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Le corps, eh bien il était toujours là, tout simplement il ne pouvait pas s’esquiver dans le monde du « compliqué » et se détourner de la vie. P.84 Se débattre dans le bourbier, comme on dit, de l’existence, ou même s’occuper du péché, c’est tout de même beaucoup plus fatiguant ; cela demande qu’on fasse au moins quelque chose. En tout cas je crois que ce qu’on appelle vertu n’a quelque valeur que si on l’acquiert dans les larmes ; tant que la vertu se borne à suivre la voie de moindre résistance, elle appartient au Démon. P.104 …On peut sûrement dire de la sexualité qu’elle est une chose incommode, avant tout parce qu’elle engendre et suscite des problèmes. P.104 Je n’étais même pas un membre utile de la société humaine, je n’en étais qu’un membre bien élevé. P.118 Mais aussi, il m’était facile de me soumettre à la volonté de mon père puisque je n’avais pas de volonté propre. P.120 Je n’avais absolument aucun problème et je me doutais bien que c’était mieux ainsi, parce que je n’aurais pas encore été capable de me débrouiller si j’en avais eu. Bref : je remplissais toutes les conditions pour devenir quelqu’un de très malheureux. Autrefois, j’étais trop « petit » pour être moi-même ; à présent, j’étais trop « vieux ». La seule chose qui m’était impossible, c’était d’avoir justement mon âge.

Fritz Zorn - Mars

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Le corps, eh bien il était toujours là, tout simplement il ne pouvait pas s’esquiver dans le monde du « compliqué » et se détourner de la vie. P.84

Se débattre dans le bourbier, comme on dit, de l’existence, ou même s’occuper du péché, c’est tout de même beaucoup plus fatiguant ; cela demande qu’on fasse au moins quelque chose. En tout cas je crois que ce qu’on appelle vertu n’a quelque valeur que si on l’acquiert dans les larmes ; tant que la vertu se borne à suivre la voie de moindre résistance, elle appartient au Démon. P.104

…On peut sûrement dire de la sexualité qu’elle est une chose incommode, avant tout parce qu’elle engendre et suscite des problèmes. P.104

Je n’étais même pas un membre utile de la société humaine, je n’en étais qu’un membre bien élevé. P.118

Mais aussi, il m’était facile de me soumettre à la volonté de mon père puisque je n’avais pas de volonté propre. P.120

Je n’avais absolument aucun problème et je me doutais bien que c’était mieux ainsi, parce que je n’aurais pas encore été capable de me débrouiller si j’en avais eu. Bref : je remplissais toutes les conditions pour devenir quelqu’un de très malheureux.

Autrefois, j’étais trop « petit » pour être moi-même ; à présent, j’étais trop « vieux ». La seule chose qui m’était impossible, c’était d’avoir justement mon âge.

Plus j’étais déprimé au fond de mon cœur, plus je souriais.

Plus noir le dedans, plus blanche la surface.

Les gens croyaient que j’étais tel que je croyais être. P.128

J’étais, foncièrement, un menteur et un hypocrite, mais j’avais de si bonne manières qu’on n’en trouverait pas facilement de pareilles sur cette face du globe ; seulement ces manières

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admirables qui étaient les miennes, c’était aussi le seul art que j’eusse appris. P.129

Ce qui comptait avant tout, c’était justement incapacité-d’être-comme-les-autres, la qualité d’artiste en tant que phénomène secondaire s’ensuivait alors tout naturellement.

Au lycée, j’avais été le mystérieux oisif ; maintenant j’étais tout à coup le pauvre abandonné lorsqu’ils m’avaient tous dit au revoir pour vaquer à leurs occupations. P.141

Je fis donc de mon vice une vertu (comme, au fond, tout le monde ne cesse de le faire car, finalement, presque toutes les vertus sont des vices inavoués ou stylisés)…P.145

Ma vie se composait donc principalement de pauses : mes pauses et les pauses des autres. P.146

Sans doute il est exact que d’autres belles choses existent mais il est tout aussi indiscutable que lorsque ça ne va pas sur le plan sexuel, tout le reste ne peut pas marcher non plus, y compris les autres belles choses ci-dessus mentionnées.

Plus je me rapprochais en apparence de l’image qu’on se fait d’un jeune homme normal, moins je trouvais les raisons pour lesquelles il se trouvait que je ne l’étais pas. P.157

La dépression ne m’avait pas lâché, je m’y étais seulement mieux accoutumé dans la mesure où elle était devenue chronique. P.160

En effet, beaucoup de mes camarades étaient déprimés parce qu’ils avaient raté un examen, mais moi, j’étais déprimé quoique j’eusse brillamment passé le même examen. P.162

Il est vrai, le soleil est plus chaud en Espagne qu’en Suisse ; mais en moi, le froid glacial de la dépression n’était pas moins coupant en Espagne qu’en Suisse.

Si quelqu’un a été condamné à la pendaison et déjà, lié à l’arbre auquel on le pendra, il attend l’exécution, il faut admettre que, pendant cette attente, au cas où la journée

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serait chaude, il s’assoira à l’ombre de l’arbre et non pas à côté. Bien sûr cela ne change rien au fait de la pendaison mais mieux vaut, assurément, l’attendre à l’ombre qu’en plein soleil. P.260

Personne n’a le droit d’être anonyme ; personne non plus ne veut sans doute mourir d’une chose anonyme. P.262

Je suis malheureux parce que je ne fonctionne pas et que je n’ai jamais fonctionné. P.267

Que quelqu’un préfère le chameau d’Abraham ou le royaume de Dieu de Jésus, c’est une question de tempérament. Moi je suis pour le chameau parce que cela me semble être davantage le parti de la vie. P.268

Ce n’est pas la tête de l’aimable vieille dame du lac de Zurich qui doit tomber mais une autre tête, qu’il faut considérer comme un symbole, doit tomber, c’est ainsi que va le monde. P.272

Mes parents m’ont tué et pourtant ce ne sont pas mes parents qui m’ont tué. P.272

J’aperçois même, derrière ma situation financière actuelle, une justice sociale : bien sûr, j’ai hérité de mes parents plus d’argent que d’autres car les nombreux dommages que j’ai aussi hérités de parents, je dois les faire réparer contre de grosses sommes d’argent.

Seul celui qui est coupable peut être gracié.

La mort de chaque être humain est la mort de tous les hommes et la mort de chaque homme est la fin du monde. p.296