiosum indagatoremp[o]enitus omni narratione destituam, aliqua referam, prout menti occurerint.

470. Formicre.Initium à formicis facio, quarum tot, tamque diversre species, tanta copia, ut ere solre,

eliminatis reliquis insectis omnibus, incolis non Jeve negotium facesserent, Regionemquesumme exosam redderent.

471. Venenosre,Quredam ex [y](ij)s sunt grandes, ut pollicem requent: pilis violacei coloris vestitre, qure sihominem mordeant, uti in silvis srepe accidit, viginti quatuor horarum febrim cum mentisdelirio causant.

472. Fures nocivi,Alire omnia depascuntur, ut proinde arbor nulla, nulla planta intra noctis unius terminumresidua maneat. Quod si iteratis vicibus faciant, arbores etiam proceras, et iam frugiferasenecant, exsiccantque. Sed quis harum damna enarret? Srepe evenit, ut, cum tecta domorume gramine constent, si noctu evigiles, è lecto lunam, ac stellas, ac si in medio aliquo campofores, videre, imo etiam, si imber aliquis repentinus ingruit, balneare possis, tecto omni intrauni us, alteriusve horre spatium a formicis conscisso, et in cavernas subterraneas ablato.

473. Domuum subversores,Peores sunt ere, qure redificiorum columnas, ac bases, omneque lignum, quod in [y](ij)s

deprehendunt, in pulverem minutissimum redigunt, quin tanta damna, et imminens totiusdomus periculum videri possint. Si oculis duntaxat ligna examinentur, nihil in eis, quod nonintegrum, sanumque videatur, aparebit: at si manu tangantur, corticem duntaxat deprehendes,quem manibus in pulveres reducere queas. Hoc formicarum genus eadem in sylvis damnafacit, et quod peius est. plerumque arbores proceras, construendis navibus, aut redificijs aptas

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 139

mais c'est très différent de les supporter nuit et jour, car ils sont agressifs et en nuéesinnombrables. Il y a bien peu de gens qui voudraient continuer leurs recherches à un tel prix;la plupart préféreraient refermer leurs livres et rentrer en Europe, où justement l' homme n'estpas harcelé par les insectes, mais où c'est à lui de les chercher. Si le lecteur garde en mémoirece que j'ai dit au Li vre premier de la chaleur étouffante du soleil, de la température de l'air,des nombreux orages et des eaux stagnantes de toutes palts, il pourra facilement se faire uneidée de la quantité et de la variété des insectes. J'ai beaucoup hésité sur le fait de devoir entraiter dans un chapitre à part parce que, pour dire la vérité, je ne savais pas par oùcommencer pour parler des plus importants. Mais, pour ne pas priver totalement de toutedescription le lecteur, qui peut-être est entomologiste, je vais rapporter quelques informationscomme elles me reviendront à l'esprit.

470. Les fourmisJe commence par les fourmis, dont les espèces, si nombreuses et si différentes, rendent à

elles seules, même en omettant tous les autres insectes, la vie difficile aux habitants et larégion hautement détestable.

471. Fourmis venimeusesCertaines grandes fourmis qui atteignent un poucel3 de longueur (23 millimètres) sont

recouvertes de poils violets. Si elles mordent un homme, comme cela arrive souvent en forêt,elles provoquent chez celui-ci de la fièvre accompagnée de délire pendant vingt-quatreheures.

472. Fourmis coupeuses de feuilles, voleuses et nuisiblesD'autres fourmis mangent tout, au point de ne rien laisser d'un arbre ou d'une plante en

l'espace d'une seule nuit '4. Si elles répètent leurs incursions, elles tuent et dessèchent lesarbres même s'ils sont grands et donnent déjà des fruits. Mais qui donc pourra rapporter endétail tous leurs dégâts? Les toits des maisons sont en chaume; aussi, si une nuit tu eséveillé, il peut fréquemment arriver que de ton lit tu voies la lune et les étoiles, comme si tuétais en pleine savane. Même plus, tu peux te retrouver trempé si soudain un orage survient,car en l'espace d'une ou deux heures tout le toit a été mis en pièces par des fourmis etemporté dans leurs fourmilières souterraines.

473. Fourmis blanches, ou termites, destructrices d'habitationsPires sont les termites qui réduisent en poudre très fine les piliers des constructions et

leurs bases, ainsi que tout ce qui est en bois qu'ils trouvent à l'intérieur, sans qu'on puissevoir tous les dégâts ni même prévoir la chute imminente de tout l'édifice. Si l'on examineuniquement des yeux ces pièces en bois, rien n'apparaît qui ne semble sain et en bon état.

13 Un pouce équivaut à 23,3 millimètres.14 Ces fourmis coupeuses de feuilles découpent et emportent taules les feuilles des plantes qu'elles attaquent,

en particulier des agrumes. Elles sont aussi appelées fourmis champignonnières, car sur un tapis de feuilles, quifermentent dans leur fourmilière, elles cultivent des champignons qui leur servent de nourriture.

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140 Joseph LAURE

erodunt, ut proinde plures sternere OpUS sit, quoadusque una integra reperiatur. Hœ formicœalbœ sunt, sat obesœ, lentissimeque gradiuntur: et si irritentur, humorem lacteum ex oreeffundunt, quem omnis putrefactionis principium Indi asserunt. Quando imber aliquisvehementior decidit, parietes domus in varijs partibus perforant, et alis provisœ nubium instarevolant, proxime moriturœ: ut( )primum enim vel gutta aquœ eas attingit, concidunt,enecantur. Hœ formicœ vestibus noxiœ sun(t,) ut proinde quotidie bis inspici deb(ent,) prœteromnem enim expectationem (cis)tam invadunt, et res omnes, prœcip(ue) laneas, ac lineas infrusta conscind(unt:) sericeas vero, papyrum, aut e c(an)nabe, gossypiove textas lacteo illo(hu)more, an alio excrementi genere f(oe)dant adeo, ut vix usui deinceps ... possint. Quœdamna rebus Ecclesiœ usum pertinentibus sœpe adferant, quave cura, et sollicit(u)dine cunctainspici identidem debe(nt,) Lector facile assequetur.

474. Visitatores.Aliœ, quas communiter iam recepto nomine Visitatores vocabamus, utiles quidem sunt,

sed sœpe graviter molestœ. Nigrœ sunt, sat magnœ, et non paucœ pollicis longitudine. Harumaut nulla omnino, aut milliones videntur. Subter terra cavemas suas effodiunt. Hœ igitur famecredo

24-7urgente exeunt tanta copia, ut domum integram momen(t)o occupent, quin vel tectum,parietes, cistœ, scrinia, libri, aut quidquid aliud immune relinquant: quocunque oculos vertas,eas reperies: omnia colore nigro vestiuntur: rima nulla est, quam non excutiant. Diffugiunt abhoc tam infesto agmine, quotquot insecta latitant. At quo? cum enim omnia occupata sint,ipsœ vero hœc eadem insecta unice venentur, quamprimum aliquod eorum e latibulo suoemergit, illius pedibus tot earum se se appendunt, ut fugœ oportunitatem om[m](n)emadimant, illudque ipso pondere è pariete, aut tecto detrahant, de[y]Ui)ciantque, quin ipsœ apedibus divellantur. Excipiunt deciduum reliquœ, quœ inferius remanserant, atque incavemam suam deportant. Quamprimum cubiculum aliquod excussere, in aliud momentotranseunt, eademque inquisitione facta intra dimidium horœ domum integram percurrunt.Quando de die domum quandam invadunt, nullam molestiam incolis adferunt: at si res noctuaccidat, uti fere plerumque accidit, et hominem somno oppressum agmen integrumaggrediatur, simulque mordeat, opus est fuga absque mora elabi, quamvis fugientis pedibusinnumeri se appendant. Non sunt equidem venenosœ, sed acriter mordent, et donec pruritumsedes, non nihil temporis elabitur. Statuerat Patrum quidam in formicarum, earum prœsertim,quas arboribus, et plantis noxias paulo ante descripsi, nidos indagare, et consentientibus

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Missiol1sjésuites d'Amazonie bolivienne 141

Mais si l'on touche l'écorce avec la main, si mplement en la saisissant, on peut la réduire enpoussière, Cette sorte de fourmis, ou termites, fait les mêmes dégâts en forêt. Mais, plusgrave, ces termites minent l'intérieur de la plupart des grands arbres qui conviennent pour laconstruction de pirogues ou de bâtiments, Aussi, pour trouver un arbre sain, il fautgénéralement en abattre plusieurs. Ces fourmis (termites) sont blanches, assez grosses et sedéplacent très lentement; si on les excite, elles rejettent par la bouche une espèce de lait qui,d'après les Indiens, est la cause de toute putréfaction. Quand un orage très violent tombe, lestermites percent en plusieurs endroits les parois de bois des maisons et comme ils sontpourvus d'ailes ils s'envolent en nuées; or à ce moment ils sont tout proches de la mort. Eneffet, dès qu'une simple goutte d'eau les atteint, ils tombent et meurent. Ces fourmisblanches font des dommages aux vêtements, c'est pourquoi il faut examiner deux fois parjour les habits car, sans crier gare, les termites envahissent le coffre où on les garde et lesmettent en pièces, tout spécialement ce qui est en laine ou en lin; quant à la soie, au papier,au chanvre et au coton, avec cette excrétion buccale laiteuse ou par une autre déjection '5 , ilsles salissent au point qu'ensuite ils sont difficilement utilisables. Le lecteur imaginerafacilement les dommages fréquemment causés par les termites aux objets ou habitsliturgiques, et avec quel grand soin l'ensemble doit souvent être minutieusement examiné.

474. Fourmis inspectricesD'autres fourmis, auxquelles nous donnons communément le nom, déjà admis par

l'usage, d'inspectrices, sont certes utiles mais aussi souvent très désagréables. Elles sontnoires et assez grandes: beaucoup sont longues d'un pouce (23 millimètres}16. On en voit parmillions ou pas une. Elles creusent leurs fourmilières sous terre. Je crois que c'est pousséespar la faim qu'elles sortent ainsi en telles quantités et qu'en un instant elles envahissent touteune maison, sans rien laisser d'inoccupé: ni toit, ni parois, ni corbeilles, ni coffres, ni livres,ni tout le reste. Où que tu regardes, tu en vois: tout devient noir de fourmis. Il n' y a pas unerainure qu'elles n'examinent soigneusement. Tous les insectes qui étaient cachés essaient defuir cette armée si acharnée. Mais pour aller où ? Ayant en effet tout occupé, les fourmis fonten fait uniquement la chasse à ces insectes; dès que l'un d'entre eux sort de sa cachette, tantde fourmis s'agrippent à ses pattes qu'elles lui ôtent toute possibilité de fuite et, par leurpoids, le décrochent du mur ou du toit, puis le font tomber tout en restant accrochées à sesmembres. D'autres fourmis restées au sol prennent alors l'insecte tombé et le transportentdans la fourmilière souterraine. Dès que les fourmis ont examiné avec soin une pièce, ellespassent en un instant dans une autre où elles effectuent la même inspection; ainsi ellesparcourent toute la maison en moins d'une demi-heure. Quand elles envahissent de jour unehabitation, elles ne causent aucune gêne à ses occupants. Mais si c'est de nuit, comme celaarrive presque toujours, que cette armée attaque et mord un homme endormi, alors il faut quecelui-ci prenne la fuite sans délai, bien que d'innombrables fourmis soient accrochées à sespieds. Certes celles-ci ne sont pas venimeuses, mais elles mordent cruellement et lesdémangeaisons ne disparaissent qu'après un certain temps. Un Père eut l'idée d'explorer des

1.\ Membre de phrase omis dans la traduction espagnole de Barnadas (1985. p. 242).16 Probablement Megaloponera .Ip.

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142 Joseph LAURE

Indis, terram effodere in ipso domus suœ atrio coepit. Sed intra paucos dies mentem mutavit,laboremque dimisit. Vidit nempe vias earum subterraneas, tam commodas, ut per easincedere potuerit, easque tam copiosas, ac in diversos ramos sectas, ut metalli fossores terramomnem quaquaversu[m](s) excavasse viderentur. An non arduum inter tot formicarum generahabitare, quarum aliœ arbores, et plantas, aliœ tectum, et ligna domus rodunt, aliœ hominemaut divexent egregie, aut sibi ereptum lecto per viginti quatuor horas affigant? Verum adalios quoque hospites. tantisper divertamus.

475. Ciniphes. et culices.Ciniphes [y](ij) sunt, et Culices, quorum Patriam recte dixeris regiones iIIas, quin toto

anno vel unum diem. aut diei, noctisve horam ab ijs exemptam habeas. Varietatem eorumquis observavit? quis copiam similitudine aliqua adumbravit? ne tamen omnia silentioprœteream, quœdam, unde earum abundantiam metiri possis, in medium adducam. Non raroin ipso cubili ardentem candelam extin[q](g)uunt: alias loqui vetant: nisi enim admota manu,aut strophiolo os tegas, inter loquendum in iIIud involabunt non paucœ. Unde non semel,maxime circa tluvios, aut lacunas iter agenti accidit, ut cibum non nisi celeriter deambulandocapere potuerim, metuens, ne pro cibo ciniphes

24-8deglutirem. Dorsum Missionarij plerumque albicat, tamque ab his insectis obsitum est, ut sipalma manus illud percuti iubeas, interdum centum etiam eorum interficias. Hinc fit, utMissionarij àquo surgunt, usque dum decumbunt, confecto è struthionum plumis flabello sese tueanlur: el cum mihi recitandum erat, tribus plerumque pueris, alio nempe ante faciem,alio a tergore, alio ad pedes, qui insecta tam molesta depellerent, tlabello armatis opushabueram. Noctu appensis circa lectum linteis nosmet tuemur: Indi vero igne prope lectumardente. Utrumque remedium in tam calida regione œque molestum p[o]ene est, ac ipsiCiniphes. Al quia plerumque ignis extin[q](g)uitur ob rationem, quam Lector sequentiParagrapho magna cum admiratione videbit, ac tum ipsis sit necessarium lectum deserere,noctemque obambulando transigere, de die somnum resarciunt, muliere, aut filio, aliovelectulum identidem, uti infantibus facere solemus, agitante. In Ecclesia, quam cum Indi(tur)matim ingrediuntur, copiosores suent) quam alibi, ut proinde ipsis necess(e) continuovestium motu, ac utraque (manu?) se se tueri, quin sacrificio Missœ (pro?)ut deceret,interesse queant. At ... Sacerdos ad aram ? intra quindecim annos, ne quidem tu(m) quando

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 143

nids de fourmis, spécialement de celles dont j'ai parlé il y a peu l7 et qui causent des dégâtsaux arbres et aux plantes. Puis, avec l'accord des Indiens, il commença à creuser la terre dansla cour d'entrée de sa maison. Mais en peu de jours il changea d'idée et arrêta le travail. Eneffet, il vit leurs galeries souterraines si bien faites qu'il pouvait y marcher par-dessus et sinombreuses et ramifiées que des mineurs semblaient avoir creusé pattout le sol. N'est-t-il pasdifficile de vivre au milieu d'autant d'espèces de fourmis: les unes rongent arbres et plantes,d'autres minent toits et bois des maisons, d'autres encore tourmentent particulièrementl' homme ou, après l'avoir sorti du lit, l'y clouent pour vingt-quatre heures? Mais toumons­nous également vers d'autres hôtes.

475. Les simulies et les moustiquesIl y a aussi les simulies et les moustiques '8 dont tu pourrais parfaitement dire que ces

régions sont leur patrie, car pendant toute l'année tu n'as pas un seul jour ni même une seuleheure du jour ou de la nuit sans leur présence. Qui donc a fait des recherches sur leurdiversité? Qui a tenté d'expliquer par une hypothèse leur prolifération? Cependant, pour nepas tout passer sous silence, j'apporterai quelques éléments qui te permettront de mesurerleur abondance. Souvent, dans la chambre même, ils éteignent la chandelle allumée. D'autresfois ils t'empêchent de parler, car si tu ne protèges pas ta bouche avec la main ou unmouchoir, beaucoup de ces insectes y pénètrent pendant que tu parles. Ainsi en voyage,surtout près des rivières et des lacs, il m'arrivait souvent de ne pouvoir manger qu'enmarchant rapidement par crainte d'avaler des simulies avec les aliments. En général, le dosdu missionnaire était couvert de ces insectes à tel point que, si quelqu'un le tapait avec lamain ouverte, d'un seul coup il pouvait en tuer une bonne centaine. C'est pourquoi, de leurlever à leur coucher, les missionnaires se protégeaient avec un éventail fabriqué avec desplumes de nandou. Et quand je devais lire à haute voix des prières, pour chasser ces insectessi gênants, j'avais en général besoin de trois enfants armés d'éventails: l'un devant monvisage, l'autre dans mon dos et le troisième à mes pieds. La nuit nous nous protégions avecdes moustiquaires de toile de lin suspendues autour du lit; quant aux Indiens ils font du feuprès de leurs hamacs. Mais dans une région aussi chaude ces deux solutions sont presqueaussi désagréables que les moustiques. Et parce qu'en général le feu s'éteint pour la raisonque le lecteur découvrira avec grand étonnement dans un paragraphe ultérieur l9

, il leur fautalors laisser leurs hamacs, passer le reste de la nuit en se promenant sans arrêt et récupérer lesommeil de jour en se faisant bercer dans leur hamac par leur femme, leur enfant ouquelqu'un d'autre, tout comme nous avons l'habitude de le faire avec les bébés. Dansl'église, où les Indiens entrent en foule, moustiques et simulies sont en plus grand nombreque partout ailleurs; ce qui fait que les fidèles doivent s'en protéger en bougeantcontinuellement leurs vêtements et leurs deux mains, sans pouvoir participer au sacrifice de

17 Au paragraphe 472.18 Par ces termes, Eder veut parler de plusieurs insectes diptères piqueurs: simulies, maringouins. cousins,

moustiques.19 Au paragraphe 481 : ce sont les crapauds qui éteignent ces feux.

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144 Joseph LAURE

aer ipse in Ciniphes vertus (i)ri poterat, [,] quando sive ante, s(ive) post Missam necmomento quieto frui poteram, in ipsa Sacrific[y](ij) celeb(ratio)ne nunquam molestosexpertus su(m,) aut Patrem ullum per universas (Mis)siones conqueri audivi. Id cums(cirent?) Indi, et Ministri Miss<e etiam expe(ri)rentur, numquam satis mirari pot(erant,) acSacrificij quandam <estimatione(m) ex hoc quoque capere. Compassione digni sunt equi,Vacc<e, C<eteraque animalia, qu<e quo fugiant, quave ratione se ab illis immunes servent,nesciunt. Certe nisi horis meridianis, quando umbram qu<erere soIent, cibum quiete caperenon permittuntur, aut si imber, ventusve aliquis fortior cogat Ciniphes se se recondere. Primisautem duobus post terminatam eluvionem mensibus, cum ubique stagnantes aqu<e remaneant,adeo infestantur, ut pilos omnes amittant, et vix ossibus coh<ereant, alijs fame, et continuismorsibus enectis.

476. Vespertiliones.Inter plagas illius Regionis merito numerantur Vespertiliones, quos <eque in Missionibus,

ac in Vastissimis, et remotissimis Silvis videre licet. Arbores cavas plerumque inhabitant,unde egressi domorum tecta petunt. Et licet Missiones qu<edam alijs abundarent magis, eatamen ubique erat illorum copia, quanta ad ingentem molestiam incolis afferendamsufficiebat. In varias classes dividuntur, quarum ali<e alijs maiores. Sunt, qui Columbamdomesticam <equant, et forte superant. Dentes illis acutissimi, et velut si nolulam aliquamappensam ferrent, strepitum volando edunt. Vescuntur plerumque arborum fructibus.Specimen aliquod Copi<e daturus, referam, quod ipse expertus sumo Negotij cuiusdam causaad Missionem Div<e Magdalen<e excurreram, cumque sub vesperum p[o]enes fiuviumMissioni proximum considerem, hora nempe, qua ipsi e latebris prodire soIent, strepitum àtergore percepi, qualem Austri illi, de quibus prioris Iibri Cap. II egi, commovere soIent.Vnde statui extemplo magnis passibus in Missionem dictam reverti, et

25-1intra cubiculum me tueri. Properanti obviam facti sunt bini Missionis illius Patres, et quoproperarem, qu<esierunt. Austrum proximum an non audirent, reposui. At illi subridentes,Vespertilionum turmas è domibus, ac Ecclesia egredientes indigitant, quos cum aspicerem,(r)et[i](e) aliqua tectum aerem mihi videbar intueri.

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MissiollSjésuites d'Amazonie bolivienne 145

la messe comme il conviendrait. Et le prêtre à l'autel? Durant quinze ans20 jamais, pas mêmequand l'air lui-même semblait s'être transformé en moustiques et que, ni avant ni après lamesse, je ne pouvais jouir d'un seul moment de tranquillité, je n'ai souffert de ces insectespendant la célébration même du sacrifice, ni entendu un autre Père de l'ensemble desmissions s'en plaindre pendant qu'il disait la messe. Comme les Indiens savaient cela et lesservants de messe l'expérimentaient, tous ne pouvaient qu'en être vivement étonnés, et ducoup attribuer une certaine valeur au sacrifice de la messe. Sont vraiment dignes decompassion les chevaux, les vaches et les autres animaux qui ne savent où fuir ces insectes nicomment s'en protéger. Car, si ce n'est aux heures de midi, quand ils ont alors l'habitude dechercher l'ombre, ils ne peuvent manger tranquillement, à moins qu'un orage ou un vent trèsfort n'oblige les simulies à se cacher. Aussi, pendant les deux premiers mois qui suivent lesinondations, quand partout reste de l'eau stagnante et de plus infestée d'insectes, les animauxperdent tous leurs poils et n'ont presque plus que la peau sur les os: ainsi certains meurent defaim et des piqûres ou morsures incessantes.

476. Les chauves-sourisParmi les plaies de cette région, il faut spécialement mentionner les chauves-souris que

l'on voit aussi bien dans les réductions que dans les plus vastes et plus lointaines forêts. Engénéral elles demeurent dans des arbres creux d'où elles sortent pour gagner les toits desmaisons. Et bien qu'il y en ait plus dans certaines réductions que dans d'autres, elles sontcependant partout en nombre suffisant pour causer une très grande gêne aux habitants. On lesdivise en différentes espèces suivant leur taille. Il y en a qui atteignent et peut-être mêmedépassent celle d'un pigeon domestique. Elles ont des dents sont très tranchantes et émettentun son pendant le vol, comme si elles étaient munies d'une petite clochette. Les chauves­souris se nourrissent en général des fruits des arbres. Je vais donner de leur multilude unexemple, dont j'ai moi-même été témoin. J'étais allé à la réduction de Santa Magdalena11

pour affaire, quand de retour je m'arrêtai près de la rivière proche de la mission à la tombéede la nuit, justement à l'heure où les chauves-souris ont l'habitude de sortir de leur refuge;j'entendis alors dans mon dos un bruit semblable à celui que fait le vent du sud dont j'ai parléau chapitre 2 du Livre premier21

• Aussi, sur-le-champ, je décidai de retourner à grands pas àSanta Magdalena pour m'y mettre à l'abri dans une habitation. Me pressant, je renconlrai enchemin les deux Pères de cette réduction qui me demandèrent où j'allais si rapidement. Jerépliquai: N'avez-vous pas entendu l'auster qui arrive? Mais eux, en souriant, memontrèrent les vols de chauves-souris sortant des maisons et de l'église. Comme je lesregardais, il me semblait voir le ciel couvert d'un filet.

20 lei, Eder confirme lui-même sa présence pendant quinze années (1753-1768) dans les réductions jésuitesd'Amazonie actuellement bolivienne.

21 À une cinquantaine de kilomètres à vol d'oiseau à l'ouest de la mission de San Marti" de Baures où était lePère Eder.

22 Paragraphes 117 à 124. Ce vent froid vient du sud d'où son nom: auster, surazo ou sllr.

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146 Joseph LAURE

477. IIIorum copia.[,] Missionem hanc Vespertilionum copia alias omnes excessisse, vel inde confirmatur,

quod sub auroram indies designati ad id Indi cum Corbibus venire debebant, qui Ecclesiam,eius ambitus, ac domum adiectam, quam Patres incolebant, verrerent, et aggestos noctumotempore stercoris cumulos corbibus suis auferrent. Statuerant Patres, ut( )primum rigidioraliquis Auster ingruerit. partem te[q](g)ularum, quibus Ecclesia tegebatur, deponere, aclatentes subter ijs Vespertiliones occidere. Quod cum fecissent Indi unius duntaxat gremij adid acciti, cum nec vigesimam Ecclesire partem detexissent, octoginta prregrandes corbesoccisis vespertilionibus impleverunt, longe plures impleturi, si multi alij non avolassent.Cumque viderent requales Corbes, unum eligerunt, ut occisorum numerum aliquem inirent.Mille, vigenti aliquod corbis ille continere deprehensus est. His si addas illos, qui in reliquisIndorum œdibus, qui in vicinis silvis degunt, iudicium aliquod de eorundem Copia ferrepoteris. Sed experti sunt Patres, se id sua damno fecisse: cum enim stercoribus sibi locumplo]ene prœclusissent, pauciores erant: quo eiecto longe plures sequenti anno successere, utproinde nunquam ampli us nec ipsi prosequi, nec reliqui his auditis eos imitari ausi sint. Inalijs Missionibus us us invaluit, ut vel singulis, vel plerisque hebdomadre diebus Indi tum inipsa Ecclesia, tum in vicinis ambitibus baculos prrelongos, ac spinosissimos pel' aeremmoveant horis, quibus ipsi avolare, aut redire soIent, quibus magnum eorum numerumconfigunt, atque aliqua ratione Ecclesire munditiei consulunt, quœ plerumque ingrato eoremfoetore infestantur.

478. Nocent hominibus,Non contenti foecibus omnia implere, et c1amorem integra nocte pel' aerem edere,

hominibus œque, ac pecoribus somno deditis insidiantur. Quod autem Europreis creditudifficile accidet, est ille subtilissimus, ac p[o]ene imperceptibilis sive hominem, sivequodcunque animal mordendi modus. Sed occisre singulis p[o]ene noctibus gallinœ, accolumbœ testantur, se e levissimo, quo gaudent, somno nequaquam expergefactas, cumtamen pluribus morsibus impetitre fuissent. Quare moris est, nec galIinis, nec columbisbaculos hinc inde, quos dormiturœ subeant, parare, sed vel humi relin[l/](-)

25-2(-)quere, ut nempe pedes facilius reliquo Corpore tegat, vel in arbores compellere, quas, sispissiores sint, Vespertiliones non perrumpunt. Eventus sequens patefaciet, quam subtilitermordeant, ut effluentem e vulnere san[q](g)uinem hauriant. Descenderat è navi cumofficialibus sacerdos quidam eiusdem navis Cap[p]ellanus, et urbem proximam Cartagenam

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Missiolls jésuites d'AmaZOllie bolil'ielllle 147

477, Très grand nombre de chauves-sourisCette mission dépassait toutes les autres par le nombre incroyable de chauves-souris,

comme le confirme ceci; tous les jours des Indiens désignés pour cette tâche devaient veniravec des corbeilles balayer l'église et son pourtour ainsi que la maison attenante où logeaientles missionnaires, puis emporter dans leurs corbeilles les tas qu'ils avaient constitués avec lesdéjections laissées pendant la nuit par ces animaux, Les Pères décidèrent que, dès qu'unauster très froid et fort soufflerait, ils feraient enlever une partie des tuiles qui couvraientl'église et supprimer les chauves-souris qui se cachaient en dessous, Des Indiens d'uneéquipe constituée uniquement pour cela commencèrent l'ouvrage, alors qu' iIs n'avaient pasencore découvert la vingtième partie du toit de l'église, ils avaient déjà rempli quatre-vingtsénormes paniers de chauves-souris mortes et ils en auraient remplis beaucoup plus si denombreuses autres ne s'étaient pas envolées. Comme ils voyaient les paniers identiques, ilsen prirent un pour connaître le nombre approximatif de chauves-souris tuées. Cette corbeilleen contenait quelques mille vingt. Si, à celles de l'église, tu ajoutes celles qui vivent dans leshabitations des Indiens et celles des forêts environnantes, tu pourras te faire une idée de leurtrès grand nombré3

. Mais les Pères ont fait l'expérience que cette méthode leur était néfaste;en effet avec leur propres déjections les chauves-souris colmataient presque tous les espaceslibres, ce qui en limitait le nombre, mais après le nettoyage partiel du toit beaucoup plus deces animaux arrivèrent l'année suivante. Aussi, par la suite, ni ces Pères ni les autres quiavaient entendu l'histoire ne tentèrent de faire la même chose. Dans d'autres réductionss'établit la coutume suivante. Chaque jour ou plusieurs fois par semaine, dans l'église et dansses environs immédiats, des Indiens battaient l'air avec de très longs bâtons munis debeaucoup d'épines, aux heures où les chauves-souris ont l'habitude de sortir ou de rentrer. Ilsen transperçaient ainsi un grand nombre et participaient de cette manière à la propreté del'église qui était en général infestée par leur désagréable puanteur.

478. Les chauves-souris24 attaquent les hommesNon contentes de tout recouvrir de leur fiente et d'émettre toute la nuit leurs cris, elles

surprennent hommes et bétail pendant leur sommeil. Bien que ce soit difficile à croire pourdes Européens, l'homme ne sent ni ne perçoit pratiquement pas leur morsure et il en est demême pour l'animal quel qu'il soit. Or les poules et les pigeons tués presque chaque nuit leprouvent, car, bien que jouissant d'un sommeil extrêmement léger, ils ne se réveillent pasmalgré plusieurs morsures dont ils sont l'objet. C'est pourquoi il est habituel de ne paspréparer de perchoirs pour les poules et les pigeons afin qu'ils y dorment, mais de les laisserau sol où ils peuvent mieux protéger leurs pattes avec le reste de leur corps, ou bien de lescontraindre à aller dans des arbres qui, s'ils sont bien touffus, ne laissent pas entrer leschauves-souris. L'événement suivant montrera avec quelle douceur elles mordent pour sucer

23 Ainsi 80 paniers contenant chacun environ 1 020 chauves-souris représentent 81 600 animaux tués. Enextrapolant à toute la toiture de l'église dont moins d'un vingtième a été découvert, cela donne un minimum de1 632000 chauves-souris, sans compter celles qui se sont échappées! Une estimation de près de deux millions dechauves-souris pour la seule mission de Santa Magdalena est probable.

24 Eder va parler des vampires, grandes chauves-souris insectivores, qui sucent le sang pendant le sommeil.

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ingressi omnes domum conduxerant. In plerisque enim Americre partibus, licet non pariCopia pessima hrec insecta reperiuntur. Prima statim nocte omnes hospites recens exHispania appulsi à Vespertilionibus excepti sunt: unicus Capellanus de Ciniphibus duntaxatquerebatur, ridebatque alios non sine iactantia. Vix dies abscesserat, quando ludentibus anteCoenam socijs, ipse in proxima sella consedit, et obdormivit. Intra exiguum tempus biniVespertiliones, unus in naso, alter in ipsa Capitis Corona eum momordere, et Copiosumsan[q](g)uinem dormienti elicuere. Vocatus ad Coenam comparuit, et cum san[q](g)uinetinctum viderent socij, quid ipsi acciderit, qurerunt? Ille se dormiisse aiebat, nec aliud quidquam scire. Deterso cruore patuit, nec sine risu, a Vespertilionibus lresum. In vicina mihiMissione querebatur Pater, se varios Indos quotannis sepelire, à Vespertilionibus uniceperemptos. Licet enim rarissime accidat, ut venam attingant, si tamen hominem persequiincipiant, quocunque migret, sequentur, et singulis noctibus infestabunt, usque dum continuasan[q](g)uinis emissione primum pallescere, deinde lan[q](g)uere, virium defectu regrotare,decumbereque, ac demum mori compellant.

479. et pecoribus.Alij pecoribus pel' campum dispersis nocent, et srepe tria, aut quatuor vulnera, etiam

vigilantibus in dorso, aut collo intligunt; canes vero plerumque vel in cauda, vel in auribuslredunt. Quando vulnus intligunt, sensim adrepunt, et alis eodem tempore, quo mordent, [mlventum svavissimum concitant. Si è maioribus sit, qui vulnus intligit, non modosan[q](g)uinem elicit, sed carnem ipsam unius taleri instar avellit. Hinc est, quod ferein( )dies equi, vaccreque congregari, ac sepibus includi debeant, ut nempe enati in hisvulneribus vermes ab Indis ad id deputatis eliminentur. Varire Indorum Nationes eos sivecoctos, sive assos edunt. Quando tempus pluvium ingruit, iIIud pridie absque fallendipericulo annuntiant: copiosi enim, velut si volare nequirent, hinc inde in terram decidunt, etfacillime a pueris insidiantibus enecantur. Quamvis ipsis alij quoque

25-3inimici non desint. Formicre Visitatores, quos deprehendunt, non facile compedibus solvunt.Nocture non paucos capiunt, devorantque. Certa insuper falconum mediocrium species pluresquotidie iucundo sane spectaculo venatur, quin tamen eorundem defectum unquam advertas.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 149

le sang qui sort de la blessure. Un prêtre, aumônier du bateau, descendit du navire avec lesofficiers et tous ceux-ci, entrés dans la ville proche de Cartagène25

, nous conduisirent dansune maison. Or dans la plupart des régions d'Amérique on trouve ces très mauvais insectes16

(sic), en quantité certes variable. Dès la première nuit tous les hôtes, juste arrivés d'Espagne,furent attaqués par des chauves-souris. Seul l'aumônier se plaignait uniquement desmoustiques et se riait des autres avec une certaine suffisance. À peine le jour tombé, alorsque les autres passagers jouaient avant le souper, il s'assit sur un siège proche et s'endormit.En peu de temps, deux vampires le mordirent, l'un sur le nez, l'autre sur la tonsure même ducrâne, en faisant couler beaucoup de sang sur le dormeur. Appelé pour le souper, il arriva; levoyant couvert de sang, ses compagnons lui demandèrent ce qui était an·ivé. Il répondit qu'ils'était endormi et qu'il ne savait rien de plus. Le sang ayant été enlevé, il devint évident, sousles rires, qu'il avait été blessé par des chauves-souris. Dans la réduction voisine de la mienne,le missionnaire se plaignait que tous les ans il enterrait plusieurs Indiens, simplement tués pardes vampires. Car ils peuvent atteindre une veine, même si c'est très rare; cependant s'ilscommencent à pourchasser un homme, ils le suivent partout où il va et chaque nuit leharcellent, jusqu'à ce que les pertes continuelles de sang le rendent tout d'abord pâle, puisl'affaiblissent, le rendent malade par manque de forces, l'obligent à se coucher et enfin lefont mourir.

479. Les vampires attaquent aussi le bétailD'autres chauves-souris attaquent le bétail dispersé dans les savanes et infligent souvent

trois ou quatre morsures dans le cou ou sur le dos, y compris aux animaux éveillés. Leschiens sont surtout mordus à la queue ou aux oreilles. Pour infliger une blessure, lesvampires s'approchent doucement et, en même temps qu'ils mordent, font avec leurs ailes unpetit vent très agréable. Les plus grands d'entre eux, en mordant, non seulement font coulerle sang mais arrachent aussi un morceau de chair de la taille d'une pièce d'un thaler17

• C'estpourquoi, presque chaque jour, il faut rassembler chevaux et vaches, puis les mettre dans desenclos pour que justement les Indiens chargés de ce travail enlèvent les vers qui se sontdéveloppés dans ces blessures. Les Indiens de plusieurs nations mangent les chauves-sourissoit cuites, soit rôties. Ces animaux annoncent la veille sans risque d'erreur l'arrivée de lasaison des pluies. En effet, de nombreuses chauves-souris tombent partout à terre, comme sielles ne savaient plus voler, et sont facilement tuées par les enfants qui les guettent. Il est vraiaussi qu'elles ne manquent pas d'ennemis. Les fourmis inspectrices ne relâchent pasfacilement leur étreinte sur celles qu'elles saisissent. Les hiboux en attrapent et en dévorentbeaucoup. De plus, les faucons d'une espèce de taille moyenne en chassent tous les joursdans un spectacle vraiment divertissant, sans que cependant tu ne remarques jamais leurdisparition ni leur diminution.

25 Cartagena de Indias, port sur 1" Atlantique, actuellement en Colombie.26 Les chauves-souris sont des mammifères.27 Ancienne monnaie d'argent frappée initialement à Joachimsthal (d'où le nom de thaler), en Bohême alors

province autrichienne (dans l'actuelle République Tchèque).

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§. II.De buf[fJonibus, araneis, scorpionibus, et insecto centum pedum.

480. Eorum copia ubique.Nunquam certius iudicium de buf[ fJonum copia quis feret, quam cum pluvia post dierum

aliquot serenitatem decidit: ga[xx](rr)itus quip(p)e eorum tantus undique auditur, utadmirationem etiam ab antiquioribus Regionis incolis merea[n]tur. Sunt plerumquenostratibus maiores, et multi, quos pileus non capiet. Nihil tamen sive hominibus, siveanimalibus, aut reliquis rebus nocent, omnique veneno carent. Narrarunt mihi varij Lusitanise reperisse in sil vis buflfJones bini cornua, eaque solida, et ex osse compacta habentes. Sitfides p[0 ]enes Au(c)t[hJores: ego de ea tantisper dubito. Indi, quos de ea re srepe interrogavi,cum tamen plerumque in sylvis oberrent, nunquam se eos vidisse testati sunt, quibus et ego,silvas plures pervagatus accedo.lEdes omnes ijsdem replentur: nec ulli in mentem venit eosinterimere, tum quia utilitatem adferunt, tum quia novi semper succedent: cum enim portre obnimium regionis restum, notumo prresertim tempore c1audi commode nequeant, nisi quissudore prorsus diffluere vellet, eiecto uno decem alij ingredientur. Utilitas vero, quamprrestant ea est, quod insecta minora, quotquot assequi possunt, devorent. Ad ulnrealtitudinem contra parietes exsiliunt, et prredam inde abripiunt, quin, nisi rarissime admodumerrent.

481. Duplex eorum incommodum.Incommoda, qure adferunt, duo sunt: si enim quis noctu lintea illa, quibus lectus a

Ciniphibus defenditur, [,] e[y](ji)ciat, aut protrudat, prout Carpore inter somnium hinc indeverso evenire solet. saltare in lectum soient non nulli, [,] et Corpori dormientis quam maximepossunt. se se appingere. caloris alioquin appetentissimi, quos, nisi cum se in aliam partemhomo vertit, adesse nescit, ac srepe pondere Corporis unum alterumque comprimit. Aliud[,]est, quod ipsorum plerumque culpa accidat, ignem, quem Indi sive pro abigendis noctuciniphibus. sive pro depellendis in itinere tigridibus accendunt, illico extin[q](g)ui.Quamprimum enim nox ingruit, ac quieta omnia advertunt, conveniunt undique buf[fJones,ac prope ignem consident, ac carbonem, qui ab ardente ligno decidit, raptim plures invadunt,et qui velocior creteris fuit, celeriter apprehen[l/](-)

25-4(-)sum deglutit non sine strepitu, quem guUur buflfJonis permeans facit eundem prorsus, ac siaquis immersus fuisset. Quotquot carbones decidunt, pari fame, ac celeritate devorant: undefit, quod superius retuli, ignem facillime, carbonum nempe ligna foventium defectu, extingui.

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Missiollsjésuites d'Amazonie bolivienne

II. Des crapauds, des araignées, des scorpions et des mille-pattes

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480. Les crapauds nombreux partoutJamais on n'a une meilleure idée de l'abondance des crapauds qu'au moment d'une pluie

survenant après quelques jours de beau temps: car on entend partout leur coassement si fortqu'il suscite l'admiration même des autochtones les plus anciens de la région. En général cescrapauds sont plus gros que les nôtres et beaucoup n'entrent pas dans un chapeau. Ils n'ontaucun venin28 et ne font de mal ni aux hommes, ni aux animaux, ni aux autres créatures.Différents Portugais29 m'ont raconté qu'en forêt existaient des crapauds possédant deuxsolides cornes en os. Faut-il accorder foi à ces témoins? Pour ma part,jusqu'à nouvel ordre,je reste dans le doute. Les Indiens, qui pourtant passent la plupart du temps en forêt et quej'ai souvent interrogés à ce sujet, m'assurèrent ne jamais en avoir vu. Quant à moi, qui aiégalement parcouru beaucoup de forêts, je dis la même chose qu'eux.1(). Toutes les maisonssont remplies de crapauds, mais il ne vient à personne l'idée de les supprimer car ils sontutiles et parce qu'il y en a toujours de nouveaux qui entrent. En effet, à cause de la très fortechaleur de la région, par confort, on ne peut pas laisser les portes fermées, SUitout la nuit, sil'on ne veut pas être complètement en nage. Ainsi, si l'on en chasse un, dix autres anivent.Ils sont vraiment utiles, car ils gobent absolument tous les petits insectes qu'ils peuventatteindre. Ils peuvent ainsi sauter jusqu'à une aune (environ 1,20 mètre) contre les murs et yattraper leur proie qu'ils ne ratent que très rarement.

481. Les deux inconvénients des crapaudsMais les crapauds ont deux inconvénients. En effet, si la nuit on repousse ou rabat la

moustiquaire de toile qui sert à protéger le lit des moustiques, comme cela peut arriverpendant le sommeil en se retournant d'un côté ou de l'autre, quelques crapauds ont l'habitudede sauter dans la couche, puis de se coller le plus possible contre le dormeur, car ils aimentbeaucoup la chaleur; ensuite, en se retournant et ignorant leur présence, l'homme endormipeut en écraser un ou deux par le poids de son corps. L'autre inconvénient, qui an'ive engénéral par leur faute, est qu'ils éteignent le feu que les Indiens allument la nuit pour éloignerles moustiques ou en voyage pour repousser les tigres.1l. En effet dès la tombée de la nuit,quand les crapauds remarquent que tout est calme, ils anivent de tous côtés et se rassemblentprès du feu; puis plusieurs saisissent précipitamment un tison qui tombe du bois en flammes;alors le plus rapide d'entre eux l'avale promptement, avec un bruit émis par son gosierabsolument identique à celui produit quand on plonge le tison dans l'eau. Ils avalent avec les

"Cependant des amphibiens venimeux existent, comme la grenouille venimeuse aux couleurs vives. ledendrobate à tapirer (Delldrobates tinctorius) utilisé pour teinter (tapirer) les jeunes perroquets afin d'en modifier lacouleur du plumage, ou les représentants du genre Epipedobates beaucoup plus toxiques: voir Barret (200 l, p. 67).Ces amphibiens sont utilisés dans la confection de poisons de flèches.

29 Du Brésil.30 Ce batracien existe cependant; c'est la grenouille cornue (Ceratophrys comuta), appelée crapaud cornu, non

venimeuse, qui atteint 20 centimètres et mange amphibiens et petits mammifères.31 Jaguars et pumas.

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Non dubito futuros non paucos, quibus assen[s]tiri huic narrationi difficile accidet: Sciantidem mihi accisisse, quando ab Indis mihi relata fuit: neque unquam [y](ij)s credidissem, nisimeismet oculis plurimis vicibus id vidissem, et Siepe non sine indignatione ob tigridum invicinia rugientium metum. Quando cum quibusdam Provinciie Quitensis Missionarijsconveni, ex eis inter Cietera de buf[fjonibus qUiestionem feci, et testati sunt se idem siepiusexpertos fuisse.

482. Araneie.Aranearum duas duntaxat species adducam, quamvis longe plures recensere possem:

quia tamen speciale in eis nihil adverti, nisi quod hominibus ieque, ac animalibus noxiie sint,alijs mortem prieproperam, alijs tumorem, aliudve malum adferentibus, eas silentio prietereo.Prima. qua maiorem nunquam vidi, eius est magnitudinis, ut eam vix aperta manu tegerepossis. Pilos coloris violacei toto corpore habet: saltat ad distantiam unius humani passus.Dentibus binis superne, totidem inferius armatur acutissimis, tamque venenosis, ut nulliViperie cedat, mortemque brevissimam inducat. Reperiunturnon minus in sylvis, ac iedibus.Secundo loco veniunt, qUie in arboribus hinc inde per campos sparsis degunt, sat magnie, etinnoxiie. Hie ex una arbore in aliam ad decem, aut duodecim passuum distantiam nent filatam alba, sibique cohierentia, ut telam aliquam extensam à longe credas. Fila ipsa mirosplendore micant, tamque fortia sunt, ut filum sericum eXiequent, neque, nisi adhibita nonnulla vi rumpi queant. Non dubito, ex ijs omnis generis telas confici posse, cum mensibusNovembri, et Decembri arbores omnes, et campi albescant.

483. Scorpiones.Noti sunt plerisque Europieis Scorpiones. In Americanis tamen Regionibus plures

reperiuntur, et in Missionibus, ne aliquid deesset, eos esse oportebat. Plerique gravissimumdolorem, non item mortem adferunt. In putrescentibus arboribus plures reperiuntur.

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 153

mêmes appétit et empressement tous les tisons qui tombent du foyer, ce qui fait que le feus'éteint très facilement, comme je l'ai dit plus haue2

, justement faute de tisons chauffant lebois. Je ne doute pas qu'il sera difficile à beaucoup de lecteurs de croire ce récit. Qu'ilssachent qu'il en fut de même pour moi quand les Indiens me le racontèrent. Et je ne les aicrus qu'après avoir vu plusieurs fois cela de mes propres yeux, et souvent avec colère parpeur des tigres qui feulaient dans les environs. Quand je me suis retrouvé avec desmissionnaires de la Province de Quito33

, je leur ai posé entre autres des questions sur lescrapauds. Ils m'affirmèrent avoir été très souvent témoins des mêmes comportements de cesbatraciens.

482. Les araignéesJe ne présenterai que deux sortes d'araignées, alors que je pourrais en citer beaucoup

plus. En effet chez les autres araignées je n'ai rien observé de particulier, si ce n'est qu'ellessont nuisibles aux animaux et aux hommes, les unes causant rapidement la mort, les autresdes abcès ou d'autres maux; aussi,je n'en parlerai pas. L'araignée de la première espèce estsi grosse que je n'en ai jamais vue de plus grande: tu peux à peine la recouvrir avec ta mainouverte. Elle a des poils violets sur tout le corps et peut sauter à une distance d'un pasd'homme. Elle est armée de deux crochets en haut et autant en bas, très affilés et si venimeuxqu'ils valent ceux de tous les serpents dangereux et conduisent très rapidement à la mort34

On trouve ces araignées aussi bien dans les forêts que dans les habitations. Ensuite vient laseconde espèce. Ces araignées vivent dans les arbres dispersés ça et là dans la savanearborée; elles sont assez grandes et inoffensives. Elles tissent d'un arbre à un autre, parfoiséloigné de dix à douze pas35 (14 à 17 mètres), des fils si blancs et si bien assemblés que deloin tu croirais que c'est une toile tendue. Les fils eux-mêmes brillent d'un éclat étonnant; ilssont aussi solides que des fils de soie et ne peuvent être rompus qu'avec effort. Je suis sûrqu'avec ces fils on pourrait confectionner toutes sortes de toiles, quand en novembre etdécembre tous les arbres et les savanes en sont blancs.

483. Les scorpionsLes scorpions sont connus de la plupart des Européens. Dans les régions d'Amérique on

en trouve cependant beaucoup et dans les réductions il fallait qu'il y en ait aussi pour querien d'important ne manque. La plupart causent une douleur très forte, mais pas la mOlt. Onen trouve beaucoup dans les arbres en décomposition.

)2 Au paragraphe 475.11 Actuellement Équateur.14 Eder décrit une espèce de mygale.15 Un pas mesure 1 393 millimètres.

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484. Les mille-pattesLes "vers..36 que les Espagnols appellent ciempiés, c'est-à-dire cent-pattes, sont longs

d'un doigt de la main, possèdent d'innombrables pattes et sont poilus. Si on les touche, cespoils sont toxiques et provoquent de violentes douleurs. En voyant un mille-pattes, les autresinsectesJ

? prennent la fuite.

III. Des mouches, des chiques et des vers

485. Les mouchesPour ceux qui savent où naissent les mouches, il sera facile d'imaginer combien cette

espèce doit se multiplier, et en quelles grandes quantités, dans la région que je décris jusqu'àprésent. Rien ne leur échappe: en un instant elles contaminent viande, poisson et tout le reste,puis, vu la chaleur torride de la région, de leurs excréments38 sortiront dans les quatre ou cinqheures des vers nouveau-nés qui ensuite se transformeront en mouches. De la blessure d'unchien, des Indiens sortirent devant moi une cinquantaine d'asticots et les enterrèrent devant lamaison; deux jours après, je découvris qu'ils s'étaient métamorphosés en mouches. Leschauves-souris qui attaquent de nuit les animaux ouvrent la voie aux mouches; ensuiteapparaissent les asticots. Quand les chevaux sentent ceux-ci, ils se cachent en forêt où l'on nepeut ni les retrouver ni les soigner. Alors ils périssent misérablement à cause de la la faim etde la quantité de vers; ensuite ils sont découverts par les vautours (gallinazos), ces fameuxrapaces que j'ai déjà décrits ailleurs39

• D'autres espèces de mouches ne s'attaquent qu'auxanimaux. Certaines de ces mouches sont si grandes que tu croirais presque que ce sont depetits oiseaux. Elles piquent et sucent le sang des pauvres bêtes sans que celles-ci puissents'en défaire. Ainsi on voit parfois des chevaux partir dans la savane d'un galop effréné, sansque personne ne les poursuive si ce n'est une nuée de mouches qui les assaillent de partout.

486. Les chiquesL'insecte qui mérite toutes les malédictions, nommé pique (chique) par les Américains40

,

ressemble à une puce. Les chiques abondent dans les tas de fumiers, dans les maisons qui nesont pas nettoyées assez souvent de fond en comble ou qui restent longtemps fermées, ainsique dans la poussière des avenues et des places publiques. À cause de la poussière, il yen atant dans les rues et les places de la ville de Lima que les gens de condition ne sortent pasfacilement à pied de leur maison, si ce n'est pour se rendre à l'église. Cet insecte se met en

v, Ces sont des arthropodes de la classe des myriapodes, du groupe des scolopendres. qui possèdent 42 pattes.\7 Pour Eder. les insectes comprennent toutes les petites bêtes (insectes, araignées, vers, etc.) et quelques

autres. dont les chauves-souris.1H En réalité. des oeufs pondus et déposés par les mouches.19 Paragraphes 369 il 372.-1<, Des colonies espagnoles. qui l'appellent également niguo, comme le fait remarquer Bamadas (1985. p. 250,

note 12). C'est le diptère TllllgO penetrons ou Pu/ex penetrons, appelé puce-chique ou chique.

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Missümsjésuites d'Amazonie bolivienne 155

484. Centopies,Vermis, [,] quem Hispani Centopies, id est, Centum pedes habentem vocant, digitilongitudine est, pedibus innumeris prreditus, ac pilosus. Pili, si aliquem attingat, noxij sunt, etdolorem vehementem adferunt. Insecta reliqua eo viso fugam arripiunt.

§ III.De muscis, pique, [,] et Vermibus.

25-5485. Muscre.Quibus notum est, unde muscre originem suam habeant, fa(c)ile erit iudicare, quot earumspecies, qure Copia in regione, quam hucusque descripsi generari debeat. Nihil ab illisimmune: camem, pisces, ac reliqua om(n)ia momento inf[e](i)ciunt, è quorum stercore ipsoregionis restu intra quatuor, aut quinque horas novi vermes enascuntur, qui deinde iterum inmuscas convertuntur. Indi me prresente in ipso domus atrio vermes circiter quinquaginta ecanis cuiusdam vulnere eiectos terrre infoderant, quos intra duos dies in muscas versosdeprehendi. Viam muscis stemunt Vespertiliones, qui noctu animalia arrodunt; succeduntvermes, quos dum sentiunt equi, se se in silvis abdunt, ut inveniri, curarique nequeant, acmisere demum fame, et vermium copia pereant, lIsque dum a Gallinazis, avibus illisrapacibus, quas alibi descripsi detegantur. Alire muscarum species solis animalibus infestresunt, quarum aliqure tam magnre sunt, ut p[o]ene aviculas crederes. Pungunt, etsan[q](g)uinem miseris sugunt, quin eos depellere possint. Videre est equos interdum percampos colerrimo cursu ferri, quin ipsos quispiam, nisi muscre ubique infestre insectetur.

486. Pique.Insectum, diris omnibus devovendum, ab Americanis Pique dictum, pulici simillimus

est. In sterquilinijs, ac domibus, qure aut non vertuntur frequentius, aut c1ausre servantur, inplatearum pulveribus abundant. Vnde Limana Vrbs [y](ij)s tantopere referta est, ob pulveresnempe, qui tanti pel' omnes plateas sunt, ut nullus ex honestioribus pedes e domo facile, nisiad Ecclesiam, exeat. Insectum hoc plerumque pedum digitos invadit, licet interdum aliascorporis partes infestet. Statim pellem perforat, et intra carnem se recondit: et si vigintiquatuor horis ibidem sinatur, semina innumera subtili tela circumdata pisi fere magnitudineeffundit, qure intra paucas horas vitam consequuntur, et se se quaquaversu[m](s) diffundunt.Id quod hominem admonet, est pruritus vehemens, puncturis quibusdam mixtus. Evocandus

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156 Joseph LAURE

illico aliquis ex illorum numero, qui in [y](ij)s integre acu effodientis peritiores habentur,quod plerumque sat magno dolore peragitur. Quod si eum rumpat, aut pelliculœ minimumquid intra carnes remaneat, accidet, uti non pauci quotidie experiuntur, ut mensibus integris efoedo exorto vulnere decumbat. Foramellum deinde sevo, aut tabaca prœcluditur. PigritiaIndorum, et exiguum munditiei studium faciunt, ut multi [y](ij)s Corpore impleantur, sitqueres maximi laboris, eos denuo mundare. Imo binœ foeminœ in mea Missione fuerunt adeo suiimmemores, ut se intra silvas abdiderint, ne mihi detegerentur, ac, ut sœpe antea factumfuerat, ab [y](ij)s mundarentur. Varijs diebus easdem quœri precepi, at incassum: demum abinsidiantibus

25-6avibus detectœ, in Missionem delatœ sunt, et sacramentis munitœ illico decesserunt. Prœterfaciem omnia hisce insectis plena erant, ut qua ratione tantum martyrium ferre tot diebuspotuerint, Indi omnes mecum obstupuerint, qui deinde retulerunt, ipsa interiora mulierumhœc insecta pervasisse. Ne hominem invadant, nec tibialia, nec calcei obstant: uti pulicesnullum vestium genus arcere potest. Porcorum plerumque, et canum p(edes) [y](ij)sreplentur: illi pedem pedis alterius (un)gula fricando ill[os](a) effodiunt, vel in volutab(ris)suis ea relinquunt; canes vero dentibus (pel)lem arrodunt, ac extrahunt non sinesan[q](gui)nis effusione: quamvis sœpe ab ijs tantu(m) infestentur, ut pedes, manusquetum(es)cant, nec ultra ambulare possint, ut proi(nde) opus sit ea acu extrahere.

487. Vermes.Vermium, hominibus œque, ac animalibus infestorum duœ sunt species. Prima pollicis

est longitudine, digiti recens nati infantis crassitudine. Albi sunt, asperis quibusdam pilis, acspinis armati; corpus vero ipsum instar domus limaceœ. Certœ speciei muscœ si superanimali, y(el) homine semen suum deponant, illos generant, quin principio aut videatur, autsentiatur. Sœpe interrogavi Indos, qui vermem hunc experti sunt, cur non statim à principiomonuerint? reposuerunt, se eum nullatenus sensisse. Nunquam rescire potui, quomodo sine

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Missionsjésuifes d'Amazonie bolivienne 157

général dans les orteils41, mais parfois il attaque d'autre parties du corps. Il perfore aussitôt la

peau et s'installe dans la chair; et si on le laisse là pendant vingt-quatre heures, il pondd'innombrables oeufs dans un sac fin presque aussi gros qu'un pois, qui éclosent aprèsquelques heures et d'où sortent de petites chiques qui se répandent partout. Chez l' homme,ce qui fait penser à ces parasites est une forte démangeaison accompagnée de lancements. Ilfaut alors s'adresser sans tarder à quelqu'un qui a une grande expérience pour les enlever enentier avec une aiguille42

, ce qui en général fait assez mal. Car, si on crève l'enveloppe ou sil'on en laisse une partie dans les chairs, il arrive, comme beaucoup de gens en fontquotidiennement l'expérience, que s'installe une infection qui oblige le patient à restercouché pendant des mois entiers à cause de la mauvaise plaie qui s'est formée.Immédiatement après avoir ôté les chiques, on bouche le trou avec du suif ou du tabac43

• Laparesse des Indiens et leur peu de souci pour la propreté font que beaucoup d'entre eux ontde ces chiques sur tout le corps: c'est alors un travail ardu pour les en débarrasser. Deuxfemmes de ma réduction furent à ce point négligentes d'elles-mêmes qu'elles allèrent enforêt, pour se soustraire à ma vue et essayer de se débarrasser de leurs chiques, comme dansle temps les gens avaient souvent l'habitude de le faire. J'ai demandé qu'on les recherchependant plusieurs jours, mais en vainjusqu' à ce qu'enfin les charognards les localisent. Ellesfurent ramenées à la mission où elles moururent juste après avoir reçu les sacrements. Àl'exception de leur visage, elles étaient entièrement couvertes de ces parasites. C'estpourquoi tous les Indiens et moi-même, nous nous demandâmes avec étonnement commentelles avaient pu supporter aussi longtemps un tel martyre. Par la suite les Indiens merapportèrent que des chiques s'étaient même introduites à l'intérieur du corps de ces femmes.Pour s'en protéger ni les molletières ni les souliers ne sont efficaces; comme pour les puces,aucune espèce de vêtement ne les éloigne. En général les pattes des porcs et des chiens ensont pleines. Les cochons les extraient en se grattant une patte avec le sabot d'une autre, oubien ils les abandonnent dans leurs bauges. Quant aux chiens, ils se rongent la peau avecleurs dents pour les arracher, non sans se faire saigner. Mais ils sont souvent si infestés quetoutes leurs pattes enflent au point qu'ils ne peuvent plus marcher; dans ce cas il faut extraireles chiques avec une aiguille.

487. Les versIl y a deux espèces de vers qui parasitent aussi bien les hommes que les animaux. Ceux

de la première espèce sont longs d'un pouce (2,33 cm) et larges comme le doigt d'unnouveau-né. Ils sont blancs et pourvus de poils rugueux et d'épines; leur corps a l'aspect desmaisons en pisé. Ils proviennent de certaines espèces de mouches qui déposent leurs oeufssur un animal ou sur l'homme, sans qu'au début on ne les voie ni ne les sente. J'ai souventdemandé aux Indiens qui avaient ce ver pourquoi ils ne nous avaient pas avertis dès le début.Ils me répondaient qu'ils n'avaient absolument rien senti. Je n'ai jamais pu découvrir

41 Surtout sous les ongles.42 De préférence avec un petit morceau de bois (ou une allumette ou un cure-dents) bien taillé en pointe, qui

risque moins qu'une aiguille métallique de percer la poche à oeufs (expérience du traducteur).4.' Utilisés alors comme désinfectants.

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dol ore se se intra hominis carnes insinuare possit, aut excrescere: et tamen Indis assentior, etrevera censeo, eos nihil prorsus sentire, usque dum in eam excrevit magnitudinem, quameum habere dixi. Cur enim tam prompte advertunt illud aliud insectum, quod paulo antedescripsi, Pique nempe, ut sa:pe pellem vix rodere adhuc incipientem sentiant, et digitismanuum, velut pullicem adimunt? Cur ipsi pueri, ac Infantes, loqui adhuc ignari, fletu, etsignis indicium Pique vix bene ingressi exhibent, huius autem vermis nonnisi cum iamexcrevit?

Vermis hic profunde Carnem subintrat, et per ostium plaga: confluentem ex arrosa carnecruorem per illud maximo a:grotantis dolore effundit. Dolor vero, qui hinc exoritur, ac etiam,quoties is aut rodit. aut se se revolvit, est intensissimus, ut hominem p[o]ene delirare sitnecesse. Illi enim pili, et spinula:, velut totidem acus camem vivam acerbissime pungunt, utquosdam febri vehementi a:stuantes viderim. Si quantocius non expellatur, semen effundit,unde plures enascllntur, ac per reliquum corpus diffunduntur. Multa Hispanorum miIlia,recens detecta America, ex hoc morbo perijsse legi: cum enim nec Medici, nec Chirurgi idgenus a:gritudinem nossent, ei, ut vulneribus soient, medebantur. Crescebant interea, acdiffundebantur, usque dum per totum corpus sparsi miseros doloribus, ac insomnijsconfecissent. E canibus, quorum aliquis interdum etiam triginta numerabat, facileexpelluntur. Observant Indi, quando caput ad ostium exponit, et illico arreptam utraque manupellem, quantis viribus possunt comprimunt, et vermem integrum vi exilire constringunt.Cum hominibus aliter procedendum, quia dolor nimis acerbus foret, ac etiam inlltilis. Cinerestabaca: ostio

25-7appliciti, imo ipsa tabaca hispanica ilium intra paucissima momentaenecat: licet a:ger invictapatientia opus habeat toto illo tempore, quo ipse vim tabaca: sentiens se volvit, et contorquet.

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comment ce ver pouvait pénétrer et croître sans douleur dans les chairs de l'homme. Mais jesuis cependant d'accord avec les Indiens et je pense vraiment qu'ils ne sentent absolumentrien jusqu'à ce que le ver atteigne la grosseur que j'ai mentionnée précédemment44

. En effet,pourquoi nous avertissent-ils aussitôt quand il s'agit de cet autre insecte dont j'ai parlé auparagraphe précédent, à savoir la chique (pique)? Car souvent, à peine sentent-ils qu'unechique commence à ronger leur peau, qu'ils l'enlèvent avec leurs doigts de la main commepour une puce. Pourquoi les enfants et même les nourrissons, qui ne savent pas encore parler,font-ils savoir par leurs pleurs et des signes dès qu'une chique (pique) vient à peine d'entrerdans leur peau, alors que pour le ver macaque ce n'est que quand il a déjà grossi?

Ce ver macaque s'enfonce profondément dans les tissus et rejette par l'entrée de la plaiele sang rouge s'écoulant de la chair rongée par l'animal, en provoquant une très vive douleurpour le patient. Cette douleur qui en découle est vraiment très intense; il en est de mêmechaque fois que le ver progresse en rongeant les tissus ou retourne en arrière. Au point que lapersonne en arrive presque à délirer. En effet les poils et les petites épines du ver piquent demanière très pénible, comme autant d'aiguilles, la chair à vif: c'est ainsi que j'ai vu des gensagités par de fortes fièvres. Si l'on n'extrait pas au plus vite le ver, il pond des oeufs d'oùnaissent beaucoup d'autres larves qui se répandent dans tout le corps du patient. J'ai lu queplusieurs milliers d'Espagnols moururent de ce mal, quand l'Amérique venait à peine d'êtredécouverte45

: en effet ni les médecins ni les chirurgiens ne connaissaient ce genre de maladieet ils la traitèrent comme ils avaient l'habitude de le faire avec les blessures. Mais pendant cetemps les vers grossissaient et se multipliaient; s'étant ainsi répandus dans tout le corps desmalheureux Espagnols, ils achevaient ces hommes par la souffrance et les insomnies. On lesenlève facilement des chiens qui en ont parfois une trentaine. Les Indiens observent avecattention quand le ver sort sa tête de l'orifice de sa galerie; alors, de toutes leurs forces, ilspressent aussitôt la peau du chien, saisie avec leurs deux mains, et forcent le ver à sortir enentier. Mais chez les hommes il faut procéder autrement parce que la douleur serait tropintense, tout en étant inutile. Des cendres de tabac ou simplement du tabac dit espagnol, missur l'orifice de la galerie, tuent en très peu de temps le ver. Cependant, il faut que le patientait une patience illimitée pendant tout le temps durant lequel le ver, ressentant l'action dutabac, remue dans tous les sens.

.... Eder vient de parler du ver macaque (larve de Dermatobia hominis). "'Lorsque la mouche femelle adulte estprête à pondre, elle capture un arthropode hématophage (en pratique un moustique) et colle une grappe d'oeufs à sonabdomen. Lorsque le moustique se pose sur un hôte à sang chaud (dont l' homme), la larve son de l'oeuf et pénètre àtravers la peau. C'est le phénomène de 'phorésie' (du grec phorein transporter). La maturation de cette larve estlongue, environ 1 à 3 mois, à la différence de celle du ver de Cayor qui est de 8 à 10 jours. La larve adulte se frayeun chemin à travers la peau, tombe sur le sol, donne une pupe (lymphe). Au bout de 2 à 3 semaines la moucheapparaît et le cycle recommence." (http://medecinetropicale.free,fr/casrnacaque.html; référence: voir Normand etal., 1981).

4.' Sic.

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488. Alius ruber.Alius vermis ruber est, parvus, ut a paucissimi(s) detegi, ac acu educi possit. Iste intra

pellem, et carnem vagatur, nullibi sedem figens. Pruritum continuum, et molestum causat.Quacunque fugatus fuit, indicium sui relinquit, pellem nempe hominis linea subtilissima,eaque rubra signatam. Hoc velut vestigium sequuntur [y](ij), qui in arte ipsum educendi peritisunt. Sed negotium in eo est, quod linea illa sus(que)[,] deque pergat, et labyrinthi speciemnon fabulosam exhibet, ut proinde illius initium, progressum, ac multo magis locumpra:sentem difficillimum sit detegere, et sa:pe, ne errent Indi in eo detegendo, lineam illam,qua eum nunc gradi arbitrantur, signo aliquo notant, ut elapsis quibusdam horis Certiores sereddant, an revera ea sit, quam ipse id temporis persequitur, ac dein ilium vel alibi qua:rant,vel educant. Si plures eodem tempore hominem invadant, aut primus semen suum diffundat,labore plurimo, et non minore patientia opus est.

§. IV.De nonnullis alijs insectis.

489. Garrapata, seu Itfcse.Gan'apata Hispanis, Indis Itfcse. insecti genus est homini inter silvas, arbustave

deambulanti infectissimum, cuius metus in plerisque omnem venandi aviditatem extinguit.Folijs arborum adha:ret. Sunt vero diversa: horum species, à coloris, et magnitudinis varietatedesumpta:. San[q](g)uinem sive hominis, sive animalium sugunt, et tanta tenacitate pelliadha:rent, ut magna nonnisi vi avelli queant: et si aculeus eorum relinquatur, quod pronumest fieri, vulnus in menses etiam, aut la:sum aliquem nervum in omnem a:tatem relinquunt:soient Indi. si fortius adha:rentem advertant, folium aliquod ad ignem calefacere, eiquerepetitis vicibus admovere, usque dum aculeum ipse extrahat, atque se avelli sinat. Animaliain silvis obelTantia [y](ij)s plena sunt. Maxima eorum vix lenticula: granum a:quabit: quodein post duos circiter dies, san[q](g)uine videlicet plena, globi plumbei magnitudinetumescit. Si eam non adimas, ipsa decidit, san[q](g)uine in innumeram sementem converso.Minima: rubra: sunt, et qua: alias numero excedunt, ac ab Hispanis Polvorines vocantur, quiarevera instar pulveris abundant, et pra:terea illo vix sunt maiores. Hi sa:pe tanta copia inunico arbusti folio latitant, ut hominis inde transeuntis, foliumque levissime attingentisvestem rubro colore tinctam crederes. Quod nisi

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488. Autre ver rouge (filaire)Un autre ver, rouge, est si petit que peu de gens peuvent le découvrir et l'extraire avec

une aiguille46. Il se déplace sans arrêt entre la peau et les tissus. Il cause un continuel pruritgênant. Quel que soit l'endroit où il va, il laisse une trace, à savoir la peau de la personnemarquée par une très discrète ligne rouge. C'est cet indice que suivent ceux qui sont expertsdans l'art de les enlever. Mais la difficulté réside dans le fait que cette ligne va dans tous lessens et forme une espèce de labyrinthe pas du tout imaginaire. Ainsi, il est très difficile d'endécouvrir l'entrée, le parcours et plus encore l'endroit exact où se trouve présentement lafilaire. Aussi, pour ne pas se tromper dans leur recherche, les Indiens font souvent unemarque sur la ligne où ils pensent que le parasite est actuellement en train d'avancer. De lasorte, quelques heures plus tard, ils peuvent s'assurer si c'est bien cette ligne que le ver acontinué à suivre pendant ce temps et ainsi soit le chercher ailleurs, soit l'extraire. Siplusieurs filaires sont entrées en même temps dans une personne ou si une première s'y estmultipliée, il faut beaucoup plus de travail et non moins de patience.

IV. De quelques autres insectes

489, Les tiques (garrapata ou itiche)Garrapata pour les Espagnols et itiche47 pour les Indiens, la tique est une espèce

d'insecte (sic)48 qui parasite très facilement l'homme qui marche en forêt ou parmi desarbustes. La crainte qu'il suscite enlève à la plupart des gens toute envie d'aller à la chasse.Les tiques se fixent sur les feuilles des arbres. Il en existe plusieurs espèces, différentes parleurs couleurs et leur taille. Elles sucent le sang des hommes ou des animaux et s'accrochentà la peau avec tant de ténacité qu'elles ne peuvent être arrachées qu'à grand-peine. Si elleslaissent leur aiguillon, ce qui arrive facilement, elles peuvent provoquer une blessure pendantdes mois ou léser un nerf pour la vie. S'ils remarquent que la tique est trop fortementincrustée, les Indiens ont 1'habitude de chauffer au feu une feuille et de l'appliquer plusieursfois, jusqu'à ce que le parasite retire lui-même son dard et se laisse enlever. Les animaux quidivaguent en forêt en sont pleins. Les plus grosses des tiques ont à peine la taille d'unelentille; ensuite, environ deux jours après, c'est-à-dire quand elles sont pleines de sang, ellesgonflent jusqu'à atteindre la grosseur d'une chevrotine. Si tu ne les enlèves pas, ellestombent d'elles-mêmes et transforment le sang en une descendance innombrable. Celle-ci secompose de toutes petites tiques de couleur rouge qui dépassent par leur nombre les adulteset que les Espagnols appellentpolvorines (grains de poudre fine), parce qu'il est vrai qu'ellesabondent comme de la poussière et sont en outre à peine plus grosses que des grains depoudre. Elles se dissimulent souvent en telles quantités sur une seule feuille d'arbuste que, si

4<> Dans ce paragraphe Eder parle de filaires qui sont des vers nématodes. du genre Feuilleret. longs el tins,parasites de divers vertébrés dont l'homme.

47 Eder écrit It{cse.4" Les tiques ne sont pas des insectes mais des arachnides, acariens de la famille des ixodidés, du genre Ixodes.

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25-8advertat illico, se turba il1a omnis pel' totum corpus diffundet, pellem rodere,san[q](g)uinemque sugere incipiet, ut manus tibi ad fricandum deesse conqueraris. Tot millia,tamque minuta digitis detrahi nequeunt: idcirco vel Cremato fortiore, vel aqua folijs tabac<edecocta corpus totum lavare est necesse: quo fit, ut illico omnes emoriantur.

490. Cucaracsa, sive Idfpire.Cucaracsa, sive Idfpire insecti genus locustis nostratibus assimile est, pler<eque rubr<e,

ali<e subalb<e, etsi, quando parvul<e adhuc, alb<e sint. Domus inhabitant, et ingruentibustenebris e latibulis suis prodeunt. Buf[fJones [y](ij)s capiendis, et edendis summoperedelectantur. Volant non mediocriter. Formic<e visitatores sunt [y](ij)s inimicissim<e. Omniaarrodunt, inficiuntque, maxime vero Cibaria. Foetum suum ovis exc!udunt, qu<e tela quadamobducta parieti, tabul<e, aut libro velut appingunt, et post octo dierum spatium exc!uduntur.Pellicula illa, qui bus ova sua contecta ap(p)ingit, summe glutinosa est, ut si eam super aliquolibro demittat, folia omnia sibi tenacissime coh<ereant, ut non nisi magno labore, et ruptionispericulo divelli queant. Si parietem dealbatum noctu aspicias, peristromate aliquo tectumsuspica[b](v)eris: tot nempe eum insecta huius generis contegunt, uti in quibusdamMissionibus vidi. Sunt valde familiares homini, quem expergefactum etiam non raromolestant, et intra ipsas interiores vestes se se insinuant. Dormientibus pellem rodere soient,aut faciem obambulando somnum eripere.

491. Binchuca.Aliud insectum scarab<ei magnitudine Bincsuca Hispani vocant, dormienti homini

summopere infestum. Pellem enim rodit, et san[q](g)uinem copiosum exsugit. Remanet invarios dies tumor sat magnus coloris foedissimi, cuius pruritus intol[l]erabilis, ut ad eumsedandum non nullos interdum viderim tumorem ilium acu, aut cultelli acie secare,san[q](g)uinemque ibi congregatum exprimere, ut pruritui quantocius mederentur.

492. Hosetipo.Hosetipo, insectum paris magnitudinis, ac Bincsuca, nigrum insecti genus est, noctu <eque. acillud dormientibus infestum, et pr<eterea Cibarijs asservatis maxime delectatur, ac in ijshabitationem sibi parat: ut proinde magna circumspectione, quiquid comedas ex asservatiscibis, frangere, ac inspicere opus sit, ne forte alicui dentem incaute figas, ac Cibo omni

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 163

un passant touche très légèrement celle-ci, tu croirais que sa veste a été teinte en rouge, Sil'homme ne se rend pas compte tout de suite que ces innombrables animalcules se dispersentsur tout son corps, ceux-ci commencent alors à lui mordre la peau et à sucer son sang; dansce cas il déplore de n'avoir pas plus de mains pour se gratter, Mais tant de milliers de tiquesminuscules ne peuvent être ôter avec les doigts; c'est pourquoi il faut se laver tout le corpsavec de l'alcool très fort ou avec une décoction aqueuse de feuilles de tabac: ainsi, ellesmeurent toutes sur-le-champ,

490, Les cancrelats (cucaracha ou id{pire)Le cancrelat49 (cucaracha ou id{pire) est une espèce d'insecte qui ressemble à nos

sauterelles. La plupart sont rouges, d'autres blanchâtres, même si, jeunes, tous sont blancs.Ils vivent dans les maisons et sortent de leur repaire à la tombée de la nuit. Les crapauds sedélectent à les attraper et à les manger avec le plus grand soin. Ils volent assez bien. Leurspires ennemis sont les fourmis inspectrices. Ils rongent et salissent tout, spécialement lanourriture. Ils pondent des oeufs qu'ils fixent, entourés dans une membrane fermée, à unmur, une table ou un livre, et qui éclosent huit jours après. Cette pellicule qui contient et fixeleurs oeufs est extrêmement collante; si un cafard la dépose sur un li vre, toutes les pages decelui-ci restent très fortement collées, et c'est un gros travail pour les séparer avec toujours lerisque de les déchirer. Si de nuit tu examines un mur blanc, tu croirais qu'il est recouvertd'une tenture, tellement ces blattes qui le recouvrent sont nombreuses, ainsi que je l'ai vudans certaines missions. Ces insectes sont très familiers avec l'homme, qu'ils ennuientsouvent même si celui-ci est éveillé. Ils s'insinuent jusque dans les sous-vêtements. Ils ontl'habitude de mordiller la peau des dormeurs ou de les réveiller en déambulant sur leurvisage.

491. Le réduve (vinchuca)Les Espagnols appellent vinchuca50 (réduve) un autre insecte, gros comme un scarabée,

qui est extrêmement agressif vis-à-vis des gens qui dorment. En effet, le réduve perce la peauet suce abondamment le sang. Il en reste une enflure assez grosse, d'une couleur trèsrepoussante, accompagnée d'un prurit insupportable, au point que, pour le calmer, j'ai vuplusieurs personnes enlever avec une aiguille ou la pointe d'un couteau cette tumeur et lapresser fortement pour en extraire tout le sang qui y était accumulé, afin d'apaiser au plusvite les démangeaisons.

492. La punaise hosetipoLa punaise hosetipo, de la même taille que le réduve (vinchuca), est une espèce d'insecte

noir qui, comme le réduve, pique la nuit les dormeurs et de plus affectionne au plus hautpoint les aliments conservés dans lesquels elle installe sa demeure. Aussi, il faut que tu

49 Blatte (ou cafard) d'Amérique, de la famille des blattidés. C'est un insecte orthoptère nocturne.10 Eder écrit Billchuca, Bincsuca ou Bincsllca. Il s'agit d'une espèce de grosse punaise ou réduve, hémiptère

hétéroptère hématophage. Les réduves sont des vecteurs de la trypanosomiase américaine ou mal (maladie) deChagas (TripllIlOsolIW cruz; qui est un flagellé). décrit en 1909 par le Brésilien Carlos Chagas (1879-1934).

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abstinere cogaris: Est enim tanti foetoris, si vel digito attingatur, ut nec tolerari ab ullo, neculla arte depelli queal. Illi vero, qui cum supini dormiunt, os plerumque reserant, non rarocum expergefiunt, unum, alterumve hui us foetidissimi insecti eo ingressum experiuntur. Siqua transeuntem videas, sentiasve, impelli, nequit, aut exasperari, ne hum[m]orem, quemventre inclusum gerit,

26-1diffundat, omnemque viciniam intol[l]erabili foetore inficial. Unicum hoc insecti genus, necà formicis Visitatoribus, nec ab anatibus, galinisve, imo nec a buf[f]onibus, ne at(t)rectariquidem vidi. Pa(r)s illa, quœ ex morsu nocturno intumuit, foetorem hune ingratissimum perplures horas serval.

493. Vespœ.Uti reliqua insecta hucusque allata, ita Vespœ ubique locorum abundanl. Species earum

variœ non alia ratione inter se diffe(r)unt, nisi quod aliœ alijs sint maiores, aut coloris diversi,et acerbius punganl. Una interdum sufficit, ut facies tota, aut brachium intumescat, et perduos etiam dies nulli usui deservial. Nemo est, qui ab earum aculeis se liberum diu iactabit:cum enim eorum latibula, aut alvearia, prœcipue in silvis videri nequeant, in ea impingere,aut proprius accedere est facillimum. Sœpe examen integrum hominem aggreditur, quin illudadesse, nisi ex inflictis aculeis, sential. Uti autem omnium maxime abditœ, ita etiamcrudelissimœ sunt eœ, quœ subter terra alvearia sua construunt; quœ cum omnium maximœsint, hominem, aut bestiam prœtereuntem facto agmine invadunt, et aculeis suis, quas potiusacus dicerem, usque ad san[q](g)uinis effusionem confodiunl. Indi, quam nocivum sit idtemporis cursu velle elabi, experti, se quantocius in terram prosternunt, et immobilesperseverant, sicque plerarumque furorem evitant: fugientem enim i[m](n)sequuntur omnes.Si in equitem incidant Vespœ, in sessorem non leve periculum gravissimi alicuius casusefferato earum aculeis equo con[yJUi)ciunl.

Sufficiant hœc, quœ descripsi: e qui bus colliget Lector, quam amoena esse debeat Regioilla, et quibus votis appetenda. Quis iam neget auri copiam, et quidem eius pretij, quo ipsumCoelum emere(re) queas? An Missionarij inde exulare iussi, ac in Europam translati, Patriamexilio, aut exilium Patria permutaverint, sententiam Lector feral. Exilium morte ipsa acerbiusvisum fuit, qui nobis suffecti sunt. Non vi, sed vocatione (poen?)a dulcia redduntur. NoruntDu(ces), quantum à coacte distat, qui sponte (v)exilla sequitur miles. Quid igitur (m)irumalios animis, alios (et?)iam Corpore concidisse, alios non (pa)ucos stationem deseruisse. Talis

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ouvres et inspectes avec grand soin tout aliment conservé que tu veux manger, sous peine demordre par inadvertance et par imprudence une de ces punaises, et ainsi de t'obliger àt'abstenir de toute nourriture; car, même à peine touchée du bout du doigt, cette punaise émetune puanteur que personne ne supporte et qu'aucun moyen ne permet d'éliminer. Ceux quidorment sur le dos le font généralement la bouche ouverte. Aussi, quand ils se réveillent, iln'est pas rare qu'ils y trouvent un ou deux de ces insectes qui sentent très mauvais. Si tu envois ou en sens un qui se balade, il ne faut surtout pas le pousser ni l'exciter, sinon il émet unliquide qu'il a dans l'abdomen et qui imprègne tout le voisinage d'une puanteurinsupportable. C'est l'unique espèce d'insectes que j'ai vue ne pas être touchée par lescanards, ni par les poules, ni même par les crapauds. La partie du corps qui enfle après lamorsure de la nuit garde cette odeur très désagréable pendant plusieurs heures.

493. Les guêpesComme les autres insectes décrits jusqu'à présent, les guêpes sont partout présentes en

grandes quantités. Les différentes espèces ne se distinguent les unes des autres que par leurtaille, leurs couleurs et leur piqûre plus ou moins mauvaise. Parfois il suffit d'une seulepiqûre pour que tout le visage ou le bras gonfle et reste paralysé parfois pendant deux jours.Il n'y a personne qui puisse longtemps se vanter de n'avoir jamais été piqué par des guêpes.En effet on ne voit pas leurs nids ni leurs repaires, surtout en forêt; aussi très facilement ons'en approche ou carrément on les heurte. Souvent tout un essaim attaque l'homme, sans quecelui-ci remarque sa présence si ce n'est quand les dards sont plantés. Les guêpes qui sedissimulent le mieux sont aussi les plus douloureuses: il s'agit de celles qui construisentleurs nids sous terre. Elles sont aussi les plus grandes, se jettent en rangs serrés sur 1'hommeou l'animal qui passe et plantent jusqu'au sang leurs aiguillons, que j'appellerai plutôtaiguilles. Les Indiens, qui ont appris au cours du temps combien il est dommageable devouloir fuir, se jettent à terre au plus vite et restent immobiles, évitant ainsi la fureur de laplupart des guêpes; car toutes poursuivent un fuyard. Si elles fondent sur un cavalier, ellespiquent le cheval de leurs dards et le rendent déchaîné, ce qui met celui qui le monte en grandrisque de chute très grave.

Ce que j'ai décrit suffit pour que le lecteur comprenne combien agréable doit être cetterégion et combien on la désire! Qui, de plus, pourra nier la quantité d'or qui s'y trouve, avecle prix duquel tu pourrais même gagner le ciel! Que le lecteur juge le décret d'expulsion desmissionnaires et de leur transfert en Europe51

, et qu'il décide si les Pères troquèrent la patriecontre l'exil ou l'exil contre la patrie! Pour ceux qui nous remplacèrent, notre exil futressenti plus durement que la mort elle-même. La vocation, non la force, rend douces lespeines. Les chefs militaires connaissent bien la grande différence de comportement sous lesdrapeaux d'un soldat selon qu'il est volontaire ou enrôlé de force. Par conséquent, il n'est pasétonnant que certains furent abattus moralement, d'autres physiquement, et que beaucoup

SI Le roi d'Espagne Charles III de Bourbon (Carlos Ill) signa en 1767 le Décret royal et la Pragmatiquesanction d'expulsion des jésuites des colonies. Un an après. le Père Eder quitta sa réduction de Sail Martin deBaures, probablement en avril 1768, en pleine saison des pluies, pour rentrer en Europe. Ce retour fut pénible etplusieurs missionnaires moururent au cours du voyage.

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cum sit Regio, nunquam defuerunt, qui neglectis omnibus humanre, ac rationalis vitrecommodis, spretis honoratio(r)ibus etiam munijs, maluerunt diem suum ibidem obire, quamcum honore licet invitati, vocati, ac p[o]ene compulsi exire. Concedant Superi, ut ossa meaquondam inibi conquiescant, et ossibus illorum viror!!m permisceantur, qui g1.Qriosi, etParentes illarum Missionum, homines magni virtute extiterunt, quorum ego ne quidemcalceamenti cor(rig)iam solvere dignum me invenio. CQ!]Jora illorum in pace seQ!!lta_sunt:nomen~orum vivet)n.generationem, ~ g~n!<rationem: eorum successores ill'[ierunt quidem,quasi qui non fuerint: facti sunt in derisum omni nationi, et in improperium:

26-2sed Dominus est, qui deducit ad inferos, et reducit, quod bonum fuerit in oculis eius, facial.Hic, cum tempus advenerit et maris undas, et ventorum procellas sedabil.

Caput IX.De varijs veneni speciebus, ac effectibus.

§I.De venenis contra animalia.

Mirabitur procul dubio Lector, quomodo homines rudissimi, et summe incurij artemparandi venena didicerinl. Ita nempe ut pessimus quis evadat, ruditas potius iuvat, quamobesl. Certe dignissima admiratione res est, videre tantas veneni species, tam diversos iIludparandi modos, et tam varios eiusdem effectus. Nunc de illis duntaxat agam, qui bus invenatione pro perimendis animalibus utuntur: nam ea, qure ipsi sibi mutuo propinant, quialonge diversa sunt, secunda hui us Capitis sectione referam.

494. Unde, et quomodo paretur?Unum, idque ordinarium, est, quod ex certa illorum velut funium Iigneorum specie, qui,

uti alibi dixi, per arborum ramos hinc inde serpunt hederre instar, conficiunt sequentimethodo. Ligni hui us, quod pugni est crassitudine, fasces aliquot comportat, tum Corticemilium extimum limace leviter radit, qui nulli usui deservil. Dein eodem limace fibras, qureCorticem sequuntur avellit, quin tamen lignum ipsum attingat, utpote quod prorsus inutileab[ylUi)citur. His fibris cucurbitas minores implet, [y](ij)sque aquam ferventem affundit,

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d'autres abandonnèrent leur poste. Bien que la région soit ce qu'elle est, il ne manqua jamaisd'hommes qui négligeant les avantages d'une vie sociale humainement agréable, dédaignantmême les charges les plus honorables, auxquelles avec respect ils étaient invités, appelés etpresque poussés, préférèrent y mourir plutôt que d'en partir. Que Dieu me fasse la grâce quemes os reposent un jour en ce lieu! Et qu'ainsi ils soient unis àceux de tous ces admirableshommes qui, glorieux Pères de ces réductions, se montrèrent personnes de grande vertu.Quant à moi, je ne me trouve même pas digne de délier les lanières de leurs sandales. Leurscorps ont été ensevelis dans la paix et leur nom vit de génération en génération. En vérité,leurs successeurs périrent presque comme s'ils n'avaient pas existé: ils sont devenus objetsde moquerie et de honte pour toutes les nations. Mais le Seigneur est cellli quifait descendreaux enfers et en remonter. Qu'Il fasse ce qui paraît bon à ses yeux! Alors, quand le tempssera venu, Jl apaisera les vag ues de la mer et les tempêtes dues aux vents. 52

Chapitre 9: Des différentes espèces de poisons et de leurs effets

I. Des poisons utilisés contre les animaux

Sans doute le lecteur se demandera comment des hommes aussi ignorants et si peusoigneux apprirent l'art de préparer des poisons. C'est que l'ignorance aide à devenir trèsméchant plus qu'elle ne le gêne, Mais voir tant de poisons aussi variés, de modes depréparation aussi différents et leurs effets aussi divers, est vraiment digne de très grandeadmiration. Pour le moment, je ne traiterai que des poisons utilisés pour la chasse afin de tuerdu gibier. Quant à ceux que les Indiens utilisent les uns contre les autres, j'en parlerai dans laseconde partie de ce chapitre, parce qu'ils sont très différents.

494, Préparation d'un poison de chasseLe poison le plus ordinaire est préparé comme suit, à partir d'une espèce de liane qui,

comme je l'ai déjàdit53, serpente comme du lierre d'une branche à l'autre des arbres. On fait

des fagots avec des morceaux de cette liane qui atteint la grosseur du poing, puis on raclelégèrement l'écorce externe avec une coquille d'escargot, car elle ne sert à rien. Ensuite, avecla même coquille, on détache les fibres qui se trouvent sous l'écorce, sans toucher toutefoisau bois proprement dit qui lui aussi est jeté, car n'ayant absolument aucune utilité. Aprèscela, on remplit de petites calebasses avec les fibres, on y verse de l'eau bouillante, ensuite

" Dans ces dernières lignes, Eder fail diverses citations bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testament. Dansce paragraphe, on perçoit sa profonde douleur de devoir quitter cette terre et ses habitants qu'il ne reverra plus. Eneffet, il mourut moins de quatre ans après, à 45 ans. le 17 avril 1772 (un Vendredi saint). Espérons qu'un jour sescendres seront ramenées dans le Béni (Bolivie), comme il le désirait.

D Aux paragraphes 263 et 459.

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quœ una cum succo fibrarum pel' foramellum gossypio leviter obstructum in subiectum vasstillat. Sœpe triginta, aut plures cucurbitas dictis fibris replent. Si venenum vehementius,quam communiter fit, parare intendit, eandem aquam iam e primis cucurbitis delapsam, cumfervet, novis fibris affundit. Dein sequenti die aquam hanc omnem lento admodum igni velutcoquendam apponit, quin unquam ebulliat. Dum Coquitur, cavent vel maxime fumum indeengredientem. Res tota vix intra diem conficitur, ut noctem etiam ad ollas excubere debeant.Interea lente deficit aqua, nigrescit, et demum spissatur. Soli dein binis, aut tribus diebusexponitur, usque dum p[o]enitus siccetur, ac indurescat. Quando sagittas inungere volunt,tabacœ fortissimœ folia aliquot masticant, et guttis quibusdam expressis venenum tantillumliquefaciunt, ut facilius sagittis inhœreat. Uncta sagittarum extremitate eas iterum soliob[yj(ji)ciunt, et siccas iam, singulas intra ad id paratas cannas recondunt, suo tempareservituras.

26-3495. Eius effectus,

Effectus huius veneni est, san[q](g)uinem lœsi animal(is) totum coagulare, vel potiuscongelare. Reperitur is circa cor dissectœ ferœ, et instar hepatis alicuius manibus prehendipotest. In toto reliquo corpare ne guttam san[q](g)uinis est invenire, (u)t camem tam albam,ac in fera veneno traiecta, nuspiam viderim, nec vi(s)urum sperem. Nec opus est, ut sagittaveneno ilIita intra cames hœreat ut animal perimat: Sat est, si vel radat camem, aut aurem,licet ipsœ terrœ infigatur: modo san[q](g)uinem vellevissime attigerit, animal quodcunqueintra centum passuum spatium concidet. Acus extremitatem veneno quondam intinxi, et eagallum gallinaceum, quam levissime poteram, pupugi, qui in meis manibus intra quatuorPater, et Ave extinctus est. Si vero san[q](g)uinem non attingat, effectu suo caret. Unde siquis homo illud in stomachum tra[y](ji)ceret, modo intestina sana haberet, nihil incommodiexperiretur. Veneno hoc potissimum utuntur Indi ex eo capite, quod quidquid eo interficiatur,secure edi possit, Iicet sit avicula, uti v(erbi )g(ratia): parix, passer, acanthis, modo frustumcamis illud, qua sagitta ingressa est, grossi unius ambitu excindas, quod ipso colore violaceoa reliqua carne discemitur.

496. maxime in try)(i)gride.Nunquam, iucundius spectaculum exhiberi mihi potuit, quam cum tigris aliqua a canibus

arborem conscendere compulsa, et iaculo illo e canna, vulgo [gloB](Blas)rohr, transfixa esset.

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on filtre le jus obtenu par un petit trou fait dans le récipient et légèrement bouché avec ducoton. Les Indiens remplissent souvent de ces fibres de liane une bonne trentaine de petitescalebasses. Si l'on veut préparer un poison plus fort que d'habitude, on verse sur denouvelles fibres le jus obtenu avec les premières, puis on le porte à ébullition. Le lendemainon met sur un feu doux tout le liquide récupéré qu'on porte presque à ébullition, mais sansjamais le faire bouillir. Pendant ce chauffage, les Indiens évitent très soigneusement derespirer les vapeurs sortant du récipient. Ils doivent parfois surveiller les marmites pendant lanuit, car l'opération n'est pas toujours terminée en une journée. Pendant ce temps, l'eaus'évapore peu à peu et le liquide noircit, puis s'épaissit. Ensuite, le tout est mis au soleilpendant deux ou trois jours jusqu'à ce qu'il sèche complètement et durcisse. Quand lesIndiens veulent en enduire leurs flèches, ils chiquent quelques feuilles de tabac très fort etavec quelques gouttes de ce jus ils dissolvent un petit peu de poison pour qu'il adhèrefacilement aux pointes de flèches. Après avoir enduit l'extrémité des flèches, ils les exposentau soleil. Quand elles sont bien sèches, ils les mettent une à une dans des bambousspécialement préparés pour les protéger jusqu'à leur utilisation.

495. Effets de ce poison de chasseCe poison agit en coagulant ou plutôt en congelant le sang de l'animal blessé. En

dépeçant la bête, on retrouve tout le sang autour du coeur et, comme si c'était un foie, onpeut le prendre avec les mains. Dans tout le reste du corps, on ne retrouve pas une gouttede sang. C'est pourquoi je n'ai nulle part vu et ne m'attends pas à voir de venaison plusblanche que celle d'un gibier atteint d'un projectile enduit de poison. Et il n'est pasnécessaire que la flèche empoisonnée reste dans la chair pour que l'animal meure. Il suffitqu'elle égratigne le corps ou l'oreille avant de se ficher en terre. Si elle atteint, mêmelégèrement, le sang de n'importe quel animal, celui-ci tombera mort avant cent pas (140mètres). Un jour, j'ai mis du poison au bout d'une aiguille, puis j'en ai piqué le pluslégèrement possible un coq qui mourut dans mes mains le temps de dire quatre Pater etquatre Ave. En revanche, si ce poison n'arrive pas jusqu'au sang, il n'a aucun effet. Ainsi,si quelqu'un l'avalait, à condition qu'il ait les intestins en bon état, il n'en souffriraitnullement. Les Indiens utilisent de préférence ce poison, car tout ce qui est ainsi tué peutêtre mangé en toute sécurité, même si c'est un tout petit oiseau, comme par exemple unemésange, un moineau ou une linotte54

, à condition cependant d'enlever le morceau dechair, d'une circonférence égale à une pièce d'un gros55

, par où est entrée la flèche et quise distingue du reste de la viande par sa couleur violacée.

496. Effets surprenants sur le tigreJe n'ai jamais contemplé de spectacle plus intéressant que celui d'un tigre56 obligé par

des chiens à grimper sur un arbre, puis ensuite être fléché avec une sarbacane57• Superbe, il

54 Eder donne des noms de passereaux d'Europe à de petits oiseaux d'Amazonie.55 Groschen en allemand, unité monétaire divisionnaire de l'Autriche, valant 1/100' de schilling.56 Ici Eder parle d'un jaguar.'" Eder écrit en allemand ghJ/lrohr sans corriger en blasrohr, écrit actuellement Blasrohr (sarbacane), comme il

l'avait fait au paragraphe 398.

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Ramo alicui crassiori insistebat superba, rugitu subiectos terrere, ac abigere se posse rata.Explosum iaculum nec sentiebat quidem, nec curabat, utpote quod puncturam acus alicuiusvix œquaverat. Attendebam sollicite, quando vim veneni experiri inciperet. Primum turbarioculos, et manu velut abstergere: tum ob ortam Capitis vertiginem, quam frequentior eiussuccussio indicabat, depellere, at in ramum procumbere. Mox titubante cOlpore, uti ebrijsfere evenit, iam manus, iam pes elabi, ac tandem inter mille ridiculas gesticulationes interram decidere, ac mori.

497. Secundum veneni genus.Aliud venenum conficere norunt, quo tamen hisce temporibus nunquam utebantur. E

succo foliorum certœ arboris, ac fibris cuiusdam funis lignei, a priore diversi, eo quoprœdictum venenum modo fiebat. Animal quodcunque illo lœsum intra 60 passus cadebatemortuum, et vis veneni non modo san[q](g)uinem, sed omnem camem etiam inficiebatadeo, ut vix mortuo bene animali difflueret tota putrida, ut prœter ossa remaneret nihil. Ethinc fit, quod Indi illo sagittas suas inungere recusent, cum ferre ipsis deservire nequeant.Natio erat in Missionibus, quœ nunquam induci potuit, ut

26-4Patri modum conficiendi certi veneni aperiret, licet ingredentia omnia patefecerint. Vis autemveneni tanta, quantum vix mi hi posse reperiri persvaderem, nisi plures Patres suismet oculiseam experti fuissent. Arborem proceram, et sanissimam eligunt, cuius tronco sagittam dictaveneno illitam infigunt. Et si quidem venenum sit, quale esse oportet, elapsis quatuor etviginti horis, nullum folium in arbore residuum manere debet, ac rami ipsi iam omni succodestituti.

498. Experimentum dentis C(r)ocod[r)il[l]i.Hoc veneno fuit captum experimentum dentis C(r)ocod[r]il[l]i, eiusque virium. Vivit adhucdum Pater, qui coram Officialibus Hispanis, ac ipso Supremo Exercitus Duce, reliquismaxime incredulo, duobus canibus buccelam casei veneno permixti obiecit. Comederuntambo: unus, qui pendulum e collo dentem C(r)ocod[r]il[l]i habuit, sed a pelle remotum,nonnihil vertiginis sensit, at demum malum omne copioso vomitu depulit. Alter sibi solirelictus statim crepuit. Adducitur alius canis, futurus socius illius prioris, qui denti salutemdebuerat. Porrigitur utrique nova buccella: sed dens eidem, qui antea pendulum è collo

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MissiollSjé.Hlites d'Amazonie bolivienne 171

se tient sur une très grosse branche, pensant que par ses feulements il pourra faire peur et fuirceux qui sont en dessous de lui. Il ne perçoit même pas le trait reçu et ne s'en soucie pas, caril le ressent à peine comme la piqûre d'une épine. J'attendais alors avec inquiétude qu'agissele poison. Tout d'abord ses yeux se troublent et il semble vouloir les essuyer avec sa patte.Ensuite, à cause des vertiges et des maux de tête que révèlent ses tremblements de plus enplus fréquents, il s'éloigne et se couche sur la branche. Peu après, il titube de tout son corpscomme cela arrive d'ordinaire aux personnes ivres, glissant tantôt avec ses pattes avant tantôtavec ses pattes arrière, puis après mille gesticulations comiques il finit par tomber à terre etexpirer.

497. Second type de poisonLes Indiens savent préparer un autre poison que toutefois ils n'utilisèrent jamais pendant

que j'étais là. Ils le préparent comme le précédent, mais à partir du lait des feuilles d'un arbreet des fibres d'une liane, différente de celle utilisée pour le premier poison. Tout animalblessé avec ce poison tombe raide mort avant soixante pas (84 mètres). La toxicité de cepoison atteint non seulement le sang mais également toute la chair. À peine morte, la bêtepourrit sur place et il n'en reste rien, sauf les os. C'est pourquoi les Indiens cessèrentd'enduire leurs flèches avec ce poison, car ils ne pouvaient utiliser la venaison de leur gibier.Il y avait une nation parmi les réductions, dont les membres n'acceptèrent jamais de révélerau Père la façon de fabriquer un certain poison, tout en voulant bien en indiquer tous lesingrédients. Mais la force de cette préparation est telle qu'à peine j'aurais imaginé que celapuisse exister si plusieurs missionnaires n'en avaient été témoins oculaires. Les Indienschoisissent un arbre très grand et très sain, dans le tronc duquel ils plantent une flècheempoisonnée avec ce produit. Et si le poison est bien tel qu'il doit être, en vingt-quatreheures il ne reste plus une seule feuille sur J'arbre et les branches elles-mêmes sontégalement privées de sève.

498. Expérience avec la dent de crocodile comme antidoteUne expérience avec ce poison fut tentée en utilisant comme antidote la dent de

crocodile58 pour en tester la force de protection. Il est encore vivant le Père qui, devant desofficiers espagnols et leur propre général en chef59

, le plus incrédule de tous, proposa à deuxchiens, qui tous deux en mangèrent, une bouchée de fromage additionné de poison. L'un, quiportait à son cou une dent de crocodile qui ne touchait pas sa peau, ressentit quelquesvertiges, mais ensuite expulsa tout le venin avec d'abondants vomissements. L'autre,abandonné à lui-même sans antidote, creva sur-le-champ. On amena un autre chien, futurpartenaire de celui qui devait son salut à la dent de crocodile. On donna à chacun d'eux unenouvelle boulette de fromage avec du poison. Cette fois, la dent de crocodile qui auparavantétait suspendue au cou du chien survivant par un collier lâche fut mise de façon à toucher lapeau de l'animal, une fois le collier resserré. En peu de temps, le nouveau chien sans antidote

58 Aux paragraphes 421 et 422, Eder a déjà parlé des vertus des dents du caïman noir (Melano.l'uchus niger),dont il s'agit ici: le plus grand des caïmans et qui sent fort, ajoute-t-il.

59 Juan Francisco Pestafia y Chumacero (voir paragraphe 421 et diverses notes de Barnadas, 1985).

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habuerat, et quidem arctius, pelli nempe alligatur. Perijt intra pauca momenta recens adductuscanis: alter vero, etsi duas buccellas sumpsisset, secundee nullum prorsus vel levissimumindicium preebuit, sed incolumis stupentibus, ac assentientibus omnibus abivit.

§ II.De venenis contra homines.

Incredibile videtur, quot modis, ac artibus se mutuo, aut perimere, aut molestis,diuturnisque infirmitatibus inficere norint. Non secus, ac Medici eradicandis, autlev[ie](a)ndis morbis, ita illi inferendis quotidie novis studere videntur, ut merito dubitem, anEuropeeorum malitia eos exeequet, aut superet. Queedam veneni genera mortem intra horam,alia intra hebdomadam, non nulla intra unum, pluresve, menses inferunt; pleraque hominemleedunt duntaxat, et ineptum ad munia queelibet, ac operas diuturno martyrio officiunt. Quinimo natio ex ultimo detectis, reductisque fuit, quee pactum cum D[oe](ee)mone habuissevidetur. Nam sive rem ipsam, qua veneni loco utebantur, sive modum illam applicandi,introducendique spectes, nihil naturee agentis viribus tribui posse reperies. Rem vero omnemmihi primus narraverat ipse Missionarius, qui septem millia eorum e sylvis olim eduxerat,/idem [X] (Chris)ti edoctos baptizaverat, ac etiam inter ipsos magna sanctitatis fama obierat,natione Svevus.

499. Mures /:Natio:/ Racto Diabolico homines perimit.Natio Mures vocabatur, duree cervicis, perfida, et qua magis indomitam, pravam, ac vitiorumsuorum tenacem non novi. Quando Lusitani Missionem hanc cum sacris eedibus in Cineresipso Tutelaris Sancti die redegerunt, et

26-5abductis in suam munitionem Indis, nemo fui, nec inter Indos quidem reliquarum Missionum,qui non digitum Di(vum?) in tanta clade agnovisset. Modus autem tollendi e medio inimicumhic erat. Tabacee folium vel masticabant, vel in pulveres attereba(n)t, et deinde indagabant,ubinam lectus nocturno tempore inimici foret. E(t) cognito, cum eum dormire credebant,tabacam per cannam super tectum domus efflabant, ita tamen, ut ea linea recta decideret ineam tecti partem, subter qua inimicus iacebat. Non erat quidem conditio necessaria inimicisomnus, sed metus, ne forte detegerentur, si de die attentarent, eos facinus suum [n] inter

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mourut; quant à l'autre, bien qu'ayant pris deux boulettes empoisonnées, il ne montra pas lemoindre signe d'indisposition avec la seconde, mais s'en alla sain et sauf devant tous lesspectateurs étonnés et convaincus.

II. Des poisons utilisés contre les gens

Le nombre de moyens et de méthodes que connaissent les Indiens pour s'entre-tuer oupour infliger des infirmités qui handicapent et persistent longtemps est incroyable. Toutcomme les médecins recherchent quotidiennement de nouvelles drogues pour éliminer ousoigner les maladies, de même les Indiens le font mais pour en provoquer. C'est pourquoi j'aides raisons de me demander si la méchanceté des Européens égale ou dépasse celle de cesgens. Il y a des poisons qui tuent en une heure, d'autres en une semaine, et quelques-uns enun ou plusieurs mois. La plupart agissent uniquement sur les humains et les rendentincapables de tout travail ou acti vité à cause de violentes souffrances persistantes. Bien plus,il y a une nation, parmi les dernières découvertes et amenées à une réduction, qui sembleavoir passé un pacte avec le démon. En effet on ne trouve rien qu'on ne puisse attribuer àl'action de forces naturelles, si l'on regarde la substance même utilisée comme poison ainsique la manière de l'appliquer et de l'inoculer. Celui qui le premier me raconta tout cela fut lemissionnaire qui jadis avait fait sortir de la forêt sept mille de ces Indiens et avait baptiséceux qui étaient instruits dans la foi du Christ. Il est mort parmi eux en odeur de sainteté, Ilétait originaire de Souabe60

499. Cette nation des Mures (Moré) supprime les gens au moyen d'un pacte avec le diableCes Indiens, appelés Mures61 (Moré), sont durs de caractère et perfides: je n'en ai pas

connus de plus rebelles, dépravés et enracinés dans leurs vices. Quand le jour de la fête dusaint patron62 les Portugais du Brésil réduisirent en cendres la réduction des Moré, y comprisl'église et ses annexes, et emmenèrent ses habitants dans leur fort, il n' y eut personne, mêmeparmi les Indiens des autres réductions, qui n'ait vu le doigt de Dieu dans un tel désastre.Quant à la méthode moré pour éliminer un ennemi, la voici. On chique une feuille de tabacou on la réduit en poudre, puis on recherche où se trouve la couche qu'utilise la nuitl'ennemi. Cela connu, quand on pense que celui-ci dort, on projette le tabac avec unesarbacane sur le toit de sa demeure, de façon qu'il arrive directement sur la partie du toit quise trouve juste au-dessus de l'endroit où l'ennemi est couché. Le sommeil de l'ennemi n'estpas du tout une condition nécessaire, mais la crainte d'être découvert par hasard s'ilsagissaient de jour, pousse ces gens à commettre leur forfait dans l'obscurité. Celui-ci

60 Région du sud de l'Allemagne.61 C'est probablement le peuple Moré ou lIé/lez. En Bolivie, il se trouve sur la rive gauche du rÎo Guaporé (ou

Iténez) dont certains groupes près de la mission où a longtemps vécu le Père Eder, San MartÎn de Baures.62 Le 29 septembre (fêle de Saint Michel) 1762, la mission de San Miguel fut détruite par les Portugais qui

emmenèrent les deux missionnaires jésuites et tous les Indiens de la réduction (voir paragraphe 94 et Bamadas,1985, p. 44, note II ; p. 260, notes 8 et 9).

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tenebras, exequi induxerat. Hoc facto inimicus post unam, alteramve horam intervehementissimos totius corporis cruciatus, ac clamores expirabat.

500. Exemplar Indi hac ratione sublati,Idem Pater, cum adverteret me de rei veritate dubitare, in illius confirmationem casum,

qui ipsi proxime acciderat, narravit. Pnefecerat universis unum quempiam Indum optimreindolis, obsequentem, strenuum, et in explendis [X](chris)tiani hominis partibus indefessum.Cumque congregatis reliquis omnibus Indus, recens electus silentium indixisset, concionemad eos habuit, [re] qua eos hortatus est, ut mores pessimos deponerent, et fidei, quam amplexiessent, se in posterum magis aptare satagerent. Quiete hucusque dicentem audiebant. Addiditin fine sure concionis minas, dixit se vigilaturum solerter super ipsis, ac quidquid contrariumviderit, et [X](chris)tianum hominem dedecens, persecuturum. His auditis vindictam inproximum diem statuunt, et maxime peritum designant, qui optimre mentis hominem Patrieripiat, ac e vivis tollat. Nec mora: nondum illuxit dies, quando iam funus erat. Morbusomnis tabaca fuit.

SOI. imo et Patfis cuiusdam.Aliud adhuc funestius crudelitatis exemplum adferam, in Patrem Missionis cuidam mihi

vicinre prrepositum executioni datum. Celebres binos ex eadem natione habuit, qui plmesIndos hac arte sustulerant. Cumque ipsos srepius monuisset, ut finem nocendi facerent, necipsi prreter verba aliud darent, atque in quoslibet nefarie grassari pergerent, statuit Pater eos eMissionibus expellere, atque proxima occasione in Regnum Peruanum exules deportare.Servabantur interea clausi, ne ampli us nocere auderent. Advenerat in Missionem MilitumPrrefectus, Patri et notissimus, et amicissimus: is cum Patre obambulans vidit binos illos totfunerum reos, cumque eorum delicta non minus, ac latam in eos exilij sententiam obi terenarrasset Pater, veniam Prrefectus importunis precibus pro ipsis oravit, et consecutus est.Priusquam eos dimisisset Pater, serio hortatus est, sibi in posterum

26-6caverent, neve nova delicto sententiam revocarent. Vix loqui desijt Pater, quando se eum emedio sublaturos, ad nonnullos adstantes spoponderunt, prius quam ipsi eos in exilium ageredenuo incideret. Vix dies octo prreterlapsi sunt, quando se repente prostratum sensit adeo, utme quantocius evocaverit. Et quamvis diu, noctuque profectus sim maxima, qua poteramvelocitate, eum non modo mortuum, sed foetidum etiam deprehendi, fuga dilapsis binis illismortis au(c)t[h]oribus. Uterque scelestus non alio homines perimendi medio utebatur, quamtabaca, ea, quo superius dixi, methodo.

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effectué, l'ennemi expire en une ou deux heures, après de très violentes douleurs dans tout lecorps et des hurlements de souffrance.

500. Exemple d'un Indien éliminé de cette façonLe même Père, quand il remarqua que je doutais de la réalité de ces faits, me raconta en

guise de preuve un cas qui l'avait touché de près. Il avait mis comme chef de tous les autresun Indien d'un naturel excellent, obéissant, courageux et infatigable dans la diffusion dumessage chrétien. À peine nommé, cet Indien demanda le silence à tous les autres rassembléset leur fit un sermon pour les exhorter à abandonner leurs moeurs déplorables et à s'évertuerdans l'avenir à mieux vivre selon la foi qu'ils avaient adoptée. Jusqu'alors tous écoutaientdans le calme l'orateur. Mais celui-ci ajouta à la fin de son prêche des menaces, en disantqu'il les surveillerait attentivement et qu'il s'acharnerait contre tout comportement opposé oune convenant pas à celui d'un chrétien. L'ayant entendu, les auditeurs décidèrent de se vengerdès le lendemain et désignèrent le plus expérimenté d'entre eux pour arracher aumissionnaire son homme de confiance et le rayer des vivants. Cela ne tarda pas: avant lelever du jour cet homme était déjà un cadavre. Sa seule maladie lui était venue du tabac!

501. Même sort d'un missionnaireVoici un autre exemple encore plus sinistre de cette cruauté qui fut exercée contre le Père

chargé d'une mission63 proche de la mienne. Il y avait deux individus célèbres de cette nationmoré qui par cette méthode avait fait disparaître plusieurs Indiens. Le missionnaire les avaittrès souvent sermonnés pour qu'ils arrêtent de nuire, mais cela n'avait rien donné, si ce n'estdes paroles non tenues de leur part, car ils continuaient de plus belIe à perpétrer leurs crimes.Alors le Père décida de les bannir des réductions et, à la première occasion, de les expulservers le royaume du Pérou, En attendant, ils étaient enfermés pour qu'ils ne puissent plussévir. Sur ces entrefaites, arriva à la mission le chet4 d'une armée, très connu et grand amidu missionnaire. Se promenant avec le Père, il vit ces deux fameux prisonniers coupables detant de meurtres. Chemin faisant, alors que le missionnaire lui expliquait en détail leursdélits, ainsi que la sentence d'exil prononcée contre eux, le gouverneur demanda leur grâceavec des supplications insistantes et l'obtint. Avant de les élargir, le Père leur conseilla deprendre sérieusement garde à eux, car tout nouveau délit impliquerait automatiquementl'application de la sentence de bannissement. Le missionnaire avait à peine fini de parler queles deux assassins annoncèrent à quelques personnes présentes qu'ils le supprimeraient avantqu'il n'ait l'occasion de les chasser vers l'exil. À peine huit jours après, le Père se sentitsoudain si mal qu'il me fit mander d'urgence. Et bien que je me fusse mis aussitôt en route etaie marché nuit et jour le plus vite possible, je l'ai trouvé non pas seulement mort maissentant déjà mauvais; quant aux deux meurtriers ils avaient pris la fuite. Pour assassiner lesgens, ces deux scélérats n'utilisaient comme moyen que le tabac, comme je l'ai déjà dit65

'" Probablement San Miguel, avant sa destruction en 1762, dont Eder vient de parler dans les précédentsparagraphes.

64 /1 s'agirait du gouverneur espagnol de Santa Cruz de la Sierra, Alonso Verdugo, lors de sa première venueen 1760 (voir Barnadas. 1985, p. 261. note 12).

'" Au paragraphe précédent n° 500.

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502. Unde venena parent?Sed ad ea, qu~ viribus naturalibus operantur describenda, gradum faciamus. Alia ex

resinis arborum, alia ex succis plantarum, alia e salibus terr~ distillatis parant. Id, quodomnium est vehementissimum, et mortem celerrime adfert, hoc modo pr~parant. Arborqu~dam est, sub cuius umbra ne unica quidem herba, aut arbustum unquam pullulat: Indiaffirmant umbram ipsam esse tam noxiam, ut sive homo, sive animal sub ea consid[e]at, etaliqua temporis mora quiescat, iIl[u](i)co intumescat, ac moriatur. Ego quidem eorumopinioni assentior tum ex [y ](ij)s, qu~ mox dicentur, tum quia Cartagen~ in Americaarborem tam nocivam dari compertum est. Terra omnis, quousque arboris supradict~ umbrapertingit, albicat, ac si sale minutissimo conspersa esset, uti ferme loca salis nit(r)ei feraciaesse soIent. Quando Indi terram hanc colligere volunt, frustum corij crudi plant~ pedisaptant, alligantque, et cum Auster aliquis frigidior ingruit, corrasam pr~longisperticis terramin vasa ad id parata immittunt, et bene teeta auferunt. Domi deinde aquam ferventemaffundunt, qu~ per foramellum eftluens omnes sales secum evehit, qui sensim in fundo vasisconsident, et effusa aqua ad solem siccantur, ac futuris usibus asservantur.

503. Quis eius usus ?Huius pulveris tantiIJum sub un[q](g)ue pollicis dexter~ manus immittit, ac inimicum

cum c~teris hospitibus parato patu die solemniori excipit. Cucurbita pro vasis deservit. Hancobvium est ita manu prehendere, ut pollex ori illius immergatur. Hospitibus secundumordinem, quo consederunt, bibentibus, cum [o]ad inimicum, quem sublatum vult pincema,devenitur, ei ut reliquis potum propinat, sed pollicem potui immergit, ut pulveres sub eoreconditi permisceantur. Bibit infelix, et post horam expirat. Alij tamen, si quid suspicantur,cucurbitam tantisper palm~ manus imponunt, et digitis reliquis apprehensam experiuntur. Estenim tant~ vehementi~hoc venenum, ut cucurbitam pervadat, et manum, qua eam contingit,instar formicarum vellicet. Sed quis non miretur Civilitatis Indic~ leges? quis credat eoposse earum obligationem devenire, ut hominem conscium ad

26-7se enecandum, aut saltem periculo mortis subeund~ obstringant? Ha tamen res se habet.Licet enim alter experimento dict~ vellicationis celtior fiat, sibi venenum mOltiferum essepropinatum, sine gravissimo dedecore illud recusare non potest, sed unum, alterumvehaustum sorbe(r)e ab introducta consvetudine constringitur. Indus fuit in mea Missione,quem inimicus pr~tereuntem ad haustum invitaverat. Admisit, sed iniuri~ veteris, et odiorummemor experiri voluit, an sibi venenum porrectum sil. Id ubi advertit, ne in legem

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502. Avec quoi les Indiens préparent les poisons utilisés contre les hommesMais décrivons les poisons qui agissent de façon naturelle. Les Indiens les préparent,

certains à partir de résines d'arbres, d'autres à partir de la sève de plantes, d'autres encore àpartir de sels minéraux extraits de la terre. Le poison le plus fulgurant de tous, qui conduit leplus rapidement à la mort, est préparé comme suit. Il existe un arbre à l'ombre duquel aucuneplante, ni aucun arbuste ne pousse. Les Indiens affirment que son ombre même est sidangereuse que, si un homme ou un animal s'y installe et y reste un certain temps, ilcommence à enfler, puis meurt. Pour ma part, je partage leur opinion par ce qui va bientôtêtre exposé et parce qu'à Cartagène66 il a été découvert qu'un arbre aussi dangereux existaitbien en Amérique. Tout le sol qu'atteint l'ombre de cet arbre blanchit comme s'il étaitrecouvert de sel très fin, avec la même apparence qu'ont d'ordinaire les endroits riches ennitre67

. Quand les Indiens veulent ramasser de cette terre, un jour d'auster68 très froid ilsmettent et attachent à leurs pieds des morceaux de peau non tannée, puis en raclant ilsmettent avec de très longues perches cette terre dans des récipients préparés pour cela qu'ilsemportent ensuite soigneusement fermés. Chez eux, ils ajoutent de l'eau bouillante qu'ilsfont ensuite couler par l'ouverture du récipient, et qui emporte ainsi dissous tous les sels qui,peu à peu, se déposent dans le vase de réception. Puis ils font évaporer au soleil l'eaurecueillie et conservent les sels séchés pour les utiliser ultérieurement.

503. Utilisation de ce poisonOn met un tout petit peu de ce poison en poudre sous l'ongle du pouce de la main droite,

puis on reçoit, parmi d'autres invités, son ennemi avec de la boisson préparée à l'occasiond'une fête. Une calebasse sert de coupe à boire. Il est facile de la prendre avec la main defaçon que par l'ouverture le pouce puisse être plongé dans le liquide. Les convives boiventdans l'ordre où ils sont assis. Arrive le tour de l'ennemi que l'échanson veut éliminer. À cedernier comme aux autres invités il offre de la boisson, mais après y avoir trempé son poucepour que la poudre cachée sous son ongle s'y dissolve. Le malheureux invité boit et décèdedans l'heure. Cependant certains, qui suspectent quelque chose, prennent la calebasse àpleine main et l'inspectent avec les doigts en la saisissant. En effet, la force de ce poison esttelle qu'elle traverse la calebasse et provoque des picotements dans la main qui la touche.Mais qui ne va pas s'étonner des lois du savoir-vivre indien? Qui croira que le respect de ceslois peut obliger un homme, en toute connaissance de cause, à se donner la mort ou du moinsà la risquer? Pourtant il en est bien ainsi. Car un Indien, bien qu'absolument certain de laprésence de poison mortel en raison des picotements décrits plus haut, ne peut refuser laboisson empoisonnée qui lui est offerte, sous peine de très grave déshonneur et, par respectde la coutume, il doit en boire une ou deux gorgées. Il y avait dans ma mission un Indien quien passant fut invité à boire par un ennemi. Il accepta, mais se souvenant de l'ancien outrageet de leur haine, il voulut savoir si la boisson offerte était empoisonnée. S'étant rendu compteque oui et pour ne pas enfreindre la règle, il but un petit peu puis, avec la même courtoisie

6(, Cartagena de llUlias, port déjà cité de l'actuelle Colombie.67 Nitrate de potassium, espèce de salpêtre.6R Vent froid du sud, appelé surazo ou simplement sur.

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delinqueret, bibit modicum, et quod supererat, /:superfuit autem plurimum:/ inimico ipsi, parihumanitate, qua sibi oblatum fuit, detulit. Hic, nescio an metu, ne se proderet, an vero ex legealiqua barbarre civilitatis exhausit reliquum, et brevissime decessit; altero superstite, utpotequi, utprimum domum pervenit, folia aliquot tabacre calida perfudit, et expressum succumbibit, atque hoc pharmaco malum omne evomuit.

504. Exempla guredam.Indus alius, qui et Ecclesire, et redibus tum meis, tum Indorum ignem nocte intempestu,

cum Auster horrendus flaret, supposuit, quo tertium iam omnia in cineres redacta sunt, ut neCalix, nec aliud quidquam prreter Ciborium e Sacrario pugnis effracto liberari potuerit,superiorum iussu in exilium relegari debuerat. Aderat prrefixa dies: cumque equum iamconscendisset, inter agnatos mulier adfuit, qure ut a poenis exilij miserum liberaret, eihaustum hoc veneni genere delibutum obtulit, nescio an scienti, an vero ignoranti. Bibit,abijt, et non longe abinde mortuus ex equo decidit. Alia Missio à mea non longe abfuit, cuiusIndi mutuis, et p[o]ene quotidianis credibus se se consum[m]ebant. Et utinam srepe ulteriusnon esset progressa eorum audacia. Prreter Patrem ilium, quem mortuum me reperisse pauloante narravi, alium quoque, itidem vicinum mihi, sed nonnisi post duorum mensium cruciatussustulerant. Alium e medio quoque tollere decreverunt, iamque cocus consenserat, imo etiamcibo iniecerat venenum: sed cum rei conscius esset puer lixa, atque cum eo ante prandiumnescio quas rixas habuisset cocus, eumque percussisset, hic vindictre studio Patremopportune prremonuit, servavitque. Mihi ipsi in melle, quod in coena ap(p)ositum fuit,pulveres quosdam, [,] C[y](in)namomo simillimos porrexerunt, quos nisi advertissem, ardoretam vehementi viscera incendissent, ut Indorum testimonio fluvius integer illi sedando nonsuffecisset. Caput prreterea continua vertigine, ac quadam fatuitate labefac[ta]tum, inutilemper pl ures menses me reddidisset, donec viribus, destiturus lenta morte absumptus obijssem.Hodie certo apud plerasque nationes, nostrarum Missionum Patres sagittis confici, lanceistransverberari, aut frameis ilIis ligneis,

26-8è ligno durissimo elaboratis feriri, enecarique vix solebant: plures tamen absque ullo strepituveneno sublatos aut compertum fuit, aut saltem prudenter dubitatum. Neque opus erat, utIndus ad pessima hrec consilia ineunda, atque executioni mandanda gravi motivo niteretur:vana quredam apprehensio se a Patre contemni, vilipendi, despici: delicti gravissimi iustaexprobrat[r]io aliquem nonnumquam induxit, ut mortale peculum propinaret, ignem Missioniadmoveret, aut fugam in silvas et ipse, et reliqui omnes ab eo inducti arriperent. Experientia,hrec ita se habere, ut reliquos taceam, mihi ipsi demonstravit.

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que celui-ci l'avait invité, offrit àson ennemi le reste de la boisson qui était encore en grandequantité. Celui-ci, je ne sais si c'est par crainte de se trahir ou par respect d'un code desavoir-vivre barbare, but tout le reste et mourut peu après. L'autre survécut car, dès qu'il futarrivé chez lui, il se fit aussitôt une infusion chaude avec quelques feuilles de tabac et but leliquide obtenu, ce remède lui permit de vomir tout le poison ingéré.

504, Quelques faits vécusUn autre Indien qui, une nuit d'intempérie avec un épouvantable auster, avait mis le feu

à l'église, à ma maison et à celles des Indiens, fut condamné au bannissement par décisiondes supérieurs. Je rappelle que c'était déjà la troisième fois que toute la mission était réduiteen cendres et que ni le calice ni rien d'autre n'échappa aux flammes, si ce n'est le ciboire quiput être sauvé, le tabernacle ayant été fracturé à coups de poings. Arriva le jour fixé pourl'exil. Le condamné était déjà monté sur son cheval; parmi ses parents il y avait une femmequi, pour déli vrer ce misérable de la peine du bannissement69

, lui offrit une boisson contenantde ce violent poison. En connaissance de cause ou non, je ne sais pas, l'exilé but, partit etnon loin de là, déjà mort, tomba de sa monture. Dans une autre réduction, proche de lamienne, les Indiens se faisaient disparaître mutuellement par des assassinats presquequotidiens. Et si seulement leur audace n'était pas allée plus loin! Car, en plus du Père quej'ai retrouvé mort comme je l'ai raconté il y a peu?O, ils en firent mourir un autre, égalementmon voisin, supplicié à peine deux mois plus tard. Or ils avaient encore décidé d'ensupprimer un troisième; son cuisinier y avait déjà consenti et même mis le poison dans sanourriture. Un jeune marmiton était au courant, mais avant le dîner le cuisinier avait eu aveclui je ne sais quelle dispute et l'avait frappé. Pour se venger, l'adolescent avertit à temps lemissionnaire et lui sauva ainsi la vie. À moi également, des Indiens présentèrent dans dumiel, qui me fut servi au souper, de la poudre ressemblant beaucoup à de la cannelle, Si je nel'avais pas détecté, ce poison m'aurait brûlé si violemment les intestins que, selon letémoignage des Indiens, toute l'eau du fleuve n'aurait pu éteindre cet incendie! De plus, ilm'aurait rendu sans faculté pendant plusieurs mois, avec des vertiges continuels, etmentalement atteint, jusqu'à ce qu'abandonné par mes forces je mourusse à petit feu.Actuellement, il est vrai que dans la plupart des nations les Indiens n'ont plus beaucoupl'habitude de tuer avec leurs flèches les Pères de nos missions, de les transpercer de leurslances ou de les frapper avec leurs fameuses framées?! en bois très dur. Cependant plusieursmissionnaires, sans aucun tumulte, ont été supprimés avec du poison, comme cela a étéprouvé ou du moins suspecté avec raisons. Et un Indien n'a pas besoin d'un motif grave pourconcevoir et exécuter de si sombres projets. Il suffit qu'il ait le simple sentiment que le Pèrene fait pas cas de lui, le traite avec mépris ou le regarde de haut. Un reproche justifié pourune faute très grave peut parfois amener un Indien à offrir un breuvage mortel, à mettre le feuà la mission, puis à prendre la fuite en forêt en entraînant tous les autres habitants de laréduction, Ma propre expérience, sans parler de celle des autres, m'a montré que cela sepasse ainsi.

69 L'éloignement de sa terre et de sa communauté était pour un Indien une sanction pire que la mort,7\1 Au paragraphe 50\.71 Longs javelots.

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505. Aliud veneni genus.Antequam aliud violentissimi veneni genus describam, occasionem, qua in tanti mali

noticiam deveni, breviter narrabo. Pl ures anni abierant, quin ego vellevissimum indiciumhabuerim, Indos mihi commissos hac in arte peritos esse. Adeo nempe sua Patri tegerestudent, suo licet incommodo. Juvenem quendam, domesticis rebus, ac oeconomireprrefectum habui, quem a pueritia magno cum amore educavi: videram enim indolem creterisprrestantiorem, animum ad pietatem propensum, et magnam ad qurelibet addiscendacapacitatem. Cum hoc srepe instructione privata de [y](ij)s rebus agebam, qure ipsumquondam et Numini gratum, et utilem mihi, ac toti Missioni facere poterant. Quandomatrimonium inijt, cum iam liberius cum creteris ageret, ipse quoque instabam frequentius, utanimre curam semper prre oculis haberet. Accidit, ut versa in ipsius idioma novendialiS.Iosephi devotione, eam cum ipso peregerim. Reddidit Divus hic, tam in clientes suosprodigus, mercedem tantam, quantam ipsum decebat. Vix enim finem eidem imposuimus,cum ecce adest Iuvenis horis, quibus cubitum iturus eram, lachr[y](i)mis perfusus. Insolitamrem miratus quresivi, cur plo[a]ret? reposuit post multos singultus, se velle confiteri. Crevitadmiratio: nunquam enim in ilIam diem tam insignia poenitentis animi signa in ullodeprehendi, et quid magni ipso statim animo ominatus sum, quamvis à rei veritate quamlongissime aberraverim. Consedi, audivi, et exhorrui, quando tantarum superstitionum,abusuum pessimorum, consvetudinum barbararum, [a] numerosum denique et venenorum, etcriminum in Missione regnantium Catalogum enarrari audivi. De qui bus omnibus eo minusdubitare potui, quod se primum, tum Matrem, fratres, et amicissimos quosque [y](ij)sdemvitijs irretitos diceret, et eadem deinde eodem dolore impulsus extra p[oe](re)nitentire tribunalder[e](i)geret, ac verissima esse omnia eventus comprobare[s](t).

27-1Prima statim facie adverti, quam arduum negotium prre manibus haberem. Cum enim

nemo in tota Missione immunis esset a dictis sceleribus, et tamen [y](ij)s deinceps valedicerenecessum esset, res omnes superstitioni deservientes mihi consignare, venena ab[y]Ui)cere,herbas, illam prresertim, quam Marari primo \ibro vocari dixi, evellere, verbo, cum omnisMissio velut à fundamentis construi, ipsique novum hominem induere deberent, nondubitabam communem omnium hostem, tempestatem aliquam in me concitaturum, et insita

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505. Autre sorte de poisonAvant de décrire un poison très violent d'une autre espèce, je voudrais brièvement

raconter en quelle occasion j'ai eu connaissance de tant de violence. Plusieurs annéespassèrent sans que j'eusse le moindre soupçon que les Indiens qui m'avaient été confiésétaient des experts dans cet art de l'empoisonnement. Car ils cachaient très soigneusementleurs actions au missionnaire, même à leurs dépens. J'avais élevé avec grand amour depuisson enfance un jeune qui était chargé des tâches domestiques et agissait comme économe.Car j'avais remarqué chez lui des dispositions nettement supérieures à celles des autres, uneinclination à la piété et une grande capacité pour apprendre toutes sortes de choses. Je luienseignais souvent en privé ce qu'à ce moment-là il pourrait faire d'agréable pour Dieu etd'utile pour toute la mission et pour moi-même. Une fois marié, il agissait déjà avec plus deliberté vis-à-vis des autres habitants, aussi insistais-je encore plus fréquemment pour qu'il aittoujours présent à l'esprit le soin de son âme. C'est ainsi que je terminai avec lui latraduction dans sa langue des prières de la neuvaine à saint Joseph. Ce saint, si généreuxenvers ceux qui l'honorent, donna en retour une grâce tout à fait digne de lui. Car, à peineavions-nous terminé la traduction de cette neuvaine qu'au moment où j'allais me coucher,arriva tout à coup ce jeune homme en larmes. Étonné d'une chose aussi insolite, je luidemandai pourquoi il pleurait. Il répondit après moult sanglots qu'il voulait se confesser.Mon étonnement augmenta: en effet, jamais jusqu'à ce jourje n'avais trouvé chez quelqu'undes signes aussi remarquables de contrition et par son intention j'ai aussitôt pressenti quelquechose d'important, bien que je fusse très loin de soupçonner la réalité de l'affaire. Je me suisassis, ai entendu la confession, puis ai frissonné quandj'ai entendu rapporter en détailla listede tant de superstitions, des pires excès, de coutumes sauvages, enfin des nombreuxempoisonnements et crimes, qui subjuguaient la réduction. Je ne pus d'autant moins douterde la réalité de tous ces faits qu'il affirma qu'étaient impliqués dans les mêmes vices, d'abordlui-même, puis sa mère, ses frères, ainsi que tous ses meilleurs amis. Ensuite, en dehors de laconfession72, mû par le même remords, il reprit systématiquement ces faits et confirma quetous ces événements étaient absolument véridiques. De prime abord je me rendis aussitôtcompte de la difficulté du problème que j'avais sur les bras. En effet, dans la réduction tousétaient impliqués dans ces crimes qu'il leur faudrait pourtant complètement abandonner. Ilsdevraient me livrer tous les objets servant à leurs superstitions, se démettre de tous leurspoisons, arracher leurs plantes utilisées pour leur magie, tout spécialement celle dont j'ai ditau Livre premier?3 qu'elle a pour nom marari. En un mot, toute la mission devait être, pourainsi dire, reconstruite depuis les fondations et les Indiens devaient devenir des hommesnouveaux. Mais pour cela je ne doutais pas que notre ennemi commun à tous essaierait deprovoquer un grand trouble en moi-même, puis profiterait de la légèreté naturelle ducaractère des Indiens et de leur humeur changeante pour obtenir ma perte. Effectivement, jedécouvris qui devait m'empoisonner et me donner la mort avec une macana, c'est-à-direavec ce fameux glaive en bois: tentatives qui avortèrent. L'unique chose qui se passa futqu'une nuit tous les Indiens, à l'exception de sept, disparurent en forêt. Jusque-là il fut

n Littéralement: tribunal de la pénitence.D Paragraphe 240.

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Indis animi levitate, ac inconstantia in mei pemiciem abusurum. Et reipsa reperit, qui etvenenum porrigere, et Macana, seu gladio illo ligneo mortem inferre, quamvis in cassumtentaverit. Unice consecutus fuit, ut nocte quadam prreter septem Capita, reliqui omnes insilvas dilaberentur. Hucusque ipsi srevire permissum fuit, Deo ac Divo Iosepho deinceps mihitam propitijs, ut et oves e silvis redierint, unico illo, qui et veneni porrecti, et fugreau(c)t[h]or fuit, ad Lusitanos dilapso, ubi ob novum delictum carceri mancipatus, fame in eoemortuus est, et consignatis mihi pessimis suis rebus omnibus, longe diversum vitre tenoremin posterum auspicati sint. Disposueram, ut ante auroram expiaturi conscientias accederent,simulque superstitionis vasa, et instrumenta, ac? nec non venena sua secum afferent. Attulitquidam piura veneni vascula, meque admonuit, unum ex illis esse vehementissimum, a quoproinde mihi sedulo caverem. Dicto Missre sacrificio redieram in cubiculum, et Iuveni menea in fiuvium ab[y](ji)cienda consignavi, vasculum illud speciali cura dignum indigitans.Detraxit panniculum, quo vas tegebatur, atque curiositate quadam actus me pnesentemodicissimum pulverem, illius melius noscendi causa in terram effudit. Et cum revera tale,quale ipse iudicaverat esse, deprehendisset, iIlud non sine indignatione, ac contemptu, plantapedis, uti facere solemus, semel duntaxat elisit. Compositis in corbiculo vasculis omnibus adfiuvium ire paravit, quando iam de pede illo conqueri coepit. Crevit intra pauca momentadolor, et nervorum puncturre, ut relictis vasculis domum alio manum dante ire, ac decumberecoactus sit. Intra horre dimidium tantis doloribus se cruciari sensit, ut moriturum nondubitarem, totusque pes foede inrumuerit. Deo tamen opitulante, et medijs oportunis adhibitisconvaluit quidem, sed pel' binos menses obambulare, vellecto egredi non potuit, came pedisquasi exsiccata, et nervis ipsis non parum contractis. Quid hoc venenum cibo, aut potuiimmistum faceret, quod leviter attritum pede, cuius pellis defectu calceorum crassissima,Iuvenem mortis periculo obiecit, Lector ipse conjectura facile assequetur.

506. Alij diversorum venenorum effectus.Sed quis enumeret omnes venenorum usitatorum classes? quis pessimos eorum effectus

indaget, aut memoria retineat? quis damna sibi mutua illata

27-2aut sciat, aut referat ? Cum in Missione essem, omnia fuse adnotavi, et plures, qui iam annispluribus varijs morbis vexabantur, aut sanitatem, aut levamen nota iam mihi mali origine,adepti sunt. Sunt, qui D[is](y)senteria conficiuntur: alij sensim ita exsiccantur, ut sanicreterum, et incolumes a quolibet vento non sterni modo, sed auferri etiam possint, totaquevita miseri lecto egredi nequeant. Alij certis diebus, febricitantium instar, doloribus Capitisdivexantur adeo, ut eos delirare contingat. Alij de nervorum cruciatibus conqueruntur, aut de

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permis au démon de nuire, par la suite Dieu et saint Joseph me furent si favorables que toutesles brebis sortirent de la forêt, sauf l'auteur de la tentative d'empoisonnement et instigateurde la fuite. Celui-ci se réfugia chez les Portugais du Brésil qui, par la suite, pour un nouveaudélit le mirent en prison où il mourut de faim. Par ailleurs, les Indiens me livrèrent tous leursobjets utilisés pour faire le mal et commencèrent une vie totalement différente qu'ilscontinuèrent par la suite. J'ordonnai que, pour arriver à laver leurs consciences, ilsm'apportent avant l'aurore pots et ustensiles utilisés pour leurs superstitions, ainsi, bienentendu, que les poisons qui vont avec. Un Indien arriva avec plusieurs petits vases depoison; il m'avertit que l'un d'eux était particulièrement violent et qu'en conséquence jedevais y faire très attention. Après avoir dit la messe, je revins dans ma chambre et chargeaile jeune à mon service de tout jeter dans la rivière, en lui signalant de prendre le plus grandsoin du flacon contenant ce fameux poison. Le jeune homme ôta le linge qui recouvrait lepetit vase, puis poussé par la curiosité versa sur le sol devant moi un tout petit peu de cettepoudre pour mieux la connaître. Et comme il la trouva comme il pensait qu'elle était, ill'écrasa une seule fois avec le talon74

, comme nous avons l'habitude de le faire, avec uncertain dédain et dans un geste de colère. Puis, après avoir arrangé tous les vases dans unpetit panier, il s'apprêta àaller à la rivière; c'est alors qu'il commença à se plaindre vivementdu pied. En peu de temps la douleur augmenta ainsi que les élancements des nerfs, au pointqu'il dut abandonner les flacons, rentrer chez lui avec l'aide d'une autre personne et s'aliter.Une demi-heure après il se sentit tourmenté par des douleurs si violentes que j'étais sûr qu'ilallait mourir; tout son pied avait enflé de manière affreuse. Mais Dieu aidant, grâce auxremèdes appropriés, il se rétablit certes, mais sans pouvoir sortir du lit ni marcher pendantdeux mois, avec la chair du pied presque desséchée et les nerfs très contractés. Par lui-même,le lecteur s'imaginera facilement ce que peut causer un tel poison introduit dans un alimentou une boisson quand, légèrement foulé par un pied recouvert d'une épaisse corne due aumanque de chaussure, il mena au bord de la mort ce jeune homme.

506. D'autres effets de divers poisonsMais qui peut énumérer toutes les sortes de poisons utilisés? Qui en recherche les effets

les plus nocifs ou les garde en mémoire? Qui connaît ou mentionne les dommages que lesIndiens se causent mutuellement avec ces poisons? Quand j'étais dans la réduction, je notaistout par écrit avec force détails75. Ainsi bien des gens, qui depuis des années déjà souffraientde diverses maladies, retrouvèrent la santé ou du moins connurent une amélioration de leurétat, car je connaissais la cause de leur mal. Certains étaient atteints de dysenterie. D'autresmaigrissaient peu à peu et semblaient se dessécher. Bien portants et en bonne santé parailleurs, ils risquaient d'être non seulement renversés, mais également emportés parn'importe quel vent; aussi ces malheureux ne pouvaient-ils de leur vie quitter leur couche.D'autres encore souffraient certains jours de violents maux de tête, comme ceux qui ont uneforte fièvre, ce qui les conduisait à délirer. Certains autres se plaignaient de douleurs aiguës

74 Du pied nu.7~ Ces notes expliquent la qualité des descriptions. détaillées et souvent précises. du Père Eder tout au long de

son récit.

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ciborum quorumcunque reiectione, quod et ipse experlus sum triennio integro, quin tamen,unde malum hoc enatum sit, affirmare possim: al[y](ij) denique de continuis stomachiindigeslionibus, somno nimio, aut insomnio, de virum defectu, et sexcentis alijs, qu<e omniareferre et longum ni mis, et molestissimum foret.

CaputX.De dexteritate Indorum, in usu sagiuarum, stolic<e, cann<e, [gloB](Blas)rohr dict<e, equi,

laquei, lancearum, et libis.

§I.De usu sagiUarum, stolic<e, et [gloB](Blas)rohr.

507. Arcus è ligno.Arcus, cui Indi iam inde a pueritia assvescunt, non e ferro, aut Chalybe, sed e ligno, bene

elastico est, altitudinis hominis mediocris, quem totum filis diversi coloris intertextis, acplum[m]ulis avium tanta eleganlia adornant, ut videri merealur. Sinistra arcum prehendunt,fixumque tenent: dextera vero tum sagiuam, tum cordam, corpore non nihil in l<evam partemverso. Sagitta eiusdem longitudinis est, ac arcus, plum[m]ulis dictis, el filis mire exomata, utnon nulli Officiales Hispani eas videntes lepide dixerint, hominem huiusmodi sagittaconfixum iucunde mori posse. Pars superior canna qu<edam levissima est, longitudinis uniusuln<e, eaque rectissima. In summitate utrinque modica plum[m]a alligatur, qu<e nisi adsit,sagitta plurimum deviabit. Sagitt<e bacillus aliquis e bono ligno, cera illa pici simili inungitur,ut firmius adh<ereat, nec extrahi a pisce possit. Demum in extremitate bacillo pice agglutinantossis frustillum, figuram lance<e pr<e[se]ferens, illudque etiam filo affirmant, si sagiua proconficiendis piscibus est servitura. Alias, si pr<e manibus sint, aculeos illos piscis Raiapr<efigunt, aut Cannam quandam, si in homines iaciend<e sunt, in formam lance<e paratam,duorum Fere digitorum latitudinis, et duodecim longitudinis. Si vero [a] pro animalibusservitur<e sunt, extremitatem veneno illiniunt e<e Nationes, qu<e illud conficere possunt, acnorunt: reliqu<e lanceatis illis paulo ante memoralis ea tra[y](ji)ciunt, qu<e quidem feramperi mit, sed post longiorem moram, nisi Cor ipsum transverberet.

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des nerfs ou de vomissement de toute nourriture, ce dont j'ai personnellement souffertpendant trois années entières, sans que j'aie pu découvrir l'origine de ce mal. D'autres enfinsouffraient d'indigestions stomacales chroniques, de besoin excessif de sommeil oud'insomnie, de manque de force ou de mille autres maux, qu'il serait bien trop long etennuyeux de citer exhaustivement.

Chapitre 10: De l'habileté des Indiens dans l'usage des arcs et des flèches, du propulseur,de la sarbacane, du cheval, du lasso, des lances et des boleadoras

1: De l'usage des arcs et des flèches, du propulseur et de la sarbacane

507, L'arc en boisL'arc que les Indiens ont l'habitude d'utiliser dès l'enfance n'est ni en fer ni en acier,

mais en bois très élastique. Il a la longueur de la taille moyenne d'un homme76• Entièrement

décoré de fils tressés de différentes couleurs et de petites plumes d'oiseaux, il est d'une telleélégance qu'il convient vraiment de l'admirer. Les Indiens prennent l'arc de la main gaucheet le tiennent fermement; avec la droite ils saisissent soit la flèche près de l'encoche, soitdirectement la corde de l'arc, le corps légèrement avancé vers la gauche. Les flèches sont dela même longueur que l'arc et, comme celui-ci, sont admirablement ornées de fils et depetites plumes; ce qui faisait dire en plaisantant à plusieurs officiers espagnols, après lesavoir vues, qu'un homme atteint d'une telle flèche ne pouvait mourir qu'agréablement! Uneflèche est constituée d'un bambou très léger et très droit, d'une aunée (environ 1,20 mètre). Àune extrémité, deux petites plumes sont fixées, une de chaque côté, car sans elles la flèchedévie beaucoup en volant. À l'autre bout, une baguette de bon bois est ajoutée à ce fût deflèche et, pour qu'elle soit solidement fixée et ne puisse être arrachée par un poisson, elle estmaintenue avec de la cire qui ressemble à de la poix77

• Ensuite, à l'extrémité de cettebaguette, les Indiens collent avec cette poix un petit morceau d'os, en forme de fer de lance,qu'ils attachent également avec du fil si la flèche est destinée à la pêche. D'autres fois ilsfixent des aiguillons de raie, s'ils en possèdent, ou un bambou spécial taillé en forme delance d'environ deux doigts (3,5 centimètres) de largeur et douze (21 centimètres) delongueur si les flèches doivent être tirées sur des hommes. Mais si elles sont destinées auxanimaux, leurs pointes sont enduites de poison par les Indiens des nations qui le connaissentet savent le préparer. Les autres les tirent munies de ces pointes, en forme de fer de lance,comme mentionné un peu plus haut. Ces pointes sans poison tuent certes la bête sauvage,mais après un très long moment, sauf si le coeur a été transpercé.

76 Soit 1,67 mètre environ en 1829-1833 pour des hommes du rameau Moxene (d'Orbigny. 1947, p. 77).77 Voir paragraphe 302.

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27-3508. Dexteritas Indorum in e[y](ji)cienda sagitta.

Distantia ordinaria, ad quam Indi sagittas suas ejac(u)Iari soient, est sexaginta passuum,quamvis alios nec ad octaginta pnestolar(i) auderem, idque sive currat, sive volet animal. Etplerumque accomodatior terris iIIis est sagitta, quam sclop(et)u[s](m), primo ob defectumpulveris p[ij](y)rij, et nimiam Hispanicarum urbium distantiam, pneterquam quod in ipsoRegno Peruano is, qui vendebatur, fuerit œque luridus, ac carus: tum etiam ob difficultatemeum asservandi in regione pluvijs tantopere obnoxia, ac sylvas humidissimas œque, acspississimas perrumpendi, in quibus et pulveres madefieri, et sclop(et)um sœpissimeimpingere est necesse. Prœterea, qui in tluvijs, lacubusque se se divertere intendit, necsclop(et)o, nec etiam hamo id assequetur, cum vix unus, alterve piscis sit, isque inferiorisqualitatis, qui hamum attingat. Quando vel maxime Indorum dexteritas patet, est insolemnioribus festis, quibus ipsis cultri et fili aliquo crassiori appenduntur, quos qui ruptofila de[y](ji)cit, obtinet. Alias pomum citrinum ap(p)enditur, in quod proposito pr[oe](œ)mioiaculantur. Imo Natio erat in Missionibus, quœ canem currentem eiacta prius in aerem sagitta,ac dein reduce configebat, quod cum Gubemator quidam Hispanus fieri posse credere nolIet,oblata occasione vidit, et tam egregie peritos magnis muneribus remuneratus est. Ego quidemmagis mirabar Indorum peritiam in tra[y](ji)ciendi piscibus, [y](ij)s etiam, quos nec ipsividebant in aquis profundioribus vagantes. Ipsis enim sat erat motum aliquem aquœ videre, utconiectura assequerentur, ubi piscis ilIum motum causans esset, eumque procul dubiotransfigerent.

509. Alterius Nationis arcus, et eo utendi modus.Alia Natio super tluvio Mamore, a Missionibus dissita, nondum Christiana erat, quœ

arcu, et sagittis hominis maximi staturam superantibus utuntur. Arcum manu intendere nemopoterat; et cum ipsi sagittas iacerent, genu sinistro ilium intendebant, curvabantque. Sagittahoc modo emissa tanto impetu fertur, ut ExcelI[.mUSj(entissimus) Cornes Antonius RoulIin deMoura unam ligneœ suœ scaphœ fenestrelIœ impactam in perpetuam rei memoriam mihimonstraverit, quœ tabulam fenestrœ medij pollicis crassitudine perforavit, ut ex adversa partetribus pollicibus prominuerit, cum tamen ipse se testatus sit, ut minus centum et quadragintapassibus ab [y](ij)s dissitum fuisse, et cum latissimus alioquin tluvius oportunitatem longiusrecedendi suppeditaret, se recedere noluisse, reputans, sagittas ne quidem eo( )usquepertingere posse.

Sagittas, quotquot potest, manu eadem, qua arcum arripiunt, prehendit, et eas tantavelocitate eiaculatur, ut credam intra minutum viginti posse eijcere. Repertus certo fuit unus,alterve Indus, qui Tigridem, prœdam suam edentem pedes, et absque comite accedere aususfuit, et cum iam prope esset, sagittam iIIam canna latiore armatam eiaculari. Tigris vel

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508, Adresse des Indiens dans le tir de flèchesHabituellement les Indiens tirent leurs flèches à une distance de soixante pas (environ 84

mètres) que l'animal courre ou vole; cependant je ne me risquerais pas à en attendre àquatre-vingts pas (environ III mètres) !Par ailleurs, l'arc avec ses flèches est en général plusadapté à ces contrées que le fusil, tout d'abord à cause du manque de poudre et du très grandéloignement des villes où vivent des Espagnols. Ensuite, la poudre qui se vendait dans leroyaume du Pérou était jaune pâle et chère, De plus, il est difficile d'utiliser une arme à feudans une région aussi pluvieuse et également de traverser des forêts très humides et trèsépaisses où la poudre s'humidifie et où il faut très souvent se frayer un passage avec le fusil.De plus, celui qui souhaite se distraire sur les cours d'eau ou les lacs ne peut le faire avec unfusil, ni même avec un hameçon, car à peine un ou deux poissons, des moins bons, vontmordre, Mais c'est lors des plus grandes fêtes que 1'habileté des Indiens est la plus manifeste.En effet ils suspendent des couteaux avec un très gros fil que gagne celui qui les font tomberen coupant ce lien. D'autres fois ils suspendent un citron sur lequel ils décochent des flèchespour obtenir une récompense fixée d'avance. Dans les réductions, il y avait même desIndiens d'une nation qui tiraient leur flèche en l'air et, en retombant, celle-ci atteignait unchien en pleine course. Un gouverneur espagnol78 ne voulait pas croire que cela fût possible,Aussi, quand il eut l'occasion de le voir, il récompensa par de généreux cadeaux des archersaussi adroits. Quant à moi, j'admirais encore plus l'adresse des Indiens pour flécher lespoissons, même ceux qu'ils ne voyaient pas se déplacer dans des eaux très profondes. Eneffet il leur suffisait de remarquer un mouvement de l'eau pour savoir où se trouvait lepoisson qui en était l'auteur et pour transpercer ce dernier sans faillir.

509, Arc d'une autre nation et son mode d'utilisationPrès du rio Mamoré il y avait une nation, pas encore christianisée, qui utilisait un arc et

des flèches, plus longs qu'un homme de très grande taille79• Mais personne ne pouvait tendre

cet arc à la main. Aussi, quand ils ont encoché la flèche, ils tendent et arment l'arc à deuxmains en s'aidant du genou gauche. Une flèche tirée ainsi part avec une telle force que SonExcellence le comte Antonio Rollim de Moura Tavarês80 m'en montra une, fichée dans lehublot en bois de son canot, rappel permanent de ce fait. Cette flèche avait traversé laplanche fermant le hublot, épaisse d'un demi-pouce (12 millimètres), et ressortait de troispouces (7 centimètres). Il déclara qu'elle avait été tirée d'au moins cent quarante pas(presque 200 mètres). Du reste, alors que fleuve très large à cet endroit lui aurait permis des'éloigner beaucoup plus, il ne l'avait pas fait, ayant estimé que jamais des flèches nepourraient arriver jusque-là.

Ces Indiens prennent autant de flèches qu'ils le peuvent, de la même main qu'ilssaisissent leur arc, et les tirent si vite que je crois qu'ils arrivent à en lancer vingt en une

78 Probablement Alonso Verdugo, gouverneur de Santa Cruz de la Sierra (Barnadas, 1985, p. 268, note 3).79 Il s'agit peut-être des Sirionô qui utilisent effectivement des arcs et des flèches atteignant 3 mètres de

longueur (Wanda Hanke citée par Ocampo, 1982, p. 91 dans Plaza et Carvajal, 1985, p. 174; Barnadas, 1985, p.268, note 4,Iui cite Holmberg, 1978, pp. 33-40).

80 Gouverneur portugais du Mato Grosso, au Brési 1.

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educebat, vel frangebat momento sagittam illam, et hominem aggredi intentabat, quinun [1/](-)

27-4(- )quam vel movere se e loco potuisset; vix enim fregerat primam, quando alia configebatur,sicque sensim, quin se ulcisci posset, mori compellebatur. Alij vero in eam interdum tantavehementia sagittam emisere, ut ea ex adversa vulneris parte, transverberato toto carporeexierit.

510. Stratagema Cathururinorum(.)Sed celebre sane fuit iIIud Cathururime Nationis stratagema, quo Lusitanos reduces partimocciderunt, partim l:eserunt, reliquis in fugam actis. Binas, ut ita dicam phalangesconstituerant, quarum una sagittas in aerem iaceret, ut inimicum metu percellerent, acsclop(et)[os](a) su[os](a) denuo onerandi accasionem adimerent. Alia phalanx interea linearecta in iIIos pugnavit. Verum est, Indos hos non esse peritos in arte ad metam per aëremeiaculandi, sed ignorantibus id Lusitanis, et undique mortem sibi ingruere metuentibusomnem armorum suorum usum ademit. Augebat horrorem silvus quidam feralis, et auribusingratissimus, quem coci instar nucum parvi, et perforati, sagittisque alligati in aere edebant,qui cum Lusitanos impendentis periculi monere videbantur, eos veI ad ipsam sui defensionemineptos reddidit.

511. Quid stolica ?Armorum genus, quod Hispanis stolica vocare placuit, plerisque Regionis illius

nationibus notissimum erat, adeo, ut in bellis, qu:e inter se sat frequenter habuerant, eopotissimum uterentur. Est autem stolica sagitta qu:edam longior, ac ea, quam paulo antedescripsi. Solidior, quam non arcu aliquo, aut manu duntaxat, sed tabula quadam parvulaeiaculantur tanto impetu, ut ad centum passus distantem hominem non modo attingant, sedutrinque transfigant etiam. Hodie usus stolic:e fere omnis exoleverat, cum bellis inter se nonamplius congrediantur. Non null:e nationes fundam iacere norunt; cumque lapidibus carerent,globulos e gleba parabant, eisque spinas veneno iIlitas infigebant, ac tum demum in hostemprogrediebantur.

512. Canna, sive [glo13HBlas)rohr.De canna iIIa, qua sive pisces, sive aves, aut animalia venantur, alibi satis locutus sumo

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Missio/lsjésuites d'Amazonie bolivienne 189

minute. Il est certain qu'un Indien ou un autre ose affronter tout seul et à pied un tigre81

dévorant sa proie; étant près du fauve, il lui décoche une de ces flèches faites en trèsgros bambou. En un instant le tigre arrache ou met en pièces le trait et tente d'attaquerl'archer, mais sans jamais pouvoir même se mouvoir de l'endroit où il se trouve; car àpeine a-t-il brisé la première flèche, qu'une seconde le transperce, puis d'autres. Ainsi,sans pouvoir se venger, il doit se résigner à mourir. Parfois même, certains archerslancent leur flèche avec une telle puissance qu'elle ressort du tigre, après lui avoir percéle corps de part en part.

510, Stratagème des Catururi noTrès célèbre est restée la stratégie des Catururino par laquel1e ils tuèrent, blessèrent ou

mirent en fuite des Portugais de retour d'une incursion. Ils avaient constitué, je dirais, deuxphalanges dont l'une tirait des flèches en l'air pour rendre pantelant de peur l'ennemi et luienlever toute occasion de recharger ses mousquets. Pendant ce temps l'autre phalangeattaquait de front. Il est vrai que ces Indiens n'étaient pas précis dans leurs tirs de flèches enl'air, mais cela les Portugais l'ignoraient et la crainte que la mort ne fonde sur eux de touscôtés leur enlevait toute velléité d'usage de leurs armes. Le sifflement, lugubre et trèsdésagréable à l'oreil\e, que produisaient dans l'air des espèces de petites noix percées etattachées aux flèches, augmentait leur terreur; il semblait avertir les Portugais du dangerimminent et les rendait même incapables de se défendre.

511. Qu'est le propulseur?L'espèce d'arme que les Espagnols décidèrent d'appeler est6lica82 (propulseur83

), étaitbien connue dans la plupart des nations de cette région; c'était la plus utilisée dans lesguerres intestines qu' el1es se livraient assez souvent. Ainsi, le propulseur envoie une flècheplus longue que celle que je viens de décrire. Également plus solide, elle n'est pas lancéeavec un arc ni à la main, mais à l'aide d'une planchette84 avec une tel1e puissance qu'el1epeut non seulement atteindre un homme à cent pas (presque 140 mètres) mais également letranspercer. Aujourd 'hui le propulseur est tombé en désuétude, car les guerres entre Indiensont disparu.

Quelques nations connaissaient l'usage de la fronde. Mais, comme il n'y avait pas depierres, les Indiens fabriquaient des bi1les d'argile dans lesquel1es ils incorporaient des épinesenduites de poison; alors seulement ils marchaient contre l'ennemi.

512. Les bambous utilisés comme sarbacanesDe ces bambous, utilisés comme sarbacanes pour pêcher les poissons ou chasser les

oiseaux et les autres animaux, j'ai déjà amplement parlé par ailleurs85.

RI Jaguar.82 Eder écrit stolica.81 Voir: Mak6, 1791, figure nO 4.84 Le propulseur proprement dit.85 Paragraphe 398.

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190 Joseph LAURE

§IIDe lanceis, equo, laqueo, et libis.

513. Lancearum usus.Lancearum usus ab Hispanis potlsslmum inductus est apud Nationes nostrarum

Missionum, nec facile, nisi adversus tigridem, Indi quarundam Missionum, illis utebantur,vel quia veneno carebant, vel quia se audaciores probare volebant. Cum enim artemquamlibet, ut ut periculosam, qua alium aliquem excellere vident, statim et ipsi se possiderecredant, nec ulli inferiores esse patiantur, audito, quod non nulli Hispani tigridem lanceisexcipiant, confodiantque, ipsi quoque eos imitari interdum audent, sed fatali plerumqueeventu, cum nec animis, nec viribus necessarijs pnediti sint. Modus autem hic est: duo utminus lanceis, idque non longis armati tigridem accedunt, cum h<ec pr<edam suam depascitur.Fer(oc)issima alioquin bellua tum, si aliquem accedere ad[//](-)

27-5(- )verrit, plus solito efferatur. Duo vero illi, aut tres iunct(i) eo( )usque progrediuntur, quoadipsa rugire, ac minari incipit, id est, ad octo, vel decem passuum distantiam. Inclamanttamdiu, usque dum ipsa in ferociam acta hospites assalit. Unus eam lancea sua excipit, alteroin omnem (e)ventum attento. Si prior ictum aut erravit, aut male inflixit, ipse errorem sipotest, corrigit: si vero eam prostravit, ipse quoque accedit, et inter utrumque eam terr<eappingunt, enecantque. Sed summa tigridis velocitas, qua insilit, tum etiam vires, ac turbatiaggressorum animi non raro lugubre spectaculum exhibent, faciuntque, ut l<esa, aut peremptaetiam tigride ipsi quoque aut discerpantur, aut vulneribus gravissimis afficiantur. Ego quidemnunquam in hanc perimend<e tigridis methodum consensi. Hispanis, qui bus familiare est cumtauris congredi, h<ec, nescio an audacüe, an temeritatis specimina relinquere satius esseiudicavi. Quot vero Hispanorum quotannis a tigridibus perimantur, inde colligat Lector, quodcum ab Episcopo quodam ad spectandos in quadam urbe tauros, licet reluctans ducerer, intratres, quatuorve horas undecim homines aut mortuos, aut illico morituros è foro efferi viderim.Quam stragem non edet tigris, tauro et ferocia, et velocitate, et armis superior? Nescio, quitam truculenta spectacula nationi cult<e, atque Catholic<e placere possint.

514. Indi amant equos, et ijs dexterrime insident.Vix erit Natio, qu<e equis tantopere afficiatur, ac Indi: unde fit, ut [y](ij)s tractandis,

regendisque facillime assvescant, utinam et curandis. Parum interest, an equus freno, acephip(p)io instructus sit, an vero [y](ij)s destituatur: funem plerumque ori circumdat, et

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne

II: Des lances, du cheval, du lasso et des boleadoras

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513. Usage des lancesL'usage des lances parmi les nations de nos missions a principalement été introduit par

les Espagnols. Les Indiens de certaines réductions les utilisaient, mais pas volontiers, si cen'est contre le tigre, soit parce qu'ils ne possédaient pas de poison, soit parce qu'ils voulaientmontrer leur grande bravoure. En effet, quand ils voient quelqu'un d'autre exceller dans lapratique d'un art ou d'une technique, même s'il y a péril, voilà qu'aussitôt ils se croientcapables de le posséder et ne souffrent pas d'être inférieurs à quiconque. Ayant appris que desEspagnols affrontaient et abattaient à la lance des tigres, eux aussi osèrent de temps en tempsles imiter, mais la plupart du temps l'issue était fatale, car ils manquent du savoir-faire et desforces nécessaires. La méthode est la suivante: deux hommes au moins, armés d'une lancecourte, s'avancent vers le tigre en train de dévorer sa proie. Le fauve est du reste toujours trèsféroce, mais quand il remarque que quelqu'un s'approche, il devient encore plus furieux qu'àl'ordinaire. Cependant les deux ou trois chasseurs avancent ensemble jusqu'à ce que le tigrecommence à feuler et à devenir menaçant, c'est-à-dire lorsqu'ils sont à huit ou dix pas (Il à14 mètres). Ils invectivent le tigre jusqu'à ce qu'agissant selon son naturel fougueux celui-cibondisse sur les intrus. Alors l'un des chasseurs lui jette sa lance, tandis que l'autre estattentif au résultat. Si le premier jet de lance a raté son but ou a mal frappé, le secondchasseur essaie, s'il le peut, de corriger l'erreur. Si le premier coup a terrassé le fauve, ilss'approchent également et, à deux, immobilisent à terre l'animal et le tuent. Mais l'extrêmerapidité du tigre quand il bondit, ainsi que sa force, ajoutées à la forte émotion des chasseurs,conduisent souvent à un spectacle funeste et font que le tigre, même touché et blessé à mort,met en pièces les attaquants ou leur inflige de très graves blessures. Quant à moi, je n'aijamais vraiment été d'accord avec cette méthode pour supprimer les tigres. J'ai toujoursestimé qu'il fallait plutôt laisser aux Espagnols, familiers des courses de taureaux, cespreuves d'audace ou de témérité, je ne sais. Mais combien d'Espagnols meurent chaqueannée tués par les tigres? Le lecteur pourra s'en faire une idée avec le fait suivant. Dans uneville, ayant été conduit, contre mon gré86

, par un évêque à une corrida, j'ai vu en l'espace detrois ou quatre heures amener hors de l'arène onze hommes morts ou moribonds. Alors, quelmassacre fera un tigre, plus féroce, plus rapide et mieux armé qu'un taureau? Je necomprends pas comment des spectacles aussi cruels puissent plaire à une nation cultivée etde plus catholique!

514. Les Indiens aiment les chevaux et les montent avec une très grande agilitéIl est vraiment difficile de trouver une nation d'hommes aussi attachés aux chevaux87

que le sont les Indiens! C'est pourquoi ils ont l'habitude de les mener et de les dresser trèsfacilement. Si seulement il en était de même pour les soigner! Il leur importe peu que lecheval soit muni ou dépourvu de mors et d'un tapis de monte: en général ils entourent la

"" Membre de phrase omis par Barnadas dans sa traduction espagnole (1985, p. 271)."7 Animaux introduits en Amérique par les Espagnols.

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absque ullo alio adminiculo quaquaversu[m](s) CUITit, vagaturque. Vidi alicubi adductos, acintra sepes conc1usos complures equos feroces, qui sessorem nunquam admiserant, imo vixhominem noverant. Antequam ostio sepium aperto dimitterentur equi, plures Indi, societateinita eos conscendere statuerunt. Suum proinde quisque sibi elegerat, in quem egredientem èsepibus insiliret. Aperuere ostium minus, alijs destinatos equos maxima velocitateexpellentibus, in quos destinati Indi ordine suo à dictis sepibus insilierunt, quorum non nullicalcaribus etiam pedes cinxerant. Quid non egere equi, ut se a molesto onere liberarent? atincassum omnia. Alij proni colaphis, et pugnis efferati aliunde equi caput pulsabant, alij velutsupini iam caudam, iam testiculos vellicabant, comprimebantque, usque dum fessum, ac totocarpore sudantem, trepidantemque equum, iniecto fune quo vellent, circumducerent.Contingebat, ut equus aut caderet, aut se ultro in terram pro[y](ji)ceret: nec tunc quidemdesiliebat Indus, sed calcaribus, pugnis, imo interdum

27-6admoto igne, aut aqua auribus infusa equum consurgere, ac progredi cogebat.

515. Animalia cursu fatigant. cap(i)untgue.Quantam vero equi illius Regionis utilitatem Domino adferant, inde patet, quod Indus,

cuius pigritia fame superari potest, modo equum habeat, et se, et plures alios absque notabilidefatigatione victu quotidiano, et abundanti sustentare queat. Cum enim campi abundentCervis, Damulis, Struthionibus, Antis, perdicibus, et interdum etiam Vaccis ferocibus, eaomnia equiti Indo parent. Damulas enim, ac Struthiones cursu velocissimo eo( )usquepersequitur, quoad vel ipsa fessa iam concidant, vel ab equo prostemantur. Nec aliterperdices capiunt. Utprimum enim canis aliquam avolare cogit, eques insequitur, usque dumlassata decidat, quam deinde vel canis, vel ipse eques manu prehendit.

516. Ouomodo fune capiant?Sed ars illa, qua maxime excellunt, [,] Taurum ferocem, equum, tigridem, aut quodvis

aliud animal capiendi, Europa:is prorsus incognita est: eam proinde uberius describam. Iamalibi me dixisse memini, quam eximijs equis abundetAmerica, quorum alij itineri facienda:,alij obeundi gravioribus laboribus, alij denique cursui aptantur. Hi postremi sensimedocentur, cum opus est, equitem in capiendis feris non modo cursu, sed viribus etiam iuvare,ac metum omnem, etiam tigridis deponere. Nec sibi imaginetur quispiam ea, qua: nuncnarraturus sum, cum obvio quoque equo, ut ut bono, confici posse: nisi enim sa:pe exercitatussit, et equus, et sessor peric1itantur. Funem e corio crudo vacca:, aut bovis sibi parant Indi,qui e tribus, quatuor, sex, aut etiam octo ramis apte sibi intertextis constat, quin tamen sa:pedigiti hominis crassitudinem excedat. S[a:](e)bo unctum soli sa:pe ob[y](ji)ciunt, usque dum

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Missiolls jésuites d'Amozollie bolivienne 193

bouche du cheval avec une corde puis, sans aucune autre aide, ils chevauchent et galopentpartout. Quelque part j'ai vu de nombreux chevaux fougueux semi-sauvages, attrapés etenfermés dans un enclos, qui n'avaient jamais été montés et avaient à peine vu des hommes.Avant de libérer les chevaux en ouvrant la barrière du corral, plusieurs Indiens se mirentd'accord pour les monter, Ainsi, chacun se choisit un cheval sur lequel il sauterait dès sasortie de l'enclos, À peine avait-on ouvert la porte et poussé dehors à toute vitesse lesanimaux choisis, que chaque Indien sauta des barrières du corral, chacun à son tour, sur samonture; certains cavaliers avaient même chaussé des éperons, Que ne firent pas les chevauxpour se libérer de ce fardeau gênant? Mais toujours en vain. Certains cavaliers penchés enavant frappaient vraiment sauvagement la tête de l'animal à coups de poing; d'autres,penchés en arrière, lui pinçaient et comprimaient la queue ou les testicules jusqu'à ce qu'ilsarrivent à dominer le cheval épuisé, suant et tremblant de tout son corps, en lui mettant unecorde là où ils voulaient. Il arrivait que le cheval tombât ou se couchât par terre: ce n'étaitpas pour autant que l'Indien descendait; bien au contraire, avec les éperons, les poings, enapprochant du feu ou en versant de l'eau dans les oreilles, il forçait le cheval à se relever et àcontinuer à avancer.

515. Les Indiens fatiguent à la course les animaux et les attrapentEn réalité, quelle utilité procurent à leurs maîtres les chevaux de cette région? Voici

l'évidence: l'Indien, dont la paresse peut dépasserla faim, a la possibilité grâce aux chevauxde se procurer sans grande fatigue, pour lui et pour beaucoup d'autres gens, une abondantenourriture quotidienne. En effet les savanes abondent en cerfs, daims, autruches, tapirs,perdrix et parfois même en bovins marronsK8

, tous animaux à la merci du cavalier indien, Carà vive allure il chasse à courre les daims et les autruches jusqu'à ce que ces animaux, épuisés,s'affaissent ou soient renversés parle cheval. Il attrape les perdrix de la même façon. Dès queson chien en lève une, le cavalier la poursuit jusqu'à ce que, fatiguée, elle se laisse tomber;alors la saisit le chien ou directement le cavalier avec sa main.

516. Comment les Indiens capturent au lasso les animauxMais voici une technique, dans laquelle les Indiens excellent, qui leur permet d'attraper

un taureau marron, un cheval, un tigre ou n'importe quel autre animal. Elle est absolumentinconnue des Européens; c'est pourquoi je vais la décrire plus amplement. Je me souviensd'avoir déjà dit ailleurs89 que l'Amérique abonde en chevaux excellents: les uns pourvoyager, les autres pour accomplir des travaux de force, d'autres enfin pour la course. Cesderniers sont dressés peu à peu, car il faut que dans la chasse à courre des fauves ils aident lecavalier, non seulement par leur course mais aussi par leur force, et qu'en plus ils n'aientpeur de rien, surtout pas du tigre. Mais que personne ne s'imagine que ce que je vaismaintenant raconter puisse se faire avec n'importe quel cheval, fût-il bon, car si ce derniern'est pas fréquemment et bien entraîné, le cavalier et sa monture sont en danger. Les Indiensfabriquent un lasso en cuir cru de bovin, qui comporte trois, quatre, six ou même huit brins

88 C'est-à-dire retournés à l'état sauvage.89 Aux paragraphes 25 et 26.

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blandus reddatur. Longitudinis est ulnarum quatuordecim: utrinque nodum grandem ex ipsocorio elaborant, addita quadam fibula itidem coriacea, quam sessor pro arbitrario, et quidemmomento nodo imponere, aut ab ilIo adimere potest, prout oportunitas, aut necessitaspostulat. Absque hoc fune Indus nunquam in campum equitat. Plerique binis lorisephip(p)ium pectori equi adstringunt: uno quidem ipsum ephip(p)ium more nostro cingunt;aliud vero unice pro alligando illi fune supradicto deservit. Si animal quoddam occurrit, illicofunem, quem à tergore ephip(p)ij alligatum defert, solvit, et unam illius extremitatem loro illiimmittit, et fibula nodo imissa aptat circa equi ventrem. Funis residuum in quatuor, autquinque spiras compositum sinistra prehendit una cum loris freni; dextera vero aliam funisextremitatem

27-7in laquei formam compositam. Equus interea, utpote huic muneri assvetus vix detineri, acregi potest, tanto nempe conatu, et aviditate procurrere anhelat, quam primum funemcompo(n)i, ac parari intuetur: ut proinde aliquibus equis opus sit oculos tegere, ut sessorilocum, et tempus funis aptandi pnebeant.

Instructus hoc modo eques procurrit in feram, quam ubi assequitur, et a latere dexteroocto, vel decem ulnis distantem habet, ei dextera laqueum in collum, aut cornua, si taurus,vaccave sit inijcit, et statim eundem laqueum contrahit, ac animal semper insequens non nihilvelociorem ilium cursum equi cohibet, ac, quando spiras funis sinistra manu gestatas deficereadvertit, sistit, ne currens adhuc equus a tauro, aut equo aliquo iam ilIaqueato, itidemquecurrente in terram de[y](ji)ciatur, rapteturque. Hœc omnia, uti et reliqua, quœ sub[y](ji)ciam,experti equi adeo norunt, ut eques nihil plerumque, quod agat, habeat, nisi funem iliumanimalis capiti in[y](ji)cere, reliqua vero ipsi equi, rerum harum optime periti, curant, quineos dirigere necessum sit. Cum funis totus è manibus dimissus est, equus tractum inadversum latus non nihil inclinatus, et manu dextera, tantisper protensa, velut fulcro corporisexcipit tanta firmitate, ut vix tantillum moveatur, animal vero ipsum velut fulmine tactumconcidit, et per aliquot minuta mortui instar iacet. Desilit tunc eques, ut funiculis minoribus,quos prœ manu habet, tauri manus, pedesque ligat, funem e cornuis adimit, equumconscendit, et alium illico insequitur, eodemque modo capit, ut non raro quatuor, aut quinquetauros intra brevissimum tempus hinc inde iacentes, alligatosque relinquat, quos deinde,binos et binos colligatos ante se, quo placet agit, vel seors[i](u)m equo alligat, et abducit.Sunt, qui collo equi funem alligant, quo deinde feras minores illaqueant.

517. Etiam tigrides.Hac eadem methodo tigrides in campo deprehensas capiunt: quamvis pauciores sint equi,

qui eam vicinius accedere audeant. Cum enim tigrides sint equo longe tardiores in currendo,

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 195

soigneusement tressés; malgré cela, souvent sa grosseur n'excède pas celle d'un doigtd'homme (environ 17 millimètres de diamètre). Enduit de suif, le lasso est mis à plusieursreprises au soleil jusqu'à ce qu'il devienne souple. Sa longueur est de quatorze aunes(presque 17 mètres); aux deux bouts les Indiens font un grand noeud coulant avec le cuirmême du lasso, maintenu par une attache également en cuir que le cavalier peut, à son gré età tout moment, passer dans le noeud ou l'en ôter, selon ce qu'exige la situation ou le besoin.Un Indien ne chevauche jamais en savane sans son lasso. En général, il attache au poitrail ducheval un tapis de monte avec deux lanières: avec l'une il fixe bien le tapis comme nous lefaisons, l'autre en revanche sert uniquement à attacher le dit lasso. Si se présente un animal,il détache aussitôt le lasso qu'il porte sur le dos du cheval, attaché au tapis; il en introduit undes bouts dans la courroie prévue pour cela et l'ajuste près du ventre de sa monture grâce àl'attache passée dans le noeud. Puis il prend avec la main gauche, en même temps que lesrênes, le reste du lasso enroulé en quatre ou cinq tours; avec la main droite il saisit l'autreextrémité du lasso, qui forme un noeud coulant. Pendant ce temps le cheval peut à peine êtreretenu et dirigé, car il a été dressé pour cette chasse; en effet dès qu'il se rend compte que lelasso est préparé, il tente de partir au galop avec une telle fougue qu'il faut couvrir les yeuxde certains chevaux pour qu'ils laissent au cavalier la possibilité et le temps de préparer sonlasso.

Ainsi prêt le cavalier pourchasse sa proie. Quand il la rejoint et qu' i11' a sur sa droite àhuit ou dix aunes (9 à 12 mètres), de la main droite il lui lance le lasso autour du cou ou descornes, s'il s'agit d'un taureau ou d'une vache, et aussitôt il resserre le noeud coulant.L'animal pris reste toujours en arrière et freine quelque peu la course plus rapide du cheval.Quand le cavalier voit que le lasso s'est complètement déroulé dans sa main gauche, il arrêtesa monture pour que celle-ci, en continuant à galoper, ne soit pas jetée à terre et traînée par letaureau ou le cheval attrapé au lasso mais continuant à courir. Tout cela et ce que je vaisencore relater, les chevaux expérimentés le connaissent si bien que le cavalier n'a rien d'autreà faire que de lancer le lasso autour de la tête de l'animal à capturer; tout le reste leschevaux, parfaitement dressés pour cette chasse, s'en chargent sans qu'il soit nécessaire deles diriger. Quand le lasso s'est complètement déroulé des mains du cavalier, le cheval restelégèrement penché en arrière et, en même temps, avec la patte avant droite, tendue comme unpiquet qui sortirait de son corps: tout cela avec une telle robustesse qu'il bouge à peine.Quant à l'animal capturé, il s'écroule comme foudroyé et pendant quelques minutes gîtcomme mort. C'est alors que le cavalier met pied à terre pour lier les pattes avant et arrièredu taureau avec de petites cordes qu'il tient à la main; ensuite il enlève le lasso des cornes,remonte à cheval et poursuit aussitôt un autre animal. C'est ainsi qu'il capture souvent quatreou cinq taureaux en très peu de temps, qu'il laisse ça et là, couchés et liés sur place. Par lasuite, attachés deux par deux devant lui, il les conduit où il veut, ou bien les attache au chevalséparément et les emmène. Il y a des chasseurs qui mettent une corde au cou de leur cheval,avec laquelle ils enserrent de petits animaux sauvages capturés.

517. Même des tigres sont pris au lassoDe la même façon les Indiens capturent des tigres découverts en savane, bien qu'il yait

très peu de chevaux qui osent s'en approcher. À la course les tigres sont beaucoup moinsrapides que les chevaux; en plus, ils se fatiguent vite à cause de leur graisse et suffoquent

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et pra:terea pin[q](g)uedine ipsa brevi defatigentur, ac p[o]ene suffocentur in tanto regionisa:stu, statim consident canum more. Parato fuene pra:tercurrunt cursu mediocri tigridem, etlaqueum collo in[y]Ui)ciunt. Aliqua: in pedes se se erigunt, et saltum vel minantur, vel etiamdant, equite parum, aut nihil solicito, utpote cuius equus eum eripere sufficit: alia: plerumquefessa: lin[q](g)ua porrecta non nihil obmurmurantes, quieto consident. Concluso laqueoequus non nihil impellitur, ut funem è manibus tigridis, si forte eum arripuit, eripiat, ac etiamsuffocetur, quod intra tria, quatuorve minuta accidit. Quod si aliquod periculum sive abequominus perito, sive à fune

27-8male iacto, sive demum a tigride immineat, arrepto cultro funem scindunt, et se omnipericulo eximunt. Ca:terum tigrides in patenti aliquo campo detecta:, nisi matrem filij stipent,aut homo pra:dam eorum propinquius accedat, non sunt tanta: audacia:, ut equitem telTerepossint, nec tantœ velocitatis, ut eum, nisi piger sit, ac rerum ignarus, assequatur. Non alterimelius, quam latroni tigridem comparavero, quem merito in silvis, inter tenebras noctismetuas: si vero in loco aliquo patenti, idque de die detegatur, minus longe negot[y](ij)facesset. Ha tigris, noctu quidem horrenda, in silvis, tanquam in proprio sibi regno dominatur;in campo vero longe mitior, minusque est audacior. Plerœque tigrides, quas fune capi vidi,adeo cursu defessa:, et inertes fuere, ut nullum omnino, iniacto etiam laqueo signumferocitatis ediderint, nisi quod, cum ab equo iam raptarentur, una, alterave vice un[q](g)uibusfunem e collo amovere intentarint.

518. Apum alvearia, et homines.Quid erit, quod lndi fune non capiant? Mellis appetentissimi, vix in aliqua arbore

alveare detegunt, si quidem rami, aut distantia id sinant, funem suum ea, qua dixi methodopra:parant, et equi loro, velut si taurum aliquem, aut tigridem capturi essent, alligant: tumramo, cui alveare appensum est, laqueum inijciunt, et cursu veloci a reliqua arbore avel1unt,nec sistunt, nisi cum identidem retro aspicientes vident apes omnes avolasse, qua: equitimerito curam aliquam causare possunt: cum enim apes omnes aculeo prœdita: sint, si eœlndum assequerentur, et hunc, et equum impeterent. lmo, cum hoc sa:culo celebris ille AnglusHanson, classis in Mari Pacifico Pra:fectus, nautas in propinquum Paraquaria: littus ad ligna,et aquam qua:renda varijs scaphis dimisisset, adfuere Paraquarij equites iacendi funisperitissimi, quos cum vidissent nauta: Angli per littus dispersi, ad scaphas suas, notamfunium iaciendorum artem evitaturi, se quantocius receperunt. Aderant iam equites, a quorumfunibus ut se se liberarent Angli, proni in scaphis suis decubuerunt. Cum enim nec ipsisclop(eta)[os] haberent, nec Paraquarij ad scaphas, tum ob profundiorem aquam, tum etiam

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presque à cause de la chaleur de la région; aussi s'arrêtent-ils très rapidement et s'assoient-ilscomme des chiens. Ayant préparé leur lasso, les chasseurs coursent le tigre sur une faibledistance puis lui lancent le noeud coulant autour du cou. Certains tigres se dressent alors surleurs pattes arrière et simulent ou font effectivement un bond, mais le cavalier n'est que peuou pas du tout inquiet, car son cheval suffit pour l'éloigner rapidement du danger; en généralles autres fauves, épuisés et tirant la langue, se couchent tranquillement en émettant quelquesgrognements. Une fois le noeud coulant resserré, on fait un peu avancer le cheval pourarracher le lasso des pattes du tigre, au cas où il l'aurait saisi, et pour ensuite étouffer lefauve, ce qui arrive au bout de trois ou quatre minutes. Mais si un péril menace, à cause d'uncheval insuffisamment expérimenté, d'un lasso mal lancé ou enfin du tigre lui-même, lesIndiens saisissent leur couteau et coupent le lasso: ainsi, ils se mettent hors de danger. Dureste les tigres découverts en savane ouverte, sauf dans le cas d'une mère avec ses petits oud'un chasseur s'approchant trop de la proie des fauves, ne sont pas si hardis pour faire peur àun cavalier, ni assez rapides pour l'atteindre, à moins que celui-ci ne soit lent et ignorant desconditions d'une telle chasse à courre. Je ne trouve rien de mieux que de comparer le tigre àun voleur dont, avec raison, tu as peur en forêt dans l'obscurité de la nuit; en revanche, si tule rencontres de jour en un lieu ouvert. il t'effraie beaucoup moins. Il en est de même avec letigre qui de nuit est vraiment à craindre en forêt où il règne en maître; en revanche, ensavane il est beaucoup plus calme et moins hardi. La plupart des tigres que j'ai vus attrapésau lasso étaient si fatigués par la course et si immobiles qu'ils ne montraient absolumentaucun signe de férocité après avoir été pris, sauf au moment où ils étaient tirés par le cheval;alors ils essayaient, une ou deux fois, d'enlever avec leurs griffes la corde serrant leur cou.

518. Capture de ruches d'abeilles et d'hommesQu'y a-t-il que les Indiens n'attrapent pas au lasso? Très grands amateurs de miel, à

peine ont-ils découvert une ruche dans un arbre, bien sûr si les branches et la distance lepermettent, qu'ils préparent leur lasso comme je l'ai décrit et l'attachent à leur cheval commes'il s'agissait de capturer un taureau ou un tigre. Ensuite ils le lancent autour de la branche, àlaquelle est suspendue la ruche, qu'ils arrachent de l'arbre en partant au grand galop. Et ils nes'arrêtent qu'au moment où, en se retournant souvent, ils voient que toutes les abeilles, quipeuvent causer au cavalier des ennuis justifiés, se sont envolées. En effet les abeilles, toutespourvues de dard, si elles rattrapent l'Indien, se jettent sur lui et sur sa monture. Encoremieux: quand en ce siècle90 le célèbre Anglais Anson91

, commandant en chef d'une escadrede l'océan Pacifique, envoya en canot des matelots sur la rive proche du Paraguay92 pourchercher du bois et de l'eau, apparurent des cavaliers paraguayens experts dans le lancer dulasso. Quand ils les virent, les marins anglais éparpillés sur le rivage retournèrent au plus viteà leurs chaloupes, pour échapper à l'adresse fameuse de ces lanceurs de lasso. Les cavaliersarrivaient déjà et, pour éviter leurs lassos, les Anglais se couchèrent sur le ventre au fond de

90 Le ISe siècle.91 George Anson (1697-1762), amiral anglais: voir bibliographie additionnelle. Eder écrit: Hanson.92 Rivière d'environ 2 200 km, prenant sa source au Mato Grosso (Brésil), arroseAsunci6n, Villa dei Pi/aret

se jette dans le fleuve Paranâ.

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ob undas maris propius accedere possent, iacere tamdiu in scaphis decreverant, donec veldiscederent Paraquarij, vel maris refluxus scaphas sensim a terra aliquantum removeret.Securos se à funibus rati sunt Angli in scapharum suarum fundo procubi, ac tabulispropemodum affixi. At Paraquarij rebus suis dispositis laqueos suos in scaphas iniecere tantadexteritate, ut quolibet iactu Anglum inde extraxerint: et nemo certo ab eis se liberasset, ni sireliqui arreptis remis à littore quantocius se, et scaphas removissent. Et certo, cum Lusitanos,redacta in cineres Missione S[.](ancti) Mich elis in meam quoque, utpote

28-1proximam venturos metuerem, hoc duntaxat armorum genere eos impetere decreveram:unico enim laquei iactu, in p(r)omiscuam multitudinem vibrato tres, quatuorve homines capi,raptarique a currente equo facile potuissent. Non dubito futuros plures in Europa, qui siperitum aliquem viderent, dexteritatem laudarent, et artem hanc in pluribus occasionibusproficuam deprehenderent.

519. Quid Libis?Libis, vocabulum quale sit, nescio. Armorum quoddam, venationi equestri multum

deserviens genus est, quod nunc describam. Funduntur bini è plumbo globi, sex, aut octo adsummum unciarum ponderis quilibet, immisso per medium fila ferreo, quod e globo permodum unci cuiusdam pnestat, ut ei funiculus immitti, et alligari queat. Aliud plumbifrustum <equalis ponderis funditur per modum manubrij, aut nodi longioris alicuius baculi,cum fila itidem e parte inferiore nodi prominente. Parantur funiculi è nervis bovinis bene adsolem exsiccatis, et in mortario in filamenta contusis, qu<e filamenta more solito nentmulieres, et ex ijs funiculum crassioris calami conficiunt. Sin vero dictis libis equos, aut aliudquod animal e maioribus capere velint, crassiorem nonnihil funem texunt, et sevo s<epeinungunt. Duarum ulnarum cum dimidia funem pr<escindunt, et utrique extremitati globumunum plumbeum appendunt. Dimidio funis pr<edicti intexunt aliud funis frustum, quodlongitudinis medium <equet, eique appendunt manubrium illud plumbeum. En quid sint Libis.H<ec apte componunt, ligantque, et ephip(p)io appendunt, ut pr<e manibus, quando necessumfuent, ea habeant. Cum animal quodpiam insequuntur, ea cun"endo, cum oportetevol[o](v)unt, et manubrio prehensa circumagunt, et cum non nulla vi in tergus animalis, siparvum est, uti Dama, struthio, asinusve, aut in pedes posteriores, si equus, aut mulus sit,con[y](ji)ciunt: dependent globi illi plumbei, qui cum circumacti prius fuerint, etiam iniectiiam circumagi pergunt, et animalis currentis manus, pedesve ita string[i](un)t,involv[i](un)tque, ut intra brevissimam temporis moram concidat, equitemque a labore et se,et equum fatigandi liberat. Alias, si vehementius iaciantur, et globus aliquis in manum,

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leurs embarcations. En effet, comme ils n'avaient pas de fusils et que les Paraguayens nepouvaient pas s'approcher des chaloupes à cause des eaux profondes et de la maréemontante, ils décidèrent de rester allongés aussi longtemps que les Paraguayens ne partiraientpas ou que la marée descendante entraînerait lentement leurs embarcations suffisamment loinde la berge. Couchés au fond de leurs canots, pratiquement cloués aux planches. les marins secroyaient à l'abri des lassos. Mais les cavaliers paraguayens, après s'être préparés, lancèrentleur lasso dans les chaloupes avec tant de précision qu'à chaque fois ils en arrachaient unAnglais, Et sûrement aucun ne leur aurait échappé, si ceux qui restaient n'avaient saisi lesrames et ne s'étaient éloignés au plus vite de la rive. Il est exact que, quand j'ai craint que lesPortugais du Brésil, qui avaient réduit en cendres la mission de San Miguel, ne vinssent aussidans la mienne93 qui était proche, j'ai décidé que nous les affronterions uniquement avec cetype d'arme. Car d'un seul lancer de lasso sur une troupe compacte, trois ou quatre hommespeuvent facilement être pris et enlevés par un cavalier au galop. Dans le futur,je ne doute pasqu'en Europe beaucoup de gens, s'ils voyaient un expert du lasso, loueraient son adresse etadopteraient cette technique, très utile en bien des occasions.

519. Le libis (boleadoras ou bolas)Je ne sais pas à quelle langue appartient le mot /ibis (boleadoras ou bolas). Mais cette

arme que je vais maintenant décrire est spécialement adaptée pour la chasse à cheval. Onfond deux boules de plomb de six ou, tout au plus, huit onces94 (172 à 230 grammes)chacune, avec un fil de fer au milieu, qui dépasse en formant un anneau afin de pouvoir yintroduire et attacher une petite corde. On fond un autre morceau de plomb, de même poids,en forme de manche ou de poignée à l'extrémité d'un très long bâton, puis on fixe à ceplomb, de la même façon qu'aux autres, une petite corde qui prolonge le bâton. On prépareles cordelettes en nerfs de boeuf bien séchés au soleil et séparés dans un mortier en filaments,de ceux que les femmes ont l' habitude de tresser: elles en font des cordelettes de la grosseurd'un roseau. Certes, si les chasseurs souhaitent avec ces boleadoras ([ibis) capturer deschevaux ou d'autres gros animaux, on tresse une corde un peu plus grosse et souvent onl'enduit de suif. On coupe une corde de deux aunes et demie (3 mètres) et l'on suspend uneboule de plomb à chaque extrémité. Au milieu on insère un autre morceau de corde, d'unelongueur égale à la moitié de la première, auquel on fixe le manche de plomb précité situé aubout du bâton. Voilà les boleadoras ou bolas ([ibis), Les cavaliers les assemblentconvenablement, les attachent et les fixent au tapis de monte afin de les avoir sous la mainquand il le faut. Quand ils poursuivent un animal, tout en galopant, ils détachent et déroulentleurs boleadoras au bon moment, les font tourner en les tenant par la poignée de plomb puisles lancent avec force sur le dos de l'animal s'il est petit, tel un daim, une autruche ou un âne,ou bien dans les pattes arrière dans le cas d'un cheval ou d'un mulet. Les boules en plombsont suspendues, mais comme le cavalier les a fait tourner avant de les lâcher, ellescontinuent à tourner pendant leur course; ainsi, elles entourent et serrent fortement les pattesavant ou arrière de l'animal qui court, ce qui le fait tomber très rapidement et évite ainsi

93 Sail MartIn de Baures.94 Une once est le 1/16' d'une livre espagnole; elle équivaut à 28,75 grammes,

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200 Joseph LAURE

pedem, caputve animalis impingat, illud frangunt, ut animal illico vel procidat, vel p[o]enitusemoriatur. Sin vero contingat Indum errasse, ne cursum sistere cogatur, et animal intereaelabatur, aut sua libis intra gramen decidua non reperiat, pileum, strophiolum aliquod, autquidvis aliud eo pro[y](ji)cit, cursu interea elapsum à libis animal persequens, quo sive capto,sive amisso signo iIIo sua libis qU1erit, invenitque.

520. Sclop(et)is egregie iaculantur.Quantus recens e sylvis adventantium sclop(et)i metus, tantum deinde re melius inspecta

eiusdem est desiderium, maxime vero, si timore illo sive ignis ante faciem accensi, sivetonitrui deperdito, avem aliquam tra[y](ji)ciant. Conducit vero plurimum acutissimus eorumvisus, quo tigridem aut

28-2superant, aut 1equant. Ipsi Lusitani, Hispanorum munimentum ligneum aggressi, conquestisunt de non nullis Indis, qui cum sclop(eta)[os] nescio unde arripuissent, ictu quolibethominem sternebant tanta dexteritate, ut explosi ab [yl(ij)s globuli frontem, non aliudpeterent; tangerentque. Ego ipse, cum oculis meis interdum diffiderem, sclop(et)um Indoalicui dedi explodendum, felici plerumque eventu.

(fin du chapitre 10, dernier du Livre 2)

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Missions jésuites d'Amazonie bolivienne 201

peine et fatigue au cavalier et à sa monture. D'autres fois, si les bolas sont lancées trèsviolemment et qu'une boule de plomb frappe une patte avant ou arrière, ou encore la tête del'animal, illa brise et la bête tombe aussitôt ou meurt sur-le-champ. Mais s'il arrive qu'unIndien rate son lancer, pour ne pas être obligé d'arrêter sa poursuite et de laisser pendant cetemps s'échapper l'animal, ou bien de risquer de ne pas retrouver ses boleadoras qu'il alancées dans l'herbe, il jette son chapeau, un ruban ou quelque chose d'autre et continue sacourse derrière l'animal qui a évité les bolas. Une fois le gibier capturé ou perdu, le chasseurrevient et retrouve alors ses boleadoras grâce à l'objet qu'il a laissé comme marque.

520. Les Indiens tirent très bien au fusilAussi grande est la peur des fusils de ceux qui arrivent tout juste de la forêt, qu'est fort

par la suite leur désir de les utiliser après les avoir mieux examinés. Surtout si, après avoirvaincu la peur du feu, qui sort devant leur visage, et de la détonation, ils abattent un oiseau.De plus leur excellente vue, qui égaIe ou dépasse celle du tigre, les avantage grandement. LesPortugais eux-mêmes, attaquant un fort en rondins des Espagnols, se plaignirent vivement dequelques Indiens qui, ayant pris des fusils de je ne sais où, abattaient à chaque coup unhomme, avec une telle précision que toutes les balles qu'ils tiraient touchaient le front et riend'autre. Moi-même, ne me fiant pas à mes yeux,j'ai donné à un Indien mon fusil pour qu'iltire: presque toujours avec succès.

(fin du chapitre 10, dernier du Livre second)